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16/01/2014 | CEDH | N°001-140289

CEDH | CEDH, AFFAIRE F.G. c. SUÈDE, 2014, 001-140289


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE F.G. c. SUÈDE

(Requête no 43611/11)

ARRÊT

STRASBOURG

16 janvier 2014

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 23/03/2016

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.




En l’affaire F.G. c. Suède,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ann Power-Forde,
André Potocki,
Paul Lemm

ens,
Helena Jäderblom, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 décembre 2013,

Rend...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE F.G. c. SUÈDE

(Requête no 43611/11)

ARRÊT

STRASBOURG

16 janvier 2014

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 23/03/2016

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.

En l’affaire F.G. c. Suède,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ann Power-Forde,
André Potocki,
Paul Lemmens,
Helena Jäderblom, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 décembre 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 43611/11) dirigée contre le Royaume de Suède et dont un ressortissant iranien, M. F.G. (« le requérant »), a saisi la Cour le 12 juillet 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le président de la section a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 4 du règlement).

2. Le requérant a été représenté par Me G. Donner, avocat à Stockholm. Le gouvernement suédois (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme H. Lindquist, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant alléguait en particulier que son expulsion vers l’Iran emporterait violation des articles 2 et 3 de la Convention.

4. Le 25 octobre 2011, le président de la section à laquelle l’affaire avait été attribuée a décidé d’appliquer l’article 39 du règlement de la Cour et a demandé au Gouvernement de ne pas expulser le requérant vers l’Iran pendant la durée de la procédure devant la Cour.

5. Le même jour, le 25 octobre 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Le requérant est un ressortissant iranien né en 1962. Il réside actuellement en Suède.

A. Genèse de l’affaire et procédures devant les autorités suédoises

7. Le 16 novembre 2009, le requérant demanda l’asile et une autorisation de séjour en Suède. Devant le bureau des migrations (Migrationsverket), il déclara ce qui est exposé ci-après. En Iran, il avait travaillé avec des personnes liées à différentes universités et connues pour leur opposition au régime. Pour l’essentiel, son activité avait consisté à créer et publier des pages web. Avec l’une des personnes concernées, il avait été arrêté en avril 2007. Il avait été remis en liberté au bout de vingt-quatre heures, puis hospitalisé pendant dix jours pour une hypertension artérielle. Avant les élections du 12 juin 2009, il avait travaillé avec le mouvement des Verts – qui avait soutenu la candidature de Moussavi au poste de président – en diffusant son message par Internet. La veille des élections, ses amis et lui avaient été arrêtés, interrogés et détenus au bureau de vote, jusqu’au lendemain. Après les élections, il avait pris part à des manifestations et à d’autres activités. Il avait été arrêté à nouveau en septembre 2009 et emprisonné pendant vingt jours. En octobre 2009, il avait été conduit devant le tribunal révolutionnaire, qui l’avait remis en liberté au bout d’un jour sous réserve qu’il coopérât avec les autorités et espionnât ses amis. Il avait accepté ces exigences et cédé ses locaux professionnels à titre de garantie. Il avait également donné l’assurance qu’il ne participerait à aucune manifestation et répondrait aux convocations. Après avoir été relâché dans un parc, il avait constaté que ses locaux professionnels avaient été fouillés. Il y conservait des documents politiquement sensibles, que les autorités avaient dû remarquer, et son passeport ainsi que d’autres documents avaient disparu. Le 2 novembre 2009, il avait été convoqué devant le tribunal révolutionnaire. Il avait contacté un ami, lequel avait obtenu l’aide d’un passeur pour lui permettre de quitter le pays. Après son arrivée en Suède, il s’était converti au christianisme. Il soumit notamment une citation à comparaître devant le tribunal révolutionnaire montrant qu’il avait été convoqué à la prison d’Evin, à Téhéran, le 2 novembre 2009.

8. Le 29 avril 2010, le bureau des migrations rejeta la demande du requérant. Elle déclara tout d’abord que l’intéressé n’avait pas prouvé son identité mais avait rendu probable son identité et sa citoyenneté. Concernant le récit livré par le requérant, le bureau estima que la participation à des manifestations ou l’affiliation au mouvement des Verts ne pouvaient pas en soi faire naître un risque de persécution, de mauvais traitements ou de châtiments lors du retour en Iran. Le bureau releva qu’au cours de la procédure le requérant avait changé certaines parties de son récit. Il avait notamment modifié ses déclarations concernant le nombre d’arrestations subies. De plus, il n’avait pas été en mesure de nommer le parc où on l’avait relâché. Le bureau y voyait donc des raisons de se demander si l’intéressé avait jamais été arrêté. Il considérait en outre que ses activités politiques avaient été limitées. Après l’interrogatoire de 2007 et jusqu’aux élections de 2009, le requérant avait pu continuer à travailler sur les pages web qui contenaient des éléments critiques alors même que les autorités étaient censées à cette époque être au courant de ses activités. Pour ces raisons, le bureau des migrations estima que le requérant ne pouvait pas intéresser les autorités en raison de ses activités et des documents en sa possession. Concernant sa conversion au christianisme, le bureau observa qu’il n’avait pas présenté de certificat de baptême et n’avait pas souhaité au départ invoquer son affiliation religieuse à l’appui de sa demande d’asile parce qu’il s’agissait à ses yeux d’une question d’ordre privé. Le bureau jugea que dans ces conditions il n’était pas vraisemblable que le requérant risquât d’être persécuté en Iran en raison de son affiliation religieuse. En conclusion, il constata que le requérant n’avait pas démontré qu’il avait besoin de protection en Suède.

9. Le requérant fit appel auprès du tribunal des migrations (Migrationsdomstolen). Il maintint ses griefs et ajouta les éléments ci-après. La raison pour laquelle il n’avait pas souhaité au début évoquer son affiliation religieuse était qu’il n’avait pas voulu banaliser le sérieux de sa foi. Il soumit un certificat de baptême au tribunal. Lors de l’audience, il ajouta que son ordinateur avait été saisi dans ses locaux professionnels pendant qu’il était en prison. Des documents critiques à l’égard du régime en place étaient stockés dans son ordinateur, car il avait visité certaines pages web et avait reçu par courriel des dessins caricaturaux. Il y avait donc suffisamment d’éléments pour prouver qu’il était un opposant au régime. La citation à comparaître devant le tribunal révolutionnaire fut présentée au tribunal des migrations. Le requérant n’avait plus ensuite reçu de nouvelle convocation et les membres de sa famille n’avaient pas été inquiétés, ou du moins n’avaient pas eu de problèmes dont ils eussent voulu l’accabler. Il ne prétendait pas que sa conversion constituât un motif de lui accorder l’asile mais soutenait qu’elle lui créerait clairement des problèmes en cas de retour en Iran.

10. Le 9 mars 2011, le tribunal des migrations rejeta l’appel formé par le requérant. Il ne mettait pas en doute son récit ni le fait que les incertitudes relevées par le bureau des migrations avaient reçu une explication satisfaisante. Cependant, concernant la citation à comparaître devant le tribunal révolutionnaire qui avait été soumise au bureau des migrations, le tribunal jugea que, sans considération de l’authenticité du document, celui-ci ne pouvait en soi étayer le besoin de protection du requérant. En effet, ce document était une simple convocation et aucun élément n’indiquait pourquoi le requérant devait se présenter à la prison d’Evin. S’agissant du récit livré par l’intéressé, le tribunal estima que les informations relatives à ses activités politiques étaient vagues et imprécises. Le requérant avait seulement déclaré avoir participé à la campagne de l’opposition avant les élections de 2009, en prenant part à des manifestations et en ayant des contacts avec des étudiants et le mouvement étudiant, qu’il avait aidés dans l’élaboration de leurs pages web. De plus, il avait déclaré que les documents qui étaient en sa possession à l’époque de son interrogatoire de 2007 n’étaient pas différents de ceux qu’il détenait en 2009. Ces circonstances, combinées au fait qu’il n’avait plus été convoqué devant le tribunal révolutionnaire après novembre 2009 et que sa famille n’avait pas été inquiétée, amenaient le tribunal à douter que la nature et la portée de ses activités politiques eussent pu entraîner les conséquences alléguées par le requérant. Le tribunal estima que l’intéressé avait exagéré l’importance et les conséquences de ses activités politiques, et donc l’intérêt que les autorités lui portaient. Pour ces raisons, le tribunal considéra que le requérant n’avait pas établi que les autorités iraniennes s’intéressaient particulièrement à lui ; dès lors, il n’avait pas besoin de protection.

11. Le requérant forma un recours auprès de la cour d’appel des migrations (Migrationsöverdomstolen). Le 8 juin 2011, celle-ci lui refusa l’autorisation de la saisir.

12. En septembre 2011, le requérant demanda au bureau des migrations de surseoir à l’exécution de l’arrêté d’expulsion et de réexaminer sa précédente décision à la lumière de faits nouveaux. Il déclara notamment qu’en Iran le fait de renoncer à l’islam pour se convertir à une autre religion était passible de la peine de mort.

13. Le 13 septembre 2011, le bureau des migrations estima qu’on ne lui avait soumis aucun fait nouveau propre à justifier un sursis à l’exécution de l’arrêté d’expulsion visant le requérant ou l’octroi à celui-ci d’une autorisation de séjour. Le bureau releva que pendant la procédure antérieure le requérant avait déclaré avoir été baptisé par une église chrétienne et s’être converti au christianisme, et également que sa conversion était une question d’ordre personnel qu’il ne souhaitait pas invoquer à l’appui de sa demande d’asile. Pour le bureau, il était surprenant que le requérant soulevât à présent la question de sa conversion alors qu’il avait eu la possibilité de développer ce point pendant l’audience devant le tribunal des migrations mais avait refusé de le faire.

14. Le requérant saisit le tribunal des migrations en maintenant ses allégations.

15. Le 6 octobre 2011, le tribunal des migrations le débouta. Il observa que les autorités étaient déjà au courant de la conversion de l’intéressé lors de la procédure antérieure. Cet élément, dès lors, ne pouvait pas être considéré comme un « fait nouveau ». Le fait que le requérant eût précédemment décidé de ne pas invoquer sa conversion à l’appui de sa demande d’asile ne changeait rien à l’appréciation du tribunal sur ce point.

16. Le requérant saisit la cour d’appel des migrations. Le 22 novembre 2011, celle-ci lui refusa l’autorisation de la saisir.

B. Application de l’article 39 du règlement de la Cour et développements ultérieurs dans l’affaire

17. Le 12 juillet 2011, le requérant introduisit sa requête auprès de la Cour et demanda à celle-ci d’appliquer l’article 39 de son règlement aux fins d’obtenir un sursis à l’exécution de son expulsion. Il déclara qu’il s’était opposé activement au régime iranien, avant et pendant les élections présidentielles de 2009. Qui plus est, il s’était converti au christianisme environ deux ans plus tôt. La conversion avait eu lieu avant toute décision relative à sa procédure d’asile. Renoncer à l’islam pour se convertir à une autre foi ou religion était sévèrement puni par le régime et la société iraniens.

18. À l’appui de ses griefs, le requérant soumit notamment copie d’un certificat daté du 13 avril 2011, par lequel un pasteur et un fidèle déclaraient qu’ils avaient fait la connaissance du requérant au cours de l’été 2010, que celui-ci s’était converti au christianisme et qu’il appartenait à leur paroisse depuis février 2011. Ces deux personnes indiquaient également que leurs offices religieux étaient diffusés sur Internet, ce qui d’après eux signifiait que tout un chacun avait accès aux retransmissions.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

19. Les principales dispositions applicables à l’espèce et régissant l’entrée et le séjour des étrangers sur le territoire suédois figurent dans la loi sur les étrangers, telle qu’en vigueur depuis le 1er janvier 2010.

20. Selon le chapitre 5, article 1, de cette loi, un étranger ayant obtenu le statut de réfugié ou ayant besoin de protection à un autre titre a le droit, sauf exceptions, de se voir délivrer une autorisation de séjour en Suède. Le chapitre 4, article 1, de la loi dispose que le terme « réfugié » s’entend d’un étranger se trouvant hors du pays dont il a la nationalité parce qu’il a de solides motifs de craindre d’être persécuté à cause de sa race, de sa nationalité, de ses convictions religieuses ou de ses opinions politiques, ou de son sexe, de ses orientations sexuelles ou d’une autre appartenance à un groupe social déterminé, et qu’il ne peut ou ne veut, du fait de ses craintes, se prévaloir de la protection de ce pays. Ce qui précède s’applique tant dans le cas où la persécution est le fait des autorités du pays en question que dans celui où l’on ne peut s’attendre à ce qu’elles offrent une protection contre la perpétration d’actes de persécution par des particuliers. Selon le chapitre 4, article 2, de la loi, est un « étranger ayant besoin de protection à un autre titre » notamment celui qui a quitté le pays dont il a la nationalité en raison de la crainte bien fondée d’être condamné à la peine capitale ou à des châtiments corporels ou d’être soumis à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants.

21. Par ailleurs, si une autorisation de séjour ne peut pas être accordée à un étranger sur le fondement des motifs susmentionnés, elle peut néanmoins lui être octroyée si l’évaluation globale de sa situation fait apparaître l’existence de circonstances particulièrement difficiles (synnerligen ömmande omständigheter) justifiant qu’on l’autorise à séjourner sur le territoire suédois (chapitre 5, article 6, de la loi sur les étrangers).

22. Concernant l’exécution d’une mesure de refoulement ou d’expulsion, il faut tenir compte du risque pour l’intéressé de subir la peine capitale ou la torture ou d’autres formes de peines ou traitements inhumains ou dégradants. Selon une disposition particulière relative aux empêchements à l’exécution d’une mesure d’éloignement – le chapitre 12, article 1, de la loi –, un étranger ne peut être expulsé vers un pays où il y a raisonnablement lieu de croire qu’il risquerait de se voir infliger la peine capitale, des châtiments corporels, la torture ou d’autres formes de peines ou traitements inhumains ou dégradants. En outre, un étranger ne doit pas en principe être envoyé vers un pays où il risque d’être persécuté (chapitre 12, article 2, de la loi).

23. Sous certaines conditions, un étranger peut se voir octroyer une autorisation de séjour même si la mesure de refoulement ou d’expulsion est devenue exécutoire. Tel est le cas, selon le chapitre 12, article 18, de la loi, lorsque sont découverts des faits nouveaux signifiant qu’il existe des motifs raisonnables de penser, notamment, que l’exécution de la mesure exposerait l’étranger au risque d’être soumis à la peine capitale ou à des châtiments corporels, à la torture ou à d’autres formes de peines ou traitements inhumains ou dégradants, ou lorsque des raisons médicales ou d’autres motifs particuliers justifient la non-exécution de la mesure.

24. Si une autorisation de séjour ne peut pas être octroyée en vertu du chapitre 12, article 18, de la loi, le bureau des migrations peut à la place réexaminer la question. Ce réexamen est effectué lorsque des faits nouveaux invoqués par l’étranger donnent à penser que l’exécution de la mesure se heurte à des empêchements durables qui sont de la nature visée au chapitre 12, articles 1 et 2, de la loi, et que ces faits ne pouvaient être invoqués précédemment ou que l’intéressé démontre qu’il a une raison valable de ne pas l’avoir fait. Si les conditions applicables ne sont pas remplies, le bureau des migrations ne procède pas au réexamen (chapitre 12, article 19, de la loi).

25. Selon la loi sur les étrangers, les questions relatives à l’entrée et au séjour des étrangers sur le territoire suédois sont traitées par trois instances : le bureau des migrations, le tribunal des migrations et la cour d’appel des migrations. Une décision du bureau des migrations refusant l’octroi d’une autorisation de séjour sur le fondement du chapitre 12, article 18, de la loi n’est toutefois pas susceptible de recours (voir, a contrario, le chapitre 14 de la loi).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 2 ET 3 DE LA CONVENTION

26. Le requérant allègue que son renvoi en Iran emporterait violation des articles 2 et 3 de la Convention, dont les parties pertinentes énoncent :

Article 2

« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi (...) »

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

27. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Les observations des parties

28. Le requérant allègue que s’il est expulsé vers l’Iran il sera exposé à des châtiments ou à la peine capitale pour avoir mené des activités politiques contre le régime iranien et s’être converti au christianisme. Il ajoute avoir été baptisé le 31 janvier 2010. Il pense que les autorités iraniennes le savent, l’opposition et les convertis présents en Suède étant selon lui placés sous surveillance. Sa foi chrétienne aurait mûri en Suède, où il serait à même de la pratiquer ouvertement. Il indique que même s’il est fermement convaincu que la religion est une question d’ordre privé, il ne dissimule pas sa foi. Sa conversion serait donc désormais connue d’un large cercle de personnes. En conséquence, il dit être certain qu’il risquerait de subir persécution et mauvais traitements s’il était renvoyé en Iran.

29. Le Gouvernement dit ne pas vouloir minimiser les préoccupations qui peuvent légitimement être exprimées quant à la situation actuelle des droits de l’homme en Iran pour les opposants politiques et les chrétiens. Il considère toutefois que ces préoccupations ne suffisent pas en soi à établir que le renvoi forcé du requérant vers son pays d’origine emporterait violation de l’article 2 ou de l’article 3 de la Convention.

30. S’agissant de savoir si l’intéressé, en cas de renvoi dans son pays, serait personnellement exposé à un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 2 ou à l’article 3 de la Convention, le Gouvernement déclare tout d’abord qu’il n’y a aucune raison de conclure que les décisions et jugements des autorités suédoises sont inadéquates ou que le dénouement de la procédure interne a été arbitraire. Concernant les activités politiques du requérant, il relève que celui-ci n’a soumis aucun document étayant l’affirmation selon laquelle ses pages web contenaient des éléments critiques à l’égard du régime iranien, ni aucune preuve que lesdites pages web aient jamais existé. De plus, le Gouvernement soutient que les activités politiques auxquelles l’intéressé se serait livré en Iran doivent être tenues pour modestes. En outre, pour le Gouvernement, le fait que le requérant n’ait reçu aucune nouvelle convocation du tribunal révolutionnaire depuis 2009 et la circonstance qu’aucun de ses proches encore présents en Iran, selon ses propres informations, n’a subi de représailles donnent également à penser que les autorités iraniennes ne s’intéressent guère à lui. Dans ce contexte, le Gouvernement estime qu’il y a lieu de mettre en doute l’allégation du requérant selon laquelle il a été emprisonné.

31. S’agissant de l’allégation selon laquelle le requérant risque d’être tué par les autorités iraniennes à cause de sa conversion de l’islam au christianisme, le Gouvernement soutient tout d’abord que l’intéressé a affirmé, lors de sa première audition devant le bureau des migrations, qu’il était un adepte de l’islam. Par ailleurs, le Gouvernement fait observer que par la suite le requérant a déclaré qu’il ne souhaitait pas invoquer son affiliation religieuse à l’appui de sa demande d’asile et que c’était là une question d’ordre privé. De plus, le Gouvernement relève que, dans son appel auprès du tribunal des migrations, le 7 juillet 2010, le requérant a indiqué avoir été contraint de fuir l’Iran en raison de son engagement politique contre le régime iranien, et non à cause de son affiliation religieuse. En outre, le Gouvernement fait remarquer que l’intéressé s’est converti en Suède et qu’il n’avait jamais rendu ses convictions religieuses publiques en Iran. Si le Gouvernement ne conteste pas que le requérant se soit converti en Suède, il maintient que celui-ci n’a pas étayé son argument selon lequel cet élément serait connu des autorités iraniennes. Il ajoute que l’intéressé n’a pas non plus démontré qu’en cas de retour en Iran il serait pour une quelconque autre raison exposé à un risque particulier.

2. Appréciation de la Cour

32. La Cour rappelle que, d’après un principe de droit international bien établi, les États contractants ont le droit, sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, y compris de la Convention, de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux. Cependant, l’expulsion par un État contractant peut soulever un problème au regard de l’article 3, et donc engager la responsabilité de l’État en cause au titre de la Convention, lorsqu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé, si on l’expulse vers le pays de destination, y courra un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3. Dans ce cas, l’article 3 implique l’obligation de ne pas expulser la personne en question vers ce pays (Saadi c. Italie [GC], no 37201/06, § 125, CEDH 2008).

33. Pour apprécier le point de savoir s’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que le requérant court ce risque réel, la Cour ne peut éviter d’apprécier la situation dans le pays de destination à l’aune des exigences de l’article 3 (Mamatkoulov et Askarov c. Turquie [GC], nos 46827/99 et 46951/99, § 67, CEDH 2005‑I). Au regard de ces exigences, pour tomber sous le coup de l’article 3, le mauvais traitement auquel le requérant affirme qu’il serait exposé en cas de renvoi doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause (Hilal c. Royaume-Uni, no 45276/99, § 60, CEDH 2001‑II).

34. De plus, la Cour reconnaît que, eu égard à la situation particulière dans laquelle se trouvent souvent les demandeurs d’asile, il est fréquemment nécessaire de leur accorder le bénéfice du doute lorsque l’on apprécie la crédibilité de leurs déclarations et des documents qui les appuient. Toutefois, lorsque des informations sont soumises qui donnent de bonnes raisons de douter de la véracité des déclarations du demandeur d’asile, il incombe à celui-ci de fournir une explication satisfaisante pour les incohérences de son récit (voir, notamment, Collins et Akaziebie c. Suède (déc.), no 23944/05, 8 mars 2007, et N. c. Suède, no 23505/09, § 53, 20 juillet 2010). Il appartient en principe au requérant de produire des éléments susceptibles d’établir l’existence de motifs sérieux et avérés de croire qu’en cas d’exécution de la mesure incriminée il serait exposé à un risque réel de subir un traitement contraire à l’article 3 (NA. c. Royaume-Uni, no 25904/07, § 111, 17 juillet 2008).

35. Ainsi, pour déterminer s’il existe un risque réel de mauvais traitement, la Cour doit examiner les conséquences prévisibles du renvoi du requérant vers l’Iran, compte tenu de la situation générale dans ce pays et des circonstances propres à l’intéressé (Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni, 30 octobre 1991, § 108, série A no 215).

36. Les principes ci-dessus s’appliquent également dans le contexte de l’article 2 de la Convention (voir, par exemple, Kaboulov c. Ukraine, no 41015/04, § 99, 19 novembre 2009). La Cour en conclut que les griefs du requérant tirés des articles 2 et 3 de la Convention sont indissociables ; aussi les examinera-t-elle conjointement.

37. La Cour observe que la demande d’asile du requérant a été soigneusement examinée par les autorités nationales. Rien n’indique que les procédures en question aient été dépourvues des garanties effectives propres à protéger le requérant contre tout refoulement arbitraire ou aient été entachées par une autre défaillance. Dès lors, la Cour poursuivra en recherchant si les informations qui lui ont été soumises peuvent l’amener à s’écarter des conclusions formulées par les autorités nationales.

38. Concernant les activités politiques du requérant en Iran, la Cour observe qu’il a affirmé, notamment, qu’il avait participé à la campagne de l’opposition avant et pendant les élections de 2009, qu’il avait travaillé avec des personnes connues pour leur opposition au régime et que ce travail avait consisté pour l’essentiel à créer et publier des pages web. La Cour constate qu’aucune information n’indique que les activités et l’engagement politiques du requérant aient été autre chose qu’accessoires. De plus, elle relève que les autorités nationales ont jugé vagues et imprécises les déclarations de l’intéressé sur ses activités politiques. Elle ne voit aucune raison de s’écarter de cette appréciation. Le requérant n’a toujours pas fourni de description détaillée des pages web en question et de leur contenu censément critique. En outre, et comme le Gouvernement le souligne, le requérant n’a présenté aucun élément, hormis ses propres déclarations, pour étayer l’existence de ces pages web.

39. La Cour note également que le requérant a affirmé avoir pu travailler jusqu’aux élections de 2009 sur les pages web ayant contenu des éléments critiques. Autrement dit, il a pu continuer à publier des documents critiques vis-à-vis du régime jusqu’aux élections de 2009, alors qu’il avait été interrogé en 2007 et que les autorités iraniennes étaient au courant de ses activités. C’est là pour la Cour un élément surprenant, d’autant que le requérant a affirmé que les documents qui avaient été en sa possession en 2007 n’étaient pas différents de ceux qu’il détenait en 2009.

40. En outre, la Cour observe que le requérant n’a pas été cité à comparaître devant le tribunal révolutionnaire depuis novembre 2009. Elle note également qu’il a déclaré que ses proches en Iran n’avaient pas été inquiétés du fait de ses activités politiques. Enfin, elle fait remarquer que l’intéressé n’affirme pas avoir poursuivi ses activités politiques après son arrivée en Suède.

41. S’agissant de la conversion du requérant, la Cour observe qu’il a expressément déclaré devant les autorités nationales qu’il ne souhaitait pas invoquer son affiliation religieuse à l’appui de sa demande d’asile parce que pour lui cette question relevait du domaine privé. La Cour note que le requérant a eu la possibilité de soulever la question de sa conversion lors de la procédure orale devant le tribunal des migrations mais a choisi de ne pas le faire. Il a finalement changé de position lorsque l’arrêté d’expulsion qui le visait est devenu exécutoire. Par ailleurs, l’intéressé a déclaré qu’il s’était converti au christianisme seulement après son arrivée en Suède et qu’il avait cantonné sa foi dans le domaine privé. Dans ce contexte, et en dehors de l’éventuelle publication de l’image du requérant lors de la diffusion d’offices religieux – dont la transmission aux autorités iraniennes est purement spéculative –, la Cour estime que rien n’indique que lesdites autorités soient au courant de sa conversion. En conséquence, la Cour considère que le requérant ne serait pas exposé à cet égard au risque d’être soumis à des mauvais traitements par les autorités iraniennes.

42. En conclusion, la Cour juge que le requérant n’a pas étayé l’allégation selon laquelle, en cas de retour en Iran, il courrait un risque réel et concret d’être soumis à un traitement contraire à l’article 2 ou à l’article 3 de la Convention. Dès lors, son expulsion vers l’Iran n’emporterait pas violation de l’article 2 ou de l’article 3.

II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE LA CONVENTION

43. Sous l’angle de l’article 6 de la Convention, le requérant allègue également la violation de son droit à un procès équitable. La Cour observe que cette disposition ne s’applique pas à la procédure d’asile, car celle-ci n’emporte pas contestation sur des droits ou obligations de caractère civil ni n’a trait au bien-fondé d’une accusation en matière pénale (Maaouia c. France [GC], no 39652/98, § 40, CEDH 2000-X). Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention et qu’il doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

44. Sur le terrain de l’article 14 de la Convention, le requérant estime en outre que les juridictions suédoises font subir une discrimination aux ressortissants étrangers.

45. La Cour observe que le requérant n’a invoqué ni explicitement ni implicitement un autre article de la Convention en rapport avec ses observations sur ce point. Dès lors que l’article 14 de la Convention complète les autres clauses normatives de la Convention ou de ses Protocoles, il n’a pas d’existence indépendante mais vaut uniquement pour la « jouissance des droits et libertés » qu’elles garantissent. Quoi qu’il en soit, la Cour ne décèle aucune raison de conclure que le requérant a subi une discrimination fondée sur sa nationalité. Il s’ensuit que cette partie de la requête est également manifestement mal fondée et doit être déclarée irrecevable en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 39 DU RÈGLEMENT DE LA COUR

46. La Cour rappelle que, en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention, le présent arrêt deviendra définitif : a) lorsque les parties auront déclaré qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre ; ou b) trois mois après la date de l’arrêt, si le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre n’a pas été demandé ; ou c) lorsque le collège de la Grande Chambre aura rejeté une éventuelle demande de renvoi formulée en application de l’article 43.

47. Elle considère que la mesure qu’elle a indiquée au Gouvernement en application de l’article 39 de son règlement (paragraphe 4 ci-dessus) doit demeurer en vigueur jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou que la Cour rende une autre décision à cet égard (voir dispositif).

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Déclare, à l’unanimité, que le grief relatif aux articles 2 et 3 de la Convention est recevable et que la requête est irrecevable pour le surplus ;

2. Dit, par quatre voix contre trois, que la mise en œuvre de l’arrêté d’expulsion visant le requérant n’emporterait pas violation de l’article 2 ou de l’article 3 de la Convention ;

3. Décide, à l’unanimité, de continuer à indiquer au Gouvernement, en application de l’article 39 de son règlement, qu’il est souhaitable, dans l’intérêt du bon déroulement de la procédure, de ne pas expulser le requérant jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou que la Cour rende une autre décision.

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 16 janvier 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia WesterdiekMark Villiger
Greffière Président

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée des juges B.M. Zupančič, A. Power-Forde et P. Lemmens.

M. V.

C.W.

OPINION DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES ZUPANČIČ, POWER-FORDE ET LEMMENS

(Traduction)

Nous ne souscrivons pas à l’avis de la majorité selon lequel l’expulsion envisagée du requérant vers l’Iran, si elle était mise en œuvre, ne mettrait pas en cause les obligations découlant pour l’État défendeur de l’article 2 ou de l’article 3 de la Convention.

Si nous avons quelques réserves sur les conséquences pour le requérant de ses activités politiques passés en cas de renvoi en Iran – nous relevons en particulier ses allégations selon lesquelles il a été torturé dans ce pays en 2007 –, notre principale difficulté face à l’approche de la majorité comporte deux aspects. Tout d’abord, il y a à nos yeux un manquement inacceptable à apprécier de manière approfondie le risque que court le requérant du fait de sa conversion au christianisme. Deuxièmement, pour autant que la majorité laisse entendre que le requérant pourrait éviter pareil risque, s’il existe, en dissimulant sa conversion religieuse, nous estimons qu’une telle exigence est totalement déraisonnable et que la jurisprudence de la Cour ne contient aucun précédent qui étayerait pareille proposition.

On ne peut pas réellement douter que la conversion au christianisme soit pour tout Iranien vivant en Iran une question grave en matière de droits de l’homme[1]. Le Gouvernement admet que la conversion de l’islam au christianisme est considérée comme un acte illégal en vertu du droit islamique et est passible de la peine de mort. Il relève que les personnes ainsi converties subissent d’énormes pressions et font régulièrement l’objet de violations graves des droits de l’homme. Il reconnaît que les exécutions extrajudiciaires et les agressions perpétrées par des milices islamiques officielles ou des groupes radicaux sont une grave source de préoccupation et il évoque un certain nombre de cas où des pasteurs ont été emprisonnés en raison de leurs convictions. Il admet que les convertis qui sont persécutés ne peuvent obtenir ni protection ni réparation auprès des autorités, et reconnaît que le 22 septembre 2010 la 11e cour d’appel pénale de la province de Gilan a confirmé la peine de mort et la condamnation de Youcef Nadarkhani pour apostasie[2]. Or, il soutient également que tant qu’une personne cantonne sa foi religieuse dans le domaine privé, elle ne court de manière générale aucun risque[3].

De nombreux rapports d’organes indépendants de défense des droits de l’homme viennent corroborer ce que le Gouvernement a d’ores et déjà admis en ce qui concerne les convertis au christianisme en Iran. Pour ne donner qu’un seul exemple, le 27 août 2013 la Campagne internationale pour les droits de l’homme en Iran a rapporté la confirmation de la peine de huit ans d’emprisonnement prononcée contre Saeed Abedini, qui s’était converti au christianisme. En juillet 2011, procédant à une visite de routine dans un orphelinat à but non lucratif que sa famille avait contribué à mettre sur pied, les forces de sécurité iraniennes l’avaient arrêté et avaient saisi son passeport. Les tribunaux iraniens l’avaient condamné pour « atteinte à la sécurité nationale », l’accusant comme d’autres convertis au christianisme de mener une « guerre insidieuse » contre le gouvernement iranien par leur pratique du christianisme dans des « églises de maison » informelles[4].

Les informations de ce type ne sont, hélas, pas rares. Or, malgré l’existence de risques établis et reconnus pour les convertis au christianisme en Iran, ni les autorités nationales ni la Cour n’ont correctement évalué le risque auquel le requérant pourrait être exposé du fait de sa conversion au christianisme dans l’éventualité de son expulsion vers l’Iran.

Premièrement, au niveau national les autorités ne se sont en fait jamais livré à aucune appréciation, quelle qu’elle soit, de ce risque particulier. En avril 2010, le bureau des migrations a relevé qu’au départ le requérant n’avait pas souhaité invoquer son affiliation religieuse à l’appui de sa demande d’asile. L’emploi des mots « au départ » montre qu’à un certain stade, après le dépôt de sa demande, le requérant a bel et bien soulevé la question de sa conversion au christianisme dans la procédure d’asile. Or le bureau des migrations a simplement noté que l’intéressé n’avait pas soumis de certificat de baptême et a conclu, sans autre appréciation, qu’il n’était pas vraisemblable qu’il fût exposé à un risque de persécution en Iran à cause de son affiliation religieuse.

Lorsque l’affaire est arrivée devant le tribunal des migrations, il est apparu que le requérant présentait sa conversion religieuse comme un facteur de risque à évaluer. Il a expliqué au tribunal pourquoi au début il n’avait pas voulu invoquer son affiliation religieuse, indiquant son désir de ne pas banaliser le sérieux de ses convictions. Comme l’organe de première instance avait mentionné l’absence de certificat de baptême, l’intéressé a rapidement fourni au tribunal des migrations une preuve authentique de son baptême. Daté du 31 janvier 2010, le certificat indiquait clairement que sa conversion au christianisme et son baptême étaient intervenus avant la première audience sur sa demande devant le bureau des migrations. En fournissant une explication raisonnable à sa réticence initiale à soulever la question de sa conversion et en produisant promptement un certificat de baptême après qu’on en avait souligné l’absence, le requérant a clairement soulevé devant le tribunal des migrations la question de sa conversion comme facteur à prendre en compte dans toute appréciation de sa demande d’asile.

Or l’arrêt de la majorité (paragraphe 10) montre que le tribunal des migrations a entièrement négligé de prendre en considération ce facteur ou de lui accorder un poids quelconque en tant que risque potentiel auquel le requérant était exposé au regard de l’article 3. Dans son jugement du 9 mars 2011, ledit tribunal a totalement passé sous silence la conversion du requérant au christianisme, se concentrant exclusivement sur ses activités politiques avant sa fuite hors d’Iran. Le fait que le tribunal ne se soit aucunement penché sur cette conversion constitue une sérieuse lacune dans son appréciation du grief du requérant fondé sur l’article 3.

Lorsque par la suite le requérant a voulu spécifiquement attirer l’attention des autorités sur le risque découlant de sa conversion, le bureau des migrations a catégoriquement rejeté sa demande, relevant simplement que son baptême et sa conversion avaient déjà été évoqués pendant la procédure antérieure au niveau national. Cet élément n’a donc pas été considéré comme un « fait nouveau ».

Les autorités nationales ne peuvent pas jouer sur les deux tableaux. Soit elles auraient dû apprécier le risque lors de la première partie de la procédure une fois informées de la conversion du requérant, soit un tel risque devait être apprécié comme un « fait nouveau » lorsqu’il a été soulevé dans le cadre de la deuxième demande d’asile. L’absence d’une appréciation rigoureuse d’un risque grave et potentiellement mortel ne cadre pas avec ce que la Cour a précédemment confirmé comme étant requis par les autorités nationales lorsqu’elles traitent des griefs fondés sur l’article 2 ou l’article 3 de la Convention[5]. C’est en effet pareil manque de rigueur qui dans l’affaire Z.N.S. c. Turquie a conduit la Cour à conclure que l’expulsion de la requérante vers l’Iran (il y avait eu, dans cette affaire également, une conversion au christianisme) emporterait violation de l’article 3 de la Convention[6]. La Cour a alors déclaré qu’elle « n’[était] pas convaincue que les autorités nationales [eussent] procédé à une appréciation sérieuse de la demande de la requérante ». Notre conclusion est identique dans les circonstances de l’espèce.

Il est un autre aspect du raisonnement de la majorité qui s’accorde mal avec le respect des droits fondamentaux. Au paragraphe 41 de l’arrêt, la Cour relève que le requérant a « cantonné sa foi dans le domaine privé ». Partant de là, elle conclut que rien n’indique que les autorités iraniennes soient au courant de sa conversion, et donc qu’il n’y a pas à cet égard de risque pour le requérant sous l’angle de l’article 3.

La majorité semble approuver implicitement l’argument du Gouvernement selon lequel, tant que le requérant ne portera pas son affiliation religieuse à l’attention des autorités iraniennes en pratiquant publiquement sa foi, alors selon toute probabilité aucun risque ne devrait surgir dans l’éventualité de son expulsion. C’est là un raisonnement dangereux. Pareil argument a été rejeté sans équivoque par la Cour de justice de l’Union européenne dans le récent arrêt Bundesrepublik Deutschland c. Y et Z[7]. Dans cette affaire, la Cour de justice s’est penchée sur la question de savoir si l’article 2 c) de la directive du Conseil 2004/83/CE concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts, devait être interprété comme signifiant que la crainte d’être persécuté était fondée lorsque l’intéressé pouvait éviter de s’exposer à la persécution dans son pays d’origine en s’abstenant de certaines pratiques religieuses. La Cour de justice a relevé qu’ aucune des règles contenues dans la directive n’indiquait que, dans l’appréciation de l’importance du risque de subir effectivement des actes de persécution, il faudrait prendre en considération la possibilité qu’aurait un demandeur d’éviter un risque de persécution en renonçant à la pratique religieuse en cause et, en conséquence, à la protection que la directive vise à lui garantir par la reconnaissance du statut de réfugié. La Cour de justice a conclu :

Il s’ensuit que, dès lors qu’il est établi que l’intéressé, une fois de retour dans son pays d’origine, aura une pratique religieuse qui l’exposera à un risque réel de persécution, il devrait se voir octroyer le statut de réfugié conformément à l’article 13 de la directive. Le fait qu’il pourrait éviter le risque en renonçant à certains actes religieux n’est, en principe, pas pertinent.[8]

Le même raisonnement devrait s’appliquer lorsque l’on apprécie un risque de persécution sous l’angle de l’article 3. Les autorités nationales ne peuvent pas raisonnablement attendre d’un requérant qu’il s’abstienne d’exercer son droit fondamental à la liberté de religion et de conscience pour éviter un traitement prohibé par l’article 3.

Le fait qu’un demandeur d’asile doive dissimuler ses convictions religieuses s’il est renvoyé dans son pays d’origine, ou doive faire preuve de réserve dans l’expression de ses convictions, a été considéré par la Cour de justice comme une attente déraisonnable et non compatible avec le droit de l’Union européenne. Nous estimons que rien dans la jurisprudence de notre Cour ne dit autre chose s’agissant de la Convention européenne des droits de l’homme.

* * *

[1] International Campaign for Human Rights in Iran, The Cost of Faith: Persecution of Christian Protestants and Converts in Iran (16 janvier 2013), [www.iranhumanrights.org](http://www.iranhumanrights.org).

[2] Observations du Gouvernement, 1er juin 2012, paragraphe 26.

[3] Observations du Gouvernement, 1er juin 2012, paragraphe 23.

[4] www.iranhumanrights.org/press releases/page 2.

[5] Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 96, Recueil des arrêts et décisions 1996-V.

[6] Z.N.S. c. Turquie, no 21896/08, 19 janvier 2010.

[7] Bundesrepublik Deutschland c. Y (C-71/11) et Z (C-99/11), 5 septembre 2012.

[8] Ibid., paragraphe 79.


Synthèse
Formation : Cour (cinquiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-140289
Date de la décision : 16/01/2014
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Non-violation de l'article 2 - Droit à la vie (Article 2 - Expulsion) (Conditionnel) (Iran);Non-violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Expulsion) (Conditionnel) (Iran)

Parties
Demandeurs : F.G.
Défendeurs : SUÈDE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : DONNER G.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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