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25/02/2014 | CEDH | N°001-141171

CEDH | CEDH, AFFAIRE OSTACE c. ROUMANIE, 2014, 001-141171


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE OSTACE c. ROUMANIE

(Requête no 12547/06)

ARRÊT

STRASBOURG

25 février 2014

DÉFINITIF

25/05/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Ostace c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Dragoljub Popović,
Luis López Guerra,
Johannes Silv

is,
Valeriu Griţco,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 f...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE OSTACE c. ROUMANIE

(Requête no 12547/06)

ARRÊT

STRASBOURG

25 février 2014

DÉFINITIF

25/05/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Ostace c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Dragoljub Popović,
Luis López Guerra,
Johannes Silvis,
Valeriu Griţco,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 février 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 12547/06) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Augustin Ostace (« le requérant »), a saisi la Cour le 16 mars 2006 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme I. Cambrea, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant allègue en particulier que le refus opposé par les tribunaux de prendre en compte la réalité biologique résultant d’une preuve nouvellement acquise démontrant qu’il n’était pas le père de H.-A., dont la paternité légale lui avait été attribuée plus de vingt ans auparavant, aurait emporté violation de l’article 8 de la Convention à son égard.

4. Le 23 juin 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1952 et réside à Leverkusen, en Allemagne.

A. L’action en recherche de paternité formée contre le requérant

6. Par jugement du 6 mars 1981 du tribunal de première instance de Bistriţa-Năsăud, le requérant fut déclaré père de l’enfant H.-A., né le 17 avril 1980, à la suite d’une action en recherche de paternité, formée par la mère de l’enfant. Ce jugement était fondé sur des témoignages qui attestaient d’une liaison entre la mère de l’enfant et le requérant et sur une expertise médico‑légale des groupes sanguins qui indiquait que la paternité de l’enfant était indécise à l’égard du requérant (paternitate nedecisă), mais qu’on ne pouvait pas totalement exclure qu’il soit le père biologique de l’enfant.

Ledit jugement fut confirmé, sur pourvoi en recours du requérant, par un arrêt du 6 mai 1981 du tribunal départemental de Bistriţa-Năsăud.

7. En 2003, le requérant obtint le consentement de H.-A., devenu majeur, pour que tous les deux se soumettent à une expertise médico-légale extrajudiciaire afin d’établir s’il était son père biologique.

8. Le 14 juillet 2003, l’Institut national de médecine légale « Mina Minovici » de Bucarest indiqua au requérant qu’à la suite des nouveaux tests de paternité effectués, il était exclu, du point de vue biologique, que H.-A. soit son enfant.

9. Se fondant sur ce rapport d’expertise, le requérant saisit le tribunal de première instance de Năsăud d’une demande de révision du jugement du 6 mars 1981. Il indiqua qu’il avait auparavant été objectivement impossible pour lui de produire la preuve de la réalité biologique excluant qu’il soit le père de H.-A. Il indiqua également qu’à l’époque de l’action en recherche de paternité ses demandes formées devant les tribunaux d’effectuer une contre-expertise judiciaire avaient toutes été rejetées.

10. Par jugement du 11 septembre 2003, le tribunal de première instance déclara la demande de révision irrecevable, au motif qu’elle ne remplissait pas les conditions de recevabilité prévues par l’article 322 du code de procédure civile. Le tribunal considéra que le rapport d’expertise médico‑légale du 14 juillet 2003 ne constituait pas un document (înscris) qui existait au moment du jugement de 1981 dont la révision était demandée et dont les parties n’avaient pas eu connaissance, au sens de l’article 322, point 5.

11. Le requérant fit appel, puis se pourvut en recours contre ce jugement. Il fonda ses appel et pourvoi en recours sur la nécessité de rétablir la vérité sur sa paternité du point de vue légal et de préserver les intérêts successoraux de sa famille légitime. Il fit valoir qu’en 1981, en Roumanie, les possibilités de la science étaient bien plus limitées en matière d’établissement de la filiation biologique, de sorte qu’à l’époque le tribunal n’avait pas pu fonder sa décision sur une preuve scientifique incontestable. De même, il indiqua, dans son pourvoi en recours que lorsqu’ils avaient tranché le fond de l’action de recherche de paternité, les tribunaux n’avaient pas accédé à sa demande d’expertise supplémentaire et qu’à l’époque une expertise extra-judiciaire n’était pas permise par la loi. En outre, il avait indiqué qu’avant 2003, il n’avait pas réussi à obtenir le consentement de H.-A. et de sa mère pour que H.-A. se soumette à une nouvelle expertise médico-légale. Devant la cour d’appel, le requérant allégua qu’à l’époque du régime totalitaire régnant dans le pays avant 1989, une décision judiciaire rendue dans une action en recherche de paternité était considérée comme une sanction pour la non‑reconnaissance volontaire de la paternité.

12. L’appel et le pourvoi en recours formés par le requérant furent rejetés et le jugement du 11 septembre 2003 fut confirmé par décisions des 28 novembre 2003 et 16 février 2006, toutes les deux rendues par la cour d’appel de Cluj. Dans sa décision rendue le 28 novembre 2003, la cour d’appel rejeta l’appel interjeté par le requérant au motif que les conditions exigées par l’article 322, point 5 du code de procédure civile pour la recevabilité d’une demande de révision n’étaient pas remplies en l’espèce, dès lors que le rapport d’expertise médico-légale invoqué par le requérant ne représentait pas un document (înscris), au sens de cet article.

13. Le 23 août 2005, la Haute Cour de Cassation et de Justice, qui avait été saisie par le pourvoi en recours du requérant contre la décision du 28 novembre 2003, renvoya l’affaire à la cour d’appel de Cluj, à la suite de la modification des règles de compétence des tribunaux, apportée par la loi no 219 du 6 juillet 2005. Dans son arrêt rendu le 16 février 2006, la cour d’appel justifia le rejet du pourvoi en recours du requérant par le fait qu’une action civile, voire une voie de recours extraordinaire, comme la révision, ne pouvaient être exercées que dans les conditions établies par la loi.

B. Les informations fournies au Gouvernement par l’Institut national de médecine légale

14. Par lettre du 18 octobre 2011, l’Institut national de médecine légale « Mina Minovici » fournit à l’agent du Gouvernement auprès de la Cour des informations selon lesquelles l’expertise réalisée en 2003 au sujet de la paternité biologique du requérant n’était pas réalisable en 1981.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. L’ancien code de la famille et le nouveau code civil

15. Le droit substantiel pertinent en vigueur à l’époque des faits et jusqu’à l’entrée en vigueur, le 1er octobre 2011, du nouveau code civil était le code de la famille, complété par des décisions de la Cour constitutionnelle. Le nouveau code civil a apporté des changements législatifs importants notamment à l’égard de la prescription des actions civiles dans le domaine de la filiation.

1. Dispositions concernant l’action en recherche de paternité

16. L’article 56 du code de la famille, en vigueur à l’époque des faits, tant en 1981 qu’en 2003, prévoyait que la filiation à l’égard du père de l’enfant né hors mariage pouvait être établie par une déclaration de reconnaissance de la part du père ou par décision de justice. La déclaration de reconnaissance pouvait être faite devant le service de l’état civil ou par acte authentique, ou par testament.

17. En vertu de l’article 59 du code de la famille, l’action en recherche de paternité de l’enfant né hors mariage appartenait à l’enfant et pouvait être introduite en son nom par sa mère ou par son représentant légal. L’article 60 prévoyait que cette action pouvait être introduite dans un délai d’un an à compter de la naissance de l’enfant, soit, dans le cas de la cohabitation de la mère de l’enfant avec le père présumé, à partir de la fin de cette cohabitation.

18. Le nouveau code civil entré en vigueur en 2011 prévoit dans son article 427 que cette action n’est pas prescriptible tout au long de la vie de l’enfant.

2. Dispositions concernant la reconnaissance de la paternité et l’action en contestation de paternité

19. Selon le droit en vigueur à l’époque des faits, la reconnaissance de la paternité d’un enfant né hors mariage pouvait être contestée par toute personne y ayant intérêt (article 58 du code de la famille). L’action était imprescriptible (voir la décision no 1554 du 7 décembre 2010 de la Cour Constitutionnelle).

20. L’action en contestation de paternité (acţiunea în tăgada paternităţii) pouvait être introduite uniquement par l’époux de la mère de l’enfant né dans le cadre du mariage (article 54 du Code de la famille). Par la décision no 349/2001 du 19 décembre 2001, la Cour Constitutionnelle a jugé que cette disposition, qui excluait la possibilité que la mère ou l’enfant lui-même contestent la paternité non conforme à la réalité biologique, était contraire à la Constitution.

21. Le délai de prescription de cette action en contestation de paternité était de six mois à partir du moment où le père présumé avait pris connaissance de la naissance de l’enfant (article 55 du code de la famille). Cette disposition légale a fait l’objet de plusieurs questions préliminaires de constitutionnalité, dont certaines étaient fondées sur la discrimination entre les titulaires de l’action, ou bien une discrimination par rapport à l’action imprescriptible en contestation d’une reconnaissance de paternité, prévue par l’article 58. La Cour Constitutionnelle rejeta toutes les exceptions d’inconstitutionnalité, en considérant qu’il n’y avait pas de discrimination et que, grâce à un délai aussi court, l’intérêt supérieur de l’enfant consistant dans la certitude sur son état civil était protégé (décisions nos 453/2003 du 2 décembre 2003, 390/2005 du 12 juillet 2005, 538/2005 du 18 octobre 2005, 646/2006 du 5 octobre 2006 de la Cour Constitutionnelle). La dernière de ces décisions de la Cour Constitutionnelle était accompagnée d’une opinion dissidente, selon laquelle l’action en contestation de paternité devrait être imprescriptible ou bien qu’un seul et même délai de prescription devrait être applicable à tous les titulaires de l’action.

22. L’article 55 du code de la famille fut modifié par la loi no 288/2007 publiée au journal officiel no 749 du 5 novembre 2007 pour établir un délai de prescription de trois ans, au lieu de six mois, pour l’action en contestation de paternité de l’enfant né dans le cadre du mariage. Ce délai commençait à courir au moment où le père apprend la naissance de l’enfant.

23. Cette disposition légale a fait l’objet de plusieurs questions préliminaires de constitutionnalité, dont certaines étaient fondées sur la discrimination par rapport à l’action imprescriptible en contestation d’une reconnaissance de paternité, prévue par l’article 58. La Cour Constitutionnelle rejeta toutes ces exceptions d’inconstitutionnalité, en considérant qu’il n’y avait pas de discrimination et que, par un délai qui était raisonnablement long, par rapport à l’ancienne version du code de la famille, l’intérêt supérieur de l’enfant consistant dans la certitude sur son état civil était ainsi protégé (décisions nos 582/2010, 1033/2010, 1328/2010 et 1554/2010 des 4 mai, 14 septembre, 19 octobre et 7 décembre 2010 de la Cour Constitutionnelle).

24. La première question préliminaire de constitutionnalité, concernant le calcul du délai de prescription de trois ans, établi par la nouvelle loi, fut soulevée d’office par le tribunal départemental de Galaţi. Le tribunal estima que la loi en vigueur enfreignait l’article 8 de la Convention, dans la mesure où la vie de famille fondée sur la réalité sociale et biologique se trouvait mise en échec par une présomption légale. De ce fait, le tribunal jugea que le délai de prescription de trois ans ne devrait pas être calculé à partir du moment où le père apprenait la naissance de l’enfant mais à partir du moment où il apprenait l’existence de circonstances de nature à exclure sa paternité.

25. En vertu des articles 430-433 du nouveau code civil, l’action en contestation de paternité de l’enfant né dans le cadre du mariage est imprescriptible à l’égard de l’enfant et du père biologique. En revanche, elle est prescriptible dans un délai de trois ans, à l’égard de la mère et de l’époux de cette dernière, qui est présumé père. Dans le cas de ce dernier, le délai de prescription est calculé à partir de la date à laquelle le père présumé apprend qu’il est présumé être le père de l’enfant ou à partir d’une date postérieure à la première, à laquelle le père présumé apprend que cette présomption ne correspond pas à la réalité (article 430 § 1).

B. Le code de procédure civile

26. Les dispositions du code de procédure civile sur la révision des décisions de justice en vigueur à l’époque des faits, à savoir au moment de l’introduction par le requérant de sa demande de révision, sont partiellement reprises dans les arrêts Lungoci c. Roumanie (no 62710/00, § 28, 26 janvier 2006) et Stanca Popescu c. Roumanie, (no 8727/03, § 60, 7 juillet 2009) et dans la décision I.L.V. c. Roumanie ((déc.), no 4901/04, § 20, 24 août 2010).

Article 322

« La révision d’une décision rendue en appel ou devenue définitive faute d’appel, ainsi que d’une décision rendue en recours lorsqu’elle tranche le fond, peut être demandée :

(...)

4. si un juge, un témoin ou un expert qui avait participé à la procédure a été définitivement condamné pour avoir commis une infraction concernant l’affaire en question ou si la décision en cause a été rendue sur la base d’un document déclaré faux pendant l’instance ou par la suite ; dans le cas où il n’est plus possible de constater ladite infraction par la voie d’une décision pénale, l’instance qui examine la demande en révision doit se prononcer tout d’abord, par incident d’instance, sur l’existence ou l’inexistence de l’infraction.

5. Si des documents (înscrisuri doveditoare) sont produits après la décision en cause, et qu’ils avaient été retenus par la partie adverse, ou n’avaient pas pu être présentés au tribunal en raison d’un événement étranger à la volonté des parties, ou si une décision ayant servi de fondement à la décision dont la révision est demandée est cassée ou modifiée.

(...) »

Selon la jurisprudence constante des juridictions roumaines, citée dans l’arrêt Lungoci (précité, § 28), les « documents » nécessaires pour la révision d’une décision définitive doivent exister à la date de l’adoption de la décision attaquée. N’est pas considéré comme tel un acte délivré après ladite date.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

27. Invoquant l’article 8 de la Convention, le requérant se plaint de l’impossibilité d’obtenir la reconnaissance en justice du fait qu’il n’est pas le père de H.-A., alors que l’expertise médico-légale qu’il a pu réaliser en 2003 avec le consentement de son fils putatif, devenu majeur, a clairement exclu sa paternité.

28. Le Gouvernement combat cette thèse. Selon lui, le refus des autorités d’autoriser la réouverture de la procédure en recherche de paternité est motivé par le souci de la protection des intérêts de l’enfant et de la famille et respecte les exigences de protection de la sécurité juridique.

29. L’article 8 de la Convention est invoqué. Cette disposition est ainsi libellée :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A. Sur la recevabilité

30. La Cour rappelle que la question de savoir si la procédure visant à dissoudre devant la loi des liens familiaux existants concernait la « vie familiale » du requérant n’a pas lieu, ici, d’être tranchée, dès lors qu’en tout état de cause la détermination des relations juridiques d’un père avec son enfant putatif relève de la « vie privée » de l’intéressé (İyilik c. Turquie, no 2899/05, § 23, 6 décembre 2011).

31. L’article 8 de la Convention est dès lors applicable aux faits de l’espèce.

32. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

33. La Cour rappelle que, si l’article 8 de la Convention tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il n’impose pas seulement aux États de s’abstenir de telles ingérences ; il peut engendrer de surcroît des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale. La frontière entre les obligations positives et négatives de l’État au titre de cette disposition ne se prête pas à une définition précise. Les principes applicables sont néanmoins comparables. Dans les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble ; de même, dans les deux hypothèses, l’État jouit d’une certaine marge d’appréciation (Shofman c. Russie, no 74826/01, §§ 33-34, 24 novembre 2005).

34. La Cour rappelle également qu’elle n’a point pour tâche de se substituer aux autorités nationales compétentes pour trancher les litiges touchant aux relations des individus entre eux au niveau national, mais d’examiner sous l’angle de la Convention les décisions que ces autorités ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire (voir, par exemple, Mikulić c. Croatie, no 53176/99, § 59, CEDH 2002‑I).

35. En l’espèce, la Cour note qu’en 1980, peu après la naissance de H.‑A., la mère de ce dernier assigna en justice le requérant par une action en recherche de paternité. Cette action a été accueillie sur la base des témoignages qui attestaient d’une liaison entre la mère de l’enfant et le requérant, bien que l’expertise médicolégale ayant effectué la comparaison des groupes sanguins des intéressés n’ait pas prouvé avec certitude qu’il était le père de son fils putatif (paragraphe 6 ci-dessus).

36. Ultérieurement, à la suite d’une expertise médico-légale extrajudiciaire réalisée avec l’accord de H.-A. indiquant qu’il était exclu qu’il soit son père biologique, le requérant demanda la révision de la décision de 1981 en se fondant essentiellement sur l’article 322, point 5 du code de procédure civile qui prévoit la possibilité de réouverture d’une procédure lorsque l’impossibilité de présenter des documents lors de la procédure initiale relevait d’un événement étranger à la volonté des parties.

37. La demande du requérant fut déclarée irrecevable par les juridictions nationales, au motif que la condition définie par la jurisprudence, selon laquelle lesdits documents devraient déjà exister au moment de la procédure initiale n’était pas remplie.

38. La Cour relève que les parties ne contestent pas que le rejet par les juridictions nationales de la demande du requérant de réouverture de la procédure en recherche de paternité était « prévu par la loi » et qu’il poursuivait un but légitime.

39. Il reste à déterminer si, dans les circonstances de l’espèce, la décision litigieuse était « nécessaire dans une société démocratique ».

40. La Cour rappelle avoir déjà jugé, dans plusieurs affaires relatives à des présomptions légales de paternité, qu’une situation dans laquelle il était impossible de faire prévaloir la réalité biologique sur une présomption légale de paternité n’était pas compatible avec l’obligation de garantir le respect effectif de la vie privée et familiale, même eu égard à la marge d’appréciation dont jouissent les États (Mizzi c. Malte, no 26111/02, § 113, CEDH 2006‑I (extraits) ; Shofman, précité, § 45).

41. À la différence de ces affaires, en l’espèce, il ne s’agit pas d’une présomption légale de paternité mais de l’établissement de la paternité du requérant par une décision de justice définitive, à la suite d’une procédure en recherche de paternité.

42. Toutefois, la Cour a également conclu à la violation de l’article 8 de la Convention dans des affaires dans lesquelles les requérants n’avaient aucune possibilité de contester, à la lumière de preuves biologiques nouvelles, la déclaration judiciaire, par décision de justice définitive, de leur paternité (Paulík c. Slovaquie, no 10699/05, § 46, CEDH 2006‑XI, et Tavlı c. Turquie, no 11449/02, § 36, 9 novembre 2006).

43. Or, tel est le cas en l’espèce. En effet, en vertu du droit interne applicable, le requérant n’a aucune possibilité de contester la déclaration judiciaire de sa paternité. La Cour est disposée à admettre que l’absence d’un mécanisme juridique permettant au requérant de protéger son droit au respect de sa vie privée peut s’expliquer de manière générale par l’« intérêt légitime » de garantir la sécurité juridique et la stabilité des liens familiaux et par la nécessité de protéger les intérêts de l’enfant. Il reste à déterminer si, dans les circonstances particulières de l’espèce, un juste équilibre a été ménagé entre l’intérêt du requérant et l’intérêt général.

44. Le requérant souhaitait obtenir une révision de la déclaration judiciaire de paternité le concernant à la lumière de preuves biologiques dont il n’avait pas connaissance à l’époque de la première procédure en recherche de paternité. H.-A., qui est majeur, a lui-même consenti, ainsi que sa mère, au test ADN.

45. Dès lors, la Cour estime qu’en déclarant irrecevable sa demande de réouverture de la procédure en recherche de paternité de l’enfant né hors mariage, alors que tous les intéressés semblaient favorables à l’établissement de la vérité biologique concernant la filiation de H.-A., les autorités nationales n’ont pas eu égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts en présence (Tavlı, précité, § 36).

46. Elles ont, donc, porté une atteinte à ses droits protégés par l’article 8 de la Convention.

47. Il faut également rappeler que dans d’autres affaires connues par la Cour, l’action en justice entamée par les pères putatifs visait l’obtention d’une preuve afin de connaître la réalité biologique, en obligeant l’enfant putatif à se soumettre à un test biologique. Dans ces affaires, la Cour a attaché au fait qu’il n’y avait pas de preuve biologique contredisant la filiation légalement établie une importance décisive, lorsqu’elle a procédé à la mise en balance des intérêts en cause. Dans ce contexte, la Cour n’a pas estimé déraisonnable que les tribunaux internes donnent plus de poids aux intérêts de l’enfant et de la famille dans laquelle il vit qu’à ceux que peut avoir le requérant à vérifier un fait biologique (İyilik, précité, § 32, et la décision I.L.V. c. Roumanie, précitée, § 40).

48. Tel n’est toutefois pas le cas en l’espèce. En effet, contrairement à la situation présente dans les affaires İyilik et I.L.V. c. Roumanie, précitées, en l’espèce, le requérant est en possession d’un rapport d’expertise biologique, réalisé avec l’accord de H.-A. donné alors qu’il était devenu majeur, et prouvant qu’il n’était pas son père.

49. De plus, d’après les informations fournies par l’Institut national de médecine légale (paragraphe 14 ci‑dessus), la preuve scientifique qu’il a obtenue en 2003 ne lui était pas accessible avec les moyens disponibles en 1981.

50. Qui plus est, la Cour constate que la décision rendue en l’espèce par la juridiction nationale n’est pas conforme à l’évolution du droit roumain dans le domaine de la filiation, apportée notamment par le nouveau code civil. Cette évolution se montre favorable à la prévalence de la réalité biologique sur les fictions légales, en renonçant, par exemple, aux délais de prescription inflexibles. En effet, le nouveau code civil prévoit que, pour renverser la présomption de paternité d’un enfant né dans le cadre du mariage, le délai de prescription de l’action en contestation de paternité est calculé, pour le père présumé, à partir de la date à laquelle ce dernier a appris qu’il était présumé être le père de l’enfant ou à partir d’une date postérieure à la première, à laquelle il a appris que cette présomption ne correspondait pas à la réalité (paragraphe 24 ci‑dessus). Par ailleurs, selon le nouveau code civil, l’action en recherche de paternité est imprescriptible tout au long de la vie de l’enfant (paragraphe 18 ci‑dessus). Toutefois, cette évolution du droit roumain, étant intervenue après les faits de l’espèce, n’a pas pu profiter au requérant.

51. La Cour admet que la situation du requérant est peut-être différente à certains égards de celle des pères putatifs dont la paternité est présumée légalement mais n’a pas été déterminée judiciairement. Cependant, l’existence de différences entre plusieurs individus n’empêche pas leurs situations et leurs intérêts respectifs d’être suffisamment comparables (mutatis mutandis, Paulik, précité, § 54).

52. A la lumière de ce qui précède, la Cour conclut qu’il n’a pas été ménagé un juste équilibre entre les intérêts du requérant et ceux de la société, et que, partant, le système juridique interne n’a pas garanti comme il se devait le « respect de la vie privée » du requérant.

Il y a donc eu violation de l’article 8 de la Convention.

II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

53. Invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant se plaint de la durée de la procédure entamée en juillet 2003, tendant à la révision du jugement du 6 mars 1981, ainsi que de son iniquité, au motif que, tant son appel que son pourvoi en recours, ont été examinés par la même juridiction, à savoir la cour d’appel de Cluj.

Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, qui dispose ce qui suit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

54. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle l’article 6 de la Convention ne garantit pas le droit à la réouverture d’une procédure et est inapplicable à une procédure d’examen d’une demande tendant à la révision d’un procès civil, si cette demande est déclarée irrecevable (voir, parmi d’autres, Sablon c. Belgique, no 36445/97, § 86, 10 avril 2001, Steck‑Risch et autres c. Liechtenstein (déc.), no 29061/08, 11 mai 2010, et Hurter c. Suisse, (déc.), no 48111/07, 15 mai 2012).

Au vu de cette jurisprudence, la Cour estime que l’article 6 ne s’applique pas à la procédure concernant la demande de révision litigieuse.

Il s’ensuit que ces griefs sont incompatibles ratione materiae avec les dispositions de la Convention, au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention, et doivent être rejetés en application de l’article 35 § 4.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

55. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

56. Le requérant réclame 300 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi. Il réclame également 31 271 EUR au titre du préjudice matériel représentant la valeur de la pension alimentaire payée entre 1980 et 1998.

57. Le Gouvernement estime que le montant demandé au titre du préjudice moral est excessif et que le préjudice matériel n’a pas été suffisamment étayé.

58. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande (mutatis mutandis, Backlund c. Finlande (satisfaction équitable), no 36498/05, § 13‑15, 12 juillet 2011). En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 5 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

59. Le requérant demande également 5 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et pour ceux engagés devant la Cour.

60. Le Gouvernement considère que le requérant n’a pas justifié ce montant.

61. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession, notamment des documents attestant des déplacements du requérant de son domicile, en Allemagne, pour comparaître devant les tribunaux roumains, et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 3 000 EUR tous frais confondus et l’accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

62. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 8 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

3. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i) 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii) 3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 25 février 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-141171
Date de la décision : 25/02/2014
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Partiellement irrecevable;Violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8-1 - Respect de la vie privée);Dommage matériel - demande rejetée;Préjudice moral - réparation

Parties
Demandeurs : OSTACE
Défendeurs : ROUMANIE

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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