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07/01/2014 | CEDH | N°001-139892

CEDH | CEDH, AFFAIRE FONDATION FOYERS DES ÉLÈVES DE L’ÉGLISE RÉFORMÉE ET STANOMIRESCU c. ROUMANIE, 2014, 001-139892


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE FONDATION FOYERS DES ÉLÈVES DE L’ÉGLISE RÉFORMÉE ET STANOMIRESCU c. ROUMANIE

(Requêtes nos 2699/03 et 43597/07)

ARRÊT

STRASBOURG

7 janvier 2014

DÉFINITIF

07/04/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Fondation Foyers des élèves de l’Église réformée et Stanomirescu c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre co

mposée de :

Alvina Gyulumyan, présidente,
Corneliu Bîrsan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,
Nona Tsotsoria,
Kristina Pardalos,
Johannes...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE FONDATION FOYERS DES ÉLÈVES DE L’ÉGLISE RÉFORMÉE ET STANOMIRESCU c. ROUMANIE

(Requêtes nos 2699/03 et 43597/07)

ARRÊT

STRASBOURG

7 janvier 2014

DÉFINITIF

07/04/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Fondation Foyers des élèves de l’Église réformée et Stanomirescu c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Alvina Gyulumyan, présidente,
Corneliu Bîrsan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,
Nona Tsotsoria,
Kristina Pardalos,
Johannes Silvis, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 décembre 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (no 2699/03 et no 43597/07) dirigées contre la Roumanie et dont une organisation non gouvernementale ayant son siège dans cet État, la Fondation Foyers des élèves de l’Eglise réformée (Fundaţia Cămine de Elevi ale Bisericii Reformate – « la requérante »), et un ressortissant de cet État, M. Marinică Stanomirescu (« le requérant »), ont saisi la Cour le 7 octobre 2002 et le 15 mai 2007 respectivement en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La première requérante a été représentée par Me L. Dobai, avocat à Odorheiul Secuiesc. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme I. Cambrea, du ministère des Affaires étrangères.

3. Les requérants se plaignent en particulier d’un défaut d’exécution par les autorités de décisions de justice contraignantes et exécutoires qui auraient été rendues en leur faveur.

4. Le 2 avril 2009 et le 17 octobre 2011 respectivement, les requêtes ont été communiquées au Gouvernement.

5. À la suite du décès du second requérant, survenu le 13 avril 2009, ses héritiers, Mme Ana-Maria Cotăran et M. Marinică-Cătălin Stanomirescu, ont exprimé, le 23 mai 2009, le souhait de poursuivre la procédure. Pour des raisons de commodité, le présent arrêt continuera de désigner M. Marinică Stanomirescu comme « le requérant » bien qu’il faille aujourd’hui attribuer cette qualité à ses héritiers (voir, par exemple, Dalban c. Roumanie [GC], no [28114/95](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2228114/95%22%5D%7D), CEDH 1999‑VI).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. La première requérante est une organisation non gouvernementale fondée en 1992 et ayant son siège social à Odorheiul Secuiesc. Le second requérant est né en 1929 et est décédé en 2009. Il était le père de Mme Ana-Maria Cotăran, née en 1966, et de M. Marinică-Cătălin Stanomirescu, né en 1967, résidant tous deux à Craiova.

A. Faits concernant la requête no 2699/03

7. La requérante a pour but principal de promouvoir l’éducation des jeunes élèves dans le respect des doctrines de l’Église réformée. Elle détient en propriété un foyer qui héberge des élèves en régime d’internat.

1. Acquisition d’un terrain

8. Le 20 décembre 1996, la requérante acheta à un particulier un terrain de 20 142 m² dans le but d’y construire un immeuble destiné à accueillir ses élèves. Auparavant, le 25 novembre 1996, la mairie de la ville de Zetea avait délivré un document attestant que ledit terrain se trouvait intra muros et qu’aucune construction n’y figurait sur le plan d’urbanisme. Le 8 janvier 1997, le droit de propriété de la requérante fut inscrit au registre foncier.

9. Le terrain acquis par la requérante est situé à proximité d’un barrage. En 1988, les autorités avaient permis l’occupation, jusqu’au 30 mars 1990, d’une partie du terrain en question par le chantier du barrage et l’installation de baraques de chantier destinées aux ouvriers. L’administration du chantier toléra cependant la construction de six bâtiments.

2. Procédure tendant à la démolition des bâtiments édifiés sur le terrain de la requérante

10. Le 14 novembre 1997, la requérante assigna en justice la Régie autonome de distribution d’eau potable de Târgu-Mureş (« la régie ») afin de faire constater l’occupation d’une partie de son terrain par des bâtiments qui avaient été construits pour accueillir, de manière temporaire, des ouvriers du chantier du barrage et de faire ordonner la démolition de ces immeubles. Devant le tribunal de première instance d’Odorheiul Secuiesc, la requérante reprochait à la partie défenderesse de ne pas avoir procédé à la démolition des bâtiments édifiés, illégalement selon elle, dans les années 1988-1990.

11. Dans un jugement du 15 octobre 1998, le tribunal constata que six bâtiments avaient été édifiés sur le terrain de la requérante à l’occasion de la construction du barrage, qu’ils avaient été laissés à l’abandon par la régie pendant plusieurs années et qu’ils n’étaient plus utilisés ni par la régie ni par ses employés. Il ordonnait en conséquence à la régie de procéder à la démolition desdits bâtiments afin de rendre à la requérante le libre usage de son terrain. Par un arrêt du 5 octobre 2000, la cour d’appel de Târgu-Mureş confirma en dernière instance ce jugement qui devint, à cette date, définitif et exécutoire.

3. Première tentative d’exécution forcée

12. Le 14 décembre 2000, la requérante saisit un huissier de justice d’une demande d’exécution forcée du jugement définitif du 15 octobre 1998. Le 21 mars 2001, l’huissier de justice dressa un procès-verbal dans lequel il constatait que les bâtiments édifiés sur le terrain de la requérante étaient occupés par quelques familles qui avaient travaillé sur le chantier du barrage, et il ordonnait à la régie de démolir ces bâtiments avant le 1er mai 2001. La régie n’obtempéra pas.

13. Par une lettre du 18 octobre 2001, le préfet de Harghita confirma que plusieurs bâtiments avaient été édifiés sans aucune autorisation légale sur le terrain en question. Quant aux occupants de ces bâtiments, il constata qu’ils n’avaient aucun titre valable d’habitation et il demanda à la mairie de Zetea de procéder à leur relogement.

14. Entre-temps, le 23 avril 2001, certains des occupants en question avaient contesté l’exécution de ce jugement. Ils alléguaient que le jugement définitif ne leur était pas opposable. La requérante affirme que, parallèlement, elle avait été informée par la régie qu’elle était en droit d’acheter les bâtiments litigieux et que, forte de cet espoir, elle avait renoncé à sa demande d’exécution forcée. Ses dires sont confirmés par un jugement du 15 octobre 2001 du tribunal de première instance d’Odorheiul Secuiesc qui avait ordonné l’annulation des actes d’exécution déjà effectués.

4. Deuxième tentative d’exécution forcée

15. Peu de temps après, la requérante, en l’absence de l’offre d’achat promise, saisit à nouveau l’huissier de justice d’une demande d’exécution du jugement définitif du 15 octobre 1998.

16. Selon les informations fournies par le Gouvernement, la requérante avait formé parallèlement une action en expulsion des occupants des bâtiments, qui aurait selon lui été rejetée par un jugement du 14 juin 2001, au motif qu’aucun rapport juridique n’aurait lié la requérante et les parties défenderesses.

17. Le 5 août 2002, un huissier de justice notifia à la régie l’obligation de se conformer au jugement définitif du 15 octobre 1998. La régie ne donna pas suite.

18. Le 26 octobre 2005, la régie conclut un accord avec la mairie de Zetea et transféra à cette dernière la propriété des six bâtiments édifiés sur le terrain de la requérante.

5. Action tendant à l’annulation du contrat de vente conclu le 20 décembre 1996 entre un particulier et la requérante

19. Le 5 novembre 2005, certains occupants des bâtiments saisirent le tribunal de première instance d’Odorheiul Secuiesc d’une demande en annulation du contrat de vente conclu le 20 décembre 1996 par un particulier avec la requérante. A l’appui de leur action, ils invoquaient un décret présidentiel de 1980 prévoyant des travaux d’intérêt public sur ledit terrain. Ils argüaient que ce décret impliquait une interdiction générale de vente du terrain.

20. Par un jugement du 13 mars 2006, le tribunal rejeta leur action pour défaut de fondement au motif que les autorités n’avaient pas entamé de procédure d’expropriation et qu’aucun dédommagement n’avait été versé à l’ancien propriétaire du terrain. Les juges de première instance estimèrent que le contrat de vente avait été légalement conclu. Ce jugement fut confirmé en appel le 15 février 2007 par le tribunal départemental de Harghita et en recours le 22 novembre 2007 par la cour d’appel de Târgu-Mureş.

6. Procédure tendant à l’annulation des baux conclus avec les occupants des bâtiments

21. À une date non précisée, la requérante fut informée que la régie avait conclu, en janvier 2002, des baux pour une durée d’un an, renouvelables, avec les occupants des six bâtiments. Le 3 octobre 2002, elle engagea, devant le tribunal de première instance d’Odorheiul Secuiesc, une action civile tendant à l’annulation de ces baux pour absence d’objet, car, à ses dires, les bâtiments en question n’avaient pas d’existence légale et ne pouvaient dès lors pas faire l’objet d’une transaction civile ou commerciale. Elle invoqua également le jugement définitif ordonnant leur démolition et soutint que les baux en cause avaient été conclus illégalement. Les occupants des bâtiments formèrent une demande reconventionnelle tendant, une nouvelle fois, à l’annulation du contrat de vente du terrain conclu en faveur de la requérante.

22. Après plusieurs cassations avec renvoi, l’action de la requérante et la demande reconventionnelle furent rejetées le 11 février 2010 par le tribunal départemental de Harghita pour défaut de fondement. S’agissant de l’action de la requérante, le tribunal jugea que celle-ci avait introduit une action en constatation d’une situation de fait et non une action tendant à la protection d’un droit, et que, en tout état de cause, les bâtiments litigieux pouvaient faire l’objet d’une transaction civile et que l’objet des baux était légal. S’agissant de la demande reconventionnelle, il jugea qu’une même demande formulée par les mêmes parties avait été rejetée le 31 janvier 2008 par la cour d’appel de Târgu-Mureş et que, par conséquent, le jugement était revêtu de l’autorité de la chose jugée.

7. Demande concernant la portée du jugement définitif du 15 octobre 1998

23. Le 2 août 2010, la requérante saisit le tribunal de première instance d’Odorheiul Secuiesc d’une demande concernant la portée du jugement définitif du 15 octobre 1998. Elle souhaitait savoir si, à la suite du transfert de propriété des bâtiments à la ville de Zetea, le jugement définitif était opposable également à la mairie de Zetea. Par un jugement avant dire droit du 11 octobre 2010, le tribunal constata que le droit de propriété de la requérante sur le terrain était opposable erga omnes, quel que soit le propriétaire des bâtiments en question, et qu’elle devait pouvoir faire exécuter le jugement définitif. D’après le tribunal, l’obligation prononcée par le jugement définitif du 15 octobre 1998 devait être exécutée également par la mairie de la ville de Zetea. Faute de recours, ce jugement devint définitif.

8. Troisième tentative d’exécution forcée

24. Le 14 juin 2011, la requérante forma une nouvelle demande d’exécution forcée du jugement définitif du 15 octobre 1998. Sa demande fut enregistrée par un huissier de justice, qui notifia à la mairie de la ville de Zetea l’obligation de se conformer au dispositif dudit jugement. Ainsi qu’il ressort d’un procès-verbal dressé le 18 juillet 2011, le maire de Zetea, après avoir déclaré ne pas s’opposer, en principe, à l’exécution du jugement, avait précisé avoir besoin d’un délai – jusqu’à fin juillet 2011 – pour s’y conformer et avait accepté de verser à la requérante les frais de justice prévus dans le jugement en question ainsi que les frais liés à l’exécution forcée.

25. Le 18 janvier 2012, un représentant de la chambre des huissiers de justice informa l’agent du Gouvernement de l’inexécution du jugement définitif du 15 octobre 1998 pour cause d’occupation des bâtiments par plusieurs familles. Il précisa que le délai légal de trois ans était écoulé et que le titre exécutoire était préscrit, raison pour laquelle, selon lui, le dossier d’exécution ne figurait plus aux archives. Par la même lettre, il informait l’agent du Gouvernement d’une nouvelle procédure d’exécution forcée ouverte par l’étude d’huissiers M.E.

26. Ainsi qu’il ressort des informations fournies par la requérante, l’huissier M.E. a procédé, sans succès, le 2 mai 2012, à une nouvelle tentative d’exécution forcée. Le procès-verbal dressé à cette occasion faisait état du refus du débiteur (le maire de la ville de Zetea) de se présenter en vue de l’exécution du jugement définitif, malgré la notification officielle que lui aurait faite l’huissier. Il indiquait également que, sur les six bâtiments, un seul avait été occupé par quatre personnes et que trois d’entre elles l’habitaient toujours. Toujours d’après le procès-verbal, ces trois personnes avaient déclaré à l’huissier de justice être prêtes à quitter volontairement, sans qu’il fût besoin d’une procédure d’expulsion, ledit bâtiment après la démolition des cinq autres. Leurs signatures figurent sur le procès-verbal dressé à cette occasion. L’huissier de justice ordonna à la mairie de procéder, dans un délai de dix jours à compter de la notification du procès-verbal, à la démolition des cinq bâtiments inoccupés.

27. Le Gouvernement soumit ses observations complémentaires le 20 décembre 2012 ; il y informait la Cour du paiement, par les autorités locales, des frais occasionnés par la procédure d’exécution forcée et confirmait que la démolition des six bâtiments n’avait pas encore eu lieu ; il rappelait aussi que la requérante n’avait jamais obtenu un ordre d’expulsion à l’encontre des occupants des bâtiments.

B. Faits concernant la requête no 43597/07

1. Première action dirigée à l’encontre du centre local de la propriété forestière

28. En 2000, le requérant, qui souhaitait tirer son bois de chauffage du terrain forestier qu’il détenait en copropriété avec trois autres personnes, demanda au centre local de la propriété forestière de Simian (Ocolul silvic Simian – « le centre local ») de procéder à l’estimation et au marquage d’une certaine quantité d’arbres. Ce faisant, il accomplissait une formalité imposée par la réglementation interne en matière d’abattage d’arbres. Le 7 août 2000, il acquitta une taxe pour la prestation sollicitée. Malgré plusieurs relances de sa part, sa demande resta sans suite.

29. Le 14 décembre 2000, le requérant et les trois autres copropriétaires du terrain saisirent le tribunal départemental de Dolj, le priant d’ordonner au centre territorial de la propriété forestière de Gorj (Inspectoratul Teritorial de Regim Silvic şi Cinegetic Gorj – « le centre territorial ») de procéder à l’estimation et au marquage des arbres en question en vue de leur abattage. Ils demandèrent également au tribunal d’imposer une astreinte comminatoire de 200 000 anciens lei roumains (ROL) (soit environ 7 euros (EUR)) par jour de retard dans l’exécution de l’obligation.

30. Par un jugement du 12 mars 2001, le tribunal accueillit l’action et ordonna au centre territorial de procéder à l’estimation et au marquage demandés. Le requérant et les trois autres copropriétaires formèrent un recours contre ce jugement au motif que les juges de première instance n’avaient pas statué sur leur demande concernant l’astreinte comminatoire.

31. Par un arrêt du 29 mai 2001, la cour d’appel de Craiova fit droit au recours, modifia le jugement, accueillit la demande d’astreinte comminatoire et ordonna au centre territorial d’exécuter les obligations énoncées dans le dispositif du jugement du 12 mars 2001 sous astreinte d’environ 7 EUR par jour de retard dans l’exécution de l’obligation principale. Ce jugement devint définitif et exécutoire.

32. Le 24 juin 2002, les représentants du centre territorial se conformèrent à l’obligation d’estimation et de marquage du quota d’arbres pour l’année 2000, soit 53 arbres. Le requérant et les trois autres copropriétaires demandèrent au centre local de faire de même pour les années 2001 et 2002. Ils payèrent la taxe exigée pour cette prestation. Le centre local refusa de satisfaire leur demande et les informa que l’estimation et le marquage d’autres arbres ne seraient possibles qu’à partir du printemps 2003. Selon les affirmations du requérant, à ce jour le centre territorial n’a pas fourni cette prestation.

2. Nouvelle action dirigée à l’encontre du centre territorial de la propriété forestière

33. Le 19 septembre 2003, le requérant et les trois autres copropriétaires du terrain forestier formèrent une nouvelle action tendant à obliger le même centre territorial à estimer, marquer et évaluer les arbres correspondant aux quotas des années 2001 et 2002. Ils sollicitèrent également le paiement d’une indemnité de 13 600 000 ROL (soit environ 370 EUR) en dédommagement de l’impossibilité qui leur aurait été faite d’utiliser le bois de leur terrain forestier et de l’achat de bois de chauffage auquel ils auraient été contraints pendant ces deux années. Enfin, ils demandèrent au tribunal d’imposer une astreinte comminatoire.

34. Par un jugement du 12 septembre 2005, le tribunal de première instance de Pitești accueillit partiellement l’action, constata que le centre territorial n’avait pas la capacité d’ester en justice et ordonna au centre départemental de la propriété forestière de Mehedinţi (Direcţia Silvică Mehedinţi – « le centre départemental ») de procéder à l’estimation et au marquage des arbres correspondant aux quotas pour les années 2001 et 2002 et de verser au requérant et aux trois autres copropriétaires, conjointement, une indemnité de 13 600 000 ROL (soit environ 370 EUR), montant actualisé au regard du taux d’inflation au moment du paiement. Il rejeta la demande concernant l’astreinte comminatoire. Ce jugement fut confirmé en appel le 7 avril 2006 par le tribunal départemental d’Argeş et en recours le 27 novembre 2006 par la cour d’appel de Piteşti. Il devint ainsi définitif et exécutoire.

35. Par une lettre du 19 octobre 2009, le représentant du centre départemental indiqua à l’agent du Gouvernement auprès de la Cour que le jugement du 12 mars 2001 ne lui était pas opposable et qu’il incombait au centre territorial de l’exécuter. S’agissant du jugement définitif du 12 septembre 2005, il affirmait qu’il était partiellement exécuté, les représentants du centre local ayant, selon lui, procédé à l’estimation puis au marquage de 53 arbres. Dans leurs observations en réponse, les héritiers du second requérant affirment que le jugement du 12 septembre 2005 n’a jamais été exécuté.

II. LE DROIT INTERNE ET LE DROIT INTERNATIONAL PERTINENTS

A. Droit interne pertinent

1. La Constitution

36. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la Constitution, telle que révisée et republiée en 2003, se lisent comme suit :

Article 44

« Le droit de propriété ainsi que les créances envers l’État sont garantis. Le contenu et les limites de ce droit sont établis par la loi. »

2. L’ordonnance no 22/2002 concernant l’exécution par les institutions publiques des obligations de paiement établies par des titres exécutoires

37. L’ordonnance no 22/2002 est entrée en vigueur le 1er février 2002, date de sa publication au Journal officiel, et a fait l’objet de plusieurs modifications. Telle qu’elle était rédigée en février 2012, l’ordonnance se lisait comme suit :

Article 1

« 1) Les créances à la charge des institutions et des autorités publiques seront payées sur des lignes budgétaires desdites autorités expressément prévues à cette fin (...)

2) Les créances à la charge des institutions et des autorités publiques ne peuvent pas être payées sur des postes affectés aux dépenses d’organisation et de fonctionnement ou aux dépenses de personnel (...) »

Article 2

« Si l’exécution d’une créance établie par un titre exécutoire n’a pas encore débuté ou ne peut se faire par manque de fonds, l’institution débitrice doit, dans un délai de six mois, faire les démarches nécessaires pour exécuter l’obligation de paiement lui incombant. Ce délai commence à courir à compter de la date à laquelle l’institution débitrice a reçu la notification de paiement de la part de l’organe chargé de l’exécution par le créancier . »

Article 3

« Si les institutions publiques n’exécutent pas l’obligation de paiement dans le délai prévu à l’article 2, le créancier peut solliciter l’exécution forcée, conformément au code de procédure civile et/ou aux autres dispositions légales en la matière. »

Article 4

« 1) Les ordonnateurs principaux ont l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires, y compris l’ouverture de lignes budgétaires, dans les conditions légales, afin de provisionner, dans les budgets de leur institution ou dans ceux des institutions subordonnées, les sommes requises au titre du paiement des montants fixés par des titres exécutoires.

2) Les ouvertures de lignes budgétaires prévues au premier alinéa peuvent être effectuées pendant toute l’année budgétaire, par dérogation à l’article 47 de la loi no 500/2002 concernant les finances publiques, avec les modifications ultérieures, et à l’article 49 de la loi no 273/2006 concernant les finances publiques locales. »

Article 5

« Le créancier et le débiteur peuvent convenir d’un délai autre que celui mentionné à l’article 2, ainsi que d’autres conditions concernant l’exécution de toute obligation prévue dans un titre exécutoire. »

Article 6

« 1) Si, pour des raisons objectives, l’institution débitrice ne peut pas s’acquitter de l’obligation de paiement conformément à l’article 1 (premier alinéa), à l’article 2 ou à l’article 4, elle peut solliciter du tribunal chargé de l’affaire (...) un délai gracieux ou/et la mise en place d’un échelonnement du paiement.

2) Si l’obligation de paiement est établie en vertu d’une décision définitive et irrévocable, l’institution débitrice peut solliciter du tribunal l’ayant prononcée l’application des mesures prévues au premier alinéa (...)

3) Si l’obligation de paiement résulte d’un titre exécutoire autre qu’une décision de justice, toute demande formulée en vertu du premier alinéa sera examinée par le tribunal chargé de l’exécution.

4) Sur demande de l’institution débitrice, le tribunal saisi conformément aux alinéas 1-3 peut ordonner, par le biais d’un jugement exécutoire, que l’exécution forcée soit suspendue jusqu’au prononcé d’une décision définitive et irrévocable statuant sur le délai/les délais de paiement du montant dû. Le sursis peut être ordonné sans aucun dépôt de garantie. Un recours peut être exercé séparément contre ce jugement.

5) Dans des situations d’urgence, le tribunal mentionné au quatrième alinéa peut, sur demande de l’institution débitrice, ordonner par un jugement avant dire droit prononcé en chambre du conseil la suspension provisoire de l’exécution jusqu’au prononcé du jugement statuant sur la demande de suspension formulée conformément au quatrième alinéa. La suspension peut être ordonnée sans aucun dépôt de garantie. Le jugement avant dire droit n’est pas susceptible de recours.

6) Les demandes formulées dans les conditions prescrites par les alinéas 1 à 5 sont exemptées de droit de timbre et seront examinées avec célérité. La décision prononcée dans le cadre des paragraphes 1 à 3 est susceptible de recours seulement. »

Article 7

« Les demandes, indépendamment de leur nature, formulées par les autorités et les institutions publiques dans le cadre des procédures d’exécution forcée de créances établies par des titres exécutoires, sont exemptées de droit de timbre, de timbre judiciaire et de tout dépôt de garantie. »

Article 8

« Les dispositions de la présente ordonnance s’appliquent également aux obligations de paiement établies par des titres exécutoires contre les autorités administratives autonomes. »

3. Le code de procédure civile

38. Les dispositions pertinentes de l’ancien code de procédure civile (CPC) en vigueur du 26 juillet 1993 au 15 février 2013 (date de l’adoption du nouveau CPC), se lisaient comme suit :

Article 3711

« Tout débiteur devra exécuter volontairement une obligation établie par une décision de justice ou par un autre titre. Si le débiteur refuse d’exécuter l’obligation, il y a lieu de mettre en œuvre l’exécution forcée de la décision, conformément au présent chapitre, sauf si la loi en dispos

e autrement. L’exécution forcée est mise en œuvre selon les modalités prévues par la loi (...) jusqu’à l’exécution de l’obligation résultant du titre exécutoire et du paiement des intérêts afférents, des pénalités ou d’autres montants prévus par la loi, ainsi que des frais d’exécution. »

Article 371²

« Peuvent faire l’objet d’une exécution forcée les obligations de paiement d’une somme d’argent, de restitution d’un bien, de démolition d’une construction, d’une plantation ou d’un autre ouvrage, ou de prise de mesures autorisées par la loi. Si le titre exécutoire prévoit également le paiement d’intérêts, de pénalités ou d’autres sommes, sans en préciser le montant, l’autorité d’exécution devra déterminer celui-ci, conformément à la loi. Si le titre exécutoire contient suffisamment d’éléments pour permettre aux organes d’exécution d’actualiser le montant (...), il sera procédé, sur demande expresse du créancier, à cette actualisation. Si le titre exécutoire ne contient pas de tels éléments, l’organe d’exécution actualise ledit montant en fonction de l’inflation, calculée à partir de la date à laquelle la décision est devenue exécutoire ou, dans le cas d’un autre titre exécutoire, à partir de la date à laquelle la créance est devenue exigible et jusqu’au paiement effectif de toutes les sommes dues en vertu de ce titre. »

Article 3713

« Les revenus et les biens du débiteur peuvent être saisis dans le cadre de l’exécution forcée dès lors qu’ils sont saisissables, conformément à la loi, et seulement dans la mesure où cela est nécessaire (...). Les biens relevant d’un régime spécial peuvent être saisis dans le cadre d’une exécution forcée seulement dans le respect des dispositions légales. »

Article 3714

« Pendant la procédure d’exécution forcée, le créancier et le débiteur peuvent convenir, sous l’autorité de l’organe chargé de l’exécution, de faire porter l’exécution, en totalité ou en partie, seulement sur les revenus du débiteur et procéder à la vente des biens d’un commun accord ou de réaliser le paiement de l’obligation d’une autre manière légale. »

Article 3715

« L’exécution forcée prend fin :

a) lorsque le débiteur s’est acquitté en intégralité de l’obligation résultant du titre exécutoire ainsi que des frais d’exécution et autres montants dus ; dans ce cas, l’huissier de justice remettra le titre exécutoire au créancier, avec mention de l’extinction totale des obligations.

b) lorsqu’il n’est plus possible de procéder à l’exécution ou de la poursuivre faute de biens saisissables ou faute de possibilité de vente des biens, l’huissier remettra personnellement au créancier ou au représentant de celui-ci le titre exécutoire, en mentionnant la cause de sa restitution et en indiquant quelle partie de l’obligation a été exécutée.

c) lorsque le créancier a renoncé à l’exécution ;

d) lorsque le titre exécutoire a été annulé. »

Article 3716

« Dans les cas prévus à l’article 3715, lettre b), le débiteur peut demander la reprise de l’exécution forcée pendant le délai légal de prescription (...). La reprise de l’exécution forcée ne peut porter que sur le même bien lorsqu’il s’agit d’un bien immeuble (...) »

Article 3717

« Les frais exposés pour l’accomplissement d’actes ou de formalités spécifiques dans le cadre de l’exécution forcée sont à la charge de la partie demanderesse. Pour les actes et les activités ordonnés d’office, les frais sont à la charge du créancier. Les frais engendrés par l’exécution forcée sont à la charge du débiteur, sauf lorsque le créancier a renoncé à l’exécution ou que la loi en dispose autrement. Le débiteur sera tenu de payer les frais liés à l’exécution engagés après l’enregistrement de la demande d’exécution et jusqu’à l’exécution effective et volontaire de l’obligation prévue dans le titre exécutoire. Les sommes dues seront établies par un huissier de justice, par procès-verbal, sur justificatifs produits par la partie intéressée, conformément à la loi. Pour les sommes ainsi établies, le procès-verbal constitue titre exécutoire. »

Article 3718

« Le versement ou la consignation de toute somme destinée à couvrir, conformément à la loi, la créance faisant l’objet de la procédure d’exécution forcée, telles les sommes versées à titre de garantie ou résultant de la vente des biens, se fera uniquement sur des comptes de la Caisse d’épargne (Casa de economii si consemnatiuni) mis à la disposition de l’organe chargé de l’exécution ou de l’huissier de justice. Le récépissé de consignation ou du dépôt de tout autre document légal peut constituer la preuve de la consignation de ces montants. »

Article 372

« L’exécution forcée n’est possible que si la créance a été reconnue en vertu d’une décision de justice ou de tout autre document qui, au regard de la loi, constitue un titre exécutoire. »

Article 373

« Si la loi n’en dispose pas autrement, la décision de justice ou tout autre titre exécutoire seront mis en œuvre par un huissier de justice exerçant dans l’arrondissement (...) où l’exécution aura lieu, ou, s’il s’agit de biens, par l’huissier de justice exerçant dans l’arrondissement (...) où les biens sont situés. Si les biens sont situés dans plusieurs arrondissements (...), tout huissier de justice exerçant dans l’un de ces arrondissements a compétence pour l’exécution en cause.

L’instance d’exécution est le tribunal de première instance de l’arrondissement où l’exécution aura lieu, sauf si la loi en dispose autrement. L’instance d’exécution statue sur les demandes d’exécution forcée, sur les contestations à l’exécution ainsi que sur tout autre incident survenu lors de l’exécution, à l’exception de ceux pour lesquels d’autres tribunaux sont compétents. »

Article 3731

« Sauf si la loi en dispose autrement, la demande d’exécution forcée accompagnée du titre exécutoire doit être déposée auprès d’un huissier de justice. Celui-ci doit, dans un délai de cinq jours maximum à compter de la réception de la demande, solliciter l’autorisation d’exécution forcée auprès du tribunal, en lui envoyant la demande et le titre exécutoire.

Le tribunal approuve l’exécution forcée de l’obligation établie par le titre exécutoire par un jugement avant dire droit prononcé en chambre de conseil, sans notification aux parties, au plus tard sept jours après l’enregistrement de la demande d’autorisation d’exécution forcée.

En vertu du jugement avant dire droit ayant autorisé l’exécution forcée, l’huissier de justice peut procéder à l’exécution de l’obligation prévue dans le titre exécutoire dans toutes les modalités établies par la loi, les dispositions de l’article 3731, troisième alinéa, étant applicables. L’autorisation d’exécution forcée est également valable pour les titres exécutoires délivrés par l’huissier de justice pendant la procédure d’exécution forcée.

Un tribunal peut rejeter une demande d’autorisation d’exécution forcée :

1. lorsque la demande d’exécution forcée relève de la compétence d’attribution d’un autre organe d’exécution que celui qui a été saisi ;

2. lorsque le titre n’est pas revêtu de la formule exécutoire, dès lors que, en vertu de la loi, cette condition est nécessaire pour déclencher l’exécution forcée ;

3. lorsque la créance n’est pas sûre, liquide et exigible ;

4. lorsque le titre contient des dispositions qui ne peuvent pas être exécutées par le biais d’une exécution forcée ;

5. lorsqu’il existe d’autres empêchements prévus par la loi.

Le jugement avant dire droit qui autorise l’exécution forcée n’est pas susceptible de recours. Le jugement avant dire droit qui rejette une demande d’exécution forcée est susceptible de recours, de la part du créancier, dans un délai de cinq jours après la notification.

Pendant l’exécution, l’huissier doit avoir un rôle actif, persévérer et mettre en œuvre tous les moyens légaux pour que le débiteur s’acquitte intégralement et promptement de l’obligation prévue dans le titre exécutoire, dans le respect des dispositions de la loi et des droits des parties et des autres parties intéressées (...) »

Article 373²

« Dans les cas prévus par la loi ou si l’huissier l’estime nécessaire, les organes de police, la gendarmerie ou les agents des forces de l’ordre sont tenus d’apporter leur concours à la réalisation de l’exécution. Sur demande de la juridiction d’exécution ou de l’huissier de justice, les personnes qui sont redevables au débiteur d’une somme d’argent ou qui détiennent des biens lui appartenant sont tenues de donner toutes les informations nécessaires pour que l’exécution puisse avoir lieu. (...) »

Article 374

« Une décision de justice ou tout autre titre ne peuvent être exécutés que s’ils sont revêtus de la formule exécutoire conformément à l’article 269, premier alinéa (...). Le tribunal de première instance est chargé de cette formalité (...) »

Article 376

« Doivent être revêtus de la formule exécutoire conformément à l’article 296, premier alinéa, les décisions de justice devenues définitives et tous autres actes ou documents (...) »

Article 377

« Sont considérés comme décisions définitives :

1. les jugements prononcés en première instance, conformément à la loi, qui ne sont pas susceptibles d’appel ;

2. les jugements prononcés en première instance contre lesquels le droit d’appel n’a pas été exercé ou contre lesquels le droit d’appel, s’il a été exercé, l’a été hors délai légal, ou lorsque la demande d’appel a été rejetée ou annulée ;

3. les décisions prononcées en appel ;

4. toutes autres décisions qui ne peuvent plus, au regard de la loi, faire l’objet d’un appel ;

Sont irrévocables :

1. les décisions prononcées en première instance qui ne sont pas susceptibles d’appel et qui n’ont pas fait l’objet d’un recours ;

2. les décisions prononcées en première instance qui n’ont pas fait l’objet d’un appel ;

3. les décisions prononcées en appel qui n’ont pas fait l’objet d’un recours ;

4. les décisions prononcées en recours même si elles ont tranché le fond de l’affaire ;

5. toutes autres décisions qui ne peuvent plus, au regard de la loi, faire l’objet d’un recours. »

Article 399

« Les personnes intéressées ou lésées peuvent contester l’exécution forcée ou tout acte d’exécution. (...) Une contestation peut également être formée lorsqu’il est nécessaire de clarifier le sens, la portée ou les modalités de mise en œuvre du titre exécutoire, ou lorsque l’organe chargé de l’exécution refuse d’accomplir un acte d’exécution (...) »

Article 400

« L’exécution doit être contestée devant la juridiction d’exécution. La contestation concernant la clarification, l’étendue ou les modalités d’application du titre exécutoire doit être formée devant la juridiction qui a prononcé [la décision en cause]. » (...)

Article 404

« En cas d’acceptation de la contestation, le juge d’exécution peut, selon le cas, annuler l’acte d’exécution contesté, le modifier ou prononcer l’arrêt de l’exécution. Il peut aussi demander l’annulation ou la clarification du titre exécutoire, ou ordonner la réalisation de l’acte d’exécution contesté. S’il constate qu’un huissier de justice a refusé sans justification de procéder à l’exécution forcée ou d’accomplir un acte d’exécution et si cet acte ne constitue pas un délit, le juge d’exécution, saisi en vertu de l’article 399, premier alinéa, pourra contraindre l’huissier au paiement d’une amende allant de 500 à 2 500 RON, et, sur demande expresse, au paiement de dédommagements pour les préjudices causés. Si la contestation est rejetée, le demandeur peut être contraint, sur demande, au paiement d’une indemnité pour les dommages causés en raison du retard pris dans l’exécution et, lorsque la contestation a été formulée de mauvaise foi, il pourra se voir infliger le paiement d’une amende allant de 500 000 à 7 000 000 ROL.

(...) »

4. La loi no 76/2012

39. Les dispositions pertinentes en l’espèce énoncées dans la loi no 76/2012 du 24 mai 2012 sur la mise en application de la loi no 134/2010 concernant le nouveau CPC se lisent comme suit :

Article 3

« 1. Les dispositions du code de procédure civile sont applicables uniquement aux procès ou aux exécutions forcées qui ont débuté après l’entrée en vigueur du présent code.

2. Les procédures qui ont été introduites conformément à la loi par courrier postal ou auprès des instances militaires ou pénitentiaires avant la date d’entrée en vigueur du code de procédure civile seront régies par l’ancienne loi, même s’ils ont été enregistrés par un tribunal après cette date. »

Article 4

« Les dispositions énoncées à l’article 614 du code de procédure civile s’appliquent seulement aux exécutions forcées qui ont débuté avant l’entrée en vigueur du code de procédure civile. »

Article 5

« Les dispositions du code de procédure civile concernant les titres exécutoires sont applicables également aux décisions de justice prononcées ou aux actes rédigés avant l’entrée en vigueur du code de procédure civile. Ceux-ci peuvent être exécutés même s’ils ne sont pas revêtus de la formule exécutoire. »

Article 6

« Les délais de procédure prévus par des lois spéciales, applicables au moment de l’entrée en vigueur du code de procédure civile, sont régis par la loi en vigueur à la date à laquelle ils ont commencé à courir. (...) »

Article 10

« Chaque fois qu’un acte normatif prévoit l’obligation de revêtir une décision de justice ou tout autre document de la formule exécutoire, ceux-ci seront exécutés à compter de la date d’entrée en vigueur du nouveau code de procédure civile, sans qu’il y ait besoin de les revêtir de la formule exécutoire. »

Article 11

« Si la loi spéciale prévoit de contraindre le débiteur à une astreinte comminatoire ou, selon le cas, à une amende civile pour non-respect d’une obligation (...) à compter de l’entrée en vigueur du nouveau code de procédure civile, des pénalités par jour de retard, conformément à l’article 894 du code de procédure civile, peuvent être infligées. (...) »

5. Résumé des principales modifications apportées par le nouveau CPC en matière d’exécution forcée

40. Le nouveau CPC, entré en vigueur le 15 février 2013, maintient le principe concernant l’exécution volontaire des décisions définitives de justice et prévoit la possibilité d’exécuter certaines obligations de faire (par exemple l’inscription d’un droit dans un registre public ou l’obtention d’une autorisation) sans l’intervention d’un huissier de justice (article 622). Le nouveau CPC prévoit également l’obligation de recourir à un huissier de justice pour toute exécution forcée d’un titre exécutoire (article 623), ainsi que l’obligation de calcul, par les huissiers de justice, des intérêts et des pénalités prévus dans les titres exécutoires ou, à défaut de mention dans le titre exécutoire, de l’actualisation au niveau de l’inflation (article 628). Il envisage en outre la possibilité d’un accord entre le créancier de l’obligation à exécuter et le débiteur quant à l’exécution partielle ou totale sur les revenus et sur les biens du débiteur ou quant à la vente des biens saisis (article 630). Une procédure d’exécution forcée peut être intentée à l’encontre de toute personne physique ou morale de droit privé ou public, à l’exception de celles qui bénéficient d’une immunité d’exécution (article 631). D’autres dispositions qualifient de titres exécutoires les décisions exécutoires (les décisions prononcées en appel ou en première instance mais qui ne sont pas susceptibles d’appel), les décisions définitives et toutes autres décisions qui, en vertu de la loi, sont susceptibles d’exécution (article 632). Le tribunal en charge de l’exécution est celui dont le siège se situe dans le même arrondissement que l’étude de l’huissier de justice chargé de l’exécution (article 650). Ce dernier doit, dans un délai de trois jours après la réception de la demande d’exécution formulée par le débiteur, solliciter auprès du tribunal l’autorisation d’exécution forcée (article 664). Le tribunal doit prononcer une décision au plus tard sept jours après le dépôt de la demande d’exécution par l’huissier de justice (article 665). Le jugement autorisant l’exécution forcée doit porter une mention relative à l’étendue des pouvoirs confiés aux huissiers de justice et aux agents publics en vue de l’exécution forcée (article 665). Le créancier doit accomplir, tous les six mois, des actes ou démarches nécessaires à l’exécution forcée, faute de quoi l’autorisation d’exécution devient caduque, ce qui a pour effet l’annulation de tous les actes d’exécution, à l’exception de ceux ayant déjà abouti au recouvrement partiel de la créance (articles 696-697). Le droit d’exécution forcée est prescrit au terme d’un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le droit d’exécution forcée est né, à l’exception de droits réels pour lesquels un délai de dix ans est prévu (article 705).

B. Droit international pertinent

41. Le 26 janvier 2011, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté la Résolution (1787(2011)), dans laquelle elle note avec préoccupation l’existence dans certains pays membres, dont la Roumanie, de problèmes structurels majeurs qui sont à l’origine de nombreuses affaires répétitives de violation de la Convention. Dans ce contexte, elle a exhorté la Roumanie à donner la priorité au problème de l’inexécution de décisions de justice. La partie pertinente en l’espèce de cette résolution se lit comme suit :

« (...)

L’Assemblée exhorte en particulier les Etats ci-après à donner la priorité à des problèmes spécifiques :

(...)

7.6. la restitution – ou l’indemnisation – de biens nationalisés doit rester une priorité en Roumanie (voir l’arrêt pilote Maria Atanasiu et autres c. Roumanie de la Cour du 12 octobre 2010). Il faut aussi remédier maintenant à la durée excessive de procédures judiciaires et à l’inexécution de décisions de justice définitives. (...) »

42. Le Comité des Ministres a adopté, lors de sa 1150e réunion (septembre 2012), une décision dans le cadre de l’examen, en procédure soutenue, de l’exécution du groupe d’arrêts Săcăleanu c. Roumanie (et 26 autres affaires) qui concerne le manquement de l’administration ou des personnes morales relevant de la responsabilité de l’État à leur obligation de se conformer aux décisions de justice internes définitives ou un retard significatif de leur part à cet égard. La partie pertinente en l’espèce de cette décision se lit comme suit :

« (...)

Les Délégués

1. relèvent que les violations constatées par la Cour européenne dans ces affaires témoignent de l’existence, à l’époque des faits pertinents, d’importants problèmes complexes liés à l’inexécution ou à l’exécution tardive des décisions définitives de justice par l’administration ou par des personnes morales relevant de la responsabilité de l’Etat ;

2. notent avec intérêt le plan d’action pour l’exécution de ces arrêts soumis le 16 janvier 2012, contenant des informations sur les mesures prises et envisagées par les autorités roumaines afin de remédier aux problèmes à l’origine de ces affaires ;

3. notent cependant avec préoccupation que des questions fondamentales relatives aux mesures générales, s’agissant en particulier des mécanismes et des garanties prévues en droit interne pour assurer l’exécution volontaire et prompte des décisions judiciaires par l’administration et des voies de recours disponibles à cet égard, restent à ce jour en suspens ;

4. notent en outre que des informations et des clarifications sont toujours nécessaires dans un certain nombre d’affaires, s’agissant des mesures individuelles (pour plus de détails voir les §§ 55-82 du mémorandum du Secrétariat CM/Inf/DH(2012)24) ;

5. relèvent que les autorités roumaines ont récemment commencé à réunir les informations nécessaires sur ces points et sur les autres points soulevés dans le mémorandum précité ; encouragent les autorités à fournir au Comité, dans les meilleurs délais, le résultat de ces démarches ;

6. décident de déclassifier le mémorandum CM/Inf/DH(2012)24 et de reprendre l’examen de toutes ces questions à la lumière d’un plan d’action révisé à soumettre rapidement par les autorités roumaines. »

EN DROIT

I. SUR LA JONCTION DES REQUÊTES

43. La Cour considère d’abord que, les faits à l’origine des deux affaires présentant des points communs et le cadre législatif et les pratiques administratives étant similaires, il y a lieu, en application de l’article 42 § 1 de son règlement et dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de joindre les requêtes enregistrées sous les numéros 2699/03 et [43597/07](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2233800/06%22%5D%7D).

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION ET DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION

44. Les requérants reprochent aux autorités l’inexécution des décisions de justice contraignantes et exécutoires rendues en leur faveur. Ils soutiennent que le défaut d’exécution dont ils se plaignent les a privés du droit à un tribunal, au sens de l’article 6 de la Convention, et du droit au respect de leurs biens garanti par l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Ces dispositions sont ainsi libellées :

Article 6 § 1 de la Convention

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

Article 1 du Protocole no 1 à la Convention

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. (...) »

A. Sur la recevabilité

45. Se référant à la requête introduite par la Fondation Foyers des élèves de l’Église réformée, le Gouvernement excipe du non‑épuisement des voies de recours internes. A l’appui de sa thèse, il présente trois raisons : il reproche à la requérante d’avoir renoncé, en 2001, à l’exécution forcée du jugement définitif du 15 octobre 1998, de ne pas avoir introduit également à l’encontre de la régie une action visant à l’expulsion des locataires et de ne pas avoir formé un recours en garantie d’éviction à l’encontre de l’ancien propriétaire du terrain (sur ce dernier point, il renvoie à l’arrêt Tudor Tudor c. Roumanie, no 21911/03, §§ 38-43, 24 mars 2009).

46. En réponse aux observations du Gouvernement, la requérante affirme que, en dépit de toutes les démarches qu’elle dit avoir entreprises pendant plusieurs années en vue de l’exécution du jugement définitif rendu en sa faveur, l’exécution forcée n’a pas été réalisée.

47. S’agissant du premier argument avancé par le Gouvernement, la Cour observe que, s’il est vrai que la requérante, dans l’espoir d’un accord avec la débitrice, a renoncé à sa demande d’exécution en 2001, il n’est pas moins vrai que l’intéressée a formulé, après l’échec d’un tel accord, une nouvelle demande d’exécution forcée du jugement définitif du 15 octobre 1998 (paragraphes 14-17 ci-dessus).

48. S’agissant de la possibilité qu’aurait eue la requérante d’obtenir l’expulsion des occupants du bâtiment litigieux, la Cour note que tous les efforts que la requérante a déployés aux fins de faire expulser les locataires ont été vains (paragraphes 16 et 21-22 ci-dessus) et qu’il serait excessif de demander à l’intéressée d’introduire une nouvelle action en expulsion à l’encontre de la régie, alors que des baux ont été conclus après son action en expulsion et que la propriété des bâtiments a été transférée par la suite à la ville de Zetea.

49. S’agissant du troisième argument du Gouvernement, la Cour note que, à la différence de l’arrêt Tudor Tudor (précité) invoqué par le Gouvernement, affaire dans laquelle il y avait concurrence de deux titres de propriété sur un même bien, la requérante bénéficie en l’espèce d’une décision définitive de justice ordonnant aux autorités locales de procéder à un acte précis et que l’obligation qui en est résultée n’a pas été satisfaite en raison du refus de la régie d’obtempérer.

50. En tout état de cause, la Cour rappelle, à la lumière de sa jurisprudence constante en la matière, qu’il n’est pas opportun d’exiger d’un individu ayant obtenu une créance contre l’État à l’issue d’une procédure judiciaire qu’il engage par la suite une nouvelle procédure afin d’obtenir satisfaction (Metaxas c. Grèce, no [8415/02](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%228415/02%22%5D%7D), § 19, 27 mai 2004, et Bourdov c. Russie (no 2), no 33509/04, §§ 68-70, CEDH 2009). Par conséquent, aucune démarche supplémentaire n’était requise de la part de la requérante. Partant, il convient de rejeter l’exception du Gouvernement.

51. Constatant que les requêtes ne sont pas manifestement mal fondées au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elles ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

a) Les requérants

52. Les requérants déplorent le refus opposé par les autorités internes à l’exécution des jugements définitifs prononcés le 15 octobre 1998 par le tribunal de première instance d’Odorheiul Secuiesc (requête no 2699/03) et le 12 septembre 2005 par le tribunal de première instance de Piteşti, ainsi que l’exécution tardive de l’arrêt définitif du 29 mai 2001 de la cour d’appel de Craiova (requête no 43597/07).

b) Le Gouvernement

53. S’agissant de la requête no 2699/03, le Gouvernement soutient que les autorités n’ont pas pu procéder à la démolition desdits bâtiments parce que ceux-ci auraient été occupés par trente-six familles. Il affirme également que le titre exécutoire ne contenait aucune mention relative à l’expulsion des occupants des bâtiments. De plus, selon le Gouvernement, le titre exécutoire était prescrit (paragraphe 25 ci-dessus). Pour toutes ces raisons, le Gouvernement demande à la Cour de constater l’impossibilité objective d’exécuter le jugement définitif du 15 octobre 1998. Quant à l’atteinte au droit de propriété dont se plaint la requérante, le Gouvernement considère qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que les États bénéficient d’une ample marge d’appréciation quant au choix des mesures à mettre en œuvre pour atteindre les buts poursuivis par les réformes. Il fait référence à une autre affaire dans laquelle, selon lui, plusieurs tentatives d’exécution forcée ont échoué à faire expulser des locataires qui auraient bénéficié de nombreuses dispositions légales prorogeant, suspendant ou échelonnant l’exécution forcée des décisions définitives ordonnant leur expulsion (Spadea et Scalabrino c. Italie, 28 septembre 1995, § 46, série A no 315‑B).

54. S’agissant de la requête no 43597/07, le Gouvernement souhaite préciser que le requérant n’était pas le seul bénéficiaire des deux décisions définitives du 29 mai 2001 et du 12 septembre 2005 et que trois autres copropriétaires du terrain y figuraient aussi en tant que créanciers. Pour ce qui est de la décision définitive du 29 mai 2001, il affirme qu’elle a été exécutée le 24 juin 2002. Quant au jugement du 12 septembre 2005, il soutient qu’il a été exécuté dans sa partie concernant l’estimation et le marquage des arbres à abattre et que lui-même ne détient aucune information quant à l’éventuel paiement des 1 360 lei roumains (RON).

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux découlant de la jurisprudence de la Cour

55. La Cour rappelle que le droit à un tribunal garanti par l’article 6 de la Convention serait illusoire si l’ordre juridique interne d’un État contractant permettait qu’une décision judiciaire définitive et obligatoire restât inopérante au détriment d’une partie. L’exécution d’un jugement ou d’un arrêt, de quelque juridiction que ce soit, doit donc être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l’article 6 de la Convention (Hornsby c. Grèce, 19 mars 1997, § 40, Recueil des arrêts et décisions 1997‑II, Okyay et autres c. Turquie, no [36220/97](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2236220/97%22%5D%7D), § 72, CEDH 2005‑VII, Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no [22774/93](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2222774/93%22%5D%7D), § 63, CEDH 1999‑V, et Costin c. Roumanie, no [57810/00](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2257810/00%22%5D%7D), § 26, 26 mai 2005).

56. La Cour rappelle également que la protection effective du justiciable et le rétablissement de la légalité impliquent l’obligation pour l’administration de se plier au jugement ou à l’arrêt qui sera éventuellement rendu contre elle en dernier ressort. Si l’administration refuse ou omet de s’exécuter, ou encore tarde à le faire, les garanties de l’article 6 dont a bénéficié le justiciable pendant la phase judiciaire de la procédure perdent toute raison d’être (Hornsby, précité, § 41, Okyay et autres, précité, § 72, Niţescu c. Roumanie, no [26004/03](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2226004/03%22%5D%7D), § 32, 24 mars 2009, Iera Moni Profitou Iliou Thiras c. Grèce, no [32259/02](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2232259/02%22%5D%7D), § 34, 22 décembre 2005, et Costin, précité, § 27).

57. La Cour rappelle en outre qu’un délai d’exécution déraisonnablement long d’un jugement obligatoire peut également emporter violation de la Convention (Bourdov (no 2), précité, § 66). Le caractère raisonnable d’un tel délai doit s’apprécier en tenant compte en particulier de la complexité de la procédure d’exécution, du comportement du requérant et des autorités compétentes, et de l’ampleur et de la nature de la réparation octroyée par le juge (Raylyan c. Russie, no [22000/03](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2222000/03%22%5D%7D), § 31, 15 février 2007).

58. En tout état de cause, une personne qui a obtenu un jugement contre l’État n’a pas à ouvrir une procédure distincte pour en obtenir l’exécution forcée : c’est au premier chef aux autorités de l’État qu’il incombe de garantir l’exécution d’une décision de justice rendue contre celui-ci, et ce dès la date à laquelle cette décision devient obligatoire et exécutoire. Pareil jugement doit être signifié en bonne et due forme à l’autorité concernée de l’État défendeur, laquelle est alors à même de faire toutes les démarches nécessaires pour s’y conformer ou pour le communiquer à une autre autorité de l’État compétente pour les questions d’exécution des décisions de justice. Il s’agit là d’un élément particulièrement important dans une situation où, du fait des complexités et du chevauchement possible des procédures de mise en œuvre volontaire ou d’exécution forcée, le justiciable peut raisonnablement être dans le doute quant au point de savoir quelle autorité est responsable en la matière (Metaxas, précité, § 19, Akachev c. Russie, no 30616/05, § 21, 12 juin 2008, Bourdov (no 2), précité, § 68, et Gjyli c. Albanie, no [32907/07](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2232907/07%22%5D%7D), § 44, 29 septembre 2009).

59. Certes, les intéressés peuvent devoir effectuer certaines démarches procédurales de manière à permettre ou à accélérer l’exécution d’un jugement. L’obligation faite aux individus de coopérer ne doit toutefois pas excéder ce qui est strictement nécessaire et, quoi qu’il en soit, elle n’exonère pas l’administration de l’obligation que fait peser sur elle la Convention d’agir de sa propre initiative et dans les délais prévus, en se fondant sur les informations à sa disposition, afin d’honorer le jugement rendu contre elle (Akachev, précité, § 22, Bourdov (no 2), précité, § 69, Chvedov c. Russie, no [69306/01](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2269306/01%22%5D%7D), §§ 29-37, 20 octobre 2005, et Kosmidis et Kosmidou c. Grèce, no [32141/04](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2232141/04%22%5D%7D), § 24, 8 novembre 2007).

60. Enfin, quelle que soit la complexité de ses procédures d’exécution ou de son système budgétaire, l’État demeure tenu par la Convention de garantir à toute personne le droit à ce que les jugements obligatoires et exécutoires rendus en sa faveur soient exécutés dans un délai raisonnable. Une autorité de l’État ne peut pas non plus prétexter du manque de fonds ou d’autres ressources pour ne pas honorer une dette fondée sur une décision de justice (Bourdov (no 2), précité, § 70, et les références qui y figurent, et Société de gestion du port de Campoloro et Société fermière de Campoloro c. France, no [57516/00](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2257516/00%22%5D%7D), § 62, 26 septembre 2006).

b) Application des principes susmentionnés dans la présente affaire

i. Le jugement définitif du 15 octobre 1998 (requête no 2699/03)

61. La Cour note qu’il n’est pas contesté par les parties que le jugement définitif du 15 octobre 1998 n’a été ni exécuté ni annulé ni modifié à la suite de l’exercice par la requérante d’une voie de recours prévue par le droit interne. Il n’est pas non plus contesté que les débiteurs de l’obligation à exécuter sont partie intégrante de l’administration.

62. Toutefois, nonobstant la décision de justice favorable à la requérante, autant la régie que la mairie de Zetea se sont toujours opposées à l’exécution du jugement au motif que les bâtiments en question étaient occupés par des tierces personnes. À ce sujet, la Cour note que la thèse du Gouvernement se fonde sur l’inopposabilité du jugement aux tierces personnes occupant les bâtiments.

63. Sur ce point, la Cour rappelle qu’il ne lui appartient pas de confirmer ou d’infirmer le contenu d’une décision de justice interne. Elle ne peut cependant se dispenser de constater la situation juridique établie par les tribunaux à l’égard des parties. À cet égard, elle note que, en l’espèce, même à supposer qu’une divergence d’interprétation pût exister quant aux effets de l’occupation des bâtiments par des tierces personnes, les tribunaux nationaux ont jugé, en se fondant sur les éléments de preuve présentés par les parties, que la démolition desdits bâtiments s’imposait afin de permettre à la requérante d’avoir la libre jouissance de son terrain. Dès lors, ayant à l’esprit le principe de la prééminence du droit dans une société démocratique, la Cour estime que la décision définitive rendue par les juridictions nationales prévaut et que les autorités administratives étaient tenues de s’y conformer entièrement (Pântea c. Roumanie, no [5050/02](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%225050/02%22%5D%7D), § 35, 15 juin 2006).

64. Bien que la Cour admette, comme le soutient le Gouvernement, qu’il existe des circonstances justifiant parfois l’échec de l’exécution en nature d’une obligation imposée par une décision judiciaire définitive, elle estime que l’État ne peut pas se prévaloir d’une telle justification sans avoir dûment informé le requérant, par l’intermédiaire d’une décision judiciaire ou administrative formelle, de l’impossibilité d’exécuter telle quelle l’obligation initiale, surtout quand il agit en double qualité de détenteur de la force publique et de débiteur de l’obligation (Costin, précité, § 57).

65. Or, en l’espèce, les juridictions nationales n’ont jamais estimé que les autorités administratives n’étaient pas tenues d’exécuter le jugement définitif favorable à la requérante et elles n’ont pas constaté non plus l’existence d’une « impossibilité objective » susceptible de justifier leur refus de l’exécuter (voir, en ce sens, Ana Pavel c. Roumanie, no 4503/06, § 26, 16 mars 2010, et, a contrario, Străchinaru c. Roumanie, no 40263/05, § 16, 21 février 2008, Niţescu c. Roumanie, no 26004/03, § 16, 24 mars 2009, et Pistireanu c. Roumanie, no 34865/02, § 15, 30 septembre 2008).

66. Quant à la situation découlant de l’occupation des bâtiments à démolir, la Cour note que, ainsi qu’il ressort du dossier, les occupants n’avaient initialement aucun titre légal les autorisant à s’installer dans ces lieux (paragraphes 11-13 ci-dessus) et que ce n’est qu’après le prononcé du jugement favorable à la requérante et le début des démarches d’exécution forcée que les autorités ont conclu avec eux des baux de location (paragraphe 21 ci-dessus). Or ce constat vient contredire la thèse du Gouvernement en faveur de l’impossibilité objective d’exécution, car l’administration – dont l’intérêt doit être celui d’une bonne administration de la justice – a, par ses démarches, diminué les chances de la requérante de voir exécuter son jugement définitif. Dans ces conditions, la Cour ne saurait admettre qu’il s’agit, en l’espèce, d’une situation dans laquelle l’inexécution du jugement en question était justifiée (voir, mutatis mutandis, Babei et Clucerescu c. Roumanie, no 27444/03, §§ 26-29, 23 juin 2009).

67. Enfin, s’agissant de l’affirmation du Gouvernement concernant l’éventuelle prescription du titre exécutoire de la requérante, la Cour observe que, ainsi qu’il ressort du dossier, la demande d’exécution forcée n’a pas été rejetée pour cause de prescription. Cette situation est confirmée également par la procédure d’exécution forcée qui est actuellement pendante (paragraphes 25-26 ci‑dessus).

68. En tout état de cause, la Cour note que le jugement rendu par le tribunal de première instance d’Odorheiul Secuiesc le 15 octobre 1998 est devenu définitif et exécutoire le 5 octobre 2000, date à partir de laquelle les autorités défenderesses savaient ou étaient censées savoir qu’elles étaient tenues de procéder à la démolition des bâtiments édifiés sur le terrain de la requérante. À compter de ladite date, les autorités défenderesses étaient donc tenues de prendre, elles-mêmes ou en coopération avec d’autres organes compétents, départementaux et/ou locaux, toutes les mesures requises pour se conformer au jugement contraignant et exécutoire rendu à leur encontre. En s’abstenant pendant des années de prendre les mesures nécessaires pour se conformer au jugement définitif prononcé le 15 octobre 1998, les autorités ont privé les dispositions de l’article 6 § 1 de la Convention de tout effet utile.

69. Par ailleurs, en refusant de se conformer au jugement définitif du 15 octobre 1998, les autorités nationales ont également privé la requérante de la possibilité d’utiliser son terrain, et ce sans lui fournir de justification pour l’inaction prolongée de l’État. L’impossibilité pour la requérante d’obtenir l’exécution de son jugement a constitué une ingérence dans l’exercice de son droit au respect de ses biens, tel qu’énoncé dans la première phrase du premier paragraphe de l’article 1 du Protocole no 1. À supposer que l’occupation desdits bâtiments par des tierces personnes pût justifier le défaut d’exécution, la Cour constate qu’aucune mesure compensatoire n’a été proposée par les autorités à la requérante pour que le juste équilibre commandé par l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ne fût pas rompu.

70. La Cour rappelle qu’elle a déjà conclu dans plusieurs affaires que l’omission des autorités, sans justification valable, d’exécuter dans un délai raisonnable une décision définitive rendue à leur encontre s’analyse en une violation du droit d’accès à un tribunal ainsi que du droit au respect des biens (Metaxas, précité, § 26, Bourdov c. Russie, no [59498/00](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2259498/00%22%5D%7D), §§ 37-38, CEDH 2002‑III, Şandor c. Roumanie, no 67289/01, §§ 23-37, 24 mars 2005, Orha c. Roumanie, no 1486/02, §§ 23‑38, 12 octobre 2006, Ruxandra Trading c. Roumanie, no 28333/02, §§ 54-75, 12 juillet 2007, Pistireanu, précité, §§ 36-41, Niţescu, précité, §§ 39-41, Aurelia Popa c. Roumanie, no 1690/05, §§ 24-25, 26 janvier 2010, et Ana Pavel, précité, §§ 26-28).

71. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour considère que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans la présente espèce. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

ii. L’arrêt du 29 mai 2001 et le jugement définitif du 12 septembre 2005 (requête no 43597/07)

72. S’agissant de l’obligation mise à la charge du centre territorial par l’arrêt du 29 mai 2001, la Cour observe qu’elle a été exécutée avec un certain retard (paragraphe 32 ci-dessus), et ce sous la menace d’une astreinte comminatoire. Sur ce point, elle observe que la procédure engagée par le requérant avait pour but unique d’obliger les autorités administratives à procéder à une opération technique qui leur incombait afin qu’il pût exploiter le bois de sa propriété. Malgré le paiement de la prestation, malgré les relances successives effectuées par le requérant et malgré l’astreinte comminatoire, les autorités ne se sont acquittées de leur obligation qu’après un délai de plus d’un an et sans avancer aucun argument propre à justifier leur passivité.

73. S’agissant du jugement définitif du 12 septembre 2005 imposant deux obligations à la charge du centre départemental, la Cour observe que l’obligation d’estimation et de marquage du nombre d’arbres correspondant aux quotas pour les années 2001 et 2002 n’a pas été exécutée à ce jour. La thèse du Gouvernement, étayée par la seule lettre du centre départemental, n’est corroborée par aucun autre élément de preuve. Quant à l’obligation pécuniaire à la charge du centre départemental, la Cour constate qu’elle reste inexécutée à ce jour et que les héritiers du requérant n’ont toujours pas perçu la somme dont le paiement a été ordonné par les juridictions internes. D’ailleurs, le Gouvernement ne conteste pas l’inexécution de cette obligation.

74. Renvoyant à sa jurisprudence pertinente en matière d’inexécution ou d’exécution tardive de décisions définitives de justice (paragraphes 55-60 et 70 ci-dessus), la Cour constate, après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, que le Gouvernement n’a exposé aucun fait ni argument pouvant mener à une conclusion différente dans le cas présent. Elle estime que l’État, par le biais de ses organes spécialisés, n’a pas déployé tous les efforts nécessaires en vue de faire exécuter l’arrêt du 29 mai 2001 (dans sa partie concernant l’obligation d’estimation et de marquage des arbres) et le jugement définitif du 12 septembre 2005. Dès lors, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 46 DE LA CONVENTION

75. Aux termes de l’article 46 de la Convention :

« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.

2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution. »

76. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 46 les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs rendus par la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties, le Comité des Ministres étant chargé de surveiller l’exécution de ces arrêts. Il en découle notamment que, lorsque la Cour constate une violation, l’État défendeur a l’obligation juridique non seulement de verser aux intéressés les sommes allouées au titre de la satisfaction équitable prévue par l’article 41, mais aussi de choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles à intégrer dans son ordre juridique interne afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d’en effacer autant que possible les conséquences. L’État défendeur demeure libre, sous le contrôle du Comité des Ministres, de choisir les moyens de s’acquitter de son obligation juridique au regard de l’article 46 de la Convention (Scozzari et Giunta c. Italie [GC], no [39221/98](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2239221/98%22%5D%7D) et [41963/98](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2241963/98%22%5D%7D), § 249, CEDH 2000-VIII), dans le respect du principe de subsidiarité, afin que la Cour ne soit pas obligée de réitérer son constat de violation dans une longue série d’affaires identiques.

77. En outre, il résulte de la Convention, et notamment de son article 1, qu’en ratifiant la Convention, les États contractants s’engagent à faire en sorte que leur droit interne soit compatible avec celle-ci (Maestri c. Italie [GC], no [39748/98](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2239748/98%22%5D%7D), § 47, CEDH 2004-I).

78. Dans les deux requêtes soumises en l’espèce à son examen, la Cour a conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 en raison de l’inexécution ou de l’exécution tardive de décisions de justice internes (paragraphes 71 et 74 ci-dessus). Elle souligne que, dans une trentaine d’autres affaires roumaines, elle est arrivée aux mêmes conclusions (Săcăleanu c. Roumanie, no 73970/01, 6 septembre 2005, Şandor, précité, Paicu c. Roumanie, no 24714/03, 25 novembre 2008, Darnai c. Roumanie, no 36297/02, 8 décembre 2009, Orha, précité, SC Prodcomexim SRL c. Roumanie, no 35877/05, 27 octobre 2009, Nistor c. Roumanie, no 49182/06, 28 juin 2011, Musteaţă et autres c. Roumanie, 67344/01, 6 octobre 2009, et Gotcu et autres c. Roumanie, no 35430/03, 27 septembre 2011) ou enjoignant aux défendeurs de procéder à des actes spécifiques (SC Ruxandra Trading SRL, précité, Delca c. Roumanie, no 25765/04, 4 novembre 2008, Costăchescu c. Roumanie, no 37805/05, 29 septembre 2009, Ghiţoi et autres c. Roumanie, no 2456/05, 13 octobre 2009, S.C. Bartolo Prod et Botomei c. Roumanie, no 16294/03, 21 février 2012, Ana Pavel, précité, Emilian Ştefănescu c. Roumanie, no 35018/03, 12 janvier 2010, et Niţescu, précité) et que plus de 130 affaires similaires sont actuellement pendantes devant elle.

79. La Cour constate que les violations susmentionnées tiraient leur origine, très souvent, soit du comportement de l’administration qui avait rendu impossible le recouvrement immédiat des sommes octroyées par des décisions de justice ou qui avait décliné sa responsabilité en faveur d’une autre institution, et ce jusqu’à la prescription de la procédure d’exécution forcée, soit du simple refus d’exécution ou de l’exécution tardive des décisions imposant des obligations de paiement. En matière d’exécution des décisions imposant à l’administration de procéder à un acte spécifique, la Cour constate que, le plus souvent, l’administration a opposé son refus sans présenter de raisons valables, soit qu’elle ait avancé des arguments qui remettaient en cause le fond des décisions à exécuter, soit qu’elle ait invoqué divers obstacles à l’exécution ou opposé aux requérants une prétendue impossibilité objective d’exécution.

80. Il convient de rappeler sur ce point que, dans sa décision adoptée lors de sa 1150e réunion, le Comité des Ministres, se référant aux constats de violation de l’article 6 § 1 de la Convention et/ou de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention en ce qui concerne la Roumanie, a fait explicitement référence à l’existence de problèmes nombreux et complexes liés au défaut d’exécution ou à l’exécution tardive par l’État de décisions définitives de justice rendues à son encontre, tout en exprimant ses préoccupations quant aux mécanismes et aux garanties prévus en droit interne pour assurer l’exécution volontaire et prompte des décisions judiciaires par l’administration et des voies de recours disponibles à cet égard (paragraphe 42 ci-dessus).

81. La Cour prend note des mesures adoptées par les autorités internes visant à créer, notamment après l’adoption de l’arrêt Săcăleanu c. Roumanie (précité), un nouveau cadre pour permettre à l’administration d’exécuter les obligations de paiement auxquelles l’État a été condamné (paragraphe 37 ci‑dessus). Il reste que, en cas d’inexécution volontaire, le créancier ne semble pas avoir d’autre option que de recourir à l’exécution forcée. Ainsi, malgré le principe général posé par le droit interne, qui prévoit l’exécution volontaire des décisions définitives de justice (paragraphes 38 et 40 ci‑dessus), il semble que l’exécution requière toujours des initiatives répétées de la part du créancier, y compris le recours à des huissiers de justice (paragraphes 37-40 ci-dessus). À cet égard, la Cour réaffirme que, selon sa jurisprudence, il appartient au premier chef aux autorités de l’État de garantir l’exécution d’une décision de justice rendue contre celui-ci (paragraphes 58-60 ci-dessus).

82. Les constats de la Cour, combinés avec les autres éléments dont elle dispose, montrent donc clairement que les violations relevées dans le présent arrêt sont la conséquence d’un dysfonctionnement structurel persistant. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que la situation constatée en l’espèce reflète une pratique incompatible avec la Convention (Bourdov (no 2), précité, § 135).

83. Bien qu’en principe il ne lui appartienne pas de définir quelles peuvent être les mesures de redressement appropriées pour que l’État défendeur s’acquitte de ses obligations au regard de l’article 46 de la Convention, la Cour se doit de suggérer, à titre purement indicatif, le type de mesures que l’État roumain pourrait prendre pour mettre un terme à la situation structurelle constatée en l’espèce. Elle considère que l’Etat défendeur doit avant tout garantir, par des mesures légales et/ou administratives appropriées, que les décisions de justice obligatoires et exécutoires rendues à son encontre soient exécutés d’office et promptement, qu’il s’agisse de condamnations pécuniaires ou de l’obligation de procéder à des actes spécifiques. Ces mesures devraient également tenir compte des éventuelles situations d’impossibilité objective d’exécution qui nécessitent, de la part des autorités, la mise en œuvre de mesures d’exécution par équivalent.

84. Dans ces circonstances, la Cour n’estime pas nécessaire d’ajourner l’examen des affaires similaires pendantes devant elle, en attendant que l’État défendeur prenne ses mesures. Elle estime plutôt que le fait de continuer à examiner les affaires similaires serait de nature à régulièrement rappeler à l’État défendeur son obligation résultant du présent arrêt (Rumpf c. Allemagne, no 46344/06, § 75, 2 septembre 2010).

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

85. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

86. La requérante (requête no 2699/03) réclame avant tout l’exécution du jugement définitif prononcé le 15 octobre 1998. À défaut, elle sollicite l’octroi d’une indemnité correspondant à la valeur vénale de son terrain. Elle demande par ailleurs 401 853,30 EUR pour dommage matériel, soit 183 912,30 EUR pour le manque à gagner qui aurait découlé de l’impossibilité pour elle d’utiliser son terrain, 941 EUR pour la destruction des installations qui auraient été édifiées sur son terrain, 200 000 EUR pour la perte de bénéfices en raison de l’impossibilité d’accéder à divers fonds européens et 17 000 EUR pour l’impossibilité de récolter les fruits des arbres qui se trouveraient sur le terrain litigieux. Au titre du préjudice moral, elle réclame 33 500 EUR pour la dégradation qu’a subie à ses dires l’image de la fondation à la suite des accusations de corruption et de falsification de documents qui auraient été véhiculées par nombre d’articles de presse, d’émissions télévisées et de sites Internet, 9 000 EUR pour le stress et la frustration qu’auraient provoqués de nombreuses procédures menées, pendant treize ans, en vue de l’exécution du jugement définitif rendu en sa faveur, et enfin 7 500 EUR pour l’inexécution de ce jugement définitif.

87. Les héritiers du requérant (requête no 43597/07) réclament – outre l’exécution de l’obligation d’estimation et de marquage des arbres et le paiement de l’indemnité de 1 360 RON (environ 370 EUR) ordonné par le tribunal de première instance de Pitești – le paiement de l’astreinte infligée le 29 mai 2001 (environ 2 500 EUR), ainsi que le paiement d’une astreinte de 200 000 ROL (environ 6 EUR) par jour jusqu’à l’exécution effective du jugement définitif du 12 septembre 2005 et le paiement des frais de justice (environ 45 EUR) ordonnés le 7 avril 2006 par le tribunal départemental d’Argeş. Ils réclament 1 200 RON (environ 300 EUR) pour le préjudice moral que leur père, à leurs dires déjà âgé et malade au moment des faits, aurait subi en raison du refus des autorités administratives de se conformer aux décisions de justice rendues en sa faveur.

88. S’agissant de la demande de satisfaction équitable formulée par la requérante dans la requête no 2699/03, le Gouvernement considère qu’elle est contradictoire et spéculative en l’absence de toute expertise concernant les éventuels revenus générés par le terrain et d’éléments attestant de la capacité de l’intéressée à obtenir des fonds européens. Il s’oppose également à la demande de réparation du préjudice moral, qu’il estime excessive.

89. Quant à la demande de satisfaction équitable formulée dans la requête no 43597/07, le Gouvernement indique d’abord que M. Marinică Stanomirescu n’était pas le seul bénéficiaire du jugement définitif du 12 septembre 2005. Il conteste ensuite l’inexécution de l’obligation d’estimation et de marquage des arbres imposée le 12 septembre 2005, renvoyant sur ce point à la lettre du 19 octobre 2009 de la direction départementale de la propriété forestière. Il affirme ne pas détenir d’informations concernant le paiement de l’indemnité ordonné par le même jugement. Pour ce qui est de l’astreinte comminatoire fixée le 29 mai 2001 à la charge du centre territorial, le Gouvernement rappelle qu’elle ne représentait qu’un moyen indirect d’exécution forcée. Quant à la demande de réparation du préjudice moral, il considère qu’un éventuel constat de violation constituerait en soi une réparation satisfaisante à ce titre.

90. La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation juridique de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI). Eu égard aux constats de violation (paragraphes 71 et 74 ci-dessus), la Cour estime que ce principe trouve également application dans les présentes affaires et que l’État défendeur a l’obligation d’exécuter les décisions internes qui restent à ce jour inexécutées, à savoir la décision du tribunal de première instance d’Odorheiul Secuiesc en date du 15 octobre 1998 (requête no 2699/03) et le jugement du tribunal de première instance de Piteşti en date du 12 septembre 2005 (requête no 43597/07). En revanche, s’agissant de la demande du requérant dans l’affaire no 43597/07, tendant au paiement de l’astreinte comminatoire, la Cour rappelle qu’en droit roumain l’astreinte établie par décision judiciaire ne constitue qu’une sanction civile, un moyen indirect pour assurer l’exécution en nature des obligations. Une telle astreinte a un caractère provisoire et n’est donc pas susceptible d’exécution en l’absence d’une nouvelle décision judiciaire qui la transformerait en dommages et intérêts moratoires ou compensatoires, correspondant au préjudice effectivement subi par le créancier du fait du défaut d’exécution ou de l’exécution tardive de l’obligation initiale. Or, en l’espèce, pareille décision n’a pas été rendue et le jugement a été exécuté le 24 juin 2002. Il n’y a donc pas lieu d’ordonner le paiement sollicité.

91. Par ailleurs, compte tenu des circonstances de l’affaire, la Cour, statuant en équité, estime raisonnable d’accorder à la première requérante (requête no 2699/03) la somme de 8 000 EUR, et conjointement aux héritiers du second requérant (requête no 43597/07) la somme de 300 EUR tous chefs de préjudice confondus.

B. Frais et dépens

92. La première requérante (requête no 2699/03) sollicite 8 370 EUR pour les frais et dépens exposés devant la Cour et devant les juridictions internes. Les héritiers du second requérant (requête no 43497/07) sollicitent 208 RON (environ 60 EUR) pour les frais exposés devant les juridictions internes.

93. Le Gouvernement ne s’oppose pas au remboursement des frais et dépens, à condition qu’ils soient réels, justifiés, nécessaires et raisonnables. S’agissant des remboursements sollicités dans l’affaire no 2699/03, il se dit opposé à celui de certains frais qui ont été à ses yeux engagés à titre personnel par la requérante (factures de téléphone ou factures de carburant) ; de plus, il considère que certains d’entre eux ont déjà été remboursés à la fondation requérante et que d’autres n’ont aucun lien avec la procédure litigieuse.

94. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (voir, par exemple, Nilsen and Johnsen c. Norvège [GC], no [23118/93](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2223118/93%22%5D%7D), § 62, CEDH 1999-VIII). S’agissant de la somme réclamée par la première requérante (requête no 2699/03), la Cour, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, estime raisonnable la somme de 2 500 EUR tous frais confondus et l’accorde à l’intéressée. S’agissant de la demande formulée par les héritiers du second requérant (requête no 43497/07), la Cour estime raisonnable la somme de 60 EUR tous frais confondus et l’accorde conjointement aux héritiers de celui-ci.

C. Intérêts moratoires

95. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de joindre les requêtes ;

2. Déclare les requêtes recevables ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

4. Dit

a) que l’État défendeur doit exécuter les décisions internes qui restent à ce jour inexécutées, à savoir la décision du tribunal de première instance d’Odorheiul Secuiesc en date du 15 octobre 1998 (requête no 2699/03) et le jugement du tribunal de première instance de Piteşti en date du 12 septembre 2005 (requête no 43597/07) et verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

i. 8 000 EUR (huit mille euros), tous chefs de préjudice confondus, ainsi que 2 500 EUR (deux mille cinq cents euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, à la première requérante (requête no 2699/03) ;

ii. 300 EUR (trois cents euros) tous chefs de préjudice confondus, ainsi que 60 EUR (soixante euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, conjointement aux héritiers du second requérant (requête no 43597/07) ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 janvier 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Marialena TsirliAlvina Gyulumyan
Greffière adjointePrésidente


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