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18/03/2014 | CEDH | N°001-141799

CEDH | CEDH, AFFAIRE STARK c. ROUMANIE, 2014, 001-141799


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE STARK c. ROUMANIE

(Requête no 31968/07)

ARRÊT

STRASBOURG

18 mars 2014

DÉFINITIF

18/06/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Stark c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Dragoljub Popović,
Kristina Pardalos,
Johannes Silvis, r>Valeriu Griţco,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 févri...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE STARK c. ROUMANIE

(Requête no 31968/07)

ARRÊT

STRASBOURG

18 mars 2014

DÉFINITIF

18/06/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Stark c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Dragoljub Popović,
Kristina Pardalos,
Johannes Silvis,
Valeriu Griţco,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 février 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 31968/07) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Joseph Stark (« le requérant »), a saisi la Cour le 17 juillet 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme I. Cambrea, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant dénonce en particulier les mauvaises conditions de détention subies par lui dans la prison de Bucarest-Jilava.

4. Le 14 octobre 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1954 et réside actuellement à Bucarest.

A. La condamnation du requérant pour escroquerie, faux et usage de faux

6. En avril 2001, le requérant signa, en tant que représentant d’une société ayant son siège aux États-Unis, l’acte de vente d’un immeuble sis à Bucarest. Pour le paiement de son achat, le requérant utilisa une traite bancaire délivrée par une banque néerlandaise. Les vendeurs saisirent les organes de police de Bucarest d’une plainte pénale pour escroquerie, indiquant que la banque néerlandaise et la société au nom de laquelle le requérant avait signé l’acte n’existaient pas.

7. Parallèlement, le requérant fut soupçonné d’avoir acquis la propriété de différents biens immeubles à Bucarest au moyen de faux pouvoirs émis aux États-Unis en sa faveur par des citoyens roumains qui avaient été les propriétaires de biens immobiliers en Roumanie. Le parquet retint que le requérant avait utilisé lesdits pouvoirs afin de revendiquer la propriété d’immeubles nationalisés et d’en vendre. Le parquet retint également la vente par le requérant, en 2001, de deux maisons sises à Bucarest, appartenant à des tierces personnes, au moyen de faux pouvoirs. Il ressort des éléments du dossier que les affaires furent jointes.

8. Par un jugement du 21 septembre 2005, le tribunal départemental de Bucarest condamna le requérant à douze ans de prison ferme pour escroquerie, faux et usage de faux. Les juges conclurent, après avoir analysé les éléments de preuve (copies des actes de vente des immeubles, copies des pouvoirs, témoignages, déclarations, interrogatoires) que le requérant était à l’origine de la vente illégale de plusieurs biens immeubles au moyen de faux documents. Le tribunal ordonna également l’annulation des actes de vente frauduleusement conclus et condamna le requérant à dédommager les parties civiles à hauteur d’environ 50 000 EUR.

9. Le 14 février 2007, la cour d’appel de Bucarest, sur appel du requérant, cassa partiellement le jugement du 21 septembre 2005, réduisit la peine à dix ans de prison ferme et maintint les autres dispositions du jugement. Les juges de la cour d’appel estimèrent que, malgré la culpabilité et la malhonnêteté du requérant, qui était de plus récidiviste, la peine de douze ans était disproportionnée et qu’une réduction s’imposait. Il ressort des éléments du dossier que le requérant a purgé sa peine d’emprisonnement au centre de détention de Rahova jusqu’au 2 décembre 2008.

B. Les conditions de détention dans le centre de détention de Jilava

1. Les conditions de détention telles que décrites par le requérant

10. Le 2 décembre 2008, le requérant fut transféré à la prison de Bucarest-Jilava et placé dans la cellule no 511.

11. S’appuyant sur soixante photos prises par lui-même, il dénonce les conditions dans lesquelles il y séjourna. D’abord, cette cellule, qui d’après lui mesurait 28 m2 et était équipée de lits en fer rouillé surmontés de vieux matelas pleins de vermine, était occupée par une vingtaine de détenus. Ensuite, le système de chasse d’eau dans les toilettes y aurait été déficient, dégageant ainsi des odeurs nauséabondes. De surcroît, ce qui y tenait lieu de lavabo était un simple bac en béton, dont certains détenus se servaient comme d’un réfrigérateur.

12. Le requérant indique par ailleurs que la porte des toilettes était complètement détruite, que l’unique robinet était hors service, qu’au début de sa détention les douches restèrent plusieurs mois sans eau chaude, que par la suite il n’y eut d’eau chaude qu’une heure par semaine, pour une population de 300 détenus, et que la poubelle, placée à l’intérieur de la cellule, n’était pas vidée régulièrement et dégageait de fortes odeurs.

13. Il ajoute que le bas de la porte de la cellule permettait le passage des rats et des souris, qui selon lui étaient légion, tout comme les poux, les punaises et différentes espèces de cafards, que les fenêtres de la cellule étaient cassées et qu’elles laissaient pénétrer la pluie, que l’éclairage (une seule ampoule de 40 watts) était très faible et qu’il y avait une absence totale de linge de lit.

14. Enfin, il affirme que certains des 20 détenus partageant la même cellule avaient contracté la tuberculose, la syphilis ou l’hépatite, que certains détenus fumaient et que d’autres se droguaient à l’héroïne, que les médicaments dispensés pour le traitement des diverses affections étaient périmés, qu’il n’y avait aucune possibilité d’accès à un service d’urgence, que le seul service médical disponible consistait en un contrôle médical sommaire, que la consultation d’un stomatologue nécessitait un délai d’attente de huit mois à un an et que la nourriture était insuffisante.

2. Les conditions de détention telles que décrites par le Gouvernement

15. Le Gouvernement confirme que le requérant a été incarcéré le 2 décembre 2008 dans la prison de Bucarest-Jilava (cellule no 511). S’appuyant sur une lettre de l’administration nationale des prisons (ANP) en date du 20 octobre 2010, il indique que le requérant a été libéré le 29 juin 2010.

16. Il expose que la cellule en cause mesurait 42,84 m², qu’elle était pourvue de deux fenêtres (135 x 62 cm et 135 x 135 cm) et qu’elle était équipée de deux toilettes séparées par un mur et accessibles par une porte. Il affirme ne pas détenir d’informations exactes quant au nombre de lits que comptait la cellule, mais explique que des lits supplémentaires pouvaient être ajoutés en fonction du nombre de détenus incarcérés. Quant au nombre moyen des codétenus du requérant, il fournit des chiffres allant de 14 à 18 pour la période comprise entre décembre 2008 et juin 2010.

17. Le Gouvernement indique par ailleurs qu’un espace destiné à la conservation des denrées alimentaires non périssables était prévu dans la cellule, que dans cette section de la prison les détenus disposaient également de deux réfrigérateurs, que la prison bénéficiait d’un système de chauffage, que les détenus avaient accès, deux fois par semaine, à un espace sanitaire comprenant 11 douches, que selon les informations fournies par l’ANP les détenus avaient l’obligation de veiller à la bonne hygiène de leur cellule et des toilettes, que des draps furent mis à la disposition du requérant, que les locaux étaient désinfectés une fois par trimestre au moins, que le régime alimentaire dont le requérant a bénéficié dans cette prison répondait aux normes imposées par le ministère de la Justice, et, enfin, qu’il était formellement interdit aux détenus de fumer dans les cellules et que les fumeurs avaient accès à des endroits spécialement aménagés à cet effet.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

18. Les dispositions pertinentes de la loi no 275/2006 sur les droits des personnes détenues, ainsi que les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) rendues à la suite de plusieurs visites effectuées dans des prisons de Roumanie, tout comme ses observations à caractère général, sont résumées dans les arrêts Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 113‑129, 24 juillet 2012) et Cucu c. Roumanie (no 22362/06, § 56, 13 novembre 2012).

19. Le CPT a dressé un état des lieux détaillé de la situation rencontrée dans les différents établissements pénitentiaires roumains visités en janvier 1999 et en juin 2006, dont la prison de Bucarest-Jilava. Dans son rapport publié le 11 décembre 2008 à la suite de sa visite en juin 2006 dans plusieurs établissements pénitentiaires de Roumanie, le CPT s’est montré très préoccupé par le fait que le surpeuplement des prisons demeurait un problème persistant à l’échelon national. Qualifiant d’« atterrantes » les conditions matérielles de détention dans certaines cellules de la prison de Bucarest-Jilava en raison, notamment, du surpeuplement chronique, du manque constant de lits, des conditions d’hygiène déplorables et de l’insuffisance d’activités éducatives pour les détenus, le CPT a recommandé aux autorités roumaines de prendre des mesures immédiates afin de réduire de façon significative le taux d’occupation des cellules. La direction de la prison a attiré l’attention de la délégation du CPT sur le fait que les conditions matérielles étaient « extrêmement médiocres » dans l’ensemble de la prison.

20. Les extraits pertinents de la Recommandation no (2006)2 du Comité des Ministres aux États membres sur les règles pénitentiaires européennes, adoptée le 11 janvier 2006, sont décrites dans les arrêts Enea c. Italie ([GC], no 74912/01, § 48, CEDH 2009) et Rupa c. Roumanie (no 1) (no 58478/00, § 88, 16 décembre 2008).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

21. Dans une lettre du 4 mars 2009, le requérant dénonce les mauvaises conditions de détention dans la prison de Bucarest-Jilava. Il invoque l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Observation préliminaire

22. Le Gouvernement affirme que le requérant n’a jamais dénoncé, d’une manière explicite, les conditions de détention dans la prison de Bucarest‑Jilava. Selon le Gouvernement, les seuls documents relatifs aux conditions de détention dans cette prison sont des déclarations des codétenus du requérant et des photos que l’intéressé affirme avoir prises dans sa cellule.

23. Le requérant conteste la thèse du Gouvernement et affirme avoir régulièrement saisi la Cour du grief tiré de l’article 3 de la Convention dès l’envoi, le 17 juillet 2007, du formulaire de requête, dans lequel il aurait fait état des mauvaises conditions de détention dans les prisons roumaines. Quant aux soixante photographies en cause, le requérant affirme les avoir prises dans la cellule no 511 à l’aide de son téléphone portable. À cela s’ajoutent, selon le requérant, dix déclarations rédigées par ses codétenus et confirmant ses dires.

24. La Cour note que, dans son formulaire de requête du 17 juillet 2007, le requérant critiquait en général les conditions de sa détention dans les centres de détention où il a été incarcéré. Par ailleurs, le 4 mars 2009, le requérant a dénoncé dans ces termes les conditions de détention qui auraient été les siennes dans la prison de Bucarest-Jilava : « (...) j’ai été transféré dans une prison, (...) qui est une bombe bactériologique. Ici, les conditions de détention sont pires que tout ce qu’on peut imaginer, pires que celles des camps de concentration, (...) je suis constamment soumis à des mauvais traitements dus à la souffrance physique et à des traitements dégradants. » De même, dans sa lettre du 29 septembre 2009, le requérant décrivait ainsi les conditions matérielles de détention dans la cellule no 511 : « (...) il y a environ 20 codétenus, parfois 22, dans une cellule de 28 m², les toilettes ne fonctionnent pas, la cloison de séparation n’existe plus, il y une puanteur insupportable, une douche d’eau chaude n’est disponible qu’une fois par semaine, pendant une heure, pour 300 détenus, il y a des rats, des poux, des cafards ; je partage la cellule avec des détenus fumeurs (...) ». Pour étayer ses affirmations, le requérant a fourni 60 photographies.

25. La Cour note que ces trois documents ont été envoyés au Gouvernement, qui a eu la faculté de soumettre ses observations à cet égard. Dans ces conditions, la Cour s’estime bien saisie par le requérant du grief portant sur les mauvaises conditions de sa détention dans la prison de Bucarest-Jilava où il a été incarcéré.

B. Sur la recevabilité

26. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

C. Sur le fond

27. Le requérant estime que les mauvaises conditions de sa détention dans la prison de Bucarest-Jilava ont constitué des traitements inhumains et dégradants, contraires à l’article 3 de la Convention.

28. Le Gouvernement considère que les conditions de détention subies par le requérant n’ont pas atteint le seuil de gravité requis pour que l’article 3 de la Convention trouve à s’appliquer. Renvoyant à l’exposé des faits (paragraphes 15-17 ci‑dessus), il considère que les autorités internes ont pris toutes les mesures nécessaires afin d’assurer au requérant des conditions de détention adéquates.

29. La Cour rappelle que, si les mesures privatives de liberté impliquent habituellement pour un détenu certains inconvénients, son incarcération ne lui fait toutefois pas perdre le bénéfice des droits garantis par la Convention.

30. Elle rappelle en outre que, lorsque la surpopulation carcérale atteint un certain niveau, le manque d’espace dans un établissement pénitentiaire peut constituer l’élément central à prendre en compte dans l’appréciation de la compatibilité d’une situation donnée avec l’article 3 de la Convention (voir, en ce sens, Ciucă c. Roumanie, no [34485/09](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2234485/09%22%5D%7D), § 41, 5 juin 2012, et Pavalache c. Roumanie, no [38746/03](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2238786/03%22%5D%7D), § 94, 18 octobre 2011).

31. Faisant application des principes susmentionnés à la présente affaire, la Cour se penchera sur le facteur qui est primordial en l’espèce, à savoir l’espace personnel dont le requérant disposait à la prison de Bucarest-Jilava où il a été incarcéré.

32. Il ressort des données communiquées par le Gouvernement relativement aux superficies des cellules et au nombre de lits dans la cellule no 511 que le requérant a disposé, pendant la majeure partie du temps passé dans cette prison, d’un espace personnel allant de 2,38 m² à 3,06 m², superficie dont il faut déduire l’encombrement du mobilier.

33. La Cour en conclut que, pendant la durée de sa détention à la prison de Bucarest-Jilava, à savoir environ un an et six mois, le requérant a disposé d’un espace individuel bien inférieur à la norme recommandée par le CPT.

34. La Cour rappelle avoir déjà conclu à plusieurs reprises à l’égard de la Roumanie à la violation de l’article 3 de la Convention en raison de conditions de détention inappropriées dans la prison de Bucarest-Jilava (Eugen Gabriel Radu c. Roumanie, no 3036/04, §§ 29-31, 13 octobre 2009, Flamînzeanu c. Roumanie, no [56664/08](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2256664/08%22%5D%7D), §§ 94-95, 12 avril 2011, et Iacov Stanciu, précité, §§ 113-129).

35. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour estime qu’en l’espèce l’État, par le biais de ses organes spécialisés, n’a pas déployé tous les efforts nécessaires afin que les conditions de détention du requérant soient compatibles avec le respect de la dignité humaine et que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention. Elle estime qu’un surpeuplement aussi grave ne peut qu’accroître les difficultés des autorités et des détenus à maintenir un niveau d’hygiène correct (Ion Ciobanu c. Roumanie, no [67754/10](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2267754/10%22%5D%7D), § 42, 30 avril 2013).

36. De l’avis de la Cour, les conditions de détention subies par le requérant ont atteint le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention.

37. Compte tenu de ce constat, la Cour n’estime pas nécessaire de se prononcer davantage sur la partie du grief relative à l’exposition au tabagisme passif (Flamînzeanu, précité, § 99).

38. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

39. Le requérant se plaint d’autres violations sur le terrain des articles 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 13, 14 et 17, de l’article 1 du Protocole no 1 et de l’article 1 du Protocole no 4 à la Convention.

40. Compte tenu de l’ensemble des éléments dont elle dispose, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par les articles de la Convention. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

41. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

42. Le requérant réclame 713 828 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’il aurait subi entre 2003 et 2005 à la suite de la confiscation ou de l’expropriation d’une partie de ses biens. Au titre du préjudice moral, il réclame 80 millions d’EUR en raison de la souffrance et de la détresse que lui auraient causées les traitements dégradants auxquels il dit avoir été soumis pendant sa détention. Il réclame en outre différents montants allant de 5 millions d’EUR à 115 500 000 EUR pour la « terreur » subie par sa fille et son épouse pendant l’enquête pénale dirigée à son encontre.

43. Le Gouvernement demande à la Cour de rejeter la demande de réparation du préjudice matériel faute de lien, à ses yeux, entre les préjudices en question et les violations alléguées. Pour ce qui est du dommage moral, le Gouvernement s’oppose à la réparation des préjudices qu’auraient subis l’épouse et la fille du requérant. Quant au préjudice allégué au titre de l’article 3 de la Convention concernant la souffrance et la détresse du requérant pendant son incarcération, le Gouvernement estime que le constat éventuel d’une violation de l’article 3 de la Convention constituerait une satisfaction équitable suffisante. En tout état de cause, il considère que la somme exigée est excessive au regard de la jurisprudence de la Cour en la matière.

44. La Cour rappelle qu’elle a conclu en l’espèce à la violation de l’article 3 de la Convention. Elle n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et les dommages matériels allégués et rejette cette demande. La Cour considère en revanche que le requérant a subi, du fait de ses conditions de détention, un préjudice moral qu’il convient de réparer. Compte tenu des circonstances de l’affaire et statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle estime qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 4 000 EUR pour dommage moral.

B. Frais et dépens

45. Le requérant demande également 40 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour (traductions, courrier, photocopies). Il ne présente aucun justificatif en ce sens. Pour les honoraires d’avocat, il n’avance aucun montant et indique vouloir fournir des détails par l’intermédiaire de son représentant.

46. Le Gouvernement indique que les frais allégués ne sont pas étayés.

47. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no [31107/96](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2231107/96%22%5D%7D), § 54, CEDH 2000-XI). En l’espèce, compte tenu de sa jurisprudence et en l’absence de justificatifs, la Cour rejette cette demande.

C. Intérêts moratoires

48. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 3 de la Convention relativement aux conditions de détention à la prison de Bucarest-Jilava de décembre 2008 à juin 2010 et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

3. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 4 000 EUR (quatre mille euros) plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 18 mars 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-141799
Date de la décision : 18/03/2014
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant;Traitement inhumain) (Volet matériel)

Parties
Demandeurs : STARK
Défendeurs : ROUMANIE

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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