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12/11/2013 | CEDH | N°001-128038

CEDH | CEDH, AFFAIRE HALİL GÖÇMEN c. TURQUIE, 2013, 001-128038


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE HALİL GÖÇMEN c. TURQUIE

(Requête no 24883/07)

ARRÊT

(Fond)

STRASBOURG

12 novembre 2013

DÉFINITIF

12/02/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Halil Göçmen c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Danutė Jočienė,
Peer Lorenzen,
Dragoljub Popovi

,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Paulo Pinto de Albuquerque, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du con...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE HALİL GÖÇMEN c. TURQUIE

(Requête no 24883/07)

ARRÊT

(Fond)

STRASBOURG

12 novembre 2013

DÉFINITIF

12/02/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Halil Göçmen c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Danutė Jočienė,
Peer Lorenzen,
Dragoljub Popović,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Paulo Pinto de Albuquerque, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 octobre 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 24883/07) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Halil Göçmen (« le requérant »), a saisi la Cour le 28 mai 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me C. Dalkıran, avocat à Kayseri. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

3. Le 1er septembre 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond de l’affaire.

EN FAIT

4. Le requérant est né en 1939 et réside à Thiers, en France.

5. Le 19 décembre 1978, un terrain d’une superficie de 500 m² (sur une superficie totale de 9 800 m²), fut inscrit au registre foncier au nom du requérant en y étant qualifié de vignoble.

6. Le 31 août 1988, le rectorat de l’université d’Erciyes prit une décision d’expropriation du terrain en cause. Il ne procéda pas cependant à la notification en bonne et due forme de cette décision à M. Göçmen, qui habitait à l’étranger.

7. A une date non précisée, l’administration délimita le terrain et l’entoura de barbelés.

8. Ayant eu connaissance de cette occupation, M. Göçmen introduisit le 2 août 2004 une action en dommages et intérêts devant le tribunal de grande instance de Kayseri (« le tribunal ») en vue de la réparation du préjudice causé par l’expropriation de fait de son terrain.

9. Par un jugement du 21 octobre 2005, le tribunal, après avoir pris connaissance du rapport de l’expertise qu’il avait ordonné, donna gain de cause au requérant. Il considéra d’abord que le terrain en question devait être qualifié de terrain à bâtir (arsa) et non de terrain agricole (arazi). Puis, il observa que l’administration avait pris physiquement possession du terrain sans notifier sa décision d’expropriation à l’intéressé. En conséquence, le tribunal estima que M. Göçmen avait droit à une indemnité pour expropriation de facto de son terrain d’un montant de 18 000 livres turques (TRL) (soit environ 11 000 EUR (euros) à l’époque des faits), augmentée d’intérêts moratoires au taux légal à compter du 2 août 2004. Il ordonna également l’inscription du terrain litigieux au nom du rectorat.

10. Par un arrêt du 27 juin 2006, la Cour de cassation cassa le jugement rendu par la juridiction de première instance au motif que le rapport d’expertise sur lequel le juge s’était fondé était erroné. Elle considéra notamment que le terrain litigieux devait être considéré comme terrain agricole et non comme terrain à bâtir.

11. L’affaire lui ayant été renvoyée, le tribunal ordonna alors une nouvelle expertise. Les experts rendirent leur rapport le 1er février 2007. Ils qualifièrent le terrain de terrain agricole et estimèrent sa valeur à 754,29 TRL (soit environ 410 EUR à l’époque des faits).

12. Pour parvenir à cette conclusion, les experts rappelèrent d’abord que la nature du terrain devait s’apprécier à la date de l’introduction de la requête, à savoir le 2 août 2004. Puis, ils notèrent que selon la réponse de la municipalité de Talas, à la date du 26 octobre 2004, le terrain en question n’était raccordé ni au réseau d’adduction d’eau potable ni au réseau d’évacuation des eaux usées et n’était pas desservi par les transports en commun. Enfin, ils observèrent que selon les informations fournies par la municipalité de Talas en date du 10 mai 2006, le terrain litigieux figurait dans le périmètre du plan d’urbanisme. Il était situé dans la zone du campus de l’université d’Erciyes. Après visite des lieux, les experts ajoutèrent que le terrain en cause n’était pas dans une zone habitable et n’était pas suffisamment desservi par les services publics.

13. Le requérant s’opposa aux conclusions du rapport d’expertise du 1er février 2007 et exigea qu’une nouvelle expertise soit ordonnée. Il soutint qu’un terrain entouré d’immeubles d’habitation de plusieurs étages, relié directement à la route et faisant partie de la zone du campus universitaire devait être considéré comme un terrain à bâtir et non comme un terrain agricole. Il fit observer que le terrain relevait d’ailleurs du plan d’urbanisme. Il rappela également avoir payé de 1998 à 2003 la taxe foncière étatique sur la base d’une qualification de terrain à bâtir et non de terrain agricole. Il déplora enfin le caractère arbitraire de l’estimation faite par les experts de son terrain, qui ne correspondrait nullement à sa valeur marchande. L’intéressé ajouta que le terrain n’était plus cultivé depuis 20 ans, qu’il avait gagné de la valeur avec le développement urbain et que sa valeur marchande était bien plus élevée que 1,50 TRL (0,86 EUR) le mètre carré.

14. Le 17 mai 2007, sans ordonner de nouvelle expertise, le tribunal condamna l’administration à payer au requérant la somme de 754,29 TRL (soit environ 420 EUR à l’époque des faits), augmentée d’intérêts moratoires au taux légal à compter de la date d’introduction de l’action. Il ordonna également l’inscription du terrain litigieux au nom de l’administration défenderesse.

15. Etant donné que l’objet du litige n’atteignait pas la valeur minimale fixée par la loi pour ouvrir la possibilité d’un pourvoi en cassation, le jugement de première instance était définitif.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

16. Invoquant l’article 1 du Protocole no 1 et les articles 6 et 13 de la Convention, le requérant dénonce une atteinte à son droit au respect de ses biens, reprochant à l’administration d’avoir occupé son terrain sans qu’une décision d’expropriation en bonne et due forme ait été prise. Il soutient avoir été privé de sa propriété en l’absence d’une cause d’utilité publique. Par ailleurs, l’intéressé estime que le montant des dommages et intérêts fixé par le tribunal de grande instance de Kayseri ne correspondait pas à la valeur réelle du terrain exproprié de facto.

17. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

18. À titre liminaire, la Cour estime qu’il convient d’examiner les griefs, tels que formulés par le requérant, uniquement sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1. Cette disposition se lit ainsi :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

A. Sur la recevabilité

19. Le requérant dénonce une atteinte à son droit au respect de ses biens.

20. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes, faisant valoir que le requérant ne s’est pas pourvu en cassation contre le jugement du 17 mai 2007.

21. La Cour observe que le jugement du 17 mai 2007 n’était pas susceptible de pourvoi en cassation car l’objet du litige n’atteignait pas le seuil financier fixé par la loi (paragraphe 15 ci-dessus). Dès lors, l’exception du Gouvernement ne saurait être retenue.

22. La Cour constate que les griefs du requérant ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.

B. Sur le fond

23. Le Gouvernement soutient qu’il n’y a eu aucune atteinte au droit du requérant au respect de ses biens au sens de l’article 1 du Protocole no 1. Il fait valoir que la décision d’expropriation n’a pas pu être notifiée à l’intéressé car il avait quitté le pays sans laisser d’adresse où il aurait pu être joint. Le Gouvernement ajoute que la privation de propriété litigieuse repose sur une cause d’utilité publique et que le montant des dommages et intérêts fixé par le tribunal de grande instance de Kayseri au titre de l’indemnité pour expropriation de facto correspondait parfaitement à la valeur réelle du terrain en question. Il estime que la détermination des critères à combiner pour l’estimation de la valeur d’un terrain et la fixation des indemnités dues en conséquence relève de la marge d’appréciation des juridictions nationales.

24. Le requérant maintient ses allégations.

25. La Cour renvoie à sa jurisprudence constante (voir, par exemple, J.A. Pye (Oxford) Ltd et J.A. Pye (Oxford) Land Ltd c. Royaume-Uni [GC], no 44302/02, § 52, CEDH 2007‑X) en ce qui concerne la structure de l’article 1 du Protocole no 1 et les trois normes distinctes que cette disposition contient.

26. En ce qui concerne la question de l’existence d’une ingérence, nul ne conteste que l’expropriation de facto du terrain de M. Göçmen constitue une privation de propriété.

27. A cet égard, la Cour relève que les juridictions nationales ont constaté que l’administration avait occupé le terrain du requérant sans qu’ait été mise en œuvre une procédure d’expropriation en bonne et due forme. En conséquence, elles ont décidé d’octroyer à l’intéressé des dommages et intérêts pour expropriation de fait en contrepartie de l’inscription du bien en cause au nom de l’administration dans le registre foncier. La Cour conclut que le jugement définitif du 17 mai 2007 rendu par le tribunal de grande instance de Kayseri a bien eu pour effet de priver le requérant de son bien au sens de la deuxième phrase de l’article 1 du Protocole no 1 (Sarıca et Dilaver c. Turquie, no 11765/05, § 40, 27 mai 2010, Carbonara et Ventura c. Italie, no 24638/94, § 61, CEDH 2000-VI, et Brumărescu c. Roumanie [GC], no 28342/95, § 77, CEDH 1999‑VII).

28. Or pour être compatible avec l’article 1 du Protocole no 1, une telle ingérence doit être opérée « pour cause d’utilité publique » et « dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux de droit international » : elle doit ménager un « juste équilibre » entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu (Sporrong et Lönnroth c. Suède, 23 septembre 1982, § 69, série A no 52).

29. En effet, la prééminence du droit, l’un des principes fondamentaux d’une société démocratique, étant inhérente à l’ensemble de la Convention (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 58, CEDH 1999‑II), l’article 1 du Protocole no 1 exige, avant tout, qu’une ingérence de l’autorité publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit légale.

30. Dans ce contexte, la Cour observe d’abord que la pratique de l’expropriation de fait permet à l’administration d’occuper un bien immobilier et d’en transformer irréversiblement la destination, de telle sorte qu’il soit finalement considéré comme acquis au patrimoine public sans qu’il y ait eu le moindre acte formel pour déclarer le transfert de propriété. En l’absence d’un tel acte, le seul élément qui permette de légitimer le transfert du bien occupé et de garantir rétroactivement une certaine sécurité juridique est le jugement du tribunal saisi qui, a posteriori, ordonne le transfert de propriété après avoir constaté l’illégalité de l’occupation dénoncée et alloué aux demandeurs des dommages et intérêts, dits « indemnité d’expropriation de fait ».

31. L’expropriation de fait constitue ainsi une pratique permettant à l’administration de s’approprier un bien sans avoir indemnisé au préalable son propriétaire. Elle a pour effet de contraindre les propriétaires – qui jusqu’alors conservent formellement leur titre sur le plan juridique – à ester en justice contre l’administration. En effet, les intéressés se voient obligés d’entamer une action en indemnisation et, de ce fait, d’engager des frais de procédure pour faire valoir leurs droits, alors qu’en matière d’expropriation formelle, la procédure est déclenchée par l’administration expropriante, qui à défaut de règlement amiable doit en principe supporter les frais de justice.

32. À l’aune de ce qui précède, la Cour estime que ce procédé permettant à l’administration de passer outre les règles de l’expropriation formelle expose les justiciables au risque d’un résultat imprévisible et arbitraire. Il n’est pas apte à assurer un degré suffisant de sécurité juridique et ne saurait constituer une alternative à une expropriation en bonne et due forme (Scordino c. Italie (no 3), no 43662/98, § 89, 17 mai 2005 et Guiso‑Gallisay c. Italie, no 58858/00, § 87, 8 décembre 2005).

33. Dans la présente affaire, la Cour observe que l’administration s’est approprié le terrain du requérant au mépris des règles régissant l’expropriation formelle et sans lui verser d’indemnité. Le fait que le rectorat de l’université d’Erciyes ait en réalité bien pris une décision d’expropriation mais n’ait pas pu la notifier au requérant au motif qu’il habitait à l’étranger ne change en rien ce constat. D’ailleurs, il n’y a aucun document dans le dossier démontrant que le rectorat a cherché à trouver l’adresse de l’intéressé. Au lieu de suivre la procédure légale pour exproprier le requérant de son bien en bonne et due forme, l’administration a préféré délimiter le terrain et l’entourer de barbelés, prenant ainsi possession des lieux.

34. La Cour note que les juridictions turques ont entériné la pratique de l’expropriation de fait en jugeant que le requérant avait été privé de son bien du fait de l’occupation de son terrain par l’administration.

35. Or, en l’absence d’un acte formel d’expropriation, la Cour estime que cette situation ne pouvait être considérée comme « prévisible » pour M. Göçmen puisque ce n’est que depuis que le jugement du tribunal de grande instance de Kayseri est devenu définitif que l’on peut conclure à l’application effective de la pratique de l’expropriation de fait et que la méthode employée par l’administration pour rattacher le terrain litigieux au domaine public a été sanctionnée. Autrement dit, ce n’est que le 17 mai 2007 – date du jugement définitif du tribunal de grande instance de Kayseri – que le requérant a bénéficié de la « sécurité juridique » concernant la privation de son terrain.

36. De plus, à l’analyse des éléments du dossier et notamment des rapports d’expertise, la Cour observe qu’un laps de temps notable s’est écoulé depuis la prise de possession du terrain litigieux par l’administration sans que le projet d’utilité publique fondant la privation de propriété ait été réalisé. Or une telle situation, de nature à priver le requérant exproprié de facto de son terrain d’une plus-value rapportée par le bien en cause, est également incompatible avec les exigences de l’article 1 du Protocole no 1 (Motais de Narbonne c. France, no 48161/99, § 19, 2 juillet 2002, Beneficio Cappella Paolini c. Saint-Marin, no 40786/98, § 33, 13 octobre 2004, et Keçecioğlu et autres c. Turquie, no 37546/02, § 28, 8 avril 2008). Néanmoins, la Cour ne s’attardera pas davantage sur ce point dans la mesure où le requérant n’a pas intenté de recours en droit interne sur cette question spécifique.

37. En ce qui concerne la question de l’indemnisation, la Cour rappelle que sans le versement d’une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, une privation de propriété constitue normalement une atteinte excessive au sens de l’article 1 du Protocole no 1 (James et autres c. Royaume-Uni, 21 février 1986, série A no 98, p. 36, § 54, Les saints monastères c. Grèce, 9 décembre 1994, série A no 301, p. 35, § 71, Malama c. Grèce, no 43622/98, § 52, CEDH 2001-II, Platakou c. Grèce, no 38460/97, CEDH 2001-I, Jokela c. Finlande, no 28856/95, CEDH 2002‑IV et Yıltaş Yıldız Turistik Tesisleri A.Ş. c. Turquie, no 30502/96, § 38, 24 avril 2003.

38. La Cour observe que, dans la présente espèce, la qualification du terrain litigieux (terrain à bâtir ou terrain agricole) et sa valeur ont été l’objet d’une controverse. Même si la Cour n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions nationales et d’indiquer la manière dont les faits doivent être établis, il lui revient toutefois de s’assurer qu’ils ne l’ont pas été de manière inéquitable ou déraisonnable (Gereksar et autres c. Turquie, nos 34764/05, 34786/05, 34800/05 et 34811/05, § 55, 1er février 2011).

39. La Cour relève que la juridiction de première instance, se fondant sur le rapport d’expertise qu’elle avait demandé, avait initialement fixé l’indemnité pour expropriation de facto à 18 000 livres turques (TRL) (soit environ 11 000 EUR (euros) à l’époque des faits). Cette décision ayant été censurée par la Cour de cassation, le tribunal de grande instance de Kayseri, après avoir pris connaissance des conclusions du nouveau rapport d’expertise, a estimé que le montant de l’indemnité à allouer au requérant était de 754,29 TRL (soit environ 420 EUR à l’époque des faits). Cette différence notable dans la détermination de la valeur du bien était due au fait que dans le premier rapport d’expertise, le terrain avait été qualifié de constructible, et dans le second, de terrain agricole.

40. La Cour estime qu’avant de fixer la valeur du terrain à 1,50 TRL (0,86 EUR) le mètre carré, il revenait au tribunal de grande instance d’exposer les raisons pour lesquelles il écartait les arguments du requérant. L’intéressé, qui avait notamment démontré avoir payé de 1998 à 2003 la taxe foncière à l’Etat sur la base d’une qualification de terrain à bâtir et non de terrain agricole, pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’il soit procédé à une nouvelle expertise pour écarter les contradictions des deux expertises initiales.

41. Dès lors, la Cour considère que les faits n’ont pas été établis de manière suffisamment motivée et qu’une explication de nature à répondre aux attentes légitimes et aux arguments qui étaient ceux du requérant n’a pas été fournie.

42. A la lumière de ce qui précède, outre le défaut de légalité de l’expropriation litigieuse, la Cour conclut que, dans les circonstances de l’espèce, l’obligation d’offrir des procédures judiciaires présentant les garanties procédurales requises n’a pas été suffisamment respectée.

43. Partant il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

44. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

45. Le requérant estime avoir subi un préjudice matériel s’élevant à 30 000 EUR. Au titre du préjudice moral, il sollicite 2 000 EUR. Il demande également 3 000 EUR pour les frais et dépens.

46. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter les prétentions du requérant, qu’il juge excessives et dépourvues de fondement.

47. Dans les circonstances de l’espèce, la Cour estime que la question de l’application de l’article 41 ne se trouve pas en état, de sorte qu’il convient de la réserver en tenant compte de l’éventualité d’un accord entre l’Etat défendeur et le requérant.

PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

3. Dit que la question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouve pas en état ; en conséquence,

a) la réserve ;

b) invite le Gouvernement et le requérant à lui adresser par écrit, dans un délai de six mois à compter de la date de la notification du présent arrêt, leurs observations sur cette question et, notamment, à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir ;

c) réserve la procédure ultérieure et délègue au président de la chambre le soin de la fixer au besoin.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 novembre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stanley NaismithGuido Raimondi
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-128038
Date de la décision : 12/11/2013
Type d'affaire : au principal
Type de recours : Violation de l'article 1 du Protocole n° 1 - Protection de la propriété (article 1 al. 1 du Protocole n° 1 - Respect des biens)

Parties
Demandeurs : HALİL GÖÇMEN
Défendeurs : TURQUIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : DALKIRAN C.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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