La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/11/2013 | CEDH | N°001-128199

CEDH | CEDH, AFFAIRE ULARIU c. ROUMANIE, 2013, 001-128199


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE ULARIU c. ROUMANIE

(Requête no 19267/05)

ARRÊT

STRASBOURG

19 novembre 2013

DÉFINITIF

24/03/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Ulariu c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Corneliu Bîrsan,
Luis López Guerra,
Kristina Pardal

os,
Johannes Silvis,
Valeriu Griţco, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 octobr...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE ULARIU c. ROUMANIE

(Requête no 19267/05)

ARRÊT

STRASBOURG

19 novembre 2013

DÉFINITIF

24/03/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Ulariu c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Corneliu Bîrsan,
Luis López Guerra,
Kristina Pardalos,
Johannes Silvis,
Valeriu Griţco, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 octobre 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 19267/05) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Dan Gabriel Ulariu (« le requérant »), a saisi la Cour le 10 mai 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me I. Maxim, avocat à Braşov. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agents, M. Răzvan-Horațiu Radu et Mme Irina Cambrea, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant allègue une atteinte à son droit au respect de sa vie privée en raison de l’enregistrement de ses conversations. Il se plaint également de ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable, dans la mesure où il avait fait l’objet d’une provocation policière et a été condamné principalement sur la base de preuves illégalement obtenues.

4. Le 14 octobre 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1955 et réside à Braşov.

1. Le contexte de l’affaire

6. En 2003, le requérant était directeur général de la société A. A une date non précisée, il fut mis en examen par le Parquet national anticorruption (« PNA »), pour avoir porté préjudice au budget de l’État pour un montant de 5 000 000 000 ROL et pour des faits liés à de la corruption. Le dossier pénal no 11/P/2003 fut ainsi constitué.

7. Le 20 février 2003, T.C., commissaire de police au PNA, fit une perquisition au siège de la société A. dans le cadre du dossier no 11/P/2003.

8. Après la perquisition, L.S. qui était un employé de la société A. et une connaissance de T.C., contacta ce dernier et l’informa que le requérant, avec qui il entretenait de bonnes relations, était inquiet à l’idée que le dossier de l’affaire soit transféré de la police de Brașov au PNA. L.S. demanda à T.C. s’il était possible de se rencontrer en présence d’un tiers, sans préciser de qui il s’agissait.

9. T.C. soupçonna L.S. de vouloir intervenir auprès de lui pour qu’il favorise le requérant dans l’enquête pénale dirigée contre lui par le PNA. Par un rapport du 20 février 2003, T.C. informa sa hiérarchie qu’il avait été contacté par L.S. et de ses soupçons. Par une décision rendue le même jour, le procureur en chef du PNA autorisa T.C. à entrer en contact avec le requérant et L.S., en vue de recueillir des preuves concernant l’intention du requérant de corrompre le représentant de la police. Se fondant sur l’article 16 §§ 1 b) et 3 de l’Ordonnance d’urgence du Gouvernement no 43/2002 sur le PNA, le procureur autorisa également la mise sur écoute du numéro du téléphone de T.C. pour une période de trente jours, ainsi que l’enregistrement d’images vidéo.

10. Lors de l’appel suivant de L.S., T.C. accepta de le rencontrer.

11. Le 22 février 2003, T.C. rencontra L.S. et le requérant dans un restaurant. Lors de cette rencontre, alors que L.S. s’était absenté pour un court moment, le requérant mentionna qu’il était intéressé par une collaboration avec T.C. afin que son dossier soit renvoyé du PNA à la police de Braşov pour la poursuite de l’enquête. D’après les enregistrements mentionnées par les juridictions nationales (paragraphe 30 ci-dessous), le requérant indiqua qu’il avait « accès » à la police et que « le non-lieu était déjà rédigé ». Il mentionna comme contrepartie la somme de 1 000 dollars américains. Comme T.C. indiqua qu’il ne savait pas quelle somme serait appropriée mais qu’il travaillait avec trois autres personnes, le requérant lui proposa la somme de « 2 000 USD et une partie de pêche dans le Delta [du Danube] ». T.C. accepta l’offre.

12. Le Service roumain de renseignements fit des enregistrements audio et vidéo des discussions entre le requérant, L.S. et T.C. Il enregistra également des conversations téléphoniques préalables entre L.S. et T.C. Il fut noté que L.S. avait appelé deux fois T.C. du numéro de portable du requérant en présence de ce dernier.

13. Par une décision rendue le 22 février 2003, le PNA ordonna l’ouverture des poursuites pénales contre le requérant du chef de corruption active.

14. Le 24 février 2003, le requérant appela T.C. pour établir la manière dont l’argent lui serait remis et en lui demandant s’il devait verser certains documents au dossier. T.C. lui indiqua qu’il ne devait pas se presser, d’autant plus qu’il appréhendait le « danger » auquel il s’exposait lui-même au cas où leur « arrangement » serait découvert par le PNA. Le 27 février 2003, le requérant rencontra T.C. afin de décider des documents à verser au dossier afin d’influencer le cours de l’enquête. Ces conversations furent également enregistrées sans que des images soit prises.

15. Le 28 février 2003, le requérant transmit à T.C., par l’intermédiaire de L.S., une enveloppe contenant 2 000 USD.

16. Le 14 mars 2003, se fondant sur l’article 224 du code de procédure pénale (« CPP »), le PNA rédigea un procès-verbal mentionnant les actes de l’enquête préliminaire, parmi lesquels l’autorisation de réaliser les enregistrements des conversations téléphoniques et la mise sur écoute de T.C.

2. Le placement en détention provisoire du requérant

17. Par une ordonnance du 28 février 2003, le PNA arrêta le requérant pour une durée de trente jours, pour corruption active.

18. Le requérant contesta sa détention provisoire. Par un arrêt définitif du 12 mars 2003, la cour d’appel de Braşov (« la cour d’appel ») ordonna la remise du requérant en liberté, au motif que les procès-verbaux des écoutes ne mentionnaient pas les heures des conversations et les numéros de téléphone concernés par l’interception. Elle prit en compte également le fait que T.C. n’avait pas essayé de dissuader toute tentative de l’inculpé ou de son intermédiaire de commettre l’infraction, alors même que « la préparation » d’une éventuelle infraction de corruption active le visait directement.

3. La condamnation pénale du requérant pour corruption active

a) Le renvoi en jugement du requérant

19. Se fondant sur la déclaration de T.C. et sur les transcriptions des enregistrements des conversations du requérant avec T.C. et L.S., le 28 février 2003, le PNA mit en mouvement l’action pénale à l’encontre du requérant du chef de corruption active.

20. Le requérant, assisté par un avocat commis d’office, fut interrogé par le parquet et il nia les faits reprochés. Il déclara que l’argent qu’il avait donné à L.S. représentait le remboursement d’un prêt.

21. T.C. fut interrogé et décrivit les faits comme relaté ci-dessus (paragraphes 8 à 15 ci-dessus).

22. Interrogés par le parquet, L.S. et son épouse, L.M., déclarèrent qu’ils n’avaient jamais prêté de l’argent au requérant. L.S. affirma qu’il avait pris l’initiative d’organiser une rencontre entre T.C. et le requérant, sans que ce dernier le lui demande.

23. Sur réquisitoire du 17 mars 2003, le PNA renvoya le requérant en jugement du chef de corruption active. Il était reproché à l’intéressé d’avoir promis, le 22 février 2003, au commissaire de police T.C. la somme de 2 000 USD pour qu’il agisse dans ses fonctions de manière à influencer le cours des poursuites dans le dossier no 11/P/2003.

b) La procédure judiciaire

24. Interrogé par le tribunal départemental de Braşov (« le tribunal départemental »), le requérant revint sur sa déclaration faite pendant les poursuites. En présence de l’avocat qu’il avait choisi, il déclara qu’il avait été provoqué par T.C. à commettre l’infraction dont il était accusé. Il admit avoir cédé aux pressions de T.C., alors qu’il savait que ce dernier ne jouait aucun rôle dans l’enquête menée contre lui. Il avait accepté de lui payer cette somme pour ne pas avoir « un ennemi » en la personne d’un commissaire de police.

25. L.S. fut interrogé par le tribunal et il affirma qu’il ne se souvenait plus du montant que le requérant lui avait remis et déclara que T.C. lui avait demandé d’organiser une rencontre avec le requérant.

26. Interrogés par le tribunal, T.C. et L.M. maintinrent leurs déclarations faites pendant les poursuites.

27. Le 25 septembre 2003, le tribunal départemental fit droit à la demande du requérant et ordonna au parquet de verser au dossier les supports magnétiques des enregistrements réalisés dans l’affaire afin de pouvoir vérifier l’exactitude des transcriptions. Les 26 novembre 2003 et 5 février 2004, le tribunal départemental fit écouter aux parties, lors d’une séance à huis-clos, les cassettes enregistrées dans l’affaire. L’avocat du requérant releva que certains enregistrements ne contenaient pas d’indication des heures des conversations et des numéros de téléphone des personnes interceptées. Le parquet répliqua que ces renseignements figuraient sur les transcriptions de ces enregistrements.

28. Par un jugement du 9 mars 2004, le tribunal départemental condamna le requérant à un an de prison avec sursis, pour corruption active. Le tribunal départemental jugea que les faits étaient prouvés par les déclarations de T.C. et de L.M. et par celle de L.S. faite pendant les poursuites, ainsi que par les transcriptions des enregistrements téléphoniques et vidéo. Il fonda également son jugement sur le procès‑verbal réalisé à la fin de l’enquête préliminaire et le rapport rédigé par T.C. le 20 février 2003. Il estima que les déclarations du requérant et celle de L.S. faite devant le tribunal étaient contredites par les preuves existant dans le dossier.

29. Concernant l’allégation du requérant selon laquelle il avait été provoqué à commettre l’infraction, le tribunal départemental releva qu’il ressortait des preuves que c’était le témoin L.S. et non pas T.C. qui avait eu l’initiative d’organiser la rencontre entre le requérant et T.C. Il nota de même que le requérant pouvait croire que T.C. jouait un rôle dans l’enquête ouverte contre lui dans le dossier no 11/P/2003 pour lui demander d’intervenir en sa faveur. Examinant le rapport rédigé par T.C. le 20 février 2003 (paragraphe 9 ci-dessus), le tribunal départemental estima que le parquet avait eu des raisons suffisantes de croire que le requérant avait l’intention de demander à T.C. de profiter de ses fonctions pour intervenir dans le dossier et avait à bon droit autorisé l’enregistrement de leurs conversations.

30. Le tribunal départemental jugea ensuite qu’il n’était pas prouvé que T.C. avait contraint le requérant à lui promettre l’argent. D’après les enregistrements réalisés en l’affaire, c’était le requérant qui avait ouvert la discussion et avait promis à T.C. une somme d’argent sans que celle-ci lui soit demandée. Il nota que l’infraction de corruption active était consommée au moment de la promesse faite par le requérant. Par ailleurs, le fait pour les organes de poursuites de permettre ensuite la réalisation de l’infraction, à l’encontre des dispositions de l’article 68 § 2 du CPP, bien que regrettable, n’était pas de nature à effacer la responsabilité pénale du requérant.

31. Quant aux allégations de l’intéressé concernant l’illégalité des enregistrements de ses conversations en raison de leur autorisation et réalisation avant l’ouverture des poursuites pénales, le tribunal précisa que les dispositions légales applicables n’imposaient pas que les enregistrements soient autorisés à un certain moment de la procédure. La loi applicable requérait qu’il y ait des indices convaincants quant à l’accomplissement d’une infraction, ce qui était le cas en l’espèce. Les enregistrements pouvaient être utilisés comme preuves si leur contenu pouvait contribuer à l’établissement de la vérité d’autant plus qu’ils avaient été réalisés après l’ouverture des poursuites pénales et que l’autorisation émise pour leur réalisation avait était mentionnée dans le procès-verbal constatant les actes d’enquête préliminaire.

32. Le requérant interjeta appel contre ce jugement, alléguant, entre autres, qu’il avait été provoqué par T.C. à commettre l’infraction, étant donné que ce dernier avait laissé entendre qu’il avait une certaine compétence pour décider du sort du dossier pénal. Il faisait valoir également que les enregistrements réalisés étaient illégaux, au motif qu’ils avaient été autorisés et réalisés avant l’ouverture des poursuites pénales. Selon le requérant, ces enregistrements ne pouvaient pas être utilisés comme preuves dans la procédure pénale. Le parquet interjeta également appel et demanda l’augmentation de la peine infligée au requérant.

33. Par un arrêt du 31 octobre 2004, la cour d’appel de Braşov rejeta l’appel du requérant. Elle s’appuya sur les déclarations de T.C. et sur les enregistrements audio effectués lors de l’enquête pénale qu’elle jugea conformes à la loi. Elle indiqua que la loi interne permettait l’autorisation des enregistrements avant l’ouverture des poursuites pénales.

34. La cour d’appel fit droit à l’appel du parquet et porta la peine du requérant à trois ans de prison avec sursis.

35. Le requérant forma un pourvoi en recours contre cet arrêt. Il allégua qu’à l’origine de la corruption se trouvait T.C., qui avait agi avec l’accord de sa hiérarchie et que les enregistrements faits étaient illégaux et sans valeur probante.

36. Par un arrêt définitif du 10 décembre 2004, la Haute Cour de cassation et de justice rejeta le pourvoi en recours du requérant. Elle jugea que le requérant avait fait l’objet d’une enquête pour corruption dans le dossier no 11/P/2003 et qu’il avait pris l’initiative pour rencontrer T.C. afin qu’il intervienne en sa faveur dans l’enquête. Elle estima que la culpabilité du requérant avait été pleinement démontrée par les preuves administrées devant les juridictions inférieures et qu’il n’y avait aucun indice de provocation de la part de T.C.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

37. Les dispositions pertinentes en matière d’interception des conversations et des écoutes téléphoniques, telles qu’elles étaient rédigées avant la modification du code de procédure pénale (« CPP ») par la loi no 281/2003, ainsi qu’après cette modification, sont décrites dans les arrêts Dumitru Popescu c. Roumanie (no 2) (no 71525/01, §§ 44 et suiv., 26 avril 2007) et Calmanovici c. Roumanie, no 42250/02, § 46, 1er juillet 2008).

38. L’article 224 du CPP tel qu’en vigueur à l’époque des faits se lisait ainsi dans sa partie pertinente :

« (1) Afin de commencer la poursuite pénale, l’organe de poursuite pénale peut réaliser des actes d’enquête préliminaire.

(...)

(3) Le procès-verbal qui constate la réalisation des actes d’enquête préliminaire peut constituer un moyen de preuve. »

39. Les décisions pertinentes de la Haute Cour de cassation et de justice et de la Cour Constitutionnelle portant sur la légalité des mises sur écoute autorisées ou réalisées pendant l’enquête préliminaire et sur la possibilité de les utiliser comme preuve sont décrites dans l’affaire Niculescu c. Roumanie (no 25333/03, § 62, 25 juin 2013).

40. L’article 16 de l’ordonnance d’urgence du gouvernement no 43/2002 sur le Parquet national Anti-corruption était ainsi rédigé à l’époque des faits :

« (1) Lorsqu’il y a des indices convaincants de la commission d’une infraction relevant par la présente ordonnance de la compétence du Parquet national anti-corruption, afin de recueillir des preuves ou d’identifier l’auteur des faits (făptuitorul), les procureurs de ce parquet peuvent ordonner, pour une période ne pouvant pas dépasser trente jours : (...)

b) la mise sous surveillance ou l’interception des communications (...).

(3) Les dispositions des articles 911-915 du code de procédure pénale sont applicables. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

41. Le requérant considère que l’interception de ses conversations constitue une ingérence dans son droit au respect de sa vie privée, en méconnaissance de l’article 8 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A. Sur la recevabilité

42. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

43. Le Gouvernement indique qu’en l’espèce, l’ingérence dans le droit du requérant au respect de sa vie privée était prévue par la loi, à savoir l’article 16 §§ 1 b) et 3 de l’ordonnance d’urgence de Gouvernement no 43/2002 sur le PNA (« l’OUG no 43/2002 ») et les articles 911 à 915 du code de procédure pénale (« CPP »). Selon lui, ces dispositions légales étaient prévisibles et accessibles et prévoyaient des garanties suffisantes pour éviter les abus. Il rappelle que des garanties supplémentaires ont été apportées par les lois nos 281/2003 et 356/2006 portant modifications du CPP.

44. Le Gouvernement indique qu’en l’espèce, le requérant a été informé de l’existence des transcriptions des enregistrements lors de la présentation du dossier des poursuites pénales. En outre, il a eu la possibilité d’écouter en séance déroulée à huis-clos devant le tribunal départemental les supports magnétiques originaux de ces enregistrements afin de vérifier et, le cas échéant, de contester l’exactitude des transcriptions. L’interception des conversations du requérant était nécessaire dans une société démocratique afin de prévenir l’accomplissement d’un crime. Cette mesure était proportionnée au but poursuivi compte tenu de la marge d’appréciation des États en la matière et du fait que la mesure a été autorisée pour une période limitée de temps.

45. Le requérant conteste la thèse du Gouvernement qu’il estime construite sur une présentation fragmentée des faits et fondée sur des articles de loi sortis du contexte de la cause.

2. Appréciation de la Cour

46. Les communications téléphoniques se trouvant comprises dans les notions de « vie privée » et de « correspondance » au sens de l’article 8 § 1 précité, leur interception, la mémorisation des données ainsi obtenues et leur éventuelle utilisation dans le cadre des poursuites pénales dirigées contre le requérant s’analysent en une « ingérence d’une autorité publique » dans l’exercice du droit que lui garantissait l’article 8 (voir, parmi d’autres, Drakšas c. Lituanie, no 36662/04, § 52, 31 juillet 2012). De même, l’enregistrement des propos du requérant par les autorités s’analyse en une ingérence dans l’exercice de son droit garanti par l’article 8 (Vetter c. France, no 59842/00, § 20, 31 mai 2005). Peu importe, à cet égard, que les écoutes litigieuses furent opérées sur la ligne d’une tierce personne (Lambert c. France, 24 août 1998, § 21, Recueil des arrêts et décisions 1998‑V, Uzun c. Allemagne, no 35623/05, § 49, CEDH 2010 (extraits) et Valentino Acatrinei c. Roumanie, no 18540/04, § 53, 25 juin 2013).

47. La Cour rappelle qu’une telle ingérence, pour qu’elle soit conforme au paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention, doit être prévue par la loi. L’expression « prévue par la loi » impose non seulement le respect du droit interne, mais concerne aussi la qualité de la loi, qui doit être compatible avec le principe de la prééminence du droit (Khan c. Royaume-Uni, no 35394/97, § 26, CEDH 2000‑V). Dans le contexte de la surveillance secrète exercée par les autorités publiques, le droit interne doit offrir une protection contre l’ingérence arbitraire dans l’exercice du droit d’un individu protégé par l’article 8 (Vetter précité, § 26).

48. En l’espèce, la Cour observe que les parties s’accordent sur le fait que la base légale de l’ingérence était constituée par les articles 911-914 du CPP et l’article 16 §§ 1 b) et 3 de l’OUG no 43/2002. Quant à ce dernier article, la Cour note qu’il spécifiait l’autorité compétente pour ordonner les enregistrements, à savoir le procureur et il renvoyait ensuite pour la procédure à suivre aux articles 911-914 du CPP.

49. Or, la Cour rappelle avoir déjà examiné ces articles du CPP dans le contexte de l’interception des conversations téléphoniques en Roumanie avant la modification du CPP par la loi no 281/2003, dans une affaire où elle a conclu que leur examen minutieux révélait des insuffisances incompatibles avec le degré minimal de protection voulu par la prééminence du droit dans une société démocratique (Calmanovici c. Roumanie, no 42250/02, §§ 121-126, 1er juillet 2008). A ce sujet, la Cour a pris en compte le fait qu’à cette époque, le procureur compétent pouvait autoriser l’interception et l’enregistrement des conversations téléphoniques si, en présence d’indices convaincants de la préparation ou de la commission d’une infraction pour laquelle des poursuites pénales ont lieu ex officio, cette mesure apparaissait « utile » à la recherche de la vérité (article 911 du CPP). Or, le procureur n’était pas une autorité indépendante de l’exécutif et sa décision ne faisait pas l’objet d’un contrôle a priori ou a posteriori de la part d’un tribunal (Calmanovici précité, § 122-123). De même, la loi ne mentionnait pas les circonstances dans lesquelles les enregistrements pouvaient être détruits (voir, mutatis mutandis, Dumitru Popescu c. Roumanie (no 2), no 71525/01, § 79, 26 avril 2007). Dès lors, la Cour considère qu’au moment de l’autorisation des interceptions réalisées en l’espèce, la loi qui les régissait ne contenait pas de garanties suffisantes pour satisfaire aux exigences de l’article 8 de la Convention.

50. La Cour note que les modifications apportées aux articles en cause du CPP par la loi no 281/2003 sont entrées en vigueur le 1er janvier 2004, alors que la procédure pénale contre le requérant était pendante en première instance. Ces changements apportés au cadre législatif prévoyaient un certain nombre des garanties en matière d’interception et de transcription des communications, d’archivage des données pertinentes et de destruction de celles qui ne le sont pas (Dumitru Popescu, précité, §§ 45-46 et 82). La Cour examinera en conséquence si ces garanties ont été en l’espèce de nature à combler les lacunes existant dans la législation nationale autorisant les interceptions (voir, en ce sens, Balteanu c. Roumanie, no 142/04, 16 juillet 2013, §§ 43-44).

51. La Cour note qu’en l’occurrence, le contrôle exercé par les juridictions nationales quant à la légalité des enregistrements des conversations est intervenu lors de la procédure pénale au fond contre l’intéressé, soit environ un an après que les écoutes aient été effectués. En outre, à part l’existence d’« indices convaincants », aucune autre condition n’a été examinée par le tribunal étant donné que la loi qui avait encadré l’autorisation de ces enregistrements, ne prévoyait pas d’autres éléments de sauvegarde comme par exemple la définition des catégories de personnes susceptibles d’être mises sur écoute judiciaire ou la nature des infractions pouvant y donner lieu ou la fixation d’une limite à la durée de l’exécution de la mesure (voir, mutatis mutandis, Valenzuela Contreras c. Espagne, 30 juillet 1998, § 59 in fine, Recueil des arrêts et décisions 1998‑V). En effet, tel qu’il ressort du dossier, dans le cadre de leur contrôle, les tribunaux roumains ne pouvaient que vérifier si les conditions requises par la loi applicable au moment de l’autorisation des interceptions étaient remplis. Ce faisant, ils n’ont pas estimé nécessaire de vérifier l’existence en l’espèce des autres éléments de sauvegarde prévus par la loi no 281/2003 ou ceux requis par la jurisprudence de la Cour en la matière. Il est vrai que le requérant a eu la possibilité de vérifier l’exactitude des transcriptions. Cependant, cette garantie n’est que l’une des celles prévues par la jurisprudence de la Cour dans l’examen de la qualité d’une loi (voir, mutatis mutandis, Dumitru Popescu (no 2) précité, § 78).

52. La Cour est consciente des efforts déployés par le législateur et le pouvoir judiciaire afin d’introduire, dans la législation et la pratique roumaine, les garanties exigées par la Convention en matière d’interception des conversations. Cependant, en l’espèce, le contrôle effectué par les juridictions nationales a été tributaire à la qualité de la loi en vigueur à la date où l’interception des conversations a été autorisée et réalisée et il n’a pas été donc de nature à offrir au requérant les garanties suffisantes dans un domaine aussi sensible que le droit au respect de la vie privée.

53. Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

54. Le requérant se plaint du défaut d’équité de la procédure ayant abouti à sa condamnation pénale pour corruption active. En particulier, il se plaint d’avoir été victime d’une provocation policière et d’avoir été condamné sur le fondement de moyens de preuve qui n’auraient pas été régulièrement recueillis, à savoir les enregistrements de ses conversations téléphoniques et l’enregistrement vidéo de sa rencontre avec T.C. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi rédigé dans sa partie pertinente :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

1. Sur les allégations concernant la provocation policière

a) Arguments des parties

55. Le requérant estime qu’il avait fait l’objet d’une provocation policière.

56. Le Gouvernement soutient que l’action de T.C. ne peut pas être décrite comme étant celle d’un « agent provocateur ». A ce sujet, il fait valoir que T.C. a été autorisé à rencontrer L.S. et le requérant et que son activité a été encadrée et supervisée par les autorités de poursuite dès le début. T.C. n’a jamais pris l’initiative pour rencontrer le requérant et il a eu une attitude passive dans ses rapports avec celui-ci. Le Gouvernement souligne également que, dans le cadre de la procédure pénale engagée contre lui pour corruption active, le requérant a eu accès à toutes les preuves à charge afin de défendre sa cause.

b) Appréciation de la Cour

57. La Cour rappelle que la Convention n’empêche pas de s’appuyer, au stade de l’instruction préparatoire et lorsque la nature de l’infraction peut le justifier, sur des sources telles que des indicateurs occultes, mais leur emploi ultérieur par le juge du fond pour justifier une condamnation soulève un problème différent. L’intervention d’agents infiltrés doit être circonscrite et entourée de garanties adéquates contre les abus, étant donné que l’intérêt public ne saurait justifier l’utilisation d’éléments recueillis à la suite d’une provocation policière (Teixeira de Castro c. Portugal, 9 juin 1998, §§ 34-36, Recueil des arrêts et décisions 1998‑IV).

58. Dans le cas où la preuve principale est le résultat d’une opération policière avec agents infiltrés, les autorités nationales doivent démontrer qu’il y avait des raisons pertinentes pour monter une telle opération contre une personne déterminée (Ramanauskas c. Lituanie [GC], no 74420/01, §§ 63 et 64, CEDH 2008 et Malininas c. Lituanie, no 10071/04, § 36, 1er juillet 2008). Enfin, lorsque les informations divulguées par les autorités de poursuite ne permettent pas à la Cour de constater si le requérant a été ou non victime d’une provocation policière, il est essentiel d’examiner la procédure dans le cadre de laquelle il a été statué sur l’allégation de provocation policière afin de vérifier, dans le cas d’espèce, si les droits de la défense ont été adéquatement protégés, notamment le respect du principe du contradictoire et de l’égalité des armes (Ramanauskas précité, §§ 70-71 et Bulfinsky c. Roumanie, no 28823/04, § 44, 1er juin 2010).

59. Se tournant vers les faits de la cause, la Cour se penchera d’abord sur l’existence en l’espèce d’une provocation policière, compte tenu des critères établis dans sa jurisprudence (voir, en ce sens, Bannikova c. Russie, no 18757/06, §§ 37-50, 4 novembre 2010). Il y a provocation policière lorsque les agents impliqués ne se limitent pas à examiner d’une manière purement passive l’activité délictueuse, mais exercent sur la personne qui en fait l’objet une influence de nature à l’inciter à commettre une infraction qu’autrement elle n’aurait pas commise, pour en rendre possible la constatation, c’est-à-dire en apporter la preuve et la poursuivre (Teixeira de Castro, précité, § 38).

60. En l’espèce, le policier T.C. a été approché à plusieurs reprises par L.S. qui lui demanda de le rencontrer en présence du requérant, au motif que ce dernier était inquiet du sort du dossier pénal dans lequel il était poursuivi pour avoir porté préjudice au budget de l’État. Compte tenu de sa participation aux actes d’enquête effectués au siège de la société gérée par le requérant (paragraphe 7 ci-dessus), T.C. soupçonnait que L.S. voulait intervenir auprès de lui afin d’influencer le cours de l’enquête. Il ressort du dossier que L.S. agissait en tant que simple particulier et n’était pas collaborateur de la police. T.C. pour sa part n’avait fait que réagir à la demande de l’intéressé.

61. T.C. a rencontré le requérant et L.S. avec l’accord de sa hiérarchie qui avait autorisé également l’enregistrement des conversations. Dans les circonstances de l’affaire et compte tenu du comportement de L.S., il y avait des raisons objectives de croire que le requérant voulait commettre l’infraction de corruption active (voir, mutatis mutandis, Sequeira c. Portugal (déc.), no 73557/01, ECHR 2003-VI) ce qui a justifié la décision du parquet d’autoriser T.C. à rencontrer L.S. et le requérant. Il convient de noter également que dans son arrêt définitif du 10 décembre 2004, la Haute Cour de cassation et de justice nota que le requérant faisait déjà l’objet d’une enquête concernant des faits de corruption dans le dossier no 11/P/2003 (paragraphe 36 ci-dessus).

62. Les rencontres eurent lieu toujours à l’initiative de L.S. ou du requérant (voir, a contrario, Ramanauskas précité, § 67). D’après les enregistrements réalisés lors de ces rencontres, dont le contenu n’a pas été contesté par le requérant, c’était ce dernier qui avait demandé à T.C. d’intervenir en sa faveur dans le dossier pénal no 11/P/2003 en échange d’une somme d’argent. Aucune pression n’a été exercée sur le requérant par T.C. pour commettre l’infraction (voir, a contrario, Malininas c. Lituanie, no 10071/04, § 37, 1er juillet 2008). T.C. avait même demandé au requérant de lui donner du temps parce qu’il appréhendait le « danger » auquel il s’exposait lui-même en cas de découverte de leur « arrangement » (paragraphe 14 ci-dessus). La Cour considère que T.C. a joué en l’espèce le rôle d’un agent infiltré mais non celui d’agent provocateur. En l’espèce, la police n’a pas excédé ses fonctions, compte tenu de son obligation de vérifier les plaintes pénales et de l’importance de contrecarrer l’effet corrosif qu’a la corruption judiciaire sur l’état de droit dans une société démocratique (Milinienė c. Lituanie, no 74355/01, § 38, 24 juin 2008 et Trifontsov c. Russie (déc.), no 12025/02, 9 octobre 2012).

63. Quant à l’intervention de T.C. dans la procédure, la Cour relève que les juridictions internes ont examiné la question de la « provocation policière » et se sont penchées sur l’attitude de T.C. et le bien-fondé de l’autorisation qui lui avait été donnée afin de rencontrer L.S. et le requérant. Elles ont par la suite examiné le rôle de T.C. dans l’accomplissement par le requérant de l’infraction (voir, a contrario, Veselov et autres c. Russie, nos 23200/10, 24009/07 et 556/10, § 112, 2 octobre 2012).

64. La Cour note également que T.C. a participé à la procédure et a été entendu en audience publique par le tribunal départemental. Le requérant a eu l’occasion de l’interroger et de mettre en doute sa crédibilité. De même, le requérant a pu écouter les enregistrements originaux de ses conversations avec T.C. et il n’a pas contesté l’existence ou la réalité de leur contenu. Enfin, le tribunal ne s’est pas fondé uniquement sur la déposition de T.C. mais il a pris en compte également les déclarations de L.S. et L.M. (paragraphe 24 ci-dessus).

65. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que le requérant a bénéficié de garanties procédurales adéquates et conclut que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

2. Sur l’emploi, par les juridictions nationales, des transcriptions des communications interceptées

66. Le requérant se plaint d’avoir été condamné sur le fondement de moyens de preuve qui n’auraient pas été régulièrement recueillis en vertu du droit interne. Plus particulièrement, il estime que les enregistrements ne pouvaient pas être utilisés comme preuve dans la mesure où ils avaient été autorisés et effectués pendant l’enquête préparatoire et non pas après l’ouverture des poursuites pénales.

67. Le Gouvernement estime que le requérant a bénéficié d’un procès équitable. A cet égard, il souligne que le requérant a eu la possibilité de vérifier l’exactitude des transcriptions des enregistrements et de contester leur contenu. L’intéressé n’a pas soulevé d’objection quant à l’identité des personnes enregistrées. Il indique également qu’en vertu de l’article 224 du CPP, ces enregistrements pouvaient être utilisés comme preuves, dans la mesure où ils figuraient dans le procès-verbal constatant les actes d’enquête préliminaire. En outre, ces enregistrements ne constituaient pas la seule preuve retenue par les juridictions nationales pour fonder la condamnation pénale du requérant.

68. La Cour souligne que si l’article 6 garantit le droit à un procès équitable, il ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves en tant que telles, matière qui relève au premier chef du droit interne (Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, §§ 94-96, CEDH 2006-IX et Bykov c. Russie [GC], no 4378/02, §§ 88-93, 10 mars 2009). Cela ne dispense pas la Cour du devoir de rechercher si, en l’espèce, la procédure litigieuse, envisagée comme un tout, y compris la manière dont les éléments de preuve ont été recueillis, a été équitable (voir, notamment, Khan, précité, § 34, P.G. et J.H. c. Royaume-Uni, no 44787/98, § 76, CEDH 2001-IX, et Heglas c. République tchèque, no 5935/02, §§ 89-92, 1er mars 2007).

69. En l’espèce, le requérant allègue plus particulièrement que les enregistrements de ses conversations et leurs transcriptions ne pouvaient pas constituer des preuves légalement recueillies selon le droit interne, au motif qu’ils avaient été autorisés et réalises pendant l’enquête préliminaire et non pas après l’ouverture des poursuites pénales contre l’intéressé. Or, la Cour constate que les juridictions nationales ont répondu à cet argument du requérant, en interprétant les dispositions du code de procédure pénale applicables en l’espèce (paragraphe 31 ci-dessous et voir, également, Niculescu précité, § 123). En outre, le requérant a eu la possibilité d’écouter les enregistrements en cause pendant la procédure en première instance et de vérifier l’exactitude des transcriptions. Il n’a pas contesté la réalité de ces conversations ni l’authenticité de leur contenu (voir, a contrario, Schenk c. Suisse, 12 juillet 1988, § 47, série A no 140).

70. Enfin, la Cour relève qu’en matière de preuve, le droit procédural roumain prévoit que les preuves n’ont pas de valeur préétablie et ne sont pas hiérarchisées (Dumitru Popescu (no 2) précité, § 110). Elle considère qu’il convient d’accorder en l’espèce du poids à la circonstance que les enregistrements litigieux n’ont pas constitué le seul moyen de preuve soumis à l’appréciation souveraine des juges. En effet, le parquet et les juridictions internes ont confronté les enregistrements à d’autres éléments de preuve, tels que les déclarations des témoins, de sorte que ces enregistrements n’ont pas constitué l’élément unique ayant forgé leur intime conviction quant à la culpabilité du requérant (paragraphe 28 ci-dessus). En outre, le requérant a eu la possibilité de faire interroger T.C., L.S. et L.M.

71. A la lumière de ce qui précède, la Cour considère que l’utilisation des enregistrements litigieux comme élément de preuve n’a pas privé le requérant d’un procès équitable. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 DE LA CONVENTION

72. Invoquant l’article 5 de la Convention, le requérant se plaint enfin de l’illégalité de sa détention provisoire qui a pris fin le 12 mars 2003, date à laquelle la cour d’appel de Braşov a ordonné sa remise en liberté. Or, la présente requête a été introduite devant la Cour le 10 mai 2005, soit plus de six mois après la fin de la situation litigieuse. Il s’ensuit que ce grief est tardif et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

73. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

74. Le requérant réclame 250 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi en raison de son placement en détention provisoire et des conditions subies pendant sa détention. Il indique qu’en raison de son arrestation, il n’a jamais repris ses fonctions de direction de la société A.

75. Le Gouvernement constate que le requérant n’a pas détaillé ses éventuelles demandes de préjudice matériel. Il note également que la somme sollicitée au titre du préjudice moral vise des aspects liés à l’arrestation du requérant et à ses conditions de détention et ne sont donc pas en rapport avec les griefs qui lui ont été communiqués par la Cour.

76. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage moral tel qu’allégué par le requérant. En effet, la Cour note qu’elle a constaté une violation de l’article 8 de la Convention compte tenu de l’enregistrement des conversations du requérant, alors que le dommage moral invoqué par celui-ci a trait à son placement en détention provisoire et aux conditions de sa détention. Dès lors, elle rejette cette demande (voir, pour une approche similaire, Iulian Popescu c. Roumanie, no 24999/04, § 54, 4 juin 2013 et Hamvas c. Roumanie, no 6025/05, § 55, 9 juillet 2013).

B. Frais et dépens

77. Le requérant ne demande pas le remboursement de frais et dépens.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 8 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

3. Rejette la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 novembre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-128199
Date de la décision : 19/11/2013
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8-1 - Respect de la correspondance;Respect de la vie privée)

Parties
Demandeurs : ULARIU
Défendeurs : ROUMANIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : MAXIM I.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award