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29/10/2013 | CEDH | N°001-127389

CEDH | CEDH, AFFAIRE HOGEA c. ROUMANIE, 2013, 001-127389


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE HOGEA c. ROUMANIE

(Requête no 31912/04)

ARRÊT

STRASBOURG

29 octobre 2013

DÉFINITIF

29/01/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Hogea c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Corneliu Bîrsan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra, >Kristina Pardalos,
Valeriu Griţco, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 octobre 2013,

...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE HOGEA c. ROUMANIE

(Requête no 31912/04)

ARRÊT

STRASBOURG

29 octobre 2013

DÉFINITIF

29/01/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Hogea c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Corneliu Bîrsan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,
Kristina Pardalos,
Valeriu Griţco, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 octobre 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 31912/04) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Petrică Hogea (« le requérant »), a saisi la Cour le 21 mai 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me S. Rădulețu, avocat à Craiova. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme I. Cambrea, du ministère des Affaire étrangères.

3. Le requérant alléguait la violation de son droit à un procès équitable en ce que, après avoir été acquitté respectivement en première instance et en appel, il avait été condamné au pénal par un arrêt du 26 février 2004 de la cour d’appel d’Alba-Iulia, sans une nouvelle administration directe des preuves et sans qu’il soit entendu en personne.

4. Le 23 juin 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1969 et réside à Râșnov.

A. La genèse de l’affaire

6. Le 30 mai 2000, dans le cadre du processus de privatisation de la société commerciale ECTRANSPORT S.A. (« la société E. »), l’Autorité pour la privatisation et l’administration de participations de l’État (« l’APAPS ») organisa une enchère publique avec une adjudication à la baisse.

7. Trois personnes juridiques furent admises à participer aux enchères, à savoir la société EREBIA S.R.L. représentée par le requérant, la société commerciale « Maftei Construct » représentée par M.M. et l’association des employés et des retraités de la société E., (« le PAS »), représentée par les représentants syndicaux P.C., S.S. et T.I. Au préalable, le requérant prêta au PAS une partie de la somme nécessaire à ce dernier pour verser la caution prévue par la loi pour assurer sa participation à l’enchère.

8. Le requérant initia des rencontres et des négociations séparées avec M.M., P.C. et S.S. À la suite de leurs discussions, une convention fut élaborée selon laquelle, quel que soit le participant qui remporterait les enchères, un pourcentage de 7,5 % des actions serait cédé au PAS et l’usage d’une partie de l’actif de la société E. reviendrait à la société gérée par M.M.

9. Le 30 mai 2000, avant le début des enchères, le requérant, P.C. et T.I. signèrent cette convention. M.M. signa la convention ultérieurement, en l’absence du requérant, et il y ajouta une clause finale, selon laquelle « il fut convenu de commun accord que M.M. ne participera plus aux enchères ».

10. P.C., T.I., S.S. et le requérant furent présents dans la salle lors des enchères. Étant donné qu’aucun des participants n’offrit le prix de départ demandé, la commission des enchères baissa successivement le prix. Lorsque le prix atteignit le niveau minimum permis par la loi, à savoir la moitié du prix de départ, le requérant fit une offre et remporta les enchères.

B. La procédure pénale contre le requérant

11. À une date non précisée, le parquet près la cour d’appel de Braşov entama des poursuites pénales contre le requérant du chef, parmi d’autres, de tromperie, infraction prévue par l’article 215 alinéas 1 et 3 du code pénal. Le requérant était soupçonné d’avoir, lors de l’enchère publique du 30 mai 2000, conclu des ententes frauduleuses avec les autres participants à l’enchère afin d’acquérir la société E. au prix le plus bas possible.

12. Le parquet entendit des témoins. Une confrontation eut lieu entre le requérant et M.M. afin de déterminer les circonstances dans lesquelles ce dernier avait ajouté la clause finale à la convention (paragraphe 9 ci-dessus). Il ressort du procès-verbal dressé à cette occasion que M.M. déclara avoir noté la clause finale en présence des témoins V.M., T.M. et P.E., après que le requérant ait signé le document.

13. Par un réquisitoire du 28 août 2001, le parquet renvoya le requérant en jugement devant le tribunal de première instance de Braşov du chef de tromperie.

1. L’acquittement du requérant par les juridictions de première instance et d’appel

14. Sur demande du requérant, l’affaire fut transférée devant le tribunal de première instance d’Alba-Iulia. L’APAPS et le ministère des Finances se constituèrent parties civiles dans la procédure.

15. Le tribunal de première instance entendit le requérant qui nia les faits reprochés.

16. Interrogés par le tribunal, T.I., P.C. et S.S. déclarèrent qu’ils avaient participé à l’enchère avec l’intention de l’emporter, que la convention conclue entre les participants ne visait pas à contourner les dispositions légales et qu’ils n’avaient pas eu l’intention de « truquer » la vente. Ils voulaient surtout accroître le rôle du PAS dans la gestion de la société, quelle que soit l’issue de l’enchère.

17. M.M. déclara devant le tribunal qu’il avait introduit la clause finale dans le texte de la convention avec l’accord des autres participants aux enchères.

18. Deux expertises furent réalisées afin d’établir la valeur de l’éventuel préjudice subi par l’État. Ces expertises établirent qu’il y avait une différence entre le prix escompté et celui effectivement obtenu dans le processus de privatisation, sans que cette différence constitue un préjudice.

19. Les débats eurent lieu le 20 janvier 2003. Par un jugement du 27 janvier 2003, le tribunal de première instance prononça l’acquittement du requérant du chef de tromperie, au motif que, d’après les preuves existant au dossier, les éléments matériel et intentionnel du délit n’étaient pas prouvés, et rejeta les prétentions des parties civiles. Il jugea que pour prouver l’existence d’une tromperie de l’État il fallait prouver l’entente frauduleuse des participants aux enchères dans le but de contourner les dispositions légales applicables. Or, d’après le réquisitoire, M.M., S.S. et T.I. n’avaient pas aidé le requérant à obtenir le plus bas prix possible, de sorte que la réalité de l’infraction n’était pas établie. Il nota également que les deux expertises réalisées avaient noté que la vente aux enchères avait été menée dans le respect des dispositions légales et jugea que la convention conclue entre les participants ne laissait pas entrevoir l’intention des signataires de diminuer le prix de vente. Le tribunal s’appuya sur les déclarations des témoins T.I., P.C., S.S. et celle de M.M. faites lors de sa confrontation avec le requérant (paragraphe 12 ci-dessus), sur les documents écrits et sur les rapports d’expertise réalisés en l’espèce.

20. L’APAPS et le parquet près le tribunal d’Alba (« le parquet ») interjetèrent appel. Par un arrêt du 22 septembre 2003, le tribunal départemental d’Alba rejeta leurs appels et confirma le bien-fondé du jugement rendu en première instance.

2. La condamnation du requérant par la juridiction de recours

21. Le parquet et l’APAPS formèrent des recours.

22. Les débats eurent lieu le 12 février 2004. Les plaidoiries de l’avocat du requérant et du procureur furent entendues. Le parquet soutint qu’il ressortait des preuves du dossier que le requérant, par des manœuvres frauduleuses, s’était assuré à l’avance de la possibilité d’emporter les enchères publiques du 30 mai 2000 au prix le plus bas possible. L’avocat du requérant sollicita le rejet des recours et la confirmation des décisions rendues dans l’affaire. Il renvoya également aux conclusions écrites qu’il avait versées au dossier.

23. Le requérant, bien que présent à l’audience, ne fut pas entendu en personne par les juges. Aucun moyen de preuve ne fut administré. Le requérant, ayant la parole en dernier, déclara être innocent et acquiesça aux conclusions de son avocat.

24. Par un arrêt définitif du 26 février 2004, la cour d’appel d’Alba-Iulia cassa les décisions rendues par les juridictions inférieures quant au chef d’accusation de tromperie. Se fondant sur l’article 38515 § 2 lettre d) du code de procédure pénale (« CPP »), après avoir examiné les preuves existant au dossier, la cour d’appel condamna le requérant du chef de tromperie à trois ans de prison ferme. Elle jugea que lors de la mise aux enchères de la société E., en utilisant des manœuvres frauduleuses, le requérant avait trompé l’APAPS afin de pouvoir acquérir le capital de la société E. à un prix très bas par rapport au prix initial. Elle nota à cet égard que le requérant avait déterminé le PAS et M.M. à ne pas surenchérir lors de la vente. De même, il s’était assuré de leur participation aux enchères pour qu’il ne soit pas l’unique enchérisseur, cas dans lequel le prix de départ ne pouvait pas être légalement diminué. Le requérant avait prêté de l’argent au PAS afin de s’assurer de sa participation aux enchères et il lui avait promis d’investir dans la société. Il avait promis au témoin M.M. de lui transmettre l’usage d’une partie de l’actif de la société E., après avoir remporté l’enchère. La cour d’appel estima enfin que le préjudice de l’APAPS résultait de la différence entre le prix de départ et le prix d’adjudication et condamna le requérant au paiement de 1 765 613 500 ROL au titre du dommage matériel en faveur de l’APAPS.

25. Un mandat d’arrêt en vue de l’exécution de la peine fut émis au nom du requérant mais ne fut pas mis à exécution, le requérant s’étant soustrait à l’exécution de la peine.

3. La réouverture de la procédure à la suite d’une contestation en annulation

26. Le 12 septembre 2006, sur le fondement du nouvel article 386 e) du CPP, le requérant forma une contestation en annulation contre l’arrêt du 26 février 2004 de la cour d’appel d’Alba-Iulia. Il faisait valoir que la juridiction de recours l’avait condamné sans qu’il soit entendu en personne et sans qu’elle vérifie directement (nemijlocit) ses moyens de défense concernant le fond.

27. Par un arrêt du 24 octobre 2006, la cour d’appel d’Alba-Iulia fit droit en principe à la demande de contestation en annulation et ajourna l’affaire. Elle ordonna le sursis à exécution de la peine fixée par l’arrêt du 26 février 2004.

28. Par un arrêt définitif du 30 janvier 2007, la cour d’appel d’Alba-Iulia accueillit la contestation du requérant, annula l’arrêt du 26 février 2004 et ordonna le réexamen du recours. Pour ce faire, la cour d’appel nota que le requérant n’avait pas été entendu en personne, comme l’exigeait le nouvel article 38516 du CPP ainsi que la jurisprudence Constantinescu c. Roumanie (no 28871/95, CEDH 2000‑VIII) de la Cour.

29. L’affaire fut reportée à plusieurs reprises sur demande de l’avocat du requérant qui était dans l’impossibilité de se présenter devant la cour ou en raison de l’absence du requérant à l’audience.

30. Le 5 février 2008, le requérant comparut devant la cour d’appel qui l’entendit en audience publique. L’avocat du requérant et le représentant du parquet présentèrent leurs conclusions. Aucun témoin ne fut entendu par la cour d’appel.

31. La cour d’appel mit l’affaire en délibéré et ajourna le prononcé en raison de sa complexité.

32. Par un arrêt définitif du 14 février 2008, se fondant sur l’article 38515 § 2 lettre d) du CPP, la cour d’appel fit droit au recours du parquet, cassa partiellement les décisions rendues en première instance et appel, et, en jugeant à nouveau l’affaire, condamna le requérant du chef de tromperie à une peine de trois ans de prison avec sursis. Elle indiqua qu’il ressortait des preuves existant dans le dossier que le requérant, par des manœuvres frauduleuses, s’était assuré de la participation à la vente aux enchères du PAS et de M.M. qu’il avait déterminés à ne pas surenchérir afin de ne pas dépasser le prix que l’intéressé voulait offrir.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

33. Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale en vigueur à l’époque des faits ainsi que les modifications apportées par la loi no 356/2006 et entrées en vigueur le 7 septembre 2006, sont décrites dans l’affaire Flueraş c. Roumanie, (no 17520/04, §§ 30-31, 9 avril 2013).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

34. Le requérant allègue qu’il n’a pas bénéficié d’un procès équitable en l’espèce, ayant été condamné par la juridiction de recours, sans être entendu et sans administration directe des preuves alors qu’il avait été acquitté par les tribunaux inférieurs sur le fondement des mêmes éléments. Il invoque l’article 6 de la Convention.

35. La Cour estime que les allégations du requérant doivent être examinées sous l’angle du seul article 6 § 1 de la Convention (Sigurþór Arnarsson c. Islande, no 44671/98, § 29 in fine, 15 juillet 2003, et Găitănaru c. Roumanie, no 26082/05, § 19, 26 juin 2012), dont la partie pertinente est ainsi libellée :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

A. Sur la recevabilité

36. Le Gouvernement soutient que le requérant a perdu la qualité de victime en raison de la réouverture de la procédure pénale en janvier 2007. Dans le cadre de ce nouveau jugement, l’intéressé aurait bénéficié de toutes les garanties procédurales prévues par l’article 6 § 1 de la Convention.

37. Le requérant s’oppose à cette thèse. S’il admet qu’il a été entendu par la juridiction de recours après la réouverture de la procédure, il s’estime toujours victime en raison de ce que cette juridiction, le condamnant pour la première fois, n’a pas examiné directement les preuves.

38. La Cour considère que cette exception est étroitement liée au fond du grief présenté par le requérant sur le terrain de l’article 6 de la Convention puisque l’appréciation de la qualité de victime tient dans une large mesure à la qualification juridique de la deuxième procédure comme procédure distincte ou bien comme partie de la même action pénale (voir, en ce sens, Sakhnovski c. Russie [GC], no 21272/03, §§ 40 et suiv., 2 novembre 2010, et Flueraş, précité, § 36). Dès lors, il convient de la joindre au fond de l’affaire.

39. La Cour constate en outre que le grief du requérant n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Le Gouvernement

40. Le Gouvernement soutient principalement que l’annulation de l’arrêt de condamnation du 26 février 2004 en raison du défaut de la juridiction de recours d’avoir entendu l’intéressé et la tenue même d’un nouveau procès constituent en elles-mêmes une reconnaissance expresse de la violation alléguée par le requérant et un redressement suffisant pour cette violation. A l’appui de cette thèse, il souligne que la présente affaire diffère de l’affaire Constantinescu, précitée, dans laquelle les tribunaux n’avaient reconnu ni expressément ni en substance la violation alléguée par le requérant. Il met en exergue en outre le fait que le requérant n’a jamais été incarcéré, puisque le mandat d’arrêt émis à son nom n’a pas pu être mis à exécution. Il souligne que le requérant a bénéficié d’un procès équitable dans la procédure qui a pris fin avec l’arrêt de la cour d’appel d’Alba-Iulia du 14 février 2008, compte tenu de ce qu’il était présent aux débats et qu’il a été interrogé par la juridiction de recours. Le Gouvernement souligne que le requérant a omis de demander dans la nouvelle procédure l’administration de nouvelles preuves ou la réadministration des preuves produites dans le premier recours jugé. Il demande également à la Cour de mettre en balance lors de l’examen du bien-fondé de la présente affaire, l’omission du requérant d’informer la Cour de ce qu’il a formé la contestation en annulation avec succès.

b) Le requérant

41. Le requérant estime que la réouverture de la procédure n’a pas permis de remédier à la violation alléguée. Il considère que l’arrêt du 30 janvier 2007 ne représente ni une reconnaissance explicite ou en substance de la violation de ses droits, ni une réparation pour la violation dénoncée. À cet égard, il fait valoir que l’arrêt précité fait référence au droit du requérant d’être entendu en personne par la juridiction de recours, sans toutefois mentionner son droit de ne pas être condamné pour la première fois par la juridiction de recours sans administration directe des preuves. Il indique que, dans la mesure où il avait été acquitté par les juridictions inférieures, il appartenait au parquet de demander, ou à la cour d’appel de procéder d’office à la réadministration des preuves en cas de condamnation, d’autant plus qu’elle en avait la possibilité dans la mesure où elle agissait comme une juridiction de fond avec une plénitude de compétence.

42. Le requérant note également qu’en droit interne il n’a reçu aucun dédommagement pour sa condamnation illégale par l’arrêt du 26 février 2004 et que l’arrêt du 30 janvier 2007 ne peut pas constituer une réparation adéquate de son préjudice.

2. Appréciation de la Cour

a) Sur la qualité de victime suite à la réouverture de la procédure

43. La Cour rappelle d’emblée que le système européen de protection des droits de l’homme se fonde sur le principe de subsidiarité. Les États doivent avoir la possibilité de redresser des violations passées avant qu’elle‑même n’examine le grief. Toutefois, « le principe de subsidiarité ne signifie pas qu’il faille renoncer à tout contrôle sur le résultat obtenu du fait de l’utilisation de la voie de recours interne » (Giuseppe Mostacciuolo c. Italie (no 2) [GC], no 65102/01, § 81, 29 mars 2006). En outre, il ne faut pas donner au principe de subsidiarité une interprétation qui permette aux États de se soustraire à la juridiction de la Cour.

44. La réouverture de la procédure ne peut en soi automatiquement passer pour un redressement suffisant de nature à ôter au requérant la qualité de victime. Pour déterminer si le requérant conserve ou non cette qualité, la Cour envisage la procédure dans son ensemble, y compris celle qui a suivi la réouverture. Cette approche permet de ménager un équilibre entre le principe de subsidiarité et l’effectivité du mécanisme de la Convention. D’une part, l’État peut rouvrir et réexaminer des affaires pénales pour redresser des violations passées de l’article 6 de la Convention. D’autre part, la nouvelle procédure doit être conduite avec célérité et dans le respect des garanties de l’article 6 de la Convention. Grâce à cette approche, la procédure après la réouverture ne saurait se soustraire au contrôle de la Cour et l’effectivité du droit de recours individuel est ainsi préservée (Sakhnovski, précité, § 83). En l’espèce, le requérant peut donc toujours se prétendre victime au sens de l’article 34 de la Convention. En conséquence, la Cour rejette l’exception préliminaire soulevée par le Gouvernement (Flueraş, précité, §§ 46-49).

45. La Cour doit maintenant déterminer si la procédure qui s’est déroulée après la réouverture se conciliait avec les exigences d’équité au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

b) Sur le point de savoir si le requérant a bénéficié d’un procès équitable

46. La Cour rappelle que les modalités d’application de l’article 6 de la Convention aux procédures d’appel dépendent des caractéristiques de la procédure dont il s’agit ; il convient de tenir compte de l’ensemble de la procédure interne et du rôle dévolu à la juridiction d’appel dans l’ordre juridique national. Lorsqu’une audience publique a eu lieu en première instance, l’absence de débats publics en appel peut se justifier par les particularités de la procédure en question, eu égard à la nature du système d’appel interne, à l’étendue des pouvoirs de la juridiction d’appel, à la manière dont les intérêts du requérant ont réellement été exposés et protégés devant elle, et notamment à la nature des questions qu’elle avait à trancher (Botten c. Norvège, 19 février 1996, § 39, Recueil des arrêts et décisions 1996-I).

47. En outre, la Cour a déclaré que lorsqu’une instance d’appel est amenée à connaître d’une affaire en fait et en droit et à étudier dans son ensemble la question de la culpabilité ou de l’innocence, elle ne peut, pour des motifs d’équité du procès, décider de ces questions sans appréciation directe des témoignages présentés en personne par l’accusé qui soutient qu’il n’a pas commis l’acte tenu pour une infraction pénale (voir, Ekbatani c. Suède, arrêt du 26 mai 1988, série A no 134, § 32, Constantinescu, précité, § 55, et, mutatis mutandis, Igual Coll c. Espagne, no 37496/04, § 36, 10 mars 2009, et Almenara Alvarez c. Espagne, no 16096/08, § 42, 25 octobre 2011).

48. La Cour rappelle également que la recevabilité des preuves relève au premier chef des règles du droit interne, que c’est en principe aux juridictions nationales qu’il revient d’apprécier les éléments recueillis par elles, et que la mission confiée à la Cour par la Convention consiste à rechercher si la procédure considérée dans son ensemble, y compris le mode de présentation des moyens de preuve, a revêtu un caractère équitable (García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999-I). Ainsi, s’« il incombe en principe au juge national de décider de la nécessité ou opportunité de citer un témoin (...), des circonstances exceptionnelles pourraient conduire la Cour à conclure à l’incompatibilité avec l’article 6 de la non-audition d’une personne comme témoin » (Bricmont c. Belgique, 7 juillet 1989, § 89, série A no 158).

49. Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour observe tout d’abord qu’après la réouverture de la procédure en 2007, le requérant a été entendu par la cour d’appel d’Alba-Iulia. En revanche, le requérant a été condamné par la cour d’appel sans que les témoins fussent de nouveau entendus. Dès lors, afin de déterminer s’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention, il échet d’examiner le rôle de la cour d’appel d’Alba-Iulia et la nature des questions dont elle avait à connaître.

50. La Cour observe qu’en l’espèce l’étendue des pouvoirs de la juridiction de recours est définie dans les articles 38515 et 38516 du CPP. Conformément à l’article 38515, la cour d’appel, en tant qu’instance de recours, n’était pas tenue de rendre un nouveau jugement sur le fond, mais elle en avait la possibilité. Le 14 février 2008, la cour d’appel a accueilli le pourvoi en recours du parquet, a cassé le jugement du tribunal de première instance du 27 janvier 2003 et l’arrêt du 22 septembre 2003 du tribunal départemental, et a rendu un nouvel arrêt sur le fond.

51. Selon les dispositions légales précitées, il en résulte que la procédure devant la juridiction de recours était une procédure complète qui suivait les mêmes règles qu’une procédure au fond, la cour d’appel étant amenée à connaître tant des faits de la cause que du droit. La juridiction de recours pouvait décider, soit de confirmer l’acquittement du requérant, soit de le déclarer coupable, après s’être livrée à une appréciation complète de la question de la culpabilité ou de l’innocence de l’intéressé, en administrant le cas échéant des moyens de preuve. En outre, les aspects que la cour d’appel a dû analyser afin de se prononcer sur la culpabilité du requérant avaient un caractère essentiellement factuel. Il s’agissait d’apprécier si le requérant avait déterminé les autres participants à la vente aux enchères à collaborer afin de réduire ensemble le prix de vente au détriment de l’État (voir aussi, mutatis mutandis, Dănilă c. Roumanie, no 53897/00, § 39, 8 mars 2007, et Găitănaru, précité, § 30).

52. La Cour note que l’acquittement initial du requérant par les tribunaux de première instance d’Alba-Iulia, confirmé en appel par le tribunal départemental d’Alba, avait eu lieu après l’audition de plusieurs témoins (paragraphes 16 et 17 ci-dessus). Ces tribunaux avaient considéré que les témoignages et les documents existant au dossier n’étaient pas suffisants pour établir la culpabilité du requérant. Afin de rendre leurs décisions, ils avaient tenu compte principalement des déclarations de P.C., T.I. et S.S. ainsi que des déclarations notées lors de la confrontation entre M.M. et l’intéressé. Pour condamner le requérant, les juges de recours ne disposaient d’aucune donnée nouvelle et se sont fondés exclusivement sur les pièces du dossier. C’est donc sur la seule base des dépositions écrites recueillies par le parquet et des notes d’audience du tribunal de première instance relatant les déclarations des témoins que la cour d’appel d’Alba-Iulia a fondé son verdict de culpabilité. Elle a ainsi pris le contre-pied des jugements des tribunaux inférieurs, qui avaient relaxé le requérant sur la base, notamment, des dépositions de ces témoins faites lors des audiences tenues devant eux. S’il appartient à la juridiction de recours d’apprécier les diverses données recueillies, de même que la pertinence de celles dont le requérant souhaitait la production, il n’en demeure pas moins que le requérant a été reconnu coupable sur la base des mêmes témoignages qui avaient amené les premiers juges à l’acquitter. Dans ces conditions, l’omission de la cour d’appel d’Alba-Iulia d’entendre ces témoins, avant de déclarer coupable l’intéressé, a sensiblement réduit les droits de la défense (Destrehem c. France, no 56651/00, § 45, 18 mai 2004, Găitănaru, précité, § 32, et Flueraş, précité, §§ 58-59).

53. Enfin, pour autant que le Gouvernement souligne le fait que le requérant n’a pas demandé à la cour d’appel la réadministration des preuves, la Cour estime que la juridiction de recours était tenue de prendre d’office des mesures positives à cette fin, même si le requérant ne l’avait pas sollicitée expressément en ce sens (voir, mutatis mutandis, Botten, précité, § 53, et Dănilă, précité, § 41). De même, la Cour considère que dans les circonstances de l’espèce, le fait pour le requérant de ne pas l’informer rapidement de la réouverture de la procédure ne prouve pas son intention d’induire la Cour en erreur afin de l’empêcher de se prononcer sur l’affaire en pleine connaissance de cause (voir, a contrario, Predescu c. Roumanie, no 21447/03, §§ 25-27, 2 décembre 2008).

54. La Cour estime que la condamnation du requérant prononcée en l’absence d’une audition des témoins, alors qu’il avait été acquitté par les deux juridictions inférieures, est contraire aux exigences d’un procès équitable. Partant, il y a eu en l’espèce violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

55. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

56. Le requérant réclame « la somme forfaitaire » de 1 000 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel et moral qu’il aurait subi, représentant « les souffrances physiques et mentales » provoquées par sa condamnation à trois ans de prison ferme et par « l’attitude des autorités internes qui n’ont pas reconnu expressément ou en substance les violations de ses droits et de ne pas les réparer. »

57. Le Gouvernement relève que le requérant a omis de chiffrer et de justifier ses demandes de satisfaction équitable. Il estime ensuite qu’il n’y a aucun lien de causalité entre le préjudice matériel invoqué et l’éventuelle violation de la Convention et considère qu’un éventuel constat de violation de la Convention pourrait constituer en soi une satisfaction équitable suffisante. Il ajoute enfin que la somme sollicitée est excessive par rapport à la jurisprudence de la Cour en la matière.

58. La Cour relève que le seul fondement à retenir, pour l’octroi d’une satisfaction équitable, réside en l’espèce dans le fait que le requérant n’a pas bénéficié d’un procès équitable devant la cour d’appel d’Alba-Iulia. Pour ce qui est de la demande faite au titre du préjudice matériel, la Cour note que celle-ci n’a été ni clairement chiffrée ni justifiée. Dès lors, aucune somme ne serait accordée à ce titre.

59. La Cour ne saurait certes spéculer sur ce qu’eût été l’issue du procès dans le cas où les garanties de l’article 6 de la Convention auraient été respectées, mais n’estime pas déraisonnable de penser que l’intéressé a subi une perte de chance réelle dans ledit procès (Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 80, CEDH 1999-II). Dès lors, statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle alloue au requérant la somme de 3 000 EUR au titre du préjudice moral.

60. En outre, la Cour rappelle que lorsqu’un particulier, comme en l’espèce, a été condamné à l’issue d’une procédure entachée de manquements aux exigences de l’article 6 de la Convention, un nouveau procès ou une réouverture de la procédure à la demande de l’intéressé représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée (Gençel c. Turquie, no 53431/99, § 27, 23 octobre 2003, et Tahir Duran c. Turquie, no 40997/98, § 23, 29 janvier 2004). À cet égard, elle note que l’article 4081 du CPP roumain permet la révision d’un procès sur le plan interne lorsque la Cour a constaté la violation des droits et libertés fondamentaux d’un requérant (voir, aussi, Mircea c. Roumanie, no 41250/02, § 98, 29 mars 2007, et Găitănaru, précité, § 44).

B. Frais et dépens

61. Le requérant ne demande pas le remboursement des frais et dépens.

C. Intérêts moratoires

62. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Joint au fond l’exception préliminaire du Gouvernement concernant la qualité de victime du requérant et la rejette ;

2. Déclare la requête recevable ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État, au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 29 octobre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-127389
Date de la décision : 29/10/2013
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale;Article 6-1 - Procès équitable)

Parties
Demandeurs : HOGEA
Défendeurs : ROUMANIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : RADULETU S.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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