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08/04/2014 | CEDH | N°001-142195

CEDH | CEDH, AFFAIRE ERGEZEN c. TURQUIE, 2014, 001-142195


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE ERGEZEN c. TURQUIE

(Requête no 73359/10)

ARRÊT

STRASBOURG

8 avril 2014

DÉFINITIF

08/07/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Ergezen c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Işıl Karakaş,
András Sajó,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller,
Paul Lem

mens,
Robert Spano, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 mars 2014,

Rend l’arrêt que voici...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE ERGEZEN c. TURQUIE

(Requête no 73359/10)

ARRÊT

STRASBOURG

8 avril 2014

DÉFINITIF

08/07/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Ergezen c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Işıl Karakaş,
András Sajó,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller,
Paul Lemmens,
Robert Spano, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 mars 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 73359/10) dirigée contre la République de Turquie et dont deux ressortissants de cet État, MM. Ziya Ergezen et Mehmet Ergezen (« les requérants »), ont saisi la Cour le 29 septembre 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. M. Ziya Ergezen est décédé le 23 octobre 2010. Son épouse, Mme Dindar Ergezen, et ses enfants, Mme İlken Ergezen (Bağır), Mme Miyase Ergezen (Başbuğ), et MM. Mehmet Ergezen et Tuncay Ergezen, ont fait savoir, par une lettre du 4 mars 2011, qu’ils entendaient maintenir la requête devant la Cour en leur qualité d’héritiers.

3. Les requérants ont été représentés par Me M. Erbil, avocat à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

4. Le 7 février 2012, la requête a été déclarée partiellement irrecevable et les griefs tirés des articles 5, 6 et 13 de la Convention ont été communiqués au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Les requérants – père et fils – sont nés respectivement en 1950 et en 1983.

6. Ils furent arrêtés respectivement le 5 et le 7 octobre 2005 dans le cadre d’opérations menées contre l’organisation armée illégale PKK. Au cours de la perquisition de leur domicile, la police saisit plusieurs kilos d’explosifs.

7. Le 8 octobre 2005, les requérants furent traduits devant le juge près la cour d’assises spéciale d’Istanbul (« la cour d’assises »), qui ordonna leur placement en détention provisoire en application de l’article 100 du code de procédure pénale. Pour ce faire, le juge se fonda sur la nature et la qualification des infractions en cause, l’état des preuves et le contenu du dossier, et indiqua qu’il s’agissait d’infractions visées par l’article 100 § 3 du code de procédure pénale.

8. Le 18 octobre 2005, le requérant Mehmet Ergezen fut inculpé pour appartenance au PKK et possession d’explosifs, et le requérant Ziya Ergezen pour aide et assistance à ladite organisation. Leur procès commença devant la cour d’assises.

9. Au terme des audiences tenues devant elle, la cour d’assises ordonna le maintien des requérants en détention provisoire compte tenu de la peine encourue et de la persistance de forts soupçons quant à la commission des infractions reprochées. Elle estima que les conditions relatives à la mise en œuvre de mesures autres que la détention provisoire n’étaient pas réunies.

10. Le 26 décembre 2006, la cour d’assises reconnut les requérants coupables d’appartenance à une organisation illégale et de détention d’explosifs et les condamna à dix ans d’emprisonnement sur le fondement des articles 174 et 314 du code pénal.

11. Le 18 juin 2007, la Cour de cassation cassa l’arrêt du 26 décembre 2006, estimant que la qualification juridique des faits était erronée. Elle considéra que les faits reprochés aux intéressés relevaient de l’article 315 du code pénal réprimant la fourniture d’arme à une organisation illégale.

12. Le 30 juillet 2007, la cour d’assises ordonna le maintien en détention provisoire des requérants pour les motifs suivants : la persistance de forts soupçons quant à la commission des infractions reprochées, le risque de fuite, la lourdeur de la peine encourue et les infractions en cause, qui figuraient parmi celles énumérées à l’article 100 § 3 du code de procédure pénale.

13. Le 20 novembre 2007, la cour d’assises maintint sa décision du 26 décembre 2006.

14. Le 24 février 2009, la Cour de cassation cassa à nouveau l’arrêt de la cour d’assises pour le même motif.

15. À l’issue de l’audience du 25 mars 2010, tenue en présence des requérants, la cour d’assises ordonna le maintien en détention provisoire des intéressés compte tenu de la lourdeur de la peine encourue et de la persistance de forts soupçons quant à la commission des infractions reprochées. Elle considéra en outre que les conditions relatives à la mise en place du contrôle judiciaire n’étaient pas réunies.

16. L’audience du 5 août 2010 se déroula en présence du requérant Mehmet Ergezen et en l’absence du requérant Ziya Ergezen. À l’issue de cette audience, la cour d’assises ordonna le maintien en détention des intéressés pour des motifs identiques à ceux avancés le 25 mars 2010.

17. Le même jour, l’avocat des requérants forma un recours en opposition contre cette décision. Il demanda la tenue d’une audience lors de l’examen de l’opposition.

18. Le 13 août 2010, la cour d’assises, statuant sur dossier, rejeta l’opposition.

19. Le 30 septembre 2010, la cour d’assises ordonna la remise en liberté du requérant Ziya Ergezen dès lors que celui-ci souffrait d’un cancer et que son pronostic vital était engagé.

20. Le 23 octobre 2010, le requérant Ziya Ergezen décéda.

21. Le 21 décembre 2010, la cour d’assises mit fin à l’action pénale diligentée contre Ziya Ergezen. S’agissant du requérant Mehmet Ergezen, elle se conforma aux arrêts de la Cour de cassation et condamna l’accusé à douze ans et six mois d’emprisonnement. Elle releva toutefois que le pourvoi ayant été formé uniquement par le requérant, la peine prononcée à son encontre ne pouvait pas être supérieure à la sanction prononcée avant cassation et qu’il bénéficiait d’un droit acquis quant au quantum de la peine initiale, ce en application de l’article 307 du code de procédure pénale. Elle le condamna donc à dix ans d’emprisonnement. Ayant pris en compte la durée de la détention provisoire déjà écoulée, elle prononça la remise en liberté de l’intéressé.

22. Ainsi qu’il ressort du dossier consulté sur le site Internet de la Cour de cassation turque ([http://www.yargitay.gov.tr/](http://www.yargitay.gov.tr/)), le 10 juin 2013 la Cour de cassation rejeta le pourvoi contre l’arrêt du 21 décembre 2010.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

23. Selon l’article 100 du code de procédure pénale, une personne ne peut être placée en détention provisoire que lorsqu’il existe de forts soupçons qu’elle a commis l’infraction reprochée et lorsqu’il existe un motif de détention, à savoir un risque de fuite ou d’altération des preuves. Cela étant, pour certains délits particulièrement graves parmi lesquels figurent ceux reprochés aux requérants, l’article 100 § 3 du code de procédure pénale indique que l’on peut présumer l’existence des motifs de détention (risque de fuite et/ou d’altération des preuves) lorsqu’il existe des raisons plausibles de soupçonner l’intéressé d’avoir commis l’infraction en cause.

24. L’article 141 du code de procédure pénale prévoit la possibilité pour une personne ayant subi un préjudice en raison d’une mesure judicaire de demander une indemnisation, dans certains cas limitativement énoncés.

À l’époque des faits, aucun des cas de figure énumérés dans cet article ne prévoyait la possibilité de demander la réparation d’un préjudice subi en raison de l’absence d’un recours effectif pour contester la détention. Depuis le 11 avril 2013, il est possible de demander réparation du préjudice subi en raison de l’impossibilité de faire usage d’un recours prévu par la loi pour contester une détention.

L’article 141 § 1 d) prévoit la possibilité pour les personnes jugées en détention provisoire et n’ayant pas obtenu un jugement dans un délai raisonnable de demander la réparation de leur préjudice.

Selon l’article 142 § 1 de ce code, la demande d’indemnisation peut être demandée dans les trois mois suivant la notification à l’intéressé de la décision interne définitive et dans tous les cas de figure dans l’année suivant la date à laquelle la décision est devenue définitive.

Sur ce dernier point, la Cour de cassation turque a opéré un revirement jurisprudentiel en 2012 ; elle a admis qu’il n’était pas nécessaire d’attendre la décision interne définitive pour se prononcer sur certaines demandes d’indemnisation fondées sur l’article 141 du code de procédure pénale. Cependant cette jurisprudence n’a pour le moment pas encore été appliquée à une demande d’indemnisation fondée sur la durée excessive d’une détention provisoire.

EN DROIT

I. SUR L’EXCEPTION DU GOUVERNEMENT

25. Le Gouvernement soutient que les héritiers du requérant Ziya Ergezen n’ont pas qualité pour poursuivre la requête, considérant que la procédure pénale diligentée contre ce requérant était étroitement liée à sa personne. Il ajoute que les héritiers n’ont pas été directement touchés par la durée de la détention provisoire subie par Ziya Ergezen ou par la durée de la procédure pénale diligentée contre lui. Il se réfère à la décision Sanles Sanles c. Espagne ((déc.), no 48335/99, CEDH 2000‑XI) pour affirmer que les droits garantis par l’article 5 de la Convention relèvent de la catégorie des droits non transférables. Il indique en outre que la Cour a estimé, dans sa décision Georgia Makri et autres c. Grèce ((déc.), no 5977/03, 24 mars 2005), que les héritiers du requérant décédé ne pouvaient se prétendre victimes en raison de la durée de la procédure (article 6 de la Convention) et de l’absence d’un recours effectif (article 13 de la Convention). Il ajoute que des décisions similaires ont déjà été rendues par la Commission (il renvoie sur ce point à Kofler c. Italie, no 8261/78, rapport de la Commission du 9 octobre 1982, et Nölkenbockhoff et Bergmann c. Allemagne, no 10300/83, décision de la Commission du 12 décembre 1984).

26. La Cour observe que Ziya Ergezen est décédé le 23 octobre 2010, soit au cours de la procédure. Sa veuve et ses enfants ont exprimé leur souhait de maintenir la requête introduite à l’origine par ce requérant.

27. À cet égard, la Cour rappelle que, dans plusieurs affaires dans lesquelles le requérant était décédé en cours de procédure, elle a pris en compte la volonté de poursuivre celle-ci qu’ont exprimée les héritiers ou parents proches (voir, par exemple, les arrêts Deweer c. Belgique, 27 février 1980, §§ 37-38, série A no 35, X v. France, 31 mars 1992, § 26, série A no 234‑C, Ahmet Sadık c. Grèce, 15 novembre 1996, § 26, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, et Malhous c. République tchèque (déc.) [GC], no 33071/96, CEDH 2000-XII ; s’agissant plus précisément des griefs tirés de l’article 5 de la Convention et du grief tiré de la durée de la procédure pénale, voir, entre autres, Loukanov c. Bulgarie, 20 mars 1997, § 35, Recueil 1997-II, Nikolaj Krempovskij c. Lituanie (déc.), no 37193/97, 20 avril 1999, Jėčius c. Lituanie, no 34578/97, § 41, CEDH 2000‑IX, Bursuc c. Roumanie (déc.), no 42066/98, 4 novembre 2003, et les références qui y figurent, Schwarkmann c. France, no 52621/99, § 37, 8 février 2005, Kozimor c. Pologne, no 10816/02, §§ 25-29, 12 avril 2007, Terziev c. Bulgarie, no 62594/00, § 21, 12 avril 2007, Vasil Angelov c. Bulgarie, no 61662/00, § 15, 12 avril 2007, Pisarkiewicz c. Pologne, no 18967/02, § 31, 22 janvier 2008, Todev c. Bulgarie, no 31036/02, § 20, 22 mai 2008, et Gouloub Atanassov c. Bulgarie, no 73281/01, § 42, 6 novembre 2008).

28. La Cour relève ensuite que, à la différence des requérants dans les affaires Sanles Sanles c. Espagne, et Georgia Makri et autres c. Grèce, citées par le Gouvernement, le requérant Ziya Ergezen est décédé en cours de procédure. Elle rappelle qu’il faut distinguer les affaires dans lesquelles le requérant est décédé en cours de procédure des affaires dans lesquelles la requête a été introduite par ses héritiers après le décès de la victime (voir, entre autres, Fairfield c. Royaume-Uni (déc.), no 24790/04, CEDH 2005‑VI, Biç et autres c. Turquie, no 55955/00, § 20, 2 février 2006, et Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 47, CEDH 2009).

29. Lorsque, comme en l’espèce, une personne qui se prétend victime d’une violation de ses droits découlant de la Convention saisit elle-même la Cour, elle opère un choix personnel et éclairé d’exercer son droit personnel de recours individuel en vertu de l’article 34 de la Convention et donc d’activer la juridiction de la Cour. Tel n’est pas le cas lorsque les héritiers d’une personne, qui peut passer pour victime au regard de la Convention, introduisent une requête devant la Cour après le décès de cette personne. On peut déduire de la jurisprudence de la Cour citée au paragraphe 27 ci-dessus que même dans le cas où le requérant décède postérieurement à l’introduction de sa requête, la Cour peut être appelée à déterminer si, comme l’alléguait requérant décédé dans sa requête, l’État contractant a violé ses droits lorsque les héritiers du défunt ont exprimé le souhait de poursuivre la procédure ou lorsque la Cour juge qu’il y a lieu de poursuivre l’examen de la requête en vertu de l’article 37 § 1 in fine de la Convention. En pareil cas, le point décisif n’est pas celui de savoir si, ainsi que le soutient le Gouvernement, les droits en question sont ou non transférables aux héritiers désireux de continuer la procédure, mais celui de savoir si ceux-ci peuvent en principe revendiquer un intérêt légitime à demander à la Cour de statuer sur l’affaire sur la base du souhait du requérant d’user de son droit individuel et personnel d’introduire une requête devant la Cour.

30. Aussi, se conformant à sa jurisprudence, la Cour estime, eu égard à l’objet de la présente affaire et à l’ensemble des éléments dont elle dispose, que la veuve et les enfants de Ziya Ergezen possèdent un intérêt légitime à maintenir la requête au nom du défunt. Elle leur reconnaît dès lors qualité pour se substituer désormais à ce requérant. Pour des raisons d’ordre pratique, le présent arrêt continuera d’utiliser le terme « requérant » pour désigner Ziya Ergezen bien qu’il faille aujourd’hui attribuer cette qualité à son épouse et à ses enfants (voir, par exemple, Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, CEDH 1999‑VI).

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 DE LA CONVENTION

31. Les requérants se plaignent de la durée de leur détention provisoire, de lacunes de la voie de recours en opposition et de l’absence d’un recours en indemnisation. Ils dénoncent une violation de l’article 5 §§ 3, 4 et 5 de la Convention, ainsi libellé en sa partie pertinente en l’espèce :

« 3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience.

4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.

5. Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »

A. Quant à la violation alléguée de l’article 5 § 3 de la Convention

32. Les requérants se plaignent de la durée de leur détention provisoire et de la durée des intervalles ayant séparé les audiences. Ils dénoncent par ailleurs le caractère insuffisant et stéréotypé des motivations avancées par la cour d’assises pour rejeter leurs différentes demandes d’élargissement.

33. Le Gouvernement soutient que la durée de la détention subie par les requérants n’était pas excessive.

34. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

35. La Cour note d’abord que les requérants ont connu trois périodes de détention provisoire successives dans le cadre de la procédure pénale diligentée contre eux.

Pour le requérant Mehmet Ergezen, la première période de détention provisoire s’est étendue du 5 octobre 2005 au 26 décembre 2006, la deuxième du 18 juin 2007 au 20 novembre 2007 et la troisième du 24 février 2009 au 21 décembre 2010. Ainsi, la durée totale de la détention provisoire de ce requérant est d’environ trois ans et demi.

Pour le requérant Ziya Ergezen, la première période de détention provisoire s’est étendue du 7 octobre 2005 au 26 décembre 2006, la deuxième du 18 juin 2007 au 20 novembre 2007 et la troisième du 24 février 2009 au 30 septembre 2010. Ainsi, la durée totale de la détention provisoire de ce requérant est d’environ trois ans et trois mois.

36. La Cour rappelle ensuite qu’il incombe en premier lieu aux autorités judiciaires nationales de veiller à ce que, dans un cas donné, la durée de la détention provisoire d’un accusé ne dépasse pas la limite du raisonnable. À cette fin, il leur faut examiner toutes les circonstances de nature à révéler ou écarter l’existence d’une véritable exigence d’intérêt public justifiant, eu égard à la présomption d’innocence, une exception à la règle du respect de la liberté individuelle et en rendre compte dans leurs décisions rejetant les demandes d’élargissement. C’est essentiellement sur la base des motifs figurant dans lesdites décisions, ainsi que des faits non controversés indiqués par l’intéressé dans ses recours, que la Cour doit déterminer s’il y a eu ou non violation de l’article 5 § 3 de la Convention (Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 154, Recueil 1998‑VIII). La persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention. Cependant, au bout d’un certain temps, elle ne suffit plus. La Cour doit dans ce cas établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté. Quand ceux-ci se révèlent « pertinents » et « suffisants », elle cherche de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 153, CEDH 2000‑IV).

37. En l’espèce, la Cour constate que la question du maintien en détention provisoire des requérants a été régulièrement examinée par les autorités judiciaires nationales. Elle observe que, pour ordonner le maintien en détention en question, la cour d’assises s’est fondée principalement sur la lourdeur de la peine encourue et sur la persistance de forts soupçons quant à la commission des infractions reprochées, et qu’elle a en outre considéré que les conditions relatives à la mise en œuvre de mesures autres que la détention provisoire n’étaient pas réunies.

38. Aussi la Cour estime-t-elle qu’il est clairement établi que des soupçons pesaient sur les requérants, tant au moment de leur arrestation que tout au long de l’avancement de la procédure. En outre, elle n’aperçoit aucune raison de s’écarter de l’opinion de la cour d’assises quant à la gravité des faits reprochés aux intéressés, à savoir – avant même le requalification des faits suite aux arrêts de cassation (paragraphes 11 et 14 ci‑dessus) – l’appartenance à une organisation illégale armée et la détention et la dissimulation d’explosifs appartenant à cette organisation. Elle note que le code pénal turc punit de cinq à quinze ans d’emprisonnement l’infraction qui était reprochée aux requérants. Toutefois, quand bien même la Cour a admis que la lourdeur de la peine encourue est un élément à prendre en compte lors de l’appréciation du risque de fuite, elle ne peut en soi être de nature à justifier une période de détention provisoire aussi longue que celle des requérants (Ilijkov c. Bulgarie, no 33977/96, §§ 80‑81, 26 juillet 2001).

39. À cet égard, la Cour rappelle que le risque de fuite décroît nécessairement avec l’écoulement du temps, eu égard à l’imputation probable de la durée de la détention provisoire sur la durée de la privation de liberté à laquelle l’intéressé peut se voir condamner (Neumeister c. Autriche, 27 juin 1968, § 10 de la partie « En droit », série A no 8).

Dans la présente affaire, ce facteur se révèle particulièrement pertinent pour la troisième période de détention provisoire subie des requérants, dans la mesure où celle-ci est intervenue après que les intéressés ont été incarcérés pendant près de deux ans en exécution des condamnations prononcées le 26 décembre 2006 et le 20 novembre 2007 (paragraphes 10 et 13 ci-dessus), et où cette durée devait également être imputée sur une éventuelle peine. En dépit de la période de détention déjà subie par les intéressés, la cour d’assises n’a nullement justifié la persistance d’un risque de fuite plusieurs années après le premier et le deuxième procès.

40. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que les autorités nationales n’ont pas justifié par des motifs pertinents et suffisants le maintien en détention des requérants. Dans ces circonstances, elle estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner si la procédure a été conduite avec la diligence nécessaire.

41. Il s’ensuit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

B. Quant à la violation alléguée de l’article 5 § 4 de la Convention

42. Les requérants se plaignent de l’absence d’audience lors de l’examen de leur opposition.

43. Le Gouvernement affirme que cette circonstance n’emporte pas violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

44. La Cour rappelle qu’un procès portant sur un recours formé contre une détention doit être contradictoire et garantir l’égalité des armes entre les parties, le procureur et le détenu (Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 58, CEDH 1999‑II). La législation nationale peut remplir cette exigence de diverses manières, mais la méthode adoptée par elle doit garantir que la partie adverse soit au courant du dépôt d’observations et jouisse d’une possibilité véritable de les commenter (Lietzow c. Allemagne, no 24479/94, § 44, CEDH 2001‑I). La première garantie procédurale découlant de l’article 5 § 4 de la Convention est le droit d’être effectivement entendu par le juge saisi d’un recours contre une détention (Nikolova, précité, § 58, Włoch c. Pologne, no 27785/95, § 126, CEDH 2000‑XI, et Reinprecht c. Autriche, no 67175/01, § 31, CEDH 2005‑XII). En outre, le droit d’être entendu par le juge saisi d’un recours contre la détention doit pouvoir être exercé à des intervalles raisonnables (Knebl c. République tchèque, no 20157/05, § 85, 28 octobre 2010).

45. La Cour rappelle avoir déjà admis que, dans un système comme celui qui a été mis en place en Turquie, l’exigence d’une audience lors de l’examen de chaque opposition pourrait entraîner une certaine paralysie de la procédure pénale. Tenant également compte du caractère spécifique de la procédure relevant de l’article 5 § 4 de la Convention, notamment de l’exigence de célérité, elle a estimé que la tenue d’une audience ne s’imposait pas à chaque recours en opposition. Dans l’arrêt Altınok c. Turquie, elle a ainsi conclu que le défaut de comparution lors de la procédure d’opposition n’enfreignait pas en soi l’article 5 § 4 de la Convention dans la mesure où le requérant avait comparu, quelques jours auparavant, devant le juge appelé à se prononcer sur sa détention en première instance (Altınok c. Turquie, no 31610/08, §§ 54‑56, 29 novembre 2011).

46. S’agissant du requérant Mehmet Ergezen, la Cour note que lorsque l’opposition a été examinée, à savoir le 13 août 2010, la dernière comparution de l’intéressé devant un juge avait eu lieu quelques jours seulement auparavant, lors de l’audience du 5 août 2010 (paragraphe 16 ci‑dessus). À la lumière de sa jurisprudence bien établie (voir, en ce sens, Altınok, précité, §§ 50‑56), elle estime que ce grief est manifestement mal fondé en ce qui concerne ce requérant et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

47. S’agissant du requérant Ziya Ergezen, la Cour relève que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Aussi le déclare-t-elle recevable.

48. En l’espèce, la Cour note que, au terme de l’audience du 5 août 2010, la cour d’assises a ordonné le maintien en détention provisoire du requérant Ziya Ergezen en l’absence de celui-ci. Le 13 août 2010, statuant sur dossier, le même tribunal a rejeté l’opposition formée contre cette décision.

49. Le requérant Ziya Ergezen n’a donc comparu devant les juges appelés à se prononcer sur sa détention provisoire ni lors de l’audience du 5 août 2010 tenue devant la cour d’assises qui statuait en première instance ni lors de l’examen de son opposition, le 13 août 2010.

50. Lors de l’adoption de cette dernière décision, la dernière comparution de l’intéressé devant un juge remontait à plus de quatre mois, à savoir à l’audience du 25 mars 2010. La Cour estime que, lorsque la liberté personnelle est en cause, l’on ne saurait qualifier de « raisonnable » un laps de temps qui, comme en l’espèce, est supérieur à quatre mois.

51. Dès lors, la Cour estime que le recours en opposition prévu en droit interne n’a pas satisfait à l’exigence de comparution personnelle du requérant devant les juges appelés à se prononcer sur sa détention, comme l’exige l’article 5 § 4 de la Convention. Partant, elle conclut à la violation de cette disposition dans le chef du requérant Ziya Ergezen.

C. Quant à la violation alléguée de l’article 5 § 5 de la Convention

52. Les requérants se plaignent de l’absence d’un recours susceptible de leur permettre d’obtenir réparation.

53. Le Gouvernement soutient que les requérants avaient la possibilité d’obtenir une indemnisation en vertu de l’article 141 du code de procédure pénale.

54. La Cour rappelle que le droit à réparation énoncé au paragraphe 5 de l’article 5 de la Convention suppose qu’une violation de l’un des autres paragraphes de cette disposition ait été établie par une autorité nationale ou par les institutions de la Convention (N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 49, CEDH 2002‑X). En l’espèce, la Cour ayant conclu à la violation du paragraphe 4 de l’article 5 concernant le requérant Ziya Ergezen et du paragraphe 3 de l’article 5 concernant les deux requérants, il reste à déterminer si les intéressés disposaient de la possibilité de demander réparation pour le préjudice subi.

55. S’agissant du requérant Mehmet Ergezen, la Cour observe que la détention provisoire de ce requérant au sens de l’article 5 § 3 de la Convention a pris fin le 21 décembre 2010 avec la condamnation de l’intéressé, qui est devenue définitive le 10 juin 2013 (paragraphes 21‑22 ci‑dessus). À partir de cette dernière date, l’intéressé pouvait donc exercer le recours prévu par l’article 141 du code de procédure pénale. Par ailleurs, la Cour ne dispose pour le moment d’aucun élément qui lui permettrait de dire que le recours en question n’était pas susceptible d’apporter un redressement approprié au grief du requérant tiré de l’article 5 § 5 de la Convention et qu’il n’offrait pas des perspectives raisonnables de succès (voir, en ce sens, Şefik Demir c. Turquie, no 51770/07, § 33, 16 octobre 2012). A la lumière de ce qui précède, la Cour estime que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

56. Pour ce qui est du requérant Ziya Ergezen, la Cour relève que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Aussi le déclare-t-elle recevable.

57. La Cour relève que l’article 141 du Code de procédure pénale prévoit la possibilité pour une personne ayant fait l’objet d’une mesure judiciaire de demander une indemnisation dans certains cas limitativement énoncés. Or la Cour observe, à la lecture de cette disposition telle qu’elle était en vigueur à l’époque des faits, qu’aucun des cas de figure énumérés ne prévoyait la possibilité de demander la réparation d’un préjudice subi en raison de l’absence d’un recours effectif au sens de l’article 5 § 4 de la Convention. À cet égard, le Gouvernement est resté en défaut de produire une quelconque décision de justice relative à l’octroi d’une indemnité, sur le fondement de cette disposition, à un justiciable se trouvant dans la situation de ce requérant.

58. La Cour observe en outre que le requérant Ziya Ergezen est décédé le 23 octobre 2010 alors que la procédure était toujours pendante devant la cour d’assises. À la date de son décès, le recours en indemnisation prévu par l’article 141 du code de procédure pénale n’étant accessible qu’après l’obtention d’une décision définitive sur le fond de l’affaire, l’intéressé n’a pas eu la possibilité d’exercer le recours en question. Il n’est pas non plus établi ni allégué d’ailleurs que ses héritiers pouvaient introduire le recours en question au nom du défunt, après la décision interne définitive.

59. Partant, la Cour estime que la voie de l’indemnisation indiquée par le Gouvernement ne saurait constituer un recours effectif au sens de l’article 5 § 5 de la Convention. Elle conclut donc à la violation de cette disposition dans le chef du requérant Ziya Ergezen.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 ET 13 DE LA CONVENTION

60. Les requérants se plaignent que leur cause n’ait pas été entendue dans un délai raisonnable et ils dénoncent l’absence d’une voie de recours interne qui leur aurait permis de se plaindre de la durée de la procédure pénale engagée contre eux. Ils invoquent à cet égard les articles 6 et 13 de la Convention, ainsi libellés dans leurs parties pertinentes en l’espèce :

Article 6

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

61. Le Gouvernement combat la thèse des requérants.

A. Sur la recevabilité

62. La Cour fait observer qu’un nouveau recours en indemnisation a été instauré en Turquie à la suite de l’application de la procédure d’arrêt pilote dans l’affaire Ümmühan Kaplan c. Turquie (no 24240/07, 20 mars 2012). Elle rappelle que, dans sa décision Turgut et autres c. Turquie (no 4860/09, 26 mars 2013), elle a déclaré irrecevable toute nouvelle requête introduite par des requérants qui n’auraient pas épuisé les voies de recours internes, en l’occurrence le nouveau recours cité ci-dessus. Pour ce faire, elle a considéré notamment que ce nouveau recours était, a priori, accessible et susceptible d’offrir des perspectives raisonnables de redressement pour les griefs relatifs à la durée de la procédure.

63. La Cour rappelle également que, dans son arrêt pilote Ümmühan Kaplan (précité, § 77), elle a notamment précisé qu’elle pourra poursuivre, par la voie de la procédure normale, l’examen des requêtes de ce type déjà communiquées au Gouvernement. Elle note qu’en l’espèce le Gouvernement n’a pas soulevé d’exception relativement à ce nouveau recours. À la lumière de ce qui précède, la Cour décide de poursuivre l’examen de la présente requête.

64. Constatant que les griefs tirés des articles 6 et 13 de la Convention ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité, elle les déclare recevables.

B. Sur le fond

1. Quant à la violation alléguée de l’article 6 de la Convention

65. La Cour note que la période à considérer a débuté avec l’arrestation des requérants, le 5 octobre 2005 pour Ziya Ergezen et le 7 octobre 2005 pour le requérant Mehmet Ergezen et qu’elle s’est terminée respectivement le 21 décembre 2010 et le 10 juin 2013 (paragraphes 6, 21 et 22 ci‑dessus). La procédure a donc duré plus de cinq ans et deux mois pour le requérant Ziya Ergezen et plus de sept ans et huit mois pour le requérant Mehmet Ergezen, pour deux degrés de juridiction.

66. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999-II).

67. La Cour rappelle ensuite avoir conclu, dans maintes affaires soulevant des questions semblables à celles de la présente espèce, à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (Pélissier et Sassi, précité). Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis en l’espèce, elle considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans la présente affaire. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, elle estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et qu’elle n’a pas répondu à l’exigence du « délai raisonnable ».

68. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

2. Quant à la violation alléguée de l’article 13 de la Convention

69. À la lumière des considérations exprimées ci-dessus (paragraphes 67‑68 ci-dessus), la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner ce grief.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

70. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage moral

71. Les requérants réclament chacun 20 000 EUR (euros) pour préjudice moral.

72. Le Gouvernement conteste ce montant.

73. Statuant en équité, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer pour dommage moral 4 000 EUR au requérant Mehmet Ergezen et 4 300 EUR conjointement aux héritiers du requérant Ziya Ergezen.

B. Frais et dépens

74. Les requérants demandent également 2 550 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. A titre de justificatif, ils fournissent un décompte des dépenses ainsi que le barème des honoraires du conseil national des barreaux.

75. Le Gouvernement conteste ce montant.

76. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.

Compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 500 EUR tous frais confondus et l’accorde aux héritiers du requérant Ziya Ergezen, y compris le requérant Mehmet Ergezen.

C. Intérêts moratoires

77. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 5 § 3, 6 et 13 de la Convention (concernant les deux requérants), de l’article 5 §§ 4 et 5 de la Convention (concernant le requérant Ziya Ergezen), et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention concernant les deux requérants ;

3. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 5 §§ 4 et 5 de la Convention dans le chef du requérant Ziya Ergezen ;

4. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention à raison de la durée de la procédure diligentée contre les requérants ;

5. Dit, par six voix contre une, qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 13 de la Convention ;

6. Dit, à l’unanimité,

a) que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans sa monnaie nationale au taux applicable à la date du règlement :

i. 4 000 EUR (quatre mille euros) au requérant Mehmet Ergezen, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

ii. 4 300 EUR (quatre mille trois cents euros) conjointement aux héritiers du requérant Ziya Ergezen, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

iii. 500 EUR (cinq cents euros) conjointement aux héritiers du requérant Ziya Ergezen, y compris le requérant Mehmet Ergezen, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par les requérants, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

7. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 avril 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stanley NaismithGuido Raimondi
GreffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

– opinion en partie dissidente du juge Sajó ;

– opinion en partie dissidente du juge Lemmens.

G.R.A.

S.H.N.

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE SAJÓ

Je regrette d’être en désaccord avec la Cour en ce qui concerne le constat de violation de l’Article 5 § 3 de la Convention. La Cour estime que la troisième période de détention provisoire des requérants n’était plus justifiée par la persistance d’un risque de fuite (paragraphe 42). La cour d’assises a reconnu les requérants coupables d’appartenance à une organisation illégale et de détention d’explosifs. La Cour de cassation a cassé les arrêts de la cour d’assises mais uniquement en ce qui concerne la qualification juridique des faits. Il ne fait aucun doute que les requérants ont été placés en détention provisoire en vue d’une peine très lourde (en fait, Mehmet Ergezen a été condamné ultérieurement à une peine de dix ans d’emprisonnement). Compte tenu de la lourdeur de la peine encourue, j’estime que le maintien en détention provisoire (paragraphe 15) était raisonnable.

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE LEMMENS

1. Je regrette de ne pas pouvoir voter avec la majorité en ce qui concerne la violation alléguée de l’article 13 de la Convention.

Après avoir conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention, la majorité a estimé qu’il n’y avait pas lieu d’examiner l’allégation de violation de l’article 13.

2. Une situation similaire à celle rencontrée dans la présente affaire s’est présentée dans nombre d’autres affaires. Dans l’affaire Kudła c. Pologne, la Cour a souligné qu’il s’agissait de deux griefs distincts, dans les termes suivants :

Il n’y a (...) pas superposition, et donc pas absorption, lorsque, comme en l’espèce, le grief fondé sur la Convention que l’individu souhaite porter devant une « instance nationale » est celui tiré d’une méconnaissance du droit à faire entendre sa cause dans un délai raisonnable, au sens de l’article 6 § 1. La question de savoir si le requérant dans une affaire donnée a pu faire statuer dans un délai raisonnable sur une contestation relative à des droits ou obligations de caractère civil ou sur une accusation en matière pénale est juridiquement distincte de celle de savoir s’il disposait, en droit interne, d’un recours effectif pour se plaindre à cet égard. En l’espèce, la question que les « tribunaux » visés par l’article 6 § 1 devaient trancher était celle des accusations en matière pénale dirigées contre le requérant, tandis que le grief que l’intéressé souhaitait voir examiner par une « instance nationale » aux fins de l’article 13 était celui, distinct, du caractère déraisonnable de la durée de la procédure (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 147, CEDH 2000‑XI).

Je me rallie entièrement à cette analyse.

3. La question du recours effectif étant une question distincte, je ne vois pas pour quelle raison la Cour ne devrait pas l’examiner. Pour cette raison, j’ai voté contre le point 5 du dispositif.

4. Si l’on devait examiner le bien-fondé du grief, il y aurait lieu, à mon avis, de tenir compte de l’adoption, le 9 janvier 2013, de la loi no 6384 relative au règlement, par l’octroi d’une indemnité, de certaines requêtes introduites devant la Cour européenne des droits de l’homme (Avrupa İnsan Hakları Mahkemesine yapılmış bazı başvuruların tazminat ödenmek suretiyle çözümüne dair kanun). Cette loi, qui est entrée en vigueur le 19 janvier 2013, s’applique à toutes les requêtes introduites devant la Cour avant le 23 septembre 2012. La présente requête, introduite le 29 septembre 2010, tombe donc dans le champ d’application de ladite loi.

La Cour a déjà eu l’occasion d’examiner l’incidence de l’entrée en vigueur de la loi no 6384 sur des requêtes pendantes devant elle, dans lesquelles une violation de l’article 13 est invoquée. Dans l’affaire Müdür Turgut et autres c. Turquie, mentionnée au paragraphe 62 du présent arrêt, elle a constaté que la commission d’indemnisation instaurée par la loi offre désormais aux requérants un recours effectif leur permettant de contester la durée d’une procédure au regard de l’article 6 § 1 de la Convention et d’obtenir une indemnité. Elle en a conclu que le grief tiré de la violation de l’article 13 de la Convention était manifestement mal fondé (Müdür Turgut et autres c. Turquie (déc.), no 4860/09, §§ 59-60, 26 mars 2013).

Pour les mêmes raisons, j’estime que le grief tiré de l’article 13 présenté par les requérants en l’espèce devrait être déclaré non-fondé.


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