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08/04/2014 | CEDH | N°001-142184

CEDH | CEDH, AFFAIRE BLAJ c. ROUMANIE, 2014, 001-142184


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE BLAJ c. ROUMANIE

(Requête no 36259/04)

ARRÊT

STRASBOURG

8 avril 2014

DÉFINITIF

08/09/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Blaj c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,
Kristina Pardalos,
Val

eriu Griţco,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 mars 2014,

...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE BLAJ c. ROUMANIE

(Requête no 36259/04)

ARRÊT

STRASBOURG

8 avril 2014

DÉFINITIF

08/09/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Blaj c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,
Kristina Pardalos,
Valeriu Griţco,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 mars 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 36259/04) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Stefan Blaj (« le requérant »), a saisi la Cour le 26 août 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me C. L. Popescu, avocat à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme I. Cambrea, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant se plaint d’un défaut d’équité de la procédure pénale dont il a fait l’objet aux motifs qu’il a été victime d’une provocation policière, qu’il n’a pas été informé dès son premier interrogatoire de son droit de bénéficier de l’assistance d’un avocat et que ce dernier et lui-même occupaient une place inférieure dans la salle d’audience par rapport au procureur, et ce, selon lui, en méconnaissance des principes de l’égalité des armes et de l’impartialité du tribunal. Il se plaint également d’une atteinte à son droit au respect de sa vie privée aux motifs que ses conversations ont été enregistrées et qu’il n’a pas bénéficié au niveau interne d’un recours effectif qui lui aurait permis de dénoncer ces faits.

4. Le 13 septembre 2011, les griefs tirés de l’article 6 §§ 1 et 3 a) et c) et des articles 8 et 13 de la Convention ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le restant.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1950 et réside à Bucarest.

6. À l’époque des faits, il était général de brigade et médecin à l’hôpital militaire d’urgence de Bucarest.

A. L’arrestation du requérant à la suite d’un flagrant délit

7. Le 19 décembre 2003, la direction générale des prisons organisa un concours pour un poste de médecin militaire spécialiste dans l’établissement pénitentiaire de Bucarest-Jilava. Six personnes se portèrent candidates, dont T.G. Des entretiens préalables furent organisés par N.D., médecin et lieutenant-colonel militaire, qui se vit confier la responsabilité de constituer la commission d’examen. N.D. proposa au requérant d’assumer la présidence de la commission.

8. N.D. prépara toute la documentation nécessaire au déroulement du concours, y compris l’enveloppe avec les sujets. Elle devait apporter cette enveloppe sur le lieu de l’examen le 3 mai 2004, à 7 h 15.

9. Après les entretiens préliminaires qu’elle avait organisés avec les candidats, N.D. contacta sous une fausse identité T.G. pour lui proposer de l’aider à réussir le concours. Interrogée par T.G. sur la manière dont elle pouvait l’aider, N.D. lui indiqua qu’elle interviendrait en sa faveur auprès de la commission d’examen. Plusieurs rencontres eurent lieu entre T.G. et N.D., laquelle lui remit les sujets d’examen. Lors de l’une de ces rencontres, N.D. mentionna le nom du requérant en précisant qu’il était président de la commission d’examen. Le 23 avril 2004, lors d’une autre rencontre avec N.D., T.G. enregistra la conversation.

10. Le 30 avril 2004, T.G. dénonça N.D. auprès du parquet national anticorruption (« PNA »), indiquant que cette dernière lui avait demandé une somme d’argent pour la favoriser au concours. Elle ajouta qu’elle s’était entendue avec N.D. pour lui remettre 1 300 dollars américains (USD) le jour de l’examen, avant l’épreuve écrite, puis 1 200 USD après son admission à l’examen.

11. Le même jour, le PNA autorisa l’enregistrement des conversations entre T.G. et N.D. Les billets que T.G. devait remettre à N.D. furent marqués avec de la substance fluorescente.

12. Le 3 mai 2004, à 7 h 05 minutes, N.D. fut prise en flagrant délit de réception de l’argent de T.G. Conduite au siège du parquet, elle fut interrogée et un procès-verbal de flagrant délit fut dressé. N.D. déclara que, en qualité de membre de la commission d’examen, elle avait demandé à T.G. une somme d’argent en échange de son aide dans l’obtention du poste visé. Elle ajouta que, le 27 avril 2004, le requérant avait mis à sa disposition les sujets d’examen afin qu’elle les communiquât à un candidat qui serait déclaré admis à l’examen contre la somme de 2 500 USD, somme qu’elle devait lui remettre le 3 mai 2004 après l’examen. N.D. déclara avoir demandé l’argent afin de le remettre au requérant. Après avoir été informée de la possibilité de bénéficier d’une remise de peine si elle collaborait avec le parquet, N.D. indiqua que sa déclaration constituait une autodénonciation. Elle accepta de coopérer avec le PNA pour la poursuite de l’affaire par rapport au requérant, en le rencontrant équipée d’un matériel audio et vidéo.

13. Selon le requérant, N.D. l’avait dénoncé au PNA après avoir été menacée par les enquêteurs qui, lors de l’interrogatoire, auraient attiré son attention sur les conséquences que ses actes pouvaient avoir sur sa famille.

14. Le même jour, à 8 heures, le procureur délivra une autorisation d’enregistrement audio et vidéo des discussions entre N.D. et le requérant, ainsi que de mise sur écoute de plusieurs postes téléphoniques de ce dernier, pour une période de vingt-quatre heures, c’est-à-dire du 3 mai 2004 à 8 heures au 4 mai 2004 à 8 heures. Les autorisations du 30 avril (paragraphe 11 ci-dessus) et du 3 mai 2004 permettant la réalisation des enregistrements furent confirmées par un arrêt de la Haute Cour de cassation et de justice (« la Haute Cour ») du 3 mai 2004.

15. À 8 h 17, N.D. appela le requérant pour l’informer de son retard. À 9 h 30, N.D. arriva à l’hôpital et rencontra le requérant dans le couloir. Elle lui demanda d’entrer dans son bureau, posa l’enveloppe avec l’argent sur le bureau de l’intéressé et quitta les lieux.

16. À 9 h 40, les représentants du parquet entrèrent dans le bureau du requérant. Les organes d’enquête examinèrent avec une lampe fluorescente les vêtements et les mains du requérant et relevèrent des traces de substance fluorescente sur les doigts de sa main gauche. Les objets se trouvant sur le bureau du requérant furent ensuite examinés et des traces de la même substance furent détectées. Une enveloppe fut trouvée sur le bureau et les enquêteurs demandèrent au requérant de l’ouvrir et d’en déposer le contenu sur la table. L’enveloppe contenait 1 300 USD.

17. Un procès-verbal de flagrance fut dressé. Il consignait le déroulement du flagrant délit, les éléments matériels identifiés et les réponses du requérant aux questions posées par les enquêteurs. Les déclarations du requérant furent mentionnées comme suit dans le procès-verbal :

« (...) Lorsqu’il [le requérant] a été interpellé, le procureur (...) S.G. a demandé au docteur Blaj Stefan, général de brigade, si N.D. lui avait laissé quelque chose.

Il a répondu par l’affirmative en utilisant le terme « oui » et il a indiqué son bureau.

En présence des témoins certificateurs (...) et en présence du docteur Blaj Stefan, général de brigade, il a été procédé à la constatation du flagrant délit.

Le docteur Blaj Stefan, général de brigade, a été invité à déclarer ce qu’il avait reçu de N.D., au moment où (...) le général lieutenant S.M. est entré dans le bureau (...) et où le lieutenant-colonel magistrat S.G. lui a présenté l’objet de l’infraction (obiectul care formează constatarea infracțiunii flagrante).

Par la suite, le docteur Blaj Stefan (...) a déclaré que N.D. s’était présentée dans son bureau à l’hôpital, qu’elle avait affirmé « je vous ai apporté l’enveloppe » et qu’elle avait laissé celle-ci sur le bureau. Il a déclaré que, après le départ de N.D., il avait cherché personnellement sur le bureau des documents et qu’il avait l’intention de sortir du bureau pour aller aux toilettes au moment où il avait été interpellé par monsieur le lieutenant-colonel magistrat S.G.

(...)

Interrogé, le docteur Blaj Stefan a précisé qu’il ne détenait sur lui aucun document concernant l’examen programmé pour le 3 mai 2004, au motif que les documents se trouvaient au secrétariat technique de la direction générale des pénitenciers (...) »

18. Ce procès-verbal fut signé par le requérant et les deux témoins certificateurs présents, sans objections. Dans le procès-verbal, le requérant était mentionné comme la « personne prise en flagrant délit » (făptuitor).

19. Le requérant ne fut pas informé pendant la procédure de flagrance de ses droits de bénéficier de l’assistance d’un avocat et de garder le silence, ni des accusations portées contre lui. Le flagrant délit fut enregistré en support audio et vidéo.

20. Le requérant fut ensuite emmené au siège du PNA où, par un nouveau procès-verbal, il fut informé, en sa qualité de « personne prise en flagrant délit », que des actes d’enquête préliminaire avaient été réalisés à son encontre et qu’il avait le droit de se faire assister par un avocat. Ultérieurement, le parquet ordonna l’ouverture de l’information judiciaire contre le requérant et informa ce dernier de son droit de garder le silence. Le requérant fut assisté à partir de ce moment par un avocat de son choix.

21. Toujours le 3 mai 2004, à 17 heures, le parquet ordonna le placement du requérant en garde à vue pour vingt-quatre heures, mesure prolongée par la suite avec celle de détention provisoire. Le requérant était assisté par un avocat de son choix. La détention provisoire de l’intéressé fut ensuite prolongée à plusieurs reprises jusqu’au 6 septembre 2004, date de sa remise en liberté.

22. Le 5 mai 2004, les services de renseignement du ministère de l’Intérieur transmirent au parquet des rapports concernant l’enregistrement des appels téléphoniques interceptés depuis les postes téléphoniques du requérant. Il ressortait de ces informations que les services secrets avaient intercepté les conversations qui avaient eu lieu entre le 3 mai 2004, à 15 h 35, et le 4 mai 2004, à 8 h 50. S’agissant des interceptions qui avaient été réalisées le 4 mai 2004, après 8 heures du matin, la note versée au dossier d’enquête indiquait les heures auxquelles les appels avaient eu lieu, avec la mention que les numéros des postes appelés n’avaient pas été identifiés.

23. La transcription de la conversation de l’enregistrement vidéo qui eut lieu le 3 mai 2004 entre N.D. et le requérant, B.S., était ainsi rédigée :

« (...)

N.D. ...Je voulais... vous dire que les sujets restent ceux...

B.S. (interrompt N.D.) : Oui, je vais... (inintelligible)... ? Est-ce que vous avez [les sujets] ?

N.D. : ... Oui !

B.S. : Bien. Mettez-les sur la table, ils vont piocher dedans (...).

N.D. : Oui...

B.S. : Mais on ne peut faire l’examen pratique...que jeudi matin ! Nous sommes très en retard, nous ne pouvons pas corriger !

N.D. : Oui...

B.S. : A midi je dois être à Breaza. Oui ? Bon.

N.D. : Euh... (à ce moment (...) (à la 4e minute de l’enregistrement vidéo), N.D. sort d’un sac qu’elle portait une enveloppe de couleur blanche qu’elle tend à B.S. En même temps, N.D. dit :) De la part... de la candidate !

B.S. : (couvrant la phrase de N.D.) : Quoi ? (il poursuit à voix basse) : Mettez-les là ! (sur les images vidéo – les minutes 04.01 et 04.03 de l’enregistrement –, on voit le geste de B.S. montrant son bureau ainsi que le meuble en question. Après, B.S. poursuit) Bon, venez avec moi !...

N.D. : Une partie. (...) le reste sera...

B.S. : (interrompt N.D.) : Mais... Mais je n’ai rien... C’est à vous de voir (Deci, eu n’am comentat nimic)...

N.D. : Oui...

B.S. : Je vous ai aidée vous, n’est-ce pas ?

N.D. : Oui...

(...) »

24. Pendant les poursuites pénales, le requérant fut interrogé en présence d’un avocat choisi et il nia les faits reprochés. Une confrontation eut lieu à une date non précisée entre N.D. et le requérant, chacun maintenant la position qu’il avait présentée dans sa déclaration initiale. Le requérant fut assisté par des avocats de son choix tout au long de la procédure pénale subséquente.

B. La procédure pénale engagée contre le requérant

25. Sur un réquisitoire du 25 mai 2004, le requérant fut renvoyé en jugement devant la chambre criminelle de la Haute Cour du chef de corruption passive. Il lui était reproché, en sa qualité de président de la commission d’examen, d’avoir demandé à T.G. par l’intermédiaire de N.D. la somme de 4 000 USD, réduite ultérieurement à 2 500 USD, pour la favoriser au concours, et d’avoir, le 3 mai 2004, reçu la somme de 1 300 USD à ce titre. Par le même réquisitoire, N.D. fut renvoyée en jugement du chef de complicité de corruption passive.

1. La procédure en première instance devant la Haute Cour siégeant en une formation de trois juges

26. Interrogé par la Haute Cour, le requérant nia les faits reprochés. Il déclara qu’il était persuadé que l’enveloppe laissée par N.D. sur son bureau contenait les sujets de l’examen, que N.D. devait, selon lui, lui remettre ce jour-là.

27. Le 27 mai 2004, le requérant soutint devant la Haute Cour qu’il avait été victime d’une provocation des organes d’enquête. À cet égard, il indiqua que, dans sa première déclaration consignée dans le procès-verbal de flagrance, N.D. avait dit dans un premier temps que l’argent était destiné à elle-même. Il estimait que ce n’était qu’après avoir subi pendant une heure la pression psychologique des enquêteurs, lesquels auraient souligné de manière répétée la possibilité de bénéficier d’une remise de peine et l’auraient interrogée sur sa famille, que N.D. avait déclaré que l’argent était pour lui. Il ajouta que le procès-verbal de flagrance ne pouvait pas constituer une preuve valable au motif qu’il contenait la déclaration qu’il aurait faite immédiatement après le flagrant délit, sans avoir été informé par le procureur de son droit de bénéficier de l’assistance d’un avocat.

28. Interrogé par la Haute Cour sur la teneur de sa discussion avec N.D. lors du flagrant délit, le requérant indiqua qu’il avait entendu N.D. dire quelque chose sur une candidate, mais qu’il n’avait pas compris exactement ce qu’elle disait, car elle aurait parlé à voix basse pendant que lui aurait prêté attention à l’entrée d’un collègue au secrétariat.

29. Le 24 juin 2004, la Haute Cour interrogea N.D. Celle-ci déclara qu’elle avait été surprise en flagrant délit et que, lorsque les enquêteurs lui avaient posé la question de savoir si l’argent était pour elle-même ou pour une autre personne, elle avait mentionné le requérant. Elle indiqua également qu’elle ne devait rien toucher de la part de la candidate et que tout l’argent était pour le requérant. Elle ajouta que les enquêteurs lui avaient demandé de continuer la procédure de flagrance et d’apporter l’argent à celui à qui il était destiné. Les enquêteurs lui auraient demandé de se comporter comme si rien ne s’était passé et de justifier son retard auprès du requérant par un accident de voiture. Devant ses hésitations, les enquêteurs l’auraient informée que, si elle acceptait, elle pouvait bénéficier d’une remise de peine.

30. Le 8 juillet 2004, T.G. fut interrogée par la Haute Cour.

31. Le 21 mars 2005, la Haute Cour écouta et visionna les enregistrements vidéo et audio réalisés par le parquet lors des flagrants délits de T.G. avec N.D. et de N.D. avec le requérant, ainsi que l’interrogatoire filmé de N.D., mené après le flagrant délit.

32. Le 18 avril 2005, les débats reprirent. Le requérant redit qu’il avait été victime d’une provocation et que N.D. avait fait ses déclarations après le flagrant délit sans avoir été assistée par un avocat et sous la pression des enquêteurs. Il indiqua que, dans la transcription l’enregistrement de ses discussions avec N.D., la phrase « Mettez-les sur la table (...) » concernant l’enveloppe litigieuse figurait par écrit alors qu’elle n’était pas audible dans l’enregistrement.

33. Par un arrêt du 25 mai 2005 rendu à la majorité, la Haute Cour, siégeant en une formation de trois juges, condamna le requérant du chef de corruption passive à un an et demi de prison avec sursis. Elle fonda sa décision sur le procès-verbal de flagrance concernant le requérant, sur la déclaration de N.D. et sur l’enregistrement vidéo et audio réalisés lors du flagrant délit du requérant.

34. Quant aux allégations du requérant selon lesquelles il aurait été victime d’une provocation, la Haute Cour s’exprima comme suit :

« L’article 68, alinéa 2, du code de procédure pénale interdit (...) de pousser une personne à poursuivre la commission d’une infraction dans le but d’obtenir des preuves. Une telle situation n’existe que lorsqu’une personne, sans l’intervention d’un facteur externe (par exemple le fait d’être surpris pendant la réalisation de l’infraction), décide de mettre fin à l’activité délictuelle et est poussée à revenir sur sa propre décision et à continuer la commission des faits. En l’espèce, l’activité délictuelle n’a pas été arrêtée par la volonté de l’inculpée [N.D.], mais par l’intervention des organes de poursuite. Dès lors, bien que l’inculpée N.D. ait remis l’argent à l’inculpé Blaj Stefan sous la surveillance des organes de poursuite après avoir été informée du contenu de l’article 19 de l’OUG no 43/2002 selon lequel elle pouvait bénéficier d’une diminution légale de la peine, il ne peut pas être conclu qu’elle a été poussée à commettre l’infraction, au sens de l’article 68, alinéa 2, du code de procédure pénale. »

35. Quant aux allégations du requérant selon lesquelles il aurait dû bénéficier de l’assistance d’un avocat dès son premier interrogatoire par le parquet lors de la procédure de flagrance, la Haute Cour s’exprima ainsi :

« En vertu de l’article 171, alinéa 1, du code de procédure pénale, le prévenu ou l’inculpé a le droit d’être assisté par un défenseur tout au long des poursuites et de la procédure pénale, et les organes judiciaires sont obligés de l’informer de ce droit. Or, au moment où le procès-verbal de flagrance a été dressé, l’enquête pénale n’avait pas encore commencé à l’égard de Blaj Stefan, qui n’avait même pas qualité de prévenu. Dès lors, le procès-verbal [de flagrance] et les enregistrements audio et vidéo réalisés lors du flagrant délit seront pris en compte comme moyens de preuve. »

36. Après avoir noté que le requérant avait toujours nié les faits reprochés, la Haute Cour jugea que ses allégations étaient infirmées par les enregistrements vidéo et audio. Se fondant sur ces preuves, elle releva que N.D. avait tendu l’enveloppe au requérant en lui disant haut et fort « de la part de la candidate », de sorte qu’il était évident aux yeux de la Haute Cour que le requérant connaissait parfaitement le contenu de l’enveloppe et qu’il n’avait aucune raison de croire qu’une enveloppe provenant d’une candidate contenait les sujets de l’examen. Elle releva en outre que le requérant avait indiqué de la main à N.D. où mettre l’enveloppe et que, lorsque celle-ci avait commencé à lui expliquer que le complément serait remis à la fin, il l’avait interrompue en disant que c’était à elle de voir.

37. La Haute Cour jugea également que l’affirmation de l’intéressé selon laquelle l’enveloppe avait ensuite été rangée sous certains documents sur le bureau au motif qu’il aurait fait de l’ordre sur la table était infirmée par les vérifications réalisées avec une lampe à rayons ultraviolets qui avaient mis en évidence des traces fluorescentes spécifiques, ce qui menait à la conclusion que le requérant n’avait pas soulevé l’enveloppe pour libérer le bureau mais qu’il l’avait fait glisser pour la cacher sous d’autres documents. La Haute Cour conclut que ces éléments, combinés avec le procès-verbal de flagrant délit, prouvaient l’existence d’une entente préalable entre le requérant et N.D.

2. La procédure de recours devant la Haute Cour siégeant en une formation de neuf juges

38. Le requérant forma un recours contre l’arrêt de première instance, demandant son acquittement et, subsidiairement, le renvoi de l’affaire pour jugement en première instance en précisant qu’aucun élément de preuve ne montrait qu’il connaissait le contenu de l’enveloppe en cause.

39. Il soutenait également qu’il avait été victime d’une provocation de la part des enquêteurs. Il soulignait que les preuves à charge avaient été obtenues illégalement à la suite de pressions exercées pendant deux heures environ par les organes d’enquête sur N.D., après que cette dernière avait été placée en garde à vue et sans qu’elle eût été informée de ses droits procéduraux.

40. Le requérant indiquait en outre que les termes « Mettez-les là ! » figuraient dans les retranscriptions alors qu’ils n’étaient pas, selon lui, audibles dans l’enregistrement et que sa discussion avec N.D. avant d’entrer dans le bureau n’avait pas été retranscrite, alors qu’elle aurait montré qu’il avait accueilli N.D. dans son bureau à la suite de l’insistance de cette dernière. Il soutenait ensuite que les autorisations d’enregistrer ses discussions avec N.D. n’étaient pas légales au motif qu’elles auraient été données avant sa mise en examen et qu’elles n’auraient pas été confirmées dans le délai légal par le président de la Haute Cour.

41. Il indiquait enfin qu’il n’avait pas bénéficié de l’assistance d’un avocat lors de la première déclaration consignée dans le procès-verbal de flagrance. À cet égard, il invoquait le premier alinéa de l’article 467 du code de procédure pénale (CPP) régissant la constatation du flagrant délit. Il précisait que, selon cet article, l’organe de poursuite dresse un procès-verbal de constatation des faits dans lequel figuraient les déclarations « du prévenu et des autres personnes entendues ». Il en déduisait qu’au moment du flagrant délit il avait qualité de « prévenu », ce qui imposait à ses dires qu’il fût assisté par un avocat ou au moins qu’il fût informé de ce droit.

42. Les débats eurent lieu le 25 septembre 2006. Par un arrêt définitif rendu le même jour, mis au net le 22 janvier 2007, la Haute Cour siégeant en une formation de neuf juges rejeta le recours du requérant.

43. La Haute Cour jugea que, s’il était évident que l’article 467, alinéa 1, du CPP était applicable en l’espèce, cela n’impliquait toutefois pas l’obligation d’enclencher les poursuites avant ou en même temps que la réalisation du flagrant délit. Selon elle, une telle interprétation rendait inopérante la procédure de flagrant délit dans son ensemble, lorsque le fait d’être surpris en flagrant délit constitue le fondement du commencement des poursuites. En outre, dans la mesure où le texte de loi précité prévoyait la nécessité de consigner les déclarations du prévenu et des personnes entendues, la personne en cause était interrogée en tant que prévenu uniquement si les poursuites avaient déjà été entamées contre elle. Dans la négative, sa déclaration était consignée en tant que déclaration d’une « autre personne entendue ». La Haute Cour conclut sur ce point que, étant donné que, lors de son premier interrogatoire, le requérant n’avait ni la qualité de prévenu ni celle d’inculpé, il n’y avait pas d’obligation légale qu’il fût assisté par un avocat. Par ailleurs, elle nota que le requérant avait été informé ultérieurement, en présence de l’avocat qu’il avait choisi, de ce que des actes d’enquête préliminaire (acte premergătoare) avaient été effectués à son encontre, en tant que personne surprise en flagrant délit.

44. La Haute Cour jugea ensuite que les faits reprochés au requérant étaient pleinement prouvés par l’enregistrement vidéo et audio de la rencontre de N.D. avec l’intéressé du 3 mai 2004. Elle releva l’importance du dialogue soutenu par les inculpés à cette occasion et le caractère indicatif du geste de l’intéressé montrant à N.D. l’endroit où poser l’enveloppe, ce qui excluait qu’il eût été victime d’une mise en scène. La Haute Cour jugea que, à supposer même que la phrase « Mettez-les sur la table » n’eût pas été audible dans l’enregistrement, les propos tenus par l’inculpé avant et après le dépôt de l’enveloppe sur son bureau, et non contestés par lui, formaient un contexte ne laissant aucune place à l’équivoque.

45. Elle jugea enfin que les enregistrements étaient valables. À cet égard, elle nota que, en cas d’urgence, le procureur était compétent pour autoriser des enregistrements et que le tribunal devait confirmer ces autorisations dans un délai de vingt-quatre heures, ce qu’il avait fait en l’espèce.

46. Le 9 décembre 2010, la chambre criminelle de la Haute Cour réhabilita le requérant à la demande de celui-ci et effaça sa condamnation pénale prononcée par l’arrêt du 25 septembre 2006.

C. Quant aux aspects pratiques liés à la présence du procureur dans la salle d’audience pendant le procès et son accès au dossier

47. À toutes les audiences qui ont eu lieu pendant le procès (détention provisoire, jugement en première instance, jugement en recours), le procureur portait une robe semblable à celle des juges siégeant dans l’affaire, mais différente de celle des avocats. Il entrait dans la salle d’audience en même temps que la formation de jugement et par la même porte, alors que l’avocat était déjà présent dans la salle et utilisait la porte réservée au public. Le procureur se plaçait dans un endroit qui lui était réservé, très proche de la table des juges, dans une partie de la salle clairement délimitée et réservée aux juges, au magistrat assistant, au procureur et au greffier, tandis que l’avocat se trouvait dans la partie de la salle accessible aux parties, aux témoins et au public. La position du procureur dans la salle était symétrique à celle du magistrat assistant par rapport à la table des juges. Après l’audience, les juges et le procureur sortaient de la salle ensemble et par la même porte.

48. Sur ce point, le requérant indique que, lorsque l’avocat d’un accusé fait recours, il doit étudier le dossier de l’affaire au greffe du tribunal, dans des conditions à ses yeux très inconfortables, que, en revanche, si le procureur utilise une voie de recours, le dossier de l’affaire est transmis, avec célérité, au siège du ministère public, où il est à la disposition exclusive du procureur, et que la défense doit attendre le retour du dossier au greffe du tribunal pour y avoir à son tour accès.

D. La question de l’accès de l’avocat représentant le requérant devant la Cour aux enregistrements audio et vidéo

49. En 2007, le requérant mandata Me C.L. Popescu pour le représenter dans la procédure devant la Cour. Me Popescu n’a pas représenté le requérant pendant la procédure interne.

50. En 2007, cet avocat demanda à la Haute Cour l’autorisation de consulter le dossier de l’affaire, de photocopier certains documents, et d’entendre et de visionner les enregistrements audio et vidéo.

51. Par une lettre du 25 juillet 2007, la Haute Cour autorisa l’avocat du requérant à consulter et photocopier les documents écrits du dossier. S’agissant des enregistrements, la Haute Cour indiqua qu’ils pourraient être consultés uniquement à la demande expresse de la Cour, dans l’éventualité où l’affaire serait portée devant elle.

52. Après la communication de la requête au Gouvernement et après la présentation par celui-ci des observations sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête, l’avocat du requérant pria la Cour de demander au Gouvernement de lui donner accès aux enregistrements, afin qu’il pût préparer la défense du requérant et bénéficier de l’égalité des armes dans la procédure devant la Cour.

53. Le 20 mars 2012, le président de la troisième section fit droit à cette demande.

54. Les 27 mars et 3 avril 2012, l’avocat du requérant demanda à l’agent du Gouvernement d’assurer son accès aux enregistrements en question. L’agent du Gouvernement informa la Haute Cour de la décision du président de section.

55. L’avocat du requérant demanda par la suite à la Haute Cour de pouvoir accéder aux enregistrements. La Haute Cour lui indiqua trois périodes possibles pour la consultation du dossier, à savoir le 13 avril 2012, du 18 au 20 avril 2012 et du 23 au 24 avril 2012.

56. Le 13 avril 2012, le requérant et son avocat se présentèrent ensemble au greffe de la chambre pénale de la Haute Cour, où seule la version papier du dossier pénal fut mise à leur disposition, mais non les enregistrements. Ni le requérant ni son avocat ne se présentèrent aux dates ultérieures pour consulter le dossier.

57. Les 13 et 20 juin 2012, l’un des membres du bureau de l’agent du Gouvernement, G.C., publia sur un site Internet d’informations juridiques un article. Cet article évoquait l’avocat représentant le requérant devant la Cour, lui reprochant d’avoir invoqué devant les juridictions internes le grief tiré de la place du procureur dans la salle d’audience.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

A. Les dispositions pertinentes quant au droit d’être assisté par un avocat et au flagrant délit

58. Les articles du code de procédure pénale (CPP) pertinents pour la présente affaire se lisent ainsi :

Article 171 sur le droit du prévenu ou de l’inculpé d’être assisté

« (1) Le prévenu ou l’inculpé a le droit d’être assisté par un défenseur tout au long des poursuites pénales et pendant la procédure, et les organes de poursuite sont tenus de l’informer de ce droit (...) »

59. La Cour constitutionnelle a confirmé à plusieurs reprises que l’autorité de poursuite n’a pas l’obligation d’assurer l’assistance par un avocat dans le cadre des mesures prises au stade de l’enquête préliminaire, au motif qu’aucune preuve susceptible d’être utilisée pendant la procédure pénale ultérieure ne peut être administrée à ce stade (arrêts nos 141/1999, 210/2000 et 582/2005).

Article 224 §§ 1 et 3 sur l’enquête préliminaire

« 1. L’autorité de poursuite peut prendre toute mesure d’enquête préliminaire.

(...)

3. Le procès-verbal constatant l’exécution d’une mesure d’enquête préliminaire constitue un moyen de preuve. »

Article 467 sur la constatation du flagrant délit

« (1) L’organe de poursuite pénale saisi dresse un procès-verbal dans lequel sont présentés les aspects concernant le fait accompli. Les déclarations du prévenu et des autres personnes entendues sont également consignées dans le procès-verbal. »

B. Les dispositions pertinentes en matière de provocation policière

60. L’article 68 du CPP sur l’interdiction des moyens de contrainte est présenté dans l’arrêt Constantin et Stoian c. Roumanie (nos 23782/06 et 46629/06, § 33, 29 septembre 2009).

61. Les textes du Conseil de l’Europe sur l’utilisation des techniques spéciales d’investigation sont présentés dans l’arrêt Ramanauskas c. Lituanie ([GC], no 74420/01, §§ 35-36, CEDH 2008).

C. Les dispositions légales et la jurisprudence pertinentes en matière d’écoutes téléphoniques

62. Les dispositions du CPP en matière d’interception et d’enregistrement des conversations téléphoniques étaient ainsi libellées à l’époque des faits, après l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2004, de la loi no 281 du 24 juin 2003 sur la modification du CPP :

Article 911
Sur les conditions d’interception et d’enregistrement des conversations
et des communications et les cas où cela peut être autorisé

« (1) S’il y a des données ou des indices convaincants de la préparation ou de la commission d’une infraction pour laquelle des poursuites pénales ont lieu d’office et si l’interception est utile pour la découverte de la vérité, les enregistrements sur bande magnétique de communications s’effectuent sur autorisation motivée du tribunal, à la demande du procureur, dans les cas et conditions prévus par la loi. L’autorisation est délivrée en chambre du conseil par le président du tribunal qui serait compétent pour trancher l’affaire en premier ressort. L’interception et l’enregistrement de communications s’imposent pour la découverte de la vérité lorsque l’établissement des faits ou l’identification de leur auteur ne peuvent être réalisés par d’autres moyens.

(2) L’interception et l’enregistrement de conversations et communications peuvent être autorisés lorsqu’il s’agit d’infractions contre la sûreté nationale prévues par le code pénal et par d’autres lois spéciales, ainsi que lorsqu’il s’agit de trafic de stupéfiants, d’armes ou de personnes, d’actes de terrorisme, de blanchiment d’argent, de fabrication de fausse monnaie, lorsqu’il s’agit d’infractions prévues par la loi no 78/2000 pour prévenir, découvrir et sanctionner les faits de corruption, lorsqu’il s’agit d’autres infractions graves qui ne peuvent pas être révélées ou dont les auteurs ne peuvent pas être identifiés par d’autres moyens, ou lorsqu’il s’agit d’infractions commises au moyen de communications téléphoniques ou par d’autres moyens de télécommunication.

(3) L’autorisation est délivrée pour la durée nécessaire à l’enregistrement et au maximum pour trente jours.

(4) L’autorisation peut être prolongée dans les mêmes conditions, pour des raisons dûment justifiées, chaque prolongation ne pouvant pas dépasser trente jours. La durée maximum des enregistrements autorisés est de quatre mois.

(5) Les mesures ordonnées par le tribunal sont levées avant le terme de la période pour laquelle elles avaient été autorisées si les motifs qui les avaient justifiées ont disparu.

(...)

(6) L’autorisation d’interception et d’enregistrement des conversations et des communications est donnée par une décision avant dire droit motivée comprenant : les indices concrets et les faits qui justifient l’interception et l’enregistrement des conversations et des communications ; les raisons pour lesquelles ces mesures sont indispensables pour la découverte de la vérité ; l’indication de la personne concernée, du moyen de communication ou du lieu placé sous surveillance ; et la période pour laquelle l’interception et l’enregistrement sont autorisés. »

Article 912
Les organes qui effectuent l’interception et l’enregistrement

« (1) Le procureur procède personnellement aux interceptions et aux enregistrements prévus à l’article 911 du CPP ou peut ordonner que ces mesures soient effectuées par les organes chargés des poursuites pénales. Le personnel appelé à apporter le concours technique nécessaire pour les interceptions et les enregistrements est tenu au secret des opérations, à défaut de quoi il serait puni en vertu du code pénal.

(2) En cas d’urgence, lorsque le délai d’obtention de l’autorisation prévue par l’article 911 du CPP entraverait gravement les poursuites, le procureur peut ordonner, à titre provisoire, par une ordonnance motivée, l’interception et l’enregistrement sur bande magnétique ou sur tout autre type de support des conversations et des communications en en informant immédiatement le tribunal, dans un délai de vingt-quatre heures maximum.

(3) Le tribunal se prononce dans un délai de vingt-quatre heures maximum sur l’ordonnance du procureur et, s’il la confirme et qu’il le juge nécessaire, ordonne l’autorisation de continuer l’interception et les enregistrements dans les conditions prévues à l’article 911-3. Si le tribunal ne confirme pas l’ordonnance du procureur, il doit ordonner l’arrêt immédiat des interceptions et des enregistrements et la destruction de ceux déjà effectués.

(4) Le tribunal ordonne que les personnes dont les conversations et communications ont été interceptées et enregistrées soient informées par écrit, avant la clôture des poursuites pénales, des dates auxquelles les interceptions et les enregistrements ont été effectués. »

Article 913 – La certification des enregistrements

« (1) Le procureur ou l’organe chargé des poursuites pénales dresse un procès-verbal sur le déroulement des interceptions et des enregistrements prévus à l’article 911-2, en y faisant figurer : l’autorisation donnée par le tribunal, le ou les numéros des postes téléphoniques entre lesquels les conversations ont eu lieu, le nom des personnes qui ont tenu les conversations, s’il est connu, la date et l’heure de chaque conversation et le numéro de référence de la bande magnétique ou de tout autre support contenant l’enregistrement.

(2) Les conversations enregistrées sont transcrites intégralement par écrit et annexées au procès-verbal avec un certificat attestant leur authenticité, délivré par l’organe chargé des poursuites pénales, vérifié et contresigné par le procureur qui effectue ou qui surveille les poursuites pénales. (...) La correspondance dans une langue étrangère est transcrite en roumain par l’intermédiaire d’un interprète. Le procès-verbal est annexé à la bande magnétique ou à tout autre support contenant l’enregistrement, scellés par l’organe chargé des poursuites pénales.

(3) La bande magnétique des enregistrements, leur transcription écrite et le procès-verbal sont remis au tribunal, lequel, après avoir entendu le procureur et les parties, décide, parmi les informations recueillies, lesquelles sont indispensables pour l’examen de l’affaire, et dresse un procès-verbal en ce sens. Les conversations contenant des secrets d’État ou professionnels ne sont pas mentionnées dans le procès­verbal (...).

(4) La bande magnétique des enregistrements, leur transcription écrite et le procès-verbal sont conservés au greffe du tribunal, dans des emplacements prévus spécialement, sous pli scellé.

(5) Le tribunal peut autoriser, sur une demande motivée de l’inculpé, de la partie civile ou de leur avocat, la consultation des enregistrements et de leur transcription qui sont déposés au greffe et qui ne sont pas consignés dans le procès-verbal.

(6) Le tribunal ordonne la destruction de tous les enregistrements qui n’ont pas été utilisés comme moyens de preuve en l’affaire. (...) »

Article 916 – La vérification des moyens de preuve

« (1) Les moyens de preuve susmentionnés peuvent être soumis à une expertise technique à la demande du procureur ou des parties, ou d’office.

(2) Les enregistrements peuvent servir de moyens de preuve s’ils ne sont pas interdits pas la loi. »

63. La loi no 356/2006, entrée en vigueur le 6 septembre 2006, confirme l’exigence prévue par l’article 911 du CPP, selon laquelle les opérations d’interception et d’enregistrement des communications effectuées par téléphone ou par un autre moyen électronique sont réalisées en vertu d’une autorisation motivée rendue par un juge. Elle énumère également les conditions de stockage et de destruction des enregistrements et réduit à cent vingt jours la durée maximale d’autorisation des enregistrements. L’ordonnance d’urgence du Gouvernement no 60/2006, publiée au Journal officiel le 7 septembre 2006, précise que le juge compétent pour délivrer l’autorisation est le président du tribunal compétent pour juger l’affaire en premier degré de juridiction ou, en son absence, un juge qu’il a désigné à cet effet.

64. Dans un arrêt définitif no 10 du 7 janvier 2008, la Haute Cour de cassation et de justice saisie d’un recours a jugé que la légalité des enregistrements n’était pas subordonnée à l’ouverture de poursuites pénales, une telle condition n’étant pas prévue par les articles 91 et suivants du CPP régissant les interceptions. La Haute Cour a confirmé sa décision dans les arrêts no 276 et no 948 rendus respectivement le 27 janvier 2010 et le 12 mars 2010.

65. Saisie d’une exception d’inconstitutionnalité de l’article 911 du CPP, au motif que l’autorisation des enregistrements pouvait être donnée en l’absence d’ouverture de poursuites pénales, ce qui menait à l’obtention des preuves en dehors d’un cadre légal régi par les garanties du procès équitable, la Cour Constitutionnelle a, dans l’arrêt no 962/2009 du 25 juin 2009, rejeté cette exception tout en mentionnant que les preuves obtenues pendant l’enquête préliminaire n’étaient pas recevables.

EN DROIT

I. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

66. Le requérant dénonce l’utilisation dans la procédure d’éléments recueillis à la suite d’une opération qu’il qualifie de provocation policière, et ce en méconnaissance, selon lui, de son droit à un procès équitable. Il se plaint également du défaut de notification de son droit de garder le silence et de n’avoir pas bénéficié de l’assistance d’un avocat lors de son premier interrogatoire par le procureur, réalisé immédiatement après la constatation du flagrant délit ou au moins être informé de ce droit. Il relève ensuite n’avoir pas été informé des accusations portées contre lui. Il soutient enfin ne pas avoir été jugé par un tribunal impartial, énumérant les avantages dont bénéficie, d’après lui, le procureur lors des audiences et dans la préparation de ses moyens de recours.

67. Le requérant invoque les articles 6 §§ 1 et 3 a) et c) et 13 de la Convention. Les garanties prévues par l’article 13 de la Convention étant moins strictes que celles prévues par l’article 6 de la Convention, la Cour examinera les allégations du requérant uniquement sous l’angle de l’article 6 §§ 1 et 3 a) et c) de la Convention, ainsi libellé dans sa partie pertinente en l’espèce :

Article 6

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

(...)

3. Tout accusé a droit notamment à :

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;

(...)

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ; »

A. Sur la recevabilité

1. Sur l’exception du Gouvernement tirée d’une incompatibilité ratione materiae

68. Le Gouvernement est d’avis que l’article 6 § 1 de la Convention n’est pas applicable aux procédures de flagrant délit. S’il accepte que l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention est applicable à la procédure qui s’est déroulée devant un tribunal et à la phase de l’enquête préliminaire, il estime que la procédure de flagrant délit n’en fait pas partie. À cet égard, il précise que la procédure de flagrant délit a son but propre, à savoir celui de prendre le suspect sur le fait.

69. Le Gouvernement indique ensuite que, pendant cette procédure, l’intéressé ne fait pas encore l’objet d’une « accusation en matière pénale » dans le sens autonome qu’il dit être défini par la jurisprudence de la Cour. Il expose que la procédure de flagrance est une procédure préliminaire pendant laquelle le suspect n’est pas encore accusé de la commission d’une infraction, et que, lors de cet interrogatoire, le requérant a le droit de garder le silence et qu’il lui est demandé uniquement de fournir des explications sur les faits évidents pendant la commission desquels il a été surpris. Selon le Gouvernement, c’est uniquement après cette procédure que l’accusation devient effective et que le suspect est informé des accusations formulées contre lui. Le procès-verbal de flagrance et la première déclaration du prévenu/de l’inculpé seraient ainsi deux actes de procédure distincts.

70. Le Gouvernement ajoute qu’en l’espèce, lors de la procédure de flagrant délit, le requérant a été non pas appelé à répondre à des accusations formées contre lui, mais uniquement invité à fournir de brèves explications sur la somme d’argent retrouvée et sur d’autres aspects pertinents, et que le procès-verbal a été dressé sur la base des preuves recueillies sur place.

71. Le requérant estime que la procédure de flagrant délit qui vise, selon lui, à rechercher et à trouver des preuves à charge contre une personne ne doit pas échapper par principe à l’applicabilité de l’article 6 de la Convention. Il indique qu’il faut distinguer deux étapes dans la procédure de flagrance : d’une part, la préparation du flagrant délit et la surveillance de son déroulement par les enquêteurs et, d’autre part, l’intervention et le contact direct de la police et du parquet avec le suspect dès que les faits se sont produits. S’il accepte que certaines garanties de l’article 6 précité ne sont pas applicables pendant la première phase de la procédure de flagrance (comme l’information du suspect), il relève que cela n’exclut pas l’applicabilité d’autres garanties comme la loyauté des organes judiciaires et l’interdiction de la provocation policière. Il indique également que le droit à un procès équitable serait totalement théorique et illusoire si la police et le parquet avaient le droit de tout faire durant la préparation d’un flagrant délit, tout en sachant qu’elles peuvent utiliser les preuves rassemblées sans crainte d’une violation du droit à un procès équitable.

72. En outre, pour ce qui est de la deuxième étape de la procédure de flagrance, à savoir le contact direct des autorités avec le suspect pris en flagrant délit, celle-ci fait sans équivoque, selon l’intéressé, l’objet d’une « accusation » en matière pénale, car le statut juridique du suspect change clairement, et il doit donc jouir du droit de garder le silence, du droit d’être assisté par un avocat et du droit d’être informé. Toutes les déclarations faites lors du premier contact entre les enquêteurs et le suspect peuvent être (et in concreto ont été) utilisées comme des preuves à charge dans le procès pénal.

73. La Cour rappelle que si l’article 6 a pour finalité principale, au pénal, d’assurer un procès équitable devant un « tribunal » compétent pour décider du « bien-fondé de l’accusation », il n’en résulte pas qu’il se désintéresse des phases qui se déroulent avant la procédure de jugement. Ainsi, l’article 6 – spécialement son paragraphe 3 – peut jouer un rôle avant la saisine du juge du fond si, et dans la mesure où, son inobservation initiale risque de compromettre gravement l’équité du procès (Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, § 50, CEDH 2008).

74. La Cour redit que, en vertu de sa jurisprudence en matière pénale, « l’accusation » pourrait, aux fins de l’article 6 de la Convention, se définir comme la notification officielle, émanant de l’autorité compétente, du reproche d’avoir accompli une infraction pénale ou l’existence de « répercussions importantes sur la situation » du suspect (Deweer c. Belgique, 27 février 1980, § 46, série A no 35). En l’espèce, elle note que, après avoir pris le requérant en flagrant délit, les enquêteurs ont examiné les lieux et fait des prélèvements scientifiques sur les meubles et sur la personne du requérant, découvrant ainsi des traces de substance fluorescente. De même, le requérant a été invité à ouvrir l’enveloppe découverte sur son bureau et à en sortir le contenu (paragraphe 17 ci­dessus). Ainsi, même si le requérant n’avait pas été informé expressément par les enquêteurs des faits reprochés, il pouvait déduire d’un tel contexte qu’il était soupçonné d’avoir commis le délit de corruption passive. Dès lors, les informations transmises au requérant même implicitement ont eu des « répercussions importantes » sur sa situation, de sorte que, au moment où les enquêteurs l’ont interrogé, le volet pénal de l’article 6 de la Convention était applicable dans son cas (O’Halloran et Francis c. Royaume-Uni [GC], nos15809/02 et 25624/02, § 35, CEDH 2007‑III et voir, mutatis mutandis, Bandaletov c. Ukraine, no 23180/06, § 56, 31 octobre 2013 et Brusco c. France, no 1466/07, § 47, 14 octobre 2010). Dès lors, l’article 6 est applicable en l’espèce.

Partant, cette exception du Gouvernement est rejetée.

2. Sur l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes concernant la place du procureur dans la salle d’audience

75. Le Gouvernement estime que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes, indiquant qu’il n’a pas soulevé ce grief devant les juridictions nationales et qu’il n’a pas récusé la formation de jugement. Il ajoute que les aspects relevés par l’intéressé ne constituent pas des éléments suffisants pour mettre en doute le principe de l’égalité des armes ou l’impartialité des juges de la Haute Cour.

76. Le requérant réplique qu’une demande faite devant les juridictions internes pour que fût ordonné le changement de place du procureur aurait été purement théorique et illusoire et qu’elle ne constituait donc pas une voie de recours effective à utiliser avant la saisine de la Cour. Il relève que l’impartialité des juges à l’égard du procureur est mise en doute par un ensemble d’éléments (paragraphe 47 ci-dessus) qui prouvent à ses yeux la position privilégiée dont jouit le procureur par rapport à l’avocat de l’accusé.

77. Considérant ce grief irrecevable pour les raisons exposées ci-dessous, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de trancher l’exception soulevée par le Gouvernement.

78. Elle rappelle avoir jugé, dans des décisions antérieures, que le fait pour le procureur d’avoir une place déterminée dans la salle d’audience ne suffisait pas à mettre en cause l’égalité des armes, dans la mesure où, si elle donnait au procureur une position « physique » privilégiée, elle ne plaçait pas l’accusé dans une situation de désavantage concret pour la défense de ses intérêts (Chalmont c. France (déc.), no 72531/01, CEDH, 9 décembre 2003, Carballo et Pinero c. Portugal (déc.), no 31237/09, 21 juin 2011, et Diriöz c. Turquie, no 38560/04, § 25, 31 mai 2012).

79. En l’espèce, la Cour estime que les éléments allégués par le requérant n’ont pas placé celui-ci dans une situation de désavantage quant au principe de l’égalité des armes (Diriöz, précité, § 25). De même, ils ne suffisent pas à prouver un parti pris ou un préjugé personnel des juges de la formation de jugement ni à mettre en doute les garanties d’impartialité offertes par le tribunal, notamment à travers sa composition (voir, mutatis mutandis, Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 93, CEDH 2009).

80. Partant, le grief est irrecevable pour défaut manifeste de fondement au sens de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

3. Sur les autres motifs d’irrecevabilité

a) Quant au grief tiré du droit du requérant d’être informé des accusations portées contre lui

81. Le requérant se plaint devant la Cour de ne pas avoir été informé, dès les premières questions qui lui ont été posées après la procédure de flagrance, des accusations portées contre lui.

82. Le Gouvernement réplique que le requérant a été informé des accusations portées contre lui dans un très bref délai après la procédure de flagrant délit.

83. La Cour rappelle que les dispositions du paragraphe 3 de l’article 6 de la Convention prévoient la nécessité de mettre un soin particulier à notifier l’« accusation » à l’intéressé. L’acte d’accusation jouant un rôle déterminant dans les poursuites pénales, l’article 6 § 3 a) reconnaît à l’accusé le droit d’être informé non seulement de la cause de l’accusation, mais aussi de la qualification juridique donnée à ces faits, et ce d’une manière détaillée (Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 51, CEDH 1999-II). De même, le droit d’être informé de la nature et de la cause de l’accusation doit être envisagé à la lumière du droit pour l’accusé de préparer sa défense (Pélissier et Sassi, précité, §§ 53 et 54).

84. En l’espèce, la Cour note que le requérant a été surpris en flagrant délit le 3 mai 2004, que, le même jour, il a été informé par les enquêteurs de l’accusation de corruption passive portée contre lui et des faits qui lui étaient reprochés, et qu’un procès-verbal a été dressé à cet effet. Cette qualification juridique a été maintenue tout au long du procès. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

b) Sur les autres griefs

85. Constatant que les griefs tirés du défaut allégué de notification de son droit de garder le silence et de l’absence d’avocat lors du premier interrogatoire du requérant pendant la procédure de flagrance, ainsi que de l’existence d’une provocation policière ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.

B. Sur le fond

1. Sur la nécessité d’être assisté par un avocat lors de l’interrogatoire mené dans le cadre de la procédure de flagrant délit et le défaut de notification du droit de garder le silence

a) Arguments des parties

86. Le requérant estime qu’il aurait dû bénéficier de l’assistance d’un avocat lors de la première déclaration consignée dans le procès-verbal de flagrance, considérant que ce document a été utilisé comme une preuve à charge très importante pour sa condamnation. Il se plaint également de ne pas avoir été informé au préalable de l’accusation, de son droit de garder le silence et de son droit d’être assisté par un avocat.

87. Le Gouvernement indique que le procès-verbal de flagrant délit n’a pas constitué la seule preuve ayant fondé la condamnation de l’intéressé, de sorte que le fait pour celui-ci de ne pas avoir bénéficié d’un conseil pendant la procédure de flagrance n’emporterait pas violation de l’article 6 de la Convention. Il ajoute que le requérant a été informé dans un très bref délai de son droit de se défendre lui-même ou de bénéficier de l’assistance d’un avocat. Ainsi, le jour même de la procédure de flagrance, lors de son premier interrogatoire devant les autorités de poursuite et ultérieurement, tout au long de la procédure, le requérant a été assisté par un avocat de son choix.

b) Appréciation de la Cour

i) Les principes applicables

88. La Cour rappelle qu’une législation nationale peut attacher à l’attitude d’un prévenu dans la phase initiale des interrogatoires de police des conséquences déterminantes pour les perspectives de la défense lors de toute procédure pénale ultérieure. En pareil cas, l’article 6 de la Convention exige normalement que le prévenu puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès les premiers stades des interrogatoires de police. Ce droit, que la Convention n’énonce pas expressément, peut toutefois être soumis à des restrictions pour des raisons valables (Salduz, précité, § 52). Il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi sans possibilité d’une assistance par un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation, car l’intéressé est personnellement touché par ces restrictions (Salduz, précité, §§ 55, 58 et 62, et Pishchalnikov c. Russie, no 7025/04, §§ 70 et 90, 24 septembre 2009).

89. La Cour constate ensuite que, en vertu de l’article 467 du code de procédure pénale roumain portant sur la constatation du flagrant délit, l’organe de poursuite dresse un procès-verbal dans lequel les déclarations du prévenu et d’autres personnes entendues sont consignées. Elle note également que la déclaration de l’intéressé figurant dans le procès-verbal de flagrant délit constitue un acte différent de sa première déclaration faite après sa mise en examen.

90. La Cour rappelle qu’elle a pour tâche non pas de rechercher in abstracto si le système juridique roumain de la procédure de flagrance est conforme à la Convention, mais d’examiner s’il y a eu violation dans le cas précis dont elle se trouve saisie. De même, elle examinera l’ensemble de la procédure devant les juridictions nationales pour déterminer si l’absence d’un défenseur lors de ces déclarations a touché personnellement l’intéressé et porté atteinte à son droit à un procès équitable (Tsaggarakis c. Grèce (déc.), no 45136/06, 10 septembre 2009).

ii) Application des principes en l’espèce

91. En l’espèce, la Cour constate que, au regard du droit interne, le requérant n’avait pas le droit en l’espèce d’être assisté par un avocat pendant que les enquêteurs lui posaient des questions dans la procédure de flagrance, car il n’avait pas encore qualité de prévenu ou d’inculpé.

92. La Cour relève que la procédure de flagrant délit vise à prendre sur le fait la personne soupçonnée d’une infraction et qu’un procès-verbal doit être établi pour consigner la déclaration de l’intéressé lors de la flagrance. À cet égard, elle estime que les enquêteurs doivent se limiter à poser des questions sur les aspects matériels des faits constatés lors du flagrant délit et éviter de transformer cette déclaration en un interrogatoire sur les faits reprochés.

93. En l’espèce, elle note que, dans le procès-verbal, les enquêteurs ont recensé des éléments matériels constatés lors de la procédure de flagrance, tels que les objets découverts, leur contenu et les résultats des prélèvements scientifiques, et qu’ils ont noté les réponses du requérant à leurs questions. Dans ses réponses, le requérant a admis avoir reçu une enveloppe de N.D. Il a également décrit ce qu’il faisait au moment où les enquêteurs l’ont surpris, indiquant qu’il cherchait des documents sur son bureau et qu’il s’apprêtait à quitter la pièce lorsqu’il avait été interpellé par les représentants du parquet.

94. Le requérant n’a pas indiqué qu’il avait connaissance du contenu de l’enveloppe. De plus, il n’a pas été interrogé sur les circonstances ou les motifs qui avaient mené N.D. à laisser l’enveloppe sur son bureau ni sur ses éventuels accords avec cette dernière.

95. La Cour constate ensuite que, dès sa mise en examen, faite le jour même, le requérant a eu à ses côtés un avocat de son choix qui l’a ensuite assisté lors de toutes ses déclarations faites devant le parquet et devant la Haute Cour. Dans toutes ses déclarations, le requérant a nié les faits reprochés. La Cour constate cependant qu’il n’est jamais revenu sur le contenu de ses affirmations notées dans le procès-verbal de flagrant délit.

96. La Cour note enfin que le procès-verbal de flagrance a constitué l’un des éléments de preuve retenus par la Haute Cour pour fonder la responsabilité pénale du requérant. Cependant, la Haute Cour a pris en compte ce procès-verbal en tant que preuve attestant la réalisation du flagrant délit, sans considérer les affirmations du requérant comme une déclaration distincte sur les faits reprochés. Qui plus est, la Haute Cour a noté que le requérant a toujours nié les faits. Dès lors, la Cour conclut que les affirmations du requérant qui ont été notées dans le procès-verbal de flagrance ne lui ont pas porté préjudice (voir, mutatis mutandis, Stanca c. Roumanie, no 34116/04, § 62, 24 juillet 2012, et Minculescu c. Roumanie (déc.), no 7993/05, § 84, 13 novembre 2012).

97. La Cour note en outre que le requérant a été informé du contenu des accusations portées contre lui dès les premiers interrogatoires et que, dès son placement en détention provisoire, il a été représenté par des avocats à tous les stades de la procédure (voir, a contrario, Dayanan c. Turquie, no 7377/03, § 33, 13 octobre 2009).

98. Enfin, la Cour souligne que le requérant n’a allégué, ni devant les juridictions nationales ni devant la Cour, qu’il aurait fait ses déclarations initiales sous la contrainte (voir, a contrario, Salduz, précité, § 17).

99. Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention.

2. Sur la provocation policière

a) Arguments des parties

100. Le requérant considère que, sans l’incitation, la provocation et l’implication active auxquelles se seraient livrés le parquet et la police, aucune apparence d’infraction n’aurait pu être retenue à son encontre. Il soutient que rien dans le dossier ne le liait à l’infraction commise par N.D., que celle-ci a été conduite au parquet et que, au début de son interrogatoire, elle n’a rien dit quant à la destination de l’argent. Il affirme que c’est le procureur qui, sans informer N.D. de ses droits procéduraux, a orienté l’enquête par ses questions vers la thèse selon laquelle N.D. n’aurait été qu’une intermédiaire, et que, à la suite d’un long interrogatoire, assorti de menaces et de promesses de remise de peine, N.D. a changé sa position et affirmé que l’argent était pour le requérant, et qu’elle a accepté de collaborer avec le parquet pour le faire condamner. Le requérant soutient encore que N.D. avait insisté pour entrer dans son bureau et qu’elle n’a fait qu’agir en suivant les instructions du parquet.

101. Il dénonce également la manière dont les enregistrements réalisés ont été retranscrits, affirmant que la Haute Cour a constaté des irrégularités sans toutefois en tirer des conséquences. La retranscription de la discussion qui avait eu lieu entre N.D. et lui-même avant leur entrée dans le bureau et qui aurait prouvé la provocation, n’a, selon le requérant, jamais été versée au dossier.

102. Le requérant indique enfin que l’avocat qui le représente dans la procédure devant la Cour n’a jamais pu avoir accès aux enregistrements audio et vidéo réalisés, de sorte que les preuves manifestes de la provocation policière ne se trouveraient qu’entre les mains des autorités roumaines.

103. Le Gouvernement estime que N.D., qui aurait été également inculpée pour complicité du délit de corruption passive, n’a pas eu en l’espèce le rôle d’un agent provocateur. Il convient de distinguer, selon le Gouvernement, entre les situations où l’action des agents a provoqué la réalisation d’un acte criminel et celles où la personne mise en cause était déjà prédisposée à commettre l’infraction.

104. Le Gouvernement indique de plus que les juridictions nationales ont examiné et rejeté, de manière motivée et détaillée à ses yeux, les allégations du requérant selon lesquelles il avait été victime d’une provocation policière. Il ajoute que, se fondant sur les preuves du dossier, les juridictions nationales ont jugé qu’il y avait eu entente préalable entre le requérant et N.D. Il affirme en outre que N.D. n’a pas agi de sa propre initiative et qu’elle a informé les autorités, immédiatement après avoir été prise en flagrant délit, qu’elle avait agi en tant qu’intermédiaire entre le requérant et T.G. Il souligne également que le requérant n’a pas été contraint par N.D. à commettre l’infraction.

105. Le Gouvernement relève enfin que, pendant la procédure pénale, le requérant a eu connaissance de toutes les pièces du dossier et qu’il a pu faire des commentaires et déposer des observations. Compte tenu du rôle à ses yeux subsidiaire de la Cour dans l’appréciation des faits, il considère que le requérant n’a apporté aucune preuve permettant de mettre en doute la décision rendue par les juridictions internes sur la question de l’existence en l’espèce d’une provocation policière.

b) Appréciation de la Cour

106. La Cour rappelle que la Convention n’empêche pas de s’appuyer, au stade de l’instruction préparatoire et lorsque la nature de l’infraction peut le justifier, sur des sources telles que des indicateurs occultes, mais que leur emploi ultérieur par le juge du fond pour justifier une condamnation soulève un problème différent. L’intervention d’agents infiltrés doit être circonscrite et entourée de garanties adéquates contre les abus, étant donné que l’intérêt public ne saurait justifier l’utilisation d’éléments recueillis à la suite d’une provocation policière (Teixeira de Castro c. Portugal, 9 juin 1998, §§ 34­36, Recueil des arrêts et décisions 1998‑IV).

107. Dans le cas où la preuve principale est le résultat d’une opération policière avec agents infiltrés, les autorités nationales doivent démontrer qu’il y avait des raisons pertinentes pour monter une telle opération contre une personne déterminée (Ramanauskas, précité, §§ 63 et 64, et Malininas c. Lituanie, no 10071/04, § 36, 1er juillet 2008). Enfin, lorsque les informations divulguées par les autorités de poursuite ne permettent pas à la Cour de vérifier si le requérant a été ou non victime d’une provocation policière, il est essentiel d’examiner la procédure dans le cadre de laquelle il a été statué sur l’allégation de provocation policière afin de vérifier, dans le cas d’espèce, si les droits de la défense ont été adéquatement protégés, notamment le respect du principe du contradictoire et de l’égalité des armes (Ramanauskas, précité, §§ 70-71, et Bulfinsky c. Roumanie, no 28823/04, § 44, 1er juin 2010).

108. La Cour rappelle qu’il y a provocation policière lorsque les agents impliqués ne se limitent pas à examiner d’une manière purement passive l’activité délictueuse, mais qu’ils exercent sur la personne qui fait l’objet de la surveillance une influence de nature à l’inciter à commettre une infraction qu’autrement elle n’aurait pas commise, pour en rendre possible la constatation, c’est-à-dire en apporter la preuve et la poursuivre (voir, par exemple, Bannikova c. Russie, no 18757/06, §§ 37-50, 4 novembre 2010).

109. En l’espèce, la Cour constate que, avant la déclaration de N.D., les autorités ne disposaient pas d’éléments prouvant que le requérant avait commis le délit de corruption passive. C’est la déclaration de N.D., faite après qu’elle a été elle-même prise en flagrant délit, qui est à l’origine de la mise en cause du requérant. Force est de constater que T.G. a indiqué dans sa dénonciation que le requérant était le président de la commission que N.D. avait promis d’influencer. Se fondant sur ces éléments, le parquet a autorisé N.D. à approcher le requérant en échange de la réduction de sa peine.

110. En offrant à N.D. une certaine protection et en lui fournissant le matériel technique nécessaire, les enquêteurs ont certes influencé le cours des événements. Toutefois, compte tenu de ses obligations de vérifier les plaintes pénales et de l’importance de contrecarrer l’effet corrosif qu’a la corruption sur l’état de droit dans une société démocratique, la Cour considère que la police n’a pas outrepassé ses fonctions (voir, mutatis mutandis, Milinienė c. Lituanie, no 74355/01, § 38, 24 juin 2008). Elle considère que le rôle des enquêteurs n’a pas non plus été le facteur déterminant dans la commission des faits. L’élément déterminant a été en l’espèce les comportements de N.D. et du requérant. Les enquêteurs se sont greffés sur l’activité criminelle et ne l’ont pas provoquée, de sorte que N.D. a joué en l’espèce le rôle d’un agent infiltré mais non celui d’un agent provocateur. Qui plus est, il n’y a pas de preuve que N.D. aurait contraint le requérant à accepter l’enveloppe qu’elle avait déposée sur son bureau.

111. La Cour note en outre que, dans le cadre de la procédure pénale, le requérant a eu la possibilité de soulever de manière effective la question de la provocation policière. À cet égard, la Haute Cour a noté les indices qui avaient incité le parquet à autoriser l’enregistrement des conversations et les a jugés suffisants pour justifier une telle opération. Se fondant sur les pièces du dossier et plus particulièrement sur l’enregistrement audio et vidéo de l’entretien de N.D. et du requérant du 3 mai 2004, la Haute Cour a jugé qu’il y avait eu entente préalable entre les inculpés et qu’il n’y avait pas eu de provocation policière en l’espèce.

112. La Cour relève également que T.G. et N.D. ont participé à la procédure et qu’elles ont été entendues en audience publique par la Haute Cour. Le requérant a eu l’occasion de les interroger et de mettre en doute leur crédibilité. De même, il a pu écouter les enregistrements originaux des conversations avec N.D. et il n’a contesté qu’une seule des phrases retranscrites. La Haute Cour a pris en compte ses allégations et a expliqué pourquoi, malgré une inexactitude dans les transcriptions, elle a jugé la responsabilité pénale de l’intéressé établie (paragraphe 44 ci-dessus). Dès lors, le requérant a bénéficié de garanties procédurales adéquates devant les juridictions nationales.

113. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime qu’en l’espèce il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

114. Le requérant se plaint d’une atteinte à son droit au respect de sa vie privée en raison de l’enregistrement audio et vidéo des discussions qu’il a eues avec N.D., et de la mise sur écoute et de l’enregistrement des appels téléphoniques qu’il a effectués à partir de ses postes téléphoniques. Il invoque l’article 8 de la Convention, qui est ainsi libellé :

Article 8

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A. Sur la recevabilité

115. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes par le requérant, indiquant que celui-ci n’a jamais soulevé devant les juridictions nationales un grief de violation de son droit au respect de sa vie privée, mais qu’il s’est limité à contester la légalité de l’autorisation, aspect qui relève, selon le Gouvernement, du droit à un procès équitable. Il considère que le requérant aurait pu engager une action en réparation devant les juridictions civiles dans l’hypothèse où les juridictions nationales auraient constaté une méconnaissance de l’article 8 de la Convention. Il soumet à titre d’exemple une décision rendue par les juridictions nationales à la suite d’une action en responsabilité civile délictuelle, dans laquelle, après avoir constaté l’illégalité des enregistrements réalisés sur la base de la loi no 51/1991 sur la sûreté nationale, les tribunaux ont octroyé des dédommagements à l’intéressé.

116. Le requérant indique qu’il a invoqué expressément devant les juridictions pénales le caractère illégal des enregistrements et écoutes. Estimant que ceux-ci, de par leur nature, portent atteinte au droit au respect de la vie privée, il dit qu’il a dès lors invoqué, au moins en substance, ce grief devant les autorités nationales. Il soutient de même avoir demandé aux juridictions pénales de constater la nullité des enregistrements et écoutes. Il estime enfin qu’une action civile ne constitue pas un recours effectif.

117. La Cour constate que, dans le formulaire de requête, le requérant a dénoncé, sous l’angle de l’article 8 de la Convention, une atteinte à son droit au respect de sa vie privée au motif que les enregistrements et écoutes ont été ordonnés par un procureur. Il a dénoncé par la suite une méconnaissance du droit interne au motif que les enregistrements avaient été autorisés avant l’ouverture des poursuites pénales. Il a également affirmé que les enregistrements avaient continué après la période autorisée, à savoir après le 4 mai 2004, à 8 heures, et qu’ils étaient dépourvus de toute base légale et de mandat.

118. La Cour constate ensuite que le requérant a soulevé expressément dans ses moyens de recours devant la Haute Cour un grief tiré de l’illégalité des enregistrements et des écoutes, au motif qu’ils avaient été autorisés par un procureur avant l’ouverture d’une information judiciaire, en méconnaissance selon lui du droit interne. D’ailleurs, la Haute Cour, dans son arrêt définitif du 25 septembre 2006, a répondu à ces arguments du requérant. Dès lors, la Cour considère que l’intéressé a épuisé les voies de recours internes s’agissant de cette partie du grief et elle rejette à cet égard l’exception du Gouvernement. Constatant que cette partie du grief relative notamment aux enregistrements effectués entre le 3 mai 2004, à 8 heures, et le 4 mai 2004, à 8 heures, n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, elle la déclare recevable.

119. Quant aux aspects liés au défaut de base légale des enregistrements après le 4 mai 2004, à 8 heures, la Cour constate qu’ils n’ont pas été soulevés devant la juridiction de recours. Dès lors, cette partie du grief est irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

B. Sur le fond

1. Les arguments des parties

120. Le requérant allègue que les enregistrements n’avaient aucune base légale en droit interne. À ce sujet, il indique qu’ils ont été autorisés en vertu des articles 911 et suivants du CPP pendant la phase d’enquête préliminaire et avant l’ouverture d’une information judiciaire. Or, selon lui, dans sa décision no 962 du 25 juin 2009, la Cour Constitutionnelle a jugé que l’article 911 du CPP ne s’appliquait qu’après l’ouverture d’une information judiciaire (paragraphe 65 in fine ci-dessus).

121. Le Gouvernement indique que l’ingérence dans le droit au respect de la vie privée du requérant était prévue par l’article 16 §§ 1 b) et 3 de l’ordonnance du Gouvernement no 43/2002 et par les articles 911 à 915 du CPP. Il soutient que ces normes étaient accessibles et prévisibles et qu’elles prévoyaient les garanties minimales nécessaires contre les abus.

122. Il ajoute qu’en l’espèce le requérant a soulevé devant les juridictions nationales le grief tiré de l’illégalité des interceptions en se référant au fait qu’elles avaient été réalisées avant l’ouverture des poursuites pénales. Or, selon le Gouvernement, la Haute Cour a expliqué que le parquet avait réalisé en l’espèce des actes d’enquête préliminaire, comme cela lui aurait été loisible en vertu de l’article 244 du CPP. De plus, la Haute Cour aurait jugé légale l’autorisation émise par le procureur.

123. Le Gouvernement relève enfin que l’ingérence poursuivait un but légitime et qu’elle était nécessaire dans une société démocratique. Il met l’accent plus particulièrement sur la marge d’appréciation dont disposeraient les États s’agissant des conditions dans lesquelles ces surveillances peuvent avoir lieu, sur la courte période pendant laquelle les enregistrements ont été autorisés en l’espèce ainsi que sur la gravité des accusations portées contre l’intéressé.

2. L’appréciation de la Cour

124. La Cour relève que le grief du requérant porte sur l’absence de base légale suffisante des enregistrements, au motif que ceux-ci ont été autorisés avant l’ouverture des poursuites pénales et par un procureur.

125. Les communications téléphoniques et la mise sur écoute se trouvant comprises dans les notions de « vie privée » et de « correspondance » au sens de l’article 8 § 1 de la Convention, leur interception, la mémorisation des données ainsi obtenues et leur éventuelle utilisation dans le cadre des poursuites pénales dirigées contre le requérant s’analysent en une « ingérence d’une autorité publique » dans l’exercice du droit que lui garantissait l’article 8 (voir, parmi d’autres, Drakšas c. Lituanie, no 36662/04, § 52, 31 juillet 2012, et Vetter c. France, no 59842/00, § 20, 31 mai 2005).

126. La Cour rappelle qu’une telle ingérence, pour qu’elle soit conforme au paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention, doit être prévue par la loi. L’expression « prévue par la loi » non seulement impose le respect du droit interne, mais concerne aussi la qualité de la loi, qui doit être compatible avec le principe de la prééminence du droit (Halford, 25 juin 1997, § 49, Recueil des arrêts et décisions 1997‑III, Aalmoes et 112 autres c. Pays-Bas (déc.), no 16269/02, 25 novembre 2004, et Khan c. Royaume-Uni, no 35394/97, § 26, CEDH 2000‑V). Dans le contexte de la surveillance secrète exercée par les autorités publiques, le droit interne doit offrir une protection contre l’ingérence arbitraire dans l’exercice du droit d’un individu au regard de l’article 8. En outre, la loi doit user de termes assez clairs pour indiquer aux individus de manière suffisante en quelles circonstances et sous quelles conditions elle habilite les autorités publiques à prendre pareilles mesures secrètes (Malone c. Royaume-Uni, 2 août 1984, § 67, série A no 82, Weber et Saravia c. Allemagne (déc.), no 54934/00, § 93, CEDH 2006‑XI, et Valenzuela Contreras c. Espagne, 30 juillet 1998, § 59, Recueil 1998‑V). Si l’on ne peut jamais, quel que soit le système, écarter complètement l’éventualité de l’action irrégulière d’un fonctionnaire malhonnête, négligent ou trop zélé, ce sont la probabilité d’une telle action et les garanties fournies pour se protéger contre elle qui importent aux fins du contrôle de la Cour en l’espèce (Klass et autres c. Allemagne, 6 septembre 1978, § 59, série A no 28).

a) Quant au fondement légal de l’ingérence

127. En l’espèce, il n’est pas contesté qu’il y a eu ingérence dans le droit du requérant au respect de sa vie privée. La Cour relève que cette ingérence était prévue par les articles 911 et suivants du CPP.

128. Elle rappelle que, pour qu’une ingérence dans le droit au respect de la vie privée n’emporte pas violation de l’article 8 de la Convention, les conditions prévues dans la loi interne pour autoriser les écoutes doivent être respectées et qu’en outre il faut qu’il y ait dans la loi suffisamment de garanties pour éviter que les autorités puissent prendre des mesures arbitraires portant atteinte au droit au respect de la vie privée (Dumitru Popescu c. Roumanie (no 2), no 71525/01, § 65, 26 avril 2007). La Cour se penchera donc sur chacune de ces exigences.

i. Sur l’observation des exigences prévues par la loi interne en matière d’interception des communications

129. Le requérant considère que les enregistrements ont été réalisés en méconnaissance du droit interne, compte tenu de ce qu’ils ont été autorisés et réalisés avant l’ouverture des poursuites pénales. La Cour constate que les articles 911 et suivants du CPP ne mentionnent pas expressément un moment de la procédure pénale où des enregistrements peuvent être autorisés. Saisie de cette question, la Haute Cour a jugé que les enregistrements en cause étaient légaux. Une telle décision s’inscrit dans la jurisprudence de la Haute Cour, qui a jugé que la légalité des enregistrements n’était pas subordonnée à l’ouverture des poursuites pénales, une telle condition n’étant pas prévue par la loi (paragraphe 64 ci­dessus). D’ailleurs, la Cour observe que la Cour constitutionnelle, dans l’arrêt auquel se réfère le requérant, a examiné la recevabilité des preuves constituées par les enregistrements et non pas la légalité des enregistrements réalisés avant l’ouverture des poursuites pénales. Aucun élément porté par les parties à l’attention de la Cour ne lui permet de s’écarter de la jurisprudence des juridictions nationales. Elle rappelle que la légalité des enregistrements et leur recevabilité en tant que preuve constituent deux questions distinctes, cette dernière relevant de la notion de procès équitable (voir, en ce sens, Niculescu c. Roumanie, no 25333/03, §§ 122 à 127, 25 juin 2013).

130. Partant, la Cour estime que les conditions prévues par la loi interne pour l’autorisation des enregistrements ont été respectées. Il reste à examiner si la loi elle-même – dans sa rédaction à l’époque des faits – était susceptible de prémunir le requérant contre un arbitraire des autorités en prévoyant des garanties suffisantes dans un domaine aussi sensible que le droit au respect de la vie privée.

ii. Sur les garanties prévues par la loi pour assurer le degré minimal de protection voulu par la prééminence du droit dans une société démocratique

131. Le requérant indique devant la Cour que la loi interne telle qu’en vigueur à l’époque des faits permettait au procureur d’autoriser l’interception de conversations téléphoniques. Or, selon l’intéressé, le procureur n’était pas un magistrat indépendant au sens de la Convention.

132. La Cour rappelle avoir déjà jugé que le libellé de ces articles tels qu’en vigueur avant leur amendement par la loi no 281 du 24 juin 2003 sur la modification du CPP révélait des insuffisances incompatibles avec le degré minimal de protection voulu par la prééminence du droit dans une société démocratique (Calmanovici c. Roumanie, no 42250/02, §§ 121-126, 1er juillet 2008). En l’espèce, elle est appelée à examiner la compatibilité avec l’article 8 de la Convention des articles 911 et suivants du CPP, tels que modifiés par la loi no 281.

133. Quant à la prévisibilité de la loi, la Cour rappelle que, dans le contexte particulier des mesures de surveillance secrète, telles que l’interception de communications, la prévisibilité ne saurait signifier qu’un individu doit se trouver à même d’escompter quand les autorités sont susceptibles d’intercepter ses communications de manière qu’il puisse adapter sa conduite en conséquence (voir, notamment, Leander c. Suède, 26 mars 1987, § 51, série A no 116). Or le danger d’arbitraire apparaît avec une netteté singulière là où un pouvoir de l’exécutif s’exerce en secret (voir, notamment, Malone, précité, § 67, et Rotaru c. Roumanie [GC], no 28341/95, § 55, CEDH 2000‑V). L’existence de règles claires et détaillées en matière d’interception de conversations apparaît donc indispensable, d’autant que les procédés techniques utilisables ne cessent de se perfectionner (Valenzuela Contreras, précité, § 46).

134. La Cour rappelle en outre que, puisque l’application de mesures de surveillance secrète des communications échappe au contrôle des intéressés comme du public, la « loi » irait à l’encontre de la prééminence du droit si le pouvoir d’appréciation accordé à l’exécutif ou à un juge ne connaissait pas de limite. En conséquence, la loi doit définir l’étendue et les modalités d’exercice d’un tel pouvoir avec une netteté suffisante pour fournir à l’individu une protection adéquate contre l’arbitraire (voir, parmi d’autres, Malone, précité, § 68, et Leander, précité, § 51).

135. Pour ce qui est des dispositions légales applicables en l’espèce, la Cour considère que l’exigence relative à l’accessibilité de la loi est remplie.

136. Elle observe que, en vertu du nouveau libellé de l’article 911 du CPP, l’autorité qui a compétence pour autoriser l’interception des communications est le président du tribunal qui serait compétent pour trancher l’affaire en premier ressort, donc une autorité indépendante. Ce n’est que dans une situation d’urgence, comme en l’espèce, que l’article 912 § 2 du CPP prévoit la possibilité pour le procureur d’autoriser l’interception des conversations. Toutefois, la Cour observe que le procureur doit rendre à cet effet une ordonnance motivée et, de plus, demander la confirmation du juge compétent dans un délai de vingt-quatre heures. Elle constate également que le juge doit confirmer ou infirmer rapidement la décision du procureur et que, en cas d’infirmation, il peut ordonner la destruction des enregistrements déjà réalisés. Dès lors, en vertu de l’article 911 du CPP dans sa teneur modifiée, l’autorisation est donnée ou contrôlée par une autorité indépendante (voir, a contrario, Calmanovici, précité, § 122 et suivants).

137. En l’espèce, il ressort clairement des pièces du dossier que, le 3 mai 2004, une ordonnance a été délivrée par le procureur pour permettre l’écoute des communications du requérant, comme l’exige expressément l’article 912 § 2 du CPP. Cette ordonnance indiquait les motifs sur lesquels le procureur fondait sa décision. Une autorisation provisoire a été délivrée pour vingt-quatre heures en vertu de cette ordonnance. Par la suite, conformément à l’article 912 § 3, cette ordonnance a été confirmée, à la demande du parquet, par la Haute Cour dans le délai requis de vingt-quatre heures par un arrêt rendu toujours le 3 mai 2004.

138. La Cour constate ensuite que la loi interne applicable offrait également d’autres garanties contre l’arbitraire (Valenzuela Contreras, précité, § 46, et Prado Bugallo c. Espagne, no 58496/00, § 30, 18 février 2003). Ainsi, l’article 911 § 2 du CPP énumérait très précisément dans quelles conditions les infractions pour la prévention desquelles l’interception de télécommunications pouvait être ordonnée. Quant à la durée des écoutes téléphoniques, la Cour note qu’une autorisation pouvait être donnée pour trente jours et être renouvelée pour des raisons bien fondées, et que la durée maximale des enregistrements était de quatre mois.

139. Concernant la procédure à suivre pour l’examen et l’utilisation des données recueillies, l’article 913 du CPP dans sa teneur modifiée indiquait clairement les limites et les précautions à respecter relativement à la transmission des données à d’autres autorités ainsi que les conditions dans lesquelles des enregistrements pouvaient ou devaient être effacés et leurs supports détruits.

140. La Cour constate également que les dispositions de cet article modifié permettent aux tribunaux et aux intéressés de vérifier dans le cadre d’une procédure pénale subséquente les transcriptions et les enregistrements. Ainsi, le procureur doit verser au dossier d’instruction du tribunal saisi d’une accusation pénale le support magnétique des enregistrements et les transcriptions, et les parties peuvent être autorisées à consulter ces enregistrements afin de vérifier la conformité des transcriptions. De même, les enregistrements peuvent être soumis à une expertise technique.

141. Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut que les dispositions des articles 911 et suivants du CPP renfermaient les garanties suffisantes contre une ingérence arbitraire, telles qu’elle les a définies dans sa jurisprudence. Partant, l’ingérence dans le droit du requérant au respect de sa vie privée découlant des dispositions litigieuses était « prévue par la loi ».

b) Quant au but et à la nécessité de l’ingérence

142. A l’instar du Gouvernement, la Cour estime que les mesures prises dans le cadre des articles 911 et suivants du CPP avaient effectivement pour but la prévention des infractions pénales, but légitime au regard de l’article 8 § 2 de la Convention. Il reste à rechercher si l’ingérence dénoncée était « nécessaire, dans une société démocratique, » à la réalisation de ce but.

143. La Cour rappelle que, lorsqu’elle doit mettre en balance l’intérêt de l’État défendeur à protéger la sécurité nationale au moyen de mesures de surveillance secrète et la gravité de l’ingérence dans l’exercice par un requérant de son droit au respect de sa vie privée, elle dit invariablement que les autorités nationales disposent d’une ample marge d’appréciation dans le choix des moyens de sauvegarde de la sécurité nationale (voir, notamment, Weber et Saravia, précité, § 106). Néanmoins, elle doit se convaincre de l’existence de garanties adéquates et suffisantes contre les abus, car un système de surveillance secrète destiné à protéger la sécurité nationale crée un risque de saper, voire de détruire, la démocratie au motif de la défendre (Klass et autres, précité, §§ 49-50, Leander, précité, § 60, Camenzind c. Suisse, 16 décembre 1997, § 45, Recueil 1997-VIII, et Lambert c. France, 24 août 1998, § 31, Recueil 1998‑V). Cette appréciation dépend de toutes les circonstances de la cause, par exemple la nature, l’étendue et la durée des mesures éventuelles, les raisons requises pour les ordonner, les autorités compétentes pour les permettre, les exécuter et les contrôler, et le type de recours fourni par le droit interne (Klass et autres, précité, § 50).

144. À cet égard, la Cour note d’abord qu’en l’espèce le mécanisme d’interception a été enclenché au motif que le requérant était soupçonné de corruption passive. Les sociétés démocratiques se trouvent menacées de nos jours par des formes très complexes de corruption, de sorte que les États doivent être capables, pour combattre efficacement ces infractions, de surveiller en secret les personnes susceptibles de commettre ce type d’infraction (Klass et autres, précité, § 48). La Cour doit donc admettre que l’existence de dispositions législatives accordant des pouvoirs de surveillance secrète des communications est, devant une telle situation, nécessaire dans une société démocratique à la prévention des infractions pénales.

145. La Cour observe ensuite que l’autorisation d’intercepter des conversations a été donnée par une ordonnance motivée du procureur et confirmée le jour même par une décision de la Haute Cour. Dans sa décision, la Haute Cour a examiné le bien-fondé de la décision du parquet à la lumière des documents sur lesquels il s’était appuyé lorsqu’il avait autorisé l’interception des communications. Il convient de noter également que l’interception pouvait être ordonnée pour trente jours et qu’en l’espèce elle a été ordonnée pour vingt-quatre heures.

146. Par ailleurs, pendant la procédure pénale, la Haute Cour et le requérant ont eu accès aux enregistrements, qu’ils ont pu écouter afin de vérifier le contenu des transcriptions. Le requérant a ainsi eu l’occasion de contester le contenu des transcriptions et la Haute Cour a répondu à ses allégations d’inexactitude de leur contenu.

147. Il convient de noter également que les dispositions légales applicables contiennent des précisions sur les circonstances dans lesquelles les informations obtenues par écoute téléphonique pouvaient être détruites. En outre, l’article 916 du CPP indiquait que les enregistrements pouvaient être soumis à une expertise technique. Quoi qu’il en soit, en l’espèce, le requérant n’a pas remis en cause l’authenticité des enregistrements le concernant.

148. A la lumière de ces considérations, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

149. Le requérant se plaint également de ne pas bénéficier au niveau interne d’une voie de recours qui lui permettrait de contester l’ingérence dans son droit au respect de la vie privée en raison des enregistrements de ses conversations. Il invoque l’article 13 de la Convention, aux termes duquel :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A. Sur la recevabilité

150. Le Gouvernement estime que le requérant n’a pas soulevé de grief défendable sous l’angle de l’article 8 de la Convention et que, dès lors, l’article 13 précité n’impose pas l’existence d’un recours au niveau interne.

151. Le requérant n’a pas présenté d’observations sur ce point.

152. La Cour rappelle que l’article 13 de la Convention n’entre en ligne de compte que lorsqu’un requérant a un « grief défendable » sous l’angle d’une autre disposition de la Convention ou de ses Protocoles (voir, parmi d’autres, Gebremedhin c. France, no 25389/05, § 53, CEDH 2007-II).

153. La Cour doit donc rechercher si le grief que le requérant tire de l’article 8 était « défendable ». Elle rappelle qu’un grief peut être considéré comme étant défendable dès lors qu’il n’est pas manifestement mal fondé et qu’il nécessite un examen au fond (Çelik et İmret c. Turquie, no 44093/98, § 57, 26 octobre 2004). Or le grief du requérant a été déclaré recevable par la Cour et un examen au fond a été effectué. En conséquence, bien que la Cour n’ait constaté aucune violation du droit reconnu au requérant par l’article 8 de la Convention, il échet de déterminer si la législation roumaine lui a ouvert un recours effectif devant une instance nationale, au sens de l’article 13 de la Convention (Klass, précité, § 65). Constatant ainsi que le présent grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

154. Le requérant estime qu’il n’a pas bénéficié au niveau interne d’un recours effectif susceptible de lui permettre de contester l’ingérence dans le droit au respect de sa vie privée qu’a constituée à ses yeux l’enregistrement de ses communications.

155. Le Gouvernement combat cette thèse et soutient que le requérant avait à sa disposition au niveau interne un recours suffisant et effectif à cet égard.

156. La Cour réaffirme que l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés de la Convention, tels qu’ils peuvent s’y trouver consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d’exiger un recours interne habilitant l’instance nationale compétente à connaître du contenu de tout « grief défendable » fondé sur la Convention et à offrir, le cas échéant, le redressement approprié, même si les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation quant à la manière de se conformer aux obligations que leur fait cette disposition (Jabari c. Turquie, no 40035/98, § 48, CEDH 2000‑VIII, et De Souza Ribeiro c. France [GC], no 22689/07, § 78, CEDH 2012).

157. La Cour vient de constater que la nouvelle teneur des articles 911 et suivants du CPP permet aux personnes mises sur écoute de demander aux juridictions nationales, dans le cadre des procédures pénales menées contre elles, de contrôler la légalité et l’applicabilité des mesures d’interception et de juger si les mesures de surveillance ordonnées étaient conformes à la loi. Elle rappelle que le requérant a soulevé son grief devant la Haute Cour et que celle-ci a examiné la légalité des enregistrements. En outre, elle relève que les tribunaux internes sont habilités à écarter des dossiers les enregistrements obtenus illégalement.

158. Dès lors, la Cour considère que le recours prévu par le droit roumain remplit les exigences de l’article 13 de la Convention. Partant, il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 13 combiné avec l’article 8 de la Convention.

IV. SUR LE MANQUEMENT ALLÉGUÉ DE L’ARTICLE 34 DE LA CONVENTION

159. Le requérant se plaint que l’avocat le représentant dans la procédure devant la Cour n’a pas eu accès aux enregistrements réalisés dans l’affaire. Il dénonce en outre l’article de presse publié par un membre du personnel de l’agent du Gouvernement, estimant que ses propos constituent un moyen de faire pression sur son avocat. Il invoque l’article 34 de la Convention, ainsi libellé :

« La Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à n’entraver par aucune mesure l’exercice efficace de ce droit. »

160. Le requérant indique que, même après la décision du président de la troisième section de la Cour, les autorités nationales ne lui ont pas permis d’accéder aux enregistrements de sorte que, à ses yeux, l’égalité des armes entre les parties a été rompue. Il indique que le Gouvernement a eu accès à ces enregistrements afin de présenter ses observations devant la Cour, alors que l’avocat le représentant dans la procédure devant la Cour n’a pas obtenu l’accès qu’il demandait pour pouvoir formuler ses observations dans le délai imparti par la Cour. Il ajoute que l’article de presse publié par un membre du personnel de l’agent du Gouvernement, qui faisait référence à l’un des griefs qu’il avait soumis à la Cour, constitue un moyen de pression de la part des autorités.

161. Le Gouvernement conteste les allégations du requérant. Il indique que l’agent du Gouvernement a informé la Haute Cour de la décision du président et que celle-ci a fixé plusieurs dates pour que le requérant et son avocat puissent consulter le dossier de l’affaire. Or, aux dires du Gouvernement, les intéressés n’ont pas respecté le programme établi par la Haute Cour : ils se seraient présentés une seule fois pour consulter le dossier et se seraient abstenus aux dates suivantes.

162. La Cour rappelle que, pour que le mécanisme de recours individuel instauré à l’article 34 soit efficace, il est de la plus haute importance que les requérants, déclarés ou potentiels, soient libres de communiquer avec la Cour, sans que les autorités ne les pressent en aucune manière de retirer ou modifier leurs griefs (Iambor c. Roumanie (no 1), no 64536/01, § 216, 24 juin 2008). À cette obligation négative s’ajoute une obligation positive, à savoir celle d’assurer les facilités nécessaires pour un examen approprié et effectif de la requête. Par exemple, dans certaines circonstances, les autorités peuvent avoir une obligation positive de fournir au requérant la copie des documents nécessaires pour l’examen de l’affaire. Une telle obligation existe dans le cas de requérants se trouvant dans une situation de vulnérabilité ou de dépendance et étant impuissants à obtenir les documents nécessaires pour l’examen de l’affaire (Iulian Popescu c. Roumanie, no 24999/04, § 33, 4 juin 2013).

163. La Cour rappelle également qu’aux termes de son règlement toute requête introduite en vertu de l’article 34 de la Convention doit être assortie « des copies de tous documents pertinents et en particulier des décisions, judiciaires ou autres, concernant l’objet de la requête » (article 47 § 1 h) ; à défaut, cette dernière « peut ne pas être examinée par la Cour » (article 47 § 4).

164. La Cour note que le requérant est en liberté depuis le 6 septembre 2004 et qu’il a été représenté par des avocats tout au long de la procédure pénale. Tant le requérant que ses avocats dans la procédure interne ont eu accès aux enregistrements en cause dans le cadre de la procédure pénale. En outre, l’avocat du requérant devant la Cour a eu accès à tous les documents écrits du dossier, y compris aux transcriptions des enregistrements. Une seule phrase du contenu de ces transcriptions a été contestée par le requérant devant les juridictions nationales, qui ont entendu les enregistrements et qui ont répondu aux allégations en question. Dès lors, la Cour estime que le requérant a bénéficié de suffisamment d’informations pour préparer sa défense devant elle. Par ailleurs, elle note qu’aucune justification n’a été donnée par l’intéressé pour son absence aux deux dernières dates fixées par la Haute Cour pour qu’il pût examiner le dossier (paragraphe 55 ci-dessus). La Cour note ensuite qu’elle-même n’a jamais demandé la production des enregistrements en cause.

165. Pour ce qui est de l’article incriminé, la Cour note que sa publication n’a aucunement empiété sur l’examen de la requête par la Cour.

166. Partant, la Cour conclut que les autorités roumaines n’ont pas manqué en l’espèce à leurs obligations au regard de la seconde phrase de l’article 34 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention pour ce qui est de l’assistance du requérant par un avocat lors du premier interrogatoire et de la provocation policière alléguée, et des articles 8 et 13 de la Convention pour ce qui est des enregistrements réalisés le 3 mai 2004 et le 4 mai 2004 (jusqu’à 8 heures), et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention pour ce qui est de la nécessité de l’assistance d’un avocat lors de la déclaration du requérant pendant la procédure de flagrant délit ;

3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention pour ce qui est des allégations de provocation policière ;

4. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention ;

5. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 8 de la Convention ;

6. Dit que l’État défendeur n’a pas manqué à ses obligations au regard de l’article 34 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 avril 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident


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