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03/12/2013 | CEDH | N°001-138582

CEDH | CEDH, AFFAIRE VĂRARU c. ROUMANIE, 2013, 001-138582


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE VARARU[1] c. ROUMANIE

(Requête no 35842/05)

ARRÊT

Cette version a été rectifiée le 4 avril 2014

conformément à l’article 81 du règlement de la Cour.

STRASBOURG

3 décembre 2013

DÉFINITIF

03/03/2014

Cet arrêt est définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Vararu[2] c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

J

osep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Corneliu Bîrsan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,
Nona Tsotsoria,
Kristina Pardalos, juges,

et de Maria...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE VARARU[1] c. ROUMANIE

(Requête no 35842/05)

ARRÊT

Cette version a été rectifiée le 4 avril 2014

conformément à l’article 81 du règlement de la Cour.

STRASBOURG

3 décembre 2013

DÉFINITIF

03/03/2014

Cet arrêt est définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Vararu[2] c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Corneliu Bîrsan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,
Nona Tsotsoria,
Kristina Pardalos, juges,

et de Marialena Tsirli, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 novembre 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 35842/05) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Diodor Neculai Vararu[3] (« le requérant »), a saisi la Cour le 28 septembre 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me M. Smău, avocate à Iaşi. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. R.-H. Radu, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant allègue une méconnaissance de son droit à un procès équitable, en raison du fait qu’il a été condamné pour outrage sans que les trois juridictions ayant statué sur la cause aient entendu les témoins à charge ou la partie lésée.

4. Le 7 janvier 2009, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1957 et réside à Hârlău (département de Iaşi).

6. Le 19 juillet 2002, le requérant fut interpellé par une patrouille de deux agents de police alors qu’il consommait une bière avec une autre personne dans sa voiture, garée devant son immeuble. Les policiers lui demandèrent ses papiers d’identité ainsi que ceux de la voiture. Lors de ce contrôle, le requérant aurait injurié et brusqué le policier A.C., lui donnant notamment une gifle, et aurait tenté de quitter les lieux. Les policiers auraient alors sorti les menottes. À cet instant, le requérant se serait calmé et aurait présenté les documents qu’il avait auparavant déclarés perdus.

7. Par un réquisitoire du parquet du 4 novembre 2002, le requérant fut renvoyé devant le tribunal de première instance de Iaşi pour conduite sans permis sur la voie publique, fausses déclarations et outrage à un agent de police. Le procureur qui avait instruit son affaire faisait valoir dans le réquisitoire que, le 18 septembre 2001, le requérant avait faussement déclaré qu’il avait perdu son permis de conduire afin d’éviter qu’il ne lui soit retiré et ne soit annulé, et qu’il avait ensuite roulé avec son véhicule sur la voie publique en se prévalant du document prétendument perdu jusqu’au 19 juillet 2002, date à laquelle il fut contrôlé par les policiers.

8. Le procureur indiqua qu’il appuyait son accusation d’outrage sur les témoignages de cinq personnes qui avaient déclaré, d’abord devant le policier chargé de l’enquête et ensuite devant lui, avoir vu le requérant injurier et frapper le policier A.C. le 19 juillet 2002. Le requérant n’était pas présent au moment où ces témoins avaient été entendus.

9. Tous les témoignages consignés devant la police décrivaient la même situation de fait et comportaient la même écriture, hormis le dernier paragraphe qui, lui, différait, du point de vue de l’écriture, d’une déclaration à l’autre et indiquait que celui qui l’avait faite avait lu mot par mot ce qui était décrit au-dessus.

10. Entendu par le procureur, le requérant nia avoir injurié ou agressé le policier A.C. lors de l’incident du 19 juillet 2002. Deux témoins confirmèrent devant le procureur la version des faits présentée par le requérant.

11. Le tribunal de première instance de Iaşi, saisi pour se prononcer sur le bien-fondé des accusations du parquet, cita tous les témoins que le procureur avait nommés dans son réquisitoire. Seuls deux d’entre eux comparurent ; ils déclarèrent qu’ils n’avaient pas vu le requérant injurier ou brusquer le policier, confirmant ainsi leurs dépositions faites devant le parquet.

12. Le tribunal, qui ajourna plusieurs fois l’affaire afin d’essayer d’interroger les témoins à charge, délivra alors des mandats de comparution à leur encontre et leur infligea des amendes. Bien que régulièrement cités, ces témoins ne se présentèrent pas aux audiences. Les agents qui avaient été chargés d’exécuter ces mandats dressèrent des procès-verbaux indiquant qu’ils s’étaient déplacés au domicile des témoins en question, mais qu’ils ne les y avaient pas trouvés. Ils relevèrent, concernant deux d’entre eux, qu’ils avaient changé de domicile et que leur nouvelle adresse était inconnue. Le tribunal demanda alors des renseignements auprès du service de l’état civil de Iaşi mais cette démarche fut infructueuse.

Prenant note des procès-verbaux rédigés par les agents chargés de trouver les témoins, le tribunal en conclut qu’il était impossible d’entendre ces témoins et ordonna la lecture, en audience publique, de leurs dépositions données durant l’enquête.

13. L’avocat du requérant plaida l’acquittement, estimant notamment que les éléments constitutifs de l’infraction d’outrage n’étaient pas réunis.

14. Par un jugement du 23 octobre 2003, le tribunal condamna le requérant à une peine de deux ans de prison pour les chefs dont il avait été accusé par réquisitoire du parquet. Il jugea notamment que l’infraction d’outrage, pour laquelle le requérant se vit appliquer la peine la plus lourde, avait été prouvée par les témoignages à charge consignés durant la phase d’instruction de l’affaire, témoignages qui attestaient, de l’avis du tribunal, que la version des faits soutenue par le requérant n’était pas véridique.

15. Le requérant interjeta appel contre ce jugement, demandant en particulier que le tribunal entende les témoins à charge, le policier A.C. – en sa qualité de partie lésée – et le policier qui l’accompagnait le 19 juillet 2002, lequel n’avait pas non plus été entendu. Le requérant précisa qu’il était nécessaire que tous les témoins à charge soient entendus par le tribunal compte tenu de ce que tous leurs témoignages avaient en réalité été écrits par le policier A.C., qui n’était pas neutre puisqu’il avait un intérêt en l’espèce.

16. Le 4 avril 2004, le tribunal rejeta ces demandes, qu’il ne jugea pas concluantes. Il rappela que les premiers juges avaient déjà cité les témoins à charge et que ceux-ci n’avaient pu être trouvés.

17. Par un arrêt du 22 février 2005, le tribunal départemental confirma le bien-fondé du jugement du tribunal de première instance. Il releva que l’impossibilité pour les premiers juges d’entendre les témoins à charge n’influait pas sur la valeur de leurs témoignages en tant qu’éléments de preuve compte tenu des mesures qui avaient été prises, sans succès, en vue de les faire comparaître aux audiences.

18. Par un arrêt définitif du 13 septembre 2005, la cour d’appel de Iaşi confirma le bien-fondé des décisions prises en première instance et en appel par rapport aux éléments de preuve que ces juridictions avaient eus en leur possession.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

19. L’article 63 du code de procédure pénale (« CPP ») n’attribue aucune valeur probante particulière aux éléments de preuve versés au dossier d’une enquête. Les tribunaux apprécient librement la valeur de chacun des éléments de preuve selon leur intime conviction et leur conscience, à la lumière de l’ensemble des preuves du dossier.

20. Les articles 75, 77 et 326 du CPP établissent la procédure pour l’audition de la partie lésée.

21. Les articles 86 et 327 du CPP prévoient que le tribunal procède à l’audition des témoins après avoir entendu l’accusé et les autres participants à la procédure. Chaque témoin est invité à dire tout ce qu’il sait sur les faits qui font l’objet de l’affaire, après quoi le président et les autres membres de la formation de jugement, suivis par le procureur, peuvent lui poser des questions. Lorsqu’ils n’ont plus de questions à lui adresser, la partie qui a proposé de l’entendre et tous les autres participants à la procédure peuvent à leur tour lui poser des questions. Si l’interrogatoire d’un témoin n’est plus possible, le tribunal ordonne que sa déclaration recueillie pendant la phase d’enquête soit lue en audience publique ; le tribunal peut en tenir compte pour déterminer l’issue de la cause.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 ET 3 d) DE LA CONVENTION

22. Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention, le requérant allègue une méconnaissance de son droit à un procès équitable en raison de sa condamnation du chef d’outrage sur le fondement des dépositions des témoins à charge recueillies durant la phase d’enquête, sans qu’il ait eu la possibilité de les contester ou d’en interroger les auteurs au moment de leur déposition ou plus tard.

L’article 6 se lit ainsi dans ses parties pertinentes :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)

3. Tout accusé a droit notamment à : (...)

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ; (...) »

A. Sur la recevabilité

23. La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

24. Le requérant insiste sur le fait que l’audition par les tribunaux des témoins à charge était essentielle pour lui permettre de leur poser des questions afin d’apprécier le bien-fondé des accusations à son encontre. Il se demande comment il est possible que les mêmes témoins puissent être trouvés par les autorités pour être entendus par le procureur mais que par la suite, lors de la phase contradictoire du procès, ils deviennent introuvables.

25. Il maintient que les dépositions litigieuses ont été déterminantes pour sa condamnation et estime que les autres preuves du dossier n’avaient pas d’incidence sur l’accusation d’outrage.

26. Le Gouvernement souligne que même si les tribunaux n’ont pas procédé à une interrogation directe de la plus grande partie des témoins à charge, ils ont respecté les dispositions légales en vigueur sur leur convocation aux audiences et la possibilité, à titre subsidiaire, de prendre en compte leurs dépositions recueillies durant l’enquête, par le biais de la lecture de celles-ci en audience publique.

27. Le Gouvernement rappelle que ces témoins ont été entendus par la police puis par le procureur et qu’ils ont maintenu constamment leurs dépositions. Le tribunal de première instance, quant à lui, a ajourné plusieurs fois l’affaire afin d’essayer d’interroger les témoins. Le Gouvernement observe que le droit interne n’impose pas la présence de l’inculpé et de son avocat lors des interrogatoires de témoins dans la phase de l’instruction.

28. Le Gouvernement estime enfin que les déclarations faites par les témoins en cause n’ont pas été essentielles ou déterminantes, la condamnation du requérant ayant été fondée sur un ensemble de preuves concordantes.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

29. Comme les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1, la Cour examinera la requête sous l’angle de ces deux textes combinés (Doorson c. Pays-Bas, 26 mars 1996, § 66, Recueil des arrêts et décisions 1996‑II et Vitan c. Roumanie, no 42084/02, § 54, 25 mars 2008).

30. La Cour rappelle à titre liminaire qu’il ne lui appartient pas d’agir comme juge de quatrième instance, et en particulier d’apprécier la légalité des preuves au regard du droit interne des États parties à la Convention et de se prononcer sur la culpabilité des requérants. En effet, si la Convention garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves en tant que telle, matière qui relève au premier chef du droit interne (voir, parmi beaucoup d’autres, Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 162, CEDH 2010).

31. Pour déterminer si la procédure a été équitable, la Cour envisage la procédure dans son ensemble et vérifie le respect non seulement des droits de la défense, mais aussi de l’intérêt du public et des victimes à ce que les auteurs de l’infraction soient dûment poursuivis et, si nécessaire, des droits des témoins. En particulier, l’article 6 § 3 d) consacre le principe selon lequel, avant qu’un accusé puisse être déclaré coupable, tous les éléments à charge doivent en principe être produits devant lui en audience publique, en vue d’un débat contradictoire. Ce principe ne va pas sans exceptions, mais on ne peut les accepter que sous réserve des droits de la défense ; en règle générale, ceux-ci commandent de donner à l’accusé une possibilité adéquate et suffisante de contester les témoignages à charge et d’en interroger les auteurs, soit au moment de leur déposition, soit à un stade ultérieur (Lucà c. Italie, no 33354/96, § 39, CEDH 2001‑II et Solakov c. Ex‑République yougoslave de Macédoine, no 47023/99, § 57, CEDH 2001‑X).

32. La Cour a précisé, dans l’affaire Al-Khawaja et Tahery c. Royaume‑Uni ([GC], nos 26766/05 et 22228/06, CEDH 2011), les critères d’appréciation des griefs formulés sur le terrain de l’article 6 § 3 d) de la Convention en ce qui concerne l’absence des témoins à l’audience. Elle a estimé qu’il convenait de soumettre ce type de grief à un examen en trois points.

33. Tout d’abord, la Cour doit vérifier si l’impossibilité pour la défense d’interroger ou de faire interroger un témoin à charge est justifiée par un motif sérieux. Ensuite, lorsque l’absence d’interrogation des témoins est justifiée par un motif sérieux, les dépositions de témoins absents ne doivent pas en principe constituer la preuve à charge unique ou déterminante. Toutefois, l’admission à titre de preuve de la déposition constituant l’élément à charge unique ou déterminant d’un témoin que la défense n’a pas eu l’occasion d’interroger n’emporte pas automatiquement violation de l’article 6 § 1 de la Convention : la procédure peut être considérée comme équitable dans sa globalité lorsqu’il existe des éléments suffisamment compensateurs des inconvénients liés à l’admission d’une telle preuve pour permettre une appréciation correcte et équitable de la fiabilité de celle-ci (Al-Khawaja et Tahery, précité, §§ 146‑147).

34. La Cour doit donc vérifier si ces trois conditions ont été respectées en l’espèce.

b) Application de ces principes au cas d’espèce

i. L’impossibilité pour la défense de faire interroger les témoins était-elle justifiée par un motif sérieux ?

35. La Cour note tout d’abord que les témoins ont été entendus par la police et ensuite par le parquet dans la phase d’instruction de l’affaire sans que le requérant ou son avocat soient présents.

36. La Cour rappelle que l’impossibilité de localiser un témoin peut constituer, sous certaines conditions, un fait justificatif autorisant l’admission de ses dépositions au procès alors même que la défense n’a pu l’interroger à aucun stade de la procédure (Rachdad c. France, no 71846/01, § 24, 13 novembre 2003 et Zentar c. France, no 17902/02, § 26, 13 avril 2006). Toutefois, pour que cette justification soit valable, les autorités doivent adopter des mesures positives pour permettre à l’accusé d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge ; elles doivent notamment rechercher activement ces témoins (Rachdad, précité, § 24).

37. Dans la présente affaire, la Cour observe que les efforts déployés par le tribunal de première instance n’ont pas permis d’obtenir la comparution de l’ensemble des témoins, malgré les nombreux ajournements d’audiences, les mandats d’amener, l’amende infligée ou encore les démarches auprès des autorités pour identifier leurs nouvelles adresses (paragraphe 12 ci‑dessus).

38. Toutefois, saisi d’un appel formé par le requérant, qui demandait expressément l’audition de la partie lésée et de certains témoins, le tribunal départemental n’a fait aucune démarche en vue d’entendre ces personnes. Il s’est contenté d’observer que le tribunal de première instance n’avait pas réussi à localiser les témoins en question. Compte tenu du fait que le tribunal départemental avait pleine compétence pour examiner les faits de la cause, apprécier les preuves et établir la culpabilité du requérant, la Cour estime qu’il aurait pu donner une réponse plus adéquate et suffisamment motivée aux demandes d’administration de la preuve faites par le requérant.

ii. Quelle a été l’importance des dépositions litigieuses pour la condamnation du requérant ?

39. La Cour doit ensuite déterminer quel a été le poids des déclarations faites par les témoins pendant la phase d’instruction de l’affaire dans le verdict sur la culpabilité du requérant et, en particulier, rechercher si ces dépositions constituaient la preuve unique ou déterminante (Al-Khawaja et Tahery, précité, § 131). A cet égard, il ne suffit pas de tenir compte de l’ensemble des preuves examinées par les tribunaux, il faut rechercher quelles sont celles sur lesquelles repose effectivement la condamnation (Tseber c. République tchèque, no 46203/08, § 54, 22 novembre 2012).

40. En l’espèce, la Cour note que les cinq déclarations litigieuses confirmaient la version du policier A.C., selon laquelle le requérant avait commis l’infraction d’outrage (paragraphe 8 ci-dessus). Les deux autres témoins, qui se sont présentés à la fois devant le parquet et devant le tribunal, ne soutenaient pas cette thèse (paragraphes 10 et 11 ci-dessus). La Cour conclut que malgré les dires du Gouvernement, les cinq déclarations faites durant la phase d’instruction sont les seuls arguments qui ont justifié la condamnation du requérant du chef d’outrage (paragraphe 14 ci-dessus).

41. Quant aux juridictions de recours, elles n’ont fait que confirmer les conclusions du tribunal de première instance.

42. Dans ces conditions, il est indéniable que les cinq dépositions faites dans la phase d’instruction ont joué un rôle décisif dans la condamnation du requérant du chef d’outrage.

43. La Cour doit donc vérifier si les autorités internes ont pris des mesures suffisantes pour contrebalancer les difficultés causées à la défense.

iii. Y a-t-il eu des garanties procédurales suffisantes pour contrebalancer les inconvénients liés à l’admission des dépositions litigieuses ?

44. Il convient de rappeler que dans chaque affaire où le problème de l’équité de la procédure se pose en rapport avec une déposition d’un témoin absent, il s’agit de savoir, à l’aide d’un examen le plus rigoureux possible, s’il existe des éléments suffisamment compensateurs des difficultés que l’admission de cette déposition fait subir à la défense, notamment des garanties procédurales solides permettant une appréciation correcte et équitable de la fiabilité d’une telle preuve. L’examen de cette question permet de vérifier si la déposition du témoin absent est suffisamment fiable compte tenu de son importance dans la cause (Al-Khawaja et Tahery, précité, §§ 147 et 161).

45. Dans la présente affaire, les témoins ont été entendus par la police et le procureur pendant l’enquête mais ils n’ont jamais comparu devant un tribunal. Ni les juridictions ni le requérant n’ont donc pu les observer pendant l’interrogatoire pour apprécier leur crédibilité et la fiabilité de leurs dépositions (Al-Khawaja et Tahery, précité, §§ 161-163). La Cour se doit de noter qu’un doute existe quant à la façon dont les dépositions ont été faites, au moins devant la police. En particulier, elle observe que les déclarations avaient toutes été écrites par la même personne et leur contenu fait ressortir que les témoins se sont bornés à les lire et les signer à la fin (paragraphe 9 ci‑dessus). Qui plus est, les allégations du requérant selon lequel les dépositions avaient été écrites par le policier A.C., partie prenante dans l’affaire, n’ont pas été vérifiées par les tribunaux (paragraphe 15 ci-dessus).

46. Malgré les objections du requérant, les juridictions l’ont condamné sur la base de ces preuves sans les vérifier par rapport aux dépositions des témoins qui infirmaient la thèse d’un comportement outrageux du requérant envers le policier.

47. Les tribunaux n’ont pas donné plus de précisions quant à la manière dont ils ont pu apprécier la fiabilité des témoignages contestés dans la mesure où ils restent les seuls à incriminer le requérant (Al‑Khawaja et Tahery, précité, § 165).

iv. Conclusion de la Cour

48. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que le caractère déterminant des dépositions faites lors de la phase d’enquête, en l’absence dans le dossier d’autres éléments de preuve solides propres à les corroborer, mène à la conclusion que les tribunaux n’ont pas pu apprécier correctement et équitablement la fiabilité des preuves. La Cour juge que les droits de la défense du requérant ont ainsi subi une limitation incompatible avec les exigences d’un procès équitable.

Il y a eu, dès lors, violation de l’article 6 § 1 de la Convention combiné avec l’article 6 § 3 d).

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

49. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

50. Le requérant allègue un préjudice matériel de 48 000 euros (EUR) correspondant à la perte de son salaire après sa condamnation définitive. Il réclame également 250 000 EUR au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

51. Le Gouvernement estime que ces sommes sont excessives et que le lien de causalité entre les prétendues violations et le préjudice allégué n’a pas été prouvé. En outre, il fait valoir que l’arrêt de la Cour pourrait constituer, par lui-même, une réparation satisfaisante du préjudice moral prétendument subi par le requérant.

52. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 2 500 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

53. Le requérant demande également 2 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et la Cour, représentant notamment des honoraires d’avocat. Il envoie des factures justifiant des paiements en faveur de sa représentante devant la Cour, et de l’un des avocats l’ayant représenté dans la procédure interne, ainsi qu’en faveur de deux autres avocats auxquels le requérant n’a pas donné de mandat de représentation devant la Cour.

54. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

55. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 750 EUR tous frais confondus et l’accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

56. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention ;

3. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’Etat défendeur, au taux applicable à la date du règlement :

i) 2 500 EUR (deux mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii) 750 EUR (sept cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 décembre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Marialena TsirliJosep Casadevall
Greffière adjointePrésident

* * *

[1] Rectifié le 4 avril 2014 : le texte était le suivant « Văraru ».

[2] Rectifié le 4 avril 2014 : le texte était le suivant « Văraru ».

[3] Rectifié le 4 avril 2014 : le texte était le suivant « Văraru ».


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-138582
Date de la décision : 03/12/2013
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 6+6-3-d - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale;Article 6-1 - Procès équitable) (Article 6 - Droit à un procès équitable;Article 6-3-d - Interrogation des témoins)

Parties
Demandeurs : VĂRARU
Défendeurs : ROUMANIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SMAU M.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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