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29/10/2013 | CEDH | N°001-127396

CEDH | CEDH, AFFAIRE ÖNER AKTAŞ c. TURQUIE, 2013, 001-127396


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE ÖNER AKTAŞ c. TURQUIE

(Requête no 59860/10)

ARRÊT

STRASBOURG

29 octobre 2013

DÉFINITIF

29/01/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Öner Aktaş c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Danutė Jočienė,
Peer Lorenzen,
András Sajó,
Işıl Karakaş,


Nebojša Vučinić,
Helen Keller, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 octobre 2013,

Rend l’a...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE ÖNER AKTAŞ c. TURQUIE

(Requête no 59860/10)

ARRÊT

STRASBOURG

29 octobre 2013

DÉFINITIF

29/01/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Öner Aktaş c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Danutė Jočienė,
Peer Lorenzen,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 octobre 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 59860/10) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Öner Aktaş (« le requérant »), a saisi la Cour le 21 septembre 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me S. Türkdoğru, avocat à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

3. Le 27 février 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. Le requérant est né en 1972 et réside à Istanbul.

5. A la suite de la plainte déposée par une personne victime d’extorsion de fonds de la part d’individus s’étant présentés comme des agents de police, la direction de la sûreté d’Istanbul demanda l’autorisation de placer sur écoute les téléphones de plusieurs personnes, dont le requérant.

6. Le 9 octobre 2006, le juge d’instance pénale de Bakırköy (« le juge d’instance pénale ») autorisa les écoutes téléphoniques des personnes suspectées pendant une période de trois mois, en application de l’article 135 du code de procédure pénale (« le CPP »).

7. Le 16 octobre 2006, le requérant, alors agent de police, fut arrêté et placé en garde à vue avec plusieurs autres personnes parmi lesquelles figuraient des agents de police.

8. Le 19 octobre 2006, le requérant fut traduit devant le juge d’instance pénale qui ordonna son placement en détention provisoire au vu de la nature de l’infraction reprochée, de l’état des preuves, du nombre de suspects, de la pluralité des faits reprochés, de la peine encourue, du risque de fuite ainsi que du risque d’altération des preuves.

9. Le 30 octobre 2006, le parquet de Bakırköy se déclara incompétent au motif que, à la lumière des éléments recueillis lors de l’enquête préliminaire, l’infraction reprochée au requérant relevait de l’article 250 du CPP, et il transmit le dossier au parquet d’Istanbul compétent en vertu de cette disposition.

10. Le 25 janvier 2007, le requérant fut inculpé avec dix autres personnes pour constitution d’une organisation illégale, appartenance à celle-ci, extorsion de fonds et abus de pouvoir. Le procès commença devant la 13e cour d’assises d’Istanbul (« la cour d’assises »).

11. Au terme des onze audiences tenues devant elle du 14 juin 2007 au 28 décembre 2010, la cour d’assises ordonna le maintien en détention provisoire du requérant eu égard au contenu du dossier et à la persistance de forts soupçons quant à la commission de l’infraction reprochée. Elle indiqua que ces motifs concernaient l’ensemble des accusés.

12. Le 31 décembre 2010, le requérant adressa à la cour d’assises une demande d’élargissement. Il indiqua que, selon l’article 102 du CPP entré en vigueur le même jour, la durée maximale de la détention était de deux ans et que, en l’absence d’une décision portant prolongation de cette durée, la décision relative à sa détention devait être considérée comme levée.

13. Le 27 janvier 2011, la cour d’assises rejeta la demande d’élargissement du requérant et ordonna son maintien en détention provisoire au motif que la durée de celle-ci pouvait aller jusqu’à cinq ans pour les infractions relevant de sa compétence.

14. Le 3 février 2011, la 14e cour d’assises rejeta, après examen du dossier, l’opposition formée par le requérant contre la décision de maintien en détention décidée au terme de l’audience du 28 décembre 2010.

15. Au terme de l’audience du 19 avril 2011, la cour d’assises ordonna le maintien en détention provisoire du requérant pour les motifs retenus précédemment, à savoir le contenu du dossier et la persistance de forts soupçons quant à la commission de l’infraction reprochée. L’opposition formée par le requérant contre cette décision fut rejetée par la 14e cour d’assises le 23 mai 2011, après examen du dossier.

16. Le 21 juin 2011, la cour d’assises ordonna le maintien en détention provisoire du requérant pour les mêmes motifs que précédemment.

17. Le 23 juin 2011, le requérant adressa une requête à la cour d’assises : il expliquait que la prochaine audience avait été fixée au 24 novembre 2011 et qu’à cette date la durée de sa détention provisoire excèderait la durée maximale de cinq ans prévue par l’article 102 du CPP, et il demandait par conséquent son élargissement.

18. Le 17 octobre 2011, le requérant fut libéré en raison de la durée de sa détention provisoire qui avait atteint le maximum prévu en droit interne.

19. A ce jour, la procédure est toujours pendante.

A. Requête adressée au Conseil supérieur de la magistrature

20. Dans une requête adressée au ministère de la Justice, le requérant demanda l’ouverture d’une enquête concernant le procureur de la République et le juge d’instance pénale. Il reprochait à ces derniers d’avoir respectivement demandé et ordonné son placement en détention provisoire alors que, d’après lui, ils n’avaient pas compétence pour le faire.

21. Par une décision notifiée au requérant le 11 juillet 2011, le Conseil supérieur de la magistrature (« le Conseil ») rejeta la demande du requérant.

Il releva qu’aux termes de l’article 251 § 2 du CPP, dans le cadre des enquêtes et procès relatifs à des infractions relevant de l’article 250 du CPP, lorsque les procureurs de la République avaient besoin qu’une décision soit prise par un juge, ils pouvaient s’adresser le cas échéant à la cour d’assises spéciale et à défaut au juge judiciaire compétent.

Le Conseil nota qu’il n’y avait pas à Bakırköy de cour d’assises spéciale. Il ajouta qu’en conséquence les décisions devant être prises par un juge dans le cadre de l’enquête menée à Bakırköy pouvaient être demandées au juge d’instance pénale, même si les faits relevaient de l’article 250 du CPP.

Le Conseil conclut ainsi que le procureur et le juge d’instance pénale de Bakırköy avaient agi dans le cadre de leurs compétences et qu’aucun abus de fonction n’avait été relevé à cette occasion.

B. Action en réparation du préjudice subi en raison de la saisie du véhicule

22. A l’issue de l’audience du 20 mars 2008, la cour d’assises ordonna la restitution au requérant de son véhicule qui avait fait l’objet d’une saisie.

23. Selon le requérant, des frais de gardiennage lui avaient été réclamés lors de la restitution de sa voiture. Il introduisit une action en réparation du préjudice subi à ce titre.

24. Le tribunal de grande instance de Fatih invita le requérant à régler les frais de procédure afférents à sa demande. Le requérant ne paya pas ces frais.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

25. Le droit interne pertinent est exposé dans l’affaire Altınok c. Turquie (no 31610/08, §§ 28-30, 29 novembre 2011).

26. L’article 102 § 2 du CPP, entré en vigueur le 31 décembre 2010, indique que la durée de la détention provisoire, en matière criminelle, ne peut dépasser deux ans. En cas de nécessité, cette période peut cependant être prolongée de trois ans. La durée de la détention provisoire ne peut donc excéder au total cinq ans dans les affaires relevant de la compétence des cours d’assises.

EN DROIT

I. SUR L’EXCEPTION PRÉLIMINAIRE DU GOUVERNEMENT

27. Le Gouvernement affirme que la Cour n’a pas été régulièrement saisie au regard de l’article 47 de son règlement et du paragraphe 11 de l’instruction pratique concernant l’introduction de l’instance. D’après lui, les faits décrits dans le formulaire de requête et les griefs du requérant n’ont pas été présentés de manière succincte, la requête étant rédigée sur quatorze pages. Le Gouvernement invite donc la Cour à rejeter la requête.

28. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 47 de son règlement un formulaire de requête doit notamment comporter un exposé des faits et un exposé de la ou des violations alléguées de la Convention et des arguments pertinents. L’article 11 de l’instruction pratique édictée par le président de la Cour au titre de l’article 32 du règlement relatif à l’introduction de l’instance énonce quant à lui que, lorsqu’une requête comporte plus de dix pages (en dehors des annexes répertoriant les documents), le requérant doit également en présenter un bref résumé.

29. En l’espèce, la Cour note que le requérant a, dans son formulaire de requête, décrit explicitement les faits et indiqué clairement les violations de la Convention dont il se plaint. Par conséquent, la Cour estime que les griefs du requérant ont été soulevés conformément à l’article 47 § 1 du règlement de la Cour. Quant à la disposition de l’instruction pratique invoquée par le Gouvernement, la Cour souligne que son observation ne fait pas partie des critères de recevabilité énoncés à l’article 35 de la Convention. Dès lors, le Gouvernement n’est pas fondé à demander le rejet de la présente requête au seul motif qu’il en juge la rédaction trop longue. Il convient donc de ne pas tenir compte des arguments du Gouvernement sur ce point.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 DE LA CONVENTION

30. Le requérant se plaint de l’absence d’une décision relative à la prolongation de sa détention après l’entrée en vigueur de l’article 102 du CPP. Il allègue en outre que son placement en détention provisoire prononcé par le juge d’instance pénale était illégal. Il se plaint également de la durée de sa détention provisoire. Enfin, il dénonce l’absence d’audiences lors de l’examen de ses recours en opposition, formés par lui contre son maintien en détention.

Le requérant invoque l’article 5 §§ 1 c), 3 et 4 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(...)

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;

(...)

3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience.

4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

A. Article 5 § 1 de la Convention

31. Le requérant reproche à la cour d’assises de n’avoir pas examiné, après l’entrée en vigueur le 31 décembre 2010 de l’article 102 du CPP, la question de sa détention provisoire à la lumière de cette nouvelle disposition.

Il dénonce en outre l’illégalité de son placement en détention par le juge d’instance pénale au motif que ce juge n’était pas compétent en la matière. Il ajoute que la décision de placement en détention provisoire ne pouvait être adoptée que par le juge près la cour d’assises spéciale d’Istanbul.

32. S’agissant d’abord du premier grief du requérant, la Cour note que selon l’article 102 § 2 du CPP, entré en vigueur le 31 décembre 2010, la durée de la détention provisoire initiale, en matière criminelle, est limitée à deux ans. Cependant, cette mesure peut être prolongée en cas de nécessité sans pour autant dépasser au total une durée de cinq ans. En l’espèce, lorsque l’article 102 du CPP est entré en vigueur, le requérant était détenu depuis près de quatre ans et deux mois. Le 27 janvier 2011, la question du maintien en détention provisoire du requérant au regard des dispositions de cet article a été examinée et la cour d’assises releva que la durée maximale de cinq ans n’avait pas été atteinte. La Cour considère donc que la durée de la détention provisoire du requérant n’était pas contraire au droit interne.

33. S’agissant ensuite du second grief du requérant, la Cour note qu’il ressort clairement de l’article 251 du CPP, en vigueur à l’époque des faits, que, en l’absence d’une cour d’assises spéciale dans le ressort juridictionnel, le juge judiciaire compétent en la matière pouvait adopter les décisions devant être prises au cours de l’enquête. Elle observe également qu’il ressort explicitement de la décision du Conseil qu’il n’y a pas de cour d’assises spéciale dans le ressort juridictionnel de Bakırköy et que, dans ce cas de figure, le prononcé d’une décision de placement en détention provisoire par le juge d’instance pénale est conforme au droit interne. Elle considère donc que le requérant a été placé en détention par un juge compétent pour ce faire.

Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

B. Article 5 § 3 de la Convention

34. Le requérant se plaint de la durée de la détention provisoire subie par lui. De plus, il reproche à la cour d’assises d’avoir ordonné son maintien en détention, en raison de l’existence de forts soupçons, sans préciser quelle infraction lui était reprochée et quelles dispositions du CPP étaient applicables. En outre, il reproche aux juges ayant ordonné son maintien en détention provisoire de ne pas avoir dûment examiné le bien-fondé de sa détention, de ne pas avoir recherché les circonstances susceptibles de militer en faveur de sa libération et de lui avoir imputé la charge de la preuve. Par ailleurs, il reproche à la cour d’assises de ne pas avoir envisagé la mise en place de mesures alternatives à la détention.

35. Le Gouvernement affirme que la durée de la détention provisoire subie par le requérant est raisonnable au vu de la complexité et de l’étendue de l’affaire, du nombre d’accusés, de la nature des infractions reprochées et de la jurisprudence de la Cour. A cet égard, il indique que la Cour a déjà considéré, dans le cadre de la lutte contre la criminalité organisée, comme étant raisonnables des durées de détention provisoire supérieures à trois ans, et il cite les arrêts Wemhoff c. Allemagne (27 juin 1968, série A no 7), W. c. Suisse (26 janvier 1993, série A no 254‑A), Van der Tang c. Espagne (13 juillet 1995, série A no 321), Pantano c. Italie (no 60851/00, 6 novembre 2003) et Contrada c. Italie (24 août 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998‑V). Il ajoute que, dans l’affaire Chraidi c. Allemagne (no 65655/01, CEDH 2006‑XII), la Cour a conclu qu’une durée de détention supérieure à cinq ans était raisonnable au sens de l’article 5 § 3 de la Convention.

36. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

37. La Cour note que la période à considérer a débuté le 16 octobre 2006, avec l’arrestation du requérant, et s’est achevée le 17 octobre 2011, avec la remise en liberté de l’intéressé (paragraphes 7 et 18 ci-dessus). La détention provisoire en question a donc duré cinq ans.

38. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une détention provisoire ne se prête pas à une évaluation abstraite. La légitimité du maintien en détention d’un accusé doit s’apprécier dans chaque cas d’après les faits et particularités de la cause. La poursuite de l’incarcération ne se justifie dans un cas donné que si des indices concrets révèlent une véritable exigence d’intérêt public prévalant, nonobstant la présomption d’innocence, sur la règle du respect de la liberté individuelle fixée à l’article 5 de la Convention.

39. L’existence et la persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention. Toutefois, au bout d’un certain temps, cette condition ne suffit plus. La Cour doit dans ce cas établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté. Dès lors que ceux-ci se révèlent « pertinents » et « suffisants », elle doit également rechercher si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (Labita c. Italie [GC], no 26772/95, §§ 152‑153, CEDH 2000‑IV).

40. Il incombe en premier lieu aux autorités judiciaires nationales de veiller à ce que, dans une affaire donnée, la détention provisoire subie par un accusé n’excède pas une durée raisonnable. A cette fin, il leur faut, en tenant dûment compte du principe de la présomption d’innocence, examiner toutes les circonstances de nature à faire admettre ou écarter l’existence d’une exigence d’intérêt public justifiant une dérogation à la règle fixée à l’article 5 de la Convention et en rendre compte dans leurs décisions relatives aux demandes d’élargissement. C’est essentiellement sur la base des motifs figurant dans lesdites décisions et des faits non contestés indiqués par l’intéressé dans ses moyens que la Cour doit déterminer s’il y a eu ou non violation de l’article 5 § 3 de la Convention (voir, par exemple, McKay c. Royaume-Uni [GC], no 543/03, § 43, CEDH 2006‑X, ou plus récemment Idalov c. Russie [GC], no 5826/03, §§ 139-141, 22 mai 2012).

41. En l’espèce, il ressort des éléments du dossier que la cour d’assises a prononcé de manière systématique, au terme de chaque audience, le maintien en détention du requérant en se fondant sur une formule toujours identique – voire stéréotypée –, à savoir « le contenu du dossier et la persistance de forts soupçons quant à la commission de l’infraction reprochée », lesquels motifs concernaient l’ensemble des accusés. Les risques de fuite et d’altération des preuves n’ont été évoqués que dans la décision initiale de placement en détention provisoire et n’ont pas été repris par la cour d’assises par la suite. La Cour considère ainsi que l’existence et la persistance de forts soupçons quant à la commission de l’infraction reprochée au requérant ne sauraient suffire à justifier, à elles seules, une durée de détention aussi longue.

42. De plus, il ressort des motifs relatifs à la détention provisoire du requérant que la cour d’assises ne semble avoir ni examiné le bien-fondé de cette mesure ni recherché s’il y avait une exigence d’intérêt public prévalant, nonobstant la présomption d’innocence, sur la règle du respect de la liberté individuelle fixée à l’article 5 de la Convention. La cour d’assises a ordonné la libération du requérant uniquement parce que la durée de la détention provisoire subie par lui avait atteint le maximum fixé par le CPP.

43. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que les motifs avancés par la cour d’assises pour ordonner le maintien en détention provisoire du requérant pendant une si longue période n’était pas suffisants.

44. Il y a eu donc violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

C. Article 5 § 4 de la Convention

45. Le requérant se plaint de l’absence d’audiences lors de l’examen, effectué sur la seule base du dossier, de ses recours en opposition.

46. La Cour relève que la cour d’assises a décidé, à l’issue des audiences du 28 décembre 2010 et du 19 avril 2011, de maintenir le requérant en détention provisoire. Les recours en opposition formés par celui-ci contre ces décisions ont été examinés par la 14e cour d’assises, sur dossier, et rejetés successivement le 3 février 2011 et le 23 mai 2011. Lors des prononcés des décisions en question par la cour d’assises, les précédentes comparutions du requérant devant un juge remontaient respectivement à un mois et six jours et à un mois et quatre jours.

47. Bien que ces délais soient légèrement plus longs que ceux observés dans le cadre d’affaires précédemment examinées par elle (voir, parmi d’autres, Çatal c. Turquie, no 26808/08, § 41, 17 avril 2012 – délai de vingt‑neuf jours –, et Koçhan c Turquie (déc.), no 3512/11, § 26, 11 septembre 2012 – délai de trois semaines –), la Cour ne voit pas de raison de parvenir à une conclusion différente en l’espèce. Elle relève en effet que les décisions de maintien en détention, objet des recours en opposition, ont été rendues au stade du procès, phase au cours de laquelle l’intéressé a comparu à intervalles réguliers devant les juges appelés à se prononcer sur le fond de l’affaire. Elle note que le requérant était présent lors des audiences au cours desquelles la cour d’assises s’est prononcée, en tant que juridiction du premier degré, sur ses demandes d’élargissement, et qu’il a eu la possibilité de contester de manière appropriée les éléments de preuve ayant justifié son maintien en détention provisoire (voir, en ce sens, Altınok c. Turquie (no 31610/08, §§ 54, 29 novembre 2011). En outre, il n’est pas allégué ou établi que la situation du requérant présentait une particularité qui aurait rendu nécessaire la tenue d’audiences lors de l’examen de ses recours en opposition.

48. Aussi, au vu des circonstances de l’espèce, la Cour considère que la tenue d’audiences ne s’imposait pas lors de l’examen des recours en opposition auquel la cour d’assises a procédé les 3 février et 23 mai 2011. Il convient de préciser que l’absence d’audiences n’a pas en soi porté atteinte au respect du principe de l’égalité des armes dans la mesure où aucune des parties n’a participé oralement aux procédures relatives à ces recours.

49. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

50. Invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant se plaint de modifications intervenues dans la composition de la cour d’assises et il allègue que le procureur de la République n’a pas quitté la salle d’audience en même temps que les prévenus et le public au terme des audiences.

51. La Cour note que la procédure pénale engagée contre le requérant est toujours pendante devant la juridiction de première instance. Or elle estime nécessaire de prendre en considération l’ensemble de la procédure pénale afin de statuer sur sa conformité aux prescriptions de l’article 6 de la Convention. Il s’ensuit que, au stade actuel de la procédure devant les juridictions internes, la présentation de ce grief apparaît prématurée. Le requérant ne saurait donc, en l’état, se plaindre d’une violation de la Convention sur ce point. Le cas échéant, il lui sera loisible de saisir à nouveau la Cour si, à l’issue de la procédure pénale engagée contre lui, il estime toujours être victime des violations alléguées. Partant, ce grief est prématuré et doit donc être rejeté, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

IV. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

52. Le requérant soutient que les écoutes téléphoniques le concernant ont été réalisées en méconnaissance du droit interne et de l’article 8 de la Convention.

De plus, invoquant l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, il se plaint de la saisie de son véhicule et du paiement de frais de gardiennage auquel il a été contraint.

53. Le Cour note que le requérant n’étaye pas ces griefs. Compte tenu de l’ensemble des éléments dont elle dispose, elle ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée, en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

54. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommages

55. Le requérant réclame, au titre des préjudices matériel et moral qu’il dit avoir subis, respectivement 27 000 euros (EUR) et 123 000 EUR.

56. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

57. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande.

En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 5 000 EUR pour dommage moral.

B. Frais et dépens

58. Le requérant n’a présenté aucune demande de frais et dépens. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.

C. Intérêts moratoires

59. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de la durée de la détention provisoire subie par le requérant et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;

3. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 5 000 EUR (cinq mille euros), à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 29 octobre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stanley NaismithGuido Raimondi
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-127396
Date de la décision : 29/10/2013
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-3 - Durée de la détention provisoire)

Parties
Demandeurs : ÖNER AKTAŞ
Défendeurs : TURQUIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : TURKDOGRU S.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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