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26/11/2013 | CEDH | N°001-138939

CEDH | CEDH, AFFAIRE X c. LETTONIE, 2013, 001-138939


GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE X c. LETTONIE

(Requête no 27853/09)

ARRÊT

STRASBOURG

26 novembre 2013




En l’affaire X c. Lettonie,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Dean Spielmann, président,

Nicolas Bratza,
Guido Raimondi,
Ineta Ziemele,
Mark Villiger,
Nina Vajić,
Khanlar Hajiyev,
Danutė Jočienė,
Ján Šikuta,
Päivi Hirvelä,
George Nicolaou,
Zdravka Kalaydjieva,
Nebojša Vučinić,
Angelika Nußberge

r,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos, juges,

et de Michael O’Boyle, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre ...

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE X c. LETTONIE

(Requête no 27853/09)

ARRÊT

STRASBOURG

26 novembre 2013

En l’affaire X c. Lettonie,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Dean Spielmann, président,

Nicolas Bratza,
Guido Raimondi,
Ineta Ziemele,
Mark Villiger,
Nina Vajić,
Khanlar Hajiyev,
Danutė Jočienė,
Ján Šikuta,
Päivi Hirvelä,
George Nicolaou,
Zdravka Kalaydjieva,
Nebojša Vučinić,
Angelika Nußberger,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos, juges,

et de Michael O’Boyle, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 10 octobre 2012 et 25 septembre 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 27853/09) dirigée contre la République de Lettonie et dont une ressortissante de cet État, Mme X (« la requérante »), a saisi la Cour le 8 mai 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le président de la Grande Chambre a décidé d’accorder d’office la non-divulgation de l’identité de la requérante (article 47 § 3 du règlement de la Cour – « le règlement »).

2. La requérante a été représentée par M. R. Strauss, juriste à Rīga. Le gouvernement letton (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme K. Līce.

3. La requérante alléguait avoir été victime, en raison de la décision des juridictions lettones d’ordonner le retour de sa fille en Australie en application de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, d’une atteinte à son droit au respect de sa vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention.

4. La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Le 15 novembre 2011, une chambre de ladite section, composée de Josep Casadevall, président, Corneliu Bîrsan, Alvina Gyulumyan, Egbert Myjer, Ineta Ziemele, Luis López Guerra et Kristina Pardalos, juges, ainsi que de Santiago Quesada, greffier de section, l’a déclarée recevable et a adopté un arrêt. À la majorité, elle y constate une violation de l’article 8 de la Convention. Une opinion dissidente des juges Myjer et López Guerra a été jointe à l’arrêt rendu le 13 décembre 2011.

5. Le 13 mars 2012, le Gouvernement a demandé le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre, conformément à l’article 43 de la Convention. Cette demande a été acceptée par le collège de la Grande Chambre le 4 juin 2012.

6. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement. Lors des délibérations finales, Nicolas Bratza et Nina Vajić ont continué de siéger après l’expiration de leur mandat, en vertu des articles 23 § 3 de la Convention et 24 § 4 du règlement.

7. Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations écrites complémentaires (article 59 § 1 du règlement). Des observations ont également été reçues des gouvernements finlandais et tchèques, ainsi que de l’organisation non gouvernementale « Reunite International Child Abduction Centre », le président les ayant autorisés à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 du règlement).

8. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 10 octobre 2012 (article 59 § 3 du règlement).

Ont comparu :

– pour le Gouvernement
MmesK. Līce, agent,
I. Reine, conseil,
A. Rutka-Kriškalne, conseiller ;

– pour la requérante

M.R. Strauss, conseil.

La Cour a entendu en leurs déclarations Mme Līce et M. Strauss.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

9. La requérante est née en 1974 et réside actuellement en Australie. Ressortissante lettonne, elle a également obtenu la nationalité australienne en 2007.

10. Après avoir rencontré T. et noué une relation avec lui au début de l’année 2004, elle emménagea dans son appartement à la fin de la même année, alors qu’elle était toujours mariée à un autre homme, R. L., dont elle divorça le 24 novembre 2005.

11. Le 9 février 2005, la requérante donna naissance à une fille, E. Le certificat de naissance de l’enfant ne précisa pas le nom du père et aucun test de paternité ne fut pratiqué. Par la suite, la requérante, qui vivait toujours avec T., perçut des prestations au titre de l’aide aux parents isolés. Nonobstant la dégradation de leur relation, la requérante continua d’habiter chez T., en qualité de locataire.

12. Le 17 juillet 2008, la requérante quitta l’Australie pour la Lettonie avec sa fille, alors âgée de trois ans et cinq mois.

A. La procédure en Australie

13. Le 19 août 2008, T. saisit le tribunal aux affaires familiales en Australie, en vue de faire reconnaître ses droits parentaux à l’égard de l’enfant. À l’appui de ses prétentions, dans une déposition écrite rédigée sous serment, il déclara : qu’il entretenait une relation avec la requérante depuis 2004 et que cette dernière lui avait toujours dit qu’il était le père de l’enfant ; que la location de l’appartement par la requérante était fictive et résultait de leur accord mutuel ; qu’il avait produit de fausses déclarations aux services sociaux, afin de permettre à la requérante de percevoir l’allocation de parent isolé. T. affirma que la requérante avait quitté le territoire australien avec l’enfant sans son consentement, en violation de l’article 3 de la Convention de La Haye, pour se rendre dans un lieu de résidence inconnu en Lettonie. À l’appui de sa demande, il produisit des courriels échangés avec des membres de sa famille.

14. La requérante, bien qu’apparemment invitée par différents moyens à assister à l’audience ou à la suivre par la voie téléphonique, ne se présenta pas.

15. Par un jugement du 6 novembre 2008, le tribunal aux affaires familiales australien constata la paternité de T. à l’égard de l’enfant et jugea que la requérante et T. avaient conjointement la responsabilité parentale de leur fille depuis la naissance de celle-ci. Il ajouta que l’examen de l’affaire se poursuivrait une fois l’enfant de retour en Australie, tout en s’exprimant ainsi :

« (...) cependant, il ne me revient bien évidemment pas de dire si la présence de l’enfant en Lettonie est la conséquence d’un déplacement ou non-retour illégal. Avec tout le respect que je lui dois, c’est au juge letton compétent de trancher cette question. »

16. La requérante n’interjeta pas appel de ce jugement.

B. La procédure en Lettonie

17. Le 22 septembre 2008, le ministère de l’Enfance et des Affaires familiales, autorité centrale lettone chargée de l’application de la Convention de La Haye, reçut de son homologue australien une demande de T. tendant au retour de l’enfant en Australie sur le fondement de cette convention internationale. La demande de retour était accompagnée d’une déclaration écrite sous serment explicitant le droit australien applicable et certifiant, sans préjuger la question de la paternité, qu’à la date où l’enfant avait été déplacée d’Australie T. exerçait conjointement sur elle la responsabilité parentale au sens de l’article 5 de la Convention de La Haye.

18. Le 19 novembre 2008, le tribunal de l’arrondissement de Zemgale de la ville de Rīga (« le tribunal d’arrondissement ») examina cette demande en présence à la fois de T. et de la requérante.

19. À l’audience, la requérante s’opposa à la demande de T. Elle expliqua que celui-ci n’était pas fondé à se faire reconnaître comme père, dès lors qu’au moment de la naissance elle était encore mariée à un autre homme et que T. n’avait jamais exprimé sa volonté de faire établir sa paternité avant son départ d’Australie. Elle soutint que T. étant devenu hostile et parfois agressif à son égard, elle avait demandé la convocation, en qualité de témoins, de personnes qui lui avaient rendu visite en Australie. La requérante prétendit en outre que T. n’exerçait ce recours que pour en tirer profit dans le cadre d’une procédure pénale qui, selon elle, aurait été dirigée contre lui en Australie.

20. Le représentant du « Bāriņtiesa », un organe de tutelle et de curatelle institué par le conseil municipal de Rīga, sollicita le rejet de la demande de T. en soutenant, d’une part, que la requérante était une mère isolée à la date où l’enfant avait été déplacé d’Australie et, d’autre part, que cette dernière avait noué des attaches avec la Lettonie.

21. Par un jugement du 19 novembre 2008, le tribunal d’arrondissement fit droit à la demande de T., ordonnant le retour immédiat de l’enfant en Australie, et au plus tard dans les six semaines à compter de sa décision. Dans sa motivation, relevant que les autorités australiennes avaient établi que la requérante et T. exerçaient conjointement la responsabilité parentale, le tribunal considéra tout d’abord que les tribunaux lettons ne pouvaient ni revenir sur cette décision ni interpréter et appliquer le droit australien. Il jugea en outre qu’en application des articles 1er et 14 de la Convention de La Haye, les juridictions lettones n’avaient pas compétence pour se prononcer sur la responsabilité parentale de T. à l’égard de l’enfant, mais uniquement sur le départ de l’enfant d’Australie et sur son éventuel retour. Il estima que le déplacement de l’enfant avait été illégal et effectué sans le consentement de T. Quant à l’application de l’article 13 de la Convention de La Haye, il considéra, au vu de photos et de copies de courriels échangés entre la requérante et des proches de T., que ce dernier avait pris soin de l’enfant avant son départ pour la Lettonie. Tout en notant que des dépositions de témoins faisaient état de disputes entre les parents et du fait que T. se serait comporté de manière irascible à l’égard de la requérante et de l’enfant, il jugea que cela ne permettait pas d’affirmer que T. n’avait pas pris soin de l’enfant. Enfin, le tribunal écarta l’allégation de risque de danger psychique pour l’enfant en cas de retour, n’y voyant qu’une supposition non étayée.

22. La requérante interjeta appel, soutenant qu’à la date de leur départ de l’Australie, elle était le seul tuteur de jure et de facto de l’enfant et, en outre, que le retour de sa fille en Australie l’exposerait à un danger psychique. Sur ce dernier point, elle produisit un certificat rédigé à sa demande par un psychologue après le jugement de première instance. Cette attestation, s’appuyant sur un examen de E. effectué le 16 décembre 2008, précisait notamment ce qui suit :

« Bien qu’il ressorte de l’examen que son développement soit adéquat du point de vue des connaissances et du langage, l’enfant ne peut, en raison de son jeune âge, dire quel lieu de résidence elle préfère (...) Compte tenu de l’âge de l’enfant et de ses liens émotionnels étroits avec sa mère, normaux à son âge, son bien-être émotionnel repose principalement sur l’équilibre psychologique de [la requérante] et est étroitement lié à celui-ci. (...) [L]’enfant a besoin de la présence quotidienne de sa mère et de vivre en permanence avec elle en un même lieu. Vu son âge – trois ans et dix mois –, une séparation immédiate d’avec sa mère est à exclure, sinon l’enfant risque de subir un traumatisme psychologique en ce que son sentiment de sécurité et de confiance en soi pourrait s’en trouver affecté. »

23. La requérante fit également valoir à hauteur d’appel que le letton était la langue maternelle de l’enfant, que celle-ci avait suivi des activités préscolaires en Lettonie, qu’elle n’avait aucune attache en Australie et qu’elle avait besoin de la présence de sa mère. Elle allégua que T. ne les avait jamais aidées financièrement et les avait maltraitées. De plus, elle reprocha au premier juge d’avoir refusé de demander aux autorités australiennes des éléments d’information sur le profil pénal, les condamnations antérieures de T. et sur les chefs d’accusation de corruption qui auraient, selon elle, pesé sur lui. Elle affirma en outre qu’en cas de retour en Australie, elle serait sans emploi et sans ressources, tout en reprochant au tribunal d’arrondissement d’avoir omis de prévoir des mesures de protection en cas de retour.

24. Le 6 janvier 2009, saisi par la requérante, le tribunal d’arrondissement ordonna le sursis à exécution de la décision de retour du 19 novembre 2008 pendant la durée d’examen de l’appel. Se fondant sur le préambule de la Convention de La Haye, il jugea que l’intérêt de l’enfant devait l’emporter sur le retour immédiat, que l’enfant était attachée à sa mère et que, d’après l’expertise psychologique fournie par celle-ci, une brusque interruption du contact avec sa mère la traumatiserait.

25. Le 26 janvier 2009, après une audience en présence de la requérante et de T., la cour régionale de Rīga (Rīgas Apgabaltiesa) confirma le jugement de première instance. Elle jugea que la demande de T. était conforme à la Convention de La Haye, tout en rappelant les brefs délais prévus par celle-ci et en observant qu’aucune formalité ni analyse n’était nécessaire pour reconnaître la décision de la juridiction australienne. De plus, elle considéra que la juridiction inférieure avait correctement établi, sur la base de tous les éléments pertinents, notamment les lettres et les photographies produites, que T. prenait soin de l’enfant. S’agissant de l’argument de la requérante et du représentant du « Bāriņtiesa » au sujet de l’absence alléguée d’informations sur la situation de l’enfant en cas de retour en Australie, elle estima que :

« (...) rien ne permet de douter de la qualité de la protection sociale et de la sécurité offertes aux enfants en Australie étant donné que, d’après [la déposition écrite sous serment], la législation australienne assure entre autres la sécurité des enfants et [leur] protection contre les mauvais traitements domestiques. »

26. Concernant les allégations de la requérante, elle jugea ce qui suit :

« [La Cour] rejette (...) l’allégation selon laquelle [T.] a maltraité [la requérante] et l’enfant, ainsi que [l’allégation] selon laquelle T. est passible d’une peine d’emprisonnement pour [les chefs d’accusation dirigés contre lui], aucune pièce n’ayant été produite pour établir, fût-ce indirectement, ces éléments.

La conclusion de [l’examen psychologique] du 16 décembre 2008 ne peut non plus tenir lieu de preuve pour empêcher le retour de l’enfant vers l’État requérant. Certes, elle précisait que l’enfant avait besoin de sa mère et qu’une séparation immédiate d’avec elle était à exclure. Cependant, la question dont la Cour de céans est saisie ne touche pas au droit de garde (...) Aux termes de l’article 19 de la Convention de La Haye, une décision sur le retour de l’enfant rendue dans le cadre de cette même convention n’affecte pas le fond du droit de garde.

[La Cour] estime que [l’enfant] n’a pas atteint un âge ou un degré de maturité qui lui permettrait de formuler une opinion sur son retour en Australie. »

27. Le 5 février 2009, un huissier somma la requérante d’obtempérer à la décision ordonnant le retour de l’enfant au plus tard le 19 février 2009. La requérante refusa de s’exécuter.

28. À une date non précisée, un huissier saisit le tribunal d’arrondissement aux fins d’exécution de la décision ordonnant le retour de l’enfant. Parallèlement, saisi d’une demande de la requérante tendant à l’obtention d’un sursis à exécution de cette décision pour une durée de six à douze mois, le tribunal fixa une date d’audience au 16 avril 2009.

29. Le 6 mars 2009, à la demande de T., l’autorité centrale lettone pria le « Bāriņtiesa » de se renseigner sur les conditions de vie de l’enfant et de signifier à la requérante la demande de T. tendant à voir l’enfant.

30. Le 14 mars 2009, à l’occasion d’une rencontre fortuite près d’un centre commercial, T. rencontra la requérante et E. Profitant de cette situation, il prit E., la conduisit en voiture à Tallinn (Estonie) et entama ensuite le voyage de retour vers l’Australie. Le 16 mars 2009, l’autorité centrale lettone adressa à son homologue estonienne, à la demande de celle-ci et en vue d’autoriser T. à prendre un vol en direction d’Helsinki, les informations concernant le droit, pour T., de rentrer en Australie avec sa fille.

31. Par la suite, une plainte déposée par la requérante pour enlèvement n’aboutit pas, à l’instar d’un recours disciplinaire dirigé contre l’autorité centrale lettone et de la demande de sursis, devenue sans objet.

C. La situation en Australie depuis le retour de l’enfant

32. En septembre 2009, le tribunal aux affaires familiales australien invalida toutes les décisions antérieures concernant les droits des parents et jugea que T. avait seul la responsabilité parentale de l’enfant. Tout en interdisant à la requérante de discuter en public de toute question concernant l’enfant ou T., il l’autorisa à rendre visite à sa fille, sous la surveillance d’un travailleur social. Par ailleurs, le tribunal lui interdit, d’une part, de parler à sa fille en langue lettone et, d’autre part, tant que l’enfant n’aurait pas atteint l’âge de onze ans, de visiter ou de prendre contact par quelque moyen que ce soit avec les centres d’accueil pour enfants et les établissements préscolaires ou scolaires où serait inscrite sa fille, ainsi qu’avec les parents de tout autre enfant inscrit dans ces mêmes centres et établissements.

33. Devant la Grande Chambre, le Gouvernement, faisant référence à un article paru dans la presse lettone en octobre 2011 et qui contient notamment des déclarations faites par la sœur de la requérante, indique que la requérante est retournée vivre en Australie, qu’elle y dispose d’un logement et qu’elle travaille dans une institution publique d’aide sociale. Il précise en outre qu’elle maintient des contacts réguliers avec sa fille, en la rencontrant deux fois par semaine dans un centre social, et qu’elle a pu la voir sans la présence d’un travailleur social.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

A. La Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants (« la Convention de La Haye »)

34. Les dispositions pertinentes de la Convention de La Haye stipulent ce qui suit :

« Les États signataires de la présente Convention,

Profondément convaincus que l’intérêt de l’enfant est d’une importance primordiale pour toute question relative à sa garde,

Désirant protéger l’enfant, sur le plan international, contre les effets nuisibles d’un déplacement ou d’un non-retour illicites et établir des procédures en vue de garantir le retour immédiat de l’enfant dans l’État de sa résidence habituelle, ainsi que d’assurer la protection du droit de visite,

Ont résolu de conclure une Convention à cet effet, et sont convenus des dispositions suivantes :

(...)

Article premier

La présente Convention a pour objet :

a) d’assurer le retour immédiat des enfants déplacés ou retenus illicitement dans tout État contractant ;

b) de faire respecter effectivement dans les autres États contractants les droits de garde et de visite existant dans un État contractant.

(...)

Article 3

Le déplacement ou le non-retour d’un enfant est considéré comme illicite :

a) lorsqu’il a lieu en violation d’un droit de garde, attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement, par le droit de l’État dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour ; et

b) que ce droit était exercé de façon effective seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non-retour, ou l’eût été si de tels événements n’étaient survenus.

Le droit de garde visé en a) peut notamment résulter d’une attribution de plein droit, d’une décision judiciaire ou administrative, ou d’un accord en vigueur selon le droit de cet État.

Article 4

La Convention s’applique à tout enfant qui avait sa résidence habituelle dans un État contractant immédiatement avant l’atteinte aux droits de garde ou de visite. L’application de la Convention cesse lorsque l’enfant parvient à l’âge de seize ans.

Article 5

Au sens de la présente Convention :

a) le « droit de garde » comprend le droit portant sur les soins de la personne de l’enfant, et en particulier celui de décider de son lieu de résidence ;

b) le « droit de visite » comprend le droit d’emmener l’enfant pour une période limitée dans un lieu autre que celui de sa résidence habituelle.

(...)

Article 11

Les autorités judiciaires ou administratives de tout État contractant doivent procéder d’urgence en vue du retour de l’enfant.

Lorsque l’autorité judiciaire ou administrative saisie n’a pas statué dans un délai de six semaines à partir de sa saisine, le demandeur ou l’Autorité centrale de l’État requis, de sa propre initiative ou sur requête de l’autorité centrale de l’État requérant, peut demander une déclaration sur les raisons de ce retard. (...)

Article 12

Lorsqu’un enfant a été déplacé ou retenu illicitement au sens de l’article 3 et qu’une période de moins d’un an s’est écoulée à partir du déplacement ou du non-retour au moment de l’introduction de la demande devant l’autorité judiciaire ou administrative de l’État contractant où se trouve l’enfant, l’autorité saisie ordonne son retour immédiat.

L’autorité judiciaire ou administrative, même saisie après l’expiration de la période d’un an prévue à l’alinéa précédent, doit aussi ordonner le retour de l’enfant, à moins qu’il ne soit établi que l’enfant s’est intégré dans son nouveau milieu.

Lorsque l’autorité judiciaire ou administrative de l’État requis a des raisons de croire que l’enfant a été emmené dans un autre État, elle peut suspendre la procédure ou rejeter la demande de retour de l’enfant.

Article 13

Nonobstant les dispositions de l’article précédent, l’autorité judiciaire ou administrative de l’État requis n’est pas tenue d’ordonner le retour de l’enfant, lorsque la personne, l’institution ou l’organisme qui s’oppose à son retour établit :

a) que la personne, l’institution ou l’organisme qui avait le soin de la personne de l’enfant n’exerçait pas effectivement le droit de garde à l’époque du déplacement ou du non-retour, ou avait consenti ou a acquiescé postérieurement à ce déplacement ou à ce non-retour ; ou

b) qu’il existe un risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable.

L’autorité judiciaire ou administrative peut aussi refuser d’ordonner le retour de l’enfant si elle constate que celui-ci s’oppose à son retour et qu’il a atteint un âge et une maturité où il se révèle approprié de tenir compte de cette opinion.

Dans l’appréciation des circonstances visées dans cet article, les autorités judiciaires ou administratives doivent tenir compte des informations fournies par l’Autorité centrale ou toute autre autorité compétente de l’État de la résidence habituelle de l’enfant sur sa situation sociale.

Article 14

Pour déterminer l’existence d’un déplacement ou d’un non-retour illicite au sens de l’article 3, l’autorité judiciaire ou administrative de l’État requis peut tenir compte directement du droit et des décisions judiciaires ou administratives reconnues formellement ou non dans l’État de la résidence habituelle de l’enfant, sans avoir recours aux procédures spécifiques sur la preuve de ce droit ou pour la reconnaissance des décisions étrangères qui seraient autrement applicables.

(...)

Article 16

Après avoir été informées du déplacement illicite d’un enfant ou de son non-retour dans le cadre de l’article 3, les autorités judiciaires ou administratives de l’État contractant où l’enfant a été déplacé ou retenu ne pourront statuer sur le fond du droit de garde jusqu’à ce qu’il soit établi que les conditions de la présente Convention pour un retour de l’enfant ne sont pas réunies, ou jusqu’à ce qu’une période raisonnable ne se soit écoulée sans qu’une demande en application de la Convention n’ait été faite.

Article 17

Le seul fait qu’une décision relative à la garde ait été rendue ou soit susceptible d’être reconnue dans l’État requis ne peut justifier le refus de renvoyer l’enfant dans le cadre de cette Convention, mais les autorités judiciaires ou administratives de l’État requis peuvent prendre en considération les motifs de cette décision qui rentreraient dans le cadre de l’application de la Convention.

(...)

Article 19

Une décision sur le retour de l’enfant rendue dans le cadre de la Convention n’affecte pas le fond du droit de garde.

Article 20

Le retour de l’enfant conformément aux dispositions de l’article 12 peut être refusé quand il ne serait pas permis par les principes fondamentaux de l’État requis sur la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

(...) »

35. Le rapport explicatif de la Convention de La Haye de 1980 sur l’enlèvement international d’enfants, rédigé par Elisa Pérez-Vera et publié par la Conférence de La Haye de droit international privé (HCCH) en 1982, vise à mettre en relief les principes qui sont à la base de la Convention de La Haye, ainsi qu’à fournir un commentaire détaillé de ses dispositions à ceux qui sont chargés de l’appliquer. Il ressort de ce rapport qu’afin de décourager la possibilité pour l’enleveur de faire légaliser son action dans l’État de refuge, la Convention consacre, outre son aspect préventif, le rétablissement du statu quo, par une décision de retour immédiat de l’enfant qui permet de rétablir la situation modifiée unilatéralement et de manière illicite. Le respect du droit de garde échappe quant à lui presque entièrement au domaine de cette convention, la discussion sur cette question devant être engagée devant les juridictions compétentes de l’État où l’enfant avait sa résidence habituelle avant son déplacement. La philosophie de la Convention de La Haye est de lutter contre la multiplication des enlèvements internationaux d’enfants en s’inspirant toujours du désir de protéger les enfants et en se faisant l’interprète de leur véritable intérêt. Partant, les objectifs de prévention et de retour immédiat répondent à une conception déterminée de « l’intérêt supérieur de l’enfant ». Cependant, le déplacement d’un enfant pouvant être justifié par des raisons objectives touchant soit à sa personne, soit à l’environnement qui lui était le plus proche, la Convention reconnaît certaines exceptions à l’obligation générale qui pèse sur les États d’assurer le retour immédiat (§ 25). Le retour de l’enfant étant l’idée de base de la Convention, les exceptions à l’obligation générale de l’assurer constituent un aspect important pour en comprendre avec exactitude la portée et il est possible de distinguer des exceptions basées sur trois justifications différentes (§ 27). D’une part, les autorités de l’État requis ne sont pas tenues d’ordonner le retour de l’enfant lorsque le demandeur n’exerçait pas de façon effective la garde ou lorsque son comportement montre une acceptation de la nouvelle situation (§ 28). D’autre part, les alinéas 1 b) et 2 de l’article 13 retiennent des exceptions s’inspirant clairement de la prise en considération de l’intérêt de l’enfant, auquel la Convention donne un contenu précis. Ainsi, l’intérêt de l’enfant de ne pas être déplacé de sa résidence habituelle, sans garanties suffisantes de stabilité de la nouvelle situation, cède le pas devant l’intérêt primaire de toute personne de ne pas être exposée à un danger physique ou psychique, ou placée dans une situation intolérable (§ 29). Enfin, il n’existe pas d’obligation de faire revenir l’enfant quand, aux termes de l’article 20, ceci « ne serait pas permis par les principes fondamentaux de l’État requis pour la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales » (§ 31). Le rapport explicatif, qui explicite ces exceptions, souligne également la marge d’appréciation inhérente à la fonction judiciaire.

36. La HCCH a publié en 2003 la « Deuxième Partie du Guide de bonnes pratiques en vertu de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants ». Bien que principalement destiné aux nouveaux États contractants et n’ayant pas d’effet contraignant, notamment à l’égard du pouvoir judiciaire, ce document vise à faciliter la mise en œuvre de la Convention en apportant de nombreuses recommandations et précisions. Il souligne à plusieurs reprises l’importance du rapport explicatif de la Convention de La Haye, dit Rapport Pérez-Vera, comme aide à l’interprétation cohérente et à la compréhension de la Convention de La Haye (voir, par exemple, les points 3.3.2 « Implications de la démarche de transformation » et 8.1 « Rapport explicatif de la Convention : le Rapport Pérez-Vera »). Il insiste tout particulièrement sur le fait que les autorités judiciaires et administratives sont notamment soumises à une obligation de traiter avec diligence les demandes de retour, y compris en appel (point 1.5 « Procédure expéditive »). Les procédures diligentes devraient être définies comme étant des procédures qui sont à la fois rapides et efficaces : la prise rapide de décisions en application de la convention est favorable à l’intérêt des enfants (point 6.4 « Suivi des affaires »). Le Guide de bonnes pratiques précise que le retard et le défaut d’exécution de décisions de retour dans certains États contractants constituent des motifs de grave préoccupation : il recommande aux États d’assurer l’existence de mécanismes simples et efficaces d’exécution des ordonnances de retour, ce dernier devant avoir effectivement lieu et ne pas être seulement ordonné (point 6.7 « Exécution »).

B. La Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant

37. Les dispositions pertinentes de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant, conclue à New York le 20 novembre 1989, se lisent comme suit :

Préambule

« Les États parties à la présente Convention,

(...)

Convaincus que la famille, unité fondamentale de la société et milieu naturel pour la croissance et le bien-être de tous ses membres, et en particulier des enfants, doit recevoir la protection et l’assistance dont elle a besoin pour pouvoir jouer pleinement son rôle dans la communauté,

Reconnaissant que l’enfant, pour l’épanouissement harmonieux de sa personnalité, doit grandir dans le milieu familial, dans un climat de bonheur, d’amour et de compréhension,

(...)

Sont convenus de ce qui suit :

(...)

Article 7

1. L’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci (...) le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux.

(...)

Article 9

1. Les États parties veillent à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré (...)

Article 14

1. Les États parties respectent le droit de l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion.

2. Les États parties respectent le droit et le devoir des parents ou, le cas échéant, des représentants légaux de l’enfant, de guider celui-ci dans l’exercice du droit susmentionné d’une manière qui corresponde au développement de ses capacités.

(...)

Article 18

1. Les États parties s’emploient de leur mieux à assurer la reconnaissance du principe selon lequel les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est d’élever l’enfant et d’assurer son développement. La responsabilité d’élever l’enfant et d’assurer son développement incombe au premier chef aux parents ou, le cas échéant, à ses représentants légaux. Ceux-ci doivent être guidés avant tout par l’intérêt supérieur de l’enfant.

(...) »

38. Le concept de l’intérêt supérieur de l’enfant, issu du deuxième principe de la Déclaration des droits de l’enfant du 20 novembre 1959, fut repris en 1989 à l’article 3 § 1 de la Convention relative aux droits de l’enfant :

« Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. »

39. Dans son Observation générale no 7 (2005) sur la mise en œuvre des droits de l’enfant dans la petite enfance, le Comité des droits de l’enfant a souhaité encourager les États parties à reconnaître que les jeunes enfants jouissent de tous les droits garantis par cette convention et que la petite enfance est une période déterminante pour la réalisation de ces droits. Il traite notamment de l’intérêt supérieur de l’enfant à l’article 13, qui est rédigé comme suit :

« 13. Intérêt supérieur de l’enfant. L’article 3 de la Convention consacre le principe selon lequel l’intérêt supérieur de l’enfant est une considération primordiale dans toutes les décisions concernant les enfants. En raison de leur manque relatif de maturité, les jeunes enfants dépendent des autorités compétentes pour définir leurs droits et leur intérêt supérieur et les représenter lorsqu’elles prennent des décisions et des mesures affectant leur bien-être, tout en tenant compte de leur avis et du développement de leurs capacités. Le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant est mentionné à de nombreuses reprises dans la Convention (notamment aux articles 9, 18, 20 et 21, qui sont les plus pertinents pour la petite enfance). Ce principe s’applique à toutes les décisions concernant les enfants et doit être accompagné de mesures efficaces tendant à protéger leurs droits et à promouvoir leur survie, leur croissance et leur bien-être ainsi que de mesures visant à soutenir et aider les parents et les autres personnes qui ont la responsabilité de concrétiser au jour le jour les droits de l’enfant :

a) Intérêt supérieur de l’enfant en tant qu’individu. Dans toute décision concernant notamment la garde, la santé ou l’éducation d’un enfant, dont les décisions prises par les parents, les professionnels qui s’occupent des enfants et autres personnes assumant des responsabilités à l’égard d’enfants, le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant doit être pris en considération. Les États parties sont instamment priés de prendre des dispositions pour que les jeunes enfants soient représentés de manière indépendante, dans toute procédure légale, par une personne agissant dans leur intérêt et pour que les enfants soient entendus dans tous les cas où ils sont capables d’exprimer leurs opinions ou leurs préférences ;

(...) »

40. Pour un plus ample exposé, voir l’arrêt Neulinger et Shuruk c. Suisse ([GC], no 41615/07, §§ 49 à 55, CEDH 2010).

C. Le droit de l’Union européenne

41. Les dispositions pertinentes de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne prévoient ce qui suit :

Article 7 – Respect de la vie privée et familiale

« Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications. »

Article 24 – Droits de l’enfant

« 1. Les enfants ont droit à la protection et aux soins nécessaires à leur bien-être. Ils peuvent exprimer leur opinion librement. Celle-ci est prise en considération pour les sujets qui les concernent, en fonction de leur âge et de leur maturité.

2. Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu’ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.

3. Tout enfant a le droit d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à son intérêt. »

42. Le Règlement (CE) no 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale (dit « règlement Bruxelles II bis ») se lit notamment comme suit :

« (...)

(12) Les règles de compétence établies par le présent règlement en matière de responsabilité parentale sont conçues en fonction de l’intérêt supérieur de l’enfant et en particulier du critère de proximité. Ce sont donc en premier lieu les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant a sa résidence habituelle qui devraient être compétentes, sauf dans certains cas de changement de résidence de l’enfant ou suite à un accord conclu entre les titulaires de la responsabilité parentale.

(13) Dans l’intérêt de l’enfant, le présent règlement permet à la juridiction compétente, à titre exceptionnel et dans certaines conditions, de renvoyer l’affaire à la juridiction d’un autre État membre si celle-ci est mieux placée pour connaître de l’affaire. Toutefois, dans ce cas, la juridiction deuxième saisie ne devrait pas être autorisée à renvoyer l’affaire à une troisième juridiction.

(...) »

D. Le droit national letton pertinent

1. La Constitution

43. Les dispositions pertinentes de la Constitution se lisent comme suit :

Article 89

« L’État reconnaît et protège les droits fondamentaux conformément à cette Constitution, aux lois et aux accords internationaux obligatoires pour la Lettonie. »

Article 110

« L’État protège et soutient le mariage – l’union entre un homme et une femme, la famille, les droits des parents et de l’enfant. L’État accorde un soutien particulier aux enfants handicapés, aux enfants privés de soins parentaux ou victimes de violence. »

2. La loi lettone sur la procédure civile

44. L’article 644.19 de la loi lettone sur la procédure civile, telle qu’applicable à l’époque des faits, régit les questions se rapportant au déplacement transfrontalier illicite d’enfants en Lettonie. Il prévoit que les tribunaux tranchent tout litige de ce type à l’issue d’une audience où les parties auront comparu et à laquelle aura été invité un représentant du « Bāriņtiesa ». En outre, ils se renseignent sur l’opinion de l’enfant si celui-ci est en mesure de la formuler.

45. Lorsqu’il est saisi d’un litige de ce type, le juge peut administrer d’office toute preuve. Il peut recourir aux voies procédurales les plus indiquées, ainsi qu’aux moyens les plus rapides d’établir les faits, de manière à ce qu’une décision puisse être rendue dans les six semaines à compter de la date d’introduction de l’instance.

46. S’il estime que l’enfant a été illicitement déplacé ou détenu en Lettonie et si l’une des deux conditions ci-dessous est satisfaite, le juge rend une décision concernant le retour de l’enfant dans son pays de résidence :

1. la durée de la période qui suit le déplacement illégal ou la détention de l’enfant en Lettonie n’excède pas un an à partir de la date à laquelle la personne ou l’établissement en question apprend où se trouve l’enfant ;

2. la durée de la période qui suit le déplacement illégal ou la détention de l’enfant en Lettonie excède un an mais l’enfant ne s’est pas adapté à la vie en Lettonie.

47. S’il estime que l’enfant a été illicitement déplacé ou détenu en Lettonie et si l’une des conditions ci-dessous est satisfaite, le juge peut rendre une décision refusant d’autoriser le retour de l’enfant dans son pays de résidence :

1. plus d’une année s’est écoulée depuis que la personne ou l’établissement en question a appris ou eu la possibilité matérielle d’apprendre où se trouve l’enfant mais, pendant cette période, ni l’un ni l’autre n’ont saisi l’instance compétente pour demander le retour de l’enfant dans son pays de résidence ;

2. l’enfant s’est adapté à la vie en Lettonie et son retour n’est pas dans son intérêt supérieur.

48. Les paragraphes ci-dessus s’appliquent pour autant qu’ils respectent la Convention de La Haye et le Règlement (CE) no 2201/2003 du Conseil de l’Union européenne.

E. La loi australienne de 1975 sur le droit de la famille

49. L’article 61B de cette loi définit la responsabilité parentale par « l’ensemble des devoirs, pouvoirs et responsabilités et toute l’autorité que, en vertu de la loi, les parents ont à l’égard de leurs enfants ».

50. L’article 61C prévoit que chacun des parents d’un enfant mineur a la responsabilité parentale de ce dernier, sous réserve des décisions de justice.

51. L’article 111B(4) prévoit ce qui suit :

« Pour les besoins de la Convention de La Haye :

a) chacun des parents d’un enfant est réputé jouir d’un droit de garde sur ce dernier, sauf s’il n’a pas la responsabilité parentale à l’égard de l’enfant en vertu d’une décision de justice exécutoire au moment considéré ; et,

b) sous réserve d’une décision de justice exécutoire au moment considéré, est réputée jouir d’un droit de garde sur l’enfant toute personne : i) avec laquelle un enfant est censé vivre en vertu d’une décision sur l’autorité parentale ;

ii) qui a la responsabilité parentale d’un enfant en vertu d’une décision sur l’autorité parentale ; et

c) sous réserve d’une décision de justice exécutoire au moment considéré, est réputée jouir d’un droit de garde sur l’enfant toute personne qui a la responsabilité parentale de ce dernier par l’effet de la présente loi ou d’une autre loi australienne et est chargée d’en prendre soin et d’assurer son bien-être et son développement quotidiennement et à long terme ; et

d) sous réserve d’une décision de justice exécutoire au moment considéré, est réputée jouir d’un droit de visite à l’égard de l’enfant toute personne :

i) avec laquelle un enfant est censé passer du temps en vertu d’une décision sur l’autorité parentale ;

ii) avec laquelle un enfant est censé communiquer en vertu d’une décision sur l’autorité parentale. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

52. Devant la Grande Chambre, la requérante dit avoir été victime, en raison de la décision des juridictions lettones d’ordonner le retour de sa fille en Australie, d’une atteinte à son droit au respect de sa vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention, dont les dispositions se lisent comme suit :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A. Applicabilité de l’article 8

53. La Grande Chambre note que, devant elle, le Gouvernement a expressément indiqué ne pas contester que les décisions des juridictions lettones ordonnant à la requérante de renvoyer E. en Australie s’analysent en une ingérence dans son droit au respect de sa vie familiale protégé par l’article 8 de la Convention.

54. L’ingérence dans le droit au respect de la vie privée et familiale de la requérante constatée ci-dessus enfreint l’article 8 sauf si elle satisfait aux exigences du paragraphe 2 de cette disposition. Il reste donc à déterminer si elle était « prévue par la loi », inspirée par un ou plusieurs des buts légitimes énoncés dans ce paragraphe et « nécessaire, dans une société démocratique », pour les atteindre.

B. Sur la justification de l’ingérence

1. Base légale

a) Arrêt de la chambre

55. La chambre a jugé que les règles découlant du droit interne et de la Convention de La Haye indiquaient suffisamment clairement que, pour déterminer si le déplacement était illicite ou non au sens de l’article 3 de la Convention de La Haye, les tribunaux lettons devaient rechercher si ce déplacement s’était déroulé en violation du droit de garde tel qu’attribué en application du droit australien, l’Australie étant l’État dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement. Tout en relevant que les autorités australiennes avaient statué sur la responsabilité parentale de T. postérieurement au déplacement de l’enfant, elle nota qu’il avait été seulement confirmé, et non établi, que la requérante et T. avaient la responsabilité parentale conjointe de l’enfant depuis sa naissance par l’effet de la loi australienne sur le droit de la famille. La chambre a en outre constaté que la requérante n’avait pas été empêchée de participer, en Australie, à la procédure à l’issue de laquelle cette décision avait été adoptée ni d’interjeter appel et, de plus, qu’elle n’avait pas contesté devant les tribunaux nationaux les éléments avancés pour prouver que T. est le père de l’enfant. La chambre a présumé que la décision rendue le 19 novembre 2008 par le tribunal letton ordonnant le retour de l’enfant en Australie, devenue exécutoire le 26 janvier 2009, était prévue par la loi au sens de l’article 8 de la Convention.

b) Thèses des parties

i. La requérante

56. Devant la chambre, la requérante a soutenu que le juge national n’était pas fondé à appliquer les dispositions de la Convention de La Haye, dès lors qu’elle élevait seule sa fille au moment de son départ pour la Lettonie. Elle ne s’est pas exprimée sur ce point devant la Grande Chambre.

ii. Le Gouvernement

57. Le Gouvernement estime que l’ingérence était incontestablement « prévue par la loi », dès lors qu’elle se fondait sur la Convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants.

c) Appréciation de la Cour

58. D’après la jurisprudence constante de la Cour, l’expression « prévue par la loi » requiert que la mesure incriminée ait une base en droit interne mais vise également la qualité de la loi en question, exigeant que celle-ci soit accessible à la personne concernée et prévisible quant à ses effets (voir, parmi beaucoup d’autres, Amann c. Suisse [GC], no 27798/95, § 50, CEDH 2000‑II, Slivenko c. Lettonie [GC], no 48321/99, § 100, CEDH 2003‑X, et Kurić et autres c. Slovénie [GC], no 26828/06, § 341, CEDH 2012).

59. La Cour observe que la décision de retour de l’enfant en Australie a été prise par la cour régionale de Rīga sur le fondement de la Convention de La Haye, texte signé et ratifié par la Lettonie en 1982. Par ailleurs, la loi lettone sur la procédure civile, dont l’article 644 régit les questions relatives au déplacement illicite d’enfants en Lettonie, subordonne son application à la condition expresse du respect de la Convention de La Haye, du « règlement Bruxelles II bis », ainsi que de la Convention européenne des droits de l’homme.

60. La requérante soutient qu’à l’époque de son départ d’Australie, elle exerçait seule la responsabilité parentale sur sa fille.

61. La Cour note cependant que cette question a expressément été examinée par les juridictions lettones saisies de la demande de retour. Ces juridictions ont appliqué, en précisant ne pouvoir ni l’interpréter ni la réformer, la décision du tribunal aux affaires familiales australien en date du 6 novembre 2008, laquelle confirmait la paternité de T., ainsi que l’existence d’une responsabilité parentale conjointe sur l’enfant, et ce depuis sa naissance. Par conséquent, tant le tribunal d’arrondissement que la cour régionale de Rīga ont jugé que la demande de T. était conforme à la Convention de La Haye à ce titre.

62. Par ailleurs, la Cour considère qu’il ne lui appartient pas de juger si un déplacement international d’enfant est ou non « illicite » au sens de l’article 3 de la Convention de La Haye. En effet, la Cour n’a pas à connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si elles peuvent avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999‑I) : c’est au juge national qu’il appartient de trancher les problèmes d’interprétation et d’application de la législation interne, ainsi que des règles de droit international général et des traités internationaux (Maumousseau et Washington c. France, no 39388/05, § 79, 6 décembre 2007, et Neulinger et Shuruk, précité, § 100). Or, en l’espèce, la requérante, outre qu’elle n’a pas exercé les recours disponibles pour contester la décision australienne confirmant la paternité de T. et de l’existence d’une responsabilité parentale conjointe sur l’enfant au moment de son départ de l’Australie – ce qui renvoie directement aux conditions préalables d’application de la Convention de La Haye –, n’établit ni qu’il lui était impossible de contester la décision australienne ni en quoi les juridictions internes auraient failli à ce titre.

63. En conclusion, la Cour estime que l’ingérence litigieuse était prévue par la loi au sens de l’article 8 de la Convention.

2. But légitime

a) Arrêt de la chambre

64. La chambre a estimé que l’ingérence visait à la protection des droits de T. et de l’enfant, ce qui constitue un but légitime au sens de l’article 8 § 2 de la Convention

b) Thèses des parties

i. La requérante

65. La requérante ne s’exprime pas sur ce point.

ii. Le Gouvernement

66. Selon le Gouvernement, l’ingérence poursuivait un but légitime, à savoir la protection des droits et libertés de T. et de sa fille.

c) Appréciation de la Cour

67. La Grande Chambre partage l’avis de la chambre selon lequel la décision de retour avait pour but légitime de protéger les droits et libertés de T. et de E., ce qui n’a d’ailleurs pas été contesté par les parties devant elle.

3. Nécessité de l’ingérence dans une société démocratique

a) Arrêt de la chambre

68. Concernant la « nécessité dans une société démocratique » de l’ingérence, la chambre a considéré, tout en précisant qu’elle n’avait pas à se substituer aux juges internes pour apprécier l’existence d’un risque grave au sens de l’article 13 b), qu’elle devait vérifier si, en appliquant et en interprétant la Convention de La Haye, les juges avaient respecté les exigences de l’article 8, en particulier au vu des principes dégagés par la Cour dans son arrêt Neulinger et Shuruk (précité). Portant tout d’abord son attention sur l’expertise psychologique établie à la demande de la mère après le jugement de première instance, elle a estimé que la cour régionale l’avait écartée, et ce aux motifs que cela relevait de la question de la garde de l’enfant et que celui-ci serait protégé par la législation australienne. À ses yeux, si l’absence d’audition de l’enfant ne posait pas de problème compte tenu de son âge, la cour régionale aurait néanmoins dû examiner les conclusions de l’attestation psychologique, ainsi que les objections soulevées par le « Bāriņtiesa », outre le fait que rien ne l’empêchait d’ordonner d’office une expertise psychologique.

69. La chambre a ensuite indiqué que les juges auraient également dû vérifier l’existence d’autres garanties suffisantes pour que le retour se déroule dans les meilleures conditions pour l’enfant, notamment concernant ses conditions matérielles de vie en Australie, ainsi que la possibilité pour la requérante de suivre sa fille et de maintenir des contacts avec elle.

70. Tout en observant que la décision des juges lettons dans cette affaire contrastait avec d’autres procédures suivies en Lettonie (Šneersone et Kampanella c. Italie, no 14737/09, § 94, 12 juillet 2011), et après avoir à la fois écarté l’argument du Gouvernement selon lequel la requérante n’aurait pas coopéré et noté la façon traumatisante dont la décision avait été exécutée, la chambre a conclu qu’un examen approfondi de l’ensemble de la situation familiale et de toute une série d’éléments faisait défaut dans l’approche suivie par les juges lettons et que, partant, l’ingérence était disproportionnée au sens de l’article 8.

b) Thèses des parties

i. La requérante

71. La requérante estime que l’arrêt de la chambre est exemplaire pour aider les autorités internes dans la recherche de l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle note que si le Gouvernement déplore, dans sa demande de renvoi devant la Grande Chambre, que la chambre n’ait pas eu à sa disposition tous les documents examinés par les juridictions internes, il lui appartenait donc de les produire. Selon elle, les autorités internes n’ont pas cherché à privilégier l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle considère que seules des expertises psychologiques permettaient de déterminer l’intérêt supérieur de l’enfant : or, en l’espèce, les juges internes ont refusé d’examiner le rapport psychologique qu’elle avait produit, violant ainsi l’article 12 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (audition de l’enfant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’un organisme approprié). Elle souligne que pour déterminer cet « intérêt supérieur », on tient généralement compte de plusieurs facteurs liés à la situation de l’enfant, à la situation et aux capacités des éventuels responsables de l’enfant, la protection et le bien-être de l’enfant étant primordiaux.

72. La requérante ajoute qu’en saisissant la Cour elle visait pour l’essentiel à contester la position des juridictions nationales dans différentes affaires touchant à la Convention de La Haye et montrer la nécessité d’assurer l’intérêt supérieur de l’enfant.

ii. Le Gouvernement

73. Le Gouvernement note que la Cour met un certain nombre d’obligations à la charge des autorités internes, en particulier : assurer l’implication des parents dans la procédure à un degré suffisant pour la protection de leurs intérêts (Iosub Caras c. Roumanie, no 7198/04,, § 41, 27 juillet 2006), prévenir de nouveaux dangers pour l’enfant ou des préjudices pour les parties concernées comme stipulé par l’article 7 de la Convention de La Haye (ibidem, § 34, et Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, no 31679/96, § 99, CEDH 2000‑I), assurer un traitement urgent aux procédures relatives au retour d’un enfant enlevé, y compris l’exécution des décisions rendues (Carlson c. Suisse, no 49492/06, § 69, 6 novembre 2008), et offrir un redressement au parent demandeur en cas de non-respect du délai de six semaines prévu à l’article 11 de la Convention de La Haye (ibidem, § 55).

74. Il estime que ces principes doivent être appliqués d’une manière qui permette d’assurer au maximum l’équilibre entre les droits de chacun des parents et de l’enfant. Il relève néanmoins la difficulté de la tâche des autorités nationales lorsqu’elles sont confrontées à des enlèvements internationaux d’enfants ne permettant pas toujours de protéger l’intérêt supérieur de toutes les parties, spécialement celui de l’enfant, chaque partie en ayant une définition différente, voire contradictoire, de celle des autres. Par ailleurs, il insiste sur la distinction qui doit clairement être faite entre les procédures de retour et de garde.

75. Le Gouvernement considère que les autorités nationales jouissent d’une marge d’appréciation dans l’application de ces principes aux circonstances de l’espèce. La tâche de la Cour n’est pas de rentrer dans les détails de la procédure interne, mais de s’assurer que le processus décisionnel, dans son ensemble, a permis aux intéressés de faire pleinement valoir leurs droits (Diamante et Pelliccioni c. Saint-Marin, no 32250/08, § 187, 27 septembre 2011), la Cour n’étant pas un quatrième degré d’instance. Partant, il ne saurait en être autrement que si les défaillances observées ont été déterminantes pour l’issue de la procédure (Broka c. Lettonie, no 70926/01, §§ 25-26, 28 juin 2007).

76. En l’espèce, il est d’avis que les autorités nationales ont respecté ces principes et qu’elles se sont livrées à un « examen approfondi de l’ensemble de la situation familiale et de toute une série d’éléments » (Neulinger et Shuruk, précité, § 139), mais que la prise en compte de l’ensemble de la situation familiale doit différer selon les cas, en fonction de l’existence ou non de sujets d’inquiétudes manifestes ou à tout le moins de doutes raisonnables. De plus, le risque prévu par l’article 13 b) doit être « grave », outre le fait que l’intérêt supérieur de l’enfant exige également une procédure rapide.

77. Le Gouvernement précise que la demande adressée par les autorités australiennes aux autorités lettones le 15 septembre 2008 atteste du fait que T. exerçait la responsabilité parentale conjointe sur l’enfant et que, contrairement à ce que soutient la requérante, le jugement du 6 novembre 2008 n’a pas conféré ce droit à T. mais a confirmé son existence au moment du départ de sa fille d’Australie. Tant les juridictions australiennes que lettones ont établi que T. exerçait effectivement ses responsabilités parentales, qu’il y avait suffisamment d’éléments pour présumer que T. est le père biologique de l’enfant et que la requérante, quant à elle, avait fourni de fausses déclarations aux autorités pour en tirer des avantages.

78. Il précise que le rapport d’expertise avait été rédigé à titre privé à la demande de la requérante et que l’institution du « Bāriņtiesa » n’est pas juridictionnelle. Malgré le rejet de ce rapport et des observations du « Bāriņtiesa », les juges ont examiné la situation familiale au vu des éléments dont ils disposaient, ce qui relevait de leur compétence, rien dans la jurisprudence de la Cour ne pouvant remettre ce pouvoir en cause. Les juridictions lettones ont constaté que le départ de la requérante d’Australie avec sa fille était uniquement motivé par sa mésentente personnelle avec T. et qu’il n’y avait aucune apparence de risque pour l’enfant en cas de retour : partant, les autorités lettones n’ont pas appliqué la Convention de La Haye de manière automatique ou mécanique au mépris des principes posés par l’article 8 de la Convention.

79. Le Gouvernement souligne que « la compréhension et la coopération de l’ensemble des personnes concernées constituent toujours un facteur important » pour évaluer les circonstances particulières d’une affaire (Maumousseau et Washington, précité, § 83, et Neulinger et Shuruk, précité, § 140). Or il considère que la requérante a fait preuve d’un manque de coopération avec les autorités australiennes et lettones en ignorant l’invitation à participer à la procédure devant la juridiction australienne, en empêchant les représentants du « Bāriņtiesa » de vérifier ses conditions de vie avec sa fille en Lettonie, en faisant obstruction aux contacts entre T. et sa fille et par son attitude extrêmement agressive à l’égard de T. pendant la procédure.

80. Il considère également que les juridictions ont justement écarté la question de l’intégration de l’enfant dans son nouveau milieu, dès lors qu’elle n’avait passé que quelques mois en Lettonie.

81. Il relève que les juges n’ont pas ordonné le retour de l’enfant vers son père, mais son retour en Australie, opérant ainsi une nette distinction entre le retour et la garde de l’enfant, une telle approche ayant été validée par la Cour (M.R. et L.R. c. Estonie (déc.), no 13420/12, §§ 47-48, 15 mai 2012, et Tarkhova c. Ukraine (déc.), no 8984/11, 6 septembre 2011). En tout état de cause, la situation financière de T. n’était pas de nature à l’empêcher de prendre soin de sa fille.

82. Le Gouvernement insiste sur la nécessité de distinguer la question des liens de la requérante avec l’enfant et du risque d’atteinte à ces liens en cas de retour, de celle relative à un risque pour les intérêts fondamentaux de l’enfant au sens de l’article 13 b) de la Convention de La Haye. En sa qualité de citoyenne australienne, la requérante n’était pas confrontée à d’insurmontables difficultés en cas de retour en Australie puisqu’elle bénéficiait de l’ensemble de ses droits fondamentaux, au contraire des requérants dans l’affaire Neulinger et Shuruk (précitée). En l’espèce, tant la mère que l’enfant ont la nationalité australienne, la mère ayant par ailleurs accès au marché de l’emploi, puisqu’elle a retrouvé un emploi depuis son retour, et pouvant bénéficier de la protection sociale. L’histoire familiale ne porte pas trace de violence ou d’abus d’autorité de la part de T., tandis que la requérante a fait preuve d’un manque de coopération et d’agressivité. Enfin, le Gouvernement attire l’attention de la Cour sur le fait qu’il ne saurait être tenu pour responsable des décisions prises par les autorités australiennes (M.R. et L.R. c. Estonie, décision précitée).

c) Les tierces interventions

i. Le gouvernement finlandais

83. Le gouvernement finlandais rappelle que la Convention de La Haye est fondée sur l’intérêt supérieur de l’enfant et qu’elle a pour objet de le protéger contre les conséquences néfastes de l’enlèvement, tout en prévoyant un certain nombre de motifs permettant de refuser le retour. Il souligne que le « règlement Bruxelles II bis » applicable au sein de l’Union européenne, dont l’article 11 restreint encore plus les exceptions au retour de l’enfant, reflète l’avis des pays membres de l’Union européenne selon lequel l’effectivité de la Convention de La Haye sert l’intérêt supérieur de l’enfant et des familles. Il renvoie en outre à la Convention des Nations unies sur les droits de l’enfant.

84. S’agissant de la présente affaire, il estime notamment que l’obligation pour les juges internes saisis d’une demande de retour de procéder à un « examen approfondi de l’ensemble de la situation familiale », comme le prévoit la chambre dans son arrêt, est en contradiction avec la Convention de La Haye qui prévoit que les questions relatives à la garde et à la résidence de l’enfant relèvent de la compétence du juge de la résidence habituelle.

85. Par ailleurs, il considère que les juges nationaux sont les mieux placés pour établir l’intérêt supérieur de l’enfant : la Cour ne devrait pas se substituer à eux, mais se limiter au contrôle du respect des exigences de l’article 8. Exiger un tel examen approfondi conduirait à niveler les différences entre les procédures de retour et de garde, ce qui risque de vider la Convention de La Haye de sa substance. Il souligne que cette dernière prévoit des exceptions au retour de l’enfant dans ses articles 12, 13 et 20.

86. S’agissant du rapport psychologique, auquel les juges internes n’auraient pas attaché suffisamment d’importance selon l’arrêt de la chambre, le gouvernement finlandais note qu’il a été produit par la mère pour établir l’existence d’un grave risque en cas de retour au sens de l’article 13 de la Convention de La Haye. En les jugeant mal fondées, la cour d’appel a écarté ces allégations au regard de l’article 13 de la Convention de La Haye dans le cadre de la marge d’appréciation dont elle disposait et de l’objectif poursuivi par la Convention de La Haye. En raison de ces arguments, et tout en renvoyant à l’opinion dissidente des juges Myjer et López Guerra jointe à l’arrêt de chambre, le gouvernement finlandais est d’avis qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention en l’espèce.

ii. Le gouvernement tchèque

87. Le gouvernement tchèque estime que la décision à venir de la Grande Chambre sera d’une importance considérable non seulement pour l’État défendeur et le système de la Convention, mais également pour le fonctionnement de la Convention de La Haye et pour les pays hors du continent européen. Il estime que la Convention de La Haye offre une procédure adaptée compte tenu des conséquences sérieuses d’un enlèvement pour l’enfant et le parent victime de cette situation. Pour éviter les effets préjudiciables de l’enlèvement, une procédure et un retour rapides s’imposent, la Convention de La Haye reposant sur l’hypothèse selon laquelle la restauration du statu quo préexistant à l’enlèvement est le meilleur point de départ pour protéger les droits en cause. Il cite également, dans le même sens, le « règlement Bruxelles II bis » applicable au sein de l’Union européenne.

88. Le gouvernement tchèque précise en outre que la Convention de la Haye a expressément réservé les questions relatives au droit de garde aux juges du pays de résidence habituelle de l’enfant et que le refus de retour est prévu par des exceptions en cas de risque grave pour l’enfant. Le gouvernement tchèque considère que l’évolution de la jurisprudence de la Cour, dont il fait un rappel, porte atteinte au principe de subsidiarité et va à l’encontre du but poursuivi par la Convention de La Haye. Un « examen approfondi de l’ensemble de la situation familiale » reviendrait à faire un examen sur la garde elle-même, tout en ralentissant la procédure alors même que l’écoulement du temps peut influencer l’enfant lorsque son audition est possible. La loyauté voudrait par ailleurs que le parent fautif, sur qui pèse la charge de prouver dans un laps de temps très court l’existence d’un risque grave en cas de retour de l’enfant, soit privé de tout avantage sur le plan procédural, plutôt que de se voir privilégié en choisissant les juridictions du pays de son choix pour statuer sur le fond de la garde de l’enfant.

89. Le gouvernement tchèque relève notamment un conflit entre la rapidité exigée par la Convention de La Haye et le haut niveau exigé dans l’administration des preuves dans la jurisprudence récente de la Cour. Une grande différence existe dans l’évaluation des intérêts supérieurs de l’enfant selon qu’il s’agit d’une procédure de retour par le juge du pays où se trouve l’enfant ou d’examen au fond de la garde par un autre juge, celui du pays de résidence habituelle. Les États parties à la Convention européenne et à la Convention de La Haye devant respecter leurs obligations dans ce double cadre, il leur faut une interprétation et une application cohérente qui concilie ces deux textes, étant rappelé que le « règlement Bruxelles II bis » est encore plus rigoureux que la Convention de La Haye. La base de données mise en place par le Bureau permanent de la Conférence de droit international privé (INCADAT) permet de constater que les juridictions nationales tendent à maintenir une application stricte de la Convention de La Haye, conformément à son but. Le Gouvernement tchèque, tout en plaidant pour un retour au principe de subsidiarité, invite la Grande Chambre à infirmer l’arrêt de la chambre et à fixer des limites à l’examen de la situation familiale par le juge saisi d’une demande de retour.

iii. « Reunite International Child Abduction Centre » (« Reunite »)

90. Reunite rappelle que la Convention de La Haye a été conçue pour faciliter la protection de l’enfant victime d’un enlèvement international injustifié, en partant de l’hypothèse que, sauf exceptions, le retour rapide de l’enfant correspond à son intérêt supérieur. Reunite partage entièrement le résumé fait par la Cour de l’esprit de la Convention de La Haye dans son arrêt Maumousseau et Washington (précité, § 69). Elle relève notamment que la Convention de La Haye, qui rencontre un énorme succès dans la lutte contre l’enlèvement international d’enfants, vise non pas la protection des adultes mais celle des enfants. Elle prévoit un nombre limité d’exceptions au retour rapide de l’enfant, réservant les questions sur la situation générale de celui-ci à long terme aux juridictions du lieu de sa résidence habituelle. Ces dernières ont donc pour tâche de procéder à un contrôle approfondi de la situation dans l’intérêt de l’enfant, contrairement aux juges du pays où se trouve l’enfant qui, saisis d’une demande de retour, doivent se prononcer à la suite d’un examen limité au cadre fixé par la Convention de La Haye.

91. Tout en relevant que la Cour, dans sa jurisprudence, a identifié des points centraux pour le bon fonctionnement de la Convention de La Haye, Reunite note qu’une évolution récente semble vouloir exiger des juges un examen plus approfondi pour statuer sur les exceptions au retour de l’enfant. Elle demande donc à la Grande Chambre de clarifier la question de l’exigence d’un examen approfondi de l’ensemble de la situation familiale dans le contexte de la Convention de La Haye, et de préciser que cela ne concerne que la compatibilité du retour avec la Convention, et non une remise en cause de la compétence exclusive du juge de la résidence habituelle sur le fond.

d) Appréciation de la Cour

i. Principes généraux

92. La Cour estime opportun de rappeler d’emblée certains principes qui doivent la guider dans son examen et qu’elle a rappelés, dans son récent arrêt Nada c. Suisse ([GC], no 10593/08, § 167, CEDH 2012), dans les termes suivants :

« 168. Selon une jurisprudence constante, les Parties contractantes sont responsables en vertu de l’article 1 de la Convention de toutes les actions et omissions de leurs organes, que celles-ci découlent du droit interne ou d’obligations juridiques internationales. L’article 1 ne fait aucune distinction à cet égard entre les différents types de normes ou de mesures et ne soustrait aucune partie de la « juridiction » des Parties contractantes à l’empire de la Convention (Bosphorus, précité, § 153, et Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, 30 janvier 1998, § 29, Recueil 1998‑I). Les engagements conventionnels contractés par l’État après l’entrée en vigueur de la Convention à son égard peuvent donc engager sa responsabilité au regard de cet instrument (Al-Saadoon et Mufdhi c. Royaume-Uni, no 61498/08, § 128, CEDH 2010, et Bosphorus, précité, § 154, avec les références citées).

169. Par ailleurs, la Cour rappelle que la Convention ne doit pas être interprétée isolément mais de manière à se concilier avec les principes généraux du droit international. En vertu de l’article 31 § 3 c) de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, l’interprétation d’un traité doit se faire en tenant compte de « toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties », en particulier de celles relatives à la protection internationale des droits de l’homme (voir, par exemple, Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], no 41615/07, § 131, CEDH 2010, Al‑Adsani c. Royaume-Uni [GC], no 35763/97, § 55, CEDH 2001-XI, et Golder c. Royaume-Uni, 21 février 1975, § 29, série A no 18).

170. En assumant de nouvelles obligations internationales, les États ne sont pas supposés vouloir se soustraire à celles qu’ils ont précédemment souscrites. Quand plusieurs instruments apparemment contradictoires sont simultanément applicables, la jurisprudence et la doctrine internationales s’efforcent de les interpréter de manière à coordonner leurs effets, tout en évitant de les opposer entre eux. Il en découle que deux engagements divergents doivent être autant que possible harmonisés de manière à leur conférer des effets en tous points conformes au droit en vigueur (voir, dans ce sens, Al‑Saadoon et Mufdhi, précité, § 126, et Al-Adsani, précité, § 55, ainsi que Banković, décision précitée, §§ 55-57 ; voir également les références citées dans le rapport du groupe d’étude de la Commission du droit international intitulé « Fragmentation du droit international : difficultés découlant de la diversification et de l’expansion du droit international » (...)). »

93. En ce qui concerne plus particulièrement la question du rapport entre la Convention européenne et la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, la Cour rappelle qu’en matière d’enlèvement international d’enfants les obligations que l’article 8 fait peser sur l’État membre doivent s’interpréter à la lumière des exigences imposées par la Convention de La Haye (Ignaccolo-Zenide, précité, § 95, Iglesias Gil et A.U.I. c. Espagne, no 56673/00, § 51, CEDH 2003‑V, et Maumousseau et Washington, précité, § 60), ainsi qu’à celles de la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 (Maire c. Portugal, no 48206/99, § 72, CEDH 2003‑VII, Maumousseau et Washington, précité, et Neulinger et Shuruk, précité, § 132) et des règles et principes de droit international applicables aux relations entre les Parties contractantes (Demir et Baykara c. Turquie [GC], no 34503/97, § 67, CEDH 2008).

94. Cette approche s’inscrit dans le cadre d’une application combinée et harmonieuse des textes internationaux, en l’espèce et en particulier de la Convention européenne et de la Convention de La Haye, compte tenu de son objet et de son impact dans la protection des droits des enfants et des parents. Une telle prise en compte des dispositions internationales ne doit pas entraîner une opposition ou une confrontation entre les différents traités, sous réserve que la Cour puisse pleinement assurer la mission qui est la sienne, à savoir « assurer le respect des engagements résultant pour les Hautes Parties contractantes » de la Convention (voir, parmi d’autres, Loizidou c. Turquie (exceptions préliminaires), 23 mars 1995, § 93, série A no 310), en interprétant et en appliquant les dispositions de celle-ci d’une manière qui en rende les exigences concrètes et effectives (voir, notamment, Artico c. Italie, 13 mai 1980, § 33, série A no 37, et Nada, précité, § 182).

95. Le point décisif consiste à savoir si le juste équilibre devant exister entre les intérêts concurrents en jeu – ceux de l’enfant, ceux des deux parents et ceux de l’ordre public – a été ménagé, dans les limites de la marge d’appréciation dont jouissent les États en la matière (Maumousseau et Washington, précité, § 62), en tenant compte toutefois de ce que l’intérêt supérieur de l’enfant doit constituer la principale considération, les objectifs de prévention et de retour immédiat répondant à une conception déterminée de « l’intérêt supérieur de l’enfant » (paragraphe 35 ci-dessus).

96. La Cour rappelle qu’il existe un large consensus – y compris en droit international – autour de l’idée que dans toutes les décisions concernant des enfants, leur intérêt supérieur doit primer (paragraphes 37-39 ci-dessus).

97. La même philosophie se trouve à la base de la Convention de La Haye qui associe cet intérêt au rétablissement du statu quo, par une décision de retour immédiat dans le pays de résidence habituelle de l’enfant en cas d’enlèvement illicite, mais ce tout en tenant compte du fait qu’un non-retour peut parfois s’avérer justifié par des raisons objectives qui correspondent à l’intérêt de l’enfant, ce qui explique l’existence d’exceptions, notamment en cas de risque grave que ce retour ne l’expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable (article 13 b)). La Cour constate d’ailleurs que l’Union européenne adhère à la même philosophie, dans le cadre d’un système impliquant uniquement des États membres et basé sur un principe de confiance mutuelle. Le « règlement Bruxelles II bis », dont les règles en matière d’enlèvement d’enfants viennent compléter celles déjà fixées dans la Convention de La Haye renvoie également, dans son préambule, à l’intérêt supérieur de l’enfant (paragraphe 42 ci-dessus), tandis que l’article 24 § 2 de la Charte des droits fondamentaux insiste sur le fait qu’il doit être une considération primordiale dans tous les actes relatifs aux enfants (paragraphe 41 ci-dessus).

98. Il découle donc directement non seulement de l’article 8 de la Convention, mais également de la Convention de La Haye elle-même, compte tenu des exceptions qu’elle prévoit expressément au principe d’un retour rapide de l’enfant dans le pays du lieu de résidence habituelle, que ce retour de l’enfant ne saurait être ordonné de façon automatique ou mécanique (Maumousseau et Washington, précité, § 72, et Neulinger et Shuruk, précité, § 138).

99. Ainsi que la Cour l’a rappelé dans son arrêt Neulinger et Shuruk (précité, § 140), les obligations incombant aux États à cet égard ont été définies dans l’affaire Maumousseau et Washington (précité, § 83).

100. L’intérêt supérieur de l’enfant ne se confond pas avec celui de son père ou de sa mère, outre qu’il renvoie nécessairement à des éléments d’appréciation divers liés au profil individuel et à la situation spécifique de l’enfant. Néanmoins, il ne saurait être appréhendé d’une manière identique selon que le juge est saisi d’une demande de retour en application de la Convention de La Haye ou d’une demande de statuer au fond sur la garde ou l’autorité parentale, cette dernière relevant d’une procédure en principe étrangère à l’objet de la Convention de La Haye (articles 16, 17 et 19 – paragraphe 35 ci-dessus).

101. Partant, dans le cadre d’une demande de retour faite en application de la Convention de La Haye, qui est donc distincte d’une procédure sur le droit de garde, la notion d’intérêt supérieur de l’enfant doit s’apprécier à la lumière des exceptions prévues par la Convention de La Haye, lesquelles concernent l’écoulement du temps (article 12), les conditions d’application de la Convention (article 13 a)) et l’existence d’un « risque grave » (article 13 b)), ainsi que le respect des principes fondamentaux de l’État requis sur la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (article 20). Cette tâche revient en premier lieu aux autorités nationales requises, qui ont notamment le bénéfice de contacts directs avec les intéressés. Pour ce faire au regard de l’article 8 de la Convention, les juridictions internes jouissent d’une marge d’appréciation, laquelle s’accompagne toutefois d’un contrôle européen en vertu duquel la Cour examine, sous l’angle de la Convention, les décisions qu’elles ont rendues dans l’exercice de ce pouvoir (voir, mutatis mutandis, Hokkanen c. Finlande, 23 septembre 1994, § 55, série A no 299-A, ainsi que Maumousseau et Washington, précité, § 62, et Neulinger et Shuruk, précité, § 141).

102. Précisément, dans le cadre de cet examen, la Cour rappelle qu’elle n’entend pas substituer son appréciation à celle des juridictions internes (voir, par exemple, Hokkanen, précité, et K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 154, CEDH 2001-VII). Elle doit cependant s’assurer que le processus décisionnel ayant conduit les juridictions nationales à prendre la mesure litigieuse a été équitable et qu’il a permis aux intéressés de faire valoir pleinement leurs droits, et ce dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant (Eskinazi et Chelouche c. Turquie (déc.), no 14600/05, CEDH 2005‑XIII, Maumousseau et Washington, précité, et Neulinger et Shuruk, précité, § 139).

103. À ce titre, le Gouvernement estime notamment que la prise en compte de l’ensemble de la situation familiale doit différer selon les circonstances propres à chaque affaire (paragraphe 75 ci-dessus). Quant aux tiers intervenants, soit ils estiment que l’exigence d’un « examen approfondi de l’ensemble de la situation familiale » (Neulinger et Shuruk, précité) est en contradiction avec la Convention de La Haye (paragraphes 84 et 88 ci‑dessus), soit ils demandent à la Cour de clarifier cette question (paragraphe 91 ci-dessus) et de fixer des limites à l’examen de la situation familiale par le juge saisi d’une demande de retour (paragraphe 89 ci‑dessus).

104. Sur ce point, la Cour observe que l’arrêt rendu par la Grande Chambre dans l’affaire Neulinger et Shuruk (précité, § 139), auquel se réfèrent certains arrêts ultérieurs (voir, parmi d’autres, Raban c. Roumanie, no 25437/08, § 28, 26 octobre 2010, Šneersone et Kampanella, précité, § 85, et, plus récemment, M.R. et L.R. c. Estonie, décision précitée, § 37) pouvait et a effectivement été lu comme suggérant que les juridictions nationales devaient se livrer à un examen approfondi de l’ensemble de la situation familiale et de toute une série d’éléments. Une telle formule avait déjà été utilisée par une chambre dans l’affaire Maumousseau et Washington (précitée, § 74), un tel examen approfondi ayant, en fait, été effectué par les juridictions internes.

105. Dans ce contexte, la Cour estime opportun de clarifier le fait que son constat au paragraphe 139 de l’arrêt Neulinger et Shuruk ne pose donc en soi aucun principe pour l’application de la Convention de La Haye par les juges nationaux.

106. La Cour estime que l’on peut parvenir à une interprétation harmonieuse de la Convention européenne et de la Convention de La Haye (paragraphe 94 ci-dessus) sous réserve que les deux conditions suivantes soient réunies. Premièrement, les éléments susceptibles de constituer une exception au retour immédiat de l’enfant en application des articles 12, 13 et 20 de la Convention de La Haye, notamment lorsqu’ils sont invoqués par l’une des parties, soient réellement pris en compte par le juge requis. Ce dernier doit dès lors rendre une décision suffisamment motivée sur ce point, afin de permettre à la Cour de s’assurer que ces questions ont bien fait l’objet d’un examen effectif. Deuxièmement, ces éléments doivent être appréciés à la lumière de l’article 8 de la Convention (Neulinger et Shuruk, précité, § 133).

107. Par conséquent, la Cour estime que l’article 8 de la Convention fait peser sur les autorités internes une obligation procédurale particulière à ce titre : dans le cadre de l’examen de la demande de retour de l’enfant, les juges doivent non seulement examiner des allégations défendables de « risque grave » pour l’enfant en cas de retour, mais également se prononcer à ce sujet par une décision spécialement motivée au vu des circonstances de l’espèce. Tant un refus de tenir compte d’objections au retour susceptibles de rentrer dans le champ d’application des articles 12, 13 et 20 de la Convention de La Haye qu’une insuffisance de motivation de la décision rejetant de telles objections seraient contraires aux exigences de l’article 8 de la Convention, mais également au but et à l’objet de la Convention de La Haye. La prise en compte effective de telles allégations, attestée par une motivation des juridictions internes qui soit non pas automatique et stéréotypée, mais suffisamment circonstanciée au regard des exceptions visées par la Convention de La Haye, lesquelles doivent être d’interprétation stricte (Maumousseau et Washington, précité, § 73), est nécessaire. Cela permettra aussi d’assurer le contrôle européen confié à la Cour, dont la vocation n’est pas de se substituer aux juges nationaux.

108. Par ailleurs, le préambule de la Convention de La Haye prévoyant le retour de l’enfant « dans l’État de sa résidence habituelle », les juges doivent s’assurer que les garanties adéquates sont assurées de manière convaincante dans ce dernier et, en cas de risque avéré, que des mesures de protection concrète y sont prises.

ii. Application de ces principes au cas d’espèce

109. La Cour, qui doit se placer au moment de l’exécution de la mesure litigieuse (voir, mutatis mutandis, Maslov c. Autriche [GC], no 1638/03, § 91, CEDH 2008), constate tout d’abord qu’à la différence de l’affaire Neulinger et Shuruk (précitée), dont les circonstances étaient en tout état de cause particulièrement singulières, notamment en raison d’un écoulement du temps très significatif, peu de temps s’était écoulé en l’espèce au moment où les autorités lettones ont été saisies de la demande fondée sur la Convention de La Haye. L’enfant avait vécu les premières années de sa vie en Australie et était arrivée en Lettonie à l’âge de trois ans et cinq mois. La demande de retour a été présentée à l’autorité centrale deux mois après le départ d’Australie, le jugement du tribunal d’arrondissement et l’arrêt de la cour régionale de Rīga sont respectivement intervenus quatre et six mois après l’arrivée en Lettonie. Finalement, T. a retrouvé E. et entrepris le voyage de retour avec elle vers l’Australie le 14 mars 2009. Il en découle que non seulement l’introduction de la demande de retour devant l’autorité lettone, mais également la procédure interne et le retour de l’enfant sont intervenus dans la période de moins d’un an visé au premier alinéa de l’article 12 de la Convention de La Haye, lequel prévoit alors un retour immédiat.

110. Par ailleurs, la Cour note que les juridictions nationales de première instance et d’appel ont été unanimes quant à la suite à donner à la demande de retour présentée par T. En effet, par un jugement du 19 novembre 2008, le tribunal d’arrondissement, qui s’est prononcé après une audience à laquelle ont assisté les deux parents, a estimé la Convention de La Haye applicable et fait droit à la demande de T. en ordonnant le retour immédiat de l’enfant en Australie. Le 26 janvier 2009, après une audience en présence des deux parents également, la cour régionale de Rīga a confirmé ce jugement.

111. S’agissant plus spécialement de la motivation retenue par les juges lettons, la Cour relève qu’en première instance le tribunal a rejeté d’une manière motivée les objections de la requérante au retour de l’enfant sur le fondement de l’article 13 de la Convention de La Haye, notamment après avoir examiné les pièces produites par les parties, qu’il s’agisse de photos et de copies de courriels échangés entre la requérante et des proches de T. ou de dépositions de témoins produites par la requérante. En revanche, après avoir refusé de demander aux autorités australiennes des informations sur les condamnations antérieures de T. et les accusations qui l’auraient visé, le tribunal a finalement écarté l’allégation de risque de danger psychique pour l’enfant en cas de séparation immédiate d’avec sa mère, faute pour la requérante de l’avoir étayée (paragraphe 21 ci-dessus).

112. La Cour constate que la situation s’est ensuite présentée différemment devant la cour régionale de Rīga, la requérante ayant produit, dans le cadre de son appel, un certificat rédigé à sa demande par un psychologue le 16 décembre 2008, soit après le jugement de première instance. Il ressortait de ce document que si le jeune âge de l’enfant l’empêchait de dire sa préférence sur son lieu de résidence, une séparation immédiate avec sa mère était à exclure en raison d’un risque de traumatisme psychologique (paragraphe 22 ci-dessus).

113. Or si le tribunal de l’arrondissement, saisi de la demande de sursis à exécution du jugement ordonnant le retour de l’enfant, a tenu compte de cet élément pour ordonner, dans l’intérêt de l’enfant, le sursis à exécution de la décision de retour pendant la durée d’examen de l’appel (paragraphe 24 ci-dessus), la cour régionale l’a quant à elle écarté.

114. La Cour note en effet que les juges d’appel ont considéré que la conclusion de l’examen psychologique relevait du fond sur le droit de garde et ne pouvait donc servir de preuve pour statuer sur la question du retour dont elle était saisie. Ce faisant, compte tenu de cette motivation, la cour régionale de Rīga a refusé d’examiner les conclusions de cette expertise à la lumière des dispositions de l’article 13 b) de la Convention de la Haye, et ce alors même qu’elle était directement liée à l’intérêt supérieur de l’enfant, dès lors qu’elle dénonçait un risque de traumatisme psychologique pour l’enfant en cas de séparation immédiate d’avec sa mère (voir, a contrario, Maumousseau et Washington, précité, § 63).

115. L’article 8 de la Convention imposait aux autorités lettones une obligation procédurale, en exigeant qu’une allégation défendable de « risque grave » pour l’enfant en cas de retour fasse l’objet de la part des juges d’un examen effectif, ce dernier devant ressortir d’une décision motivée (paragraphe 107 ci-dessus).

116. Selon l’article 13 b) de la Convention de La Haye, les juges saisis de la demande de retour ne sont pas tenus d’y faire droit, « lorsque la personne, l’institution ou l’organisme qui s’oppose à son retour établit (...) qu’il existe un risque grave ». Le parent s’opposant au retour doit, le premier, apporter un nombre suffisant d’éléments en ce sens. En l’espèce, c’est donc à la requérante qu’il revenait de fournir des preuves suffisantes pour étayer ses allégations, lesquelles devaient en outre concerner l’existence d’un risque spécialement qualifié de « grave » par l’article 13 b). La Cour note au demeurant que si ce dernier n’est pas limitatif quant à la nature exacte du « risque grave » – celui-ci pouvant être non seulement « un danger physique ou psychique », mais également « une situation intolérable » –, il ne saurait être lu, au regard de l’article 8 de la Convention, comme incluant l’intégralité des désagréments nécessairement liés à la situation vécue en cas de retour : l’exception prévue par l’article 13 b) vise uniquement les situations qui vont au-delà de ce qu’un enfant peut raisonnablement supporter. La requérante s’est exécutée en produisant un certificat rédigé par un psychologue et concluant à l’existence d’un risque de traumatisme pour l’enfant en cas de séparation immédiate d’avec sa mère. Par ailleurs, elle a également fait valoir l’existence de condamnations pénales à l’encontre de T. et invoqué des actes de maltraitance de sa part. Il appartenait donc aux juges lettons de procéder à des vérifications sérieuses permettant soit de confirmer soit d’écarter l’existence d’un « risque grave » (B. c. Belgique, no 4320/11, §§ 70-72, 10 juillet 2012).

117. Ainsi, de l’avis de la Cour, le refus de prendre en compte une telle allégation, étayée par la requérante puisqu’elle reposait sur une attestation émanant d’un professionnel dont les conclusions faisaient apparaître l’existence possible d’un risque grave au sens de l’article 13 b) de la Convention de La Haye, est contraire aux exigences de l’article 8 de la Convention. Le caractère non contradictoire de cette expertise ne suffisait pas à dispenser les juges de l’examiner effectivement, l’office du juge permettant à la cour régionale de soumettre le document au débat entre les parties, voire d’ordonner d’office une expertise judiciaire contradictoire – ce que permet le droit letton (paragraphe 45 ci-dessus). La question de savoir si la mère pouvait suivre sa fille en Australie et maintenir le contact avec elle aurait également dû être traitée. La Cour souligne d’ailleurs qu’en tout état de cause, les droits garantis par l’article 8 de la Convention, qui fait partie du droit letton et qui est d’applicabilité directe, constituant des « principes fondamentaux de l’État requis sur la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales » au sens de l’article 20 de la Convention de La Haye, la cour régionale ne pouvait se dispenser d’un tel contrôle dans les circonstances de l’espèce.

118. Quant à la nécessité de respecter les brefs délais prévus par la Convention de La Haye et visés dans ses motifs par la cour régionale de Rīga (paragraphe 25 ci-dessus), la Cour rappelle que si ladite Convention prévoit effectivement en son article 11 que les autorités judiciaires doivent procéder d’urgence, cela ne saurait les exonérer d’un examen effectif des allégations d’une partie, fondées sur l’une des exceptions expressément prévues, à savoir l’article 13 b) en l’espèce.

119. Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère que la requérante a fait l’objet d’une ingérence disproportionnée dans son droit au respect de sa vie familiale, le processus décisionnel en droit interne n’ayant pas satisfait aux exigences procédurales inhérentes à l’article 8 de la Convention, faute pour la cour régionale de Rīga d’avoir effectivement examiné les allégations de la requérante sur le terrain de l’article 13 b) de la Convention de La Haye.

120. Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

121. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

122. La requérante n’ayant présenté aucune demande au titre d’un éventuel préjudice moral ou matériel, la Cour constate qu’il n’y a pas lieu de lui accorder une somme à ce titre.

B. Frais et dépens

123. La requérante réclame une somme de 1 996,91 lati, soit 2 858,84 euros (EUR), en produisant un certain nombre de justificatifs, pour ses frais et dépens engagés devant la Grande Chambre de la Cour.

124. Le Gouvernement considère que les demandes de la requérante ne sont ni justifiées ni raisonnables, à l’exception d’une somme de 485,19 EUR relative aux frais engagés pour le voyage du représentant de la requérante en vue de participer à l’audience devant la Cour.

125. La Cour rappelle qu’un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’allouer à la requérante la somme de 2 000 EUR au titre des frais et dépens pour la procédure devant elle.

C. Intérêts moratoires

126. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Dit, par neuf voix contre huit, qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

2. Dit, par dix voix contre sept,

a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois, 2 000 EUR (deux mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la requérante, à convertir en lati au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

3. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 26 novembre 2013.

Michael O’BoyleDean Spielmann
Greffier adjointPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

– opinion concordante du juge Pinto de Albuquerque ;

– opinion dissidente commune aux juges Bratza, Vajić, Hajiyev, Šikuta, Hirvelä, Nicolaou, Raimondi et Nußberger.

D.S.
M.O’B.

OPINION CONCORDANTE
DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE

(Traduction)

Voici la Grande Chambre de nouveau saisie d’une affaire d’enlèvement international d’un enfant par un parent. Trois ans après avoir énoncé les principes régissant son action dans son arrêt Neulinger et Shuruk[1], elle est appelée à les réexaminer à l’aune des mêmes sources du droit international de la famille et du droit international relatif aux droits de l’homme. En d’autres termes, la question principale qui se pose devant elle est la viabilité théorique et pratique de sa propre jurisprudence très récente.

Si je partage le constat de violation de l’article 8, je me dissocie des principes énoncés par la majorité aux paragraphes 105 à 108, que j’estime équivoques, et de l’appréciation par elle des faits de l’espèce, que j’estime insuffisante. L’exposé de mon opinion se divise en trois parties. Premièrement, je traiterai les questions de l’examen qui s’impose, sur le terrain de la Convention européenne des droits de l’homme, des décisions de retour dans les affaires d’enlèvement international d’enfants et de la nécessité tant proclamée d’une révision des principes de l’arrêt Neulinger et Shuruk. Deuxièmement, j’analyserai la nature du mécanisme instauré par la Convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants et son articulation avec la Convention. Enfin, dans la troisième partie, les standards européens seront appliqués aux faits de l’espèce en tenant particulièrement compte du caractère imparfait, à la date du déplacement, du « droit de garde » allégué par le parent abandonné[2].

Les décisions de retour dans les affaires d’enlèvement international d’enfants par un parent au regard de la Convention

L’article 8 de la Convention donne pour obligation positive aux Parties contractantes de réunir un parent et son enfant dès lors que, illicitement, celui-ci a été déplacé dans un pays étranger ou y est retenu par l’autre parent, et plus précisément de prendre des mesures effectives en vue d’exécuter toute décision ordonnant le retour de l’enfant enlevé dans son pays de résidence habituelle[3], de faire prononcer une décision de ce type[4] voire d’introduire une action à cette fin dans le pays de résidence habituelle pour le compte du parent abandonné[5]. Ces obligations positives doivent être interprétées à la lumière de la Convention de La Haye, surtout lorsque l’État défendeur est aussi partie à cet instrument[6]. Ainsi, la Cour fait sienne la philosophie de la Convention de La Haye, qui est de rétablir l’enfant dans sa situation telle qu’elle existait avant l’enlèvement[7]. Le juge du pays d’accueil se doit donc d’ordonner le retour de l’enfant dans son pays de résidence habituelle, sauf pour l’un des motifs de refus de retour énoncés aux articles 13 et 20 de la Convention de La Haye, tandis que le juge du pays de résidence habituelle est le seul compétent pour trancher au fond le litige en matière de garde. Bien que les procédures de retour appellent un traitement urgent et les décisions de retour une exécution rapide, le prononcé de ces décisions dans les affaires d’enlèvement international d’enfants requiert une appréciation détaillée ou approfondie de la situation familiale dans son ensemble par le juge du pays d’accueil dans le cadre précis de la demande de retour[8]. Lorsque le processus décisionnel d’une juridiction du pays d’accueil ou l’appréciation qui en résulte présente des lacunes, le prononcé d’une décision de retour en vertu de la Convention de La Haye peut violer la Convention puisque l’ingérence dans l’exercice par l’enfant de son droit à la vie familiale avec le parent ravisseur ne sera peut-être pas forcément nécessaire dans une société démocratique[9].

Cela étant dit, l’examen détaillé de la situation de l’enfant ne se substitue manifestement pas à la procédure sur le droit de garde dans le pays d’où l’enfant a été enlevé, le juge du pays d’accueil n’étant pas censé se livrer d’office à une appréciation indépendante et globale du fond de l’affaire, basée sur une analyse de la situation de l’enfant et de sa famille ainsi que du contexte social et culturel présent et futur. Le juge du pays d’accueil ne peut être saisi que des questions touchant directement l’enlèvement de l’enfant soulevées par la demande de retour, et seulement si elles se rapportent à la décision à prendre de manière urgente et provisoire sur l’avenir proche de l’enfant. Voilà en quoi consistaient et en quoi consistent toujours les critères de l’arrêt Neulinger et Shuruk. Ni plus ni moins. L’examen détaillé auquel procède le juge du pays d’accueil n’implique aucune réattribution de compétence en matière de responsabilité parentale, laquelle demeure du ressort du pays de résidence habituelle de l’enfant. Ainsi, l’arrêt Neulinger et Shuruk ne supprime pas la différence fondamentale, consacrée à l’article 19 de la Convention de La Haye, entre une procédure de retour relevant de cet instrument et une procédure de garde.

L’articulation de la Convention avec la Convention de La Haye

La Convention de La Haye vise à lutter contre l’enlèvement international d’enfants par le père ou la mère grâce à un mécanisme combinant l’entraide interétatique et judiciaire. Dès lors qu’un enfant âgé de moins de seize ans est illicitement déplacé de son pays de résidence habituelle par l’un de ses parents, le mécanisme de La Haye est censé rétablir, aussitôt que possible, le statu quo antérieur au déplacement[10]. Pour établir l’illicéité du déplacement, trois conditions objectives doivent être réunies : 1) l’existence pour le parent abandonné de droits de garde immédiatement avant le déplacement ; 2) l’exercice effectif de ces droits antérieurement au déplacement, et 3) la fixation de la résidence habituelle de l’enfant à la date du déplacement. Aucun autre élément subjectif, tel que l’intention du parent ravisseur, n’a à être établi[11]. Le retour de l’enfant dans son pays de résidence habituelle devra alors être ordonné par le juge du pays d’accueil. La demande de retour pourra être rejetée si l’une des trois conditions ci-dessus n’est pas satisfaite[12]. Elle pourra l’être aussi si le parent abandonné a consenti au déplacement ou y a acquiescé postérieurement, ou dans certaines circonstances tenant au bien-être de l’enfant, à savoir 1) s’il existe un risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique ou psychique[13], ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable[14] ; 2) si l’enfant qui a atteint un certain degré de maturité s’y oppose ; 3) si l’enfant s’est installé dans le pays d’accueil et qu’une année s’est écoulée entre son déplacement et l’introduction en justice de la demande de retour[15], ou 4) si le retour de l’enfant ne serait pas permis par les principes fondamentaux de l’État requis sur la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales[16].

La terminologie de la Convention de La Haye devant être interprétée eu égard à son caractère autonome et à la lumière de son but, les droits de garde peuvent englober des droits énoncés par la législation du pays de résidence habituelle sous une terminologie différente et ne sont pas forcément équivalents à des droits qualifiés comme tels par la loi de tel ou tel pays[17]. Par exemple, un parent non marié qui, concrètement, prend soin de l’enfant peut néanmoins se voir refuser des droits de garde[18]. L’appréciation de points de fait et de droit tels que l’existence de droits de garde, d’une résidence habituelle ou d’un risque grave de dommage est du ressort de l’autorité compétente, judiciaire ou autre, qui statue sur la demande de retour[19]. À l’exception de ce que prévoit l’article 30 de la Convention de La Haye, chaque Partie contractante à cet instrument fixe ses propres règles de preuve dans les procédures de retour. La charge de prouver le bien-fondé de la demande de retour au principal pèse sur le parent abandonné et celle de prouver le bien-fondé de l’opposition au retour sur le parent ravisseur. Dans certaines juridictions, toutefois, la charge de la preuve varie en fonction du moyen de défense invoqué[20]. Bien qu’elle ne soit pas encadrée par des critères stricts, l’administration de la preuve dans les procédures de retour doit respecter les impératifs de célérité et de restriction des débats aux points litigieux en rapport direct avec la question du retour[21].

La Convention de La Haye ne prévoyant aucune règle précise pour la procédure d’exécution, le retour de l’enfant peut être ordonné aux tribunaux, à l’Autorité centrale, à d’autres autorités du pays de résidence habituelle, voire au parent abandonné ou à un tiers, l’enfant étant parfois toujours accompagné par le parent ravisseur, sous la garde et le contrôle de celui-ci, tant que les autorités de cet État n’en auront pas décidé autrement[22]. La décision de retour peut être prise de pair avec d’autres mesures de protection, par exemple des stipulations, conditions ou engagements, pourvu qu’il y ait une limite dans leur portée (c’est-à-dire sans préjuger des questions se rapportant à la garde que devront trancher les tribunaux de l’État de résidence habituelle) et dans leur durée (c’est-à-dire que leurs effets se prolongeront tant que le juge du pays de résidence habituelle n’aura pas pris les mesures requises par la situation)[23].

Par conséquent, la Convention de La Haye est fondamentalement un traité attributif de compétence mais qui ne méconnaît pas pour autant certaines questions de fond touchant au bien-être de chaque enfant concerné, puisqu’il impose une appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant en son article 13 et des droits fondamentaux de celui-ci en son article 20[24]. Seule une vision trop simpliste de la finalité générale d’ordre public de la Convention de La Haye et de ses effets tangibles sur la vie de chaque enfant enlevé et de ses parents ferait conclure qu’il ne s’agit que d’un texte de nature procédurale. De plus, une telle conclusion est d’autant plus erronée que la quasi-totalité des États ont ratifié la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant, laquelle reflète le consensus international sur le principe de la primauté de l’intérêt de l’enfant dans toute procédure le concernant et sur l’idée qu’il faut voir dans tout enfant un sujet de droit et non un simple objet de droit[25]. De plus, le bouleversement sociologique voulant que le ravisseur puisse être aussi bien la personne qui a la garde de l’enfant que celle qui ne l’a pas appelle dans ce type d’affaires un examen plus individualisé et attentif aux faits à la lumière d’une interprétation téléologique et évolutive des moyens de défense offerts par ce traité[26].

À ce titre, la question de l’articulation de la Convention de La Haye avec la Convention devient cruciale. Les mécanismes de protection des droits de l’homme mis en place par ces deux traités internationaux se recoupent manifestement, à tout le moins s’agissant des moyens d’opposition au retour prévus aux articles 13 et 20 de la Convention de La Haye. Au bout du compte, l’un et l’autre de ces instruments prévoient le rétablissement du statu quo dans les affaires d’enlèvements internationaux, conformément à l’intérêt supérieur et aux droits fondamentaux de l’enfant. Le problème tient principalement au « caractère exceptionnel » que revêtiraient les dispositions de la Convention de La Haye s’agissant des moyens d’opposition au retour et de leur interprétation stricte[27]. Entre Scylla, qui serait une application minimaliste et automatique de ces moyens qui les viderait de toute substance, et Charybde, qui serait la création d’un nouveau moyen de défense indépendant tiré de l’intérêt supérieur de l’enfant, empiétant sur le fond du litige relatif au droit de garde, la Cour a résisté à ces deux dangers et retenu la solution médiane, qui est que les moyens d’opposition au retour énoncés dans la Convention de La Haye permettent de déterminer de façon exhaustive ce qui est dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Cela dit, la protection des droits fondamentaux de l’enfant figure parmi ces moyens. Et il faut les prendre au sérieux.

Lorsque la Cour est saisie d’une décision de retour dans une affaire d’enlèvement international d’enfants, son examen se limite aux moyens d’opposition au retour fondés sur le bien-être de l’enfant prévus par la Convention de La Haye. Cet examen détaillé et approfondi sur le terrain de la Convention ne peut pas et n’a pas à aller plus loin. Il suffit que ces moyens soient interprétés à la lumière du contexte social d’aujourd’hui, et plus précisément des tendances sociologiques qui se dégagent depuis quelques années. Tel était l’objectif de la Grande Chambre il y a trois ans : l’arrêt Neulinger et Shuruk était un appel à une interprétation évolutive et téléologique de la Convention de La Haye.

Par conséquent, la Cour doit se contenter de rechercher si les tribunaux du pays d’accueil ont agi conformément à la Convention mais elle peut aussi aborder la question de savoir si la Convention de La Haye a été correctement interprétée et appliquée, surtout lorsque son interprétation méconnaît le contexte social d’aujourd’hui et que son application en vide le texte d’une bonne partie de son effet utile voire compromet sa finalité ultime[28]. Sur le terrain de la Convention, l’enlèvement d’un enfant fait naître la présomption réfragable que son retour aussi rapide que possible dans son pays de résidence habituelle est dans son intérêt supérieur. Cette présomption joue sauf s’il existe des raisons légitimes de croire que les droits fondamentaux de l’enfant, y compris ceux tirés de l’article 8, seraient menacés en cas de retour. Pour la renverser, le requérant doit avoir allégué et établi que lui donner effet serait contraire aux droits fondamentaux de l’enfant, en l’occurrence à son droit à la vie familiale, et le juge du pays d’accueil doit en être convaincu[29].

S’il va de soi que toute « restriction » aux droits de l’homme est d’interprétation stricte[30], les moyens d’opposition au retour ne sont pas, théoriquement parlant, des « restrictions » à tel ou tel droit fondamental. Au regard de la Convention, ils ne font que permettre de lever une présomption et ils n’ont pas forcément à être interprétés restrictivement[31]. Ainsi, en cas de contradiction dans l’appréciation de la situation de l’enfant qui résulterait d’un conflit entre une interprétation stricte de la Convention de La Haye et une interprétation téléologique et évolutive à la lumière de la Convention, c’est la seconde interprétation qui devrait l’emporter sur la première. Même si dans presque tous les cas la Convention de La Haye et la Convention européenne marchent main dans la main, c’est à cette dernière qu’il revient de montrer le chemin quand tel n’est pas le cas[32].

Cette manière de raisonner a pour conséquence pratique que, en définitive, la Cour aura le dernier mot en Europe pour ce qui est d’apprécier l’intérêt supérieur et les droits fondamentaux de l’enfant enlevé, que ce soit avant voire après l’exécution de la décision de retour. Elle a aussi une incidence sur la portée du contrôle du juge du pays d’accueil saisi d’une demande de retour en ce qu’il doit examiner la situation de l’enfant et de la famille conformément à la Convention. En Europe, le juge du pays d’accueil doit interpréter les articles 12, 13 et 20 de la Convention de La Haye à la lumière de la Convention et de la jurisprudence de la Cour. Cet examen revêt d’autant plus d’importance lorsqu’il s’agit d’un retour dans un État ne relevant pas de la juridiction de la Cour, où les parties ne seront pas en mesure ultérieurement de saisir la Cour si leurs droits dans le pays de résidence habituelle sont enfreints[33].

Dans le cadre d’un mécanisme international non doté d’un organe de suivi qui veillerait à l’uniformité de l’interprétation et de la mise en œuvre des obligations des Parties contractantes et sanctionnerait les États récalcitrants en conséquence, il y a un risque réel que la législation transposant la Convention de La Haye et la jurisprudence interne appliquant celle-ci varient beaucoup d’un État contractant à un autre. La réalité prouve que ce risque est bien réel. La conséquence fâcheuse de cette lacune institutionnelle apparaît nettement : il n’y a guère de place pour le progrès lorsque d’aussi grandes disparités se constatent dans le fonctionnement du mécanisme international et que les autorités nationales ont tout loisir de n’accorder guère de poids, voire aucun, aux précédents étrangers au regard de l’interprétation de la Convention de La Haye. En l’absence de tout contrôle supranational digne de ce nom de la manière dont les États contractants mettent en œuvre, interprètent et appliquent la Convention de La Haye, leurs juridictions agissent comme bon leur semble, donnant parfois gain de cause ostensiblement et partialement à la partie nationale. Cette lacune inhérente au mécanisme de La Haye est aggravée par la terminologie juridique ambiguë et mal définie employée dans la Convention de La Haye et par l’absence de règles procédurales sur la conduite des procédures judiciaires de retour, concernant par exemple les audiences de production des preuves, la communication des pièces, la charge de la preuve, les recours, le caractère suspensif de ceux-ci et les mesures provisoires. Les conséquences préjudiciables de jurisprudences nationales divergentes, contradictoires et déroutantes sont d’autant plus lourdes que ce traité ne régit pas la phase d’exécution des décisions de retour et, plus précisément, n’offre aucune base juridique pour les stipulations, conditions ou engagements pouvant être imposés aux parties, ni aucun système d’entraide judiciaire pour l’exécution des « décisions-miroir »[34].

Dans ces conditions, la compétence qu’a la Cour pour dire si, en appliquant la Convention de La Haye, les juridictions nationales ont garanti les droits fondamentaux énoncés dans la Convention réduit le risque de divergence de jurisprudence[35]. De plus, la tentation du forum shopping est exclue dans un système de protection des droits de l’homme où toutes les juridictions nationales sont soumises au contrôle d’un tribunal international qui veille à ce qu’il n’y ait aucune interprétation injustifiée en faveur du parent ravisseur. Ainsi, l’application uniforme des obligations tirées de la Convention de La Haye interprétées à la lumière de la Convention renforce la protection des droits de l’enfant, la courtoisie entre États et l’entraide dans les enlèvements transfrontaliers d’enfants, à tout le moins entre les Parties contractantes à la Convention[36].

Malgré ces lacunes structurelles, la Convention de La Haye s’est révélée être un instrument crucial contribuant à résoudre le drame des enlèvements transfrontaliers d’enfants par un parent. Son œuvre positive est indéniable et il faut la préserver et l’enrichir. Néanmoins, la reconnaissance universelle de la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant en tant que principe de droit international coutumier et conventionnel, et non comme un simple « paradigme social », et la confirmation d’une nouvelle tendance sociologique quant aux parents ravisseurs militent toutes deux désormais en faveur d’une interprétation téléologique et évolutive de la Convention de La Haye, que l’on retrouvera avant tout dans l’interprétation des moyens d’opposition au retour à la lumière de la situation réelle de l’enfant et de son avenir immédiat. Une lecture restrictive de ces moyens, reposant sur une présomption archaïque, unilatérale et trop simpliste en faveur du parent abandonné, faisant fi de la situation réelle de l’enfant et de sa famille et n’envisageant que sous l’angle de la « punition » la conduite du parent ravisseur, irait à l’encontre du but ultime de la Convention de La Haye, surtout lorsque l’enfant est enlevé par la personne qui prend principalement soin de lui. Elle serait contraire aux droits fondamentaux, et en particulier aux droits tirés de l’article 8, de l’enfant concerné par une procédure de retour relevant de la Convention de La Haye, droits dont le respect se confond incontestablement avec son intérêt supérieur, sans pour autant nuire manifestement au caractère urgent, sommaire et provisoire des voies de droit offertes par ce traité[37].

L’application aux faits de l’espèce des standards européens

Il est établi que les tribunaux lettons ont omis de tenir dûment compte de l’état psychologique de l’enfant, de son bien-être en Australie et de l’avenir de la relation entre elle et sa mère en cas de retour en Australie[38]. À la lumière de l’arrêt Neulinger et Shuruk, ces lacunes dans la procédure nationale auraient suffi à elles seules à fonder un constat de violation de l’article 8 car elles ne sont pas compatibles avec l’examen « approfondi » ou – dans le nouveau jargon de la Grande Chambre – « effectif » requis par l’article 8. Concrètement, la Grande Chambre a de nouveau fait application du critère de la jurisprudence Neulinger et Shuruk[39].

La manière superficielle, laxiste, dont les tribunaux lettons ont traité la question de la situation de l’enfant a été critiquée à juste titre par la Grande Chambre. En prenant en considération l’expertise psychologique produite par la mère aux fins de surseoir à l’exécution de la décision de retour en instance d’appel, tout en méconnaissant cette même expertise lorsqu’elles ont statué en appel, les juridictions nationales non seulement se sont contredites mais n’ont pas tenu effectivement compte des conclusions de l’expertise quant à la gravité du risque associé au retour de l’enfant et ce, en se fondant sur l’argument erroné que l’expertise ne pouvait servir de preuve pour exclure le retour de l’enfant[40]. La façon traumatisante dont la décision de la cour régionale de Rīga a été exécutée et les très lourdes conditions imposées par la décision clairement punitive du tribunal aux affaires familiales australien pour que la mère puisse voir sa fille sont d’autres conséquences fâcheuses de la mauvaise manière dont les tribunaux lettons ont instruit le dossier, ceux-ci n’ayant ni préparé l’enfant à son retour concret, ni recherché si ses droits étaient protégés par des garanties effectives en Australie et si la mère pouvait garder le contact avec son enfant en cas de retour, ni même, le cas échéant, conditionné ce retour à des engagements, stipulations ou décisions adéquats de manière à ne pas empêcher ni trop restreindre les contacts entre la mère et l’enfant[41].

Pis encore, les tribunaux lettons ont accepté une décision d’un tribunal australien indiquant que la requérante et T. avaient conjointement la responsabilité parentale d’E. dès la naissance de celle-ci, alors qu’elle et lui n’étaient pas mariés l’un à l’autre, que le certificat de naissance de l’enfant ne désignait pas le père et que, à la naissance de l’enfant, la mère était encore mariée à un autre homme. La décision australienne a été rendue postérieurement au déplacement de l’enfant du territoire australien, avec effet rétroactif. Au vu du dossier, il apparaît qu’elle se fondait sur des photographies, des copies de courriels et le seul témoignage de T. Aucun test de paternité n’a été pratiqué[42] ni aucun témoin entendu. Autrement dit, les tribunaux lettons n’ont même pas vérifié si les conditions d’application de la Convention de La Haye avaient été satisfaites, c’est-à-dire s’ils étaient saisis d’un enlèvement d’enfant au sens de ce traité[43].

En réalité, il est évident que les faits de la cause ne s’analysent pas en un enlèvement d’enfant puisque T. n’avait pas le moindre droit parental, et encore moins un droit de garde, « immédiatement avant [le] déplacement » de l’enfant du territoire australien, comme l’article 3 a) de la Convention de La Haye l’exige. Officiellement, la requérante était mère célibataire et l’enfant n’avait pas de père déclaré lorsqu’elle et sa fille quittèrent l’Australie le 17 juillet 2008. Dès la naissance de l’enfant jusqu’au jour de son départ d’Australie, T. non seulement n’avait pas reconnu officiellement sa paternité mais l’avait même niée devant l’administration australienne. T. ne demanda, et n’obtint, des « droits de garde » que postérieurement au déplacement de l’enfant, ce qui fait qu’à cette date la mère était de jure la seule personne investie de la responsabilité parentale, titulaire notamment de droits de garde sur l’enfant. La décision rendue par le juge australien le 6 novembre 2008 ne pouvait être interprétée de manière à contourner la condition temporelle de l’article 3 a) de la Convention de La Haye ni à étayer rétroactivement une demande de retour par ailleurs infondée[44].

Conclusion

Pour prendre en compte sérieusement les droits de l’homme, il faut que la Convention de La Haye s’applique non seulement dans l’intérêt supérieur de l’enfant et dans l’optique générale à long terme de prévenir les enlèvements internationaux d’enfants mais aussi, à court terme, dans l’intérêt supérieur de tout enfant visé par une procédure relevant de ce traité. Justice pour les enfants, fût-elle sommaire et provisoire, ne peut être faite qu’au vu de l’ensemble des éléments très concrets du dossier, c’est-à-dire de la situation matérielle de chaque enfant dont il est question. Seul un examen approfondi ou « effectif » de cette situation dans le cadre spécifique d’une demande de retour peut rendre une telle justice. En termes profanes, l’arrêt Neulinger et Shuruk est sain et sauf. Il s’agissait, et il s’agit toujours, d’une décision énonçant des principes juridiques valables et non d’un acte de « compassion judiciaire » éphémère et arbitraire.

En l’espèce, les tribunaux nationaux non seulement ont renoncé à entreprendre un examen approfondi ou « effectif » de la situation de l’enfant mais ont même aussi manqué à vérifier les conditions d’applicabilité de la Convention de La Haye. L’ingérence dans l’exercice par la requérante de son droit à la vie familiale avec son enfant était tout bonnement dépourvue de base légale, le déplacement de l’enfant du territoire letton étant ici le seul enlèvement illicite. J’ai donc conclu à la violation de l’article 8 de la Convention.

OPINION DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES BRATZA, VAJIĆ, HAJIYEV, ŠIKUTA, HIRVELÄ, NICOLAOU, RAIMONDI ET NUSSBERGER

(Traduction)

1. Nous regrettons de ne pouvoir nous associer à la majorité de la Cour lorsqu’elle constate en l’espèce une violation des droits tirés par la requérante de l’article 8 de la Convention.

2. Précisons d’emblée que notre divergence de vue avec la majorité ne tient pas aux principes généraux à appliquer dans les affaires d’enlèvements d’enfants régies par la Convention de La Haye, au sujet desquels nous sommes en plein accord avec nos collègues. Nous convenons en particulier que, malgré les indéniables conséquences que le retour de l’enfant peut avoir sur les droits de celui-ci et des parents, l’article 8 n’appelle pas un contrôle poussé, de la part des autorités judiciaires ou autres de l’État requis, de la situation familiale de l’enfant en question dans son ensemble. Nous convenons également que cette disposition impose néanmoins aux autorités nationales de l’État requis saisies d’un dossier sur le terrain de l’article 13 b) de la Convention de La Haye d’examiner toute allégation défendable d’un « risque grave » auquel l’enfant serait exposé en cas de retour et, s’il est conclu que cette allégation n’est pas établie, de l’écarter par une décision suffisamment motivée.

3. La question au sujet de laquelle nous nous dissocions de la majorité est celle de savoir si, en rejetant la demande de la requérante en l’espèce et en ordonnant le retour de son enfant en Australie, les juridictions nationales lettones ont suffisamment respecté ces obligations procédurales.

4. Nous constatons que, en première instance et en appel, les juridictions lettones ont été unanimes quant à la suite à donner à la demande présentée par T. tendant au retour de l’enfant.

Par un jugement motivé rendu le 19 novembre 2008, le tribunal d’arrondissement, qui s’est prononcé après une audience à laquelle avaient assisté les deux parents, a estimé la Convention de La Haye applicable et fait droit à la demande de T. en ordonnant le retour immédiat de l’enfant en Australie. Il a rejeté la demande formulée par la requérante sur le terrain de l’article 13 de la Convention de La Haye en jugeant, sur la base des photographies et copies de courriels entre la requérante et les parents de T., que ce dernier avait pris soin de l’enfant avant le départ de la requérante en Lettonie. Tout en notant que des dépositions de témoins faisaient état de disputes entre les parents et de ce que T. se serait comporté de manière irascible à l’égard de la requérante et de l’enfant, il jugea que cela ne permettait pas d’affirmer que T. n’avait pas pris soin de l’enfant. Il a écarté l’allégation de risque de danger psychique pour l’enfant en cas de retour, au motif qu’elle n’était pas étayée et reposait sur des conjectures infondées.

5. Par un arrêt du 26 janvier 2009 rendu après une audience à laquelle les deux parents légalement représentés avaient assisté, la cour régionale de Rīga confirma ce jugement.

À l’appui de son allégation de risque de danger psychique en cas de retour de sa fille en Australie, la requérante avait produit pour la première fois un certificat, établi à sa demande par un psychologue, qui indiquait notamment que, compte tenu du jeune âge de l’enfant, une séparation immédiate d’avec sa mère était à exclure « sinon l’enfant risqu[ait] de subir un traumatisme psychologique en ce que son sentiment de sécurité et de confiance en soi pourrait s’en trouver affecté ».

La requérante avait affirmé en outre que T. les avait maltraitées, elle et l’enfant, et qu’il était passible d’une peine d’emprisonnement en Australie eu égard aux chefs d’accusation retenus contre lui.

6. Le point essentiel dans la conclusion de la majorité voulant que la cour régionale ait manqué à ses obligations procédurales découlant de l’article 8 est que cette juridiction n’aurait pas pris en compte l’allégation, formulée par la requérante, de « risque grave » de dommage pour l’enfant en cas de retour en Australie, qui aurait été étayée par le certificat et par des dépositions de témoins.

7. Nous ne pouvons partager cette opinion qui à nos yeux ne rend justice ni à la décision ni au raisonnement des juridictions nationales. S’agissant du certificat, nous constatons que les conclusions du psychologue se limitent au préjudice qu’aurait causé à l’enfant une séparation immédiate d’avec sa mère. Ce document n’aborde pas directement la question du retour de l’enfant ni n’indique qu’il serait d’une quelconque manière préjudiciable qu’E. rentre en Australie accompagnée de sa mère. La cour régionale n’a pas refusé ni omis de prendre en compte le certificat. Au contraire, elle a souligné qu’il ne portait que sur la question de la séparation de la mère et de l’enfant, une question relevant du droit de garde qui devait être tranchée non pas par les juridictions lettonnes en tant que tribunaux de l’État requis, mais par les seules juridictions australiennes. Vu ce que dit le certificat, nous ne voyons aucune justification à la conclusion de l’arrêt selon laquelle la cour régionale aurait dû aller plus loin en soumettant ce document au débat entre les parties, voire en ordonnant d’office une expertise judiciaire contradictoire.

8. Quant aux allégations formulées par la requérante à l’encontre de T., la cour régionale les a expressément examinées mais les a écartées au motif qu’« aucune pièce n’a[vai]t été produite pour établir, fût-ce indirectement, ces éléments ».

9. Selon l’arrêt, la cour régionale aurait dû rechercher plus avant s’il était réaliste que la requérante revienne en Australie avec l’enfant ou si le retour de l’enfant aurait inévitablement conduit à sa séparation d’avec sa mère. Nous ne sommes pas de cet avis. À l’évidence, rien ne faisait juridiquement obstacle au retour de la requérante : elle avait non seulement vécu en Australie pendant plusieurs années mais aussi acquis la nationalité australienne en 2007. De plus, rien dans l’arrêt de la cour régionale ne nuisait à son droit de conserver la garde de l’enfant et de l’accompagner en Australie. En outre, la requérante n’apparaît pas avoir soutenu devant la cour régionale que, pour des raisons de sécurité personnelle ou autres, elle ne pouvait en aucun cas envisager un retour en Australie. Bien sûr, elle avait allégué que T. les avait maltraitées, elle et l’enfant, mais, ainsi qu’il a déjà été noté ci-dessus, cette allégation a été rejetée par le juge au motif qu’elle n’était étayée par aucun élément. De surcroît, la cour régionale a fait observer ensuite qu’il n’y avait pas lieu de douter de la qualité des prestations sociales offertes aux enfants en Australie étant donné que, d’après une déposition écrite sous serment, la législation australienne assurait entre autres la sécurité des enfants et leur protection contre les mauvais traitements domestiques. Nous notons en conclusion que, alors qu’elle avait affirmé devant la cour régionale qu’elle n’avait aucune attache en Australie et que, en cas de retour là-bas, elle aurait été sans emploi et sans ressources, la requérante apparaît bel et bien être revenue en Australie, où elle a trouvé un logement et un emploi.

10. Nous ne sommes pas davantage convaincus par l’argument, implicite dans l’arrêt, selon lequel les juridictions lettones auraient dû demander d’office davantage d’informations aux autorités australiennes sur le dossier pénal de T., sur ses condamnations antérieures et sur les chefs de corruption qui auraient été retenus contre lui. Dans une procédure relevant de l’article 13 de la Convention de La Haye, c’est à la partie opposant un « risque grave » en cas de retour de l’enfant qu’il revient d’en prouver l’existence. Or, comme l’ont constaté les juridictions lettonnes, la requérante n’a produit aucun élément pour établir, fût-ce indirectement, le risque qu’elle alléguait.

11. Certes, les motifs par lesquels les tribunaux lettons ont ordonné le retour d’E. sont succincts, mais nous estimons, contrairement à l’opinion de la majorité, qu’ils ont adéquatement répondu aux arguments de la requérante et que l’examen des demandes formulées par celle-ci a satisfait aux obligations procédurales que l’article 8 de la Convention fait peser sur eux.

12. Au vu de cette conclusion, nous nous refusons tous, à part le juge Bratza, à accorder une somme au titre des dépens ; la requérante ayant finalement obtenu gain de cause, le juge Bratza a en effet voté en faveur de l’octroi d’une somme à ce titre.

* * *

[1]. Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], no 41615/07, CEDH 2010.

[2]. Dans la présente opinion, « la Convention » renvoie à la Convention européenne des droits de l’homme, « la Convention de La Haye » à la Convention du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, « le règlement de l’UE » au règlement (CE) no 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003, « la Cour » à la Cour européenne des droits de l’homme et « la Commission spéciale » à la Commission spéciale sur le fonctionnement pratique de la Convention de La Haye. De plus, j’appellerai « le parent abandonné » le parent illicitement privé de son droit de garde et « le parent ravisseur » le parent ayant illicitement déplacé ou retenu l’enfant. J’appellerai aussi « le pays d’accueil » le pays dans lequel l’enfant a été illicitement déplacé ou est illicitement retenu et « le pays de résidence habituelle » le pays duquel l’enfant a été illicitement déplacé ou dans lequel il ne peut pas retourner.

[3]. L’arrêt de principe est Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, no 31679/96, CEDH 2000-I.

[4]. L’arrêt de principe est Monory c. Roumanie et Hongrie, no 71099/01, 5 avril 2005.

[5]. L’arrêt de principe est Iglesias Gil et A.U.I. c. Espagne, no 56673/00, §§ 57-59, CEDH 2003-V.

[6]. Article 31 § 3 c) de la Convention de Vienne sur le droit des traités. Voir, parmi d’autres précédents, les arrêts précités Ignaccolo-Zenide, § 95, Monory, § 81, et Iglesias Gil et A.U.I., § 61. Toutefois, l’obligation positive d’agir en cas d’enlèvement d’enfants s’applique aussi aux États non parties à la Convention de La Haye (Bajrami c. Albanie, no 35853/04, CEDH 2006-XIV, et Hansen c. Turquie, no 36141/97, 23 septembre 2003).

[7]. Maumousseau et Washington c. France, no 39388/05, § 69, 6 décembre 2007.

[8]. Neulinger et Shuruk, précité, § 139.

[9]. L’arrêt de principe est, à l’évidence, Neulinger et Shuruk, précité, suivi par les arrêts Šneersone et Kampanella c. Italie, no 14737/09, 12 juillet 2011, et B. c. Belgique, no 4320/11, 10 juillet 2012. Il est néanmoins important de noter que, depuis l’arrêt Neulinger et Shuruk, la Cour a jugé irrecevables pour la plupart des griefs très similaires (Van den Berg et Sarrì c. Pays-Bas (déc.), no 7239/08, 2 novembre 2010, Lipkowsky et McCormack c. Allemagne (déc.), no 26755/10, 18 janvier 2011, Tarkhova c. Ukraine (déc.), no 8984/11, 6 septembre 2011, M.R. et L.R. c. Estonie (déc.), no 13420/12, 15 mai 2012, et Chernaţ et autres c. Roumanie (déc.), no 13212/09, 3 juillet 2012). Bref, l’application prudente de l’arrêt Neulinger n’a pas ouvert la porte à une avalanche d’arrêts similaires. Le risque tant décrié de démolition imminente du mécanisme de La Haye après cet arrêt s’est révélé infondé.

[10]. L’enlèvement international d’enfants implique soit le déplacement illicite d’un pays à un autre, soit le non-retour illicite d’un enfant dans un pays étranger. Compte tenu des faits de l’espèce, la présente opinion ne traitera que du premier cas de figure et considérera le parent abandonné comme l’archétype de la personne, institution ou autre organisme visé(e) à l’article 3 a) de la Convention de La Haye. Les deux postulats de base de cet instrument sont, premièrement, que les tribunaux du pays de résidence habituelle sont mieux placés (forum conveniens) pour régler au fond le litige relatif au droit de garde car c’est là que se trouvent l’essentiel des preuves pertinentes et, deuxièmement, que l’enlèvement nuit au développement de l’enfant car celui-ci est contraint d’abandonner le parent qui s’occupe principalement de lui, les membres de sa famille ainsi que le milieu social et culturel qu’il connaît. En fait, lorsque la Convention de La Haye était en cours d’élaboration, le stéréotype sociologique du parent ravisseur était le père étranger n’ayant pas de droit de garde, réticent à accepter la garde exercée par la mère sur l’enfant et ayant déplacé l’enfant de son pays de résidence habituelle. Depuis les années 1990, ce n’est plus le cas, la majorité des parents ravisseurs étant aujourd’hui des mères étrangères ayant le droit de garde qui quittent, pour de multiples raisons, le pays de résidence habituelle de la famille après avoir rompu avec le père de l’enfant. Par conséquent, si le postulat en matière de preuve est toujours d’actualité aujourd’hui, ce n’est plus le cas du postulat factuel.

[11]. Voir l’arrêt Thomson v. Thomson [1994] 3 S.C.R. 551, dans lequel la Cour suprême canadienne a dit que la connaissance qu’avait la mère d’une décision interdisant le déplacement d’Écosse d’un enfant n’était pas essentielle. D’ailleurs, la Convention de La Haye ne fait aucune distinction entre le déplacement intentionnel et le déplacement par négligence d’un enfant (Mattenklott c. Allemagne (déc.), no 41092/06, 11 décembre 2006).

[12]. Certains tribunaux acceptent d’autres moyens de défense « procéduraux », par exemple

la « déchéance frappant le fugitif » (fugitive disentitlement), la renonciation (waiver) et les « mains sales » (unclean hands) (pour un résumé, voir Federal Judicial Center, International Litigation Guide, The 1980 Hague Convention on the Civil Aspects of International Child Abduction: A Guide for Judges, 2012, pp. 91-98).

[13]. Les tribunaux nationaux recherchent si l’enfant serait exposé à un danger de ce type dans les cas suivants : retour dans une zone en proie à la guerre, à des troubles civils, à des violences endémiques, à la famine, à des épidémies ou à la pollution, problèmes d’adaptation, conditions de vie difficiles, négligence de l’enfant, sévices sur celui-ci, troubles post-traumatiques ou traumatisme causé par la séparation (voir notamment Cour de cassation française, arrêts no 11-28.424 du 13 février 2013, et no 10-19905 du 26 octobre 2011 ; Cour de cassation italienne, arrêt no 22962 du 31 octobre 2007, et no 10577 du 4 juillet 2003 ; ainsi que les décisions rendues par les juridictions fédérales américaines dans les affaires Simcox v. Simcox, 511 F.3d 594 (6th Cir. 2007) ; Blondin v. Dubois, 238 F.3d 153 (2d Cir. 2001), et Friedrich v. Friedrich, 78 F.3d 1060 (6th Cir. 1996)).

[14]. Une interprétation stricte – et problématique – de l’article 11 §§ 4 et 8 du règlement de l’UE a rendu inutiles ces moyens de défense et a donc quasiment éliminé toute vérification dans le pays d’accueil (CJUE, Rinau, affaire C-195/08PPU, arrêt du 11 juillet 2008 ; Detiček, affaire C 403/09PPU, arrêt du 23 décembre 2009 ; Povse, affaire C-211/10, arrêt du 1er juillet 2010, et Zarraga, affaire C-491/10PPU, arrêt du 22 décembre 2010).

[15]. Les tribunaux nationaux prennent en compte des éléments tels que la durée et la stabilité de la résidence dans le nouveau milieu, l’assiduité à l’école et les activités extrascolaires ainsi que la langue parlée couramment (Friedrich v. Friedrich, précité, et Lops v. Lops, 140 F.3d 927 (11th Cir. 1998).

[16]. Bien qu’il ne se limite pas expressément aux droits fondamentaux de l’enfant, ce moyen de défense a été interprété en ce seul sens, l’article 20 étant censé énoncer « une forme très strictement bornée d’ordre public » (Conclusions sur les points principaux discutés par la Commission spéciale, 1989, § 38), d’aucuns soutenant que les motifs de refus de retour de l’enfant énoncés à l’article 13 englobent déjà ceux prévus à l’article 20 (compte rendu de la deuxième réunion de la Commission spéciale, 1993, réponse à la question 30 de la partie III).

[17]. Il a été souligné au sein de la Commission spéciale que les expressions « résidence habituelle » et « droits de garde » doivent normalement être interprétées dans une optique internationale et non par un renvoi à des règles particulières de droit national (Conclusions sur les points principaux discutés par la Commission spéciale, 1989, § 9 ; compte rendu de la deuxième réunion de la Commission spéciale, 1993, réponse à la question 5 de la partie III ; recommandation 4.1 de la quatrième réunion de la Commission spéciale ; compte rendu de la cinquième réunion de la Commission spéciale, 2006, § 155, et Conclusions de la Commission spéciale, 2012, § 44). Comme l’a dit la Cour suprême des États-Unis, les droits de garde doivent être déterminés « en suivant le texte et le plan de la Convention [de La Haye] (...) Cette approche uniforme, fondée sur le texte, assure une cohérence au niveau international dans l’interprétation de la Convention. Elle empêche les tribunaux de s’appuyer sur des définitions de la garde circonscrites à l’usage juridique local (...) » (Abbott v. Abbott, 130 S. Ct. 1983, 1990 (2010)).

[18]. Compte rendu de la troisième réunion de la Commission spéciale, 1997, § 13. Ce qu’on pourrait appeler des « droits de garde imparfaits » ont été acceptés dans certains pays, par exemple en Angleterre et au pays de Galles (Re B. (A Minor) (Abduction) (1994) 2 FLR 249, Re O. (Child Abduction: Custody Rights) (1997) 2 FLR 702, et Re G. (Abduction: Rights of Custody) (2002) 2 FLR 703) et en Nouvelle-Zélande (Anderson v. Paterson [2002] NZFLR 641), mais rejetés dans d’autres, par exemple en Irlande (H.I. v. M.G. (1999) 2 ILRM 1) et en Irlande du Nord (VK and AK c. CC [2013] NIFam 6). Ainsi qu’il sera démontré ci-dessous, la notion de « droits de garde imparfaits » n’est pas conciliable avec la jurisprudence de la Cour, de la CJUE et de la Chambre des lords.

[19]. Conclusions et Recommandations de la Commission spéciale, 2012, §§ 13, 36 et 80.

[20]. Rapport et conclusions de la Commission spéciale, 2002, § 64.

[21]. Recommandation 3.7 de la quatrième réunion de la Commission spéciale, 2001 ; Guide de bonnes pratiques, Convention-Enlèvement d’enfants : Deuxième Partie – Mise en œuvre, 2003, § 6.5.

[22]. Compte rendu de la deuxième réunion de la Commission spéciale, 1993, réponse à la question 1 de la partie III. Les tribunaux devraient veiller à ce que les décisions de retour qu’ils prononcent comportent le plus de détails et de précisions possibles, y compris les modalités pratiques du retour et les mesures coercitives éventuelles à appliquer (Guide de bonnes pratiques, Convention-Enlèvement d’enfants : Quatrième partie – Exécution, 2010, §§ 4.1 et 4.2 du résumé).

[23]. Dans certains pays, surtout de common law, ces conditions peuvent aller d’engagements non exécutoires pris par le parent abandonné à la possibilité d’obtenir une « décision-miroir », c’est-à-dire une décision rendue par un tribunal du pays de résidence habituelle identique ou similaire à une décision antérieurement rendue dans le pays d’accueil (Recommandations 1.8.2 et 5.1 de la quatrième réunion de la Commission spéciale ; Compte rendu de la cinquième réunion de la Commission spéciale, 2006, §§ 228 et 229, et Recommandations 1.8.1 de la cinquième réunion de la Commission spéciale ; Guide de bonnes pratiques, Convention-Enlèvement d’enfants : Première Partie – Pratique des Autorités centrales, 2003, § 4.22).

[24]. Voir le rapport Pérez-Vera, § 25 : « ces exceptions ne sont que des manifestations concrètes du principe trop imprécis qui proclame que l’intérêt de l’enfant est le critère vecteur en la matière ». Il faut interpréter ce passage à l’aune de l’idée que le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant « ressemble davantage à un paradigme social qu’à une norme juridique concrète » (§ 21).

[25]. L’article 3 § 1 de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant (1989) reconnaît un principe de droit international coutumier déjà reflété dans le préambule de la Convention de La Haye : « [p]rofondément convaincus que l’intérêt de l’enfant est d’une importance primordiale pour toute question relative à sa garde (...) ». Ceci va aussi dans le sens du principe III B 2 des Lignes directrices du Comité des Ministres sur une justice adaptée aux enfants (2010), des articles 4 et 29 a) de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant (1990), et des Principes directeurs du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés relatifs à la détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant (2008).

[26]. Voir, dans ce sens : Chambre des lords, arrêt Re M (FC) and another (FC) (Children) (FC) [2007] UKHL 55, et Re D (Abduction: Rights of Custody) [2006] UKHL 51 ; Cour de cassation française, arrêt no 04-16.942 du 14 juin 2005 ; Cour de cassation italienne, arrêt no 10577 du 4 avril 2003 ; High Court australienne, arrêt DP v. Commonwealth Central Authority [2001] HCA 39 ; Cour suprême néo-zélandaise, Secretary for Justice v. HK, arrêt du 16 novembre 2006, et les Conclusions de la Commission spéciale de 2012, § 42.

[27]. Rapport Pérez-Vera, §§ 25, 34 et 116 ; Recommandation 4.3 de la réunion tenue en 2001 par la Commission spéciale ; Recommandation 1.4.2 de la cinquième réunion de la Commission spéciale ; compte rendu de la cinquième réunion de la Commission spéciale, 2006, §§ 155 et 165, et Recommandation 4.3 de la quatrième réunion de la Commission spéciale, et 42 U.S.C. § 11601(a)(4) (« exceptions restrictives »), Département d’État des États-Unis, Hague International Child Abduction Convention, Text and Legal Analysis, at 10510, ainsi que Federal Judicial Center, International Litigation Guide, The 1980 Hague Convention on the Civil Aspects of International Child Abduction: A Guide for Judges, 2012, p. 64.

[28]. Lorsqu’une autorité nationale applique un traité international, la tâche de la Cour se limite à déterminer si les règles tirées de ce dernier sont applicables et si leur interprétation est compatible avec la Convention (Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, § 54, CEDH 1999‑I, et Korbely c. Hongrie [GC], no 9174/02, § 72, CEDH 2008). Il en va de même pour la Convention de La Haye (Neulinger et Shuruk, précité, § 133, Šneersone et Kampanella, précité, § 85, et B. c. Belgique, précité, § 60). Parfois la Cour dénonce non seulement l’interprétation du régime légal pertinent (Monory, précité, § 81, et Carlson c. Suisse, no 49492/06, § 77, 6 novembre 2008), mais aussi le caractère inadéquat de la législation elle-même (Iglesias Gil et A.U.I., précité, § 61).

[29]. Le juge du pays d’accueil n’a pas forcément à être convaincu au-delà de tout doute raisonnable du bien-fondé tant de la demande de retour que des moyens de s’y opposer, car rien ne permet de dire que le critère de preuve serait un autre que celui, habituel, de la plus forte probabilité (M.R. et L.R. c. Estonie, décision précitée, § 46, et Re E (Children) (Abduction: Custody Appeal) (2011) UKSC 27). D’ailleurs, le caractère provisoire et sommaire de la procédure de retour milite en faveur de ce critère de preuve moins strict.

[30]. Klass et autres c. Allemagne, 6 septembre 1978, § 42, série A no 28, et Observer et Guardian c. Royaume-Uni, 26 novembre 1991, § 59, série A no 216.

[31]. Comme l’ont conclu à juste titre la High Court australienne dans son arrêt D.P. v. Commonwealth Central Authority [2001] HCA 39, la Cour suprême sud-africaine dans son arrêt Sonderup v. Tondelli 2001 (1) SA 1171 CC, et la Cour suprême du Royaume-Uni dans son arrêt Re E. (Children) (Abduction: Custody Appeal) [2011] UKSC 27, les moyens d’opposition au retour n’ont pas à être interprétés respectivement. Il n’y a pas à y ajouter non plus un quelconque critère d’exceptionnalité (Re M. (Children) (Abduction: Rights of Custody) [2007] UKHL 55).

[32]. Ce n’est pas une particularité du système de protection européen des droits de l’homme (voir l’article 34 de la Convention interaméricaine de 1989 relative aux retours internationaux d’enfants).

[33]. La décision manifestement disproportionnée rendue en septembre 2009 par le tribunal aux affaires familiales australien interdisant à la mère de converser en langue lettone avec sa propre fille en est un exemple éloquent ! Les droits d’un enfant découlant de l’article 8 peuvent être gravement enfreints après un retour dans un État non lié par la Convention, sans que le requérant ne jouisse de la moindre voie de droit concrète devant la Cour.

[34]. La nécessité d’un protocole additionnel à la Convention de La Haye qui codifierait les garanties et obligations fondamentales dans la phase d’exécution de la décision de retour, prévoirait un mécanisme contraignant d’interprétation uniforme de ce traité et permettrait de contrôler le respect par les États parties de leurs obligations est patente. Les enseignements tirés de la Convention européenne de 1980 sur la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière de garde des enfants et le rétablissement de la garde des enfants et de la Convention de La Haye de 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants pourraient apporter des éclaircissements en la matière.

[35]. Il en va manifestement de même dans le système interaméricain de protection des droits de l’homme, où la Commission interaméricaine a déjà dit que prononcer une décision de retour en instance de recours n’était pas contraire à la Convention américaine des droits de l’homme et a donc réexaminé, à l’aune de critères supranationaux, la décision d’un tribunal argentin rendue dans le cadre d’une procédure de retour (rapport no 71/00, X. and Z. v. Argentina, 3 octobre 2000, §§ 38, 51 et 56).

[36]. Il n’est pas sans intérêt non plus d’évoquer la force persuasive de la jurisprudence de la Cour, qui peut jouer un rôle dans la manière dont les pays non européens appliquent la Convention de La Haye. À l’inverse, la jurisprudence des systèmes interaméricain et africain de protection des droits de l’homme pourrait elle aussi avoir une influence sur la manière dont les tribunaux européens et la Cour appliquent la Convention de La Haye. Un riche dialogue pourrait ainsi naître entre les tribunaux internationaux, permettant l’essor de standards juridiques universels et le renforcement des droits des enfants.

[37]. Je ne suis pas disposé à accepter la critique facile selon laquelle nous ne pouvons avoir le beurre et l’argent du beurre, en ce que faire un examen « approfondi » dans une procédure à conduire d’urgence et avec diligence reviendrait presque à chercher la quadrature du cercle. Premièrement, ainsi qu’il a déjà été expliqué, l’arrêt Neulinger et Shuruk limite l’objet de l’examen au contexte précis de la demande de retour. Deuxièmement, ayant moi-même l’avantage d’être intervenu dans de nombreuses affaires de droit de la famille, dont certaines relevaient de la Convention de La Haye, je suis persuadé qu’un examen méthodique, limité et rapide est parfaitement faisable lorsque les juges en contrôlent strictement le calendrier. Un examen judiciaire « approfondi » n’a pas à être obtus, mal défini et laxiste.

[38]. Dans l’affaire précitée X. and Z. v. Argentina, § 60, la Commission interaméricaine a conclu que les évaluations de l’enfant faites par un psychologue et par une assistante sociale désignée par le juge, qui s’étaient entretenus avec les parents comme avec l’enfant n’avaient pas porté atteinte au droit à un procès équitable, impartial et diligent.

[39]. La majorité semble a priori se dissocier des principes de l’arrêt Neulinger et Shuruk (paragraphe 107 de l’arrêt). Mais cette impression est illusoire. La majorité exige également un « examen effectif des allégations d’une partie » (paragraphe 118 de l’arrêt). Le remplacement de l’adjectif « approfondi » par l’adjectif « effectif » ne change pas grand-chose, surtout vu que la Grande Chambre considère toujours que la compétence de la Cour inclut l’appréciation au fond des « droits de l’homme » de l’enfant lorsqu’elle examine une décision de retour (paragraphe 117 de l’arrêt). En d’autres termes, le présent arrêt n’apporte aucun changement réel aux critères de l’arrêt Neulinger et Shuruk.

[40]. Des lacunes similaires avaient été dénoncées dans les arrêts B. c. Belgique, précité, § 72, et Šneersone et Kampanella, précité, § 95.

[41]. Comme cela avait été fait dans les affaires Sylvester c. Autriche, nos 36812/97 et 40104/98, 24 avril 2003, et Mattenklott, décision précitée.

[42]. Dans l’affaire précitée Mattenklott, la décision de retour était fondée sur un test de paternité pratiqué par le père naturel et sur la présomption d’exercice des droits de garde à la date du déplacement, tirée de ce que le père voyait parfois l’enfant auparavant.

[43]. Ce qu’on pourrait appeler des « droits de garde imparfaits » ont fait l’objet de deux affaires devant la Cour. Dans sa décision Balbontin c. Royaume-Uni ((déc.), no 39067/97, 14 septembre 1999), la Cour a confirmé l’interprétation des juridictions nationales selon laquelle même l’octroi par celles-ci de la responsabilité parentale au requérant non marié postérieurement au déplacement de l’enfant du territoire du Royaume-Uni n’aurait pas rendu rétroactivement illicite pour autant le déplacement de l’enfant. Dans sa décision Guichard c. France ((déc.), no 56838/00, CEDH 2003-X), la Cour a jugé irrecevable la requête introduite par un père non marié qui n’avait pas de droit de garde à la date où son fils avait été déplacé du territoire français, bien qu’il eût officiellement reconnu l’enfant avant sa naissance. Se fondant sur cette jurisprudence, la Cour de justice de l’Union européenne a tranché une affaire similaire dans laquelle un père non marié n’avait entrepris aucune démarche pour obtenir des droits de garde avant que l’enfant ne soit déplacé de son pays de résidence habituelle. Le déplacement de l’enfant dans un autre pays représentait « l’exercice licite, par la mère ayant la garde de l’enfant, de son propre droit de libre circulation, consacré aux articles 20, paragraphe 2, sous a), TFUE et 21, paragraphe 1, TFUE, et de son droit de déterminer le lieu de résidence de l’enfant » (J. McB. c. L. E., C‑400/10 PPU, arrêt du 5 octobre 2010, § 58). Enfin, dans son arrêt In Re J. (A Minor) (Abduction: Custody Rights) [1990] 2 AC 562, la Chambre des lords a jugé que la garde de facto ne suffisait pas à valoir droit de garde au regard de la Convention de La Haye. La mère ayant seule la garde de l’enfant à la date du déplacement, l’attribution ultérieure de droits de garde au père déclaré ne pouvait selon elle rendre ce déplacement illicite. Le constat du juge australien sur ce point ne liait pas les tribunaux britanniques. Dans l’arrêt Re D (A Child) (Abduction: Rights of Custody) [2007] 1 AC 619, la baronne Hale a clairement dit que, en la matière, In Re J était le précédent faisant autorité.

[44]. Cette conclusion n’est pas invalidée par la déclaration de l’Autorité centrale australienne selon laquelle, à la date du déplacement de l’enfant du territoire australien, T. avait la responsabilité parentale conjointe d’E. Premièrement, les autorités lettones n’étaient pas tenues par cette déclaration. Deuxièmement, la notion de « droits de garde » revêtant un sens autonome dans la Convention de La Haye, la déclaration australienne ne pouvait, au vu des circonstances uniques de l’espèce et à la lumière de la Convention, attribuer des « droits de garde » à T. en vue de faire jouer le mécanisme de la Convention de La Haye.


Synthèse
Formation : Cour (grande chambre)
Numéro d'arrêt : 001-138939
Date de la décision : 26/11/2013
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8 - Obligations positives;Article 8-1 - Respect de la vie familiale)

Composition du Tribunal
Avocat(s) : STRAUSS R.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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