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10/12/2013 | CEDH | N°001-138885

CEDH | CEDH, AFFAIRE OPREA c. ROUMANIE, 2013, 001-138885


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE OPREA c. ROUMANIE

(Requête no 26765/05)

ARRÊT

STRASBOURG

10 décembre 2013

DÉFINITIF

10/03/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Oprea c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Corneliu Bîrsan,
Ján Šikuta,
Nona Tsotsoria,
K

ristina Pardalos,
Johannes Silvis, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 novembre 2013,
...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE OPREA c. ROUMANIE

(Requête no 26765/05)

ARRÊT

STRASBOURG

10 décembre 2013

DÉFINITIF

10/03/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Oprea c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Corneliu Bîrsan,
Ján Šikuta,
Nona Tsotsoria,
Kristina Pardalos,
Johannes Silvis, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 novembre 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 26765/05) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Constantin Oprea (« le requérant »), a saisi la Cour le 11 juillet 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me N. Vucoiev, avocate à Arad. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le 23 mai 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Le requérant est né en 1952. Il réside à Strasswalchen, en Autriche.

5. Par un jugement du 26 octobre 1994, le tribunal de première instance de Ploieşti condamna le requérant par contumace à une peine de deux ans et dix mois de prison pour un vol. La peine ne fut pas exécutée, le requérant résidant en Autriche.

6. Par un jugement définitif du 13 octobre 2006, le tribunal de première instance de Ploieşti constata que le délai de prescription de l’exécution de la peine était arrivé à l’échéance et, par conséquent, révoqua le mandat d’exécution de la peine.

7. Le 23 décembre 2006, le requérant, accompagné de son épouse, souffrant d’un handicap, se présenta à la frontière roumaine pour rendre visite à sa famille. Le requérant affirme avoir présenté à la police des frontières une copie du jugement du 13 octobre 2006. Néanmoins, il fut arrêté en vertu du mandat d’exécution de la peine.

8. Le lendemain, il fut transféré à la prison de la ville d’Arad en vue de l’exécution de la peine prononcée le 26 octobre 1994.

9. Le 27 décembre 2006, la direction de la prison d’Arad contacta le tribunal de première instance de Ploieşti et, après avoir obtenu une copie du jugement du 13 octobre 2006, remit le requérant en liberté. Ce dernier affirme être rentré aussitôt en Autriche en état de choc.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

10. L’article 504 du code de procédure pénale (CPP) régissant l’action en réparation du préjudice moral contre l’État en cas d’erreur judiciaire ou de privation de liberté illégale est ainsi libellé en sa version modifiée par la loi no 281/2003 :

Article 504

« Toute personne condamnée par une décision définitive a droit à se voir octroyer par l’État une réparation pour le dommage subi si, à la suite d’un nouveau jugement de la cause, le tribunal décide par un jugement définitif l’acquittement de cette personne.

Bénéficie également du droit à la réparation du dommage subi toute personne qui, au cours du procès pénal, a subi une privation ou une restriction illégale de sa liberté.

La privation ou la restriction illégales de liberté doivent avoir été constatées, selon le cas, par une ordonnance du procureur portant révocation de la mesure privative ou restrictive de liberté, par un non-lieu (...) ou par une décision du tribunal portant révocation de la mesure privative ou restrictive de liberté, par une décision définitive d’acquittement ou par une décision définitive ordonnant la clôture de la procédure pénale (...).

Bénéficie également du droit à la réparation du dommage subi toute personne qui a été privée de liberté après l’intervention de la prescription, de l’amnistie, ou la dépénalisation des faits imputés. »

11. Le 10 mars 1998, la Cour constitutionnelle s’est penchée une première fois sur l’interprétation de l’article 504, dans sa forme antérieure à la modification apporté par la loi no 281/2003, et a conclu que l’Etat était responsable pour les erreurs judiciaires commises au cours du procès pénal (voir également, Pantea c. Roumanie, no 33343/96, § 152, CEDH 2003‑VI (extraits)). Après la modification du CPP, la Cour constitutionnelle, par une décision du 14 octobre 2004, a jugé que l’article 504 CPP était constitutionnel, même si ses dispositions énuméraient expressément les cas ouvrant droit à une réparation en vertu de cet article (voir également, Ogică c. Roumanie, no 24708/03, § 23, 27 mai 2010).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

12. Le requérant allègue avoir été mis en détention du 23 au 27 décembre 2006 en l’absence de toute base légale. Il invoque l’article 5 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes en l’espèce sont ainsi libellées :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;

(...) »

A. Sur la recevabilité

13. Le Gouvernement soulève une exception de non-épuisement des voies de recours, considérant que le requérant aurait dû saisir les tribunaux internes d’une action en réparation du préjudice allégué, sur le fondement de l’article 504 du CPP. Il estime que la présente affaire est similaire à l’affaire Tomulet c. Roumanie (déc., no 1558/05, 16 novembre 2010). Le Gouvernement renvoie également aux affaires Stoianova et Nedelcu c. Roumanie (déc., nos 77517/01 et 77722/01, 3 février 2004), Temesan c. Roumanie (no 36293/02, §§ 26-30, 10 juin 2008), Isac c. Roumanie (déc., no 10523/05, 22 février 2011 et Cozma c. Roumanie (déc., no 12080/06, 11 octobre 2011) dans lesquelles la Cour a conclu à l’effectivité du recours prévu par l’article 504 du CPP en cas d’erreurs judiciaires ou de privation de liberté illégale au cours du procès pénal.

14. Le Gouvernement souligne que l’article 504 § 4 du CPP mentionne la prescription parmi les cas qui donnent droit à une réparation pour la détention illégale, mais il expose que ce type de contentieux est très rare et que, par conséquent, il n’est pas en mesure de fournir des exemples de jurisprudence.

15. Le requérant affirme qu’une action fondée sur les dispositions de l’article 504 du CPP ne constituait pas un recours effectif dans les circonstances particulières de son cas.

16. La Cour rappelle qu’il incombe au Gouvernement excipant du non‑épuisement des voies de recours internes de convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible, était susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs et présentait des perspectives raisonnables de succès. Cependant, une fois cela démontré, c’est au requérant qu’il revient d’établir que le recours évoqué par le Gouvernement a en fait été employé ou bien, pour une raison quelconque, n’était ni adéquat ni effectif compte tenu des faits de la cause ou encore que certaines circonstances particulières le dispensaient de cette obligation (voir parmi de nombreux exemples, Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 76, CEDH 1999‑V).

17. La Cour constate, à titre liminaire, que la décision rendue dans l’affaire Tomulet, précitée, était fondée sur l’examen de l’article 504 du CPP en sa version antérieure à la modification apportée par la loi de 2003 qui a étendu son champ d’application à la privation de liberté après la « prescription (...) des faits imputés ». Dès lors que le Gouvernement invoque cette nouvelle disposition à l’appui de son exception, la Cour ne saurait pas transposer dans la présente affaire son constat quant à l’efficacité de la voie de recours prévue par le droit interne à l’époque de l’affaire Tomulet.

18. La Cour relève ensuite que l’article 504 du CPP pose comme condition de recevabilité d’une action en réparation que le caractère illégal de la privation de liberté en cause fût établi par une ordonnance ou un jugement dans la limite de cas bien définis. Quant à la Cour constitutionnelle, elle avait confirmé dans sa décision du 14 octobre 2004 que son usage était limité aux cas prévus par l’article 504 du CPP. Par conséquent, dans des situations juridiques qui ne correspondaient pas à ces cas, la Cour a conclu que le recours prévu par l’article 504 du CPP n’était pas efficace (voir les arrêts Ogică, précité, § 56 et Degeratu c. Roumanie, no 35104/02, § 59, 6 juillet 2010).

19. En l’espèce, la Cour note qu’il ne s’agit pas d’une erreur judiciaire qui aurait été commise au cours du procès pénal. A l’instar de l’affaire Ogică, précitée, la Cour constate que la privation de liberté du requérant a été la conséquence des défaillances administratives dans la transmission des documents entre les divers organes de l’Etat et qu’il n’y a pas eu de constat préalable de l’illégalité de la détention (voir, a contrario, Stoianova et Nedelcu (déc.), précité, Temesan, précité, § 26; Isac (déc.), précité et Cozma (déc.), précité).

20. Certes, l’article 504 § 4 du CPP indique qu’il peut y avoir réparation du préjudice en cas de privation de liberté « après l’intervention de la prescription (...) des faits imputés ». Cependant, la Cour note qu’en l’espèce, c’est la prescription de l’exécution de la peine qui est intervenue et que le Gouvernement n’a pas fourni d’exemples de jurisprudence pour démontrer que les tribunaux internes font l’application de l’article 504 du CPP dans les cas de prescription de l’exécution de la peine.

21. Au vu de ces éléments, la Cour conclut à l’inefficacité, dans la situation du requérant, de la voie de recours indiquée par le Gouvernement. Il y a donc lieu de rejeter l’exception préliminaire.

22. Par ailleurs, la Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention, et ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

23. Le requérant allègue que son placement et son maintien en détention du 23 au 27 décembre 2006 n’avaient pas de base légale.

24. Le Gouvernement soutient que le requérant a été arrêté par la police des frontières en raison du fait qu’elle n’était pas au courant de la révocation du mandat d’exécution de la peine. Il reproche au requérant d’avoir agi de mauvaise foi et de s’être soustrait à l’exécution de la peine. Le Gouvernement expose que le 27 décembre 2006, la direction de la prison d’Arad a fait les démarches nécessaires auprès du tribunal de Ploiești et a immédiatement remis le requérant en liberté.

25. La Cour rappelle que la liste des exceptions au droit à la liberté figurant à l’article 5 § 1 de la Convention revêt un caractère exhaustif et que seule une interprétation étroite cadre avec le but de cette disposition : assurer que nul ne soit arbitrairement privé de sa liberté (Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 170, CEDH 2000-IV).

26. En l’espèce, la Cour observe que le mandat d’exécution de la peine a été définitivement révoqué le 13 octobre 2006 en raison de l’arrivée à échéance du délai de prescription de l’exécution la peine. Dès lors, le placement et le maintien du requérant en détention étaient dépourvus de base légale.

27. La Cour rappelle que, lorsqu’elle a examiné le délai d’exécution des décisions de remise en liberté de requérants, elle a sanctionné les délais qui dépassaient le minimum nécessaire pour l’accomplissement des formalités administratives d’élargissement (voir, par exemple, Labita, précité, § 172 ; Rashid c. Bulgarie, no 47905/99, §§ 79-80, 18 janvier 2007 et Calmanovici c. Roumanie, no 42250/02, § 77, 1er juillet 2008).

28. Une approche stricte lui paraît d’autant plus s’imposer dans la présente affaire que la détention y était dépourvue de base légale dès son commencement.

29. La Cour ne peut accepter que le requérant ait été privé de liberté au motif que la police des frontières n’était pas au courant de la révocation du mandat d’exécution de la peine et encore moins qu’il ait été détenu pendant quatre jours en attendant que la direction de la prison contacte le tribunal de Ploiești et reçoive copie du jugement qui avait révoqué le mandat (voir, mutatis mutandis, Ogică, précité, § 64).

30. Par ailleurs, la Cour estime que l’attitude que le requérant avait pu avoir pendant la durée de validité du mandat d’exécution de la peine n’avait pas lieu de lui être reprochée après la révocation de ce mandat et ne saurait en aucune façon justifier une privation de liberté postérieurement à cette révocation.

31. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que la détention du requérant ne relève pas de l’un des alinéas de l’article 5 de la Convention.

32. Il s’ensuit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

33. Sous l’angle des articles 5 et 6 de la Convention, le requérant se plaint de sa condamnation par contumace en 1994 et des conséquences de celle‑ci.

34. Compte tenu de la date d’introduction de la requête, la Cour constate que ces griefs sont tardifs.

35. Partant, il convient de les rejeter, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

36. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

37. Le requérant a présenté sa demande de satisfaction équitable en dehors du délai qui lui avait été imparti par la Cour.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 5 § 1 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;

3. Rejette la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 décembre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-138885
Date de la décision : 10/12/2013
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-1 - Arrestation ou détention régulière)

Parties
Demandeurs : OPREA
Défendeurs : ROUMANIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : VUCOIEV N.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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