La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/12/2013 | CEDH | N°001-139270

CEDH | CEDH, AFFAIRE NIKOLOVA ET VANDOVA c. BULGARIE, 2013, 001-139270


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE NIKOLOVA ET VANDOVA c. BULGARIE

(Requête no 20688/04)

ARRÊT

STRASBOURG

17 décembre 2013

DÉFINITIF

17/03/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Nikolova et Vandova c. Bulgarie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Ineta Ziemele, présidente,
Päivi Hirvelä,
George Nicolaou,
Ledi Bianku, >Krzysztof Wojtyczek,
Faris Vehabović, juges,
Pavlina Panova, juge ad hoc,
et de Françoise Elens-Passos, greffière de section,

Après en avoir délibé...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE NIKOLOVA ET VANDOVA c. BULGARIE

(Requête no 20688/04)

ARRÊT

STRASBOURG

17 décembre 2013

DÉFINITIF

17/03/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Nikolova et Vandova c. Bulgarie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Ineta Ziemele, présidente,
Päivi Hirvelä,
George Nicolaou,
Ledi Bianku,
Krzysztof Wojtyczek,
Faris Vehabović, juges,
Pavlina Panova, juge ad hoc,
et de Françoise Elens-Passos, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 novembre 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 20688/04) dirigée contre la République de Bulgarie et dont deux ressortissantes de cet Etat, Mmes Stela Yordanova Nikolova et Yordanka Chankova Vandova (« les requérantes »), ont saisi la Cour le 8 juin 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Devant la Cour, Mme S. Nikolova est représentée par Me Y. Vandova, la deuxième requérante, qui est avocate à Sofia, et Me Y. Vandova est représentée par Me V. Vasilev, avocat à Sofia. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme M. Dimova, du ministère de la Justice.

3. La première requérante se plaint de l’absence de publicité des débats et des jugements rendus dans la procédure judiciaire concernant son licenciement, du caractère inéquitable de cette procédure, ainsi que d’une violation de la présomption d’innocence. La deuxième requérante soutient que la procédure d’habilitation à laquelle elle devait se soumettre pour défendre la première requérante a méconnu son droit au respect de la vie privée.

4. Le 2 février 2009, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

5. Mme Zdravka Kalaydjieva, juge élue au titre de la Bulgarie, s’étant déportée, le 3 avril 2012 le Président de la chambre a désigné Mme Pavlina Panova pour siéger à sa place en qualité de juge ad hoc (articles 26 § 4 de la Convention et 29 § 1 du règlement de la Cour).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Les requérantes sont nées respectivement en 1962 et 1952 et résident à Sofia.

A. La procédure pénale contre la première requérante

7. La première requérante occupait un poste d’enquêteur à la police nationale au grade de capitaine. Au moment des faits de l’espèce, elle travaillait dans le service spécialisé en matière de délits contre la propriété intellectuelle à la direction régionale des affaires intérieures de Sofia.

8. A la suite du signalement effectué par un commerçant qui dénonçait des faits de chantage et de corruption de la part des fonctionnaires de police, une enquête préliminaire fut effectuée. La requérante et l’une de ses collègues furent mises en examen pour corruption passive et entrave à la justice, commises dans le cadre de leurs fonctions. Le 19 décembre 2001, la première requérante fut arrêtée et placée en détention provisoire. Des publications dans la presse se firent l’écho des accusations portées contre les deux fonctionnaires.

9. La deuxième requérante, avocate au barreau de Sofia, se chargea de la défense de l’intéressée.

10. Par un jugement du 4 mars 2003, le tribunal militaire de Sofia reconnut la première requérante coupable de plusieurs faits de corruption et d’entrave à la justice et la condamna à une peine de cinq ans d’emprisonnement, à 3 000 levs bulgares (BGN) d’amende et à une interdiction d’exercer des fonctions au sein du ministère de l’Intérieur. Il prononça la relaxe de l’intéressée concernant l’un des chefs d’accusation, relativement à des faits de corruption ayant eu lieu le 28 février 2001 pour un montant de 300 BGN.

11. La première requérante interjeta appel. Par un arrêt du 19 juin 2003, la cour militaire d’appel de Sofia annula, pour irrégularités procédurales, la partie du jugement par laquelle l’intéressée avait été reconnue coupable et renvoya l’affaire au stade de l’instruction. En l’absence d’appel du procureur, la décision de relaxe sur l’un des chefs d’inculpation devint définitive.

12. Le 28 janvier 2004, le procureur effectua un nouveau renvoi en jugement. Toutefois, le 5 février 2004, le juge rapporteur renvoya l’affaire pour un complément d’instruction. Suite à un nouveau renvoi en jugement, le 10 mai 2004, le juge rapporteur renvoya encore une fois le dossier au procureur.

13. La première requérante introduisit un recours pour se plaindre de la durée excessive de la procédure, tel que prévu à l’article 239a du code de procédure pénale de 1978. En application de cette disposition, le 8 avril 2005, le juge rapporteur du tribunal retourna le dossier au procureur en lui indiquant qu’il devait, dans un délai de deux mois, soit effectuer le renvoi en jugement, soit mettre un terme aux poursuites.

14. Le procureur effectua le renvoi en jugement le 8 juin 2005. Toutefois, le 16 juin 2005, le juge rapporteur retourna encore une fois le dossier au parquet en fixant à ce dernier un délai d’un mois pour corriger certaines irrégularités procédurales de l’acte d’accusation. Par une ordonnance du 28 juillet 2005, le juge rapporteur constata que le renvoi en jugement n’avait pas été effectué dans les délais prescrits et ordonna la clôture de la procédure pénale en application de l’article 239a du code.

B. La procédure concernant le licenciement de la première requérante

15. Suite à l’engagement de poursuites pénales contre la première requérante, une procédure disciplinaire fut ouverte. Dans ce cadre, la première requérante fut entendue, donna des explications écrites et se vit notifier les éléments du dossier. Par un arrêté du ministre de l’Intérieur du 26 février 2002, la première requérante fut licenciée au motif qu’elle avait, le 28 mars 2001, sollicité et reçu d’une personne mise en examen la somme de 300 BGN pour s’abstenir d’enquêter et avait intentionnellement omis de compléter le dossier d’instruction à la demande du parquet. Le ministre considéra ces actes contraires aux obligations professionnelles de l’intéressée, incompatibles avec la morale et, compte tenu de leur couverture par les medias, nuisibles au prestige du service, ce qui justifiait une mesure de licenciement conformément à l’article 239, alinéas 1 (5) et 2 de la loi sur le ministère de l’Intérieur de 1999, en vigueur à l’époque.

16. Le 11 mars 2002, la première requérante saisit la Cour administrative suprême d’un recours judiciaire contre l’arrêté de licenciement. Elle donna procuration à la deuxième requérante, avocate au barreau de Sofia, pour assurer ses intérêts.

17. Le 2 avril 2002, le ministère de l’Intérieur transmit à la Cour administrative suprême les pièces relatives au licenciement et demanda que l’examen de l’affaire se fasse à huis clos au motif que certains des documents étaient classifiés. A la suite de cette demande, le dossier à la Cour administrative suprême fut classé « secret ». Il ressort des éléments présentés devant la Cour que deux documents produits au dossier judiciaire portaient la mention « secret ». Il s’agissait, plus particulièrement, d’un rapport d’incident (съобщение за произшествие) destiné au service des ressources humaines du ministère de l’Intérieur et faisant état de la mise en examen et du placement en détention provisoire de la première requérante, ainsi que du rapport d’un contrôle interne (справка относно извършена проверка) réalisé en avril 2001 dans le service dans lequel travaillait la première requérante et faisant notamment état de l’organisation du service, des personnels y travaillant, des méthodes de travail, du nombre et du type de procédures en cours, des dysfonctionnements et manquements constatés.

18. A une date non précisée, la deuxième requérante demanda à consulter le dossier mais ne put y avoir accès au motif que celui-ci était classé secret et que l’intéressée n’avait pas reçu l’habilitation nécessaire pour accéder à des informations classifiées (допуск, разрешение за достъп).

19. A l’audience du 28 mai 2002, la deuxième requérante demanda l’ajournement de l’affaire au motif qu’elle n’avait pas eu accès au dossier. Elle fit valoir que seuls les documents contenant des secrets d’Etat pouvaient porter la mention « secret» et que la nature de l’affaire était telle que le dossier ne contenait pas d’informations de ce type. Elle estima qu’elle devait y avoir accès de par sa qualité d’avocat. Le représentant du ministère de l’Intérieur indiqua que s’il était vrai qu’en vertu des dispositions transitoires de la nouvelle loi sur la protection de l’information classifiée les informations classées jusqu’ici comme « secrètes » devaient dorénavant être considérées comme « confidentielles » (voir le paragraphe 40 ci-dessous), il n’en restait pas mois qu’une habilitation était nécessaire pour y accéder et qu’il appartenait à la deuxième requérante de demander une telle habilitation. La Cour administrative suprême décida d’ajourner l’audience.

20. A l’audience du 25 juin 2002, la première requérante comparut seule, la deuxième requérante ayant décidé de ne pas demander une habilitation car elle ne voulait pas se soumettre à une enquête de sécurité (процедура по проучване) par le Service national de sécurité du ministère de l’Intérieur.

21. La première requérante demanda à la Cour administrative suprême de suspendre la procédure et de saisir la Cour constitutionnelle afin que celle-ci se prononce sur la question de savoir si les dispositions exigeant que les avocats soient soumis à une procédure de sécurité pour avoir accès à des documents classifiés étaient contraires à la Constitution et à l’article 6 § 3 c) de la Convention. Elle ajouta que, dans son cas, l’organe chargé de se prononcer sur la demande d’habilitation était le défendeur dans l’affaire.

22. Par une ordonnance du même jour, la Cour administrative suprême rejeta la demande de report ou de sursis de la procédure. Elle releva à cet égard que la représentante de la première requérante n’avait pas entrepris de démarches en vue de la délivrance d’une habilitation. Elle nota également que le classement d’un dossier judiciaire comme secret était effectué à la demande des autorités administratives ayant édité les documents classifiés et que de telles demandes découlaient des obligations de ces autorités en vertu de la réglementation et non de la volonté de la cour.

23. La première requérante déposa des observations écrites, dans lesquelles elle contesta la régularité formelle et matérielle de la décision de licenciement. Elle argua notamment que cette décision étant fondée sur des faits pour lesquels une procédure pénale était ouverte à son encontre, une sanction disciplinaire ne pouvait pas être imposée avant une éventuelle condamnation au pénal.

24. Par un arrêt du 25 juin 2003, la Cour administrative suprême rejeta le recours de la requérante et confirma la décision de licenciement.

25. La première requérante se pourvut en cassation. Elle fit valoir que la procédure de sécurité à laquelle son avocate devait se soumettre pour obtenir une habilitation constituait une ingérence dans la vie privée de celle‑ci, laquelle ne pouvait passer pour justifiée au regard de l’article 8 § 2 de la Convention. Elle observa également que le dossier ne contenait pas d’informations pouvant être qualifiées de secret d’Etat. L’intéressée soutint en outre que la décision d’examiner l’affaire à huis clos était contraire à la Constitution et à la législation interne et dénonça le fait qu’elle n’avait pas pu bénéficier de l’assistance d’un avocat.

26. Par ailleurs, l’intéressée fit valoir que l’incident de corruption relaté dans la décision de licenciement faisait l’objet d’une procédure pénale et que le fait de ne pas attendre l’issue de cette procédure pour imposer un licenciement disciplinaire équivalait à contourner la loi. Elle invoqua également plusieurs autres irrégularités procédurales.

27. Une audience eut lieu devant la formation de cinq juges de la Cour administrative suprême le 10 octobre 2003, à laquelle la première requérante comparut seule. Elle présenta une copie du jugement de la cour militaire d’appel du 19 juin 2003 qui avait annulé sa condamnation au pénal et renvoyé l’affaire à l’instruction (paragraphe 11 ci-dessus).

28. Par un arrêt du 9 décembre 2003, la Cour administrative suprême rejeta le pourvoi. Elle nota que les juridictions n’étaient pas compétentes pour rendre publics des documents classifiés comme « secret » par l’autorité administrative qui était leur auteur. Elle estima que la nécessité pour un avocat demandant d’avoir accès à des documents classifiés de passer par une procédure d’habilitation était justifiée au regard de l’article 8 de la Convention par la protection d’intérêts relatifs à la sécurité nationale et l’ordre public. La haute juridiction observa à cet égard que l’audience avait été reportée afin que la deuxième requérante puisse demander une habilitation mais que celle-ci n’avait pas jugé utile de le faire. L’examen de l’affaire à huis clos était également justifié par le caractère confidentiel des informations contenues dans le dossier. En conclusion, la Cour administrative suprême estima que les droits procéduraux de la première requérante n’avaient aucunement été enfreints.

29. Sur le fond, elle considéra que les faits reprochés à l’intéressée avaient été établis de manière suffisante et que le ministère n’était pas tenu d’attendre la fin des poursuites pénales pour imposer une sanction disciplinaire. Elle nota également que le jugement du tribunal militaire de Sofia avait été annulé pour des irrégularités procédurales et ne remettait pas en cause les constatations de la décision de licenciement et de l’arrêt rendu en première instance.

30. Le dossier ayant été classifié, la première requérante ne put, dans un premier temps, obtenir copie des décisions rendues et celles-ci ne furent pas publiées sur le site Internet de la Cour administrative suprême. L’intéressée fut autorisée à consulter les textes des arrêts dans le greffe de la juridiction. L’affaire fut déclassifiée le 6 juillet 2009, après l’expiration du délai de cinq ans prévu par la loi.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. La loi sur le ministère de l’Intérieur de 1997

31. La loi sur le ministère de l’Intérieur de 1997, qui a été abrogée en 2006, régissait la responsabilité disciplinaire des fonctionnaires du ministère en ses articles 234 et suivants. Selon l’article 239, le licenciement pour motif disciplinaire était imposé à un fonctionnaire qui avait, parmi d’autres motifs, été reconnu coupable d’une infraction pénale poursuivie par la voie de l’action publique ; avait eu un comportement incompatible avec la morale ou avait agi de manière à nuire au prestige du service (article 239, alinéa 1 (1) et (5). Un licenciement disciplinaire était également imposé en cas de violation grave de la discipline du service, rendant impossible l’exercice ultérieur des fonctions (alinéa 2).

32. La décision de licenciement peut faire l’objet d’un recours judiciaire en annulation (article 258 de la loi).

B. Le code de procédure civile de 1952

33. L’article 105, alinéa 1, du code de procédure civile de 1952, désormais abrogé, disposait que les affaires devaient être examinées en audience publique, sauf si une loi prévoyait leur examen à huis clos.

34. Selon l’alinéa 3 du même article, si, dans les circonstances de l’espèce, l’examen public de l’affaire pouvait nuire à l’intérêt général ou dévoiler des faits relevant de l’intimité d’une des parties, le tribunal pouvait décider, d’office ou à la demande des parties, que l’examen de l’affaire ou certains actes de procédure soient effectués à huis clos. Dans ce cas, seules les parties, leurs représentants, les experts, les témoins ou d’autres personnes autorisées par le tribunal sont admis dans la salle d’audience.

35. En vertu de l’article 11 de la loi sur la Cour administrative suprême de 1997, en vigueur au moment des faits de l’espèce, les dispositions du code de procédure civile de 1952 étaient applicables à la procédure devant la juridiction administrative suprême.

C. La loi de 2002 sur la protection de l’information classifiée (Закон за защита на класифицираната информация)

1. Les informations classifiées

36. Selon l’article 1, alinéa 3, de ladite loi, qui est entrée en vigueur le 4 mai 2002, l’information classifiée est celle qui constitue un secret d’Etat (държавна тайна), une information interne au service (служебна тайна) ou une information classifiée d’un autre pays.

37. L’article 28 réglemente les différents niveaux de classification. L’information qui constitue un secret d’Etat relève des niveaux de classification « très secret », « secret » et « confidentiel » (« строго секретно », « секретно », « поверително »). Le niveau de classification « à usage interne » (« за служебно ползване ») correspond aux informations dont l’accès doit être restreint au service.

38. Le niveau de classification « confidentiel » est appliqué si l’accès non réglementé à une information pourrait présenter un danger pour la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale du pays, pour sa politique étrangère et ses relations internationales liées à la sécurité nationale, ou pourrait créer un risque de survenue de dommages ou provoquer de tels dommages dans les domaines de la sécurité nationale, de la défense, de la politique étrangère ou de la défense de l’ordre constitutionnel.

39. Le niveau de classification « secret » est appliqué si l’accès non réglementé à une information peut présenter un danger considérable pour la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale du pays, pour sa politique étrangère et ses relations internationales liées à la sécurité nationale, ou est susceptible de créer un risque de survenue de dommages importants et difficilement réversibles ou provoquer de tels dommages dans les domaines de la sécurité nationale, de la défense, de la politique étrangère ou de la défense de l’ordre constitutionnel.

40. En vertu du paragraphe 9 des dispositions finales et transitoires de la loi, le niveau de classification des informations classifiées avant l’entrée en vigueur de celle-ci comme « très secret d’importance capitale » était considéré comme correspondant au niveau actuel « très secret », le niveau « très secret » correspondait à « secret » et le niveau « secret » à « confidentiel ».

41. Le niveau de sécurité est défini par la personne autorisée à signer les documents contenant des informations classifiées ou les documents attestant l’existence de telles informations dans un autre document (article 31, alinéa 1).

2. L’accès aux informations classifiées

42. Nul ne peut avoir accès à des informations appartenant à l’un des trois premiers niveaux de classification sauf si cela est nécessaire pour l’accomplissement des fonctions professionnelles ou des tâches qui lui ont été confiées. Une habilitation d’accès peut être délivrée après la réalisation d’une enquête de sécurité (процедура по проучване) sur la personne concernée et le suivi d’une formation appropriée (article 38).

43. L’article 39 de la loi prévoit les hypothèses dans lesquelles une habilitation n’est pas nécessaire. Le président de l’Assemblée nationale, le président de la République et le premier ministre ont de plein droit accès à toute information classifiée (alinéa 1). Les ministres, le secrétaire général du Conseil des ministres et les députés ont de plein droit accès aux informations classifiées entrant dans leur champ de compétences sur la base du « besoin d’en connaître » (alinéa 3). Les membres de la Cour constitutionnelle, les juges, les procureurs et les enquêteurs sont dispensés d’une habilitation concernant les affaires dont ils ont à traiter sur la base du « besoin d’en connaître » (alinéa 3 (3)). Par une modification adoptée en juin 2004, les avocats furent inclus dans cette dernière catégorie.

44. Par ailleurs, un nouvel article 39a, adopté en octobre 2004, prévoit que toute personne a le droit de prendre connaissance de documents classifiés sans habilitation préalable dans la mesure où cela est nécessaire pour l’exercice de son droit à la défense et sur la base du « besoin d’en connaître ».

45. Les articles 40 et suivants de la loi régissent la procédure de délivrance d’une habilitation. Le type d’enquête à réaliser dépend du niveau de confidentialité des informations auxquelles il est demandé d’accéder (article 46). L’enquête dite « ordinaire » (par opposition à l’enquête « élargie » et l’enquête « spéciale ») s’applique aux demandes d’accès à des informations classées « confidentielles » (ce qui était le cas des documents inclus dans le dossier judiciaire de la première requérante en vertu de la loi malgré le fait qu’ils étaient estampillés comme « secret » avant l’entrée en vigueur de la loi en mai 2002, voir le paragraphe 40 ci-dessus).

46. L’enquête « ordinaire » est réalisée par l’officier de sécurité de l’entité concernée, fonctionnaire spécialement désigné pour la gestion de l’information classifiée au sein d’une entité administrative, qui est compétent pour délivrer ou refuser l’habilitation. Sa décision n’est pas motivée. En cas de refus, la personne concernée peut introduire un recours administratif devant la Commission nationale sur la sécurité de l’information. Cette commission est composée de cinq membres désignés pour cinq ans par le Conseil des ministres et est chargée de la politique et du contrôle dans le domaine de l’information classifiée. La décision de la commission est définitive (articles 62-69).

47. En vertu des articles 40 et 47 de la loi, l’habilitation d’accès à des informations classées « confidentielles » peut être délivrée à une personne majeure, de nationalité bulgare, n’ayant pas été condamnée pour une infraction pénale poursuivie par la voie de l’action publique et contre laquelle il n’existe pas de procédure pénale pendante, qui ne souffre pas de troubles psychiques répertoriés et qui peut être considérée comme fiable pour la préservation d’informations confidentielles. Une personne est considérée comme fiable pour la préservation d’informations confidentielles en l’absence de données révélant 1) la présentation de fausses informations lors de l’enquête de sécurité ; 2) l’existence de circonstances pouvant la rendre susceptible d’un chantage ; 3) une incohérence entre ses revenus et son niveau de vie ; 4) des troubles psychiques susceptibles de nuire à sa capacité de traiter des informations classifiées ; 5) une dépendance à l’alcool ou à des substances narcotiques (article 42).

48. La personne demandant une habilitation doit remplir un questionnaire qui figure à l’annexe no 2 de la loi. Pour obtenir un accès à des informations classées « confidentielles » en application de l’enquête « ordinaire », le demandeur doit indiquer :

. son état civil, sa profession et son lieu de travail, ainsi que ceux de son conjoint, de ses parents, frères et sœurs et enfants de plus de 14 ans ;

. les personnes habitant dans son foyer ;

. les adresses auxquelles il a habité au cours des dix dernières années ;

. les emplois occupés au cours des dix dernières années ;

. son niveau de formation ;

. les organisations dont il est membre ;

. son niveau d’endettement, ainsi que celui de son conjoint ;

. ses éventuelles condamnations ou procédures pénales en cours ;

. s’il utilise ou a utilisé des stupéfiants, de quel type et à quel moment ;

. s’il consomme ou a consommé des quantités d’alcool ayant entraîné une perte ou une diminution de la conscience, la fréquence de ces incidents et le traitement suivi ;

. s’il a déjà eu accès à des informations classifiées en Bulgarie, dans un pays étranger ou dans une organisation internationale ;

. s’il a séjourné plus de dix jours à l’étranger depuis sa majorité ; s’il a exercé une activité rémunérée à l’étranger ;

. s’il a été interrogé par des autorités étrangères au sujet de question liées à la sûreté ou la défense de l’Etat ou si, à sa connaissance, son conjoint ou d’autres membres de sa famille l’ont été.

49. Des renseignements complémentaires sont exigés dans le cadre d’enquête « élargie » ou « spéciale », tels que les antécédents de maladies psychiatriques du demandeur, le montant de ses revenus, les biens immobiliers dont il est propriétaire ou ses participations dans des entreprises.

50. Le demandeur d’une habilitation accepte que les données personnelles qu’il a fournies soient recueillies, traitées et conservées aux fins de l’enquête. L’organe chargé de l’enquête de sécurité peut également demander à l’intéressé de se soumettre à des examens médicaux et psychologiques et de présenter les résultats de ceux-ci (article 42, alinéa 2).

51. L’enquête de sécurité est effectuée avec le consentement écrit de la personne concernée, qui peut à tout moment retirer son consentement. Il est alors mit fin à la procédure d’enquête (article 43).

D. Le code pénal

52. Les articles 357, 358, et 359 du code pénal répriment la divulgation des secrets d’Etat et la perte de documents secrets.

E. La responsabilité délictuelle des personnes publiques

53. L’article 2 de la loi de 1988 sur la responsabilité de l’Etat et des communes pour dommage prévoit que l’Etat est responsable du dommage causé par les organes de l’instruction, du parquet et par les juridictions du fait, notamment, d’une accusation pénale, lorsque l’intéressé est ensuite relaxé ou qu’il est mis fin aux poursuites, ou encore d’une condamnation qui est par la suite annulée.

EN DROIT

I. SUR L’EXCEPTION PRÉLIMINAIRE DU GOUVERNEMENT

54. A titre préliminaire, le Gouvernement soutient que la première requérante n’a pas épuisé les voies de recours internes dans la mesure où elle avait la possibilité, à la suite de la clôture des poursuites pénales à son encontre, de demander une indemnisation en application de la loi sur la responsabilité de l’Etat et des communes pour dommage.

55. La première requérante réplique que l’indemnisation qu’elle pourrait éventuellement réclamer en vertu de cette loi n’a aucun lien avec les griefs soulevés dans la présente requête, qui ont trait à la procédure devant les juridictions administratives.

56. La Cour rappelle que la finalité de l’article 35 § 1, qui énonce la règle de l’épuisement des voies de recours internes, est de ménager aux Etats contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que la Cour n’en soit saisie. Néanmoins, cette disposition ne prescrit l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats (voir, parmi beaucoup d’autres, Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, §§ 141-142, CEDH 2006‑V).

57. En l’occurrence, la Cour relève que si la loi sur la responsabilité de l’Etat prévoit effectivement un droit à indemnisation pour une personne qui, après avoir été mise en examen, a bénéficié d’une relaxe ou d’un abandon des poursuites (paragraphe 53 ci-dessus), cette possibilité semble sans rapport avec les griefs soulevés par la première requérante, qui ont trait à la procédure administrative concernant son licenciement et non à la procédure pénale menée à son encontre. Dans ces circonstances, la voie de droit indiquée par le Gouvernement n’apparaît pas comme un recours effectif dont l’épuisement était requis au regard de l’article 35 § 1 et il échet de rejeter l’exception soulevée par le Gouvernement.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

58. Invoquant l’article 6 de la Convention, la première requérante estime que plusieurs des exigences de cette disposition ont été méconnues dans le cadre de la procédure judiciaire concernant son licenciement. L’article 6 § 1 dispose en ses parties pertinentes :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement (...), par un tribunal (...) qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. »

A. Étendue du grief porté devant la Cour

59. La question de l’applicabilité de l’article 6 de la Convention n’a pas été contestée par les parties. Dans la mesure où la première requérante soutient que l’article 6 est applicable sous son volet pénal et s’appuie en particulier sur l’article 6 § 3 c), la Cour observe que la procédure litigieuse concernait le licenciement pour motif disciplinaire de l’intéressée. Au vu de la nature des faits qui lui étaient reprochés, à savoir des manquements disciplinaires, de leur qualification juridique en droit interne et de la sanction encourue et appliquée, la Cour considère que la procédure en question ne portait pas sur une « accusation en matière pénale » entrant dans le champ d’application de l’article 6 sous son volet pénal (Durand c. France (déc.), no 10212/07, 31 janvier 2012).

60. La Cour rappelle ensuite que l’article 6 § 1 s’applique sous son volet civil à une procédure portant sur une contestation réelle et sérieuse relative à des droits de caractère civil que l’on peut dire, au moins de manière défendable, reconnus en droit interne. L’issue de la procédure doit être directement déterminante pour le droit en question (voir, parmi beaucoup d’autres, Boulois c. Luxembourg [GC], no 37575/04, § 90, CEDH 2012).

61. En l’espèce, il ne prête pas à controverse que la procédure en cause avait pour objet une contestation réelle et sérieuse relative à un droit de la première requérante reconnu en droit interne – le droit de ne pas faire l’objet d’un licenciement abusif –, et qu’elle était directement déterminante pour le droit en cause.

62. Concernant le caractère « civil », au sens de l’article 6 § 1, de ce droit, compte tenu du poste occupé par l’intéressée, la Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, les litiges opposant l’Etat à ses fonctionnaires entrent en principe dans le champ d’application de l’article 6, sauf si deux conditions cumulatives sont remplies. En premier lieu, le droit interne de l’Etat concerné doit avoir expressément exclu l’accès à un tribunal pour le poste ou la catégorie de salariés en question. En second lieu, cette dérogation doit reposer sur des motifs objectifs liés à l’intérêt de l’Etat (Vilho Eskelinen et autres c. Finlande [GC], no 63235/00, § 62, CEDH 2007-IV).

63. La première de ces conditions ne se trouve pas remplie en l’espèce dans la mesure où le droit interne prévoit expressément le contrôle juridictionnel de la décision de licencier un fonctionnaire du ministère de l’Intérieur (paragraphe 32 ci-dessus) et que le recours introduit par la requérante a effectivement été examiné par la Cour administrative suprême. Il s’ensuit que l’article 6 trouve à s’appliquer dans son volet civil (voir Iordan Iordanov et autres c. Bulgarie, no 23530/02, § 44, 2 juillet 2009, Cvetković c. Serbie, no 17271/04, § 38, 10 juin 2008).

B. Absence de publicité des débats

1. Arguments des parties

64. La première requérante se plaint de l’absence de publicité de la procédure judiciaire portant sur son recours contre l’arrêté de licenciement. Elle soutient que la classification de la procédure comme secrète ne se justifiait pas en l’espèce dans la mesure où les pièces du dossier ne contenaient aucune information ayant trait à la sécurité nationale. Elle fait valoir que le classement de la procédure a été effectué uniquement au motif que le ministère de l’Intérieur, qui était au demeurant le défendeur dans la procédure, a décidé de classer certains documents comme « secret » et que la Cour administrative suprême n’a pas réellement évalué la nécessité de classifier le dossier et d’examiner l’affaire à huis clos. Elle estime que l’examen de l’affaire à huis clos était dès lors contraire à la législation en vigueur et à l’article 6 de la Convention. Selon la première requérante, le public a ainsi été privé de la possibilité d’être informé et de débattre sur des questions importantes qui concernaient la société dans son ensemble ; cette situation a également pour effet de miner la confiance du public en la justice.

65. Le Gouvernement soutient que le classement du dossier judiciaire comme confidentiel et la restriction de la publicité des débats a été effectué par la Cour administrative suprême dans l’exercice de son pouvoir souverain d’apprécier l’existence de raisons justifiant une restriction au caractère public de la procédure en application de l’article 105, alinéa 3, du code de procédure civile. En l’occurrence, une telle restriction était justifiée par la circonstance que le dossier comportait des pièces contenant des informations classifiées. Selon le Gouvernement, la restriction à la publicité a ainsi été effectuée dans l’intérêt de l’ordre public et de la sécurité nationale et n’a pas porté atteinte à l’équité de la procédure.

2. Appréciation de la Cour

a) Sur la recevabilité

66. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

b) Sur le fond

67. La Cour rappelle que la publicité de la procédure judiciaire constitue un principe fondamental consacré par l’article 6 § 1 de la Convention. Elle protège les justiciables contre une justice secrète échappant au contrôle du public et constitue ainsi l’un des moyens qui contribuent à la préservation de la confiance dans les tribunaux. Par la transparence qu’elle donne à l’administration de la justice, elle aide à atteindre le but de l’article 6 § 1 : le procès équitable, dont la garantie compte parmi les principes fondamentaux de toute société démocratique (Diennet c. France, 26 septembre 1995, § 33, série A no 325‑A, B. et P. c. Royaume-Uni, nos 36337/97 et 35974/97, § 36, CEDH 2001‑III, Olujić c. Croatie, no 22330/05, § 70, 5 février 2009, et Martinie c. France [GC], no 58675/00, § 39, CEDH 2006‑VI).

68. L’article 6 § 1 ne fait cependant pas obstacle à ce que les juridictions décident, au vu des particularités de la cause soumise à leur examen, de déroger à ce principe : aux termes mêmes de cette disposition, « (...) l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice » ; le huis clos, qu’il soit total ou partiel, doit alors être strictement commandé par les circonstances de l’affaire (Diennet, § 34, Martinie, § 40, et Olujić, 71, arrêts précités).

69. La Cour a ainsi considéré qu’une procédure « civile » qui se déroule à huis clos tant en appel qu’en première instance en vertu d’une règle générale et absolue, sans que le justiciable ait la possibilité de solliciter une audience publique au moyen des particularités de sa cause, ne saurait en principe passer pour conforme à l’article 6 § 1 de la Convention (Martinie, précité, § 41-42, Diennet, précité, § 34).

70. Néanmoins, la Cour a jugé que des circonstances exceptionnelles tenant à la nature des questions soumises au juge, notamment dans le cas de questions hautement techniques, tel par exemple le contentieux de la sécurité sociale, peuvent justifier de se dispenser d’une audience publique, pourvu que la spécificité de la matière n’exige pas le contrôle du public (voir Lorenzetti c. Italie, no 32075/09, § 32, 10 avril 2012, et les références de jurisprudence citées).

71. En l’espèce, l’affaire de la première requérante a été examinée à huis clos malgré l’opposition de l’intéressée. La Cour doit donc examiner si l’exclusion du public pouvait passer pour justifiée au regard des circonstances de l’espèce.

72. La Cour observe d’emblée que l’absence de publicité des débats ne découle pas en l’occurrence d’une règle générale et absolue portant sur toute une catégorie d’affaires mais résulte d’une décision prise in concreto par le tribunal à la demande de l’une des parties, le ministère de l’Intérieur, au motif que certains des documents que celui-ci avait produits étaient classifiés et portaient la mention « secret » (voir, mutatis mutandis, B. et P. c. Royaume-Uni, précité, § 40, et, a contrario, Martinie, précité, § 42, Diennet, précité, § 34, et Bocellari et Rizza c. Italie, no 399/02, § 41, 13 novembre 2007, dans lesquels la Cour a pris en compte l’impossibilité absolue pour les requérants de solliciter une audience publique pour constater une violation de l’article 6).

73. La première requérante conteste le fait que les documents en question relèvent du secret d’Etat. La Cour estime sur ce point que compte tenu de la nature des informations en question – qui concernaient notamment l’organisation interne du service et les méthodes utilisées par la police dans sa mission de lutte contre la criminalité (paragraphe 17 ci‑dessus) – les autorités pouvaient en principe avoir un intérêt légitime d’en préserver la confidentialité. Elle ne décèle en l’occurrence aucun élément lui permettant de penser que la classification des documents en cause aurait été effectuée de manière arbitraire, abusive ou dans un objectif autre que l’intérêt légitime poursuivi (voir Welke et Białek c. Pologne, no 15924/05, § 63, 1 mars 2011).

74. La Cour a cependant déjà considéré que la simple présence de documents classifiés dans un dossier judiciaire n’implique pas automatiquement l’exclusion du public des débats, sans aucune évaluation de la nécessité d’une telle exclusion par la mise en balance du principe de publicité des débats et des impératifs de protection de l’ordre public et de la sécurité nationale (Belachev c. Russie, no 28617/03, § 83, 4 décembre 2008, Welke et Białek, précité, § 77). Ainsi, avant d’exclure le public d’une affaire particulière, le tribunal devrait considérer de manière spécifique si une telle exclusion est nécessaire à la protection d’un intérêt public et de la limiter à ce qui est strictement nécessaire à atteindre l’objectif poursuivi (Belachev, précité, § 83).

75. En l’espèce, s’il est vrai, comme la Cour l’a noté ci-dessus, que la tenue des audiences à huis clos ne résulte pas d’une règle générale mais d’une décision que la Cour administrative suprême a prise in concreto concernant l’affaire de la requérante, force est de constater que cette juridiction a motivé sa décision par la simple production au dossier de documents classifiés. La Cour administrative suprême ne s’est pas posé la question si les documents en questions étaient liés à l’objet de la procédure et si leur présence était par conséquent indispensable et n’a pas non plus envisagé de prendre des mesures pour limiter les effets de l’absence de publicité, par exemple en limitant l’accès à certains documents uniquement et en tenant à huis clos seulement certaines audiences, dans la mesure nécessaire à maintenir la confidentialité des documents en question (voir Belachev, précité, § 84). Cette situation semble résulter de l’automatisme avec lequel sont appliquées les règles de classification des affaires judiciaires dès lors que ne fût-ce qu’un seul des documents au dossier est classifié. En vertu du droit interne, la juridiction compétente n’est en effet pas tenue de donner les raisons détaillées et spécifiques justifiant l’exclusion du public dans l’affaire en cause (voir, a contrario et mutatis mutandis, B. et P. c. Royaume-Uni, précité, § 40). Dans ces circonstances, la Cour n’est pas convaincue qu’en l’espèce, l’exclusion du public s’avérait une mesure strictement nécessaire à la préservation de la confidentialité des documents en cause.

76. Enfin, en ce qui concerne la nature de la procédure qui, comme souligné ci-dessus (paragraphe 70), peut dans certains cas justifier l’absence d’audience ou de publicité de l’audience, la Cour ne considère pas que les questions débattues dans le cadre de la procédure litigieuse, à savoir la sanction disciplinaire imposée à une fonctionnaire de police pour des faits relatifs notamment à des accusations de corruption, présentaient un caractère hautement technique et ne nécessitaient pas une audience sous le contrôle du public (Lorenzetti, précité, § 33 ; Martinie, précité, § 43).

77. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut à la violation de l’article 6 § 1 en raison de l’absence de publicité des débats dans la procédure en cause.

C. Absence de publicité des décisions judiciaires

78. La première requérante se plaint également de ce que les décisions de la Cour administrative suprême n’ont pas été rendues publiquement et n’étaient pas accessibles au public.

79. Le Gouvernement reprend les arguments soulevés au regard de la publicité des débats et considère que la restriction opérée était justifiée dans l’intérêt de l’ordre public et de la sécurité nationale.

1. Sur la recevabilité

80. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

2. Sur le fond

81. La Cour a rappelé ci-dessus, dans le contexte de la publicité des débats, l’importance du caractère public des procédures judiciaires pour réaliser le but de l’article 6 qui est la garantie du procès équitable (paragraphe 67 ci-dessus).

82. Malgré l’absence de limitations expressément prévues par le texte de l’article 6 § 1, l’exigence selon laquelle le jugement doit être rendu publiquement a été interprétée avec une certaine souplesse. Ainsi, la Cour a estimé qu’il convenait dans chaque cas d’apprécier, à la lumière des particularités de la procédure dont il s’agit et en fonction du but et de l’objet de l’article 6 § 1, les modalités de publicité du jugement prévues par le droit interne de l’Etat en cause (Pretto et autres c. Italie, 8 décembre 1983, § 26, série A no 71, B. et P. c. Royaume-Uni, précité, § 45, Ryakib Biryoukov c. Russie, no 14810/02, § 32, CEDH 2008).

83. La Cour a ainsi conclu à l’absence de violation de l’article 6 § 1 lorsque le texte intégral d’un jugement avait été déposé au greffe de la juridiction et était accessible à chacun (Pretto et autres, précité, §§ 27-28) ou lorsque quiconque pouvant justifier d’un intérêt avait la possibilité de consulter le texte intégral de décisions d’une juridiction dont les plus importantes seraient publiées ultérieurement dans un recueil officiel (Sutter c. Suisse, 22 février 1984, § 34, série A no 74). Elle a en revanche constaté une violation de cette disposition dans un cas où les juridictions – tant de première que de seconde instance – avaient examiné à huis clos une demande d’indemnisation pour détention irrégulière, n’avaient pas rendu publiquement leurs décisions et où le public n’avait pas accès à celles-ci par d’autres moyens (Werner c. Autriche, 24 novembre 1997, §§ 56-60, Recueil des arrêts et décisions 1997-VII).

84. En l’espèce, la Cour relève qu’en raison du classement de l’affaire de la première requérante comme secrète, la Cour administrative suprême a non seulement examiné celle-ci à huis clos (voir ci-dessus), mais les arrêts rendus n’ont pas été délivrés publiquement, n’étaient pas accessibles au greffe de la juridiction ou sur le site internet de celle-ci et la première requérante elle-même n’a pu en obtenir copie. Le dossier n’a été déclassifié qu’après l’expiration du délai légal, en juillet 2009, soit plus de cinq ans après le prononcé de l’arrêt définitif de la Cour administrative suprême.

85. Il en résulte que les arrêts rendus par la Cour administrative suprême dans l’affaire de la requérante n’ont pas été prononcés publiquement et ont été rendus inaccessibles au public dans leur intégralité pendant un délai considérable. Or la Cour a déjà eu l’occasion de souligner que lorsqu’une affaire judiciaire implique le traitement d’informations classifiées, il existe des techniques permettant d’assurer une certaine publicité des décisions rendues tout en préservant le secret des informations sensibles. Certains Etats parties à la Convention ont adopté de tels mécanismes en décidant, par exemple, de publier uniquement le dispositif du jugement (Welke et Białek, précité, § 84) ou de classifier seulement partiellement de tels jugements (A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, § 93, CEDH 2009). La Cour n’est pas persuadée qu’en l’espèce la protection des informations confidentielles figurant au dossier ait rendu nécessaire une restriction de la publicité de l’intégralité des décisions rendues et qui plus est pendant une période aussi considérable. De plus, comme la Cour l’a noté ci-dessus au sujet de la publicité des débats, la restriction de la publicité du jugement résultait du classement automatique de l’ensemble du dossier comme secret, sans que les juridictions internes n’aient procédé à une analyse de la nécessité et de la proportionnalité d’une telle mesure dans le cas concret.

86. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 en raison de l’absence de publicité des décisions rendues en l’espèce.

D. Caractère équitable de la procédure

1. Arguments des parties

87. La première requérante allègue en outre que la Cour administrative suprême a manqué d’indépendance et d’impartialité en décidant de classer la procédure judiciaire comme confidentielle à la demande du ministère de l’Intérieur. Elle soutient que le principe de l’égalité des armes a également été méconnu. A cet égard, elle note que son avocate n’a pas pu consulter le dossier, alors que le représentant du ministère défendeur avait accès aux documents du dossier. Ce dernier n’aurait pas eu besoin de demander une habilitation d’accès aux informations confidentielles, alors que son avocate a été invitée à se soumettre à une procédure d’évaluation de sa fiabilité par les services du ministère défendeur. De l’avis de la première requérante la partie adverse disposait ainsi d’une sorte de droit de véto sur le choix de son avocat. Elle invoque par ailleurs l’article 6 § 3 c) de la Convention pour se plaindre de l’impossibilité d’être défendue par l’avocat de son choix.

88. Le Gouvernement soutient que face au choix de sa représentante de ne pas demander une habilitation d’accès, la première requérante avait la possibilité d’engager un autre avocat pour assurer ses intérêts dans la procédure.

2. Appréciation de la Cour

89. La Cour observe d’emblée, dans la mesure où la première requérante s’appuie sur l’article 6 § 3 c), que cette disposition, qui prévoit le droit de « tout accusé (...) [d’] avoir l’assistance d’un défenseur de son choix », ne s’applique qu’aux personnes faisant l’objet d’une « accusation en matière pénale ». Or la Cour a considéré ci-dessus (paragraphe 59) que l’article 6 ne trouvait pas à s’appliquer dans son volet pénal à la procédure litigieuse qui concerne le licenciement pour motif disciplinaire de la première requérante et non une accusation en matière pénale. Il s’ensuit que cet aspect du grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 a) et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4. Cette conclusion ne dispense pas la Cour de prendre en compte cet aspect du grief dans le cadre de son examen sous l’angle de l’équité de la procédure au regard de l’article 6 § 1.

90. En ce qui concerne le manque allégué d’indépendance et d’impartialité de la Cour administrative suprême, la première requérante semble fonder son grief sur le seul fait que cette juridiction ait fait droit à la demande de l’autre partie de tenir les audiences à huis clos. Or le simple fait pour une juridiction de prendre une décision défavorable au requérant ne saurait en soit mettre en doute l’impartialité et l’indépendance de celle-ci ; la Cour ne relève par ailleurs aucun élément permettant de penser que la Cour administrative suprême aurait manqué d’indépendance et d’impartialité dans le cas de l’espèce. Il s’ensuit que cet aspect du grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

91. S’agissant du principe de l’égalité des armes, la Cour rappelle que ce principe, qui est l’un des éléments de la notion plus large de procès équitable, exige un « juste équilibre entre les parties » : chacune doit se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire (voir, notamment, Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas, 27 octobre 1993, § 33, série A no 274, et Matyjek c. Pologne, no 38184/03, § 55, 24 avril 2007).

92. En l’espèce, la première requérante dénonce le fait que l’avocate qu’elle avait choisi – la deuxième requérante, n’a pas eu accès au dossier alors que le représentant de la partie adverse – le ministère de l’Intérieur, y avait accès. La Cour observe à cet égard que l’impossibilité pour la deuxième requérante d’avoir accès au dossier judiciaire résulte en l’espèce de son refus de demander une habilitation d’accès à des informations classifiées, qui était exigée compte tenu de la présence de documents confidentiels au dossier. Comme elle l’a mentionné ci-dessus, la Cour reconnaît que l’Etat peut avoir des motifs légitimes de limiter l’accès à certains documents, en particulier lorsqu’ils sont relatifs à sa sécurité (voir le paragraphe 73 ci-dessus et les arrêts Turek c. Slovaquie, no 57986/00, § 115, CEDH 2006‑II (extraits), et Welke et Białek, précité, § 63). La nécessité pour un avocat de se soumettre à une enquête de sécurité afin d’avoir accès à de telles informations dans le cadre d’une procédure judiciaire n’apparaît pas en soi comme portant atteinte au principe de l’égalité des armes ou, plus généralement, au caractère équitable de la procédure. Plus particulièrement, l’affirmation de la première requérante dans le sens que le représentant du ministère de l’Intérieur aurait eu accès au dossier sans qu’une habilitation ne lui soit demandée ne semble pas corroborée par les éléments dont dispose la Cour. La loi sur la protection de l’information classifiée prévoit en effet qu’à l’exception de quelques hauts responsables de l’Etat, toute personne doit se voir délivrer une habilitation afin d’accéder à des informations confidentielles, notamment les fonctionnaires dont le poste nécessite un tel accès (paragraphes 42 et 43 ci‑dessus). Rien n’indique que cette procédure n’aurait pas été respectée dans le cas de l’espèce et que le représentant du ministère de l’Intérieur dans la procédure judiciaire n’aurait pas disposé d’une telle habilitation.

93. Quant à l’argument de la première requérante que, par le biais de l’enquête de sécurité, le ministère de l’Intérieur pouvait exercer un « droit de véto » sur le choix de son avocat, dans la mesure où l’avocate de la première requérante n’a pas demandé une habilitation d’accès, rien ne permet de considérer qu’une telle habilitation aurait été refusée et les affirmations de l’intéressée apparaissent dès lors comme spéculatives. En outre, il ressort de la réglementation interne que l’éventuel refus de l’officier de sécurité du ministère de délivrer une habilitation est susceptible d’un recours devant la Commission nationale sur la sécurité de l’information, autorité spécialisée, indépendante du ministère de l’Intérieur et étrangère à la procédure judiciaire en cours (paragraphe 46 ci-dessus, in fine).

94. La Cour observe par ailleurs que, face au refus de son avocate de se soumettre à l’enquête de sécurité, la première requérante avait la possibilité de mandater un autre avocat si elle désirait bénéficier de l’assistance d’un professionnel du droit. Rien en l’espèce n’indique que cette possibilité aurait été entravée d’une quelconque manière.

95. La Cour note enfin que la première requérante, qui a elle-même assuré sa défense suite au refus de son avocate de se soumettre à l’enquête de sécurité, ne soutient pas qu’elle n’aurait pas eu un accès suffisent au dossier, que cela soit avant ou au cours des audiences, pour lui permettre de préparer sa défense, ou que l’autre partie ait été placée dans une situation plus favorable (voir Welke et Białek, précité, § 65, et comparer, Matyjek, précité, § 63).

96. Compte tenu de ce qui précède, le grief tiré du caractère inéquitable de la procédure est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 2 DE LA CONVENTION

97. Invoquant l’article 6 § 2, la première requérante soutient que la confirmation de l’arrêté de licenciement par les juridictions internes équivalait à une déclaration de culpabilité concernant l’infraction pénale de corruption décrite dans les motifs de la décision de licenciement, alors que sa culpabilité n’avait pas été légalement établie dans le cadre de la procédure pénale. L’article 6 § 2 est libellé comme suit :

« Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »

98. La Cour rappelle que la présomption d’innocence se trouve méconnue si une décision judiciaire ou une déclaration officielle concernant un prévenu reflète le sentiment qu’il est coupable, alors que sa culpabilité n’a pas été préalablement légalement établie. Il suffit, même en l’absence de constat formel, que la décision contienne une motivation donnant à penser que le juge considère l’intéressé comme étant coupable (voir, parmi d’autres, Minelli c. Suisse, 25 mars 1983, § 37, série A no 62). Si le principe de la présomption d’innocence figure parmi les éléments du procès pénal équitable exigé par le paragraphe 1 de l’article 6, il ne se limite pas à une simple garantie procédurale en matière pénale. Sa portée est plus étendue et exige qu’aucun représentant de l’Etat ou d’une autorité publique ne déclare qu’une personne est coupable d’une infraction avant que sa culpabilité ait été établie par un tribunal (Çelik (Bozkurt) c. Turquie, no 34388/05, § 29, 12 avril 2011, Moullet c. France (déc.), no 27521/04, 13 septembre 2007).

99. Dans des affaires similaires à celles de l’espèce, la Cour a déjà jugé que l’article 6 § 2 n’avait ni pour objet ni pour effet d’interdire à l’autorité investie du pouvoir disciplinaire de sanctionner les faits reprochés au pénal à un agent public dès lors que ces faits sont régulièrement établis (Moullet, décision précitée). Toutefois, si les décisions internes concernant les sanctions disciplinaires devaient contenir une déclaration imputant une responsabilité pénale à l’intéressé, cela poserait une question sur le terrain de l’article 6 § 2 (ibidem, Çelik (Bozkurt), précité, § 32).

100. Dans la présente espèce, la Cour constate que le licenciement disciplinaire de la première requérante n’était pas motivé par le fait qu’elle avait commis une infraction pénale mais était fondé sur des actes qui, même s’ils réunissaient également les éléments constitutifs d’une infraction pénale, constituaient une faute professionnelle. Les faits ont été dûment établis devant les juridictions administratives, qui ne se sont pas appuyées sur les constats établis dans le cadre de la procédure pénale, et la requérante a eu l’opportunité d’en contester la véracité. En outre, rien dans les constations ou le langage utilisé dans les décisions des juridictions administratives ne semble remettre en question la présomption d’innocence de l’intéressée ou impliquer qu’elle était coupable des infractions reprochées dans le cadre de la procédure pénale. Cette dernière procédure n’a d’ailleurs été mentionnée par la Cour administrative suprême que pour répondre à l’argument soulevé par la première requérante et dire que l’autorité administrative n’était pas tenue d’attendre l’issue de la procédure pénale pour imposer un sanction disciplinaire (voir Hrdalo c. Croatie, no 23272/07, § 55, 27 septembre 2011, Moullet, décision précitée, Matos Dinis c. Portugal (déc.), no 61213/08, §§ 42-45, 2 octobre 2012, et, a contrario, Çelik (Bozkurt), précité, § 35).

101. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

102. La deuxième requérante voit dans l’obligation de fournir des informations personnelles afin de pouvoir obtenir une habilitation et représenter efficacement sa cliente dans la procédure judiciaire concernant son licenciement, une violation de son droit à la vie privée, tel que protégé par l’article 8 de la Convention. L’article 8 dispose en se parties pertinentes :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée (...).

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A. Arguments des parties

103. La deuxième requérante expose que pour obtenir une habilitation d’accès aux informations classifiées afin d’avoir accès au dossier judiciaire et participer aux audiences devant la Cour administrative suprême, elle devait remplir un questionnaire très détaillé, requérant la divulgation d’informations personnelles la concernant mais aussi concernant ses proches. Elle soutient que l’obligation de révéler de telles informations, considérées comme des données personnelles au sens de la loi sur la protection des données personnelles, ou de devoir renoncer à assurer la défense de sa cliente, constitue une ingérence dans son droit au respect de la vie privée qui n’était pas justifiée au regard de l’article 8 § 2. Elle réitère que la décision de la Cour administrative suprême de classer l’affaire « secrète » n’était pas justifiée en l’espèce. Elle estime en outre que la responsabilité pénale prévue en cas de divulgation d’informations qui constituent un secret d’Etat représente une garantie suffisante contre tout abus de la part des avocats et que l’obligation de remplir le questionnaire en question n’était donc pas nécessaire.

104. Le Gouvernement souligne que la deuxième requérante avait le choix de fournir ou non les informations demandées et qu’elle a d’ailleurs décidé de ne pas le remplir le questionnaire. Il estime que le juste équilibre entre le respect de la vie privée et les impératifs de protection de la sécurité nationale et l’ordre public a été maintenu en l’espèce.

B. Appréciation de la Cour

105. La Cour rappelle que la collecte, la mémorisation et la communication de données relatives à la « vie privée » d’un individu entrent dans le champ d’application de l’article 8 de la Convention (Leander c. Suède, 26 mars 1987, § 48, série A no 116 ; Antunes Rocha c. Portugal, no 64330/01, § 62, 31 mai 2005). Quant à la question de savoir s’il y a eu en l’espèce ingérence dans le droit de la deuxième requérante au respect de sa vie privée compte tenu du fait que, comme le souligne le Gouvernement, celle-ci n’a en fin de compte pas rempli le questionnaire en question et n’a donc pas fourni les informations demandées concernant sa vie privée, la Cour estime qu’elle n’a pas à trancher cette question étant donné que le grief est en tout état de cause irrecevable pour les raisons qui suivent.

106. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle doit être saisie dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive. En règle générale, le délai de six mois commence à courir à la date de la décision définitive intervenue dans le processus normal de l’épuisement des voies de recours internes susceptibles de fournir un moyen efficace et suffisant pour redresser les griefs faisant l’objet de la requête. Toutefois, lorsqu’il est clair d’emblée que le requérant ne dispose d’aucun recours effectif, le délai de six mois court à partir de la date des actes ou mesures dénoncés ou de la date à laquelle l’intéressé en prend connaissance ou en ressent les effets ou le préjudice (Dennis et autres c. Royaume-Uni (déc.), no 76573/01, 2 juillet 2002, Nenkayev et autres c. Russie, no 13737/03, § 188, 28 mai 2009). La Cour rappelle également qu’elle peut statuer sur le respect du délai de six mois même en l’absence d’objection du Gouvernement en ce sens (Nenkayev et autres, précité, ibid.).

107. En l’espèce, dans la mesure où la deuxième requérante se plaint de l’obligation de remplir un questionnaire afin d’obtenir l’habilitation nécessaire pour accéder aux pièces du dossier de sa cliente, la Cour note qu’il ressort des faits de l’espèce que la Cour administrative suprême a ajourné l’audience du 28 mai 2002 dans l’affaire de la première requérante afin que son avocate, la deuxième requérante, puisse demander l’habilitation nécessaire. A la suite du refus de celle-ci de se soumettre à la procédure d’habilitation, le 25 juin 2002 la haute juridiction a décidé de procéder à l’examen de l’affaire sans la participation de la deuxième requérante (paragraphes 19-22 ci-dessus). La Cour note que la deuxième requérante considérait apparemment qu’il n’existait pas en droit interne de recours susceptible de remédier à son grief relatif au droit au respect de sa vie privée et qu’elle n’a en tout état de cause pas soulevé ce grief devant les instances nationales. La procédure civile concernant le licenciement de la première requérante ne saurait en tout cas être considérée comme faisant partie du processus normal d’épuisement des voies de recours pour ce qui est du grief de la deuxième requérante tiré de l’article 8.

108. Dans ces circonstances, la Cour estime que la question relative à l’obligation de la deuxième requérante de remplir l’enquête de sécurité a été tranchée de manière définitive par l’ordonnance de la Cour administrative suprême du 25 juin 2002 et que, en admettant qu’il n’existait pas de voies de recours internes dont l’épuisement était requis, le délai de six mois a couru à compter de cette date. La requête, introduite le 8 juin 2004, est donc tardive concernant ce grief, qui doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

109. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

110. La première requérante réclame 30 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’elle aurait subi du fait des violations alléguées de la Convention.

111. Le Gouvernement juge la somme réclamée excessive.

112. La Cour considère que la première requérante a subi un préjudice moral du fait des violations constatées de l’article 6 de la Convention. Au vu des éléments en sa possession et statuant en équité, comme le veut l’article 41, elle estime qu’il y a lieu d’octroyer à l’intéressée 2 400 EUR à ce titre.

B. Frais et dépens

113. La première requérante demande 3 150 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour, dont 3 000 EUR au titre des honoraires de son avocate (la deuxième requérante) et 150 EUR de frais divers (courrier, photocopies etc.). A l’appui de ses demandes elle produit une convention d’honoraires conclue avec son avocate.

114. Le Gouvernement conteste ces demandes et souligne que les requérantes n’ont produit ni factures, ni décompte du travail réellement effectué. Il estime que le montant accordé par la Cour devrait être réduit à un niveau réaliste.

115. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Compte tenu des éléments en sa possession et eu égard au fait qu’elle a déclaré irrecevables une partie des griefs soulevés, la Cour estime raisonnable un montant de 1 000 EUR et l’accorde à la première requérante.

C. Intérêts moratoires

116. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 6 § 1 concernant l’absence de publicité des débats et des décisions rendues et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de l’absence de publicité des débats devant la Cour administrative suprême ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de l’absence de publicité des décisions rendues ;

4. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser à la première requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en levs bulgares au taux applicable à la date du règlement :

i) 2 400 EUR (deux mille quatre cent euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii) 1 000 EUR (mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la première requérante, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 17 décembre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Françoise Elens-PassosIneta Ziemele
GreffièrePrésidente


Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award