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17/04/2014 | CEDH | N°001-142419

CEDH | CEDH, AFFAIRE ADAMANTIDIS c. GRÈCE, 2014, 001-142419


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE ADAMANTIDIS c. GRÈCE

(Requête no 10587/10)

ARRÊT

Cette version a été rectifiée le 31 octobre 2014

STRASBOURG

17 avril 2014

DÉFINITIF

17/07/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Adamantidis c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Elisabeth Steiner,


Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos, juges,
et de Søren Nie...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE ADAMANTIDIS c. GRÈCE

(Requête no 10587/10)

ARRÊT

Cette version a été rectifiée le 31 octobre 2014

STRASBOURG

17 avril 2014

DÉFINITIF

17/07/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Adamantidis c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Elisabeth Steiner,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 25 mars 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 10587/10) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Vasilios[1] Adamantidis (« le requérant »), a saisi la Cour le 4 février 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Mes K. Tsitselikis et A. Spathis, avocats au barreau de Thessalonique. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, Mme F. Dedousi, assesseure auprès du Conseil juridique de l’Etat, et M. D. Kalogiros, auditeur auprès du Conseil juridique de l’Etat.

3. Le requérant allègue une violation de l’article 3 de la Convention.

4. Le 31 août 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1984 et réside à Thessalonique.

6. Le 24 octobre 2009, des poursuites pénales furent engagées contre le requérant pour tentative de vol avec violences. Le jour même, le juge d’instruction ordonna sa mise en détention provisoire (ordonnance no 49/2009).

7. Le requérant fut détenu jusqu’au 16 novembre 2009 au commissariat de police de Lefkos Pyrgos (Thessalonique). À cette date, il fut transféré dans les locaux de la Direction générale de la police de Thessalonique.

8. Selon le requérant, les deux espaces de détention n’étaient pas suffisamment aérés et ensoleillés. Il fait aussi état des problèmes de surpeuplement, de manque d’exercice physique, d’insuffisance d’alimentation et d’absence de contact avec le monde extérieur pendant sa détention.

9. Le 23 décembre 2009, le requérant informa le procureur des conditions de sa détention dans les locaux de la Direction générale de la police de Thessalonique et sollicita l’amélioration de celles-ci. À ce jour, le requérant ne reçut aucune réponse.

10. Il ressort du dossier que le requérant fut détenu à la Direction générale de la police de Thessalonique jusqu’au 29 janvier 2010.

II. LE DROIT INTERNE ET LA PRATIQUE NATIONALE ET INTERNATIONALE PERTINENTS

A. Le code pénitentiaire

11. Les articles pertinents en l’espèce du code pénitentiaire disposent :

Article 1

« 1. Les règles qui suivent régissent les conditions et les circonstances de l’exécution des peines et des mesures de sûreté (...) conformément à la Constitution, aux conventions internationales, aux lois et aux actes réglementaires édictés en vertu de celles-ci.

2. Sont considérées comme [des] détenus les personnes qui purgent des peines privatives de liberté, celles auxquelles s’appliquent les articles 69 [détention de criminels irresponsables] et 71 [admission des alcooliques et toxicomanes dans un établissement thérapeutique] du code pénal, ainsi que les détenus provisoires et ceux qui sont détenus en application des articles 16 [catégories spécifiques de détenus] et 17 [autres catégories de détenus] du présent code.

(...)

4. Les « établissements de détention » sont ceux qui sont définis au Troisième Chapitre du présent code. »

Article 15

« 1. Les personnes placées dans les établissements de détention, soit en application d’un mandat d’arrêt ou d’un mandat de placement en détention provisoire, soit en application d’une décision de la chambre d’accusation, séjournent dans des secteurs séparés, destinés aux femmes ou aux hommes, ou dans des espaces particuliers, séparés des autres détenus (...)

2. Les conditions de détention des personnes mises en examen dans la prison s’approchent dans la mesure du possible [des conditions] de la vie en liberté. [Ces personnes] ne sont [pas] soumises à des restrictions de leur liberté autres que celles qui sont nécessaires pour le bon déroulement de l’instruction (...) »

Article 19

« 1. Les établissements de détention se distinguent en : a) généraux, b) spéciaux et c) thérapeutiques.

2. Les établissements de détention généraux se distinguent en établissements de type A, de type B et de type C. Dans les établissements de type A sont placés les prévenus, ceux qui sont détenus pour des dettes et ceux qui ont été condamnés à une peine d’emprisonnement. Dans les établissements de type B sont placés tous les autres détenus, sous réserve de l’alinéa suivant. Dans les établissements de type C (...) sont placés les détenus qui purgent une peine de réclusion à perpétuité ou de dix ans minimum et [qui] sont considérés comme particulièrement dangereux pour la coexistence normale dans les établissements d’un autre type (...)

3. Les établissements spéciaux sont les prisons agricoles, la "Centrale du matériel pénitentiaire", les établissements pour les jeunes et les établissements semi-ouverts (...) »

B. Le code civil et la loi d’accompagnement

12. L’article 57 du code civil dispose :

« Celui qui, d’une manière illicite, est atteint dans sa personnalité, a le droit d’exiger la suppression de l’atteinte et, en outre, l’abstention de toute atteinte à l’avenir. (...)

Par ailleurs, la prétention à des dommages-intérêts, suivant les dispositions relatives aux actes illicites, n’est pas exclue. »

En outre, l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil se lit comme suit :

« L’État est tenu de réparer les dommages causés par les actes illégaux ou omissions de ses organes lors de l’exercice de la puissance publique, sauf si les actes ou omissions [en question] ont eu lieu en méconnaissance d’une disposition destinée à servir l’intérêt public. L’organe fautif est solidairement responsable avec l’État, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres. »

13. Par deux arrêts nos 2893/2008 et 1215/2010, le Conseil d’État admit qu’une personne détenue pour cause de dette envers un tiers et placée, en violation de l’article 1050 § 2 du code de procédure civile, dans la même cellule que des personnes condamnées pour des infractions pénales avait subi un dommage moral et avait à ce titre, en application de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil et de l’article 57 du code civil, droit à une indemnité. Il indiqua que la déclaration de la nullité de la détention de l’intéressé et sa mise en liberté ne constituaient pas une cause de disparition du dommage moral subi par celui-ci pendant sa détention. Il précisa en outre que le manque de lieux de détention appropriés à la détention des personnes condamnées pour dettes envers des tiers ne pouvait justifier une exonération partielle ou totale de la responsabilité de l’État. Il jugea également que, aux fins de déterminer le montant de l’indemnité à octroyer à l’intéressé, il fallait tenir compte des conditions de détention de ce dernier. Il ajouta cependant que, l’appréciation desdites conditions ne pouvait conduire à exclure tout préjudice moral, étant donné que celui-ci naissait de la seule illégalité de la privation de liberté de l’intéressé, et ce indépendamment de l’appréciation en question. Dans les deux arrêts susmentionnés, la haute juridiction considéra ainsi que les intéressés avaient été, du fait de leur détention avec des personnes condamnées pour des infractions pénales, exposés à des invectives, insultes, atteintes à leur intégrité physique et autres violences, ces divers agissements visant surtout les personnes non considérées comme auteurs d’infractions pénales dans de tels lieux de détention.

14. Par deux arrêts nos 463/2006 et 1601/2009, la cour administrative d’appel d’Athènes jugea que les demandeurs dans ces affaires avaient subi un dommage moral en raison d’une atteinte à leur droit à leur personnalité (article 57 du code civil). Elle considéra que les demandeurs, bien que condamnés pour des dettes de nature commerciale, avaient été détenus dans le même espace que des personnes qui avaient été condamnées pour des infractions pénales, en méconnaissance de l’article 1050 du code de procédure civile, et elle leur accorda une indemnité.

C. Le code de procédure pénale (CPP)

15. L’article 284 du CPP prévoit :

« 1. Celui qui fait l’objet d’un mandat de détention provisoire est conduit à la prison réservée aux prévenus et est présenté au directeur de celle-ci (...). »

D. Le décret présidentiel no 141/1991 relatif aux compétences des organes du ministère de l’Ordre public

16. L’article 66 § 6 du décret présidentiel no 141/1991 est ainsi libellé :

« Il n’est pas permis de détenir des prévenus et des condamnés dans les commissariats de police, excepté pendant le temps absolument nécessaire à leur transfert en prison ou lorsque leur transfert immédiat vers une prison n’est pas possible. »

E. La pratique nationale et internationale

17. La Cour se réfère à ce sujet notamment aux paragraphes 19-22 de l’arrêt Aslanis c. Grèce (no 36401/10, 17 octobre 2013).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

18. Le requérant allègue que les conditions de détention au sein des locaux du commissariat de police de Lefkos Pyrgos (Thessalonique) et de la Direction générale de la police de Thessalonique étaient contraires à l’article 3 de la Convention, disposition ainsi libellée :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

19. Le Gouvernement, se prévalant notamment des arrêts nos 2893/2008 et 1215/2010 du Conseil d’Etat ainsi que des arrêts nos 463/2006 et 1601/2009 de la cour administrative d’appel d’Athènes, invite la Cour à rejeter le présent grief pour non-épuisement des voies de recours internes. Il soutient qu’il ressort de ces arrêts que les conditions de détention et le danger que celles-ci entraînent pour la vie ou la santé d’un détenu peuvent être retenues comme constitutives d’une atteinte à la personnalité (article 57 du code civil) et fonder ainsi une action en dommages-intérêts. Par conséquent, l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil constituerait une voie de recours effective pour toute personne qui, comme le requérant, considère avoir été victime d’un traitement inhumain et dégradant au cours de sa détention et souhaite être indemnisée pour le préjudice subi.

20. Le requérant soutient que ses doléances sous l’angle de l’article 3 de la Convention ne concernent que les conditions générales de détention au sein des locaux du commissariat de police de Lefkos Pyrgos (Thessalonique) et de la Direction générale de la police de Thessalonique.

21. La Cour rappelle que le fondement de la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée dans l’article 35 § 1 de la Convention consiste en ce qu’avant de saisir un tribunal international, le requérant doit avoir donné à l’Etat responsable la faculté de remédier aux violations alléguées par des moyens internes, en utilisant les ressources judiciaires offertes par la législation nationale, pourvu qu’elles se révèlent efficaces et suffisantes (voir, entre autres, Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 37, CEDH 1999–I). Cette règle se fonde sur l’hypothèse, objet de l’article 13 de la Convention – avec lequel elle présente d’étroites affinités –, que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 152, CEDH 2000-XI). L’article 35 § 1 de la Convention ne prescrit l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir, parmi beaucoup d’autres, Dalia c. France, 19 février 1998, § 38, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I).

22. L’article 35 § 1 de la Convention prévoit une répartition de la charge de la preuve. Pour ce qui concerne le gouvernement défendeur, lorsque celui-ci excipe du non-épuisement des recours internes, il doit convaincre la Cour que le recours dont il invoque l’existence était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible, était susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs et présentait des perspectives raisonnables de succès (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 68, Recueil 1996‑IV ; et Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 46, CEDH 2006-II).

23. En ce qui concerne le cas d’espèce, la Cour note, d’emblée, que les doléances du requérant portent de manière générale sur les conditions de détention dans les locaux des centres de police en cause et que les conditions dénoncées s’apparentaient à un phénomène structurel qui ne concernait pas exclusivement son cas particulier mais en général la situation des personnes détenues pour une durée de plus de trois mois qui ne pourrait pas être qualifiée de courte dans des locaux de police (voir, en ce sens, Bygylashvili c. Grèce, no 58164/10, § 47, 25 septembre 2012). En outre, en ce qui concerne l’action en dommages-intérêts fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, la Cour a déjà considéré que pour qu’un système de protection des droits des détenus garantis par l’article 3 de la Convention soit effectif les recours préventifs et les recours indemnitaires doivent coexister de façon complémentaire (Ananyev et autres c. Russie, nos 42525/07 et 60800/08, § 98, 10 janvier 2012). L’importance particulière de cet article impose que les Etats établissent, au-delà d’un simple recours indemnitaire, un mécanisme effectif permettant de mettre rapidement un terme à tout traitement contraire à l’article 3. À défaut d’un tel mécanisme, la perspective d’une indemnisation future risquerait de légitimer des souffrances incompatibles avec cet article et d’affaiblir sérieusement l’obligation des Etats de mettre ses normes en matière de détention en accord avec les exigences de la Convention (ibid., § 98). Par conséquent, du point de vue de l’épuisement des voies de recours internes, la situation peut être différente entre une personne qui a été détenue dans des conditions prétendument contraires à l’article 3 et qui saisit la Cour alors qu’il est en liberté et un individu qui la saisit alors qu’il est toujours détenu dans les conditions qu’il dénonce (voir A.F. c. Grèce, no 53709/11, § 53, 13 juin 2013).

24. En l’occurrence, il ressort du dossier que la détention du requérant dans les locaux de police précités a pris fin le 29 janvier 2010. En saisissant la Cour le 4 février 2010, il ne visait bien évidemment pas à empêcher la continuation de sa détention dans des conditions inhumaines ou dégradantes, mais à obtenir un constat postérieur de violation de l’article 3 par la Cour et, le cas échéant, une indemnité pour le dommage moral allégué.

25. La Cour relève que l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil est une disposition transversale du droit grec qui s’applique à une multitude de situations. Dans le cadre d’une action fondée sur cet article, les tribunaux examinent de manière incidente s’il y a eu de la part des autorités un acte illégal et, dans l’affirmative, ils accordent au demandeur une indemnité pour dommage moral (A.F. c. Grèce, précité, § 55). En outre, la Cour rappelle que, dans son arrêt A.F. c. Grèce (précité, §§ 55-60), elle a estimé qu’il convenait d’examiner si les dispositions d’un texte législatif ou réglementaire susceptibles d’être invoquées aux fins d’une action en application de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil étaient rédigées en termes suffisamment précis et garantissaient des droits « justiciables ». Or, la Cour note que le code pénitentiaire ne s’applique pas en matière de détention dans les commissariats de police, comme cela ressort des articles 1 et 19 dudit code (voir paragraphe 11 ci-dessus). En outre, le Gouvernement n’invoque pas de disposition du droit interne garantissant un droit « justiciable » et de la jurisprudence y relative, pouvant servir de fondement juridique solide en l’occurrence aux fins d’une action en application des articles 105 et 57 précités (voir Aslanis, précité, § 32, et, a contrario, Housein c. Grèce, no 71825/11, § 62, 24 octobre 2013).

26. Enfin, la Cour note que les arrêts nos 2893/2008 et 1215/2010 du Conseil d’Etat ainsi que 463/2006 et 1601/2009 de la cour administrative d’appel, fournis par le Gouvernement à l’appui de ses allégations, concernaient des personnes qui avaient été arrêtées et condamnées pour des dettes envers des particuliers et qui, en méconnaissance de l’article 1050 du code de procédure civile, purgeaient leurs peines dans des maisons d’arrêt et, en particulier, dans les mêmes cellules que des personnes condamnées pour des infractions pénales. La Cour considère que la situation du requérant, mis en détention provisoire dans des centres de police se distingue nettement de celle ayant fait l’objet des arrêts nos 2893/2008 et 1215/2010 du Conseil d’Etat ainsi que 463/2006 et 1601/2009 de la cour administrative d’appel.

27. Au vu de ce qui précède, et nonobstant le fait que le requérant n’a pas fait usage de la voie suggérée par le Gouvernement, la Cour estime qu’en l’état actuel de la jurisprudence nationale, son grief ne saurait être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes. Partant, l’objection y afférente du Gouvernement doit être rejetée. La Cour constate, en outre, que le présent grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

28. Le Gouvernement soutient notamment que le requérant n’a pas prouvé que ses conditions de détention dans les locaux de police précités ont constitué un traitement inhumain ou dégradant ayant atteint le minimum de gravité requis pour tomber sous le coup de l’article 3. Il affirme que ses doléances sont très générales et ne portent pas sur sa situation personnelle au sein du commissariat de police de Lefkos Pyrgos (Thessalonique) et de la Direction générale de la police de Thessalonique.

29. Le requérant rétorque notamment que ses conditions de détention n’étaient pas conformes aux exigences de l’article 3 de la Convention et aux standards définis par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT). En se référant à sa situation personnelle, il allègue qu’il n’avait jamais l’occasion de sortir de sa cellule. Il affirme en outre que les toilettes et la douche étaient insalubres et que chacun des détenus n’avait droit qu’à des plats équivalant à la somme de 5,85 euros par jour. Le requérant soutient que cette somme ne pouvait lui garantir trois repas par jour ni du point de vue de la qualité ni de celui de la quantité. Enfin, il relève l’interdiction de se procurer des journaux ou des magazines et l’absence de télévision. Il était ainsi, pour une période de trois mois environ, complètement coupé de la vie extérieure.

30. La Cour rappelle que pour tomber sous le coup de l’article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de l’espèce, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (voir, parmi d’autres, Van der Ven c. Pays-Bas, no 50901/99, § 47, CEDH 2003‑II). La Cour a ainsi jugé qu’un traitement était « dégradant » en ce qu’il était de nature à inspirer à ses victimes des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à les humilier et à les avilir (voir Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 92, CEDH 2000‑XI).

31. Les mesures privatives de liberté s’accompagnent inévitablement de souffrance et d’humiliation. Il s’agit là d’un état de fait inéluctable qui, en tant que tel et à lui seul n’emporte pas violation de l’article 3. Cette disposition impose néanmoins à l’Etat de s’assurer que toute personne est détenue dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités de sa détention ne la soumettent pas à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à une telle mesure et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, sa santé et son bien-être sont assurés de manière adéquate (Kudła, précité, §§ 92-94 ; Ramirez Sanchez c. France [GC], no 59450/00, § 119, CEDH 2006‑IX).

32. La Cour note qu’elle a déjà examiné et conclu à la violation de l’article 3, à plusieurs reprises, dans des affaires relatives à des conditions d’emprisonnement dans des locaux de police de personnes mises en détention provisoire ou détenues en vue de leur expulsion (voir, Siasios et autres c. Grèce, no 30303/07, 4 juin 2009 ; Vafiadis c. Grèce, no 24981/07, 2 juillet 2009 ; Shuvaev c. Grèce, no 8249/07, 29 octobre 2009 ; Tabesh c. Grèce, no 8256/07, 26 novembre 2009 ; Efremidze c. Grèce, no 33225/08, 21 juin 2011 et, en dernier lieu, Aslanis, précité). Mises à part les déficiences particulières quant à la détention des intéressés dans chacune des affaires précitées et ayant notamment trait au surpeuplement, au manque d’espace extérieur pour se promener, à l’insalubrité et à la qualité de la restauration, la Cour a fondé son constat de violation de l’article 3 au fait que, de par leur nature même, les locaux de police sont des lieux destinés à accueillir des personnes pour une courte durée. Ainsi, des durées de détention provisoire au sein des commissariats de police, oscillant entre deux et trois mois ont été considérées comme contraires à l’article 3 (Siasios et autres, précité, § 32 ; Vafiadis, précité, §§ 35-36 ; Shuvaev, précité, § 39 ; Tabesh, précité, § 43 ; Efremidze, précité, § 41, et Aslanis, précité § 39).

33. La Cour relève qu’en l’espèce le requérant a été détenu pour trois mois environ au sein des locaux du commissariat de police de Lefkos Pyrgos (Thessalonique) et de la Direction générale de la police de Thessalonique, c’est-à-dire dans des locaux qui, de par leur nature même, ne sont pas adaptés aux besoins d’une incarcération prolongée (voir, Kaja c. Grèce, no 32927/03, § 49, 27 juillet 2006 ; Efremidze, et Aslanis, ibid).

34. Par ailleurs, la Cour note que le requérant était un prévenu, et que l’article 284 du CPP dispose que celui qui fait l’objet d’un mandat de détention provisoire est conduit aux prisons réservées aux prévenus. Elle relève également que l’article 66 § 6 du décret présidentiel no 141/1991 dispose que la détention dans les commissariats de prévenus et de condamnés est permise uniquement pour le temps strictement nécessaire à leur transfert vers les établissements pénitentiaires ou lorsque leur transfert immédiat n’est pas possible.

35. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent que celle à laquelle elle est parvenue dans les affaires précitées.

Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’il y a eu en l’espèce une violation de l’article 3 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

36. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

37. Le requérant réclame 7 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

38. Le Gouvernement considère que cette somme est excessive et non justifiée, compte tenu des circonstances de la cause. Le constat de violation constituerait une satisfaction équitable suffisante.

39. La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant la somme de 6 500 EUR au titre du préjudice moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.

B. Frais et dépens

40. Le requérant demande également 2 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour, note d’honoraires à l’appui.

41. Le Gouvernement estime que cette somme est déraisonnable.

42. La Cour estime raisonnable, à la lumière du document déposé et de sa jurisprudence, d’accorder au requérant 1 500 EUR à titre de frais et dépens devant la Cour, plus tout montant pouvant être dû par lui à titre d’impôt.

C. Intérêts moratoires

43. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

3. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i) 6 500 EUR (six mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii) 1 500 EUR (mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 avril 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren NielsenIsabelle Berro-Lefèvre
GreffierPrésidente

* * *

[1] Rectifié le 31 octobre 2014 : le prénom du requérant était erroné : « Athanasios ».


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-142419
Date de la décision : 17/04/2014
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant;Traitement inhumain) (Volet matériel)

Parties
Demandeurs : ADAMANTIDIS
Défendeurs : GRÈCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : TSITSELIKIS K. ; SPATHIS A.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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