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07/11/2013 | CEDH | N°001-128350

CEDH | CEDH, AFFAIRE VALLIANATOS ET AUTRES c. GRÈCE, 2013, 001-128350


GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE VALLIANATOS ET AUTRES c. GRèCE

(Requêtes nos 29381/09 et 32684/09)

Arrêt

Strasbourg

7 novembre 2013




En l’affaire Vallianatos et autres c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Dean Spielmann, président,
Josep Casadevall,
Guido Raimondi,
Ineta Ziemele,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Peer Lorenzen,
Danutė Jočienė,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Ledi Bianku,
Angelika Nußberger,


Julia Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse,
André Potocki,
Aleš Pejchal, juges,
et de Michael O’...

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE VALLIANATOS ET AUTRES c. GRèCE

(Requêtes nos 29381/09 et 32684/09)

Arrêt

Strasbourg

7 novembre 2013

En l’affaire Vallianatos et autres c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Dean Spielmann, président,
Josep Casadevall,
Guido Raimondi,
Ineta Ziemele,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Peer Lorenzen,
Danutė Jočienė,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Ledi Bianku,
Angelika Nußberger,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse,
André Potocki,
Aleš Pejchal, juges,
et de Michael O’Boyle, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 16 janvier et 11 septembre 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 29381/09 et 32684/09) dirigées contre la République hellénique et soumises à la Cour les 6 et 25 mai 2009 respectivement en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») : la première (no 29381/09) par deux ressortissants grecs, M. Grigoris Vallianatos et M. Nikolaos Mylonas, nés en 1956 et 1958 respectivement, et la deuxième (no 32684/09) par six ressortissants grecs, C.S., E.D., K.T., M.P., A.H. et D.N., ainsi que par l’association Synthessi- Information, sensibilisation, recherche, une personne morale ayant son siège à Athènes.

2. En ce qui concerne la requête no 29381/09, les requérants ont été représentés par le Moniteur grec Helsinki, une organisation non gouvernementale ayant son siège à Glyka Nera (Athènes). Quant à la requête no 32684/09, les requérants ont été représentés par Me N. Alivizatos et E. Mallios, avocats au barreau d’Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les délégués de son agent, Mme A. Grigoriou et Mme G. Papadaki, assesseurs auprès du Conseil juridique de l’État, ainsi que par M. D. Kalogiros, auditeur auprès du Conseil juridique de l’État.

3. Les requérants alléguaient en particulier sous l’angle des articles 8 et 14 combinés que le fait que le « pacte de vie commune » instauré par la loi no 3719/2008 fût destiné uniquement aux couples formés de personnes majeures de sexe opposé portait atteinte à leur droit à la vie privée et familiale et opérait une discrimination injustifiée entre les couples hétérosexuels et les couples homosexuels, au détriment de ces derniers.

4. Les requêtes ont été attribuées à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour – « le règlement »). Le 3 février 2011, celle-ci a décidé de les communiquer au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, elle a en outre décidé de se prononcer en même temps sur la recevabilité et sur le fond. Enfin, la présidente en exercice de la chambre a accédé à la demande d’anonymat formulée par les six premiers requérants dans la requête no 32684/09 (article 47 § 3 du règlement de la Cour).

5. Le 11 septembre 2012, la chambre, composée de Nina Vajić, Peer Lorenzen, Elisabeth Steiner, Mirjana Lazarova Trajkovska, Julia Laffranque, Linos-Alexandre Sicilianos et Erik Møse, juges, et de Søren Nielsen, greffier de section, s’est dessaisie de l’affaire en faveur de la Grande Chambre, aucune des parties, consultées à cet effet, ne s’y étant opposée (articles 30 de la Convention et 72 du règlement). La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement.

6. Les requérants ainsi que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur la recevabilité et le fond des requêtes (article 59 § 1 du règlement). En outre des observations ont été soumises par le Centre de conseil sur les droits de l’individu en Europe, la Commission internationale de juristes, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme et la branche européenne de l’International Lesbian, Gay, Trans and Intersex Association, que le président avait autorisés à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 du règlement).

7. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 16 janvier 2013 (article 59 § 3 du règlement).

Ont comparu :

– pour le gouvernement défendeur

Mme A. Grigoriou, assesseur auprès du Conseil juridique

de l’État,

M. D. Kalogiros, auditeur auprès du Conseil juridique

de l’État,

Mme M. Germani, auditreur auprès du Conseil juridique

de l’État, délégués de l’agent ;

– pour les requérants

Me C. Mécary, avocate,

Me N. Alivizatos, avocat,conseils ;

M. P. Dimitras,

Me E. Mallios, avocat,conseillers.

La Cour a entendu en leurs déclarations Mme Germani ainsi que Me Mécary et Me Alivizatos.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

8. En ce qui concerne la requête no 29381/09, les requérants vivent en couple à Athènes. Quant à la requête no 32684/09, les première et deuxième requérantes d’une part, et les troisième et quatrième requérantes d’autre part vivent en couple depuis longtemps à Athènes. Les cinquième et sixième requérants entretiennent une relation mais, pour des raisons professionnelles et sociales, ne vivent pas ensemble. Il ressort de leurs relevés bancaires que le sixième requérant règle les cotisations de sécurité sociale du cinquième requérant. La septième requérante est une association à but non lucratif visant, entre autres, au soutien psychologique et moral des personnes homosexuelles.

9. Le 26 novembre 2008, la loi no 3719/2008, intitulée « Réformes concernant la famille, les enfants et la société », entra en vigueur. Elle instituait pour la première fois en Grèce une forme officielle de partenariat autre que le mariage, le « pacte de vie commune » (σύμφωνο συμβίωσης). Selon son article premier, un tel pacte ne peut être conclu que par deux personnes majeures de sexe opposé.

10. Selon le rapport explicatif de la loi no 3719/2008, le pacte de vie commune reconnaît une réalité sociale, à savoir la vie commune hors mariage, permettant ainsi aux intéressés d’inscrire leur relation dans un cadre juridique plus souple que celui de l’institution du mariage. Le rapport ajoute que le nombre d’enfants nés en Grèce de couples vivant en union libre a augmenté au fil du temps et représentait à l’époque 5% environ du nombre total des enfants nés dans le pays. Il relève aussi que le statut des femmes se retrouvant sans aucun soutien après de longues périodes de vie commune et, plus généralement, le phénomène des familles monoparentales constituent des problèmes majeurs exigeant une intervention législative. Il précise toutefois que le mariage religieux conserve une valeur incomparable et, avec le mariage civil, constitue le meilleur choix pour les couples souhaitant fonder une famille en s’entourant de toutes les garanties juridiques, économiques et sociales. Le rapport fait aussi référence à l’article 8 de la Convention qui protège, sous l’angle du droit à la vie privée et familiale, la vie commune hors mariage, et relève qu’un certain nombre d’États européens reconnaissent juridiquement une forme de partenariat enregistré pour des couples hétérosexuels ou homosexuels. Sans plus d’explications, le rapport note que le pacte est réservé aux adultes de sexe opposé. Il conclut que le « pacte de vie commune » constitue une nouvelle forme de partenariat et non pas une sorte de « mariage souple ». Selon le rapport, l’institution du mariage n’est pas affaiblie par la nouvelle loi puisqu’elle relève d’un régime juridique différent de celui du « pacte de vie commune ».

11. Un vif débat précéda la mise en œuvre de la loi no 3719/2008. L’Église de Grèce prit officiellement position contre elle. Dans un communiqué publié le 17 mars 2008 par le Saint Synode, elle qualifia le pacte de vie commune de « prostitution ». Quant au ministre de la Justice, il déclara devant la commission parlementaire compétente :

« (...) Nous pensons que nous ne devrions pas aller plus loin. Il ne faut pas inclure les couples de même sexe. En effet, nous sommes persuadés que les exigences et besoins de la société hellénique ne commandent pas d’aller au-delà ; en tant que législateur, le parti politique au pouvoir est tenu de rendre des comptes au peuple grec. Il a ses propres convictions et a débattu de ce problème ; je crois que c’est la voie à suivre ».

12. La Commission nationale des droits de l’homme, dans ses observations datées du 14 juillet 2008 sur le projet de loi, fit référence notamment à la notion de vie familiale, expliquant que le contenu n’en était pas statique mais se modifiait en fonction de l’évolution des mœurs (paragraphes 21-24 ci-dessous).

13. Le 4 novembre 2008, le Conseil scientifique (Επιστημονικό Συμβούλιο) du Parlement, organe consultatif dépendant du président du Parlement, dressa un rapport sur le projet de loi en cause. Il y observait notamment, en faisant référence à la jurisprudence de la Cour, que la protection de l’orientation sexuelle entrait dans le champ d’application de l’article 14 de la Convention et que la notion de « famille » n’incluait pas uniquement les relations entre individus au sein de l’institution du mariage mais qu’elle pouvait englober de manière plus générale des rapports équivalant de facto à une vie familiale et établis en dehors des liens du mariage (page 2 du rapport).

14. Lors du débat parlementaire du 11 novembre 2008 à propos du pacte de vie commune, le ministre de la Justice se borna à déclarer que « la société aujourd’hui n’[était] pas encore assez mature pour accepter la cohabitation des couples de même sexe ». Plusieurs orateurs insistèrent sur la violation par la Grèce de ses obligations internationales et, notamment, des articles 8 et 14 de la Convention du fait que les couples homosexuels étaient exclus du dispositif.

15. Le 27 septembre 2010, la Commission nationale des droits de l’homme adressa une lettre au ministre de la Justice, réitérant sa position sur le caractère discriminatoire de la loi no 3719/2008. Dans cette lettre, la commission considérait qu’il serait opportun d’élaborer un projet de loi étendant le pacte de vie commune aux personnes de même sexe.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

A. Les droit et pratique internes

1. La loi no 3719/2008

16. Les articles pertinents de la loi no 3719/2008 se lisent comme suit :

Article 1

Conclusion

« Le contrat entre deux personnes physiques majeures de sexe opposé par lequel elles organisent leur vie commune (« pacte de vie commune ») est conclu par un acte notarié en leur présence. Le contrat prend effet à partir du dépôt d’une copie de l’acte notarié auprès de l’officier d’état civil du lieu de résidence des deux partenaires. Il est enregistré dans un dossier spécial de l’état civil. »

Article 2

Modalités

« 1. Pour conclure un pacte de vie commune, il est nécessaire d’avoir la capacité juridique pleine et entière.

2. La conclusion d’un pacte de vie commune n’est pas autorisée : a) si l’une ou l’autre des personnes intéressées, ou les deux, ont déjà contracté mariage ou conclu un pacte de vie commune, b) entre des parents par le sang (...) ou par alliance (...) et c) entre l’adoptant et l’adopté.

3. La violation des dispositions du présent article entraîne la nullité du pacte de vie commune. »

Article 3

Nullité du pacte

« Les contractants ou quiconque faisant valoir un intérêt légitime à caractère familial ou pécuniaire peuvent invoquer la nullité du pacte de vie commune en vertu de l’article précédent. Le procureur peut demander d’office l’annulation du pacte de vie commune si celui-ci porte atteinte à l’ordre public. »

Article 4

Résiliation

« 1. Le pacte de vie commune est résilié : a) par un accord entre les contractants qui prend la forme d’un acte notarié conclu en leur présence, b) par une déclaration unilatérale devant notaire, après notification à l’autre partie par un huissier de justice et c) de plein droit en cas de mariage des contractants entre eux ou entre l’un d’entre eux et un tiers.

2. La résiliation du pacte de vie commune prend effet à partir du dépôt de l’acte notarié ou de la déclaration unilatérale auprès de l’officier de l’état civil où le pacte de vie commune a été enregistré. »

Article 5

Nom

« Le pacte de vie commune ne modifie pas le nom (de famille) des contractants. Chacun peut, si l’autre y consent, utiliser le nom de l’autre ou l’ajouter au sien dans les rapports sociaux. »

Article 6

Relations pécuniaires

« Les relations pécuniaires des contractants, notamment en ce qui concerne les biens acquis pendant la durée du pacte de vie commune (acquêts), peuvent être réglementées par le pacte de vie commune ou par un acte notarié ultérieur. À défaut d’accord sur les acquêts, après la résiliation du pacte chacun des contractants a une prétention sur la contribution de l’autre. Cette prétention ne naît pas en la personne des héritiers de l’ayant droit, elle ne peut pas être cédée ni transmise par succession héréditaire mais elle est dirigée contre les héritiers de la partie redevable. La prétention est prescrite dans un délai de deux ans à compter de la résiliation du pacte. »

Article 7

Obligation alimentaire après la résiliation

« 1. Dans le pacte de vie commune, ou dans un acte notarié ultérieur, l’un des contractants peut s’engager à verser une pension alimentaire à l’autre, ou les deux contractants peuvent prendre un engagement réciproque en ce sens, uniquement pour le cas où, après la résiliation du pacte, l’un ou l’autre des contractants ne pourrait assurer son entretien par ses propres revenus ou biens. Celui qui n’est pas en mesure, au vu de ses autres obligations, de verser une pension alimentaire sans compromettre son propre entretien n’a pas l’obligation de la verser. Cette obligation ne pèse pas sur les héritiers de la personne redevable.

2. En ce qui concerne le droit à pension alimentaire, la personne y ayant droit en vertu du pacte de vie commune prend rang à égalité avec l’époux divorcé de la personne redevable.

3. Après la résiliation du pacte de vie commune, la personne redevable d’une pension alimentaire ne peut pas se prévaloir d’une telle obligation afin d’être dispensée, en tout ou en partie, de son obligation de contribuer [à l’entretien de] son époux ou à ses enfants mineurs ou de leur verser une pension alimentaire.

4. Sans préjudice des paragraphes 2 et 3, l’obligation contractuelle visée au paragraphe 1 l’emporte sur l’obligation d’entretenir d’autres personnes que le bénéficiaire [de la pension alimentaire], qui, après la résiliation du pacte, se trouve dans l’impossibilité de subvenir à ses besoins par ses propres moyens. »

Article 8

Présomption de paternité

« 1. L’enfant né pendant la durée du pacte de vie commune ou dans les trois cents jours après sa résiliation ou son annulation est présumé avoir comme père l’homme avec qui la mère a conclu le pacte. Cette présomption est renversée par une décision judiciaire irrévocable. Les articles 1466 et suivants du code civil ainsi que les articles 614 et suivants du code de procédure civile sont appliqués par analogie.

2. La nullité ou l’annulation du pacte n’a pas d’incidence sur la paternité des enfants. »

Article 9

Nom des enfants

« L’enfant né au cours du pacte de vie commune ou dans les trois cent jours après sa résiliation ou annulation porte le nom choisi par ses parents par une déclaration commune et irrévocable qui est consignée dans le pacte ou dans un acte notarié ultérieur, établi avant la naissance du premier enfant. Le nom choisi est commun à tous les enfants et est obligatoirement le nom de l’un des parents ou une combinaison de leurs noms. En aucun cas, il ne peut comprendre plus de deux noms. Si la déclaration est omise, l’enfant aura un nom composé, constitué du nom de ses deux parents. Si le nom de l’un des parents, ou des deux, est composé, le nom de l’enfant sera formé par le premier des deux noms. »

Article 10

Autorité parentale

« 1. L’autorité parentale sur un enfant né pendant la durée du pacte de vie commune ou dans les trois cents jours après sa résiliation ou son annulation appartient aux deux parents et est exercée conjointement. Les dispositions du code civil relatives à l’autorité parentale sur les enfants nés dans les liens du mariage s’appliquent par analogie.

2. Si le pacte de vie commune est résilié pour les raisons mentionnées aux articles 2 et 4 de la présente loi, l’article 1513 du code civil s’applique par analogie pour ce qui est de l’autorité parentale. »

Article 11

Successions

« 1. Après la résiliation du pacte de vie commune pour cause de décès, le survivant a un droit héréditaire ab intestat qui s’élève à un sixième de la succession s’il concourt avec des héritiers de premier degré, au tiers s’il concourt avec des héritiers d’autres degrés et à la totalité de l’héritage si aucun parent du de cujus n’est appelé en tant qu’héritier ab intestat.

2. Le survivant a droit à une réserve légale sur l’héritage à hauteur de la moitié de la part qui lui correspondrait ab intestat. (...)

3. Les articles 1823 et suivants, 1839 et suivants, et 1860 du code civil s’appliquent par analogie. »

Article 13

Champ d’application

« La présente loi s’applique à tout pacte de vie commune conclu en Grèce ou devant une autorité consulaire grecque. Dans tous les autres cas, le droit applicable est le droit désigné par les règles du droit international privé. »

2. Le code civil

17. Les articles pertinents du code civil sont ainsi libellés :

Article 57

« Celui qui est atteint dans sa personnalité d’une manière illicite a le droit d’exiger la suppression de l’atteinte et, en outre, sa non-répétition à l’avenir (...).

En outre, le droit à des dommages-intérêts, suivant les dispositions relatives aux actes illicites, n’est pas exclu. »

Article 59

« Dans les cas prévus par les deux articles précédents, le tribunal peut, par un jugement rendu à la demande de la victime de l’atteinte, et compte tenu de la nature de celle-ci, condamner en outre la personne fautive à réparer le préjudice moral de la victime. Cette réparation prend la forme d’un versement d’une somme d’argent, d’une mesure de publicité, et de toute autre mesure indiquée en fonction des circonstances. »

Article 914

« Celui qui, en violation de la loi, cause par sa faute un dommage à autrui est tenu à réparation. »

Article 932

« Indépendamment de l’indemnité due à raison du préjudice patrimonial causé par un acte illicite, le tribunal peut, selon son appréciation, allouer une réparation pécuniaire raisonnable pour préjudice moral. Peut notamment bénéficier de cette règle celui qui a subi une atteinte à sa santé, à son honneur ou à sa pudeur, ou qui a été privé de sa liberté. En cas de mort d’homme, la réparation peut être allouée à la famille de la victime au titre du pretium doloris. »

Article 1444

« (...)

Le droit à une pension alimentaire cesse si son titulaire se marie de nouveau ou s’il entretient une relation stable avec une autre personne ou vit en union libre (...). »

3. La loi d’accompagnement du code civil

18. Les articles 104 et 105 de la loi d’accompagnement du code civil se lisent comme suit :

Article 104

« Conformément aux dispositions du code civil relatives aux personnes morales, l’État est responsable des actes ou omissions de ses organes concernant des rapports de droit privé ou son patrimoine privé. »

Article 105

« L’État est tenu de réparer le dommage causé par les actions ou omissions illégales commises par ses organes dans l’exercice de la puissance publique, sauf dans le cas où l’action ou l’omission en cause a méconnu une disposition existante dans le but de servir l’intérêt public. La personne fautive est solidairement responsable avec l’État, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres. »

19. Ces dispositions établissent le concept d’acte dommageable spécial de droit public, créant une responsabilité extracontractuelle de l’État. Cette responsabilité résulte d’actions ou omissions illégales, qui peuvent être non seulement des actes juridiques mais également des actes matériels de l’administration, y compris des actes non exécutoires en principe. La recevabilité de l’action en réparation est soumise à une condition : la nature illégale de l’acte ou de l’omission.

20. Les arrêts nos 1141/1999, 909-910/2007, 1011/2008, 3088/2009, 169/2010 et 2546/2010 du Conseil d’État constituent des exemples jurisprudentiels de mise en jeu de la responsabilité extracontractuelle de l’État en cas d’inconstitutionnalité d’une loi. En particulier, dans son arrêt no 1141/1999 concernant la révocation législative du droit accordé à des parents de familles nombreuses de faire circuler des autobus d’usage public, la haute juridiction administrative rejeta le recours en réparation au motif que la loi appliquée n’était pas inconstitutionnelle. Dans ses arrêts nos 909-910/2007 et 169/2010, le Conseil d’État reconnut que la responsabilité civile de l’État était engagée du fait de l’installation de panneaux publicitaires aux abords des voies publiques en violation de la Convention de Vienne sur les panneaux de signalisation routière. Dans son arrêt no 1011/2008 relatif à une demande d’indemnisation en raison de la limitation par voie législative du droit du propriétaire à faire construire sur sa propriété, il débouta le demandeur, estimant que la responsabilité civile de l’État ne pouvait être mise en cause si la disposition prise au mépris d’une norme ayant une force juridique supérieure était destinée à servir l’intérêt public. Dans son arrêt no 3088/2009, il reconnut que l’État était tenu d’indemniser les intéressés à raison de l’omission du législateur de reconnaître par la voie normative les qualifications professionnelles d’une catégorie de diplômés d’instituts supérieurs technologiques. Enfin, dans son arrêt no 2546/2010, la haute juridiction administrative considéra que l’État était civilement responsable pour avoir procédé à l’indemnisation de cinq agriculteurs, nommément désignés dans une loi, pour cause d’intempéries ayant détruit leurs récoltes tout en omettant de dédommager un sixième agriculteur, lésé dans les mêmes conditions.

4. Le rapport de la Commission nationale des droits de l’homme

21. Instituée en 1998, cette Commission est placée sous l’autorité du Premier ministre. Elle a notamment pour objet l’élaboration et la publication de rapports relatifs à la protection des droits de l’homme, soit de sa propre initiative soit à la demande du gouvernement, du Parlement ou d’organisations non gouvernementales.

22. Le 14 juillet 2008, la Commission adopta à l’unanimité un rapport contenant ses propositions sur le projet de loi intitulé « Réformes concernant la famille, les enfants et la société ». Elle y affirmait ne pas parvenir à saisir la raison pour laquelle le projet de loi était ainsi intitulé alors qu’il autorisait une nouvelle forme de vie commune. De plus, elle ajoutait que le projet de loi modifiait de manière fragmentaire, hâtive et insuffisamment justifiée des dispositions du code civil afférentes au droit de la famille, sans qu’une consultation publique avec les acteurs sociaux, académiques et professionnels ait préalablement eu lieu.

23. Dans son rapport, la Commission relevait également que certaines phrases dans le rapport explicatif du projet de loi sous-entendaient que ses rédacteurs concevaient le pacte de vie commune comme une institution juridique inférieure au mariage. Elle ajoutait que, malgré la référence explicite du rapport explicatif à l’adoption de pactes de vie commune par d’autres États européens et destinés à des couples homosexuels, celui-ci n’offrait aucune justification sur l’exclusion de ces derniers du champ d’application du projet de loi.

24. À cet égard en particulier, la Commission rappelait que, depuis 2004, elle avait invité les autorités compétentes à reconnaître juridiquement le pacte de vie commune aux couples constitués de personnes du même sexe. Dans sa proposition, elle se fondait sur l’évolution du droit international sur ce sujet et, en particulier, se référait à la jurisprudence de la Cour relative aux articles 8 et 14 de la Convention. Elle considérait que l’État grec avait manqué une occasion unique de remédier aux discriminations subies par les couples homosexuels quant à la possibilité de former des partenariats civils reconnus par la loi. Elle soulignait que la législation faisait référence à l’union libre, une forme de vie commune qui représentait une alternative au mariage pour des personnes de sexe opposé. Elle estimait que l’introduction dudit pacte était plus opportune pour les couples de même sexe que pour les couples de sexe opposé.

B. Le droit comparé, européen et international

1. Eléments de droit comparé

25. Selon les éléments de droit comparé dont dispose la Cour sur l’introduction de formes officielles de vie commune autres que le mariage au sein des ordres juridiques des États membres du Conseil de l’Europe, neuf États (la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la France, l’Islande, les Pays-Bas, la Norvège, le Portugal, et la Suède) reconnaissent le mariage entre personnes de même sexe. En outre, dix-sept États membres (l’Allemagne, l’Andorre, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, la Finlande, la France, la Hongrie, l’Islande, l’Irlande, le Liechtenstein, le Luxembourg, les Pays-Bas, la République tchèque, le Royaume-Uni, la Slovénie et la Suisse) autorisent des formes de partenariats civils pour les couples de même sexe. Le Danemark, la Norvège et la Suède reconnaissent le droit au mariage aux personnes de même sexe sans prévoir en même temps la possibilité de conclure un partenariat civil.

26. Enfin, la Lituanie et la Grèce sont les seuls États au sein du Conseil de l’Europe qui, outre le mariage (possible uniquement pour les couples hétérosexuels), prévoient une autre forme de partenariat enregistré qui est destinée uniquement aux couples de sexe opposé.

2. Les textes pertinents du Conseil de l’Europe

27. Dans sa Recommandation 924 (1981) relative à la discrimination à l’égard des homosexuels, l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) dénonce les différentes formes de discrimination à l’égard des homosexuels dans certains États membres du Conseil de l’Europe. Dans sa Recommandation 1474 (2000) sur « la situation des lesbiennes et gays dans les États membres du Conseil de l’Europe », elle invite les États membres, entre autres, à adopter des législations prévoyant le partenariat enregistré. En outre, dans la Recommandation 1470 (2000) relative au sujet plus spécifique de la « situation des gays et lesbiennes et de leurs partenaires en matière d’asile et d’immigration dans les États membres du Conseil de l’Europe », elle prie le Comité des Ministres de demander aux États membres, notamment, « de revoir leur politique en matière de droits sociaux et de protection des migrants de manière à ce que les couples et les familles homosexuels soient traités selon les mêmes règles que les couples et les familles hétérosexuels (...) ».

28. Dans sa Résolution 1728 (2010) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, adoptée le 29 avril 2010 et intitulée « Discrimination sur la base de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre », l’APCE invite les États membres « à garantir la reconnaissance juridique des couples de même sexe, lorsque la législation nationale prévoit une telle reconnaissance, comme déjà recommandé par l’Assemblée en 2000 », en prévoyant entre autres :

« 16.9.1. les mêmes droits et obligations pécuniaires que ceux établis pour les couples hétérosexuels;

16.9.2. le statut de « proche »;

16.9.3. lorsque l’un des partenaires d’un couple de même sexe est étranger, des mesures permettant à ce partenaire de bénéficier des mêmes droits de résidence que ceux dont bénéficierait un partenaire étranger dans un couple hétérosexuel;

16.9.4. la reconnaissance des dispositions adoptées par d’autres États membres qui produisent des effets similaires ».

29. Dans sa Recommandation CM/Rec(2010)5 portant sur « des mesures visant à combattre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre », le Comité des Ministres recommande aux États membres :

« 1. d’examiner les mesures législatives et autres existantes, de les suivre, ainsi que de collecter et d’analyser des données pertinentes, afin de contrôler et réparer toute discrimination directe ou indirecte pour des motifs tenant à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre ;

2. de veiller à ce que des mesures législatives et autres visant à combattre toute discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, à garantir le respect des droits de l’homme des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres, et à promouvoir la tolérance à leur égard soient adoptées et appliquées de manière efficace ;

(...) »

30. Dans la même Recommandation, il est précisé ce qui suit :

« 23. Lorsque la législation nationale confère des droits et des obligations aux couples non mariés, les États membres devraient garantir son application sans aucune discrimination à la fois aux couples de même sexe et à ceux de sexes différents, y compris en ce qui concerne les prestations de pension de retraite du survivant et les droits locatifs.

24. Lorsque la législation nationale reconnaît les partenariats enregistrés entre personnes de même sexe, les États membres devraient viser à ce que leur statut juridique, ainsi que leurs droits et obligations soient équivalents à ceux des couples hétérosexuels dans une situation comparable.

25. Lorsque la législation nationale ne reconnaît ni ne confère de droit ou d’obligation aux partenariats enregistrés entre personnes de même sexe et aux couples non mariés, les États membres sont invités à considérer la possibilité de fournir, sans aucune discrimination, y compris vis-à-vis de couples de sexe différent, aux couples de même sexe des moyens juridiques ou autres pour répondre aux problèmes pratiques liés à la réalité sociale dans laquelle ils vivent. »

3. Le droit de l’Union européenne

31. Les articles 7, 9 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, signée le 7 décembre 2000 et entrée en vigueur le 1er décembre 2009, sont ainsi libellés :

Article 7

« Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications. »

Article 9

« Le droit de se marier et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent l’exercice. »

Article 21

« 1. Est interdite, toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle.

2. Dans le domaine d’application du traité instituant la Communauté européenne et du traité sur l’Union européenne, et sans préjudice des dispositions particulières desdits traités, toute discrimination fondée sur la nationalité est interdite. »

32. Le commentaire relatif à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, rédigé en 2006 par le « Réseau UE d’experts indépendants en matière de droits fondamentaux », énonce ce qui suit au sujet de l’article 9 de la Charte (traduction non officielle) :

« En dépit des tendances et évolutions apparues récemment dans le droit interne d’un certain nombre de pays visant à plus d’ouverture et à une meilleure acceptation des couples homosexuels, quelques États conservent des politiques publiques et/ou réglementations qui excluent explicitement le droit pour les couples homosexuels de se marier. Il existe à l’heure actuelle une très faible reconnaissance juridique des relations entre personnes de même sexe en ce sens que le mariage n’est pas ouvert aux couples homosexuels. En d’autres termes, le droit interne de la majorité des États part de l’idée que les futurs époux sont de sexe différent. Néanmoins, dans un petit nombre de pays, par exemple aux Pays-Bas et en Belgique, le mariage de personnes de même sexe est autorisé par la loi. D’autres pays, comme les pays scandinaves, ont adopté une législation sur le partenariat enregistré, ce qui signifie notamment que la plupart des dispositions concernant le mariage, à savoir ses conséquences juridiques en matière de partage des biens, de droits de succession, etc., sont aussi applicables à ce type d’union. En même temps, il importe de signaler que la dénomination « partenariat enregistré » a été choisie intentionnellement pour établir une distinction avec le mariage et que ce type de contrat a été créé comme un mode différent de reconnaissance des relations personnelles. Cette nouvelle institution n’est donc accessible par définition qu’aux couples qui ne peuvent se marier, et le partenariat entre personnes de même sexe n’a pas le même statut et n’emporte pas les mêmes avantages que le mariage. (...)

Afin de tenir compte de la diversité des législations concernant le mariage, l’article 9 de la Charte renvoie aux lois nationales. Comme son libellé le montre, cette disposition a une portée plus large que les articles correspondants des autres instruments internationaux. Etant donné que, contrairement aux autres instruments de défense des droits de l’homme, l’article 9 ne mentionne pas expressément « l’homme et la femme », on pourrait dire que rien ne s’oppose à la reconnaissance des relations entre personnes de même sexe dans le cadre du mariage. Cependant, cette disposition n’exige pas non plus explicitement que les lois nationales facilitent ce type de mariage. Les juridictions et comités internationaux ont jusqu’à présent hésité à ouvrir le mariage aux couples homosexuels. (...) »

33. Un certain nombre de directives offrent aussi un intérêt en l’espèce. La directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial fixe les conditions dans lesquelles est exercé le droit au regroupement familial dont disposent les ressortissants de pays tiers résidant légalement sur le territoire des États membres.

En son article 4, qui s’inscrit dans le chapitre « Membres de la famille », cette directive dispose ce qui suit :

« 3. Les États membres peuvent, par voie législative ou réglementaire, autoriser l’entrée et le séjour, au titre de la présente directive, sous réserve du respect des conditions définies au chapitre IV, du partenaire non marié ressortissant d’un pays tiers qui a avec le regroupant une relation durable et stable dûment prouvée, ou du ressortissant de pays tiers qui est lié au regroupant par un partenariat enregistré, conformément à l’article 5, paragraphe 2 (...) ».

En outre, l’article 5 de la même directive se lit ainsi :

« 1. Les États membres déterminent si, aux fins de l’exercice du droit au regroupement familial, une demande d’entrée et de séjour doit être introduite auprès des autorités compétentes de l’État membre concerné soit par le regroupant, soit par les membres de la famille.

2. La demande est accompagnée de pièces justificatives prouvant les liens familiaux et le respect des conditions prévues aux articles 4 et 6 et, le cas échéant, aux articles 7 et 8, ainsi que de copies certifiées conformes des documents de voyage des membres de la famille.

Le cas échéant, pour obtenir la preuve de l’existence de liens familiaux, les États membres peuvent procéder à des entretiens avec le regroupant et les membres de sa famille et à toute enquête jugée nécessaire.

Lors de l’examen d’une demande concernant le partenaire non marié du regroupant, les États membres tiennent compte, afin d’établir l’existence de liens familiaux, d’éléments tels qu’un enfant commun, une cohabitation préalable, l’enregistrement du partenariat ou tout autre moyen de preuve fiable.

(...) »

34. La directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 concerne le droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres.

Son article 2 contient la définition suivante :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

(...)

2) « membre de la famille » :

a) le conjoint ;

b) le partenaire avec lequel le citoyen de l’Union a contracté un partenariat enregistré, sur la base de la législation d’un État membre, si, conformément à la législation de l’État membre d’accueil, les partenariats enregistrés sont équivalents au mariage, et dans le respect des conditions prévues par la législation pertinente de l’État membre d’accueil ;

c) les descendants directs qui sont âgés de moins de vingt et un ans ou qui sont à charge, et les descendants directs du conjoint ou du partenaire tel que visé au point b) ;

d) les ascendants directs à charge et ceux du conjoint ou du partenaire tel que visé au point b) ; »

EN DROIT

I. JONCTION DES REQUÊTES

35. La Cour constate que dans les deux requêtes les requérants se plaignent de l’exclusion des couples de même sexe du champ d’application de la loi no 3719/2008. Partant, compte tenu de la similitude des requêtes quant aux faits et à la question de fond qu’elles posent, elle décide de les joindre et de les examiner conjointement dans un seul arrêt.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 8

36. Les requérants allèguent que le fait que le « pacte de vie commune » instauré par la loi no 3719/2008 soit destiné uniquement aux couples formés de personnes majeures de sexe opposé porte atteinte à leur droit à la vie privée et familiale et opère une discrimination injustifiée entre les couples hétérosexuels et les couples homosexuels, au détriment de ces derniers. Ils invoquent l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8, dispositions ainsi libellées :

Article 14

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

Article 8

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale [et] de son domicile (...)

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A. Sur la recevabilité

1. Les thèses des parties

a) Le Gouvernement

37. Le Gouvernement estime en premier lieu que ce grief est irrecevable ratione personae. En ce qui concerne l’association « Synthessi- Information, sensibilisation, recherche », il soutient notamment qu’en sa qualité de personne morale, celle-ci ne peut pas être considérée comme victime, directe ou indirecte, des violations alléguées. De plus, à son sens, les requérants personnes physiques ne sauraient être considérés comme victimes de la violation alléguée sous l’angle des articles 14 et 8 puisqu’ils ne subissent pas de conséquences négatives directes et concrètes de l’impossibilité de conclure ledit pacte. À titre d’exemple, le Gouvernement relève que le versement d’une pension alimentaire après dissolution du pacte de vie commune n’est prévu que de manière facultative par l’article 6 de la loi no 3719/2008. De surcroît, les requérants seraient en tout état de cause libres de créer une telle obligation et le droit réciproque au sein de leurs couples par la voie contractuelle. En ce qui concerne les droits de succession des partenaires, le Gouvernement concède que l’article 11 de la loi en cause prévoit un droit de succession ab intestat en faveur du partenaire survivant au sein du pacte de vie commune. Néanmoins, les requérants, vu leur âge – le plus âgé entre eux n’ayant pas plus de soixante ans – ne pourraient être considérés que comme des victimes hypothétiques de la violation alléguée. En tout état de cause, les intéressés auraient à tout moment la possibilité de régler les questions afférentes à leur succession ou, en général, au statut patrimonial de chacun, y compris la réglementation des relations pécuniaires, par la voie testamentaire ou contractuelle.

38. Par ailleurs, le Gouvernement estime que les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes qui leur étaient ouvertes en l’espèce. De manière générale, il soutient que la prétendue impossibilité pour les requérants de contester la loi en cause devant les juridictions internes n’est pas due à l’absence de recours effectif en droit grec mais au défaut de tout préjudice concret et direct découlant de l’exclusion des intéressés du pacte de vie commune. En somme, pour le Gouvernement, les requérants personnes physiques n’ont pas la qualité de victime en raison du caractère hypothétique et spéculatif des préjudices qu’ils prétendent avoir subis en ce qui concerne le droit à une éventuelle pension alimentaire, les modalités de succession héréditaire ainsi que la réglementation des questions pécuniaires au sein de chaque couple.

39. En outre, le Gouvernement soutient que l’action en dommages-intérêts devant les juridictions administratives, exercée en vertu de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil aurait constitué en l’espèce un recours effectif. Il explique qu’en vertu de cette disposition l’État est tenu de réparer le dommage causé par les actions ou omissions de ses organes, dans le cadre de leurs prérogatives de puissance publique, à la seule condition que l’action ou l’omission soit illicite, c’est-à-dire qu’elle transgresse une règle de droit consacrant un certain droit ou intérêt individuel. En l’espèce, en invoquant les articles 57, 914 et 932 du code civil combinés avec l’article 105 de la loi d’accompagnement dudit code, les requérants auraient pu faire valoir devant les tribunaux l’atteinte portée à leur personnalité et la marginalisation sociale subie en raison de leur exclusion, en tant que couples de même sexe, du champ d’application de la loi no 3719/2008. Selon le Gouvernement, par ce recours, les requérants auraient pu solliciter une réparation pour le dommage éventuellement causé par la loi litigieuse tout en contestant la constitutionnalité de celle-ci. Le Gouvernement observe que selon la jurisprudence des juridictions internes celles-ci peuvent procéder à une interprétation extensive du principe constitutionnel d’égalité, en étendant une disposition législative favorable à une catégorie spécifique de personnes à une autre qui se trouve dans une situation similaire. Il cite en ce sens deux arrêts de la Cour de cassation (nos 60/2002 et 9/2004) relatifs au traitement salarial et à l’attribution d’allocations à différentes catégories d’employés, question que la haute juridiction a d’après lui examinée sous l’angle du principe d’égalité.

40. Le Gouvernement ajoute que le contrôle de constitutionnalité est diffus et incident en Grèce et que toutes les juridictions internes peuvent, à travers les recours dont elles sont à chaque fois saisies, examiner des questions de constitutionnalité et de conformité à la Convention. Il rappelle que, selon l’article 28 de la Constitution, les dispositions des traités internationaux priment sur les autres lois nationales après leur ratification législative, et que le décret législatif no 53/1974 a porté ratification de la Convention en droit interne. Il cite, entre autres, certains arrêts du Conseil d’État, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes, dans lesquels ces juridictions ont procédé à un examen incident de la conformité des diverses dispositions législatives à l’égard de la Constitution grecque et/ou les articles 7, 11, 12 de la Convention et 1 du Protocole no 1. En particulier, le Gouvernement évoque sur ce point les arrêts nos 867/1988, 33/2002, 2960/2010, 1664/2011 et 1501/2012 du Conseil d’État, l’arrêt no 982/2010 de la Cour de cassation et l’arrêt no 2028/2004 de la Cour des comptes. En outre, il soutient que la loi incriminée peut aussi être modifiée lorsqu’un arrêt de justice constate son inconstitutionnalité. Le Gouvernement mentionne un exemple à cet égard, à savoir l’abolition de l’article 65 du décret-loi no 1400/1973 en vertu de la loi no 1848/1989, à la suite de l’arrêt no 867/1988 du Conseil d’État portant sur les conditions formelles d’exercice par les officiers de l’armée grecque du droit au mariage.

41. Sur la base de tout ce qui précède, le Gouvernement conclut que les requérants pouvaient invoquer les articles 14 et 8 de la Convention devant le juge interne dans le cadre d’une action en réparation fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, et faire valoir à cette occasion leur grief relatif au caractère discriminatoire de la loi en cause.

b) Les requérants

42. Les requérants observent tout d’abord qu’ils pourraient théoriquement s’adresser à un notaire et lui demander de conclure un pacte de vie commune en vertu de la loi litigieuse. Ils affirment que, dans ce cas, si le notaire acceptait contre toute attente leur demande, il s’exposerait à des poursuites disciplinaires pour manquement à un devoir officiel. Partant, selon les requérants, il est plus que certain qu’aucun notaire n’oserait enfreindre la loi pour faire droit à leur demande. En outre, les requérants rappellent que les notaires en Grèce relèvent de la catégorie des professions libérales. Par conséquent, une action en justice devant les juridictions administratives n’aurait aucune chance de réussite, les notaires n’étant pas des agents de l’État. Quant à l’action devant les juridictions civiles, elle n’aurait pas plus de chances de succès, puisqu’un notaire n’engagerait pas sa responsabilité extracontractuelle à raison de son refus de rédiger un acte notarial concernant un couple de même sexe. En effet, ce refus ne serait ni illégal ni intentionnel, comme il est requis par le droit interne pour mettre en jeu la responsabilité extracontractuelle d’une personne.

43. En ce qui concerne tout particulièrement l’action en dommages-intérêts fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, les requérants lui dénient tout caractère effectif, contrairement à ce que soutient le Gouvernement. En premier lieu, ils affirment de manière générale que les présentes affaires touchent à leur état civil et à leur place dans la société grecque. Pour cette raison, une indemnisation éventuelle par les juridictions internes ne saurait en aucun cas alléger leur sentiment d’exclusion et de marginalisation sociale découlant de la loi no 3719/2008. Selon les requérants, seul le constat de violation des articles 8 et 14 de la Convention par la Cour serait susceptible de redresser le dommage subi par eux en l’espèce.

44. En outre, les requérants soutiennent que les juridictions internes sont traditionnellement très réticentes s’agissant de juger qu’une prétention indemnitaire puisse naître d’un acte législatif ou d’une omission de légiférer dans un domaine déterminé. Ils expliquent en premier lieu que la jurisprudence des tribunaux nationaux citée par le Gouvernement est loin de reconnaître que la responsabilité civile de l’État est engagée chaque fois qu’une loi est jugée contraire à une norme supra-législative. Qu’il s’agisse de la Constitution ou d’une convention internationale, les juridictions administratives resteraient très hésitantes à consacrer un principe général limitant la marge d’appréciation du législateur. En second lieu, les requérants soutiennent que les exemples jurisprudentiels cités par le Gouvernement ne sont pas pertinents car sans rapport avec le cas d’espèce. Cela serait d’autant plus vrai que la jurisprudence des juridictions internes serait beaucoup plus restrictive que celle de la Cour sur la notion de « famille ». Les requérants citent en ce sens l’arrêt no 1141/2007 de la Cour de cassation, dans lequel celle-ci exclut explicitement la compagne du défunt de sa « famille ».

45. Enfin, les requérants relèvent qu’en raison du caractère diffus et incident du contrôle de constitutionnalité il n’existe pas en droit interne de réglementation procédurale régissant la révision d’une disposition législative considérée comme inconstitutionnelle, qui permettrait ainsi aux notaires d’établir des pactes de vie commune aussi pour les couples de même sexe. En d’autres termes, même dans le cas hypothétique où une action en dommages-intérêts en vertu de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil serait accueillie par les juridictions internes, aucune obligation ne pèserait sur l’administration de modifier la loi incriminée.

c) Les tiers intervenants

46. Les tiers intervenants ne se prononcent pas sur la recevabilité du grief.

2. L’appréciation de la Cour

a) Sur la qualité de victime

47. La Cour rappelle que, pour se prévaloir de l’article 34 de la Convention, un requérant doit remplir deux conditions : il doit entrer dans l’une des catégories de demandeurs mentionnées dans cette disposition de la Convention, et doit pouvoir se prétendre victime d’une violation de la Convention. Quant à la notion de « victime », selon la jurisprudence constante de la Cour, elle doit être interprétée de façon autonome et indépendante des notions internes telles que celles concernant l’intérêt ou la qualité pour agir (Gorraiz Lizarraga et autres c. Espagne, no 62543/00, § 35, CEDH 2004‑III). En effet, par « victime », l’article 34 de la Convention désigne la ou les victimes directes ou indirectes de la violation alléguée (SARL du Parc d’Activités de Blotzheim c. France, no 72377/01, § 20, 11 juillet 2006). Ainsi, l’article 34 vise non seulement la ou les victimes directes de la violation alléguée, mais encore toute victime indirecte à qui cette violation causerait un préjudice ou qui aurait un intérêt personnel valable à obtenir qu’il y soit mis fin (voir, mutatis mutandis, Defalque c. Belgique, no 37330/02, § 46, 20 avril 2006 ; Tourkiki Enosi Xanthis et autres c. Grèce, no 26698/05, § 38, 27 mars 2008).

48. En ce qui concerne l’association « Synthessi-Information, sensibilisation, recherche », la Cour relève qu’il s’agit d’une association à but non lucratif visant principalement à offrir un soutien psychologique et moral aux personnes homosexuelles. Or les griefs soulevés par la présente affaire tiennent au fait que l’article premier de la loi no 3719/2008 ne reconnaît pas aux personnes physiques de même sexe la possibilité de conclure un « pacte de vie commune ». Par conséquent, dans la mesure où la septième requérante dans la requête no 32684/09 est une personne morale, elle ne peut en l’espèce se voir attribuer la qualité de « victime » directe ou indirecte au sens de l’article 34 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Fédération chrétienne des Témoins de Jéhovah de France c. France (déc.), no 53430/99, 6 novembre 2001).

49. Quant aux autres requérants, la Cour constate qu’il s’agit de personnes physiques adultes qui, d’après les éléments produits devant elle, entretiennent une relation homosexuelle soit dans le cadre soit en dehors d’une cohabitation. Dans la mesure où, par l’effet de l’article 1 de la loi no 3719/2008 qui exclut les couples homosexuels du champ d’application de celle-ci, ces derniers ne peuvent conclure un « pacte de vie commune » et organiser leur relation de couple selon le régime juridique prescrit par cette loi, la Cour considère qu’ils sont directement concernés par la situation et ont un intérêt personnel légitime à ce qu’il y soit mis fin. Par conséquent, elle conclut que les requérants personnes physiques dans les présentes requêtes doivent être considérés comme « victimes » de la violation alléguée, au sens de l’article 34 de la Convention.

50. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que la septième requérante dans la requête no 32684/09 n’a pas la qualité de victime au sens de l’article 34 de la Convention et le présent grief, pour autant qu’il est soulevé par celle-ci, doit donc être rejeté en application de l’article 35 § 4. La Cour rejette l’exception du Gouvernement tirée de l’absence alléguée de qualité de victime à l’égard des autres requérants.

b) Sur l’épuisement des voies de recours internes

51. La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes, énoncée à l’article 35 § 1 de la Convention, se fonde sur l’hypothèse, incorporée dans l’article 13, avec lequel elle présente d’étroites affinités, que l’ordre interne offre un recours effectif, en pratique comme en droit quant à la violation alléguée (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 152, CEDH 2000-XI ; Hassan et Tchaouch c. Bulgarie [GC], no 30985/96, §§ 96-98, CEDH 2000‑XI). Elle rappelle qu’en vertu de la règle de l’épuisement des voies de recours internes le requérant doit, avant de saisir la Cour, avoir donné à l’État responsable, en utilisant les ressources judiciaires pouvant être considérées comme effectives et suffisantes offertes par la législation nationale, la faculté de remédier par des moyens internes aux violations alléguées (voir, entre autres, Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 37, CEDH 1999‑I).

52. L’article 35 § 1 de la Convention ne prescrit l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’État défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir, entre autres, McFarlane c. Irlande [GC], no 31333/06, § 107, 10 septembre 2010). Le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison valable pour justifier la non-utilisation de recours internes (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 71, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV). Enfin, celui qui a exercé un recours de nature à remédier directement – et non de façon détournée – à la situation litigieuse n’est pas tenu d’en épuiser d’autres éventuellement ouverts mais à l’efficacité improbable (Manoussakis et autres c. Grèce, 26 septembre 1996, § 33, Recueil 1996‑IV ; Anakomba Yula c. Belgique, no 45413/07, § 22, 10 mars 2009).

53. En l’espèce, la Cour note que l’argument principal du Gouvernement relatif à l’épuisement des voies de recours internes consiste à soutenir que, par l’action en réparation fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, les requérants auraient pu contester de manière incidente la constitutionnalité de la loi no 3719/2008. Selon le Gouvernement, les intéressés auraient ainsi pu soumettre au juge interne la question de la compatibilité de la loi en cause avec les articles 8 et 14 de la Convention.

54. En premier lieu, la Cour relève que le recours invoqué par le Gouvernement permet uniquement à la personne concernée d’obtenir réparation à raison d’une action ou d’une omission des autorités publiques commise dans le cadre de l’exercice de la puissance publique. Par conséquent, l’examen de la constitutionnalité d’une loi s’exerce de manière incidente par la juridiction compétente, dans le but de déterminer si l’État doit indemniser l’individu pour la transgression d’une règle de droit consacrant un certain droit ou intérêt individuel. Or, en l’espèce, les requérants se plaignent d’une violation continue des articles 14 et 8 de la Convention du fait de l’impossibilité pour eux, en tant que couples de même sexe, de constituer des « pactes de vie commune » tandis que cette possibilité est reconnue par voie législative aux couples de sexe opposé. La seule allocation d’une somme à titre de réparation ne semble donc pas de nature à pouvoir porter remède à leurs griefs.

55. En second lieu, en ce qui concerne la nature du recours invoqué par le Gouvernement, la Cour constate que, même dans le cas où la demande de dommages-intérêts fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil serait accueillie par les juridictions internes, aucune obligation légale ne pèserait sur l’État de modifier la loi en question.

56. Enfin, et à titre complémentaire, la Cour observe qu’il ressort des arrêts cités par le Gouvernement concernant l’action en réparation fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil que les juridictions internes procèdent à une application stricte de cette disposition quant à la responsabilité extracontractuelle de l’État en cas d’inconstitutionnalité d’une loi. En particulier, la Cour constate qu’aucun des arrêts des juridictions suprêmes grecques cités par le Gouvernement ne portait sur une question analogue à celle posée en l’espèce, c’est-à-dire sur l’inconstitutionnalité d’une loi en raison de son caractère discriminatoire relativement aux droits à la vie privée et à la vie familiale. Cela est d’autant plus vrai qu’aucun des arrêts précités n’a examiné la question de l’indemnisation des demandeurs en raison de l’incompatibilité d’une loi avec les articles 8 et 14 de la Convention.

57. En somme, la Cour estime que le Gouvernement n’a pas produit d’exemples jurisprudentiels propres à démontrer de façon convaincante que l’exercice de l’action prévue par l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil aurait pu porter remède aux griefs que les requérants tirent des articles 8 et 14 de la Convention. Or il appartient à l’État qui excipe du non-épuisement des voies de recours internes d’établir l’existence de recours effectifs et suffisants (Soto Sanchez c. Espagne, no 66990/01, § 34, 25 novembre 2003 ; L. c. Lituanie, no 27527/03, §§ 35-36, CEDH 2007‑IV ; Sampanis et autres c. Grèce, no 32526/05, § 58, 5 juin 2008).

58. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que, eu égard à la nature de l’action en réparation fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil et à l’application jurisprudentielle qui en est faite, cette action ne peut constituer un recours à épuiser au titre de l’article 35 § 1 de la Convention. En conséquence, la Cour rejette l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes.

c) Conclusion

59. La Cour considère que le présent grief doit être rejeté en application de l’article 35 § 4 en ce qui concerne la septième requérante dans la requête no 32684/09, faute pour elle d’avoir la qualité de « victime » au sens de l’article 34 de la Convention. En outre, l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes est rejetée. Enfin, la Cour constate qu’en ce qui concerne les huit requérants ayant la qualité de « victimes » au sens de l’article 34 de la Convention, le grief soulevé en l’espèce ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité ; elle le déclare donc recevable.

B. Sur le fond

1. Les thèses des parties

a) Les requérants

60. Les requérants se réfèrent à l’arrêt Schalk et Kopf c. Autriche (no 30141/04, CEDH 2010) dans lequel la Cour a reconnu qu’un couple de même sexe cohabitant de facto de manière stable relève de la notion de « vie familiale ». Selon eux, bien que les législations européennes en la matière ne présentent pas une homogénéité totale, elles tendent cependant à reconnaître juridiquement les couples de même sexe. Les requérants notent qu’à leur connaissance la Grèce est à ce jour le seul État européen à avoir réservé un statut juridique autre que le mariage aux seuls couples de sexe opposé. En d’autres termes, la Grèce serait le seul État à avoir adopté une loi réglementant une forme de partenariat enregistré et à avoir, en même temps, par cette même loi, exclu les couples de même sexe de son champ d’application. La Grèce s’éloignerait donc de manière claire et radicale du dénominateur commun des pays européens en la matière. Les requérants soutiennent que la volonté de préserver les liens de la famille traditionnelle hétérosexuelle ne saurait constituer un motif sérieux pouvant justifier l’application d’un traitement différencié aux couples de même sexe. En effet, au lieu de prendre des mesures positives tendant à remédier aux préjugés de la société grecque à l’égard des homosexuels, l’État défendeur les aurait renforcés par la loi no 3719/2008 en mettant à l’écart les couples de même sexe. Selon les requérants, la loi en cause porte un jugement moral négatif sur l’homosexualité, puisqu’elle reflète une réserve, voire une hostilité injustifiable à l’égard des couples de même sexe : du moment que le législateur a décidé d’abandonner le mariage comme le seul fondement formel de la vie familiale, l’exclusion des couples de même sexe du champ d’application de la loi no 3719/2008 ferait preuve d’un net mépris à leur égard.

61. Enfin, les requérants ne peuvent souscrire à l’argument du Gouvernement selon lequel le but du législateur était de protéger les enfants nés d’unions libres de partenaires hétérosexuels. Ils estiment que, par la loi en cause, le législateur visait clairement à réglementer la vie des couples ne souhaitant pas se marier, sans égard au fait d’avoir ou de souhaiter avoir des enfants. Ils considèrent donc que leur exclusion du champ d’application de la loi litigieuse manque de justification objective et raisonnable et qu’elle est en conséquence discriminatoire.

b) Le Gouvernement

62. Le Gouvernement explique qu’en ce qui concerne les buts légitimes poursuivis par la loi no 3719/2008 le pacte de vie commune doit être abordé comme un ensemble de dispositions permettant aux parents d’élever leurs enfants biologiques, avec une participation équitable du père à l’exercice de l’autorité parentale, sans pour autant être obligés de se marier. Le Gouvernement estime qu’en ce sens le pacte de vie commune libère les couples de l’obligation de contracter mariage à la suite d’une grossesse par peur de ne pas pouvoir autrement avoir la relation souhaitée avec leur enfant, alors considéré comme né hors mariage. Ainsi, selon le Gouvernement, à travers le pacte de vie commune, le législateur grec se montre traditionnaliste tout en s’inspirant d’idées modernes. En effet, le législateur grec aurait cherché par la loi no 3719/2008 à renforcer les institutions du mariage et de la famille au sens traditionnel du terme, puisque dorénavant la décision de se marier serait prise indépendamment de la perspective d’avoir un enfant, donc uniquement sur la base de la volonté d’engagement mutuel de deux personnes de sexe opposé, selon une décision prise sans contraintes extérieures.

63. Le Gouvernement soutient aussi que la loi no 3719/2008 vise à réglementer un phénomène social existant, à savoir les couples composés de personnes de sexe opposé non mariés et ayant des enfants. La loi grecque se distinguerait sur ce point d’autres législations européennes ayant prévu un « pacte de vie commune ». En effet, le législateur grec aurait explicitement énoncé dans le rapport explicatif de la loi qu’il souhaitait non pas réglementer toutes les formes d’union libre mais protéger les enfants qui naissent d’unions libres entre personnes hétérosexuelles ainsi que leurs parents qui ne souhaitent pas se lier par le mariage. Selon le Gouvernement, toute la structure de la loi et le contenu de ses dispositions sont orientés à cette fin. Par conséquent, l’introduction d’un pacte de vie commune en faveur des couples de même sexe exige un cadre législatif distinct, qui réglementerait une situation analogue mais non pas similaire à celle d’un couple composé de deux personnes de sexe opposé.

64. Le Gouvernement indique qu’avant la loi no 3719/2008 le droit interne reconnaissait de manière limitée la vie commune hors mariage de deux personnes de sexe opposé. En particulier, l’« union libre » serait une forme de vie commune mentionnée par l’article 1444 du code civil selon lequel le conjoint divorcé qui se remarie ainsi que celui qui vit dans le cadre d’une union libre perdent le droit à une pension alimentaire. Le Gouvernement observe que, de plus, l’union libre est mentionnée par les articles 1456 et 1457 du code civil relatifs à la procréation médicalement assistée. Ainsi, l’article 1456 prévoirait que, si la procréation médicalement assistée concerne une femme célibataire, le consentement de l’homme avec lequel elle vit en union libre doit être accordé par acte notarié. En outre, l’article 1457 du code civil déterminerait les conditions dans lesquelles est permise la « fécondation artificielle après le décès de l’époux ou de l’homme avec lequel la femme vivait en union libre ».

65. Le Gouvernement est d’avis que l’examen de la conformité du premier article de la loi no 3719/2008 avec les articles 8 et 14 de la Convention et, en particulier, la recherche de la proportionnalité de l’ingérence en cause doit prendre en compte le contexte général de l’affaire et aussi l’ensemble des dispositions de la loi précitée afférente au pacte de vie commune. Tout d’abord, le Gouvernement invite la Cour à distinguer entre les requérants qui vivent ensemble et ceux qui ne cohabitent pas. Dans le cas des premiers, leurs griefs devraient être examinés sous l’angle du droit à la « vie familiale ». Quant aux autres, ce serait la notion de la « vie privée » qui s’appliquerait.

66. Ensuite, le Gouvernement procède à une analyse des droits et obligations du pacte de vie commune pour conclure que le statut tant patrimonial que personnel des requérants n’a aucunement été affecté par leur exclusion du champ d’application du pacte de vie commune. Quant aux questions patrimoniales, le Gouvernement reprend ses arguments relatifs à la recevabilité ratione personae du présent grief. Il observe que le pacte de vie commune ne produit aucun effet automatique et contraignant sur la situation patrimoniale des partenaires. En ce qui concerne les questions de sécurité sociale, les couples de même sexe se trouveraient exactement dans la même situation que les couples de sexe opposé qui décident de conclure le pacte. Quant à la pension alimentaire ainsi que les questions de succession, celles-ci pourraient être réglées au sein d’un couple de même sexe en dehors du pacte de vie commune, par la voie contractuelle.

67. En ce qui concerne la situation personnelle des requérants, le Gouvernement soutient que la différence biologique entre les couples de sexe opposé et les couples de même sexe, dont il découle que les seconds ne peuvent pas procréer, justifie le fait que le pacte n’est destiné qu’aux couples de même sexe. Le Gouvernement se réfère en particulier aux articles 9 et 10 de la loi no 3719/2008, qui permettent au père d’un enfant né hors mariage d’établir sa paternité et de participer à son éducation sans avoir besoin de se marier avec la mère. Ainsi, le mariage et la reconnaissance judiciaire ou volontaire de la paternité d’un enfant cesseraient de constituer les seuls modes d’établissement de la filiation. Le Gouvernement souligne que l’objet de ces dispositions constitue le « noyau dur » du pacte de vie commune et ne peut concerner par définition que les couples de sexe opposé. Sur la base de cet argument, le Gouvernement soutient que la présente affaire ne saurait mener la Cour à conclure à une violation des articles 14 et 8 de la Convention. En effet, selon lui, les couples de même sexe ne se trouvent pas dans une situation similaire ou analogue à celle des couples de sexe opposé, étant donné que les premiers ne pourraient en aucun cas avoir ensemble des enfants biologiques.

68. Le Gouvernement ajoute que, ainsi qu’il est énoncé dans la loi no 3719/2008, le pacte de vie commune se distingue des lois similaires adoptées par d’autres États membres du Conseil de l’Europe. Il précise en effet que, si ces textes produisent des effets sur les relations pécuniaires entre les contractants, seule la loi grecque établit une présomption de paternité en ce qui concerne les enfants nés dans le cadre d’un pacte de vie commune. Le Gouvernement en tire ainsi la conclusion que la loi no 3719/2008 se focalise plutôt sur les relations personnelles des partenaires que sur la réglementation des aspects patrimoniaux de leur relation.

c) Les tiers intervenants

69. Les tiers intervenants, le Centre de conseil sur les droits de l’individu en Europe, la Commission internationale de juristes, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme et la branche européenne de l’International Lesbian, Gay, Trans and Intersex Association (paragraphe 6 ci-dessus), renvoient à la jurisprudence de la Cour, notamment à l’arrêt Karner c. Autriche (no 40016/98, CEDH 2003‑IX) et à celle de juridictions constitutionnelles nationales, entre autres, la Cour constitutionnelle hongroise, la Cour suprême du Canada, la Chambre des lords du Royaume-Uni et la Cour constitutionnelle brésilienne. Ils soutiennent que selon ces juridictions une justification solide est exigée lorsqu’une discrimination est motivée par le sexe ou l’orientation sexuelle. Ils relèvent qu’un nombre croissant de juridictions nationales, tant européennes qu’internationales, exigent que les couples non mariés hétérosexuels ou homosexuels soient traités de façon similaire. Ils ajoutent qu’actuellement un grand nombre d’États membres du Conseil de l’Europe prévoient la reconnaissance par la voie législative des relations entre personnes de même sexe. Ils relèvent aussi qu’à leur connaissance le cas de la Grèce est unique, puisqu’il s’agit du seul État européen ayant introduit un « pacte de vie commune » tout en excluant de son champ d’application les couples de même sexe. En effet, les tiers intervenants indiquent que deux modèles de partenariat civil enregistré pour les couples de même sexe sont suivis dans les législations pertinentes des États contractants : a) soit le « modèle danois », introduit en 1989, selon lequel cette forme de vie commune enregistrée est reconnue uniquement pour les couples de même sexe, du fait que les couples de sexe opposé ont déjà la possibilité de se marier, b) soit le « modèle français », selon lequel le droit à constituer un partenariat civil est reconnu à tout couple non marié, homosexuel ou hétérosexuel.

2. L’appréciation de la Cour

a) Sur l’applicabilité de l’article 14 combiné avec l’article 8

70. La Cour a eu à connaître de plusieurs affaires où était alléguée une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle dans le domaine de la vie privée et familiale. Elle en a examiné certaines sur le terrain de l’article 8 pris isolément. Ces affaires concernaient la répression pénale des relations homosexuelles entre adultes (Dudgeon c. Royaume-Uni, 22 octobre 1981, série A no 45, Norris c. Irlande, 26 octobre 1988, série A no 142, et Modinos c. Chypre, 22 avril 1993, série A no 259) ou la révocation d’homosexuels des forces armées (Smith et Grady c. Royaume-Uni, nos 33985/96 et 33986/96, CEDH 1999‑VI). Elle en a considéré d’autres sous l’angle de l’article 14 combiné avec l’article 8. Celles-ci se rapportaient à la fixation, en matière pénale, d’un âge de consentement différent pour les rapports homosexuels d’une part et pour les relations hétérosexuelles d’autre part (L. et V. c. Autriche, nos 39392/98 et 39829/98, CEDH 2003‑I), à l’attribution de l’autorité parentale (Salgueiro da Silva Mouta c. Portugal, no 33290/96, CEDH 1999‑IX), à l’agrément des postulants à l’adoption d’un enfant (Fretté c. France, no 36515/97, CEDH 2002‑I ; E.B. c. France [GC], no 43546/02, 22 janvier 2008, et Gas et Dubois c. France, no 25951/07, CEDH 2012), au droit du partenaire survivant à la transmission du bail contracté par le défunt (Karner, précité, et Kozak c. Pologne, no 13102/02, 2 mars 2010 ), au droit à une couverture sociale (P.B. et J.S. c. Autriche, no 18984/02, 22 juillet 2010), à l’accès des couples homosexuels au mariage ou à une autre forme de reconnaissance juridique (Schalk et Kopf, précité), ainsi qu’à l’impossibilité d’accéder à l’adoption coparentale pour les couples de même sexe (X et autres c. Autriche [GC], no 19010/07, CEDH 2013).

71. En l’espèce, les requérants ont formulé leur grief sous l’angle de l’article 14 combiné avec l’article 8 et le Gouvernement ne conteste pas l’applicabilité de ces dispositions. La Cour juge qu’il convient de suivre cette approche (voir, en ce sens, Schalk et Kopf, précité, § 88).

72. La Cour rappelle par ailleurs avoir déjà énoncé maintes fois que l’article 14 n’est pas autonome : il ne s’applique qu’en relation avec les autres clauses normatives de la Convention et des Protocoles, qu’il complète. Il n’a pas d’existence indépendante, puisqu’il vaut uniquement pour « la jouissance des droits et libertés » garantis par ces clauses. Certes, il peut entrer en jeu même sans un manquement à leurs exigences et, dans cette mesure, il possède une portée autonome, mais il ne saurait trouver à s’appliquer si les faits du litige ne tombent pas sous l’empire de l’une au moins desdites clauses normatives (voir, parmi d’autres arrêts, Petrovic c. Autriche, 27 mars 1998, § 22, Recueil des arrêts et décisions 1998‑II, E.B. c. France, précité, § 47, Schalk et Kopf, précité, § 89, et X et autres c. Autriche, précité, § 94).

73. La Cour constate, au vu des éléments du dossier, que les requérants forment des couples homosexuels stables. De plus, il n’est pas contesté que la relation qu’ils entretiennent relève de la notion de « vie privée » au sens de l’article 8 de la Convention. En outre, la Cour rappelle que dans son arrêt Schalk et Kopf (précité, § 94) elle a considéré que, eu égard à l’évolution rapide dans de nombreux États membres quant à la reconnaissance juridique des couples de même sexe, « il [serait] artificiel de continuer à considérer que, au contraire d’un couple hétérosexuel, un couple homosexuel ne saurait connaître une « vie familiale » aux fins de l’article 8 ». Partant, la Cour estime que la relation que les requérants entretiennent en l’espèce relève de la notion de « vie privée » ainsi que celle de « vie familiale » au même titre que celle d’un couple de sexe opposé se trouvant dans la même situation. Elle ne décèle pas d’élément permettant de distinguer, comme le demande le Gouvernement (paragraphe 65 in fine ci-dessus), entre les requérants qui vivent ensemble et ceux qui – pour des raisons professionnelles et sociales – ne cohabitent pas (paragraphe 8 ci-dessus), car en l’espèce l’absence de cohabitation ne prive pas les couples concernés de la stabilité qui les fait relever de la vie familiale au sens de l’article 8.

74. En somme, la Cour conclut que l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8 trouve à s’appliquer en l’espèce.

b) Sur l’observation de l’article 14 combiné avec l’article 8

i. Sur l’objet de l’affaire

75. La Cour estime important de circonscrire l’objet de la présente affaire. Le grief des requérants ne porte pas in abstracto sur l’obligation générale de l’État grec de prévoir en droit interne une forme de reconnaissance juridique des relations entre personnes homosexuelles. En l’espèce, les requérants se plaignent que la loi no 3719/2008 prévoit le « pacte de vie commune » uniquement pour les couples de sexe opposé, écartant ainsi de plano les couples de même sexe de son champ d’application. En d’autres termes, les requérants font grief à l’État grec non pas d’avoir failli à répondre à une obligation positive qui lui aurait été imposée par la Convention, mais d’avoir introduit par la loi no 3719/2008 une distinction qu’ils estiment discriminatoire à leur égard. Partant, la question posée est de savoir si l’État grec pouvait en l’espèce, au regard des articles 14 et 8 de la Convention, édicter une loi instituant à côté de l’institution du mariage un nouveau système de partenariat enregistré à destination des couples non mariés, en limitant cette possibilité aux couples de sexe opposé, à l’exclusion de ceux de même sexe.

ii. Les principes se dégageant de la jurisprudence de la Cour

76. Selon la jurisprudence constante de la Cour, pour qu’une question se pose au regard de l’article 14, il doit y avoir une différence dans le traitement de personnes placées dans des situations comparables. Une telle différence est discriminatoire si elle ne repose pas sur une justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des distinctions de traitement (Burden c. Royaume-Uni [GC], no 13378/05, § 60, CEDH 2008, Schalk et Kopf, précité, § 96, et X et autres, précité, § 98). La notion de discrimination au sens de l’article 14 englobe également les cas dans lesquels un individu ou un groupe se voit, sans justification adéquate, moins bien traité qu’un autre, même si la Convention ne requiert pas le traitement plus favorable (Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 82, série A no 94).

77. L’orientation sexuelle relève du champ d’application de l’article 14. La Cour a maintes fois déclaré que, comme les différences fondées sur le sexe, celles fondées sur l’orientation sexuelle doivent être justifiées par des « raisons particulièrement solides et convaincantes » (voir, par exemple, Smith et Grady, § 90, Karner, §§ 37 et 42, L. et V. c. Autriche, § 45, et X et autres, § 99, tous précités). S’agissant de différences de traitement fondées sur le sexe ou l’orientation sexuelle, la marge d’appréciation des États est étroite (Karner, précité, § 41, et Kozak, précité, § 92). Les différences motivées uniquement par des considérations tenant à l’orientation sexuelle sont inacceptables au regard de la Convention (Salgueiro da Silva Mouta, § 36, E.B. c. France, §§ 93 et 96, et X et autres c. Autriche, § 99, tous précités).

iii. Application en l’espèce des principes susmentionnés

α) Comparaison de la situation des requérants avec celle d’un couple hétérosexuel et existence d’une différence de traitement

78. La première question qui se pose à la Cour est celle de savoir si la situation des requérants est comparable à celle d’un couple hétérosexuel souhaitant conclure un « pacte de vie commune » en vertu de la loi no 3719/2008. La Cour rappelle que les couples homosexuels sont, tout comme les couples hétérosexuels, capables de s’engager dans des relations stables (Schalk et Kopf, précité, § 99). Elle considère donc que les requérants se trouvent dans une situation comparable à celle de personnes hétérosexuelles pour ce qui est de leur besoin de reconnaissance juridique et de protection de leur relation de couple (ibidem).

79. En outre, la Cour relève que le premier article de la loi no 3719/2008 réserve explicitement la possibilité de conclure le « pacte de vie commune » aux personnes physiques de sexe opposé. Par conséquent, en excluant tacitement les personnes physiques de même sexe de son champ d’application la loi en cause introduit une différence de traitement fondée sur l’orientation sexuelle des intéressés.

β) But légitime et proportionnalité

80. La Cour relève que le Gouvernement se fonde principalement sur deux séries d’arguments qui justifieraient le choix du législateur de ne pas inclure les couples de même sexe dans le champ d’application de la loi no 3719/2008. En premier lieu, il soutient que si le pacte de vie commune, introduit par cette loi, était appliqué aux requérants, il entraînerait pour eux des droits et des obligations quant à leur statut patrimonial, à leurs relations pécuniaires au sein de leur couple et aux droits de succession auxquels ils peuvent déjà donner un cadre juridique par l’application du droit commun, c’est-à-dire par la voie contractuelle. En second lieu, la loi en cause viserait à atteindre plusieurs objectifs : la protection des enfants nés hors mariage, la protection des familles monoparentales – ainsi que le précise le rapport explicatif de la loi –, la volonté des parents d’élever leurs enfants sans être contraints de se marier et, en fin de compte, le renforcement des institutions du mariage et de la famille au sens traditionnel du terme.

81. En ce qui concerne le premier argument avancé par le Gouvernement, la Cour estime que, à supposer même qu’il soit valable, il ne tient pas compte du fait que le partenariat civil prévu par la loi no 3719/2008, en tant que forme de vie commune officiellement reconnue autre que le mariage, a en soi une valeur pour les requérants, indépendamment des effets juridiques, étendus ou restreints, que celui-ci produirait. Comme la Cour l’a déjà observé, les couples homosexuels sont, tout comme les couples hétérosexuels, capables de s’engager dans des relations stables. En effet, la vie en commun des couples de même sexe implique les mêmes besoins de soutien et d’aide mutuels que ceux des couples de sexe opposé. Partant, la possibilité de conclure un pacte de vie commune offrirait aux premiers la seule occasion en droit grec d’officialiser leur relation en la revêtant d’une forme juridique reconnue par l’État. La Cour relève que l’extension du pacte de vie commune aux couples de même sexe leur permettrait de réglementer les questions patrimoniales, de pension alimentaire et de succession non pas à titre de simples particuliers concluant entre eux des contrats de droit commun mais en se prévalant du régime juridique du pacte de vie commune, donc en bénéficiant d’une reconnaissance officielle de leur relation par l’État.

82. Certes, et cela constitue le second argument principal du Gouvernement, la loi no 3719/2008 aspirerait à renforcer le statut juridique des enfants nés hors mariage, et à faciliter le choix des parents d’élever leurs enfants sans être contraints de se marier. Cet élément distinguerait les couples de sexe opposé de ceux de même sexe, du fait que, biologiquement, les seconds ne peuvent pas procréer ensemble.

83. La Cour considère qu’il est légitime au regard de l’article 8 de la Convention que le législateur prenne des mesures législatives pour encadrer la situation des enfants nés hors mariage et aussi renforcer indirectement l’institution du mariage au sein de la société grecque, en promouvant, comme l’explique le Gouvernement, l’idée que la décision de se marier serait prise uniquement sur la base de la volonté d’engagement mutuel de deux personnes, indépendamment de contraintes extérieures ou de la perspective d’avoir un enfant (paragraphe 62 ci-dessus). La Cour reconnaît que le souci de protéger la famille au sens traditionnel du terme constitue en principe un motif important et légitime apte à justifier une différence de traitement (Karner, précité, § 40, et Kozak, précité, § 98). Il va sans dire que la protection de l’intérêt de l’enfant est aussi un but légitime (X et autres c. Autriche, précité, § 138). Reste à savoir si le principe de proportionnalité a été respecté en l’espèce.

84. La Cour rappelle les principes qui se dégagent de sa jurisprudence. Le but consistant à protéger la famille au sens traditionnel du terme est assez abstrait, et une grande variété de mesures concrètes peuvent être utilisées pour le réaliser (Karner, précité, § 41, et Kozak, précité, § 98). En outre, étant donné que la Convention est un instrument vivant qui doit s’interpréter à la lumière des conditions actuelles (voir, entre autres, Tyrer c. Royaume-Uni, 25 avril 1978, § 31, série A no 26, et Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC], no 28957/95, § 75, CEDH 2002‑VI), l’État doit choisir les mesures à prendre au titre de l’article 8 pour protéger la famille et garantir le respect de la vie familiale en tenant compte de l’évolution de la société ainsi que des changements qui se font jour dans la manière de percevoir les questions de société, d’état civil et celles d’ordre relationnel, notamment de l’idée selon laquelle il y a plus d’une voie ou d’un choix possibles en ce qui concerne la façon de mener une vie privée et familiale (X et autres c. Autriche, précité, § 139).

85. Lorsque la marge d’appréciation laissée aux États est étroite, dans le cas par exemple d’une différence de traitement fondée sur le sexe ou l’orientation sexuelle, non seulement le principe de proportionnalité exige que la mesure retenue soit normalement de nature à permettre la réalisation du but recherché, mais il oblige aussi à démontrer qu’il était nécessaire, pour atteindre ce but, d’exclure certaines personnes – en l’espèce les individus vivant une relation homosexuelle – du champ d’application de la mesure dont il s’agit (Karner, précité, § 41, et Kozak, précité, § 99). En vertu de la jurisprudence précitée, la charge de cette preuve incombe au gouvernement défendeur. C’est donc au gouvernement grec qu’il revient en l’espèce de démontrer que la poursuite des buts légitimes invoqués commande d’interdire aux couples homosexuels la possibilité de conclure le « pacte de vie commune » prévue par la loi no 3719/2008 (voir, en ce sens, X et autres c. Autriche, précité, § 141).

86. La Cour relève que la loi en cause ne se limite pas à prévoir des mesures en vue de réglementer les réalités sociales et atteindre les objectifs invoqués par le Gouvernement (paragraphe 80 ci-dessus). Elle vise principalement à la reconnaissance juridique d’une forme de partenariat autre que le mariage, le « pacte de vie commune ». Cela ressort clairement du contenu et de l’économie de cette loi. En effet, son article premier définit le pacte de vie commune comme « le contrat entre deux personnes physiques majeures de sexe opposé par lequel elles organisent leur vie commune ». De plus, les articles suivants ne se limitent pas à la réglementation du statut des enfants nés hors mariage, mais se rapportent aux modalités de vie du couple ayant conclu le « pacte de vie commune ». Ainsi, les articles 6 et 7 se réfèrent aux relations pécuniaires des contractants et à l’obligation alimentaire après la fin du pacte. Pour sa part, l’article 11 prévoit que le survivant, en cas de décès de son conjoint, a vocation à la succession (paragraphe 16 ci-dessus).

87. La Cour constate à cet égard que, dans son rapport sur le projet de cette loi, la Commission nationale des droits de l’homme a relevé qu’il n’était pas clairement précisé pour quelle raison spécifique le projet de loi avait été intitulé « Réformes concernant la famille, les enfants et la société », alors qu’il prévoyait une nouvelle forme juridique de vie commune (paragraphe 22 ci-dessus). Au vu de ce qui précède, la Cour estime que, malgré l’intitulé de la loi no 3719/2008 et l’intention déclarée du législateur, son objectif principal était la reconnaissance juridique d’une nouvelle forme de vie commune autre que le mariage.

88. En tout état de cause, à supposer même que l’intention du législateur ait été de renforcer la protection juridique des enfants nés hors mariage et indirectement l’institution du mariage, il reste qu’il a introduit par la loi no 3719/2008 une forme de partenariat civil, à savoir le « pacte de vie commune », lequel exclut les couples de même sexe alors qu’il permet aux couples hétérosexuels, que ceux-ci aient ou non des enfants, de réglementer de nombreux aspects de leurs relations.

89. Sur ce point, la Cour relève en premier lieu que l’argumentation du Gouvernement se focalise sur la situation des couples de sexe opposé ayant des enfants sans pour autant justifier la différence de traitement opérée par la loi en cause entre les couples homosexuels et les couples hétérosexuels qui ne sont pas parents. En second lieu, la Cour n’est pas convaincue par l’argument avancé par le Gouvernement, à savoir que la réalisation des objectifs invoqués par lui à travers la loi no 3719/2008 présuppose l’exclusion des couples de même sexe de son champ d’application. En effet, il n’aurait pas été impossible au législateur de prévoir certaines dispositions spécifiques concernant les enfants nés hors mariage, tout en étendant la possibilité générale de conclure un « pacte de vie commune » aux couples de même sexe. La Cour rappelle à cet égard que le rapport explicatif de la loi en cause n’offre aucun éclaircissement sur le choix du législateur de réserver le bénéfice du « pacte de vie commune » aux couples de sexe opposé (paragraphe 10 ci-dessus). La Cour note par ailleurs que la Commission nationale des droits de l’homme a estimé que le projet de loi était discriminatoire, étant donné qu’il ne s’appliquait pas aux couples homosexuels (paragraphes 23-24 ci-dessus) et que le Conseil scientifique du Parlement s’est prononcé dans le même sens (paragraphe 13 ci-dessus).

90. Enfin, la Cour relève que, ainsi que le Gouvernement l’indique lui-même (paragraphe 64 ci-dessus), les couples hétérosexuels – à la différence des couples de même sexe – bénéficiaient en droit grec, avant même l’introduction de la loi no 3719/2008, d’une reconnaissance de leur relation, soit pleine et entière par le biais de l’institution du mariage, soit de manière plus limitée en vertu des dispositions du code civil évoquant l’union libre. Par conséquent, les couples de même sexe auraient tout particulièrement intérêt à être admis au bénéfice du « pacte de vie commune », car celui-ci leur offrirait, à la différence des couples de sexe opposé, la seule base juridique en droit grec pour revêtir leur relation d’une forme reconnue par la loi.

91. Au demeurant, et à titre complémentaire, la Cour estime utile de rappeler que, bien qu’il n’y ait pas de consensus au sein des ordres juridiques des États membres du Conseil de l’Europe, une tendance se dessine actuellement quant à la mise en œuvre de formes de reconnaissance juridique des relations entre personnes de même sexe. En effet, neuf États membres ont institué le mariage entre personnes de même sexe. En outre, dix-sept États membres autorisent des formes de partenariat civil pour les couples de même sexe. Quant à la question spécifique soulevée par la présente affaire (paragraphe 75 ci-dessus), la Cour considère que la tendance qui se dégage au sein des ordres juridiques des États membres du Conseil de l’Europe est claire : parmi les dix-neuf États qui autorisent des formes de partenariats enregistrés autres que le mariage, la Lituanie et la Grèce sont les seuls à les réserver uniquement aux couples de sexe opposé (paragraphes 25 et 26 ci-dessus). En d’autres termes, à deux exceptions près, lorsqu’un État membre du Conseil de l’Europe décide d’édicter une loi instituant un nouveau système de partenariat enregistré qui constitue une autre possibilité que le mariage pour les couples non mariés, les couples de même sexe y sont inclus. Cette tendance se reflète d’ailleurs dans les documents pertinents du Conseil de l’Europe. À cet égard, la Cour renvoie tout particulièrement à la Résolution 1728(2010) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et à la Recommandation du Comité des Ministres CM/Rec(2010)5 (paragraphes 28-30 ci-dessus).

92. Le fait qu’un pays occupe, à l’issue d’une évolution graduelle, une situation isolée quant à un aspect de sa législation n’implique pas forcément que pareil aspect se heurte à la Convention (F. c. Suisse, 18 décembre 1987, § 33, série A no 128). Il n’en demeure pas moins qu’au vu de ce qui précède, la Cour considère que le Gouvernement n’a pas fait état de raisons solides et convaincantes pouvant justifier l’exclusion des couples de même sexe du champ d’application de la loi no 3719/2008. Dès lors, elle conclut en l’espèce à la violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

93. Les requérants se plaignent de l’absence en droit interne d’un recours effectif par lequel ils auraient pu faire valoir devant les juridictions internes leurs griefs tenant au caractère discriminatoire du « pacte de vie commune ». Ils invoquent l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

94. La Cour rappelle que l’article 13 ne va pas jusqu’à exiger un recours par lequel on puisse dénoncer, devant une autorité nationale, les lois d’un État contractant comme contraires en tant que telles à la Convention (voir, entre autres, Roche c. Royaume-Uni [GC], 19 octobre 2005, no 32555/96, § 137, CEDH 2005-X, et Paksas c. Lituanie [GC], no 34932/04, 6 janvier 2011, § 114). En l’espèce, le grief que développent les requérants sur le terrain de l’article 13 se heurte à ce principe. Par conséquent, ce grief est manifestement mal fondé et, en tant que tel, doit être déclaré irrecevable en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

95. L’article 41 de la Convention dispose comme suit :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

96. Quant à la requête no 29381/09, les requérants réclament conjointement 10 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’ils auraient subi en raison de la violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8 et de l’absence de recours effectif à cet égard. De plus, ils invitent la Cour à faire des recommandations précises au Gouvernement afin de modifier la loi no 3719/2008 et d’étendre l’application du « pacte de vie commune » aux couples de même sexe.

97. En ce qui concerne la requête no 32684/09, les requérants réclament 15 000 EUR par couple au titre du préjudice moral qu’ils auraient subi, soit 45 000 EUR au total. Ils allèguent avoir fait l’objet d’une discrimination inacceptable en raison de leurs préférences sexuelles et avoir ressenti une grande frustration du fait de leur exclusion du champ d’application de la loi no 3719/2008.

98. Le Gouvernement affirme que les sommes réclamées par les requérants sont excessives et que ceux-ci n’ont pas prouvé avoir subi personnellement et directement une atteinte à leur vie privée et familiale. Il estime que le constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante.

99. Contrairement au Gouvernement, la Cour estime que le constat de violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8 ne constitue pas une réparation suffisante pour le dommage moral subi par les requérants. Statuant en équité, comme le permet l’article 41 de la Convention, la Cour alloue à chacun des requérants, hormis la septième requérante dans la requête no 32684/09, 5 000 EUR au titre du dommage moral subi, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt. Pour le surplus, la Cour rejette les demandes de satisfaction équitable.

B. Frais et dépens

100. Quant à la requête no 29381/09, les requérants demandent conjointement une somme de 7 490,97 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. En particulier, ils évaluent le temps passé sur cette affaire par leurs représentants du Moniteur grec Helsinki à vingt heures de travail, à un taux horaire de 100 EUR. Ils produisent à cet égard un document détaillant le temps que leurs représentants ont consacré à la rédaction des observations déposées devant la Cour. De surcroît, ils sollicitent 4 485 EUR pour leur représentation devant la Grande Chambre par Me Mécary, note d’honoraires à l’appui. Enfin, ils sollicitent 1 005,97 EUR pour les frais de voyage de leurs représentants aux fins de l’audience devant la Grande Chambre. Les requérants précisent que, à la suite d’un accord avec leurs représentants, ils seront tenus de reverser intégralement à ceux-ci la somme allouée par la Grande Chambre pour frais et dépens en cas de constat de violation de la Convention. Ils demandent donc que toute indemnité qui leur serait accordée à ce titre soit versée directement sur les comptes bancaires de leurs représentants.

101. Quant à la requête no 32684/09, les requérants demandent conjointement une somme de 8 000 EUR en ce qui concerne la procédure devant la Cour, factures et notes d’honoraires à l’appui.

102. Le Gouvernement réplique que la Cour ne saurait allouer des sommes au titre des frais et dépens aux requérants que dans la mesure où celles-ci sont suffisamment justifiées.

103. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Creangă c. Roumanie [GC], no 29226/03, § 130, 23 février 2012). Compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour considère qu’il y a lieu d’accorder conjointement aux requérants dans la requête no 29381/09 la somme de 5 000 EUR, plus tout montant pouvant être dû par eux à titre d’impôt, à verser directement sur les comptes bancaires de leurs représentants (voir, en ce sens, Carabulea c. Roumanie, no 45661/99, § 180, 13 juillet 2010). Quant aux requérants dans la requête no 32684/09, la Cour considère qu’il y a lieu de leur accorder conjointement la somme de 6 000 EUR pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû par eux à titre d’impôt.

C. Intérêts moratoires

104. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Décide, à l’unanimité, de joindre les requêtes ;

2. Déclare, à la majorité, les requêtes recevables quant au grief tiré de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention, en ce qui concerne les requérants G. Vallianatos, N. Mylonas, ainsi que C.S., E.D., K.T., M.P., A.H. et D.N., et, à l’unanimité, irrecevables pour le surplus ;

3. Dit, par seize voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8 ;

4. Dit, par seize voix contre une,

a) que l’État défendeur doit verser, dans les trois mois, les sommes suivantes :

i. 5 000 EUR (cinq mille euros) à chaque requérant, hormis la septième requérante dans la requête no 32684/09, au titre du dommage moral subi, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

ii. 5 000 EUR (cinq mille euros) conjointement aux requérants dans la requête no 29381/09 au titre des frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû par eux à titre d’impôt, à verser directement sur les comptes bancaires de leurs représentants ;

iii. 6 000 EUR (six mille euros) conjointement aux requérants dans la requête no 32684/09, hormis la septième, au titre des frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû par eux à titre d’impôt ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette, à l’unanimité, les demandes de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 7 novembre 2013.

Michael O’ BoyleDean Spielmann
Greffier adjointPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

– opinion concordante commune aux juges Casadevall, Ziemele, Jočienė et Sicilianos ;

– opinion en partie concordante, en partie dissidente du juge Pinto de Albuquerque.

D.S.
M.O’B.

OPINION CONCORDANTE COMMUNE AUX JUGES CASADEVALL, ZIEMELE, JOČIENĖ ET SICILIANOS

1. Nous avons voté pour le constat de violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8 dans la présente affaire. Étant donné que les dispositions en question et le motif de discrimination – l’orientation sexuelle – sont les mêmes en l’espèce et dans l’affaire X et autres c. Autriche ([GC], no 19010/07, CEDH 2013), on pourrait se demander de prime abord si nos positions respectives dans les deux cas sont cohérentes. On rappellera, en effet, que dans l’affaire X et autres c. Autriche nous avons voté contre le constat de violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8 et nous avons exprimé les raisons de notre désaccord dans une opinion dissidente commune avec trois autres de nos collègues (ibidem, opinion en partie dissidente commune aux juges Casadevall, Ziemele, Kovler, Jočienė, Šikuta, De Gaetano et Sicilianos). Cependant, nous sommes persuadés que, malgré les similitudes susmentionnées, les deux affaires se distinguent clairement l’une de l’autre, ce qui explique nos votes dans l’une et l’autre affaires.

2. Au-delà de ses spécificités – analysées in extenso dans l’opinion partiellement dissidente précitée (ibidem, §§ 2-11) – l’affaire X et autres c. Autriche s’inscrit, on le sait, dans le contexte de la problématique relative à l’adoption au sein de couples de même sexe. Plus particulièrement, l’affaire en question concernait la possibilité pour la première requérante d’adopter l’enfant de sa compagne. Or, outre le couple homosexuel lui-même, une telle adoption affecte nécessairement, voire radicalement la situation de l’enfant à adopter et celle de l’autre parent biologique, en posant des questions délicates relatives à l’intérêt supérieur de l’enfant et aux droits de l’autre parent en vertu de la Convention. Rien de tel en l’occurrence. En effet, les requérants dans la présente affaire forment des couples d’adultes de même sexe qui souhaitent simplement officialiser leur propre relation. Aucune tierce personne n’en est touchée de quelque façon que ce soit. Il est à noter également que la loi grecque sur le « pacte de vie commune » ne prévoit pas la possibilité d’adoption par les couples hétérosexuels auxquels elle s’applique (voir le texte de la loi no 3719/2008, cité au paragraphe 16 du présent arrêt). En d’autres termes, l’extension éventuelle du champ d’application de cette loi aux couples de même sexe ne soulèverait pas de problèmes analogues à ceux de l’affaire X et autres c. Autriche.

3. Cette première différence importante est intimement liée à un autre paramètre à prendre en considération. Ainsi que nous l’avons souligné dans notre opinion en partie dissidente annexée à l’arrêt X et autres c. Autriche (précitée, § 14), les États parties à la Convention, y compris ceux qui ouvrent l’adoption coparentale aux couples non mariés, « sont fortement divisés et [...] il n’existe donc aucun consensus » sur la question soulevée dans cette affaire. On observe effectivement une diversité importante de solutions consacrées par les législations nationales en matière d’adoption. Dans la présente affaire, en revanche, il existe une tendance très nette à l’ouverture de l’institution du partenariat enregistré aux couples de même sexe. Cette tendance est soulignée au paragraphe 91 du présent arrêt, qui arrive à la conclusion selon laquelle, à deux exceptions près, lorsqu’un État membre du Conseil de l’Europe décide de promulguer une loi instituant un partenariat enregistré en tant qu’autre possibilité que le mariage, « les couples de même sexe y sont inclus ».

4. Par ailleurs, la complexité des questions soulevées dans l’affaire X et autres c. Autriche est reflétée, à notre sens, dans l’article 7 § 2 de la Convention européenne en matière d’adoption des enfants (révisée en 2008), entrée en vigueur le 1er septembre 2011. En effet, ladite disposition stipule que : « Les États ont la possibilité d’étendre la portée de la présente Convention aux couples homosexuels mariés ou qui ont contracté un partenariat enregistré. Ils ont également la possibilité d’étendre la portée de la présente Convention aux couples hétérosexuels et homosexuels qui vivent ensemble dans le cadre d’une relation stable ». En d’autres termes, eu égard aux divergences susmentionnées, un instrument conventionnel récent du Conseil de l’Europe laisse aux États une liberté totale pour ce qui est de la réglementation de l’adoption d’enfants dans les cas de figure envisagés ci-dessus, y compris celui qui a fait l’objet de l’affaire X et autres c. Autriche.

5. Cette attitude de « laisser-faire » contraste avec les instruments pertinents du Conseil de l’Europe, évoqués aux paragraphes 27-30 du présent arrêt. Ces instruments vont clairement dans le sens d’une violation de l’article 14 de la Convention, combiné avec l’article 8, dans la présente affaire. Il en va ainsi tout particulièrement de la Recommandation CM/Rec(2010)5, adoptée par le Comité des ministres le 31 mars 2010, sur des mesures visant à combattre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, et la Résolution 1728 (2010), adoptée par l’Assemblée parlementaire le 29 avril 2010, sur la discrimination sur la base de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre. En d’autres termes : le constat de violation auquel aboutit le présent arrêt est « en phase » avec tous les instruments pertinents du Conseil de l’Europe, y compris et surtout les plus récents. Des observations analogues valent mutatis mutandis pour ce qui est du droit de l’Union européenne, dont les dispositions pertinentes sont reprises aux paragraphes 31 à 34 de l’arrêt.

OPINION EN PARTIE CONCORDANTE, EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE

(Traduction)

L’intérêt de l’affaire Vallianatos et autres réside dans le fait que la Grande Chambre y procède à un contrôle dans l’abstrait de la « conventionnalité » d’une loi grecque, et ce en tant que tribunal de première instance[1]. La Grande Chambre non seulement contrôle la conformité avec la Convention européenne des droits de l’homme « la Convention » d’une loi qui n’a pas été appliquée aux requérants, mais en outre elle le fait sans que cette loi ait auparavant été examinée par les juridictions nationales. En d’autres termes, la Grande Chambre s’octroie le pouvoir d’examiner in abstracto la conformité avec la Convention de lois non auparavant soumises à un contrôle juridictionnel au plan national.

Je pense avec la majorité que la requête introduite par l’association « Synthessi-Information, sensibilisation, recherche », une personne morale ayant son siège à Athènes, est irrecevable faute pour elle d’avoir la qualité de victime. Je partage aussi le constat selon lequel le grief tiré par les autres requérants de l’article 13 est irrecevable pour défaut manifeste de fondement. En revanche, je ne souscris pas à l’avis de la majorité au sujet du grief de violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8, que je trouve irrecevable faute d’épuisement des voies de recours internes. Alors que les requérants individuels avaient un grief défendable, ils n’ont pas même cherché à en saisir les juridictions nationales comme ils auraient pu le faire. Lesdites juridictions n’ont donc pas eu la possibilité d’examiner le grief des requérants. En fin de compte, il y a eu méconnaissance du principe de subsidiarité.

Victime potentielle et contrôle dans l’abstrait de la conventionnalité des lois

Le mécanisme européen de protection des droits de l’homme ne permet pas en principe de procéder à un contrôle dans l’abstrait de la conformité de lois nationales avec la Convention[2] et encore moins d’engager une actio popularis contre la législation[3]. Dès lors, un individu qui saisit la Cour européenne des droits de l’homme (« la Cour ») doit être en mesure d’alléguer qu’il a été, est ou sera victime d’une action de l’État, même lorsqu’il n’a pas été, n’est pas et ne sera pas visé personnellement par cette action[4]. Néanmoins, un individu peut affirmer qu’une loi viole ses droits en l’absence de toute mesure spécifique d’exécution à son égard s’il existe un risque réel qu’il soit personnellement touché par ladite loi. La Cour a établi quelles sont les catégories de personnes à risque ; il s’agit de celles qui doivent modifier leur conduite sous peine de poursuites pénales[5], et de celles qui appartiennent à une classe de personnes qui risquent d’être directement affectées par la législation, que ce soit les lois ordinaires[6] ou la législation constitutionnelle[7]. Ces deux catégories de personnes, qui peuvent être larges au point d’englober, par exemple, « tout usager ou usager virtuel des services des postes et télécommunications »[8], les « enfants illégitimes »[9], les « femmes en âge de procréer »[10] ou les personnes d’origine rom ou juive[11], sont celles que l’on qualifie de victimes potentielles[12].

Dans l’affaire à l’étude, les requérants individuels arguënt qu’ils font partie d’un groupe de personnes ayant une caractéristique identifiable (les couples de même sexe non mariés) qui ne bénéficie pas de la protection légale accordée par une loi donnée à un autre groupe de personnes se trouvant dans une situation factuelle comparable (les couples de sexe différent non mariés). Leur allégation présente une certaine similitude avec celle de la requérante Alexandra dans l’affaire majeure Marckx (précitée), pour autant qu’elle alléguait appartenir à un groupe de personnes unies par une caractéristique identifiable (les enfants nés hors mariage) ne bénéficiant pas de la protection accordée par le code civil belge à un autre groupe de personnes (les enfants légitimes)[13]. Le principe de recevabilité posé dans l’affaire Marckx vaut aussi en l’espèce. En d’autres termes, lorsqu’une loi ou un règlement confère un droit garanti par la Convention seulement à un groupe de personnes, en fonction d’une caractéristique identifiable de ce groupe, privant par voie de conséquence un autre groupe de personnes se trouvant dans une situation identique ou similaire de la jouissance de ce droit sans aucune justification objective, la conventionnalité de cette loi ou de ce règlement peut être contrôlée in abstracto par la Cour si celle-ci se trouve saisie d’un grief introduit par un membre du groupe privé de droit[14]. La même conclusion vaut pour une loi ou un règlement qui interdit ou restreint explicitement la jouissance d’un droit garanti par la Convention à un groupe de personnes sur la base d’une caractéristique identifiable de ce groupe, le traitant ainsi différemment d’un autre groupe de personnes se trouvant dans une situation identique ou similaire, et ce sans aucune justification objective (discrimination directe)[15], ainsi que pour une loi ou un règlement qui traite de manière identique des groupes de personnes se trouvant dans des situations différentes, et ce sans justification objective (discrimination indirecte)[16]. Dans les deux cas, les membres du groupe privé de la pleine jouissance du droit tiré de la Convention peuvent contester devant la Cour cette loi ou ce règlement indépendamment de tout acte d’exécution. A fortiori, toute loi ou tout règlement discriminatoire qui vise des personnes identifiées ou clairement identifiables peut aussi être contesté par ces personnes devant la Cour, indépendamment de tout acte d’exécution (discrimination intuitu personae). Enfin, toutes les conclusions précitées s’appliquent de la même manière aux droits qui, sans être spécifiquement prévus par la Convention, tombent dans le champ d’application d’un droit garanti par la Convention, quand bien même il n’y a pas eu violation du droit matériel lui-même.

Cela étant posé, tous les requérants sauf un peuvent prétendre être des victimes potentielles au sens défini plus haut. En revanche, le grief introduit par l’association « Synthessi-Information, sensibilisation, recherche » n’est fondé sur aucun risque de dommage personnel visant la requérante, laquelle ne peut donc être considérée comme une victime potentielle.

Non-épuisement des voies de recours internes contre des lois discriminatoires

Étant plus qu’un simple accord multilatéral sur les obligations réciproques des États parties, la Convention crée pour les États parties des obligations envers tous les individus relevant de leur juridiction pour ce qui est de la mise en œuvre concrète dans leur ordre juridique interne des droits et libertés garantis[17]. Dès lors, les États parties à la Convention sont juridiquement tenus de ne pas entraver en quoi que ce soit l’exercice effectif du droit de recours individuel et d’apporter à leur système juridique interne les amendements pouvant se révéler nécessaires pour assurer la pleine mise en œuvre des obligations qui leur incombent[18]. Vu sous un autre angle, il s’agit des conséquences du principe de bonne foi dans l’accomplissement des obligations conventionnelles qui est énoncé aux articles 26 et 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités.

Tandis que l’article 13 de la Convention n’impose pas, en principe, l’existence d’un recours pour faire contrôler par les juridictions internes la conformité des lois avec la Convention[19], lorsque la violation alléguée d’un droit garanti par la Convention repose sur une loi ou un règlement discriminatoire touchant directement le requérant ou le groupe de personnes auquel le requérant appartient, le système juridique interne doit offrir un recours effectif permettant de contester une telle loi ou un tel règlement[20]. Dans le cas contraire, la Partie contractante n’apporterait aux personnes relevant de sa juridiction aucune protection juridique du droit garanti par la Convention, et un accès direct à la Cour serait la seule voie de recours disponible. Tel n’est pas le cas en Grèce.

La Grèce est dotée d’un système de contrôle de la constitutionalité et de la conventionalité des lois à la fois diffus, concret, successif et par voie d’exception[21] ; ce système est effectif. En fait, les tribunaux grecs ont déclaré diverses dispositions des lois ordinaires inconstitutionnelles ou contraires à la Convention[22]. Dans son arrêt no 3/2012, la Cour de cassation grecque (formation plénière) a même jugé qu’il découlait de l’article 12 § 1 de la Constitution et de l’article 11 de la Convention que les individus servant dans les forces armées avaient droit à la liberté d’association et que la conclusion de la cour d’appel selon laquelle les dispositions de l’article 30 de la loi 1264/1982 et de l’article 1 de la loi no 2265/1994 ne s’appliquaient pas par analogie au personnel militaire était erronée car elle engendrait une violation des dispositions de la Constitution et de la Convention. La Cour de cassation a en outre conclu que « en l’absence d’une législation spécifique, les dispositions générales des articles 78 et suiv. du code civil s’appliquent ». Le fait qu’aucune disposition de loi n’ait été conçue pour énoncer le droit du personnel militaire de fonder des associations n’a pas empêché la Cour de cassation de dire que le droit en question était garanti par la Constitution et par la Convention, que l’exercice de ce droit ne dépendait pas de la promulgation d’une loi ordinaire pour le régir et que, en l’absence de législation spécifique, les dispositions générales du code civil devaient s’appliquer.

En l’espèce, les requérants n’ont pas donné aux juridictions nationales l’occasion d’appliquer le même raisonnement à leur grief. Dans un ordre juridique où les droits fondamentaux sont protégés par la Constitution, il incombe à la partie qui se dit lésée d’éprouver l’ampleur de cette protection, l’intéressé devant donner la possibilité aux juridictions nationales de faire évoluer ces droits par la voie de l’interprétation[23]. La Cour ne saurait supposer, comme les requérants l’ont fait, que les juridictions nationales ne donneraient pas leur plein effet aux dispositions de la Constitution de leur propre pays.

L’obligation découlant de la Convention de faire bénéficier les personnes victimes de discrimination de dispositions favorables

Par ailleurs, la loi grecque prévoit une action spéciale fondée sur le préjudice imputable à l’État ou à une entité de droit public[24]. L’article 57 du code civil dispose que toute personne victime d’un préjudice personnel a le droit non seulement de demander une réparation pécuniaire mais aussi, et plus précisément, « d’exiger la suppression de l’atteinte et l’abstention de toute atteinte à l’avenir ». D’après la jurisprudence nationale, il existe une obligation de verser une indemnité en cas d’action ou d’omission du législateur lorsque la législation en vigueur ou l’absence de législation méconnaît les normes supérieures du droit comme les dispositions de la Constitution ou des conventions internationales ratifiées par une loi, dont la Convention[25]. En outre, toujours d’après la jurisprudence nationale, toute violation du principe d’égalité découlant d’une omission de la part du législateur de prévoir dans la réglementation des catégories d’individus dont la situation est identique à celle des personnes pour lesquelles la législation a été conçue donne naissance à la responsabilité de l’État et des entités de droit public et à l’obligation pour eux d’indemniser. Plus particulièrement, d’après la jurisprudence, « si la loi crée une réglementation spéciale pour une certaine catégorie d’individus, et qu’une autre catégorie d’individus, pour laquelle existe la même raison d’octroyer un traitement particulier, est exclue de cette réglementation à la suite d’une discrimination défavorable imméritée, la disposition prévoyant ce traitement défavorable sera jugée non valable car contraire à la Constitution. En pareil cas, pour restaurer le principe constitutionnel d’égalité, la disposition applicable à la catégorie en faveur de laquelle la réglementation spéciale a été créée sera également appliquée à la catégorie d’individus victimes de discrimination. Dans cette situation, les autorités judiciaires ne peuvent être réputées avoir enfreint le principe de séparation des pouvoirs consacré par les articles 1, 26, 73 et suiv. et 87 de la Constitution. »[26] Ainsi, devant une loi discriminatoire, les tribunaux grecs doivent exercer, conformément aux articles 87 §§ 1 et 2, 93 § 4 et 120 § 2 de la Constitution, des pouvoirs de contrôle sur les activités du corps législatif et mettre en œuvre le principe d’égalité dans toute la mesure du possible et, sur la base de ce principe, appliquer la disposition favorable au groupe défavorisé[27].

Cette voie de droit aurait été suffisante aux fins de la Convention. Si les juridictions nationales devaient se limiter à déclarer la disposition discriminatoire contraire à la Constitution ou à la Convention sans être en mesure d’étendre la réglementation favorable spéciale à l’individu qui subit une discrimination, la violation du principe d’égalité subsisterait et la protection judiciaire recherchée serait dépourvue de tout contenu réel. La Convention doit être appliquée par le juge, quelle que soit la manière dont le processus de réforme législative évolue au plan interne, étant donné que « [l]a liberté de choix reconnue à l’État quant aux moyens de s’acquitter de son obligation au titre de l’article 53 ne saurait lui permettre de suspendre l’application de la Convention »[28]. En pratique, les juridictions nationales doivent adopter l’interprétation de la législation nationale qui se concilie le mieux avec la Convention afin de se conformer à l’obligation internationale consistant à prévenir toute atteinte à la Convention[29]. Or malgré cela, les requérants n’ont pas même cherché à faire valoir devant les juridictions nationales que leur affaire devait être traitée conformément à la jurisprudence précitée.

L’obligation découlant de la Convention de revoir la législation incompatible avec elle

En outre, dans les cas où l’harmonisation de la loi ordinaire en cause avec la Constitution ou la Convention a exigé l’intervention du législateur, les amendements nécessaires ont bien été apportés à la loi en Grèce. On peut citer à titre d’exemple le fait qu’après l’adoption de l’arrêt no 867/1988 du Conseil d’État grec, qui concluait que les dispositions de l’article 65 du décret-loi no 1400/1973 étaient incompatibles avec les articles 2 § 1 et 4 § 1 de la Constitution et l’article 12 de la Convention, a été promulgué l’article 18(1) de la loi no 1848/1989, qui a supprimé la disposition litigieuse. Il est vrai qu’aucune disposition de la législation grecque ne pose explicitement l’obligation de revoir la législation incompatible avec la Constitution ou la Convention. En revanche, en ce qui concerne la législation incompatible avec la Convention, pareille obligation découle de la Convention elle-même et de son incorporation dans l’ordre juridique national.

L’obligation de prévenir une violation de la Convention peut justifier l’adoption de mesures générales lorsqu’il n’existe pas de cadre juridique national compatible avec la Convention[30] ou que le cadre juridique national ou la pratique administrative en vigueur sont contraires à la Convention[31]. Dans certaines affaires, même la Constitution nationale peut devoir être amendée, étant donné que la Convention « ne fait aucune distinction quant au type de normes ou de mesures en cause et ne soustrait aucune partie de la « juridiction » des États membres à l’empire de la Convention »[32]. En fait, tant le principe de l’effet utile de la Convention que le principe de subsidiarité impliquent que toutes les atteintes à la Convention, y compris celles provenant du législateur, doivent être traitées au niveau national dès qu’elles ont été établies de manière définitive par les juridictions nationales. En cas d’inaction totale de la part du législateur à la suite d’une décision de justice définitive constatant qu’une disposition d’une loi ou d’un règlement enfreint la Convention, on peut soulever un grief tiré de l’inexécution d’une décision de justice définitive au titre de l’article 6 de la Convention. Dès lors, l’article 6, interprété à la lumière de l’effet utile de la Convention et du principe de subsidiarité, impose aux États parties l’obligation de revoir toute loi ou tout règlement qui a été jugé non conforme à la Convention par une décision de justice définitive adoptée au niveau national. Or les requérants ont ignoré cette autre voie de recours[33].

La Grande Chambre s’est néanmoins laissé entraîner à examiner les intentions « principales » du législateur grec au-delà de ses intentions « déclarées » (paragraphe 87 de l’arrêt) et à les critiquer, et elle ne s’est pas abstenue de dicter à l’État défendeur la manière dont il devrait concevoir la loi (paragraphe 89de l’arrêt). Après la procédure de « l’arrêt pilote »[34] et les « arrêts article 46 » (ou « arrêts quasi pilotes »)[35], la Grande Chambre inaugure dans le présent arrêt un nouveau recours qui énonce une solution législative spécifique à un problème social qui n’aurait pas été résolu par le législateur national après que les personnes concernées eurent saisi directement la Cour. Celle-ci n’est désormais plus seulement un « législateur par la négative » : elle joue le rôle d’un « législateur positif » supranational qui intervient directement devant une omission législative censément commise par un État partie.

Conclusion

Eu égard à tout ce qui précède, les requérants n’ont pas usé des voies de recours qui auraient permis aux tribunaux grecs d’examiner leur grief de violation de la Convention. Par conséquent, la Grande Chambre de la Cour n’aurait pas dû examiner l’affaire au fond, ce qu’elle a fait en se comportant comme une cour constitutionnelle européenne jouant le rôle d’un « législateur positif » à la demande directe des personnes concernées. Hans Kelsen lui-même, l’architecte du système de contrôle juridictionnel constitutionnel concentré, n’aurait pas rêvé qu’un tel pas puisse être un jour franchi en Europe.

* * *

[1]. Le contrôle abstrait de la « conventionnalité » est le contrôle de la compatibilité d’une loi nationale avec la Convention en dehors du cadre d’une affaire particulière où cette loi est appliquée (sur l’utilisation du terme « conventionnalité », voir Michaud c. France, no 12323/11, § 73, CEDH 2012, Vassis et autres c. France, no 62736/09, § 36, 27 juin 2013, Kanagaratnam c. Belgique, no 15297/09, § 75, 13 décembre 2011, Duda c. France (déc.), no 37387/05, 17 mars 2009, et Kart c. Turquie, no 8917/05, § 83, 8 juillet 2008).

[2]. Cela ne vaut que pour les requêtes individuelles (voir, par exemple, De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, 18 juin 1971, § 22, série A no 12, Findlay c. Royaume-Uni, 25 février 1997, § 67, Recueil des arrêts et décisions 1997‑I, et Von Hannover c. Allemagne (no 2) [GC], nos 40660/08 et 60641/08, § 116, CEDH 2012). Dans les affaires interétatiques, un État peut contester une disposition législative dans l’abstrait, étant donné que l’article 33 de la Convention autorise un État partie à saisir la Cour de « tout manquement » aux dispositions de la Convention qu’il croira pouvoir être imputé à un autre État partie (Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, § 240, série A no 25, et Chypre c. Turquie [GC], no 25781/94, § 358, CEDH 2001‑IV).

[3]. Une actio popularis est une action engagée par un membre du public qui agit dans le seul intérêt de l’ordre public et qui n’allègue pas avoir été, être ou être à l’avenir victime de la loi litigieuse ou d’un autre acte de l’État (voir, entre autres, Tănase c. Moldova [GC], no 7/08, § 104, CEDH 2010, et X et autres c. Autriche [GC], no 19010/07, § 126, CEDH 2013).

[4]. Dans ce dernier cas, le requérant doit aussi être en mesure d’alléguer qu’il appartient à un groupe de personnes visé par l’action de l’État (Aksu c. Turquie [GC], nos 4149/04 et 41029/04, § 50, CEDH 2012). Le lien avec le groupe visé par l’action de l’État doit exister à l’époque des faits et au moment de l’introduction du grief devant la Cour.

[5]. Dudgeon c. Royaume-Uni, 22 octobre 1981, § 41, série A no 45, Norris c. Irlande, 26 octobre 1988, § 32, série A no 142, et S.L. c. Autriche, no 45330/99, CEDH 2003‑I.

[6]. Marckx c. Belgique, 13 juin 1979, § 27, série A no 31, Johnston et autres c. Irlande, 18 décembre 1986, § 42, série A no 112, et Burden c. Royaume-Uni [GC], no 13378/05, §§ 33-34, CEDH 2008.

[7]. Sejdić et Finci c. Bosnie-Herzégovine [GC], nos 27996/06 et 34836/06, §§ 28-29, CEDH 2009.

[8]. Klass et autres c. Allemagne, 6 septembre 1978, §§ 34-37, série A no 28.

[9]. Marckx, précité, §§ 44-48.

[10]. Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande, 29 octobre 1992, § 44, série A no 246‑A.

[11]. Sejdić et Finci, précité, § 45.

[12]. Il existe un troisième groupe de victimes potentielles : celles qui n’ont pas encore subi de violation de la Convention, mais qui en subiront une si l’action de l’État en cause est accomplie (par exemple un arrêté d’expulsion). Il ne faut pas confondre les victimes potentielles avec les victimes indirectes, expression qui désigne les personnes ayant subi des conséquences négatives indirectes d’une action ou omission de l’État, comme la femme et les enfants d’un homme tué illégalement par des agents de l’État.

[13]. Marckx, précité, § 27.

[14]. Marckx, précité, § 27, et, plus récemment, Sejdić et Finci, précité, §§ 28-29.

[15]. S.L. c. Autriche (déc.), no 45330/99, 22 novembre 2001, et la jurisprudence citée.

[16]. D.H. et autres c. République tchèque [GC], no 57325/00, § 184, CEDH 2007‑IV. Inversement, une loi ou un règlement qui prévoit des mesures positives alors que ces mesures sont indispensables pour faire cesser ou atténuer une discrimination de facto dans la jouissance d’un droit tiré de la Convention par un groupe de personnes défavorisées sur la base d’une caractéristique identifiable peut aussi être soumis à l’examen dans l’abstrait de la Cour (Stec et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 65731/01 et 65900/01, § 61 et 66, CEDH 2006‑VI, et Wintersberger c. Autriche (déc.), no 57448/00, 27 mai 2003). Étant donné que le droit de ne pas subir de discrimination dans la jouissance des droits garantis par la Convention est aussi méconnu lorsque les États s’abstiennent de traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations sensiblement différentes, une loi ou un règlement qui ne prévoit pas de mesures positives quand elles se justifient par la situation d’inégalité factuelle où se trouve un groupe de personnes du fait d’une caractéristique identifiable peut aussi être contesté devant la Cour, qu’il y ait eu ou non auparavant un acte d’exécution. La situation inverse, où une loi ou un règlement apporte l’égalité en nivelant par le bas la jouissance d’un droit garanti par la Convention par un groupe de personnes qui, du fait d’une caractéristique identifiable, est avantagé par rapport à un autre groupe de personnes moins favorisé, relève également d’un examen in abstracto de la Cour (Runkee et White c. Royaume-Uni, nos 42949/98 et 53134/99, §§ 40-43, 10 mai 2007).

[17]. La Cour internationale de justice exclut spécifiquement la notion d’obligations réciproques s’agissant des traités de protection des droits de l’homme (Réserves à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, CIJ Recueil 1951, p. 23, suivi de Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited, arrêt, CIJ Recueil 1964, p. 32, et Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, exceptions préliminaires, arrêt, CIJ Recueil 1996, p. 20), après que la Cour permanente de justice internationale eut concédé que « l’objet même d’un accord international, dans l’intention des Parties contractantes, puisse être l’adoption, par les Parties, de règles déterminées, créant des droits et obligations pour des individus, et susceptibles d’être appliquées par les tribunaux nationaux » (Compétence des tribunaux de Dantzig, avis consultatif, 1928, CPJI, série B no 15, 3 mars 1928, p. 17). La Cour interaméricaine des droits de l’homme (avis consultatif no OC-2/82, 24 septembre 1982, sur l’effet des réserves à la Convention interaméricaine relative aux droits de l’homme, § 29) et le Comité des droits de l’homme (Observation générale no 24, 2 novembre 1994, sur les questions touchant les réserves formulées au moment de la ratification du Pacte ou des Protocoles facultatifs y relatifs ou de l’adhésion à ces instruments, ou en rapport avec des déclarations formulées au titre de l’article 41 du Pacte, § 17) ont exprimé le même avis. Très tôt, l’ancienne Commission, dans sa décision du 11 janvier 1961 sur la recevabilité de la requête no 788/60, Autriche c. Italie (Annuaire, vol. 4, pp. 167-169) a exprimé le même principe lorsqu’elle a affirmé le « caractère objectif » de la Convention (« (...) les obligations souscrites par les États Contractants dans la Convention ont essentiellement un caractère objectif, du fait qu’elles visent à protéger les droits fondamentaux des particuliers contre les empiètements des États Contractants plutôt qu’à créer des droits subjectifs et réciproques entre ces derniers »). La Cour a souscrit à cette doctrine dans l’arrêt Irlande c. Royaume-Uni, précité, § 239).

[18]. Ce principe général de droit international, considéré comme « allant de soi » dans l’affaire Échange des populations grecques et turques, avis consultatif, 1925, CPJI, série B n° 10 (21 février 1925), p. 20, a été décrit par la Cour dans l’arrêt Maestri c. Italie ([GC], no 39748/98, § 47, CEDH 2004‑I) en ces termes : « (...) il résulte de la Convention, et notamment de son article 1, qu’en ratifiant la Convention les États contractants s’engagent à faire en sorte que leur droit interne soit compatible avec celle-ci. Par conséquent, il appartient à l’État défendeur d’éliminer, dans son ordre juridique interne, tout obstacle éventuel à un redressement adéquat de la situation du requérant. »

[19]. James et autres c. Royaume-Uni, 21 février 1986, § 85, série A no 98, Roche c. Royaume-Uni [GC], no 32555/96, § 137, CEDH 2005‑X, et Paksas c. Lituanie [GC], no 34932/04, § 114, 6 janvier 2011.

[20]. La plupart des droits garantis par la Convention, sinon tous, sont aussi reconnus par les constitutions des Parties contractantes. Ainsi, un recours constitutionnel introduit contre une loi violant un droit consacré par la Convention est suffisant aux fins de l’article 13 de la Convention, et ce que le mécanisme de contrôle constitutionnel soit concret ou abstrait, concentré ou diffus, ou de caractère principal (préventif ou successif) ou par voie d’exception.

[21]. Voir E. Spiliotopoulos, « Judicial Remedy of Legislative Acts in Greece, in Temple Law Quarterly », 1983, pp. 463-502 ; A. Manitakis, « Fondement et légitimité du contrôle juridictionnel des lois en Grèce », in Revue international de droit comparé, 1988, pp. 39-55 ; W. Skouris, « Constitutional Disputes and Judicial Review in Greece », in Landfried (éd.), Constitutional Review and Legislation: An International Comparison, 1988, pp. 177-200 ; Dagtoglou, « Judicial Review of Constitutionality of Laws, in European Review of Public Law », 1989, pp. 309-327 ; P.C. Spyropoulos et T.P.Fortsakis, Constitutional Law in Greece, 2009, S.-.IG. Koutnatzis, « Grundlagen und Grundzüge staatlichen Verfassungsrechts: Griechenland », in Bogdandy et al. (éd.), Handbuch Ius Publicum Europaeum, 2007, pp. 151-215 ; et J. Iliopoulos-Strangas et S.-.IG. Koutnatzis, « Greece, Constitutional Courts as Positive Legislators », in A. Brewer-Carias, Constitutional Courts as Positive Legislators, A comparative Law Study, 2011, pp. 539-574.

[22]. Voir l’arrêt no 867/1988 du Conseil d’État grec, où il conclut que l’article 65 du décret-loi no 1400/1973 n’est pas conforme à l’article 12 de la Convention ; l’arrêt no 1664/2011 du Conseil d’État, où il conclut que l’article 4(3) de la loi 383/1976 est contraire à l’article 5 de la Constitution ; l’arrêt no 3103/1997 du Conseil d’État, où il conclut que l’article 25(1)(2) de la loi no 1975/1991 est incompatible avec la Convention de Genève du 28 juillet 1951 ; l’arrêt n° 1501/2012 du Conseil d’État, qui conclut que la loi no 2120/1993 est contraire aux articles 4 § 5 et 17 § 1 de la Constitution et à l’article 1 du Protocole no 1 ; l’arrêt no 2960/2010 du Conseil d’État, qui conclut que l’article 16 de la loi 2227/1994 n’est pas conforme à l’article 7 § 1 de la Convention ; l’arrêt no 982/2010 de la Cour de cassation, qui conclut que l’article 13(4) de la loi 2882/2001 est contraire à l’article 1 du Protocole no 1 ; l’arrêt no 33/2002 de la Cour de cassation, qui conclut que l’article 5(3) de la loi 2246/1994 est contraire à l’article 5 § 1 de la Constitution ; les arrêts nos 5251/2004 et 16520/2004 du tribunal de première instance de Thessalonique, jugeant tous deux que l’article 107 de la loi d’accompagnement du code civil n’est pas conforme aux articles 11 et 14 de la Convention ; l’arrêt no 954/1999 de la cour administrative d’appel d’Athènes, jugeant que l’article 31 de la loi 2470/1997 est contraire à l’article 1 du Protocole no 1 ; l’arrêt no 748/2011 de la cour administrative d’appel d’Athènes, jugeant que l’article 64 du décret-loi 1400/1973 est contraire à la Charte sociale européenne et à l’interdiction du travail forcé ; l’arrêt no 2377/2007 du tribunal de district d’Athènes concluant que l’article 30(2) de la loi 2789/2000 est incompatible avec les articles 2 et 17 de la Constitution et l’article 1 du Protocole n° 1 ; l’arrêt no 2250/2008 du tribunal administratif de première instance d’Athènes jugeant que l’article 60 de la loi 2084/1992 est contraire à l’article 1 du Protocole no 1 ; et l’arrêt no 2028/2004 du Conseil d’État jugeant que l’article 7(1) de la loi 2703/1999 méconnaît l’article 1 du Protocole n° 1.

[23]. Vinčić et autres c. Serbie, nos 44698/06 et autres, § 51, 1er décembre 2009, et A, B et C c. Irlande [GC], no 25579/05, § 142, CEDH 2010.

[24]. Voir l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil et les articles 57, 914 et 932 du code civil.

[25]. Voir l’arrêt no 169/2010 du Conseil d’État grec et les arrêts nos 743/2006, 3928/1992, 409/2007 et 6/2007 de la cour administrative d’appel d’Athènes.

[26]. La jurisprudence est variée et cohérente au sujet de l’extension d’un traitement préférentiel à des groupes de personnes victimes de discrimination même lorsque cela a des conséquences budgétaires ; voir, par exemple, les arrêts nos 1578/2008, 60/2002, 7/1995, 40/1990 et 3/1990 de la Cour de cassation grecque ; les arrêts nos 3088/2007, 2180/2004 et 1467/1994 du Conseil d’État ; l’arrêt no 3717/1992 de la cour administrative d’appel d’Athènes ; et l’arrêt no 10391/1990 du tribunal administratif de première instance d’Athènes.

[27]. Arrêt no 60/2002 de la Cour de cassation grecque.

[28]. Vermeire c. Belgique, 29 novembre 1991, § 26, série A no 214‑C.

[29]. Voir mon opinion séparée jointe à l’arrêt Fabris c. France [GC], no 16574/08, CEDH 2013.

[30]. Malone c. Royaume-Uni, 2 août 1984, § 82, série A no 82 ; X et Y c. Pays-Bas, 26 mars 1985, § 27, série A no 91 ; et, plus récemment, Viaşu c. Roumanie, no 75951/01, § 83, 9 décembre 2008 ; Mandić et Jović c. Slovénie, nos 5774/10 et 5985/10, § 128, 20 octobre 2011 ; et Pulatlı c. Turquie, no 38665/07, § 39, 26 avril 2011. La Cour a également examiné l’évolution de la législation après les violations alléguées et critiqué le caractère insuffisant de cette évolution (voir, par exemple, Odièvre c. France [GC], no 42326/98, §§ 15-17, CEDH 2003‑III ; Brauer c. Allemagne, no 3545/04, § 24, 28 mai 2009 ; et Dumitru Popescu c. Roumanie (no 2), no 71525/01, §§ 82-84, 26 avril 2007).

[31]. Dudgeon, précité, §§ 41 et 63 ; Johnston et autres, précité, § 42 ; Norris, précité, § 38, ou Manoussakis et autres c. Grèce, 26 septembre 1996, § 45, Recueil 1996‑IV. Dans certaines affaires, la Cour détaille avec un soin particulier les mesures législatives à prendre (M. et autres c. Bulgarie, no 41416/08, § 138, 26 juillet 2011). Une pratique administrative telle que celle de fouilles au corps hebdomadaires systématiques en prison peut aussi appeler des mesures générales (Salah c. Pays-Bas, no 8196/02, §§ 77-79, CEDH 2006‑IX). Cela n’est pas une bizarrerie du système européen de protection des droits de l’homme. Le Comité des droits de l’homme a déjà recommandé un amendement de la législation dans les affaires Ballantyne, Davidson et McIntyre c. Canada, communications nos 359/1989 et 385/1989, 31 mars 1993, § 13, et Toonen c. Australie, communication no 488/1992, 31 mars 1994, § 10. Dans son Observation générale no 24, 2 novembre 1994, § 17, le Comité a rejeté toute exception à cette obligation, jugeant cela contraire au but et à l’objet du Pacte.

[32]. Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, 30 janvier 1998, §§ 29-30, Recueil 1998‑I et, encore plus explicitement, Dumitru Popescu, précité, § 103. Non seulement la pratique de la Cour mais aussi l’acceptation des États parties confirment cette interprétation (voir les amendements constitutionnels adoptés après l’arrêt du 27 août 1991 dans l’affaire Demicoli c. Malte (27 août 1991, série A no 210), suivi de la résolution DH (95) 211 du 11 septembre 1995 ; après l’arrêt adopté le 29 octobre 1992 dans l’affaire Open Door et Dublin Well Woman, précité, suivi de la résolution DH (96) 386 du 26 juin 1996 ; et après l’arrêt adopté le 23 octobre 1995 dans l’affaire Palaoro c. Autriche (23 octobre 1995, série A no 329‑B, suivi de la résolution DH (96) 150 du 15 mai 1996).

[33]. Le simple fait de nourrir des doutes quant à l’effectivité de ce recours ne constitue pas une raison valable pour justifier sa non-utilisation (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 71, Recueil 1996‑IV).

[34]. Voir l’arrêt novateur Broniowski c. Pologne ([GC], no 31443/96, CEDH 2004‑V), résultant « d’un dysfonctionnement de la législation polonaise et d’une pratique administrative ». Cette procédure a été consacrée par l’article 61 du règlement de la Cour. Récemment, dans l’arrêt Ananyev et autres c. Russie (nos 42525/07 et 60800/08, §§ 191-240 et point 7 du dispositif, 10 janvier 2012), la Cour a poussé le potentiel de cette nouvelle procédure encore plus loin en ordonnant à l’État défendeur de présenter dans un délai de six mois un plan d’action en vue de la mise en œuvre d’une longue liste de mesures préventives et compensatoires indiquées par elle.

[35]. Dans les « arrêts quasi pilotes », la Cour identifie les problèmes systémiques que pose le système juridique ou la pratique internes et qui peuvent être à l’origine de violations répétées de la Convention, mais sans normalement prescrire de mesures générales dans le dispositif de l’arrêt. Dans certains cas, la Cour est allée jusqu’à inclure de telles obligations dans le dispositif, sans même mentionner qu’il s’agissait d’un arrêt « pilote » (voir, par exemple, Lukenda c. Slovénie, no 23032/02, § 98, CEDH 2005‑X, et Xenides-Arestis c. Turquie, no 46347/99, § 40, 22 décembre 2005). Dans d’autres cas, l’obligation ne figurait que dans les motifs de l’arrêt, sans aucune référence dans le dispositif (voir, par exemple, Hassan et Eylem Zengin c. Turquie, no 1448/04, § 84, 9 octobre 2007, et Manole et autres c. Moldova, no 13936/02, § 117, CEDH 2009). La Cour a également indiqué une date limite pour l’adoption des mesures nécessaires (Xenides-Arestis, précité, § 40, et Bourdov c. Russie (no 2), no 33509/04, § 141, CEDH 2009), ou affirmé leur « urgence » (Ramadhi et autres c. Albanie, no 38222/02, § 94, 13 novembre 2007). Une fois, la Cour a même qualifié rétroactivement d’arrêt pilote un arrêt qui avait des répercussions sur la recevabilité d’une autre requête (İçyer c. Turquie (déc.), no 18888/02, § 67, CEDH 2006‑I, renvoyant à l’arrêt Doğan et autres c. Turquie, nos 8803-8811/02, 8813/02 et 8815-8819/02, CEDH 2004‑VI).


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