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12/12/2013 | CEDH | N°001-138923

CEDH | CEDH, AFFAIRE KHUROSHVILI c. GRÈCE, 2013, 001-138923


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE KHUROSHVILI c. GRÈCE

(Requête no 58165/10)

ARRÊT

STRASBOURG

12 décembre 2013

DÉFINITIF

12/03/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Khuroshvili c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Elisabeth Steiner,
Khanlar Hajiyev,
Linos-Alexandre Sicilianos,


Erik Møse,
Ksenija Turković,
Dmitry Dedov, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conse...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE KHUROSHVILI c. GRÈCE

(Requête no 58165/10)

ARRÊT

STRASBOURG

12 décembre 2013

DÉFINITIF

12/03/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Khuroshvili c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Elisabeth Steiner,
Khanlar Hajiyev,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse,
Ksenija Turković,
Dmitry Dedov, juges,
et de André Wampach, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 novembre 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 58165/10) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant géorgien, M. Besik Khuroshvili (« le requérant »), a saisi la Cour le 4 octobre 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me Th. Tsiatsios, avocat à Thessalonique. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les déléguées de son agent, Mme F. Dedousi, assesseure auprès du Conseil juridique de l’Etat, et Mme Z. Hadjipavlou, auditrice auprès du Conseil juridique de l’Etat. Le gouvernement géorgien, qui a reçu communication de la requête (articles 36 § 1 de la Convention et 44 § 1 a) du règlement), a exprimé son souhait d’exercer son droit d’intervenir dans la procédure. Toutefois, il n’a pas présenté d’observations dans le délai qui lui était imparti.

3. Le requérant allègue une violation des articles 3, 5 § 1 et 5 § 4 de la Convention.

4. Le 17 mars 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1970.

6. Muni d’un passeport géorgien valable jusqu’en 2001 et d’un visa valable pour vingt-deux jours, il arriva en Grèce le 12 février 1997. Le 26 juillet 2001, il se vit remettre un titre de séjour valable jusqu’au 26 janvier 2002. Le 30 juin 2003, le requérant sollicita auprès de la préfecture de Thessalonique un permis de travail ainsi que la prolongation de son titre de séjour. Une attestation relative à ces demandes lui fut remise.

7. Le 11 janvier 2004, les autorités, constatant que le requérant séjournait illégalement sur le territoire, l’informèrent qu’elles examinaient l’éventualité de l’expulser et qu’il avait le droit de déposer, dans un délai de 120 heures, des objections à cet égard, soit oralement soit par écrit.

8. Le 19 janvier 2004, le directeur de la Direction de la police des étrangers de Thessalonique ordonna l’expulsion du requérant sans mise en détention à condition qu’il quitte le territoire dans un délai de trente jours. En même temps, le requérant fut inscrit au registre des personnes indésirables et dans le système d’information Schengen, jusqu’au 19 janvier 2009. La décision précisait que l’exécution de l’expulsion serait suspendue en cas de recours de la part du requérant.

9. Le 14 octobre 2005, à la suite d’un recours du requérant, le secrétaire général de la région de Macédoine centrale annula la décision du 19 janvier 2004. Il invita en outre le requérant à présenter au plus tard le 31 décembre 2005 des justificatifs afin de régulariser sa situation. En vertu de l’article 91 § 11 de la loi no 3386/2005, les ressortissants de pays tiers résidant en Grèce au 31 décembre 2004 avaient la possibilité de régulariser leur situation en déposant des demandes dans les mairies du 1er octobre 2005 au 31 décembre 2005.

A. La détention du requérant en vue de son expulsion et les procédures y relatives

10. Comme le requérant ne produisit pas ces justificatifs, il fut arrêté le 20 janvier 2007. Le 23 janvier 2007, le directeur de la Direction de la police des étrangers de Thessalonique ordonna son expulsion et sa mise en détention au motif qu’il risquait de fuir (articles 76 §§ 1 b) et 3 de la loi no 3386/2005). Le 27 janvier 2007, le requérant fut transféré du centre de répression de l’immigration clandestine de Thessalonique aux cellules de la Direction de la sécurité de Thessalonique en vue de la procédure d’expulsion.

11. Le 30 mars 2007, le requérant fut transféré à la Direction des étrangers de l’Attique pour être présenté devant le consul de Géorgie, afin que sa qualité de ressortissant de cet Etat soit reconnue et que lui soit délivré un titre de voyage provisoire.

12. Le 20 avril 2007, le requérant fut libéré car il avait été détenu pendant trois mois sans que l’expulsion ait pu avoir lieu. En application de l’article 78 de la loi no 3386/2005, le directeur de la Direction des étrangers de l’Attique suspendit l’exécution de l’expulsion pour une période de trois mois (sous la condition que le requérant se présente deux fois par mois au commissariat de police) et lui impartit un délai de trois mois pour quitter le territoire.

13. Le 8 octobre 2007, le requérant fut arrêté à nouveau par la police de Thermi, au motif qu’il résidait illégalement en Grèce, le délai de trois mois pour quitter le territoire ayant expiré. Par une décision du même jour, la Direction des étrangers de Thessalonique ordonna la détention du requérant (pour une période ne pouvant pas dépasser trois mois) en vue de l’exécution de la décision d’expulsion du 23 janvier 2007. Le 10 octobre 2007, il fut transféré à la Direction de la sécurité de Thessalonique pour poursuivre sa détention en vue de l’expulsion.

14. Le 27 novembre 2007, la Direction de la sécurité de Thessalonique invita le consulat de Géorgie à fournir au requérant un titre de voyage provisoire.

15. Le 8 janvier 2008, le requérant fut remis en liberté car le délai de trois mois avait expiré. Il fut invité à quitter le territoire dans un délai de dix jours.

16. Le 22 janvier 2008, le consulat de Géorgie informa la Direction de la sécurité de Thessalonique que la qualité de ressortissant géorgien du requérant était désormais confirmée et qu’il s’apprêtait à lui fournir un titre de voyage.

17. Le 12 mai 2008, le requérant fut de nouveau arrêté, au motif que le délai de six jours qui lui avait été imparti avait expiré sans qu’il ait quitté le territoire.

18. Par une décision du 12 mai 2008, le directeur de la Direction de la police des étrangers de Thessalonique ordonna la détention du requérant pour un délai ne pouvant pas dépasser trois mois et jusqu’à ce que l’expulsion décidée le 23 janvier 2007 puisse avoir lieu. La décision précisait que le requérant risquait de fuir.

19. Le 24 mai 2008, la Direction de la sécurité de Thessalonique invita le consulat de Géorgie à fournir un titre de voyage provisoire au requérant pour rendre l’expulsion possible.

20. Toutefois, le 5 août 2008, comme le consulat de Géorgie n’avait pas réagi, le directeur de la Direction de la police des étrangers mit fin à la détention du requérant et lui enjoignit de quitter immédiatement le territoire.

21. Le 12 juin 2010, le requérant fut de nouveau arrêté et le directeur de la Direction de la police des étrangers ordonna sa détention, en vue de son expulsion (décidée le 23 janvier 2007), pour un délai ne pouvant pas dépasser six mois (conformément à l’article 76 § 3 modifié de la loi no 3386/2005), au motif qu’il n’avait pas quitté le territoire dans le délai imparti et qu’il risquait de fuir.

22. Le 2 juillet 2010, le requérant formula des objections contre cette décision devant le président du tribunal administratif de Thessalonique. Il sollicitait sa mise en liberté en faisant valoir qu’il ne pouvait pas être immédiatement expulsé, n’était pas dangereux pour l’ordre et la sécurité publics, ne risquait pas de fuir et avait une résidence connue des autorités où il pourrait facilement être recherché par celles-ci. Il soulignait, en outre, qu’il était détenu depuis le 12 juin 2010 dans une cellule des locaux de la police des frontières de Thermi, dans de très mauvaises conditions : la cellule, où il était « entassé » avec plusieurs autres détenus, était dépourvue de douche et de lits, les conditions élémentaires d’hygiène faisaient défaut et il n’y avait aucune possibilité de faire de l’exercice.

23. Le 5 juillet 2010, le président du tribunal administratif de Thessalonique rejeta ces objections par les motifs suivants :

« (...) le tribunal relève que l’intéressé se trouve en Grèce depuis le milieu de l’année 1997, qu’il n’a pas procédé à la régularisation de son séjour, qu’il est resté à plusieurs reprises en défaut de se conformer au dispositif des décisions des autorités de police l’ordonnant de quitter le pays, qu’il a fait preuve d’un comportement de transgression continu, qu’il (...) a obtenu un titre de voyage provisoire (valable du 29 juin 2010 au 29 juillet 2010) du consulat général de la Géorgie et que dans les prochains jours il sera transféré à la Direction des étrangers de l’Attique en vue de l’exécution de la décision d’expulsion administrative. Le tribunal considère que l’intéressé risque de fuir ; si sa détention est levée, il est possible qu’il fasse obstacle et se soustraie à l’exécution de la décision d’expulsion. »

24. Le 7 juillet 2010, le requérant fut transféré au centre de répression de l’immigration clandestine d’Aspropyrgos afin d’être expulsé, car le consulat de Géorgie avait entretemps établi un titre de voyage provisoire valable du 29 juin au 29 juillet 2010. Le 14 juillet 2010, le requérant déposa une demande d’asile.

25. Le 10 août 2010, le requérant formula devant le président du tribunal administratif d’Athènes de nouvelles objections (datées du 12 juillet 2010) contre sa détention ordonnée par la décision du 12 juin 2010. Il faisait valoir que la décision d’expulsion prise à son encontre était restée non exécutée à trois reprises, de sorte que son temps de détention cumulé atteignait neuf mois. Il soulignait aussi qu’il risquait d’être détenu pour une quatrième fois et pour une durée maximale de six mois. Se prévalant du rapport du médiateur sur la question de l’adoption de décisions d’expulsion successives (paragraphe 46 ci-dessous), il dénonçait un détournement de la finalité de la loi no 3386/2005 et notamment de son article 76 § 3, qui n’autorisait la détention d’un étranger que le temps nécessaire pour l’exécution d’une décision d’expulsion.

26. Le 11 août 2010, à la fin de l’audience à laquelle le requérant était représenté par son avocate, le président rejeta à nouveau les objections du requérant au motif que celui-ci ne s’était pas conformé à la décision du 5 août 2008 lui ordonnant de quitter le territoire.

27. Le 30 août 2010, le requérant, qui avait entretemps été transféré au centre de répression de l’immigration clandestine d’Aspropyrgos, saisit la Direction de la police des étrangers de l’Attique de l’Ouest en sollicitant sa mise en liberté, en raison des conditions de sa détention.

28. Le requérant soutenait que depuis deux mois il était détenu dans des conditions contraires à l’article 3 de la Convention. Il indiquait que le nombre de détenus était trop élevé par rapport à la superficie des cellules, que celles-ci n’étaient ni suffisamment éclairées ni suffisamment aérées et que la fumée des codétenus fumeurs rendait l’atmosphère encore plus malsaine. Il n’y avait pas assez de douches et de toilettes. Les détenus ne pouvaient faire aucun exercice physique et n’avaient aucune activité récréative. Il y avait aussi un manque total d’infrastructures pour la restauration des détenus. La somme de 5,87 euros par jour versée à chaque détenu ne suffisait que pour se faire livrer deux sandwiches achetés en dehors du centre. Ces sandwiches constituaient la seule nourriture qu’il recevait depuis deux mois. Enfin, faute de disposer d’un téléviseur ou d’une radio dans la cellule et de pouvoir lire les journaux, il se sentait totalement coupé du monde extérieur, ce qui avait des conséquences sur sa santé physique et psychique.

29. Toutefois, il ne reçut aucune réponse à cette demande.

30. Le requérant fut détenu au centre d’Aspropyrgos jusqu’au 23 octobre 2010, date à laquelle il fut transféré à l’Espace spécial de séjour des étrangers de la Direction des étrangers de l’Attique.

31. Le 24 octobre 2010, le directeur de la Direction des étrangers d’Attique rejeta la demande d’asile du requérant.

32. Le 12 décembre 2010, le requérant fut remis en liberté en considération du fait qu’il avait déjà passé six mois en détention. Un délai de trente jours lui fut imparti pour quitter le territoire.

33. Le 13 septembre 2012, le requérant fut de nouveau arrêté et mis en détention dans les cellules de la sous-direction des étrangers de Thessalonique car la commission consultative des recours avait interrompu l’examen de la demande d’asile (paragraphe 41 ci-dessous). Les parties n’ont pas fourni d’informations factuelles au-delà de cette date.

B. La version du Gouvernement concernant les conditions de détention dans les locaux de la police des frontières de Thermi et au centre de répression de l’immigration clandestine d’Aspropyrgos

1. Les locaux de la police des frontières de Thermi

34. La police des frontières de Thermi est installée dans un bâtiment nouvellement construit dont les travaux furent terminés à la fin de 2008. Il comprend deux cellules spacieuses, lumineuses, bien aérées et bien éclairées. Chaque cellule est équipée d’une toilette et d’une douche qui a de l’eau chaude toute la journée. Les locaux sont aussi équipés du chauffage central ainsi que de la climatisation. Le nettoyage des locaux est assuré par une société privée et une désinfection est réalisée à intervalles réguliers.

35. Lors de son séjour, le requérant était placé dans une cellule de 40 m² ayant une capacité de 8 détenus.

2. Le centre de répression de l’immigration clandestine d’Aspropyrgos

36. Le centre d’Aspropyrgos a une capacité de 140 détenus répartis sur deux étages (d’une surface totale habitable de 240 m²) et dans quatre dortoirs par étage, pouvant accueillir respectivement 20, 20, 20 et 10 personnes. Pour l’hygiène personnelle des détenus, il y a 10 WC et 8 douches par étage, dont l’accès est libre. Du savon et du papier toilette sont régulièrement distribués aux détenus.

37. A chaque étage, il existe un espace de 20 m² qui sert de cour intérieure. Cet espace a une vue sur la rue et est à la disposition des détenus, qui y passent quinze minutes par jour, soit pour utiliser les téléphones à carte qui s’y trouvent soit pour s’informer sur leurs droits et les procédures existantes au moyen de brochures en plusieurs langues.

38. L’éclairage et la ventilation des dortoirs sont assurés par des fenêtres, dont la plus grande partie de la surface est constituée de barreaux métalliques, à raison de deux fenêtres pour chaque dortoir. Il existe un système central de climatisation et de chauffage, ainsi que des chauffe-eau.

39. L’alimentation des détenus est assurée par des repas fournis par le restaurant du quartier général de la police de l’Attique et inclut petit déjeuner, déjeuner et dîner. Les détenus reçoivent quotidiennement une bouteille d’eau minérale et l’eau du robinet est potable.

40. La Direction des étrangers de l’Attique assure la désinfection et le nettoyage du linge de lit ainsi que le remplacement du linge usé.

41. Le nettoyage des lieux est effectué quotidiennement par une entreprise privée. La désinfection et l’élimination des insectes sont effectuées aussi par une entreprise privée deux fois par mois, et un certificat est délivré. Pendant la période où le requérant y fut détenu, il y a eu deux nettoyages et désinfections, les 23 septembre et 15 octobre 2010.

42. Pendant la période de détention du requérant, le centre d’Aspropyrgos accueillait 136 détenus, soit 68 par étage.

C. La demande d’asile du requérant

43. Le 14 juillet 2010, le requérant déposa une demande d’asile. Le 29 septembre 2010, la commission consultative des recours de la Direction des étrangers de l’Attique recommanda de rejeter la demande, ce que le directeur de cette Direction fit le 24 octobre 2010. Le 22 février 2011, faisant usage de la possibilité offerte par l’article 32 du décret no 114/2010, qui permettait le réexamen des demandes d’asile rejetées, le requérant fit appel de la décision du 24 octobre 2010. A la suite de cet appel, le requérant se vit remettre un certificat de demandeur d’asile valable jusqu’au 15 juillet 2011.

44. Réunie le 29 mai 2012 pour examiner l’appel du requérant, la commission consultative des recours décida d’interrompre l’examen de la demande d’asile au motif que, pourtant convoqué à cette fin dans le délai légal, l’intéressé n’avait pas comparu pour l’entretien et pouvait dès lors être regardé comme ayant tacitement renoncé à sa demande d’asile (article 14 § 2 du décret no 114/2010).

45. Le 17 septembre 2012, le requérant introduisit, comme l’autorise le droit interne, une requête tendant à faire poursuivre l’examen de la demande d’asile. Le 12 octobre 2012, il saisit la Direction des étrangers de Thessalonique d’une nouvelle demande d’asile, que cette autorité rejeta le 7 novembre 2012 au motif que le requérant ne présentait pas de faits nouveaux justifiant la prise d’une décision différente de celle du 24 octobre 2010.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. La législation

1. La loi no 3386/2005 relative à l’entrée, au séjour et à l’insertion de ressortissants de pays tiers sur le territoire grec

46. Les articles 76 (conditions et procédure de l’expulsion administrative), 77 (recours contre l’expulsion administrative) et 79 (protection contre l’expulsion) de la loi no 3386/2005 prévoient ce qui suit :

Article 76

« 1. L’expulsion administrative d’un étranger est permise lorsque :

(...)

c) sa présence sur le territoire grec est dangereuse pour l’ordre public ou la sécurité du pays.

2. L’expulsion est ordonnée par décision du directeur de police et (...) après que l’étranger ait bénéficié d’un délai d’au moins quarante-huit heures pour déposer ses objections.

3. Lorsqu’il ressort des circonstances de la cause que l’étranger est susceptible de fuir ou est dangereux pour l’ordre public, les organes mentionnés au paragraphe précédent ordonnent sa détention provisoire jusqu’à l’adoption, dans un délai de trois jours, de la décision d’expulsion. Lorsqu’une décision d’expulsion est adoptée, la détention est maintenue jusqu’à l’exécution de l’expulsion, sans pouvoir en aucun cas dépasser trois mois. L’étranger doit être informé dans une langue qu’il comprend des raisons de sa détention et sa communication avec son avocat doit être facilitée. L’étranger détenu peut (...) former des objections à l’encontre de la décision ordonnant la détention, devant le président (...) du tribunal administratif (...).

4. Dans le cas où l’étranger sous écrou en vue de son expulsion n’est pas considéré comme susceptible de fuir ou dangereux pour l’ordre public, ou si le président du tribunal administratif s’oppose à sa détention, il lui est fixé un délai pour quitter le territoire, qui ne peut dépasser trente jours.

5. La décision mentionnée aux paragraphes 3 et 4 de cet article peut être révoquée à la demande des parties, si la demande est fondée sur des faits nouveaux (...) ».

Article 77

« L’étranger a le droit d’exercer un recours contre la décision d’expulsion, dans un délai de cinq jours à compter de sa notification, auprès du ministre de l’Ordre public (...). La décision est rendue dans un délai de trois jours ouvrables à compter de l’introduction du recours. L’exercice du recours entraîne la suspension de l’exécution de la décision. Dans le cas où la décision d’expulsion s’accompagne d’un ordre de mise en détention, la suspension concerne seulement l’expulsion. »

Article 79

« 1. L’expulsion est interdite lorsque l’étranger :

(...)

d) est reconnu comme réfugié ou a demandé l’asile, sous réserve des articles 32 et 33 de la Convention de Genève de 1957 (...) ».

47. Par une loi no 3772/2009, du 10 juillet 2009, l’article 76 § 3 de la loi a été modifié ainsi :

« (...) Lorsqu’une décision d’expulsion est adoptée, la détention est maintenue jusqu’à l’exécution de l’expulsion, sans pouvoir en aucun cas dépasser six mois. Au cas où l’expulsion est retardée parce que l’étranger refuse de collaborer ou que la réception des documents nécessaires à l’expulsion vers son Etat d’origine ou vers l’Etat par lequel il a transité est tardive, la détention de l’étranger peut être prolongée pour une durée limitée ne pouvant dépasser douze mois (...) ».

2. L’article 13 du décret présidentiel no 114/2010

48. L’article 13 du décret présidentiel no 114/2010 (intitulé « Statut de réfugié : procédure unique applicable aux étrangers et apatrides »), qui transpose dans l’ordre juridique grec la directive du Conseil no 2005/85/CE du 1er décembre 2005 (sur les normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres), dispose :

« 1. Aucun ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui demande la protection internationale ne peut être détenu pour le seul motif qu’il est entré ou qu’il séjourne clandestinement dans le pays. La personne qui, lors de sa détention, dépose une demande de protection internationale reste en détention si les conditions du paragraphe 2 sont réunies.

2. La détention de demandeurs dans un espace approprié est permise de manière exceptionnelle lorsque des mesures alternatives ne peuvent pas être appliquées pour l’une des raisons suivantes :

a) le demandeur ne dispose pas de documents de voyage ou les a détruits et il est nécessaire de vérifier son identité, les circonstances de son entrée dans le pays ou les données réelles concernant sa provenance, notamment dans le cas d’arrivée massive d’étrangers clandestins ;

b) le demandeur représente une menace pour la sécurité nationale ou l’ordre public pour les motifs qui sont spécifiquement détaillés dans la décision de mise en détention ;

c) la détention est jugée nécessaire pour un examen rapide et efficace de la demande.

3. La décision de mise en détention des demandeurs de protection internationale est prise par le directeur de la police compétent et, s’agissant des directions générales de la police de l’Attique et de Thessalonique, par le directeur de la police compétent pour les étrangers. La décision doit comporter une motivation complète et détaillée.

4. La détention est imposée pour la durée strictement nécessaire et ne peut en aucun cas dépasser quatre-vingt-dix jours. Si le demandeur a été détenu auparavant en vue de son expulsion administrative, la durée totale de sa détention ne pourra pas dépasser cent quatre-vingts jours.

5. Les demandeurs détenus en vertu des paragraphes précédents ont le droit (...) de formuler des objections conformément au paragraphe 3 de l’article 76 de la loi no 3386/2005 modifiée.

6. Si des demandeurs sont en détention, les autorités (...) s’engagent à :

a) veiller à ce que les femmes soient détenues dans un espace séparé de celui des hommes ;

b) éviter la détention de mineurs. Les mineurs qui ont été séparés de leur famille ou qui ne sont pas accompagnés ne sont détenus que pour le temps nécessaire à leur transfert sécurisé dans des structures appropriées pour l’hébergement de mineurs ;

c) éviter la détention de femmes enceintes dont la grossesse est à un stade avancé ou de femmes qui viennent d’accoucher ;

d) offrir aux détenus les soins médicaux appropriés ;

e) garantir le droit des détenus à une assistance juridique ;

f) veiller à ce que les détenus soient informés des motifs et de la durée de leur détention. »

3. Le décret no 254/2004 portant code de déontologie des fonctionnaires de police

49. Les articles pertinents du décret no 254/2004 portant code de déontologie des fonctionnaires de police se lisent ainsi :

Article 2

(...)

d) [Le fonctionnaire de police] respecte le droit à la vie et à la sécurité personnelle de chaque individu. Il ne commet, ne provoque et ne tolère aucun acte de torture ni traitement ou punition inhumain ou dégradant, et rapporte toute violation des droits de l’homme.

e) [Le fonctionnaire de police] emploie en principe des moyens non violents pour le respect et l’application de la loi. Le recours à la force est permis seulement lorsqu’il est absolument indispensable et dans la mesure où il est prévu et nécessaire pour l’application de la loi. Il respecte les principes de la nécessité, de l’adéquation et de la proportionnalité. (...)

Article 3

(...)

a) (...) A l’occasion d’une arrestation, [le fonctionnaire de police] (...) évite tout acte susceptible de porter atteinte à l’honneur et la réputation de la personne arrêtée et de manière générale de porter atteinte à la dignité de celle-ci. (...)

(...)

d) [Le fonctionnaire de police] facilite l’octroi de l’assistance juridique à la personne arrêtée et assure la communication directe et sans obstacle de celle-ci avec son avocat.

e) [Le fonctionnaire de police] assure le contact de la personne arrêtée avec ses proches, avec les autorités consulaires si cette personne est un étranger, ainsi qu’avec les commissions nationales et internationales compétentes pour la protection des détenus (...).

(...)

g) [Le fonctionnaire de police] assure des conditions de détention qui garantissent la sécurité, l’hygiène et la protection de la personnalité du détenu. Il veille à éviter autant que possible la mixité entre les personnes simplement détenues à titre provisoire et les personnes pénalement condamnées, entre les hommes et les femmes, ainsi qu’entre les mineurs et les adultes, et prend soin des personnes vulnérables.

h) [Le fonctionnaire de police] veille à la protection de la santé du détenu, en assurant une assistance médicale immédiate en cas de besoin (...).

i) [Le fonctionnaire de police] dissuade et dénonce immédiatement tout acte qui constitue une torture ou une autre forme de traitement ou punition inhumaine ou dégradante, toute forme de violence ou menace de violence ainsi que tout traitement défavorable ou discriminatoire à l’encontre du détenu.

(...) »

4. Le décret no 141/1991 relatif à la compétence des organes du ministère de l’Ordre public

50. Les articles pertinents du décret no 141/1991 relatif à la compétence des organes du ministère de l’Ordre public prévoient :

Article 66 (personnel de sécurité des centres de rétention)

« 4. Si le centre de rétention ne remplit pas les conditions de sécurité ou si les effectifs en personnel ne suffisent pas pour la garde des détenus, le commandant doit prendre les mesures imposées par les circonstances, en contenant au besoin les détenus afin de prévenir les évasions, suicides ou blessures.

5. Les officiers [affectés la sécurité] du centre de rétention :

(...)

d) Sont responsables de la vie et de l’intégrité physique des détenus, de la prévention des évasions et du maintien de l’ordre et de la tranquillité dans les cellules.

6. Il n’est pas permis de détenir des prévenus et des condamnés dans les commissariats de police excepté pendant le temps absolument nécessaire à leur transfert en prison ou lorsque leur transfert immédiat vers une prison n’est pas possible. »

Article 91 (entretien, aspect et propreté des bâtiments)

« 1. Les directeurs et commandants prennent soin de l’entretien de tous espaces dans les différents bâtiments afin de les maintenir propres et d’aspect convenable et veillent afin de prévenir ou de réparer les dommages causés. »

Article 92 (dortoirs – autres espaces)

(...)

6. Les centres doivent remplir les conditions nécessaires d’hygiène et de sécurité afin de prévenir les évasions, les suicides ou l’automutilation des détenus.

7. Les officiers et sous-officiers de garde (...) doivent passer en revue quotidiennement et avec diligence les dortoirs afin de s’assurer qu’ils sont en bon état et qu’il ne s’y trouve pas d’objets pouvant faciliter les évasions, les suicides ou l’automutilation des détenus.

Article 97 (protection de mineurs)

1. La police hellénique (...)

9) Veille à ce que les mineurs arrêtés soient enfermés dans des centres spéciaux et ne soient pas menottés lors de leur transfert, sauf s’ils sont dangereux ou s’ils risquent de fuir.

(...)

12) A chaque contact avec des mineurs, elle doit se comporter avec douceur et civilité et éviter tout acte pouvant les humilier ou leur créer un vécu traumatique (...) »

B. La jurisprudence

51. Pour l’interprétation des dispositions de l’article 76 § 3 de la loi no 3386/2005, les juridictions nationales examinent non seulement la réalité du risque de fuite ou de la dangerosité de l’intéressé pour l’ordre public, en tenant compte notamment de la question de savoir s’il dispose d’une résidence permanente, d’un emploi ou de relations sociales dans le pays (jugements no 4/2007 du tribunal administratif de Rhodes et no 94/2009 du tribunal administratif de Héraklion), mais aussi d’autres éléments pertinents pour la légalité de la détention, tels que la santé de l’intéressé (jugements nos 257/2006, 388/2007 et 2532/2008 du tribunal administratif d’Athènes où le tribunal a examiné la possibilité d’amélioration des conditions de détention de l’étranger en raison de son état de santé), le dépôt d’une demande d’asile (jugements nos 84/2007, 301/2007, 598/2007, 600/2007, 799/2007, 813/2007 et 3630/2006 du tribunal administratif d’Athènes), ou encore l’éventuelle appartenance de l’étranger à une minorité (jugement no 4610/2007 du tribunal administratif d’Athènes).

52. Les tribunaux ont aussi admis que le sursis à exécution de l’expulsion (y compris dans le cadre d’un ordre provisoire) entraîne obligatoirement l’arrêt de la détention, car celle-ci s’en trouve privée de base légale (jugements no 1385/2009 du tribunal administratif d’Athènes et no 1263/2009 du tribunal administratif de Thessalonique).

53. Il ressort d’un document établi le 15 octobre 2009 par le tribunal administratif d’Alexandroúpoli que sur un total de 240 jugements rendus pendant la période du 1er décembre 2003 au 30 juin 2007 sur des demandes de sursis à exécution d’expulsions d’étrangers, ce tribunal a invariablement considéré la décision de détention comme un acte co-attaqué avec la décision d’expulsion.

54. Dans un document établi par le président du tribunal administratif de Syros, le 26 janvier 2010, à l’attention du Conseil juridique de l’Etat, il est précisé :

« Selon la jurisprudence constante de notre tribunal, le contrôle de la légalité de la détention d’un étranger se fait dans le cadre des objections, conformément aux dispositions de l’article 76 § 4 de la loi no 3386/2005, au regard du risque de fuite et du danger pour l’ordre public. Toutefois, dans le cadre d’un recours en annulation ou en suspension contre la décision d’éloignement, il est possible de contester la légalité de la décision de mise en détention qui est contenue dans la décision d’éloignement (...). Le tribunal examine la légalité de la décision de détention de l’étranger (...) sous l’angle des dispositions du droit national et des principes garantis par l’article 5 de la Convention. ».

III. LES CONSTATS DU COMITÉ EUROPÉEN POUR LA PRÉVENTION DE LA TORTURE ET DES PEINES OU TRAITEMENTS INHUMAINS OU DÉGRADANTS (CPT)

55. A la suite de sa visite en Grèce du 23 au 29 septembre 2008, le CPT avait constaté dans son rapport publié le 30 juin 2009 que les locaux de la police des frontières de Thermi offraient de bonnes conditions de détention, mis à part l’absence d’une cour extérieure permettant l’exercice physique. Le rapport indiquait aussi qu’à l’époque de la visite les huit personnes détenues partageaient deux cellules spacieuses, que les locaux étaient propres, lumineux et bien aérés (paragraphe 28 du rapport).

56. A la suite de sa visite en Grèce du 20 au 27 février 2007, le CPT avait noté dans son rapport du 8 février 2008 que le centre de répression de l’immigration clandestine d’Aspropyrgos comportait huit cellules sur deux étages, qui, à la date de la visite, accueillaient 110 personnes. Les cellules étaient sombres, mal aérées et très sales, et la lumière naturelle et l’éclairage artificiel étaient insuffisants. Il n’y avait pas de sanitaires dans les cellules et l’accès aux toilettes, en dehors des trois fois autorisées dans la journée, était difficile. Les détenus devaient utiliser des bouteilles pour se soulager pendant la nuit. L’accès aux produits d’hygiène personnelle était limité. Aucune cellule n’offrait plus de 3 m² d’espace par détenu (par exemple, la cellule B2 mesurait 40 m² et accueillait 15 personnes). Aucune possibilité d’exercice physique ou d’autre activité n’était offerte aux détenus. La délégation du CPT s’était entretenue avec deux ressortissants étrangers qui étaient détenus dans ces conditions depuis plus de huit mois.

57. Dans son rapport du 30 juin 2009 faisant suite à sa visite en Grèce du 23 au 29 septembre 2008, le CPT avait relevé que des travaux d’entretien étaient en cours au centre d’Aspropyrgos, qui fonctionnait à la moitié de sa capacité. Le jour de la visite, 54 clandestins s’y trouvaient détenus, pour une capacité officielle de 140 personnes. Le CPT avait noté que plusieurs constats faits en 2007 restaient d’actualité. L’accès aux toilettes était encore problématique, surtout pendant la nuit, et il fallait avoir recours à l’utilisation de bouteilles en plastique. Les travaux n’allaient rien changer à cet égard car il n’était pas prévu d’installer des toilettes à l’intérieur des cellules. Les vitres des fenêtres de certaines cellules étaient cassées, ce qui rendait ces dernières froides, particulièrement la nuit. Comme en 2007, les matelas et les couvertures fournis aux détenus étaient crasseux. Le centre n’avait toujours pas de cour extérieure, en dépit du fait qu’il était entouré de terrains vagues.

58. Après sa visite du 19 au 27 janvier 2011, entre autres au même centre, le CPT notait, dans son rapport du 10 janvier 2012 que la situation ne s’était pas améliorée, à l’exception des travaux d’entretien des locaux sanitaires à l’un des étages. Il relevait que 131 personnes étaient détenues dans huit grandes cellules sur deux étages. La durée moyenne de la détention était de deux à trois mois, mais des durées de plus de six mois (voire onze mois) étaient fréquentes. Les cellules étaient sales et, au moment de leur admission, les détenus ne recevaient pas de produits pour l’hygiène personnelle ni de couvertures propres. L’endroit était infesté de cafards. L’accès aux toilettes pendant la nuit était toujours problématique : les gardiens ne répondaient pas aux appels des détenus ou, lorsqu’ils le faisaient, ils étaient insultants. Il n’était toujours pas possible aux détenus de faire de l’exercice physique à l’extérieur du bâtiment.

59. Dans sa déclaration publique du 15 mars 2011, faite en vertu de l’article 10 § 2 de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants, le CPT relevait notamment ce qui suit :

« Les autorités grecques ont continué de répéter que des mesures étaient en cours pour améliorer la situation. Ainsi, dans une lettre en date du 23 novembre 2009, elles ont informé le CPT qu’elles mettraient fin au placement en rétention administrative des étrangers en situation irrégulière dans les commissariats de police et postes de surveillance des gardes-frontière et qu’à l’avenir, ces personnes seraient placées dans des centres de rétention spécifiquement conçus à cet effet. (...)

Malheureusement, les constatations faites pendant la récente visite du CPT en Grèce, en janvier 2011, ont montré que les informations fournies par les autorités n’étaient pas fiables. Les commissariats de police et [les locaux] des gardes-frontière abritaient un nombre sans cesse plus important d’étrangers en situation irrégulière dans des conditions bien pires encore. (...) ».

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

60. Le requérant se plaint essentiellement des conditions de sa détention au centre de répression de l’immigration clandestine d’Aspropyrgos. Il allègue une violation de l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ».

A. Sur la recevabilité

1. Non-épuisement des voies de recours internes

61. Le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes car il n’a pas saisi, comme le lui aurait permis l’article 549 du code de procédure pénale, le procureur près le tribunal correctionnel d’Athènes pour se plaindre de ses conditions de détention dans le centre d’Aspropyrgos. Il se réfère à cet égard notamment à l’arrêt Siasios et autres c. Grèce (no 30303/07, § 19, 4 juin 2009). De plus, dans ses objections du 12 juillet 2010, il n’a fait aucune référence à cette question. Ses objections du 2 juillet 2010 portaient sur les conditions de détention dans les locaux de la police des frontières de Thermi. Enfin, se prévalant de l’arrêt Efremidze c. Grèce (no 33225/08, § 27, 21 juin 2011), le Gouvernement prétend que la saisine de la Direction de la police des étrangers de l’Attique de l’Ouest ne saurait être considérée comme une démarche effective visant à épuiser les voies de recours internes.

62. Le Gouvernement souligne que le requérant n’a pas fait usage de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil (action en dommages-intérêts), lequel, combiné avec l’article 57 du code civil (atteinte à la personnalité), offre une voie de recours effective pouvant amener à un constat de violation de tous les articles garantis par la Convention : en fait l’octroi d’une indemnité présuppose le constat de la violation d’une disposition nationale imposant une obligation ou une interdiction à l’Etat.

63. Le requérant rétorque que l’article 549 précité s’applique en matière de condamnation pénale, alors qu’en l’espèce il était détenu dans le cadre d’une procédure d’expulsion administrative. Dans ce cadre, les organes compétents pour se prononcer sur les questions de détention et d’expulsion sont les autorités de police et le président du tribunal administratif. Aucune disposition de la loi no 3386/2005 ne donne compétence au procureur en la matière. Le requérant souligne en outre que dans une affaire similaire à la présente, le Gouvernement avait soutenu que le requérant n’avait pas épuisé les voies de recours internes parce qu’il n’avait pas saisi le directeur de la police des frontières ni celui de la sous-direction de la police des étrangers (Tabesh c. Grèce, no 8256/07, § 26, 26 novembre 2009).

64. La Cour rappelle que le fondement de la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée à l’article 35 § 1 de la Convention consiste en ce qu’avant de saisir un tribunal international, le requérant doit avoir donné à l’Etat responsable la faculté de remédier aux violations alléguées par des moyens internes, en utilisant les ressources judiciaires offertes par la législation nationale, pourvu qu’elles se révèlent efficaces et suffisantes (voir, entre autres, Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 37, CEDH 1999–I). En effet, l’article 35 § 1 de la Convention ne prescrit l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir, parmi beaucoup d’autres, Dalia c. France, 19 février 1998, § 38, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I).

65. La Cour rappelle aussi que dans l’arrêt Efremidze précité (§ 28), elle avait considéré que le requérant avait épuisé les voies de recours internes. Elle y avait relevé qu’en ce qui concernait la saisine du chef hiérarchique de la police, le CPT avait fait état en 2008 de l’inexistence en Grèce d’une véritable autorité indépendante chargée d’inspecter les locaux de détention des forces de l’ordre. Elle se posait également la question de savoir si le chef de la police représentait une autorité remplissant les conditions d’impartialité et d’objectivité nécessaires à l’effectivité du recours. Ni la référence au constat du CPT ni cette interrogation n’ont cependant compté dans sa décision dans l’affaire précitée.

66. La Cour relève qu’en l’espèce le requérant a saisi le 30 août 2010 la Direction de la police des étrangers de l’Attique de l’Ouest pour demander sa mise en liberté, en raison des conditions de sa détention dans le centre d’Aspropyrgos. Le requérant soutenait que depuis deux mois, il était détenu dans des conditions contraires à l’article 3 de la Convention. Il indiquait que le nombre de détenus était trop élevé par rapport à la superficie des cellules et que la somme de 5,87 euros par jour versée à chaque détenu ne suffisait que pour se faire livrer deux sandwiches. Toutefois, il ne reçut aucune réponse à cette demande.

67. La Cour relève que le requérant était détenu en vue de son expulsion dans les locaux de la police des frontières de Thermi, puis au centre d’Aspropyrgos. Or, ces lieux relevaient de la compétence et étaient placés sous l’autorité non pas du ministère de la Justice mais du ministère de l’Intérieur. De plus, les doléances qu’il présentait concernaient l’état général du centre d’Aspropyrgos et étaient certainement connues de toutes les autorités, bien avant sa demande. En outre, on ne saurait attendre d’une personne dans la situation du requérant, qui n’était censé devoir être détenu que pour une courte période avant son expulsion, qu’elle saisisse à pareilles fins les juridictions, dont la décision aurait toutes les chances de n’intervenir qu’après son expulsion.

68. Quant au recours indemnitaire indiqué par le Gouvernement, la Cour rappelle que dans l’appréciation de l’effectivité des recours en matière de conditions de détention sur le terrain de l’article 3, la question décisive est de savoir si la personne intéressée peut obtenir des juridictions internes un redressement direct et approprié, et pas simplement une protection indirecte de ses droits garantis par la Convention (voir, entre autres, Mandić et Jović c. Slovénie, nos 5774/10 et 5985/10, § 107, 20 octobre 2011). Ainsi, un recours exclusivement indemnitaire ne saurait être considéré comme suffisant s’agissant de conditions d’internement ou de détention prétendument contraires à l’article 3, dans la mesure où il n’a pas un effet « préventif » – en ce sens qu’il n’est pas à même d’empêcher la continuation de la violation alléguée ou de permettre aux détenus d’obtenir une amélioration de leurs conditions matérielles de détention (Cenbauer c. Croatie (déc), no 73786/01, 5 février 2004 ; Norbert Sikorski c. Pologne, no 17599/05, § 116, 22 octobre 2009 ; Mandić et Jović, précité § 116 ; Parascineti c. Roumanie, no 32060/05, § 38, 13 mars 2012 et Torreggiani et autres c. Italie, nos 43517/09, 46882/09, 55400/09, 57875/09, 61535/09, 35315/10 et 37818/10, § 50, 8 janvier 2013).

69. La Cour souligne que les étrangers faisant l’objet d’une expulsion administrative sont détenus dans des centres de rétention ou des commissariats de police, au sein desquels le droit interne applicable est pour l’essentiel le décret no 141/1991 relatif à la compétence des organes du ministère de l’Ordre public et le décret no 254/2004 portant code de déontologie du fonctionnaire de police.

70. La Cour relève que les articles de ces décrets sont rédigés en termes généraux et ne constituent pas un fondement juridique solide en la matière car ils ne garantissent pas des droits « justiciables » comme le font l’article 1050 du code de procédure civile ou certains articles du code pénitentiaire. Ainsi les articles 2 d) et e) et 3 du décret no 254/2004 et les articles 66 §§ 4 et 5, 91 et 92 du décret no 141/1991 créent des obligations d’ordre général pour l’administration sans pour autant garantir au bénéfice des étrangers des droits subjectifs et invocables en justice.

71. A la lumière des considérations ci-dessus, la Cour n’est pas convaincue qu’un recours indemnitaire sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil pour cause de conditions de détention inhumaines et dégradantes dans les centres de rétention pour étrangers aurait, en l’état actuel de la jurisprudence des juridictions internes, une chance raisonnable de succès et offrirait un redressement approprié (voir A.F. c. Grèce, no 53709/11, § 61, 13 juin 2013).

72. La Cour estime dès lors que la saisine de la Direction de la police des étrangers de l’Attique de l’Ouest constituait, dans les circonstances de la cause, un recours suffisant aux fins de l’épuisement des voies de recours internes. Elle rejette donc l’exception dont il s’agit.

2. Absence de grief concernant les conditions de détention dans les locaux de la police des frontières de Thermi

73. Se référant plus particulièrement à la détention dans les locaux de la police des frontières de Thermi, le Gouvernement considère qu’il ressort du contenu global de la requête et des arguments du requérant que celui-ci n’a pas vraiment soulevé dans sa requête à la Cour de grief spécifique concernant sa détention dans ces locaux. Aucune conclusion différente ne saurait être tirée de ses affirmations vagues et générales, comme celle contenue à la page 2 de sa requête, selon lesquelles l’intéressé aurait exprimé ses doléances relatives à ses conditions de détention devant le président du tribunal administratif de Thessalonique.

74. La Cour relève avec le Gouvernement que dans sa requête le requérant ne consacre aucune argumentation concrète à ses conditions de détention dans les locaux de la police des frontières de Thermi. A l’exception de quelques références factuelles à ses objections devant le président du tribunal administratif – qui n’ont pas été examinées par ce dernier –, et d’une référence à cette détention dans la rubrique relative à l’article 35 § 1 de la Convention, le requérant ne décrit pas ses conditions de détention à Thermi. Dans ses arguments relatifs à l’article 3, il expose longuement les conditions régnant au centre d’Aspropyrgos tandis qu’en ce qui concerne la police des frontières de Thermi, il se limite à affirmer qu’il fut détenu dans ses locaux pendant un mois. Le requérant ne réitère même pas les arguments qu’il avait présentés dans ses objections devant le président du tribunal administratif de Thessalonique.

75. Dans ces conditions, la Cour estime que le grief du requérant sous l’angle de l’article 3, pour autant qu’il puisse être interprété comme se référant aussi aux conditions de détention dans les locaux de la police des frontières de Thermi, n’est nullement étayé et doit être rejeté comme étant manifestement mal fondé, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

3. Conclusion

76. La Cour constate que le grief concernant les conditions de détention au centre d’Aspropyrgos n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

77. Le Gouvernement prétend que les conditions de détention du requérant n’étaient pas celles que celui-ci a décrites. Le centre d’Aspropyrgos dispose d’un grand nombre de WC, de chauffe-eau et de douches. La ventilation et l’éclairage des locaux, tant naturels qu’artificiels, sont suffisants, et il existe un système central de chauffage et de climatisation. Une entreprise privée assure le nettoyage tous les jours, une autre la désinfection et l’élimination des insectes deux fois par mois et le service repeint régulièrement les murs. Les draps et les couvertures sont lavés et désinfectés dans un local de la Direction des étrangers de l’Attique prévu à cet effet. L’alimentation des détenus n’est pas assurée par le paiement d’une somme de 5,87 euros par jour, comme le prétend le requérant, mais par la fourniture de trois repas quotidiens qui changent tous les jours et d’une bouteille d’eau minérale. Tous les détenus, y compris le requérant, avaient accès aux informations et à des distractions, dès lors que l’espace commun de chaque étage était pourvu d’une radio ainsi que de journaux et de magazines. Enfin, lorsque le requérant a eu un problème de santé, il fut transféré à la clinique dentaire de l’hôpital public « Tzaneio » où il a reçu un traitement.

78. Pour étayer ses allégations, le requérant se prévaut de la jurisprudence de la Cour en matière de détention d’étrangers en vue de leur expulsion, notamment des arrêts Dougoz c. Grèce (no40907/98, CEDH 2001-II), S.D. c. Grèce (no 53541/07, 11 juin 2009), Tabesh (précité) et A.A. c. Grèce (no 12186/08, 22 juillet 2010), ainsi que de rapports établis par des organisations ou organes internationaux divers tels qu’Amnesty International, le CPT (rapports à la suite de ses visites au centre d’Aspropyrgos) ou le rapporteur spécial de l’ONU sur la torture (mission en 2010), et d’articles parus dans des journaux grecs (en 2009 et 2010) concernant les conditions de détention en Grèce en général.

79. La Cour réaffirme tout d’abord que l’article 3 de la Convention consacre l’une des valeurs les plus fondamentales des sociétés démocratiques et qu’il prohibe en termes absolus la torture et les traitements ou peines inhumains ou dégradants, quels que soient les circonstances et les agissements de la victime (voir, par exemple, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 119, CEDH 2000‑IV).

80. Elle rappelle ensuite que, si les Etats sont autorisés à placer en détention des candidats à l’immigration en vertu de leur « droit indéniable de contrôler (...) l’entrée et le séjour des étrangers sur leur territoire » (Amuur c. France, 25 juin 1996, § 41, Recueil 1996‑III), ce droit doit s’exercer en conformité avec les dispositions de la Convention (Mahdid et Haddar c. Autriche (déc.), no 74762/01, 8 décembre 2005). Elle rappelle également qu’elle doit avoir égard à la situation particulière de ces personnes lorsqu’elle est amenée à contrôler les modalités d’exécution de la mesure de détention à l’aune des dispositions conventionnelles (Riad et Idiab c. Belgique, nos 29787/03 et 29810/03, § 100, 24 janvier 2008).

81. S’agissant des conditions de détention, la Cour prend en compte les effets cumulatifs de celles-ci ainsi que les allégations spécifiques du requérant (Dougoz, précité). En particulier, le temps pendant lequel un individu a été détenu dans les conditions incriminées constitue un facteur important à considérer (Alver c. Estonie, no 64812/01, 8 novembre 2005).

82. En matière de surpopulation dans les prisons, la Cour note que les rapports généraux établis par le CPT n’indiquent pas explicitement le minimum d’espace personnel dont devrait disposer chaque détenu placé dans des cellules partagées. Il ressort toutefois des rapports nationaux du CPT et recommandations qui y sont faites aux Etats que le standard minimum souhaitable devrait être fixé à 4 m² par détenu. De son côté, la Cour, saisie d’affaires où un requérant disposait de moins de 3 m² d’espace personnel, a considéré que cet élément, à lui seul, suffisait pour conclure à la violation de l’article 3 de la Convention (Ananyev et autres c. Russie, nos 42525/07 et 60800/08, §§ 144-145, 10 janvier 2012, avec d’autres références).

83. En revanche, dans des affaires où la surpopulation n’était pas importante au point de soulever à elle seule un problème sous l’angle de l’article 3, la Cour a noté que d’autres aspects des conditions de détention étaient à prendre en compte dans l’examen du respect de cette disposition. Parmi ces éléments figurent la possibilité d’utiliser les toilettes de manière privée, l’aération disponible, l’accès à la lumière et à l’air naturels, la qualité du chauffage et le respect des exigences sanitaires de base. Par ailleurs, même dans des affaires où chaque détenu disposait de 3 à 4 m², la Cour a conclu à la violation de l’article 3 dès lors que le manque d’espace s’accompagnait d’un manque de ventilation et de lumière (Moïsseïev c. Russie, no 62936/00, 9 octobre 2008 ; voir également Vlassov c. Russie, no 78146/01, § 84, 12 juin 2008 ; Babouchkine c. Russie, no 67253/01, § 44, 18 octobre 2007), d’un accès limité à la promenade en plein air (István Gábor Kovács c. Hongrie, no 15707/10, § 26, 17 janvier 2012) ou d’un manque total d’intimité dans les cellules (voir, mutatis mutandis, Belevitski c. Russie, no 72967/01, §§ 73-79, 1er mars 2007 ; Khoudoyorov c. Russie, no 6847/02, §§ 106-107, CEDH 2005-X ; et Novosselov c. Russie, no 66460/01, §§ 32 et 40-43, 2 juin 2005).

84. En l’espèce, la Cour note que le requérant a été détenu, du 7 juillet au 23 octobre 2010, dans le centre de répression de l’immigration clandestine d’Aspropyrgos.

85. La Cour note aussi que les parties présentent des versions qui ne coïncident pas quant aux conditions de détention prévalant au centre d’Aspropyrgos.

86. La Cour relève que le requérant se plaint de la surpopulation, du manque d’argent pour se nourrir (la somme allouée par l’administration ne lui permettant que l’achat de deux sandwiches par jour), ainsi que du manque d’aération et d’éclairage, de sanitaires, d’infrastructures pour la restauration des détenus et d’espace pour l’activité physique (paragraphe 28 ci-dessus). De son côté, le Gouvernement prétend que le centre dispose de suffisamment de douches et de WC dont l’accès est libre, qu’à chaque étage il existe un espace de 20 m² où les détenus peuvent téléphoner et se renseigner sur leurs droits au moyen de brochures, que chaque dortoir a deux fenêtres, que la nourriture est fournie par le restaurant du quartier général de la police de l’Attique et que le nettoyage et la désinfection des lieux sont régulièrement assurés par une entreprise (paragraphes 36-42 ci-dessus).

87. La Cour relève que selon les affirmations du Gouvernement, pendant la période de détention du requérant, le centre accueillait 136 détenus sur une surface totale habitable de 240 m² (paragraphes 36 et 42 ci-dessus). Quelle que soit la superficie exacte de la cellule où le requérant passait l’essentiel de ses journées, l’espace qui, selon le Gouvernement, était attribué au requérant, était inférieur à celui qui, selon la jurisprudence rappelée dans l’arrêt Ananyev et autres, précité, suffit à conclure à la violation de l’article 3, sur cette seule base.

88. En outre, la Cour constate que dans ses rapports sur le centre d’Aspropyrgos, établis à la suite de deux visites consécutives en 2008 et 2011 (paragraphes 57-58 ci-dessus), le CPT relevait que la situation dans ce centre ne s’était pas sensiblement améliorée durant cette période : les cellules étaient sales et, au moment de leur admission, les détenus ne recevaient pas de produits d’hygiène personnelle ni de couvertures propres. L’endroit était infesté de cafards. L’accès aux toilettes pendant la nuit était toujours problématique et il n’était toujours pas possible aux détenus de faire de l’exercice physique à l’extérieur du bâtiment, faute de cour extérieure et en dépit du fait que le centre était entouré de terrains vagues.

89. Dans ces conditions, la Cour estime que du fait de sa détention de plus de trois mois au centre d’Aspropyrgos, le requérant a été soumis à un traitement dégradant incompatible avec l’article 3 de la Convention. Il y a donc eu violation de cette disposition.

II. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 5 §§ 1 ET 4 DE LA CONVENTION

90. Le requérant se plaint qu’aucune mesure n’a été prise par les autorités en vue de l’exécution de la décision d’expulsion, de sorte qu’il a déjà été détenu pendant six mois. Il se plaint aussi qu’aucune autorité ne se soit prononcée sur la légalité de sa détention. Il allègue une violation de l’article 5 §§ 1 et 4 qui dispose :

Article 5 § 1

« Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. »

Article 5 § 4

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

A. Sur la recevabilité

1. Non-respect du délai de six mois

91. Le Gouvernement soutient que les trois premières périodes de détention du requérant, du 20 janvier 2007 au 5 août 2008, ne peuvent pas faire l’objet d’un examen par la Cour car le délai de six mois prévu à l’article 35 § 1 de la Convention n’a pas été respecté à leur égard. Il expose également que le requérant n’a pas exercé les voies de recours qui lui étaient ouvertes à l’encontre des trois décisions de la Direction des étrangers de Thessalonique ordonnant sa détention pendant les périodes en question.

92. Le requérant marque son accord avec le Gouvernement sur la tardiveté de la saisine de la Cour en ce qui concerne ses trois premières périodes de détention en tant que telles.

93. La Cour rappelle, en effet, que la règle des six mois marque la limite temporelle du contrôle effectué par la Cour et indique aux particuliers comme aux autorités la période au-delà de laquelle ce contrôle ne s’exerce plus (Kadiķis c. Lettonie (no 2) (déc.), no 62393/00, 25 septembre 2003).

94. La Cour note que le requérant a été détenu en vue de son expulsion pendant quatre périodes. D’abord, du 20 janvier au 20 avril 2007, puis du 8 octobre 2007 au 8 janvier 2008 et ensuite du 12 mai au 5 août 2008. En l’absence de recours, les griefs y afférents sont, pour ces trois périodes, irrecevables pour non-respect du délai de six mois. S’agissant de la dernière détention, la Cour note qu’elle a couvert la période du 12 juin au 12 décembre 2010. Elle se situe dès lors dans le délai de six mois prévu à l’article 35 § 1 de la Convention.

2. Non-épuisement des voies de recours internes

95. Le Gouvernement souligne en premier lieu que le requérant n’a pas formulé d’objections contre les décisions des 23 janvier 2007, 8 octobre 2007 et 12 mai 2008 ordonnant sa détention, comme il avait la possibilité de le faire devant le président du tribunal administratif de Thessalonique (article 76 § 3 de la loi no 3386/2005). En deuxième lieu, il précise que le requérant n’a pas introduit de recours en sursis à exécution ni de demande d’ordre provisoire de sursis contre la décision d’expulsion. S’il avait obtenu le sursis de l’expulsion, il aurait pu formuler des objections et soutenir que sa détention était dépourvue de base légale. Enfin, dans ses objections contre la décision du 12 juin 2010 formulées devant le tribunal administratif d’Athènes, le requérant n’a invoqué, comme motif justifiant la levée de sa détention, ni sa demande d’asile ni les conditions de détention dans le centre d’Aspropyrgos.

96. Le requérant soutient qu’il n’était pas possible d’exercer un recours en annulation et un recours en sursis à exécution car après la décision du 23 janvier 2007, aucune nouvelle décision d’expulsion n’avait été prise. En outre, le requérant affirme que selon le droit et la jurisprudence pertinents, l’acceptation d’une demande d’ordre provisoire entraîne la suspension de l’expulsion mais pas forcément celle de la détention. Il se prévaut de certains jugements des tribunaux administratifs, dont un assez caractéristique, qu’il cite, est le jugement no 4053/2007 du tribunal administratif d’Athènes selon lequel le sursis à exécution de la décision d’expulsion n’affecte pas la validité de la décision de la détention et ne peut pas avoir d’effet sur la détention.

97. La Cour rappelle que la finalité de l’article 35 § 1 de la Convention est de ménager aux Etats contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne soient soumises à la Cour. Les Etats n’ont donc pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d’avoir eu la possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne. Dans le cadre de cet article, un requérant doit se prévaloir des recours normalement disponibles et suffisants pour lui permettre d’obtenir réparation des violations qu’il allègue (Tanase c. Moldova [GC], no 7/08, § 120, CEDH 2010). Le requérant doit avoir fait un usage normal des recours internes vraisemblablement efficaces et suffisants et, lorsqu’une voie de recours a été utilisée, l’usage d’une autre voie dont le but est pratiquement le même n’est pas exigé (Kozacıoğlu c. Turquie [GC], no 2334/03, § 40, 19 février 2009, et Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 58, CEDH 2009).

98. La Cour rappelle que seule la période de détention du 12 juin au 12 décembre 2010 entre dans le champ du contrôle de la Cour, les griefs concernant les autres périodes mentionnées par le requérant étant tardifs.

99. En ce qui concerne cette période, la Cour note que le requérant a introduit deux recours par lesquels il sollicitait sa mise en liberté : le premier le 2 juillet 2010, devant le président du tribunal administratif de Thessalonique, dans lequel il soutenait qu’il n’était pas dangereux pour l’ordre et la sécurité publics, qu’il ne risquait pas de fuir et que les conditions de détention dans le centre de Thermi étaient très mauvaises ; le deuxième le 10 août 2010, devant le président du tribunal administratif d’Athènes, dans lequel il dénonçait son maintien en détention comme un détournement de l’article 76 § 3 de la loi no 3386/2005 de sa finalité. Ces recours avaient été introduits en vertu de l’article 76 § 3 de la loi no 3386/2005 en vigueur à l’époque des faits. Ils ont été rejetés par les présidents des tribunaux administratifs. Les modifications apportées à l’article 76 de la loi par la loi no 3900/2010, indiquées par le Gouvernement, ne sont entrées en vigueur que le 1er janvier 2011, alors que le requérant avait déjà été remis en liberté.

100. La Cour estime dès lors que le requérant a épuisé les voies de recours internes et rejette l’exception du Gouvernement.

101. La Cour constate, en outre, que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.

B. Sur le fond

1. Article 5 § 1

102. Le Gouvernement soutient que la détention du requérant, dans toute sa durée, a été effectuée dans le cadre d’une procédure d’expulsion administrative et, ce, pendant plusieurs périodes dont aucune n’a dépassé la limite prévue par la loi (article 76 de la loi no 3386/2005). Une seule décision d’expulsion a été émise contre le requérant en 2004 et sa validité est restée inchangée puisque le requérant n’a introduit à son encontre ni recours en annulation ni demande de sursis à exécution. Il a été mis en liberté à plusieurs reprises à la condition de quitter le territoire mais, comme il ne s’est pas conformé à cette injonction, il a été à chaque fois remis en détention. Le motif était qu’il risquait de fuir, ce qui a, du reste, été approuvé à deux reprises par les présidents des tribunaux administratifs de Thessalonique et d’Athènes.

103. En ce qui concerne la détention du requérant en 2010, le Gouvernement souligne que celui-ci a été transféré le 7 juillet au centre d’Aspropyrgos en vue de son expulsion, car les autorités géorgiennes avaient établi un titre de voyage (paragraphe 24 ci-dessus). Les autorités grecques ont agi avec diligence en ce sens et accompli toutes les démarches nécessaires afin que l’expulsion du requérant soit rendue possible. Cependant l’émission des documents de voyage peut parfois prendre du temps dans de tels cas, soit parce que les autorités consulaires tardent à les établir soit parce que certains pays ne disposent pas d’un consulat en Grèce et que les procédures y relatives se déroulent au ministère du pays d’origine de la personne en instance d’expulsion. Ainsi, ces difficultés et retards ne sont pas imputables aux autorités grecques et n’avaient pas lieu de conduire à une annulation de fait de la procédure d’expulsion.

104. Enfin, le Gouvernement explique que le fait que le requérant n’ait pas été expulsé était dû à l’introduction de sa demande d’asile le 14 juillet 2010. En effet, la demande d’asile suspend l’exécution de la décision d’expulsion, mais n’entraîne pas la levée de la détention. La thèse contraire se heurterait aux termes de l’article 18 de la directive no 2005/85/CE et de l’article 13 du décret no 114/2010 (qui a transposé la directive dans le droit grec, et qui prévoyait que toute personne détenue qui fait une demande d’asile alors qu’elle est en instance d’expulsion reste en détention, tout en voyant sa demande examinée en priorité absolue) et encouragerait des demandes d’asile abusives et sans fondement déposées par des étrangers qui sont en réalité des migrants économiques.

105. Le requérant maintient qu’il ne pouvait pas être détenu au-delà de trois mois en application de l’article 76 §§ 1 b) et 3 de la loi no 3386/2005, puisque le libellé du paragraphe 3 disposait expressément à l’époque que la détention ne pouvait, en aucun cas, dépasser trois mois. Or, le total du temps passé en détention a atteint quinze mois. Sa détention au-delà de trois mois était donc illégale, puisque fondée sur une décision d’expulsion n’ayant pu être exécutée dans le délai prévu. Le requérant produit à cet égard une série de décisions du président du tribunal administratif de Thessalonique, adoptées entre 2007 et 2009 et par lesquelles celui-ci a jugé illégales les décisions qui prolongeaient la détention des intéressés au-delà de trois mois dans la perspective de leur expulsion.

106. Le requérant prétend aussi que la décision de l’expulser et de le détenir pour séjour irrégulier sur le territoire était illégale, dès lors que son séjour ne présentait pas le caractère irrégulier supposé. Il affirme en effet qu’il avait reçu le 30 juin 2003 une attestation officielle établissant qu’il avait demandé auprès de la préfecture de Thessalonique la prolongation de son titre de séjour. Toutefois, à ce jour, cette demande serait encore pendante puisque aucune suite, positive ou négative, n’y aurait été donnée.

107. La Cour rappelle qu’en matière de « régularité » d’une détention, y compris d’observation des « voies légales », la Convention renvoie pour l’essentiel à l’obligation d’observer les normes de fond comme de procédure de la législation nationale, mais qu’elle exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de l’article 5 : protéger l’individu contre l’arbitraire (voir, parmi d’autres, Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 118, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V, et Čonka c. Belgique, no 51564/99, § 39, CEDH 2002-I).

108. La Cour rappelle ensuite que l’article 5 § 1 f) n’exige pas que la détention d’une personne contre laquelle une procédure d’expulsion est en cours soit considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir ; à cet égard, l’article 5 § 1 f) ne prévoit pas la même protection que l’article 5 § 1 c). De fait, il exige seulement qu’une procédure d’expulsion soit en cours. Que la décision d’expulsion initiale se justifie au regard de la législation interne ou de la Convention n’entre donc pas en ligne de compte aux fins de l’article 5 § 1 f). La Cour rappelle cependant que seul le déroulement de la procédure d’expulsion justifie la privation de liberté fondée sur cette disposition (Efremidze, précité, § 54 et Takush c. Grèce, no 2853/09, § 41, 17 janvier 2012).

109. En l’espèce, la Cour note que la privation de liberté du requérant était fondée sur l’article 76 §§ 1 b) et 3 de la loi no 3386/2005 et qu’elle visait à garantir la possibilité de procéder à son expulsion. La détention avait été initialement ordonnée le 23 janvier 2007 en même temps que l’expulsion. La Cour rappelle que cette décision ne peut en elle-même valablement faire l’objet d’aucun grief, faute de respect par le requérant, à l’égard de celle-ci, du délai de six mois prévu à l’article 35 § 1 de la Convention.

110. La Cour rappelle aussi que le requérant a été arrêté à trois reprises et libéré respectivement le 20 avril 2007, le 8 janvier 2008 et le 5 août 2008, car son temps de détention avait dépassé le maximum prévu par la loi sans que l’expulsion ait pu avoir lieu, faute des documents de voyage nécessaires. Toutefois, ces périodes ne peuvent pas non plus faire l’objet d’un examen par la Cour, car, comme celle-ci l’a constaté (paragraphe 96 ci-dessus), elles se situent hors du délai de six mois prévu à l’article 35 § 1. L’examen de la Cour au regard de l’article 5 § 1 se limitera donc à la période du 12 juin 2010 au 12 décembre 2010.

111. A cet égard, la Cour note que le requérant a été arrêté une quatrième fois, le 12 juin 2010, alors qu’il se trouvait toujours en Grèce. Le 7 juillet 2010, le requérant a été transféré au centre d’Aspropyrgos pour la mise en œuvre de la décision d’expulsion prise le 23 janvier 2007. Le 14 juillet 2010, il a introduit une demande d’asile.

112. Pendant cette période, le requérant a saisi à deux reprises le président du tribunal administratif de Thessalonique et d’Athènes pour se plaindre de la légalité de sa détention. Ces derniers ont rejeté les recours au motif notamment que le requérant n’avait pas régularisé sa situation depuis 1997 et ne s’était pas conformé aux différentes décisions lui enjoignant de quitter le territoire (paragraphes 23 et 25 ci-dessus).

113. Quant à la demande d’asile, la Cour relève qu’il ressort du droit interne que, si une telle demande suspend l’exécution de la mesure d’expulsion, elle ne suspend pas celle de la détention ; le droit interne impose seulement que la demande d’asile soit examinée en priorité (article 13 du décret no 114/2010 – paragraphe 48 ci‑dessus). Or, en l’espèce, les autorités ont examiné la demande d’asile de la requérante et l’ont rejetée à bref délai, soit le 24 octobre 2010 (paragraphe 31 ci-dessus).

114. Enfin, la Cour relève que le requérant a été remis en liberté le 12 décembre 2010, soit dans le délai de six mois fixé par la législation interne (article 76 § 3 de la loi no 3386/2005 telle que modifiée) et comme le précisait la décision du 12 juin 2010 (paragraphe 21 ci‑dessus).

115. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que la détention du requérant n’était pas arbitraire et que l’on ne saurait considérer qu’elle n’était pas « régulière » au sens de l’article 5 § 1 f) de la Convention.

116. Par conséquent, il n’y a pas eu violation de cet article.

2. Article 5 § 4

117. Le Gouvernement souligne qu’il existe une jurisprudence des tribunaux nationaux, et notamment du tribunal administratif d’Athènes, relative à l’article 76 § 3 de la loi no 3386/2005, jurisprudence d’ailleurs antérieure à l’époque des faits, selon laquelle l’existence d’une demande d’asile et de conditions de détention inappropriées – au regard, le cas échéant, de l’état de santé du détenu – rendent la détention illégale et imposent la remise en liberté du détenu sans qu’il y ait lieu de lui imposer un délai pour quitter le territoire. Or, dans ses objections du 10 août 2010 devant le président du tribunal administratif d’Athènes, le requérant, qui était représenté par un avocat, n’a fait aucune mention de sa demande d’asile du 14 juillet 2010 ni de ses conditions de détention au centre d’Aspropyrgos.

118. Le Gouvernement soutient, en outre, que le requérant aurait dû introduire une demande en sursis à exécution de la mesure d’expulsion ou une demande d’ordre provisoire à cet effet ; si ces demandes avaient été accueillies, il aurait pu dans ses objections contester la légalité de la détention pour défaut de base légale. Le Gouvernement prétend aussi que même après le rejet de ses objections, le 11 août 2010, le requérant aurait pu déposer un recours en réexamen de la légalité de la détention en invoquant de nouveaux éléments, comme le prévoit l’article 76 § 5 de la loi no 3386/2005.

119. Le requérant réitère pour l’essentiel ses arguments relatifs à l’épuisement des voies de recours internes.

120. La Cour rappelle que le concept de « lawfulness » (« régularité », « légalité ») doit avoir le même sens au paragraphe 4 de l’article 5 de la Convention qu’au paragraphe 1, de sorte qu’une personne détenue a le droit de faire contrôler sa détention sous l’angle non seulement du droit interne, mais aussi de la Convention, des principes généraux qu’elle consacre et du but des restrictions qu’autorise le paragraphe 1. L’article 5 § 4 ne garantit pas le droit à un contrôle juridictionnel d’une ampleur telle qu’il habiliterait le tribunal à substituer sur l’ensemble des aspects de la cause, y compris des considérations de pure opportunité, sa propre appréciation à celle de l’autorité dont émane la décision. Il n’en veut pas moins un contrôle assez ample pour s’étendre à chacune des conditions indispensables à la régularité de la détention d’un individu au regard du paragraphe 1 (Chahal, § 127, et Dougoz, § 61, précités).

121. La Cour note d’abord que la loi no 3900/2010, invoquée par le Gouvernement, est entrée en vigueur le 1er janvier 2011. Or, à cette date, les tribunaux administratifs de Thessalonique et d’Athènes s’étaient déjà prononcés sur les objections du requérant, et ce en faisant application de l’article 76 de la loi no 3386/2005 dans sa version originale non amendée.

122. La Cour rappelle aussi qu’elle s’est déjà prononcée sur la question de l’effectivité du contrôle juridictionnel, selon le droit grec, de la détention des personnes en vue de leur expulsion administrative.

123. En particulier, en ce qui concerne le troisième paragraphe de l’article 76 de la loi no 3386/2005, la Cour a déjà constaté que les objections qu’un étranger détenu peut former à l’encontre de la décision ordonnant sa détention ne donnent pas expressément au juge le pouvoir d’examiner la légalité de l’expulsion, laquelle constitue, en droit grec, le fondement juridique de la détention. L’article 76 § 4, tel qu’il était rédigé, permettait aux tribunaux d’examiner la décision de détention seulement sur le terrain du risque de fuite ou de la menace pour l’ordre public (S.D. c. Grèce, § 73, Tabesh, § 62, et A.A. c. Grèce, § 73, précités).

124. De l’avis de la Cour, le requérant a ainsi mis en cause la question des limites de l’examen de la légalité de la détention, tel que prévu par l’ancienne version de l’article 76 § 4, comme cela avait déjà été relevé par les arrêts S.D. c. Grèce et Tabesh (§ 62, in fine) précités (voir, a contrario, Bygylashvili c. Grèce, no 58164/10, §§ 70-71, 25 septembre 2012 et Chkhartishvili c. Grèce, no 22910/10, § 83, 2 mai 2013).

125. Par conséquent, la Cour considère que les insuffisances du droit interne quant à l’effectivité du contrôle juridictionnel de la mise en détention en vue d’une expulsion, qui l’avaient conduite à conclure dans ces affaires à la violation de l’article 5 § 4 de la Convention, sont aussi pertinentes en l’espèce. Il y a donc eu violation de cette disposition.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

126. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

127. Le requérant réclame 20 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

128. Le Gouvernement soutient que cette somme est excessive et injustifiée et que le constat de violation constituerait une satisfaction équitable suffisante. Il souligne que si la Cour devait accorder une satisfaction équitable, son montant ne devrait pas dépasser ceux accordés dans les arrêts Tabesh (précité) et Kaja c. Grèce (no 32927/03, 27 juillet 2006), à savoir respectivement 8 000 EUR et 5 000 EUR. Il considère que l’allocation dans des cas individuels de sommes exorbitantes au titre du dommage moral limite les ressources qui pourraient être utilisées pour effacer les problèmes à l’origine des violations constatées, notamment dans la conjoncture économique actuelle.

129. La Cour rappelle qu’elle a constaté des violations des articles 3 et 5 § 4 de la Convention. Elle estime qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 8 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

130. La Cour note que le requérant ne présente aucune demande de remboursement des frais et dépens. Elle ne lui accorde donc aucune somme à ce titre.

C. Intérêts moratoires

131. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable en ce qui concerne le grief tiré de l’article 3 visant les conditions de détention dans le centre de répression de l’immigration clandestine d’Aspropyrgos et ceux tirés de l’article 5 §§ 1 et 4 de la Convention (pour la période du 12 juin au 12 décembre 2010) et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention, en ce qui concerne les conditions de détention du requérant dans le centre de répression de l’immigration clandestine d’Aspropyrgos ;

3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;

5. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention), 8 000 EUR (huit mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 décembre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

André WampachIsabelle Berro-Lefèvre
Greffier adjointPrésidente


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