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14/11/2013 | CEDH | N°001-128052

CEDH | CEDH, AFFAIRE M.D. c. BELGIQUE, 2013, 001-128052


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE M.D. c. BELGIQUE

(Requête no 56028/10)

ARRÊT

STRASBOURG

14 novembre 2013

DÉFINITIF

14/02/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire M.D. c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ann Power-Forde,
André Potocki,


Paul Lemmens,
Helena Jäderblom, juges,
et de Stephen Phillips, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 octobr...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE M.D. c. BELGIQUE

(Requête no 56028/10)

ARRÊT

STRASBOURG

14 novembre 2013

DÉFINITIF

14/02/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire M.D. c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ann Power-Forde,
André Potocki,
Paul Lemmens,
Helena Jäderblom, juges,
et de Stephen Phillips, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 octobre 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 56028/10) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant bissau-guinéen, M. M. D. (« le requérant »), a saisi la Cour le 22 septembre 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le président de la section a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 3 du règlement).

2. Le requérant a été représenté par Me Z. Chihaoui, avocat à Bruxelles. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. M. Tysebaert, conseiller général, service public fédéral de la Justice.

3. Le requérant allègue en particulier qu’il a été irrégulièrement privé de sa liberté et qu’il n’a pas bénéficié d’un recours effectif et à bref délai contre sa détention. Il invoque principalement une violation de l’article 5 §§ 1 f) et 4 de la Convention.

4. Le 16 janvier 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1979 et réside à Bruxelles.

A. Procédures d’asile et d’éloignement

6. Le 25 septembre 2009, le requérant se présenta aux autorités belges et introduisit une demande d’asile.

7. Les autorités relevèrent qu’il ressortait du rapport Eurodac que les empreintes digitales du requérant avaient été enregistrées à Tayros en Grèce le 5 février 2008.

8. Le 9 décembre 2009, l’office des étrangers (« OE ») adressa aux autorités grecques une demande de reprise en charge de la demande d’asile du requérant en vertu de l’article 10 § 1 du règlement du Conseil no 343/2003 du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers (« le règlement Dublin II »).

9. En l’absence de réponse de la part des autorités grecques dans le délai imparti d’un mois, l’OE considéra, le 17 décembre 2009, qu’il y avait un accord tacite de reprise en charge.

10. Le 26 avril 2010, l’OE prit une décision de refus de séjour avec ordre de quitter le territoire sur la base de l’article 51/5 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers (« la loi sur les étrangers ») au motif que la Belgique n’était pas responsable de l’examen de la demande d’asile du requérant en vertu du règlement Dublin II.

B. Mesures de détention et procédures y afférentes

1. Mesure initiale de privation de liberté

11. La décision de refus de séjour du 26 avril 2010 (paragraphe 10 ci-dessus) était assortie d’un ordre de maintien dans un lieu déterminé en application de l’article 51/5 § 3 de la loi sur les étrangers. Le requérant fut placé au centre fermé de Merksplas le même jour.

2. Réquisitoire de ré-écrou

12. Le 6 mai 2010, un éloignement vers Athènes fut organisé, mais le requérant refusa d’embarquer. Il fit l’objet d’un réquisitoire de ré-écrou le même jour, en application de l’article 27 §§ 1 et 3 de la loi sur les étrangers. Le requérant fit donc l’objet d’un deuxième titre de détention valable pour une période maximum de deux mois en application de l’article 29 § 1 de la loi sur les étrangers.

a) Première requête de mise en liberté

13. Le 31 mai 2010, le requérant introduisit une requête de mise en liberté devant le tribunal de première instance de Bruxelles visant la décision du 6 mai 2010. Il invoqua le risque d’être exposé à une violation de l’article 3 de la Convention en cas de retour en Grèce.

14. Le 4 juin 2010, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles considéra que la détention du requérant n’était entachée d’aucune irrégularité et déclara sa requête non fondée.

15. Saisie en appel par le requérant, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles constata par un arrêt du 16 juin 2010 que les tribunaux de Bruxelles étaient sans juridiction au motif que le requérant aurait dû introduire sa requête de mise en liberté auprès du tribunal du lieu de sa résidence, en l’occurrence Merksplas.

16. Invoquant une violation de l’article 5 § 4 de la Convention, le requérant se pourvut en cassation le 22 juin 2010.

17. Par un arrêt du 27 juillet 2010, la Cour de cassation cassa l’arrêt du 16 juin 2010 considérant que le lieu où un étranger est détenu en exécution d’une décision de privation de liberté fondée sur l’article 51/5 § 3 de la loi sur les étrangers n’est pas le lieu de sa résidence au sens de l’article 71 alinéa 1er de cette loi. L’arrêt de la chambre des mises en accusation n’était dès lors pas légalement justifié et l’affaire fut renvoyée devant la chambre des mises en accusation autrement composée.

18. Le 11 août 2010, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles, autrement composée, constata que l’affaire était devenue sans objet étant donné qu’entretemps, le 2 juillet 2010, une nouvelle mesure de détention avait été adoptée (paragraphe 22 ci-dessous).

b) Deuxième requête de mise en liberté

19. Entretemps, le 20 juin 2010, le requérant introduisit une nouvelle requête de mise en liberté devant le tribunal de première instance de Bruxelles. Il invoqua les articles 3 et 5 § 4 de la Convention.

20. Le 25 juin 2010, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles déclara la requête irrecevable au motif qu’un mois ne s’était pas encore écoulé depuis la précédente requête de mise en liberté.

21. Saisie par le requérant, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles déclara, par un arrêt du 7 juillet 2010, que l’appel était devenu sans objet étant donné que le 2 juillet 2010 une nouvelle mesure de détention avait été adoptée (paragraphe 22 ci-dessous).

3. Prolongation de la détention

22. Le 2 juillet 2010, l’OE prit une décision de prolongation de la détention sur la base de l’article 29 § 2 de la loi sur les étrangers, courant jusqu’au 4 septembre 2010. L’OE considéra qu’il subsistait toujours une possibilité que l’intéressé soit éloigné dans un délai raisonnable, à savoir le 15 juillet 2010.

23. Le 12 juillet 2010, le requérant introduisit une requête de mise en liberté devant le tribunal de première instance de Bruxelles. Il invoqua une violation des articles 3 et 5 § 4 de la Convention.

24. Sa requête fut déclarée non fondée par une ordonnance de la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles du 15 juillet 2010.

25. Saisie par le requérant d’un appel contre ladite ordonnance, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles ordonna, le 28 juillet 2010, la mise en liberté immédiate du requérant au motif que le requérant courait un risque réel de traitement contraire à l’article 3 de la Convention s’il était renvoyé en Grèce.

26. Le 4 août 2010, l’Etat belge se pourvut en cassation contre cet arrêt.

27. Le 31 août 2010, la Cour de cassation cassa l’arrêt du 28 juillet 2010 au motif que le requérant ne pouvait pas valablement introduire une requête de mise en liberté le 12 juillet 2010 étant donné qu’un mois ne s’était pas encore écoulé depuis l’arrêt de la chambre des mises en accusation du 16 juin 2010 sur sa requête précédente (paragraphe 15 ci-dessus) et que cet arrêt faisait l’objet d’un pourvoi en cassation avec effet suspensif. La Cour de cassation renvoya l’affaire devant la chambre des mises en accusation autrement composée.

28. Le 3 septembre 2010, c’est-à-dire la veille de l’expiration du délai de deux mois à partir de la décision du 2 juillet 2010, le requérant fut libéré.

29. Le 15 septembre 2010, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles, autrement composée, constata que la requête de mise en liberté était devenue sans objet du fait de la libération du requérant.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

30. Concernant les mesures de détention et les procédures y afférentes, le droit et la pratique internes pertinents sont exposés dans l’arrêt Firoz Muneer c. Belgique (no 56005/10, §§ 33-41, 11 avril 2013). Concernant les procédures d’asile et d’éloignement, les dispositions pertinentes sont énoncées dans l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC] (no 30696/09, §§ 128-141, CEDH 2011).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

31. Le requérant se plaint que les recours qu’il a utilisés pour contester la légalité de sa détention n’ont pas permis à un juge de statuer à bref délai sur sa détention et n’étaient pas effectifs. Il invoque les articles 5 § 4 et 13 de la Convention.

32. Vu le caractère de lex specialis de l’article 5 § 4 par rapport aux exigences plus générales de l’article 13 (A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, § 202, CEDH 2009), la Cour considère que les griefs que soulève le requérant doivent être examinés sous l’angle du seul article 5 § 4 de la Convention ainsi formulé :

« 4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

A. Sur la recevabilité

33. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

34. Le requérant se plaint de ne pas avoir pu obtenir qu’un tribunal statue à bref délai sur la légalité de sa détention alors qu’il fut détenu pendant plus de quatre mois. La légalité des deuxième et troisième périodes de détention ne fut à aucun moment contrôlée par un juge statuant de manière définitive. De plus, alors qu’il a introduit sa première requête de mise en liberté le 31 mai 2010, ce n’est que le 28 juillet 2010 qu’un juge a « statué » sur sa détention au sens de l’article 5 § 4, la jugeant illégale, et le 3 septembre 2010, qu’il a effectivement été libéré.

35. Le Gouvernement soutient que l’exigence d’un accès au juge qui statue « à bref délai » a été respectée en l’espèce. Les délais dans lesquels les procédures ont été jugées furent très brefs et aucune des périodes entre les différentes décisions ne saurait passer pour excessive. La durée totale de la détention du requérant ne saurait pas non plus être qualifiée d’excessive. Par ailleurs, le Gouvernement estime qu’une personne ne peut plus invoquer l’article 5 § 4 de la Convention dès lors qu’elle a été mise en liberté, ce qui est le cas du requérant.

2. Appréciation de la Cour

36. La Cour rappelle l’importance de l’article 5 § 4 en matière d’éloignement du territoire (voir, parmi d’autres, Sanchez-Reisse c. Suisse, 21 octobre 1986, §§ 42-61, série A no 107). Elle rappelle également que, de même que toute autre disposition de la Convention et de ses protocoles, l’article 5 § 4 doit s’interpréter de telle manière que les droits y consacrés ne soient pas théoriques et illusoires mais concrets et effectifs (voir, parmi d’autres, Artico c. Italie, arrêt du 13 mai 1980, § 33, série A no 37, Schöps c. Allemagne, no 25116/94, § 47, CEDH 2001-I, Svipsta c. Lettonie, no 66820/01, § 129, CEDH 2006‑III (extraits)).

37. En l’espèce, la Cour constate que le requérant fut placé en détention le 26 avril 2010 et qu’il fut libéré le 3 septembre 2010. La durée globale de sa détention a donc été de quatre mois et huit jours.

38. La Cour doit rechercher si, au cours de cette période, le requérant a pu faire examiner à bref délai la légalité de sa détention par un tribunal (Firoz Muneer c. Belgique, précité, § 79).

39. La Cour relève que le requérant fut placé en détention sur décision de l’OE le 26 avril 2010 contre laquelle il n’introduisit pas de requête de mise en liberté. La première requête de mise en liberté date du 31 mai 2010 lorsque le requérant saisit la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles visant le réquisitoire de ré-écrou du 6 mai 2010. Le 4 juin 2010, la chambre du conseil rejeta la requête de mise en liberté. Le requérant déposa une nouvelle requête de mise en liberté le 20 juin 2010, qui fut rejetée par une ordonnance de la chambre du conseil du 25 juin 2010. La suite de la procédure avorta : le 7 juillet 2010, puis le 11 août 2010, la chambre des mises en accusation considéra en effet que, du fait de la prolongation de la mesure de détention le 2 juillet 2010, titre autonome de privation de liberté, les recours contre les ordonnances respectives des 25 et 4 juin 2010 n’avaient plus d’objet.

40. Le requérant introduisit une troisième requête de mise en liberté contre la mesure de prolongation décidée par l’OE le 2 juillet 2010. Il fut débouté par la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles par une ordonnance du 15 juillet 2010, mais cette ordonnance fut réformée par la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles par un arrêt du 28 juillet 2010 qui ordonna la mise en liberté immédiate du requérant. Le requérant fut toutefois maintenu en détention car l’Etat avait formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt. Par un arrêt du 31 août 2010, la Cour de cassation cassa ledit arrêt au motif qu’un mois ne s’était pas écoulé depuis la précédente décision sur une autre requête de mise en liberté. Elle renvoya l’affaire devant la chambre des mises en accusation autrement composée.

41. Le requérant fut finalement mis en liberté le 3 septembre 2010 à l’expiration du délai légal de deux mois, avant que la chambre des mises en accusation autrement composée ait pu se prononcer sur le recours.

42. La Cour ne peut que constater que le requérant a introduit une première requête de mise en liberté le 31 mai 2010 et qu’il n’a pas pu obtenir une décision finale sur la légalité de sa détention avant sa libération le 3 septembre 2010. La Cour prend note également du fait que la dernière décision juridictionnelle sur le bien-fondé de la requête de mise en liberté rendue par la chambre des mises en accusation le 28 juillet 2010 était favorable au requérant et que cette décision a été cassée par la Cour de cassation non pas pour un motif tenant à sa justification légale, mais pour un motif d’ordre procédural.

43. En outre, la Cour est d’avis que ledit motif procédural retenu par la Cour de cassation dans son arrêt du 31 août 2010, alors même que la légalité de la détention du requérant n’avait pas été examinée au fond dans le cadre des deux requêtes de mise en liberté précédentes, n’a fait qu’aggraver la situation du requérant au regard de son droit à obtenir une décision sur la légalité de sa détention à bref délai.

44. Certes, le requérant a été remis en liberté alors que la troisième procédure de mise en liberté était encore pendante. Toutefois, la Cour rappelle que ce n’est que si un détenu est relâché « à bref délai » avant tout contrôle judiciaire que la Cour pourrait conclure qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention (voir, en particulier, Fox, Campbell et Hartley c. Royaume-Uni, 30 août 1990, § 45, série A no 182, Firoz Muneer c. Belgique, précité, § 86).

45. La Cour estime qu’en l’espèce on ne saurait considérer que le requérant a été mis en liberté « à bref délai ».

46. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que le requérant n’a pas pu obtenir qu’un tribunal statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si sa détention était jugée illégale.

47. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

48. Le requérant allègue que la privation de liberté qu’il a subie à partir du 26 avril 2010 n’était pas conforme à l’article 5 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(...)

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. »

49. La Cour constate que le requérant a été détenu en tant que « personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition [était] en cours ». Sa détention doit donc être examinée au regard du second membre de phrase de l’article 5 § 1 f) de la Convention.

50. Le requérant soutient que son maintien en détention après le 28 juillet 2010 était illégal car contraire au droit interne. D’une part, contrairement au prescrit de l’article 72 de la loi sur les étrangers, le requérant allègue que l’Etat s’est pourvu en cassation contre l’arrêt du 28 juillet 2010 en dehors du délai légal de vingt-quatre heures prévu par l’article 31 de la loi sur la détention préventive. Il soutient, d’autre part, que son maintien en détention après l’arrêt de la chambre des mises en accusation du 28 juillet 2010 ordonnant sa libération était illégal car reposant sur une jurisprudence de la Cour de cassation du 14 mars 2001 qui a donné des articles 72 et 73 de la loi sur les étrangers une interprétation en contradiction flagrante avec le texte desdites dispositions. Cette interprétation ne pourrait donc pas être considérée comme une « loi » au sens de l’article 5 § 1 car elle ne permettrait pas d’assurer le respect du principe général de la sécurité juridique et de prévisibilité de la loi dans son application.

51. La Cour constate que le grief, tel que présenté par le requérant, a déjà été examiné par la Cour dans le cadre du récent arrêt dans l’affaire Firoz Muneer c. Belgique (précité, §§ 53-62). La Cour renvoie à cet arrêt pour ce qui est des principes généraux applicables en l’espèce (ibidem, § 55).

52. Dans l’arrêt précité, la Cour a considéré que la jurisprudence de la Cour de cassation dénoncée par le requérant était bien établie et suffisamment précise pour permettre au requérant – en s’entourant si besoin de conseils éclairés de son avocat – de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, la possibilité pour l’Etat de former un pourvoi contre l’arrêt du 28 juillet 2010 et les conséquences de nature à dériver de ce recours, notamment son caractère suspensif (ibidem, §§ 59-60).

53. La Cour ne voit pas de raison de parvenir à une appréciation différente en l’espèce. Ainsi, constatant que le droit interne tel qu’interprété par la Cour de cassation n’a pas été méconnu à l’endroit du requérant, la Cour estime que toutes les exigences de l’article 5 § 1 f) de la Convention ont été respectées.

54. La Cour conclut ainsi que cette partie de la requête est manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle doit être rejetée conformément à l’article 35 § 4.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 3 ET 13 DE LA CONVENTION

55. Le requérant se plaint que son expulsion vers la Grèce risque de l’exposer à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention et qu’il n’a pas eu de recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention.

56. L’article 37 § 1 de la Convention dispose :

« 1. A tout moment de la procédure, la Cour peut décider de rayer une requête du rôle lorsque les circonstances permettent de conclure

(...)

b) que le litige a été résolu

(...)

Toutefois, la Cour poursuit l’examen de la requête si le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles l’exige. »

57. La Cour rappelle que la Grande Chambre a rendu un arrêt dans l’affaire M.S.S. c. Belgique et Grèce (no 30696/09, CEDH 2011), dans laquelle un grief similaire à celui invoqué par la partie requérante a été examiné. Dans cet arrêt, la Cour a conclu en ce qui concerne la Belgique à la violation de l’article 3 de la Convention au motif qu’en renvoyant le requérant en Grèce, les autorités belges l’avaient exposé à des risques résultant des défaillances de la procédure d’asile dans cet Etat (§§ 344-359), ainsi qu’à des conditions de détention et d’existence dans cet Etat contraires à cet article (§§ 362-368).

58. Lors de la communication de la présente requête au Gouvernement, la Cour demanda au Gouvernement belge quelles conséquences pratiques il entendait tirer de l’arrêt M.S.S. précité en ce qui concerne la présente affaire.

59. Dans ses observations du 9 mai 2012, le Gouvernement informa la Cour que les autorités belges prenaient en charge le traitement de la demande d’asile du requérant et qu’il n’était plus question de renvoyer le requérant vers la Grèce. L’examen de la demande d’asile du requérant était en cours depuis le 9 septembre 2010.

60. La Cour constate que les autorités belges ont pris l’engagement d’examiner elles-mêmes la demande d’asile du requérant. Il en résulte en pratique que ce dernier ne sera pas renvoyé en Grèce en application du règlement Dublin II.

61. La Cour estime, dès lors, que le grief du requérant a été redressé d’une manière adéquate et suffisante (voir, dans le même sens, et parmi beaucoup d’autres, Salahadin c. Belgique et Grèce (déc.), no 47364/09, 20 septembre 2011).

62. En conclusion, la Cour juge réunies les deux conditions permettant de faire application de l’article 37 § 1 b) de la Convention. Le grief tiré de la violation des articles 3 et 13 de la Convention peut, à présent, être considéré comme « résolu », au sens de l’article 37 § 1 b) de la Convention.

63. Enfin, la Cour estime important de souligner qu’en application de l’article 37 § 2 de la Convention, elle peut décider la réinscription au rôle d’une requête lorsqu’elle estime que les circonstances le justifient. De plus, elle rappelle que le requérant aura la possibilité, s’il y a lieu, d’introduire une nouvelle requête devant la Cour, y compris la possibilité de demander des mesures provisoires sur la base de l’article 39 de son règlement.

64. Partant, cette partie de la requête doit être rayée du rôle.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

65. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage moral

66. Le requérant réclame 11 700 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi du fait de la violation de l’article 5 § 4 de la Convention. Il demande une somme de 100 EUR par jour de détention en infraction avec cette disposition entre le 6 mai 2010 et le 3 septembre 2010.

67. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.

68. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 5 000 EUR au titre du préjudice moral (voir, en ce sens, Firoz Muneer c. Belgique, précité, § 92).

B. Frais et dépens

69. Le requérant demande également 6 112,50 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. L’avocat des requérants a déposé à cet égard un état de frais et honoraires calculé sur la base d’un tarif horaire de 75 EUR. L’avocat indique qu’il a convenu avec le requérant que celui-ci procèdera au paiement de ces honoraires dans l’hypothèse où il obtiendrait gain de cause devant la Cour.

70. Le Gouvernement est d’avis que le requérant ne présente pas de justificatif et que la convention conclue entre le requérant et son représentant serait en tout état de cause contraire au droit belge. Il y aurait donc lieu de débouter le requérant de sa demande.

71. La Cour juge établi que le requérant a réellement exposé les frais dont il réclame le remboursement dès lors que, en sa qualité de client, il a contracté l’obligation juridique de payer son représentant en justice sur une base convenue (voir, en ce sens, M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], précité, § 413).

72. Toutefois, la Cour rappelle que les frais de justice ne peuvent être recouvrés que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (mutatis mutandis, Sanoma Uitgevers B.V. c. Pays-Bas [GC], no 38224/03, § 109, 14 septembre 2010). À ce sujet, la Cour relève que seule une violation de l’article 5 § 4 de la Convention a été constatée.

73. Partant, se livrant à sa propre appréciation sur la base des informations disponibles, la Cour juge raisonnable d’allouer au requérant la somme de 3 000 EUR.

C. Intérêts moratoires

74. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare recevable le grief tiré de l’article 5 § 4 et irrecevable le grief tiré de l’article 5 § 1 ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;

3. Dit qu’il y a lieu de rayer du rôle le grief tiré des articles 3 et 13 de la Convention ;

4. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

(i) 5 000 EUR (cinq mille euros) pour dommage moral plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

(ii) 3 000 EUR (trois mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 novembre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stephen PhillipsMark Villiger
Greffier adjointPrésident


Synthèse
Formation : Cour (cinquiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-128052
Date de la décision : 14/11/2013
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-4 - Contrôle à bref délai)

Parties
Demandeurs : M.D.
Défendeurs : BELGIQUE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : CHIHAOUI Z.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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