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28/11/2013 | CEDH | N°001-138988

CEDH | CEDH, AFFAIRE DVORSKI c. CROATIE, 2013, 001-138988


PREMIERE SECTION

AFFAIRE DVORSKI c. CROATIE

(Requête no 25703/11)

ARRÊT

STRASBOURG

28 novembre 2013

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE

20/10/2015

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Dvorski c. Croatie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Linos-Alexandre Sicilianos

,
Erik Møse,
Ksenija Turković,
Dmitry Dedov, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil...

PREMIERE SECTION

AFFAIRE DVORSKI c. CROATIE

(Requête no 25703/11)

ARRÊT

STRASBOURG

28 novembre 2013

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE

20/10/2015

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Dvorski c. Croatie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse,
Ksenija Turković,
Dmitry Dedov, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 novembre 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 25703/11) dirigée contre la République de Croatie et dont un ressortissant de cet État, M. Ivan Dvorski (« le requérant »), a saisi la Cour le 16 avril 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me S. Maroševac Čapko, avocate à Rijeka. Le gouvernement croate (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme Š. Stažnik.

3. Le requérant estime en particulier ne pas avoir eu un procès équitable, alléguant notamment une violation de son droit à l’assistance d’un défenseur de son choix et de son droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, garantis par l’article 6 §§ 1 et 3 c).

4. Le 28 juin 2011, les griefs du requérant ont été communiqués au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1986 et séjourne à Rijeka.

6. Le 13 mars 2007, entre 2 heures et 3 h 30, à Vežica, un quartier résidentiel de Rijeka, trois meurtres, un vol avec voies de fait et un incendie criminel furent perpétrés.

7. Ce même jour, plusieurs habitants de ce quartier furent conduits au troisième poste de police de Rijeka du département de la police de Primorje-Gorski (Policijska uprava Primorsko-goranska, Treća policijska postaja Rijeka ; « le poste de police de Rijeka ») pour y être interrogés.

8. Toujours ce même jour, vers 13 heures, le requérant fut conduit au poste de police de Rijeka pour y être interrogé. Des échantillons de son sang furent prélevés aux fins d’une analyse d’ADN et la police perquisitionna son appartement, analysa son téléphone portable et saisit certains de ses effets personnels.

9. Le requérant fut détenu au poste de police de Rijeka jusqu’à son arrestation le 14 mars 2007 à 9 h 50 pour les faits délictueux susmentionnés.

10. Dès son arrivée au poste de police de Rijeka, il fut, selon ses dires, placé dans une cellule sans fenêtre et non éclairée, et n’y reçut ni nourriture ni eau jusqu’à environ 18 heures ce même jour.

11. Selon le Gouvernement, le requérant fut placé dans une salle de détention, bien qu’il ait passé la plupart du temps dans une salle d’interrogatoire. Le Gouvernement dit qu’il y avait une caméra de surveillance dans la salle de détention. Il ajoute que, dans la salle d’interrogatoire, l’intéressé était constamment sous la garde d’un policier et qu’il aurait donc pu à tout moment demander à manger ou à boire ou se rendre aux toilettes. La salle de détention aurait été dotée de sanitaires et d’un éclairage artificiel, mais aussi d’une fenêtre sécurisée à l’aide de barreaux métalliques. Il y aurait eu aussi un lit et plusieurs couvertures pour le repos. Un repas chaud et des boissons auraient été servis au requérant et le Gouvernement a produit les reçus des commandes passées à cette fin.

12. Parallèlement, le 14 mars 2007, les parents du requérant engagèrent, aux fins de sa représentation, un avocat, Me G.M. Cependant, la police refusa à ce dernier l’accès à l’intéressé (paragraphe 21 ci-dessous).

13. Ce même jour, à 18 heures, le requérant accepta d’être représenté par Me M.R., un avocat qui arriva au poste de police de Rijeka vers 19 h 45. Son interrogatoire débuta à 20 h 10. Selon le procès-verbal de l’interrogatoire, l’intéressé fut informé par la police de son droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et de garder le silence et il indiqua expressément que son avocat était Me M.R.

14. En la présence de Me M.R., de trois policiers et du procureur de joupanie à Rijeka (Županijski državni odvjetnik u Rijeci ; « le procureur de joupanie »), le requérant avoua que, de concert avec L.O. et R.L.J., il s’était rendu dans l’appartement de Đ.V. à Vežica la nuit du 13 mars 2007, qu’il y avait volé à Đ.V. une certaine somme d’argent puis qu’il avait abattu ce dernier ainsi que sa compagne et son père, et qu’il avait ensuite mis le feu à l’appartement de manière à détruire toute trace de sa présence là-bas. Il déclara en outre avoir promis à L.O. et R.L.J. qu’il avouerait les crimes et porterait le chapeau s’ils venaient à être arrêtés. Il ajouta qu’il avait avoué les crimes de son plein gré, sans pression ni contrainte de quelque forme que ce fût. En signant le procès-verbal de sa déposition, il attestait en outre avoir été averti de son droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination. L’interrogatoire du requérant, entrecoupé d’une courte pause au cours de laquelle il se rendit aux toilettes, prit fin à 23 heures.

15. Le 15 mars 2007, Me G.M., l’avocat engagé par les parents du requérant, demanda au tribunal de joupanie à Rijeka (Županijski sud u Rijeci ; « le tribunal de joupanie ») qu’il lui fût permis de prendre contact avec le requérant.

16. Le 15 mars 2007, la police de Rijeka saisit le parquet de joupanie à Rijeka (Županijsko državno odvjetništvo u Rijeci ; « le parquet de joupanie ») d’une plainte pénale contre le requérant, L.O. et R.L.J. au sujet des trois meurtres, du vol avec voies de fait et de l’incendie susmentionnés.

17. À cette même date, le requérant fut conduit devant un juge d’instruction du tribunal de joupanie. Prié par ce dernier de dire si son avocat était Me M.R., présent au cours de son interrogatoire par la police, ou Me G.M., muni d’une procuration signée par les parents du requérant, ce dernier déclara qu’il révoquait le mandat donné à Me M.R. et le donnait à Me G.M. en signant la procuration lui-même.

18. Au cours de son interrogatoire devant le juge d’instruction, le requérant se plaignit qu’il n’avait jamais engagé Me M.R. et qu’il avait expressément demandé aux policiers de joindre Me G.M. Or il dit n’avoir jamais été informé que Me G.M. s’était rendu au poste de police. Il alléguait aussi qu’il avait été privé de nourriture jusqu’à ce qu’il déposât et que, lors de son arrestation, il se trouvait sous l’empire de la drogue et de l’alcool.

19. Le 16 mars 2007, le parquet de joupanie pria le juge d’instruction d’ouvrir une enquête concernant le requérant, L.O. et R.L.J., soupçonnés de trois meurtres aggravés et d’un incendie à Vežica, commis le 13 mars 2007.

20. Le 16 mars 2007 en la présence de Me G.M, le juge d’instruction entendit une nouvelle fois le requérant. Celui-ci garda le silence et refusa de répondre à toute question posée à lui par ce juge ou par l’accusation.

21. À cette même date, Me G.M. demanda auprès du juge d’instruction la récusation du procureur de joupanie et de tous ses substituts. Le juge d’instruction fit suivre la demande au parquet de joupanie. En voici les extraits pertinents :

« Il y a une trentaine de minutes, l’avocat de la défense a appris que le procureur de joupanie à Rijeka, D.H., était présent au cours de l’interrogatoire d’Ivan Dvorski par des policiers en tant que suspect au poste de police de Rijeka le 14 mars 2007 vers 19 heures et en présence de Me M.R., présenté comme étant l’« avocat de la défense ».

Ce même jour, vers 10 h 40, la mère d’Ivan Dvorski, L.J.D., qui habite et travaille en Italie, avait appelé [Me G.M.] et lui avait demandé de défendre son fils Ivan, soupçonné de l’infraction de meurtre aggravé. Vers 10 h 45, l’avocat de la défense se rendit au poste de police de Rijeka mais les policiers refusèrent de le laisser voir Ivan Dvorski et ils ne dirent pas non plus [à Ivan Dvorski] que sa mère avait engagé un avocat. L’avocat de la défense resta au poste de police de Rijeka jusqu’à midi. Il voulait porter plainte contre X. pour abus de pouvoir et extorsion d’aveux mais les policiers refusèrent d’enregistrer cette plainte au motif qu’il n’était muni d’aucune procuration et le firent sortir du poste de police. L’avocat de la défense informa aussitôt de l’incident les substituts du procureur de joupanie à Rijeka, D.K. et I.B., et ces derniers en prirent officiellement note dans leur dossier.

En conséquence, vers 12 h 30, le procureur de joupanie à Rijeka savait déjà que [Me G.M.] avait été engagé par la mère d’[Ivan Dvorski] et qu’il ne pouvait pas contacter son client.

Le tribunal de joupanie [à Rijeka] en fut lui aussi aussitôt informé.

Vers 13 h 30, le père d’Ivan Dvorski signa une procuration pour la défense de son fils. Un stagiaire, B.P., chercha [alors] à remettre cette procuration à la police mais on lui dit d’« aller se faire foutre avec cette procuration », qui ne fut donc pas remise.

Vers 15 heures-15 h 30, l’avocat de la défense [G.]M. chercha une nouvelle fois à joindre son client au poste de police de Rijeka mais l’accès à celui-ci lui fut refusé (...) Or l’accusé ne fut jamais informé qu’un avocat avait été engagé pour sa défense et que ce dernier s’était rendu au poste de police de Rijeka.

Vers 15 h 30, l’avocat de la défense informa le directeur du département de la police de Primorje-Gorski (...), M. V., qui apparemment prit officiellement note de leur conversation. Or jamais l’accusé ne fut informé qu’un avocat de la défense avait été engagé ni non plus prié de dire s’il souhaitait être représenté par l’avocat retenu par sa famille.

Par ailleurs, dès son arrivée au poste de police de Rijeka, [Ivan Dvorski] demanda plusieurs fois que [Me G.M.] fût joint par téléphone mais des policiers lui dirent qu’ils avaient essayé mais que personne ne répondait. Lorsqu’il fut conduit au poste de police, des échantillons de son sang furent prélevés. Ces derniers montrent qu’il avait un taux élevé d’alcool et de stupéfiants dans le sang.

Entre le 13 mars 2007, à 13 heures, et le 14 mars 2007, vers 19 heures (ces heures n’étant connues de l’avocat de la défense que par des sources informelles car il n’avait pas accès au dossier du parquet de joupanie à Rijeka), aucune nourriture ne fut servie à l’accusé.

Il apparaît clairement que, alors que tous ces faits étaient connus du procureur de joupanie à Rijeka, D.H., celui-ci n’en a tenu aucun compte et que, bien qu’ayant personnellement assisté à l’interrogatoire de l’accusé, il a autorisé celui-ci en la présence d’un avocat qui [n’avait été ni sollicité par l’accusé] ni (...) engagé par sa famille. Il y a donc eu extorsion d’aveux, en violation de l’article 225 § 8 du code de procédure pénale. Plus précisément, le procureur de joupanie à Rijeka savait, depuis environ 12 h 30 [le 14 mars 2007] qui était l’avocat de la défense.

À cette même date, l’avocat de la défense communiqua la procuration au département de la police de Primorje-Gorski et des plaintes écrites furent également adressées à la Cour suprême de la République de Croatie, au procureur général de la République de Croatie, au parquet de joupanie à Rijeka, à l’Association du barreau croate, au ministère de la Justice, au ministère de l’Intérieur, au directeur du département de la police de Primorje-Gorski et au tribunal de joupanie à Rijeka (...) »

22. Toujours le 16 mars 2007, une enquête fut ouverte concernant le requérant, L.O. et R.L.J., en leur qualité de suspects des trois meurtres aggravés et de l’incendie perpétrés le 13 mars 2007 à Vežica.

23. Le 23 mars 2007, le procureur général de la République de Croatie (Glavni državni odvjetnik Republike Hrvatske) rejeta, pour défaut de fondement, la demande de Me G.M. tendant à la récusation du procureur de joupanie. Le 26 mars 2007, ce dernier rejeta pour le même motif la demande tendant à la récusation de ses substituts.

24. Le 28 mars 2007, Me G.M. informa le tribunal de joupanie qu’il ne représenterait plus le requérant et, le 30 mars 2007, le président du tribunal de joupanie désigna une avocate de l’aide judiciaire, Me S.M.Č., pour représenter le requérant.

25. Au cours de l’instruction, un certain nombre de témoins furent entendus et le juge d’instruction fit établir un procès-verbal de l’inspection du lieu du crime et de la perquisition, ainsi que des rapports d’experts en médecine légale, en pyrotechnie et en balistique.

26. Le 12 juillet 2007, devant le tribunal de joupanie, le parquet de joupanie inculpa le requérant, L.O. et R.L.J. de trois chefs de meurtre aggravé et d’un chef d’incendie perpétrés le 13 mars 2007 à Vežica.

27. Le 27 juillet 2007, devant le tribunal de joupanie, le requérant, représenté par Me S.M.Č., fit opposition à l’acte d’accusation, soutenant que celui-ci était entaché de divers vices de fond et de forme. Il disait en outre avoir déposé devant la police sous l’empire de l’alcool et de la drogue.

28. Le 28 août 2007, le tribunal de joupanie, en formation de trois juges, rejeta pour défaut de fondement l’opposition formée par le requérant à l’acte d’accusation.

29. Le 9 octobre 2007, premier jour du procès, le requérant et ses coaccusés plaidèrent non coupable de tous les chefs et la juridiction de jugement entendit sept témoins.

30. Une autre audience fut tenue le 11 octobre 2007, au cours de laquelle la juridiction de jugement examina des enregistrements vidéo de l’inspection du lieu du crime et le rapport de l’autopsie des victimes.

31. D’autres audiences furent tenues le 12 novembre 2007 et le 11 janvier 2008, lors desquelles la juridiction de jugement entendit neuf témoins.

32. Au cours d’une audience tenue le 14 janvier 2008, deux experts en toxicologie, un expert en dactyloscopie, un expert en balistique et un expert en génétique déposèrent. La défense ne fit aucune objection à leurs déclarations. Lors de la même audience, quatre autres témoins furent entendus.

33. Au cours d’une audience tenue le 15 janvier 2008, la juridiction de jugement entendit un autre expert en toxicologie et un pathologiste, ainsi que treize autres témoins. La défense n’émit aucune objection aux dépositions des experts mais pria la juridiction de jugement d’ordonner une expertise psychologique du requérant.

34. Au cours de la même audience, l’avocate de la défense demanda une expertise graphologique de la signature apposée sur le procès-verbal de la déclaration faite par le requérant à la police le 14 mars 2007. Elle affirmait que ce dernier n’avait signé aucun procès-verbal lors de son interrogatoire par la police.

35. Ayant jugé que, pour le moment, il n’était pas nécessaire d’ordonner une expertise psychiatrique, la juridiction de jugement rejeta la demande formulée par le requérant à cette fin. Cependant, elle ordonna une expertise graphologique de la signature apposée sur le procès-verbal de la déclaration faite par le requérant à la police.

36. Le 23 janvier 2008, la graphologue produisit son rapport, dans lequel elle concluait que le requérant avait bien signé le procès-verbal de sa déclaration faite à la police le 14 mars 2007.

37. Une autre audience fut tenue le 12 mars 2008, au cours de laquelle un expert en médecine légale, un expert en pyrotechnie et un autre témoin déposèrent. La graphologue fut entendue elle aussi et confirma ses conclusions présentées auparavant. L’avocate du requérant en contesta le bien-fondé et demanda une contre-expertise, mais la juridiction de jugement la refusa. Lors de la même audience, cette dernière ordonna une expertise psychiatrique du requérant et de ses co-accusés.

38. Le 2 avril 2008, le requérant pria le tribunal de joupanie de convoquer Me G.M. afin qu’il témoignât de l’extorsion d’aveux dont la police se serait rendue coupable à son encontre. Il soulignait que Me G.M. n’avait pas été autorisé à le voir pendant qu’il se trouvait en garde à vue et affirmait que des policiers l’avaient forcé à avouer.

39. Le 24 avril 2008, les deux experts psychiatres communiquèrent leur rapport au tribunal de joupanie. Ils constataient que le requérant souffrait de troubles de la personnalité limite et de dépendance à l’héroïne et à l’alcool. Cependant, ils ne virent chez lui ni trouble ni maladie mentaux. Ils concluaient que, quand bien même il eût été en état d’ébriété au moment de la perpétration des meurtres, il avait toujours la capacité mentale – quoiqu’amoindrie – de comprendre la nature de ses actes. Quant à sa capacité mentale eu égard au chef d’incendie, ils estimaient que, au moment de la commission de l’infraction, le requérant était à même de comprendre la nature de ses actes et de contrôler ses actions.

40. Lors d’une audience tenue le 26 juin 2008, les experts psychiatres confirmèrent leurs conclusions et les parties n’y firent aucune objection. La juridiction de jugement rejeta en outre la demande du requérant tendant à l’audition de Me G.M. en qualité de témoin au motif que tous les faits pertinents avaient d’ores et déjà été établis.

41. Au cours de la même audience, l’un des accusés, R.L.J., confirma le déroulement des événements tel qu’exposé par le requérant dans sa déclaration faite à la police le 14 mars 2007. Il affirma toutefois ne pas avoir pris part personnellement aux meurtres car il dit avoir paniqué et quitté l’appartement lorsqu’il entendit qu’on se battait.

42. Après la déposition de R.L.J., le substitut du procureur de joupanie modifia l’acte d’accusation. Le requérant était inculpé de trois meurtres aggravés, de vol avec voies de fait et d’incendie, tandis que L.O. et R.L.J. étaient inculpés de vol avec voies de fait et de complicité. Le requérant et ses coaccusés plaidèrent non coupable des charges énoncées dans l’acte d’accusation modifié.

43. Le 27 juin 2008, L.O. témoigna, confirmant le déroulement des événements tel qu’exposé par R.L.J. Il déclara que, après que le requérant avait commencé à se battre avec Đ.V., il avait entendu des coups de feu, puis paniqué et quitté l’appartement.

44. Lors de la même audience, les parties se livrèrent à leurs plaidoiries finales. L’avocate du requérant argua qu’il n’avait pas été établi que ce dernier fût l’auteur des infractions dont il était inculpé. Elle souligna toutefois que, au cas où la juridiction de jugement en déciderait autrement, les aveux formulés par son client devant la police et ses regrets sincères devraient alors être pris en considération dans la fixation de sa peine.

45. Le 30 juin 2008, le tribunal de joupanie jugea le requérant coupable de trois chefs de meurtre aggravé et des chefs de vol avec voies de fait et d’incendie et le condamna à quarante ans d’emprisonnement. Il compara tout d’abord les aveux de l’intéressé à ceux de ses coaccusés L.O. et R.L.J., pour en conclure que les premiers cadraient globalement avec les dépositions des coaccusés. Le verdict de culpabilité du requérant tenait compte des aveux de ce dernier, considérés à l’aune des pièces du dossier.

46. La juridiction de jugement s’appuya en particulier sur le procès‑verbal de perquisition et sur les photographies montrant l’accusé L.O. tenant une arme à feu de même type que celle utilisée pour les meurtres. Sur la base des témoignages et d’une vidéo tirée d’une caméra de surveillance à proximité, elle conclut que le requérant et ses coaccusés s’étaient rendus dans l’appartement de Đ.V. à la date en question. De plus, elle releva que l’expertise balistique et le procès-verbal de l’inspection du lieu du crime indiquaient que les détails donnés par le requérant et ses coaccusés dans leurs dépositions étaient exacts et que le déroulement des événements était confirmé par les expertises pyrotechnique, balistique et psychologique ainsi que par l’analyse d’ADN. Elle conclut aussi que les déclarations des accusés quant au mode de perpétration des meurtres étaient corroborées par le rapport d’autopsie, par le témoignage du pathologiste au procès, par le procès-verbal de l’inspection du lieu du crime et par les témoignages faisant état de coups de feu tirés dans l’appartement de Đ.V. De plus, pour ce qui est des chefs d’incendie, elle examina les éléments tirés dudit procès-verbal et des dépositions des experts en pyrotechnie, ainsi que les documents médicaux, les relevés des blessures subies par les victimes et les dépositions de certains résidents du bâtiment où le feu avait pris.

47. S’agissant de la demande de la défense tendant à faire entendre Me G.M. (paragraphes 38 et 39 ci-dessus), le tribunal de joupanie dit ceci :

« La demande formulée par la défense [d’Ivan Dvorski] tendant à faire entendre Me G.M. en qualité de témoin (...) a été rejetée pour défaut de pertinence. Plus précisément, aucun élément du dossier ne fait état d’une quelconque extorsion d’aveux par la police : il n’y a qu’[une mention] de l’heure à laquelle Me [M.]R. s’était rendu [au poste de police], postérieurement à laquelle l’interrogatoire d’[Ivan Dvorski] commença en la présence de l’avocat à qui il avait donné procuration (...) Personne, pas même l’avocat de la défense d’[Ivan Dvorski] qui était présent au cours de l’interrogatoire de police – Me [M.]R. – n’a fait état d’aveux extorqués et il n’en est nulle part fait mention dans le procès-verbal de déposition d’Ivan Dvorski, [qui] à l’époque [n’était] qu’un suspect. »

48. Le 6 novembre 2008, le requérant fit appel du jugement de première instance devant la Cour suprême de la République de Croatie (Vrhovni sud Republike Hrvatske ; « la Cour suprême »). Il soutenait notamment que sa condamnation reposait sur ses aveux devant la police, formulés selon lui en la présence d’un avocat non pas de son choix (Me G.M.), mais proposé à lui par la police (M.R.) Il évoquait aussi la demande tendant à la récusation du procureur de joupanie et de tous ses substituts, formulée par Me G.M. le 16 mars 2007, en en soulignant la partie indiquant qu’il avait été privé d’alimentation pendant sa garde à vue.

49. Par un arrêt du 8 avril 2009, la Cour suprême rejeta pour défaut de fondement l’appel formé par le requérant. Sur le moyen tiré par ce dernier de ses déclarations faites devant la police, elle releva ceci :

« (...) L’appelant ne remet pas en cause la régularité [de sa déclaration faite à la police] lorsqu’il soutient que son avocat était Me G.M., engagé par son père et sa mère le même jour, et non pas M.R., ni lorsqu’il se plaint d’avoir été privé d’alimentation entre le 13 mars 2007, à 13 heures, et le 14 mars 2007, à 19 heures, jusqu’à ce qu’il accepte d’engager Me M.R., le procès-verbal de son arrestation (pages ...) indiquant qu’il a été arrêté le 14 mars 2007 à 9 h 50 et que Me M.R. est arrivé [au poste de police] ce même jour à 18 h 45 ».

50. Le 14 septembre 2009, le requérant forma devant la Cour suprême un recours contre l’arrêt d’appel, reprenant les mêmes moyens.

51. Par un arrêt du 17 décembre 2009, la Cour suprême, en dernière instance, rejeta pour défaut de fondement le recours formé par le requérant. Elle soulignait qu’il ressortait de la déposition de l’intéressé qu’il avait choisi Me M.R. pour le représenter au cours de son interrogatoire de police et que cet avocat l’avait adéquatement conseillé. En outre, rien dans le dossier n’indiquait selon elle que le requérant eût été maltraité ou forcé à avouer.

52. Le 11 mars 2010, le requérant saisit la Cour constitutionnelle (Ustavni sud Republike Hrvatske) d’un recours. Il soutenait notamment qu’il avait été maltraité au cours de sa garde à vue et forcé à avouer. Il estimait en outre qu’on lui avait refusé la possibilité d’assurer sa défense par un avocat de son choix.

53. Le 16 septembre 2010, la Cour constitutionnelle rejeta ce recours. Faisant sien le raisonnement de la Cour suprême, elle conclut que la procédure, dans son ensemble, avait été équitable et que rien dans le dossier n’indiquait que le requérant eût été maltraité pendant sa garde à vue.

II. LE DROIT PERTINENT

A. Droit interne

54. Voici les dispositions pertinentes de la Constitution de la République de Croatie (Ustav Republike Hrvatske, Journal officiel nos 56/1990, 135/1997, 113/2000, 28/2001, 76/2010) :

Article 23

« Nul ne peut être soumis à une quelconque forme de mauvais traitement (...) »

Article 29

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial, légalement établi, qui décidera dans un délai raisonnable du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

Toute personne faisant l’objet de soupçons, d’une enquête ou d’une inculpation en matière pénale a le droit :

(...)

. de se défendre elle-même ou d’avoir l’assistance d’un avocat de son choix et, si elle n’a pas les moyens de rémunérer un avocat, de pouvoir être assistée gratuitement par un avocat d’office, dans les conditions prescrites par la loi,

(...) »

55. Voici les dispositions pertinentes du code pénal (Kazneni zakon, Journal officiel nos 110/1997, 27/1998, 129/2000, 51/2001, 105/2004, 84/2005, 71/2006)

MEURTRE AGGRAVÉ

Article 91

« Est passible d’au moins dix ans de prison ou d’une peine d’emprisonnement de longue durée quiconque :

(...)

6. commet un meurtre afin de perpétrer ou de couvrir une autre infraction pénale,

(...) »

VOL AVEC VOIES DE FAIT

Article 218

« 1. Est passible de un à dix ans de prison quiconque, en usant de la force contre une personne ou en la menaçant d’une atteinte directe à sa vie ou à son intégrité physique, lui soustrait un bien meuble afin de se l’approprier frauduleusement.

2. Est passible de trois à quinze ans de prison quiconque commet un vol avec voies de fait en tant que membre d’une bande ou d’une organisation criminelle, ou en faisant usage d’une arme ou d’un instrument dangereux. »

MISE EN DANGER DE LA VIE OU DE BIENS PAR DES ACTES OU MOYENS DANGEREUX

Article 263

« 1. Est passible de six mois à cinq ans de prison quiconque met en danger la vie ou l’intégrité physique d’autrui ou des biens d’une valeur considérable au moyen d’un incendie ».

(...)

3. Si l’infraction pénale visée au paragraphe 1 et 2 du présent article est commise en un lieu où plusieurs personnes sont rassemblées, (...) son auteur est passible de un à huit ans d’emprisonnement. (...) »

INFRACTIONS PÉNALES AGGRAVÉES CONTRE L’ORDRE PUBLIC

Article 271

« 1. Est passible de un à huit ans de prison quiconque cause de graves blessures à autrui ou de lourds dommages matériels en commettant l’infraction pénale visée à l’article 263 § 1 du présent code ».

56. Voici les dispositions pertinentes de la loi portant code de procédure pénale (Zakon o kaznenom postupku, Journal officiel nos 110/1997, 27/1998, 58/1999, 112/1999, 58/2002, 143/2002 et 62/2003) :

Article 62

« 1. L’accusé peut être représenté par un avocat à tout stade de la procédure ainsi qu’avant l’ouverture de celle-ci dans les cas où le prescrit la présente loi (...)

4. Le tuteur, le conjoint ou le/la concubin(e), le parent en ligne directe, le parent ou enfant adoptif, le frère ou la sœur ou le parent d’accueil de l’accusé peut engager pour celui-ci un avocat, sauf s’il le refuse expressément.

(...)

6. Tout avocat de la défense doit présenter sa procuration aux autorités conduisant la procédure. L’accusé peut également donner verbalement mandat à un avocat devant l’autorité conduisant la procédure, auquel cas il doit en être pris acte. »

Article 177

« (...) 5. Au cours de l’enquête, les autorités policières informent le suspect conformément à l’article 237 § 2 du présent code. Si le suspect en fait la demande, elles l’autorisent à engager un avocat et, à cette fin, cessent d’interroger le suspect jusqu’à ce que l’avocat arrive, ou au moins pendant trois heures à compter du moment où le suspect formule cette demande (...) Si, au vu des circonstances, l’avocat choisi n’est pas en mesure de se présenter pendant ce délai, les autorités policières permettent au suspect de désigner un avocat à partir de la liste d’avocats de permanence adressée à l’autorité policière compétente par la section locale du barreau croate (...) Si le suspect n’engage aucun avocat ou si l’avocat sollicité ne se présente pas dans le délai prévu, elles peuvent reprendre son interrogatoire (...) Le procureur peut assister à l’interrogatoire. Le procès-verbal de [toute] déposition faite par l’accusé devant les autorités policières en présence d’un avocat peut être retenu à titre de preuve au cours de la procédure pénale. »

B. Éléments pertinents de droit international

Droit d’accès à l’avocat de son choix en garde à vue

a) Conseil de l’Europe

Les règles adoptées par le Comité des Ministres

57. La règle 93 de l’Ensemble des règles minima pour le traitement des détenus (Résolution (73) 5 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe) dit ceci :

« [u]n prévenu doit, dès son incarcération, pouvoir choisir son avocat (...) et à recevoir des visites de son avocat en vue de sa défense. Il doit pouvoir préparer et remettre à celui-ci des instructions confidentielles, et en recevoir. Sur sa demande, toute facilité doit lui être accordée à cette fin (...) Les entrevues entre le prévenu et son avocat peuvent être à portée de la vue, mais ne peuvent pas être à portée d’ouïe directe ou indirecte d’un fonctionnaire de la police ou de l’établissement. »

58. Par ailleurs, voici les extraits pertinents de la Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres aux Etats membres du Conseil de l’Europe sur les Règles pénitentiaires européennes (Rec (2006)2), adoptée le 11 janvier 2006 lors de la 952e réunion des Délégués des Ministres :

« Conseils juridiques

23.1 Tout détenu a le droit de solliciter des conseils juridiques et les autorités pénitentiaires doivent raisonnablement l’aider à avoir accès à de tels conseils.

23.2 Tout détenu a le droit de consulter à ses frais un avocat de son choix sur n’importe quel point de droit.

(...)

23.5 Une autorité judiciaire peut, dans des circonstances exceptionnelles, autoriser des dérogations à ce principe de confidentialité dans le but d’éviter la perpétration d’un délit grave ou une atteinte majeure à la sécurité et à la sûreté de la prison. »

b) Nations unies

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

59. L’article 14 § 3 b) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose que toute personne accusée d’une infraction pénale a droit « [à] disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et à communiquer avec le conseil de son choix ».

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

60. Le requérant se dit victime d’un mauvais traitement au cours de sa garde à vue. Il invoque l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Sur la recevabilité

1. Thèses des parties

61. Le requérant soutient que, entre le 13 mars 2007, à 13 heures, et le 14 mars 2007, à 19 heures, il se trouvait en garde à vue dans une cellule sans fenêtre ni éclairage, et sans y avoir reçu ni nourriture ni eau, et que les autorités internes n’ont pas dûment réagi aux plaintes formulées par lui à cet égard.

62. Le Gouvernement estime que, faute pour lui d’avoir porté plainte au pénal contre les policiers en cause ou formé une action en réparation au civil contre l’État, le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes en ce qui concerne les griefs qu’il soulève sur le terrain de l’article 3. Il considère en outre que l’intéressé a saisi la Cour de sa requête hors du délai de six mois, ses griefs étant tirés de sa garde à vue le 14 mars 2007 et sa requête ayant été introduite le 16 avril 2011.

63. Le Gouvernement plaide à titre subsidiaire que le requérant n’a pas étayé ses griefs de mauvais traitements en garde à vue. À cet égard, il a produit des photographies des locaux de détention au poste de police de Rijeka et des reçus pour des aliments et boissons commandés au cours de l’opération de police qui a conduit à l’arrestation du requérant. Il souligne que les photographies montrent que le requérant était détenu dans des conditions adéquates, avec toutes les facilités nécessaires, et que ces bons de commande indiquent que l’intéressé a reçu de quoi manger et boire pendant sa garde à vue. Il ajoute que des quantités importantes de nourriture ont été commandées pendant l’arrestation et la détention du requérant alors que seuls une vingtaine de policiers ont pris part à l’opération de police.

2. Appréciation de la Cour

64. La Cour juge inutile d’aborder toutes les exceptions formulées par le Gouvernement, le grief soulevé sur le terrain de l’article 3 de la Convention étant en tout état de cause irrecevable pour les raisons suivantes.

65. La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention consacre l’une des valeurs les plus fondamentales des sociétés démocratiques. Il prohibe en termes absolus la torture et les peines et traitements inhumains ou dégradants, quels que soient les circonstances et les agissements de la victime (Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 119, CEDH 2000‑IV).

66. Selon la jurisprudence constante de la Cour, pour tomber sous le coup de l’article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative : elle dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques et mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 91, CEDH 2000‑XI, et Peers c. Grèce, no 28524/95, § 67, CEDH 2001‑III).

67. Pour qu’une peine ou le traitement dont elle s’accompagne puissent être qualifiés d’« inhumains » ou de « dégradants », la souffrance ou l’humiliation doivent en tous les cas aller au-delà de celles que comporte inévitablement une forme donnée de traitement ou de peine légitimes (Labita, précité, § 120).

68. Les mesures privatives de liberté s’accompagnent ordinairement de pareilles souffrance et humiliation. Néanmoins, l’État se doit de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien‑être du prisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis (Kudła, précité, §§ 93-94, et Rivière c. France, no 33834/03, § 62, 11 juillet 2006).

69. Les allégations de mauvais traitements doivent être étayées par des éléments de preuve appropriés (Labita, précité, § 121). La Cour a dit à maintes reprises que, lorsqu’elle apprécie ces éléments, elle se rallie au principe de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable », mais qu’une telle preuve peut résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants (Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, série A no 25 § 161).

70. La Cour note qu’il est incontesté entre les parties que le requérant a été mis dans les locaux de détention du poste de police de Rijeka figurant sur les clichés produits par le Gouvernement. Ces derniers montrent que la salle de détention est dotée de sanitaires adéquats et d’un lit, ainsi que d’un éclairage artificiel et d’une fenêtre laissant pénétrer la lumière du jour. Rien ne permet à la Cour de dire que ces locaux aient présenté la moindre différence pendant la détention du requérant et elle estime qu’y avoir placé celui-ci lorsqu’il n’était pas interrogé ne révèle aucune apparence de traitement contraire à l’article 3 de la Convention.

71. Quant au grief tiré par le requérant de ce qu’il n’aurait reçu ni eau ni vivres en garde à vue, la Cour constate que les bons de commande de nourriture et de boissons produits par le Gouvernement montrent que, le 13 mars 2007, la police a commandé 70 repas chauds afin de faciliter l’enquête en l’espèce. Le 14 mars 2007, le jour de la garde à vue du requérant, ainsi que de ses deux cosuspects, 35 autres repas chauds et 36 boissons non alcoolisées furent commandés.

72. Certes, s’ils ne prouvent pas nécessairement que le requérant a reçu la nourriture ou les boissons commandées, ces éléments montrent que le nombre de repas chauds commandés est bien plus important que le nombre de repas dont les policiers avaient besoin eux-mêmes. Il y a lieu de noter aussi à cet égard qu’aucun des coaccusés du requérant ne s’est jamais plaint d’avoir été privé d’eau ou de nourriture en garde à vue. Dans ces conditions, la Cour ne peut juger suffisamment étayée la seule assertion du requérant qu’il n’avait reçu ni eau ni vivres en garde à vue.

73. Par conséquent, faute pour les éléments produits par le requérant d’avoir de quelque manière que ce soit étayé ses allégations de mauvais traitement au cours de son interrogatoire par la police les 13 et 14 mai 2007, la Cour juge que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté conformément à l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

74. Le requérant estime ne pas avoir eu un procès équitable. À l’appui de ce grief, il soutient que, à la suite de son arrestation, il n’a pas été autorisé à être représenté par un avocat de son choix ; que les prestations de l’avocat qui l’a représenté n’étaient pas à la hauteur des exigences d’une bonne défense ; qu’il a été interrogé dans un environnement coercitif ; qu’il a été contraint de contribuer à sa propre incrimination sans avoir bénéficié des conseils juridiques d’un avocat de son choix, et que sa condamnation repose sur des déclarations qu’il a faites sans avoir été représenté par l’avocat de son choix.

Il invoque l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention, ainsi libellé dans ces parties pertinentes :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)

3. Tout accusé a droit notamment à :

(...)

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

(...) »

A. Sur la recevabilité

1. Thèses des parties

75. Le Gouvernement soutient que la procuration du 16 avril 2011, que la représentante du requérant a communiquée à la Cour, n’a pas été signée par ce dernier. Il considère que la signature apposée sur cette pièce ne correspond pas à la vraie signature du requérant. Il souligne en outre que, en 2011, le requérant n’a ni rencontré l’avocate qui le représente ni communiqué avec elle dans le cadre de la procédure devant la Cour. L’avocate se serait cependant rendue auprès de lui en septembre 2010 mais, à ce moment-là, la Cour constitutionnelle n’aurait pas encore signifié au requérant sa décision, si bien qu’il n’y aurait eu aucune raison pour ce dernier de signer une procuration aux fins de sa représentation dans la procédure devant la Cour. Aussi le Gouvernement demande-t-il que la requête soit rayée du rôle.

76. Le requérant dit qu’il a mandaté sa représentante en septembre 2010. Il lui aurait remis une procuration avant que la décision de la Cour constitutionnelle lui fût signifiée car, vu les pressions exercées par le public sur les autorités pour obtenir une condamnation dans son procès, il se serait attendu à un rejet de son recours par la Cour constitutionnelle. La prison dans laquelle il purge sa peine d’emprisonnement se trouvant à une certaine distance de Rijeka, où son avocate tiendrait son cabinet, lui et elle auraient pris toutes les dispositions nécessaires, y compris signer la procuration, aux fins de l’introduction d’une requête devant la Cour en septembre 2010. La date exacte de la procuration donnée par le requérant aurait été inscrite ultérieurement, à son escient et avec son consentement. Par ailleurs, le requérant aurait été en contact permanent avec sa représentante, que ce soit par le biais de sa mère, qui lui rendait régulièrement visite, ou par téléphone.

2. Appréciation de la Cour

77. La Cour rappelle tout d’abord que le représentant d’un requérant doit produire « une procuration ou un pouvoir écrit » (Hirsi Jamaa et autres c. Italie [GC], no 27765/09, § 52, CEDH 2012). En conséquence, un simple pouvoir écrit serait valable aux fins de la procédure devant la Cour, dès lors que nul ne pourrait démontrer qu’il ait été établi sans le consentement du requérant ou sans que celui-ci comprenne de quoi il s’agissait (Velikova c. Bulgarie, no 41488/98, § 50, CEDH 2000‑VI).

78. De plus, ni la Convention ni le règlement de la Cour n’imposent de conditions particulières quant au libellé de la procuration ni ne requièrent la moindre forme de certification de la part d’une quelconque autorité nationale. Ce qui compte pour la Cour, c’est que la procuration indique clairement que le requérant a confié sa représentation devant la Cour à un conseil et que celui‑ci a accepté ce mandat (Riabov c. Russie, no 3896/04, §§ 40 et 43, 31 janvier 2008).

79. La Cour note que, en l’espèce, le nom du requérant et une signature manuscrite figurent sur la procuration datée du 16 avril 2011, versée au dossier. En l’absence de tout élément direct et convaincant en sens contraire, la Cour ne peut, par une simple observation, douter que la signature sur cet acte est celle du requérant.

80. La Cour note également que le requérant a produit, au sujet de ses contacts avec sa représentante, des éléments d’information détaillés qui n’apparaissent pas déraisonnables et contestables. De plus, rien dans le dossier ne permet de jeter le doute sur la version donnée par l’avocate ni sur ses échanges d’informations concernant le requérant avec la Cour (Hirsi Jamaa et autres, précité, § 55).

81. Dans ces conditions, la Cour n’a aucune raison de douter de la validité de la procuration. Aussi rejette-t-elle l’exception du Gouvernement. Elle estime en outre que ce volet de la requête n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il doit donc être déclaré recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

82. Le requérant soutient que, tout au long de sa garde à vue au poste de police de Rijeka, l’avocat engagé par ses parents, Me G.M., n’a pas pu le contacter. Cet avocat s’en serait plaint à de nombreuses reprises auprès de différentes autorités internes, demandant notamment la récusation du procureur de joupanie et de tous ses substituts, ce afin de faire cesser cette situation illicite. Au lieu de cela, la police se serait contentée d’autoriser Me M.R., qui était notamment l’ancien directeur du département de la police de Primorje-Gorski, à prendre contact avec le requérant afin que celui-ci fasse une déposition à charge. Ce seraient des policiers, et non le requérant, qui auraient téléphoné à Me M.R., car ce dernier serait une personne en qui les policiers pouvaient avoir confiance pour faire avouer par l’intéressé les infractions dont il était accusé. Le fait que Me M.R. n’ait jamais demandé au requérant le versement d’honoraires à titre de frais de représentation prouverait qu’il collaborait avec la police.

83. La représentation du requérant par Me M.R. n’aurait pas été à la hauteur des exigences d’une bonne défense. Cet avocat n’aurait disposé que de vingt-cinq minutes pour discuter de l’affaire avec son client, ce qui aurait été insuffisant compte tenu de la gravité des infractions dont ce dernier était accusé et de la durée de son interrogatoire (près de trois heures). Ce seraient ces éléments, s’ajoutant à ce que le requérant aurait été privé de nourriture et détenu dans des conditions inhumaines et se serait trouvé sous l’empire de la drogue et de l’alcool, qui l’auraient poussé à avouer. De plus, la juridiction de jugement se serait appuyée sur sa déclaration faite à la police et aurait rejeté sa demande d’audition de certains témoins, dont Me G.M., audition qui selon lui aurait permis de faire la lumière sur les circonstances de son interrogatoire au poste de police de Rijeka et sur les chefs retenus contre lui. Le requérant n’aurait donc pas eu un procès équitable.

84. Le Gouvernement soutient que le requérant a bénéficié de toutes les garanties d’un procès équitable au cours de la procédure pénale dirigée contre lui et que celle-ci, globalement, a été équitable. Tout au long de cette procédure, le requérant aurait été représenté par un avocat qualifié et aurait été effectivement associé au procès, ayant eu toute latitude pour interroger des témoins et présenter toutes ses observations. De plus, l’affaire aurait été examinée devant trois instances, dont la Cour constitutionnelle. Le jugement de première instance aurait certes reposé sur ses aveux, mais aussi sur un certain nombre d’autres pièces du dossier. Quant au droit du requérant de ne pas contribuer à sa propre incrimination, le Gouvernement estime qu’il n’a été en aucun cas violé, l’intéressé ayant avoué volontairement et sciemment, après avoir consulté un avocat. Sur ce point, il souligne que, dans la déclaration signée par le requérant, celui-ci a expressément confirmé avoir déposé en l’absence de toute contrainte ou pression. Au vu des circonstances de l’espèce, les policiers n’auraient eu aucune raison de douter de sa capacité mentale à comprendre la situation dans laquelle il se trouvait et à faire une déclaration en toute connaissance de cause.

85. Le requérant aurait disposé de suffisamment de temps – environ deux heures selon le procès-verbal de son interrogatoire – pour consulter son avocat et ce serait après-coup qu’il a déposé. Il aurait choisi Me M.R. à partir de la liste d’avocats disponible dans tout poste de police et lui aurait donné procuration. En la présence de cet avocat, il aurait fait une déclaration devant la police sans avoir été l’objet de pressions ni de contraintes. Le fait qu’il a été représenté par un autre avocat aux phases ultérieures de la procédure n’aurait rien changé au fait que Me M.R. était l’avocat de son choix qui l’avait représenté conformément à leur accord et à leur stratégie de défense à ce stade-là.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

86. S’estimant privé d’un procès équitable, le requérant allègue une violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c). La Cour rappelle tout d’abord que les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable en matière pénale garanti par le paragraphe 1 de cette disposition. Aussi le grief du requérant sera-t-il examiné sous l’angle de ces dispositions prises dans leur ensemble (voir, parmi d’autres précédents, Poitrimol c. France, 23 novembre 1993, § 29, série A no 277‑A, Benham c. Royaume-Uni, 10 juin 1996, § 52, Recueil des arrêts et décisions 1996‑III, Krombach c. France, no 29731/96, § 82, CEDH 2001‑II, Kulikowski c. Pologne, no 18353/03, § 55, 19 mai 2009, Sakhnovski c. Russie [GC], no 21272/03, § 94, 2 novembre 2010, Zagorodniy c. Ukraine, no 27004/06, § 52, 24 novembre 2011, et Neziraj c. Allemagne, no 30804/07, § 45, 8 novembre 2012).

87. À cet égard, la Cour rappelle que, lu dans son ensemble, l’article 6 de la Convention garantit le droit pour tout accusé de participer de manière effective à son procès pénal (Rowe et Davis c. Royaume-Uni [GC], no 28901/95, § 60, CEDH 2000‑II). En particulier, l’accusé doit avoir la faculté d’organiser sa défense comme il convient et sans restriction quant à la possibilité de soulever tout moyen de défense pertinent devant la juridiction de jugement et donc d’influencer l’issue du procès (Luchaninova c. Ukraine, no 16347/02, § 62, 9 juin 2011).

88. De manière à pouvoir exercer ses droits, l’accusé doit normalement pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat dès les premiers stades de la procédure (Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, § 52, CEDH 2008). Son droit à être effectivement défendu par un avocat figure parmi les attributs fondamentaux d’un procès équitable (Krombach, précité, § 89).

89. Un accusé qui ne veut pas se défendre lui-même peut recourir aux services d’un défenseur de son choix (Campbell et Fell c. Royaume-Uni, 28 juin 1984, § 99, série A no 80, Pakelli c. Allemagne, 25 avril 1983, § 31, série A no 64, et Whitfield et autres c. Royaume-Uni, nos 46387/99, 48906/99, 57410/00 et 57419/00, § 48, 12 avril 2005). Aussi importante la relation de confiance entre l’avocat et son client soit-elle, le droit à celle-ci ne peut passer pour absolu (Prehn c. Allemagne (déc.), no 40451/06, 24 août 2010). Les autorités nationales peuvent passer outre le souhait de l’accusé quant à sa représentation en justice si des raisons pertinentes et suffisantes font que l’intérêt de la justice l’exige (Croissant c. Allemagne, 25 septembre 1992, §§ 29-30, série A no 237‑B, et Pavlenko c. Russie, no 42371/02, § 98, 1er avril 2010).

90. La Cour rappelle en outre sa jurisprudence constante selon laquelle les actes ou décisions de l’avocat d’un accusé ne sauraient en principe engager la responsabilité de l’État (Stanford c. Royaume-Uni, 23 février 1994, § 28, série A no 282‑A) car la conduite de la défense appartient pour l’essentiel à l’accusé et à son conseil, commis au titre de l’aide judiciaire ou rétribué sur des fonds privés (Czekalla c. Portugal, no 38830/97, § 60, CEDH 2002‑VIII ; voir aussi Bogumil c. Portugal, no 35228/03, § 46, 7 octobre 2008). Toutefois, si la carence de l’avocat commis d’office ou, dans certaines circonstances, de l’avocat rétribué sur des fonds privés, apparaît manifeste, l’article 6 § 3 c) de la Convention oblige les autorités nationales à intervenir (Güveç c. Turquie, no 70337/01, §§ 130-131, CEDH 2009 (extraits)).

91. Quant au droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et au droit de garder le silence, la Cour rappelle qu’il s’agit de standards internationaux généralement reconnus qui sont au cœur de la notion de procès équitable. Ces droits ont notamment pour but de protéger l’accusé de toute coercition abusive de la part des autorités et, ainsi, d’éviter les erreurs judiciaires et d’atteindre les buts de l’article 6 de la Convention. Le droit de ne pas s’incriminer soi-même concerne en premier lieu le respect de la volonté d’un accusé de garder le silence et présuppose que, dans une affaire pénale, l’accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou des pressions, au mépris de la volonté de l’accusé. Pour rechercher si une procédure a anéanti la substance même du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, la Cour doit examiner la nature et le degré de la coercition, l’existence de garanties appropriées dans la procédure et l’utilisation qui est faite des éléments ainsi obtenus (Bykov c. Russie [GC], no 4378/02, § 92, 10 mars 2009).

92. La Cour souligne l’importance, pour la préparation du procès, du stade de l’enquête dans la mesure où les preuves obtenues durant celle-ci déterminent le cadre dans lequel l’infraction imputée sera examinée au procès (Salduz, précité, § 54). Par ailleurs, un accusé se trouve souvent dans une situation particulièrement vulnérable à ce stade de la procédure, ce qui a d’autant plus de conséquences que la législation en matière de procédure pénale tend à devenir de plus en plus complexe, notamment en ce qui concerne les règles régissant la collecte et l’utilisation des preuves. Dans la plupart des cas, cette vulnérabilité particulière ne peut être compensée de manière adéquate que par l’assistance d’un avocat, dont la tâche consiste notamment à contribuer au respect du droit de tout accusé de ne pas s’incriminer lui-même (Pavlenko, précité, § 101).

b) Application en l’espèce des principes susmentionnés

93. Au vu des griefs du requérant, la Cour considère que les questions essentielles qui se posent en l’espèce sont celle du droit de ce dernier de faire appel au conseil de son choix et celle de savoir si, dans l’hypothèse où il n’aurait pas eu cette possibilité, il a été conduit dans un environnement coercitif à contribuer à sa propre incrimination sans le bénéfice de conseils juridiques adéquats.

94. La Cour relève d’emblée que la présente affaire porte sur une situation non pas où la police a désigné un avocat de l’aide judiciaire pour représenter le requérant, mais où elle a plutôt proposé à ce dernier de choisir un avocat qu’il devait rétribuer sur ses propres deniers. Aussi les passages suivants de l’article 6 § 3 c) sont-ils applicables en l’espèce : « [t]out accusé a droit notamment à (...) avoir l’assistance d’un défenseur de son choix ». La Cour considère donc que, en principe, tout accusé qui supporte ses frais de représentation en justice a le droit de choisir son avocat sauf, exceptionnellement, s’il est nécessaire d’écarter ce droit dans l’intérêt de la justice ou si son exercice créerait des obstacles justifiables et significatifs (Pavlenko, précité, § 98, et Klimentïev c. Russie, no 46503/99, §§ 116-119, 16 novembre 2006).

95. La Cour note que, lorsque le requérant a été arrêté par la police, sa famille a pris contact avec Me G.M. afin que ce dernier le représente. Selon son récit des événements (paragraphe 21 ci-dessus), que le Gouvernement ne conteste pas, Me G.M. se rendit au poste de police de Rijeka le 14 mars 2007 vers 10 h 45, avant le début de l’interrogatoire du requérant par la police. À ce moment-là, il n’était pas muni d’une procuration. La police ne l’autorisa pas à voir le requérant, pas plus qu’elle ne dit à ce dernier que cet avocat avait été engagé par ses parents pour sa défense.

96. Plus tard ce même jour, vers 13 h 30, un stagiaire du cabinet de Me G.M. chercha à contacter le requérant au poste de police de Rijeka, produisant une procuration signée par le père du requérant qui autorisait Me G.M. à représenter son fils mais, une nouvelle fois, l’accès à ce dernier lui fut refusé sans qu’il fût informé que cet avocat cherchait à le joindre. Parallèlement, Me G.M. signala à d’autres autorités nationales compétentes le comportement des policiers qui refusaient de le laisser voir le requérant.

97. La Cour constate que, au vu des pièces à charge du dossier pénal, il n’y avait aucune bonne raison de s’opposer à ce que Me G.M. fournît une assistance juridique au requérant au cours de l’interrogatoire de police et ni les juridictions nationales ni le Gouvernement n’ont avancé d’arguments sur ce point. Lorsqu’il fut conduit devant le juge d’instruction le 15 mars 2007, le lendemain de son arrestation, le requérant déclara expressément qu’il souhaitait être représenté par Me G.M. (paragraphe 17 ci-dessus), à qui la police avait refusé l’accès sans le justifier par des raisons pertinentes. Au lieu de cela, sans avoir dit au requérant que ses parents avaient engagé Me G.M. pour assurer sa défense, les policiers, selon le Gouvernement (paragraphe 85 ci-dessus), présentèrent au requérant une liste d’avocats conformément à l’article 177 § 5 du code de procédure pénale (paragraphe 56 ci-dessus) de manière à ce qu’il en choisisse un pour assurer sa représentation au cours de son interrogatoire de police et Me M.R. fut l’avocat de la liste retenu à cette fin.

98. La Cour constate que jamais le Gouvernement n’a produit la liste d’avocats qui, selon lui, a été présentée au requérant. Elle relève en outre que le Gouvernement ne conteste pas que Me M.R. est un ancien chef de la police de Rijeka et qu’il n’a jamais fait payer ses prestations au requérant, contrairement à ce qui pouvait être escompté d’un avocat rétribué sur des fonds privés. Dans ces conditions, elle doute fortement que la police ait agi de bonne foi et que Me M.R. soit l’avocat que le requérant aurait effectivement choisi s’il avait su que ses parents avaient engagé Me G.M. Au vu des circonstances de l’espèce, la signature par le requérant d’une procuration autorisant Me M.R. à le représenter au cours de son interrogatoire de police n’y change rien car il est un principe constant dans la jurisprudence de la Cour que la Convention est censée garantir des droits concrets et effectifs, et non théoriques et illusoires (Airey c. Irlande, 9 octobre 1979, § 24, série A no 32, Imbrioscia c. Suisse, 24 novembre 1993, § 38, série A no 275, et Salduz, précité, § 55).

99. Dès lors, la Cour exclut toute possibilité que, par sa seule signature de la procuration et par sa seule déclaration faite à la police, le requérant ait explicitement et sans équivoque renoncé à son droit de faire appel à Me G.M. comme l’avocat de son choix et que, au lieu de cela, il ait consenti à être représenté par Me M.R. En effet, étant un droit fondamental parmi ceux constitutifs de la notion de procès équitable et permettant d’assurer l’effectivité du reste des garanties énoncées à l’article 6 de la Convention, le droit à un conseil est par excellence un droit qui appelle la protection spéciale du principe de la « renonciation éclairée et consentie », établi dans la jurisprudence de la Cour (Pishchalnikov c. Russie, no 7025/04, §§ 77-79, 24 septembre 2009).

100. Les éléments ci-dessus jettent de sérieux doutes sur la façon dont les autorités nationales ont agi et sur le point de savoir si le requérant a été représenté par un avocat de son choix au cours de son interrogatoire préliminaire par la police, dont l’article 6 § 3 c) de la Convention garantit le droit. La Cour est donc appelée à opérer un contrôle poussé pour déterminer si, dans son ensemble, la procédure a été conforme aux exigences d’un procès équitable, comme l’impose l’article 6 de la Convention.

101. À cet égard, la Cour relève que, au cours de son procès pénal, le requérant ne s’est jamais plaint que Me M.R. lui ait prodigué de mauvais conseils juridiques. Aucune lacune dans les conseils donnés par cet avocat au requérant au sujet de ses droits ne ressort du procès-verbal de la déclaration faite par ce dernier devant la police. Cette déclaration a été faite à l’issue de plusieurs heures, au cours desquelles jamais l’intéressé n’avait refusé de fournir d’autres informations et, en signant le procès-verbal à la fin de l’interrogatoire, il a reconnu l’exactitude des informations livrées.

102. La Cour rappelle par ailleurs qu’elle a conclu que le requérant n’avait pas étayé ses allégations faisant état de mauvais traitements ou de conditions de garde à vue inadéquates (paragraphe 73 ci-dessus). Rien ne permet donc de penser qu’il ait subi la moindre pression ni que sa volonté n’ait pas été respectée.

103. De la même manière, la Cour relève que l’expertise psychiatrique ordonnée au cours du procès a conclu que, à la date de la perpétration des infractions, c’est-à-dire seulement la veille de la déclaration à charge, le requérant était à même de comprendre la nature de ses actes et de contrôler ses actions (paragraphe 39 ci-dessus). De plus, bien qu’il affirme qu’il se trouvait sous l’empire de la drogue de l’alcool pendant son interrogatoire par la police, aucun élément concret du dossier ne permet de le confirmer ni de dire qu’il y était dépendant au point de ne pas comprendre la nature et la finalité de son interrogatoire.

104. Lors de son procès devant le tribunal de joupanie, le requérant a pu présenter tous ses arguments concernant les circonstances dans lesquelles il avait fait sa déposition et, après avoir soutenu n’en avoir jamais signé le procès-verbal, il a eu la possibilité effective de contester l’authenticité de sa signature. Or les preuves produites, notamment l’expertise graphologique, ont confirmé de manière concluante qu’il avait signé la déclaration consignant ses aveux devant la police (paragraphe 36 ci-dessus). On ne peut donc pas dire que la juridiction de jugement n’ait tenu aucun compte des exceptions d’inadmissibilité à titre de preuve de la déposition que le requérant avait soulevées (voir, par contraste, Desde c. Turquie, no 23909/03, § 130, 1er février 2011).

105. Tout au long de la procédure judiciaire, le requérant a bénéficié de bons conseils juridiques et la juridiction de jugement lui a donné une possibilité adéquate d’être associé à son procès et de présenter ses arguments sur l’ensemble des chefs d’accusation et des moyens de preuve produits. Ses arguments ont été dûment pris en considération. La Cour ajoute que, dans les plaidoiries finales de son procès qu’il a exposées par le biais de sa représentante, le requérant a présenté les aveux qu’il avait livrés devant la police alors qu’il était représenté par Me M.R. comme la preuve de ses regrets sincères pour les crimes perpétrés de manière à ce qu’il en fût tenu compte en tant que circonstance atténuante dans la procédure de fixation de la peine (paragraphe 44 ci-dessus).

106. La Cour note par ailleurs que les aveux du requérant n’étaient pas la pièce à charge essentielle (voir, par contraste, Magee c. Royaume-Uni, no 28135/95, § 45, CEDH 2000‑VI) et que la juridiction de jugement a retenu cette déclaration en l’interprétant à l’aune d’un ensemble complexe de moyens de preuve appréciés par elle (voir, à titre de comparaison, l’arrêt précité Bykov, § 103). En particulier, lorsqu’elle a reconnu le requérant coupable, ladite juridiction s’est fondée sur les déclarations d’un certain nombre de témoins contre-interrogés au cours du procès, sur de nombreuses expertises et sur les procès-verbaux de l’inspection du lieu du crime et des perquisitions, ainsi que sur des photographies pertinentes et d’autres éléments matériels (paragraphes 29-43 et 45-46 ci-dessus). De surcroît, elle avait à sa disposition les aveux des coaccusés du requérant au procès et ni eux ni lui n’ont jamais plaidé la moindre violation de leurs droits lorsqu’ils s’étaient livrés à ces aveux.

107. La Cour estime donc que, si le requérant n’a pas été représenté par un avocat choisi en toute connaissance de cause au cours de son interrogatoire par la police, le procès ne s’en est pas trouvé globalement inéquitable pour autant (voir, à titre de comparaison, O’Kane c. Royaume-Uni (déc.), no 30550/96, 6 juillet 1999), étant donné que les droits du requérant ont tous été adéquatement protégés au cours du procès et que ses aveux n’étaient pas la preuve à charge unique, et encore moins décisive, ce qui ne permet donc pas de remettre en cause sa condamnation et sa peine (voir, à titre de comparaison, Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 187, CEDH 2010, et, par contraste, Martin c. Estonie, no 35985/09, §§ 95-96, 30 mai 2013).

108. Dans ces conditions, et compte tenu du principe voulant que les exigences de l’article 6 § 3 représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1 de cette disposition (voir, par exemple, l’arrêt précité Zagorodniy, § 51) et de l’obligation lui imposant de déterminer si la procédure pénale a revêtu, dans son ensemble, un caractère équitable (Al-Khawaja et Tahery c. Royaume-Uni [GC], nos 26766/05 et 22228/06, § 118, CEDH 2011), la Cour juge qu’il n’a pas été établi que les droits de la défense en l’espèce aient été irrémédiablement lésés ni que le droit du requérant à un procès équitable, garanti par l’article 6, ait été atteint (voir, mutatis mutandis, Mamaç et autres c. Turquie, nos 29486/95, 29487/95 et 29853/96, § 48, 20 avril 2004, et, par contraste, Martin, précité, § 97).

109. Dès lors, au vu de ces éléments et des circonstances particulières de l’espèce, la Cour conclut à l’absence de violation de l’article 6 § 1 de la Convention, en combinaison avec le paragraphe 3 c) de ce même article.

III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE LA CONVENTION

110. Le requérant soutient enfin que ses demandes tendant à l’audition de certains témoins ont été rejetées en l’absence de bonnes raisons.

111. Au vu de l’ensemble des pièces du dossier, et pour autant que ces questions relèvent de sa compétence, la Cour estime que ce grief ne révèle aucune apparence de violation de la Convention. Il est donc irrecevable pour défaut manifeste de fondement, en vertu de l’article 35 § 3 de la Convention, et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Déclare, à l’unanimité, recevable le grief tiré d’une violation du droit du requérant à un procès équitable et irrecevable le reste de la requête ;

2. Dit, par cinq voix contre deux, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 et 3 c) de la Convention ;

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 28 novembre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren NielsenIsabelle Berro-Lefèvre
Greffier de sectionPrésidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée des juges Berro-Lefèvre et Laffranque.

I.B.L.

S.N.

OPINION DISSIDENTE DES JUGES BERRO-LEFÈVRE ET LAFFRANQUE

(Traduction)

Nous ne pouvons malheureusement pas suivre la majorité dans son constat de non-violation de l’article 6 § 1, en combinaison avec l’article 6 § 3 c) de la Convention. Nous estimons, pour les raisons exposées ci‑dessous, qu’il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c).

Question centrale en l’espèce et jurisprudence antérieure de la Cour

La question centrale qui se pose en l’espèce est celle du droit du requérant, garanti par l’article 6 § 3 c) de la Convention, à avoir l’assistance du défenseur de son choix. Faute pour lui d’avoir eu cette possibilité, nul ne peut exclure qu’il a été conduit, dans un environnement coercitif, à contribuer à sa propre incrimination. Tout le procès s’en est trouvé vicié et est devenu inéquitable, en violation de l’article 6 § 1.

La Cour a récemment traité d’une question similaire dans l’affaire Martin c. Estonie (no 35985/09, 30 mai 2013), où elle a conclu à une violation au motif que le conseil choisi par le requérant s’était vu refuser l’accès à ce dernier. Elle a souligné à cet égard que les garanties du paragraphe 3 c) de l’article 6 représentent des aspects particuliers du droit à un procès pénal équitable garanti par le paragraphe 1 du même article, lesquels doivent être pris en compte dès lors que se pose la question de l’équité du procès. Elle a ajouté que, sur le terrain de l’article 6 § 1, elle doit essentiellement déterminer si la procédure pénale a revêtu, dans son ensemble, un caractère équitable. Elle a aussi pris en compte l’utilisation ultérieure faite de déclarations du requérant recueillies au cours de l’enquête préliminaire en violation des droits de la défense. Il est regrettable que, dans la présente affaire, la majorité n’ait pas suivi le raisonnement adopté à l’unanimité dans l’arrêt Martin.

Violation du droit à être représenté par un conseil de son choix

En l’espèce, lorsque le requérant fut arrêté par la police, sa famille fit appel aux services de Me G.M. pour le représenter. Or la police refusa à cet avocat l’accès à l’intéressé sans le justifier par une quelconque raison valable. De plus, le requérant ne fut jamais informé que Me G.M. s’était rendu au poste de police, alors qu’il avait expressément dit qu’il souhaitait être représenté par cet avocat. Au lieu de cela, selon le Gouvernement, la police lui remit une liste d’avocats à partir de laquelle il devait en choisir un qui assurerait sa représentation lors de son interrogatoire de police, liste que le Gouvernement n’a pas produite devant la Cour.

Nous constatons avec préoccupation que, au paragraphe 94 de son arrêt, sans la moindre explication, la majorité utilise les expressions « avocat de l’aide judiciaire [fourni par la police] » et « choi[x par le requérant d’]un avocat qu’il devait rétribuer sur ses propres deniers » comme si elle trouvait normal voire légitime, pour une raison quelconque, que la police fournisse un avocat à un suspect. Cela ne cadre pas vraiment avec les extraits pertinents de la législation nationale cités au paragraphe 56 de l’arrêt : l’article 177 § 5 du code de procédure pénale croate prévoit en effet que les autorités policières permettent au suspect de désigner un avocat à partir de la liste d’avocats de permanence adressée à l’autorité policière compétente par le barreau croate.

Nous ne saisissons pas le sens de la distinction faite par la majorité au paragraphe 94 de l’arrêt entre les situations « où la police a non pas désigné un avocat de l’aide judiciaire pour le requérant, mais plutôt où elle a proposé à ce dernier de choisir un avocat qu’il devait rétribuer sur ses propres deniers ». À nos yeux, la question de la rétribution à cet égard ne se pose pas car, dans de nombreux systèmes de droit, même les honoraires des avocats de l’aide judiciaire doivent être ultérieurement réglés par l’accusé. Les modalités de rétribution de l’avocat ne devraient pas en elles-mêmes être un critère permettant de déterminer s’il y a eu « assistance par un défenseur de son choix » ou pas. En l’espèce, c’est plutôt le fait que Me M.R. n’a pas fait payer ses prestations au requérant qui jette le doute sur la bonne foi de la police.

Le Gouvernement ne conteste pas que l’avocat désigné, Me M.R., est un ancien chef de la police de Rijeka et qu’il n’a jamais fait payer ses prestations au requérant lorsqu’il l’a représenté.

La Cour a toujours dit qu’un accusé qui ne veut pas se défendre lui‑même doit pouvoir recourir aux services d’un défenseur de son choix (Campbell et Fell c. Royaume-Uni, 28 juin 1984, § 99, série A no 80). Certes, malgré l’importance d’une relation de confiance entre l’avocat et son client, on ne saurait prêter au droit à celle-ci un caractère absolu, mais les autorités ne peuvent outrepasser les souhaits de l’accusé quant à sa représentation en justice que lorsqu’il y a des raisons pertinentes et suffisantes d’estimer que les intérêts de la justice l’exigent (Pavlenko c. Russie, no 42371/02, § 98, 1er avril 2010).

Nous ne pouvons cautionner l’action de la police lorsqu’elle a empêché Me G.M. de contacter le requérant et qu’elle n’a pas informé ce dernier de la présence de Me G.M. au poste de police alors qu’il souhaitait être représenté par cet avocat, ni la manière dont Me M.R. est intervenu en l’espèce. Contrairement aux principes susmentionnés, il n’y avait au vu des pièces à charge aucune bonne raison – et encore moins une raison suffisante et pertinente – de s’opposer à ce que Me G.M. assistât le requérant pendant son interrogatoire de police, et ni les juridictions nationales ni le Gouvernement n’ont avancé le moindre argument pour justifier ce refus.

Au vu des circonstances, le profil de Me M.R. et le fait qu’il n’a pas fait payer le requérant sont d’autres éléments pertinents et préoccupants. À nos yeux, le requérant n’a pas renoncé à son droit à faire appel à Me G.M. car il n’avait pas été informé de l’arrivée de cet avocat au poste de police lorsqu’il a signé la procuration pour Me M.R.

Il y a lieu de noter que la majorité elle aussi doute fort que la police ait agi de bonne foi et que Me M.R. soit l’avocat que le requérant aurait effectivement choisi s’il avait su que ses parents avaient engagé Me G.M., l’autre avocat (§ 98 de l’arrêt). La majorité reconnaît également que la seule signature par le requérant de la procuration avec Me M.R. ne vaut pas « renonciation éclairée et consentie » à son droit à faire appel à Me G.M. aux fins de sa représentation. Il est donc d’autant plus frappant que, bien que gravement préoccupée par la manière dont les autorités nationales ont agi (§ 100 de l’arrêt) et par le refus d’autoriser le requérant à être représenté par un avocat de son choix au cours de l’interrogatoire préliminaire – un stade crucial de la procédure pénale –, la majorité ait conclu à l’absence de violation de l’article 6 § 3 c). À nos yeux, ces graves doutes, y compris sur la façon dont la police a proposé au requérant les services de Me M.R., sont des motifs valables justifiant un constat de violation.

Pressions peut-être exercées par la police pour obtenir des aveux

Par ailleurs, le requérant n’a cessé de soutenir que sa déposition avait été recueillie dans un environnement coercitif. Puisqu’il est établi que la police et le procureur de Rijeka ont interrogé le requérant tout en l’empêchant de s’entretenir avec Me G.M. et en lui suggérant de choisir un autre avocat proposé par eux, les allégations du requérant faisant état de pressions exercées par les autorités n’apparaissent pas complètement déplacées.

Par conséquent, le constat opéré par la majorité au paragraphe 106 de l’arrêt, selon lequel jamais le requérant n’a plaidé la moindre violation de ses droits lorsqu’il a déposé semble contredire l’exposé des faits au paragraphe 38 de l’arrêt, où on peut lire ceci : « [l]e 2 avril 2008, le requérant pria le tribunal de joupanie de convoquer Me G.M. afin qu’il témoignât de l’extorsion d’aveux dont la police se serait rendue coupable à son encontre. Il soulignait que Me G.M. n’avait pas été autorisé à le voir pendant qu’il se trouvait en garde à vue et affirmait que des policiers l’avaient forcé à avouer ».

De plus, nous ne pouvons adhérer à la conclusion suivante de la majorité au paragraphe 105 de l’arrêt : « [l]a Cour ajoute que, dans les plaidoiries finales de son procès qu’il a exposées par le biais de sa représentante, le requérant a présenté les aveux qu’il avait livrés devant la police alors qu’il était représenté par Me M.R. comme la preuve de ses regrets sincères pour les crimes perpétrés de manière à ce qu’il en fût tenu compte en tant que circonstance atténuante dans la procédure de fixation de la peine ». Au paragraphe 42 de l’arrêt, il est indiqué que le requérant a plaidé non coupable des charges retenues contre lui et, au paragraphe 44, il est précisé que, lors des plaidoiries finales, « [l]’avocate du requérant argua qu’il n’avait pas été établi que ce dernier fût l’auteur des infractions dont il était inculpé. Elle souligna toutefois que, au cas où la juridiction de jugement en déciderait autrement, les aveux formulés par son client devant la police et ses regrets sincères devraient alors être pris en considération dans la fixation de sa peine ». Ainsi, l’avocate a utilisé la tactique courante de l’argumentation subsidiaire et a invoqué les aveux, en cas de verdict de culpabilité, comme circonstance atténuante, ce qui n’est pas du tout la même chose que s’en tenir aux aveux auxquels le requérant s’était livré alors qu’il était représenté par Me M.R.

Les aveux comme moyen de preuve et la question du caractère globalement équitable de la procédure pénale

Certes, le requérant a bénéficié d’un procès contradictoire au cours duquel il a été représenté par un avocat mais, lors de la suite de la procédure, il n’a pas été remédié au préjudice causé à lui par la violation de ses garanties fondamentales au stade préliminaire. Nous estimons que les graves défaillances dans sa représentation en justice à un stade aussi important de la phase antérieure au procès a gravement compromis la position de la défense pendant le procès aussi. Au cours de ce dernier, ses aveux ont été jugés admissibles à titre de preuve et, bien que d’autres moyens de preuve aient été produits et que ces aveux ne fussent pas la seule preuve, ils n’en ont pas moins joué un rôle décisif, sans qu’aucune importance n’ait été attachée aux circonstances dans lesquelles ils avaient été recueillis (Panovits c. Chypre, no 4268/04, § 75, 11 décembre 2008).

Pour toutes ces raisons, nous concluons à la violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention à raison du non-respect du droit du requérant à l’assistance d’un défenseur de son choix.


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