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29/10/2013 | CEDH | N°001-127386

CEDH | CEDH, AFFAIRE ANDERCO c. ROUMANIE, 2013, 001-127386


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE ANDERCO c. ROUMANIE

(Requête no 3910/04)

ARRÊT

STRASBOURG

29 octobre 2013

DÉFINITIF

29/01/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Anderco c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Corneliu Bîrsan,
Luis López Guerra,
Nona Tsotsoria,


Johannes Silvis,
Valeriu Griţco, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 octobre 20...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE ANDERCO c. ROUMANIE

(Requête no 3910/04)

ARRÊT

STRASBOURG

29 octobre 2013

DÉFINITIF

29/01/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Anderco c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Corneliu Bîrsan,
Luis López Guerra,
Nona Tsotsoria,
Johannes Silvis,
Valeriu Griţco, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 octobre 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 3910/04) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Horea Ştefan Sergiu Anderco (« le requérant »), a saisi la Cour le 24 décembre 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me D. M. Şuta, avocat à Satu Mare. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme I. Cambrea, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant allègue en particulier une atteinte à sa liberté en raison de la durée de sa détention provisoire et de la façon dont les tribunaux ont examiné ses objections (contestaţii) à la prolongation de cette mesure.

4. Le 27 janvier 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1956 et réside à Satu Mare. À l’époque des faits il était le maire de la ville de Satu Mare.

6. Le 8 novembre 2002, le procureur du parquet national anticorruption (« le procureur ») ouvrit des poursuites pénales contre le requérant pour des faits de corruption passive. Ces poursuites furent ultérieurement étendues à d’autres faits similaires et à d’autres personnes soupçonnées d’avoir participé à ces actes.

7. À une date non précisée, après l’ouverture de l’enquête, il présenta sa démission en tant que maire.

A. Placement du requérant en détention provisoire

8. Par une ordonnance du 9 avril 2003, le procureur plaça le requérant en détention provisoire pour une durée de trente jours, sous l’accusation de corruption passive et d’abus de fonction. Se fondant sur l’article 148 h) du code de procédure pénale (« le CPP ») le procureur indiqua que la peine prévue par la loi pour les infractions dont le requérant était accusé était de plus de deux ans d’emprisonnement et que son maintien en liberté constituait un danger pour l’ordre public.

9. Le 16 avril 2003, le requérant fit une objection contre cette ordonnance, conformément à l’article 1401 du CPP, en faisant valoir que le procureur n’avait pas établi de quelle manière il représentait un danger pour l’ordre public. Il se plaignit également, en vertu de l’article 150 § 1 du même code, de ce que son avocat n’avait pas été convoqué par le procureur à toutes les auditions des témoins.

10. Sa plainte fut rejetée par un jugement du 25 avril 2003 du tribunal départemental de Satu-Mare, au motif que les raisons ayant justifié le placement en détention provisoire par le procureur demeuraient valables, compte tenu du retentissement de cette affaire dans l’opinion publique, du montant du préjudice et compte tenu de la politique pénale de l’État concernant les infractions de corruption.

11. Sur pourvoi du requérant, la cour d’appel d’Oradea, par un arrêt du 22 mai 2003, renvoya l’affaire pour un nouveau jugement, au motif que la composition du tribunal avait été irrégulière en ce qu’elle ne tenait pas compte des modifications législative récentes en la matière.

12. Par un jugement du 11 juillet 2003, le tribunal départemental de Satu Mare reprit le raisonnement sur le fond du jugement du 25 avril 2003.

13. Sur pourvoi du requérant, par un arrêt définitif du 16 juillet 2003, la cour d’appel d’Oradea confirma le jugement du 11 juillet 2003. La cour estima que, compte tenu de la position que le requérant avait occupé dans la communauté avant sa mise en détention, il y avait un risque que le requérant essaye d’exercer de pressions sur les victimes ou les témoins.

B. Prolongations de la détention provisoire

14. Entre-temps, par un jugement du 8 mai 2003, le tribunal départemental de Bucarest prolongea pour trente jours la détention provisoire du requérant. Il nota que la mesure avait été prise en vertu de l’article 148 h) du CPP (paragraphe 31 ci-dessous), estima que les raisons qui avaient fondé son adoption étaient toujours valables et observa que, selon le procureur, des actes d’enquête étaient encore nécessaire en l’espèce, notamment des confrontations entre les accusés et des témoins, des expertises et un contrôle par la Cour des Comptes.

15. Le 28 mai 2003, la cour d’appel de Bucarest confirma la décision de prolongation de la détention provisoire du requérant. Elle considéra aussi qu’il y avait dans le dossier des indices pertinents de la commission, par le requérant, des faits pénaux qui lui étaient reprochés et que les raisons initiales pour sa mise en détention étaient toujours valables.

16. La détention provisoire du requérant fut ultérieurement prolongée pour plusieurs périodes successives de trente jours avant la saisine du tribunal et de moins de soixante jours après cette date par les jugements des tribunaux départementaux de Bucarest et de Satu Mare (confirmés par les cours d’appel de Bucarest ou Oradea) des 30 mai 2003 (pourvoi en recours rejeté le 30 juin 2003), 3 juillet 2003 (pourvoi en recours rejeté le 7 juillet 2003), 29 juillet 2003 (pourvoi en recours rejeté le 4 août 2003), 2 septembre (pourvoi en recours rejeté le 10 septembre 2003), 27 octobre 2003 (pourvoi en recours rejeté le 3 novembre 2003), 13 novembre 2003 (pourvoi en recours rejeté le 17 novembre 2003), 6 janvier 2004 (pourvoi en recours rejeté le 9 janvier 2004), 23 février 2004 (pourvoi en recours rejeté le 26 février 2004), 5 avril 2004 (pourvoi en recours rejeté le 8 avril 2004), 24 mai 2004 (pourvoi en recours rejeté le 28 mai 2004) et 5 juillet 2004.

17. Le 11 décembre 2003, une demande de remise en liberté formulée par le requérant fut rejetée par le tribunal départemental de Satu Mare (pourvoi en recours rejeté le 22 décembre 2003).

18. Pour chaque demande, les tribunaux invoquèrent un ou plusieurs des motifs suivants : des investigations étaient encore nécessaires ; il y avait des indices pertinents quant à la commission des faits pénaux imputés ; compte tenu de la gravité de ces faits, la remise en liberté du requérant aurait posé un danger pour l’ordre public ; et les raisons qui avaient justifié l’adoption de cette mesure subsistaient.

19. Il ressort des procès-verbaux de ces audiences que le requérant y était présent, à l’exception de l’audience de la cour d’appel de Bucarest du 7 juillet 2003. Le procès-verbal de cette dernière audience ne comporte aucune mention quant aux raisons de l’absence du requérant et de ses avocats choisis, ou quant aux raisons pour lesquelles il n’a pas été transféré de la prison de Satu Mare, où il était détenu à l’époque, à la cour d’appel de Bucarest.

Ainsi qu’il ressort de l’arrêt rendu à cette occasion, un avocat commis d’office fut désigné par la cour d’appel pour défendre le requérant à l’audience. L’avocat commis d’office formula des conclusions orales en vue de la mise en liberté du requérant en soutenant que les motifs initiaux ne subsistaient plus.

20. Le 7 juillet 2004, la cour d’appel d’Alba Iulia fit droit au pourvoi en recours du requérant contre la décision avant dire droit du 5 juillet 2004 et le remit en liberté avec l’obligation de ne pas quitter la localité. La cour d’appel observa que le requérant ne pouvait plus commettre de faits similaires, compte tenu de la cessation de ses fonctions de maire. En outre, la cour nota que les déclarations des dix-huit témoins entendus en l’espèce avaient jeté un doute sur le fait que le requérant ait commis une partie des faits retenus dans le réquisitoire du procureur. Elle conclut dès lors que les motifs ayant justifié l’adoption de la mesure de placement en détention provisoire contre le requérant ne subsistaient plus.

C. Procédure pénale contre le requérant

21. Les poursuites pénales contre le requérant visaient plusieurs actes de corruption qu’il était soupçonné d’avoir commis en sa qualité de maire de la ville de Satu Mare. Le 12 février 2003, le procureur informa le requérant des accusations à son encontre.

22. Avant la mise en détention du requérant, le procureur recueillit plusieurs déclarations des hommes d’affaires ayant prétendument subi des préjudices à cause des actions du requérant, entendit des témoins ainsi que les accusés, y compris le requérant (les 18 février et 9 avril 2003) et vérifia d’autres aspects de l’activité du requérant et des coïnculpés qu’il estimait susceptibles d’avoir une incidence sur l’enquête en cours.

23. Le 16 octobre 2003, le procureur présenta le dossier des poursuites au requérant qui nia les accusations à son encontre et demanda des confrontations avec les coïnculpés et les témoins ainsi qu’une nouvelle audition des témoins dont les déclarations avaient été entendues en l’absence de ses avocats. Le 17 octobre 2003, le procureur refusa de donner suite à ces demandes.

24. Le procureur continua à recueillir des preuves après la mise en détention du requérant, notamment des déclarations de témoins, des confrontations entre eux et des expertises. Les avocats du requérant furent convoqués à chaque acte procédural.

25. Par un réquisitoire du 17 octobre 2003, le procureur du parquet national anticorruption renvoya le requérant devant le tribunal départemental de Satu Mare pour corruption passive et comportement abusif.

26. Le tribunal départemental de Satu Mare tint sa première audience sur le fond de l’affaire le 21 octobre 2003.

27. Le 12 décembre 2003, la Haute Cour de cassation et justice renvoya l’affaire devant le tribunal départemental d’Alba Iulia.

28. Par jugement du 28 février 2008, le tribunal départemental d’Alba‑Iulia relaxa le requérant. Ce jugement devint définitif le 19 novembre 2009, après le rejet par la Haute Cour des recours en cassation formés par les parties en l’espèce.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

29. Les articles pertinents du code de procédure pénale (le CPP) à l’époque des faits figurent dans l’arrêt Calmanovici c. Roumanie (no 42250/02, § 40-42, 1er juillet 2008).

30. En outre, selon l’article IX § 2 de la loi no 281/2003 sur la modification du CCP entrée en vigueur depuis le 1 juillet 2003 :

« L’ordonnance du procureur de mise en détention provisoire adoptée avant l’entrée en vigueur de cette loi reste valable après cette date.

Si la détention provisoire n’a pas été vérifiée par un tribunal, le procureur doit présenter au tribunal [...], dans un délai de 24 heures après la date d’entrée en vigueur de la présente loi, une demande motivée de mise en détention pour la période restante après avoir enlevé de la période de 30 jours le nombre de jours passés en détention par l’intéressé (...) »

31. L’article 148 du CPP relatif au placement en détention provisoire de l’inculpé, tel qu’il était en vigueur à l’époque des faits se lisait ainsi :

« La mise en détention de l’inculpé peut être ordonnée [par le procureur] si les exigences prévues par l’article 143 sont remplies [cet article exige l’existence de preuves ou d’indices forts quant à la commission d’une infraction] et dans l’un des cas suivants :

(...)

h) l’inculpé a commis un crime ou un délit pour lequel la loi prévoit une peine de prison supérieure à deux ans et son maintien en liberté constituerait un danger pour l’ordre public. »

32. L’article 1401 du CPP était ainsi rédigé à l’époque des faits :

Article 1401

(Plainte[-recours] contre la mise en détention provisoire par un procureur)

« (1) Contre l’ordonnance de mise en détention provisoire (...) [l’intéressé] peut introduire une plainte auprès du tribunal compétent pour juger du bien-fondé de la cause (...)

(5) Le tribunal se prononce le jour même, par un jugement avant dire droit, sur la légalité de la mesure provisoire, après avoir entendu le prévenu ou l’inculpé.

(6) Le jugement avant dire droit est susceptible de recours. Le délai de recours est de trois jours [...]

(8) Lorsque le tribunal estime que la mesure provisoire est illégale, il ordonne sa révocation et la mise en liberté du prévenu ou de l’inculpé [...] »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION

33. Le requérant allègue que le procureur et les juridictions ont fourni des motivations stéréotypées pour justifier son maintien en détention provisoire, enfreignant ainsi ses droits garantis par l’article 5 § 3 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(...)

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ; (...)

3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »

A. Sur la recevabilité

34. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

35. Le requérant réaffirme que les tribunaux internes n’ont pas fourni des raisons pertinentes et suffisantes pour justifier son maintien en détention.

36. Le Gouvernement fait valoir qu’à partir de juillet 2003, le CPP a été modifié, la détention provisoire étant désormais ordonnée et renouvelée par un tribunal. S’appuyant notamment sur les arrêts B. c. Autriche (28 mars 1990, série A no 175), Wemhoff c. Allemagne (27 juin 1968, série A no 7) et Chraidi c. Allemagne (no 65655/01, CEDH 2006‑XII), il estime que le requérant a été visé par une telle mesure du 9 avril 2003 au 7 juillet 2004 et que cette durée était raisonnable, étant donné les motifs l’ayant justifiée aux yeux des juridictions internes. Il ajoute que les tribunaux ont vérifié périodiquement la validité de la mesure et ont amplement motivé leurs décisions, en tenant compte de la situation du requérant et en indiquant des motifs concrets « pertinents » et « suffisants » qui justifiaient son maintien en détention. Ils ont également tenu compte, dans leurs analyse, des éléments nouveaux pertinents du dossier, y compris pour remettre le requérant en liberté le 7 juillet 2004.

37. Le Gouvernement est d’avis que les circonstances de l’espèce révèlent l’existence d’une véritable exigence d’intérêt public justifiant une exception à la règle du respect de la liberté individuelle en ce qui concerne le requérant.

38. Quant au comportement des parties, le Gouvernement souligne que le requérant et ses avocats ont contribué à la prolongation de la procédure, le premier par plusieurs demandes faites devant les autorités et les seconds, en s’absentant à plusieurs reprises sans assurer leur remplacement. Les autorités, quant à elle, ont déployé des efforts considérables pour assurer la célérité de la procédure et ont informé la défense de tout acte procédural effectué dans cette affaire.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

39. La Cour rappelle que le caractère raisonnable du maintien en détention d’un accusé doit s’apprécier dans chaque cas d’après les particularités de la cause et sur la base des motifs figurant dans les décisions nationales ainsi que des faits non controuvés indiqués par l’intéressé dans ses moyens (Chraidi, précité, § 35, et Patsouria c. Géorgie, no [30779/04](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2230779/04%22%5D%7D), § 62, 6 novembre 2007). La poursuite de la détention ne se justifie donc dans une espèce donnée que si des indices concrets révèlent une véritable exigence d’intérêt public prévalant, nonobstant la présomption d’innocence, sur la règle du respect de la liberté individuelle fixée à l’article 5 de la Convention (Calmanovici, précité, § 90).

40. Elle rappelle en outre que, dans sa jurisprudence, elle a développé quatre raisons fondamentales acceptables pour la détention provisoire d’un accusé soupçonné d’avoir commis une infraction : le danger de fuite de l’accusé, le risque que l’accusé, une fois remis en liberté, n’entrave l’administration de la justice, ne commette de nouvelles infractions ou ne trouble l’ordre public (Calmanovci, précité, § 93 avec les références qui s’y trouvent citées).

41. Enfin, le risque de trouble à l’ordre public ne peut être invoqué de manière abstraite par les autorités. Si un tel motif peut entrer en ligne de compte au regard de l’article 5 de la Convention dans des circonstances exceptionnelles et dans la mesure où le droit interne reconnaît cette notion, il ne saurait être considéré comme pertinent et suffisant que s’il repose sur des faits de nature à montrer que l’élargissement du détenu troublerait réellement l’ordre public (Letellier c. France, 26 juin 1991, § 51, série A no 207).

b) Application de ces principes en l’espèce

42. La Cour note au premier abord que le requérant a été placé en détention provisoire le 9 avril 2003 et a été remis en liberté le 7 juillet 2004. La période à prendre en considération a dès lors duré un an et trois mois.

Pendant la détention, les tribunaux ont vérifié périodiquement la nécessité de la mesure. Les raisons invoqués par le procureur et les juridictions pour maintenir le requérant en détention étaient plus ou moins les mêmes, notamment la persistance des raisons initiales, la nécessité d’effectuer des investigations supplémentaires, ou le danger pour l’ordre public de la mise en liberté du requérant étant donné la gravité des faits commis (voir notamment paragraphe 18 ci-dessus).

43. La Cour a dit à maintes reprises que, bien que la gravité de la peine encourue puisse être prise en compte pour déterminer si l’accusé risque de se soustraire à la justice ou de récidiver, la nécessité de maintenir la privation de liberté ne peut s’apprécier d’un point de vue purement abstrait, sur la base de ce seul élément. En outre, la continuation de la détention ne saurait servir à anticiper sur une peine privative de liberté (Idalov c. Russie [GC], no 5826/03, § 145, 22 mai 2012 avec les références qui s’y trouvent citées).

44. Elle observe qu’en l’espèce le requérant était soupçonné d’actes de corruption lesquels, nonobstant leur retentissement dans l’opinion publique, explicable en raison notamment de l’importance qu’a pour l’État défendeur la lutte contre la corruption, ne peuvent eux seuls justifier une détention prolongée (voir a contrario, pour la gravité des crimes prétendument commis, Chiraidi, précité, § 6, Idalov, précité, § 9, Pichugin c. Russie, no 38623/03, § 7, 23 octobre 2012, et Miminoshvili c. Russie, no 20197/03, § 7, 28 juin 2011).

La Cour constate que, outre la gravité des actes prétendument commis, les autorités n’ont pas justifié l’existence réelle d’un danger pour l’ordre public.

45. De plus, bien que le requérant ne puisse plus commettre de faits similaires, dans la mesure où il avait renoncé à ses fonctions de maire, ni le procureur ni les juridictions n’ont tenu compte de cet argument dans leurs décisions.

Qui plus est, les autorités n’ont pas donné de raisons concrètes susceptibles de faire peser sur le requérant le doute qu’une fois libéré il aurait essayé de fuir ou d’influer les témoins (a contrario B. c. Autriche, précité, § 43, Wemhoff, précité, § 14 et Chraidi, précité, § 40). Certes, elles ont indiqué comme raison le fait que l’enquête était encore en cours. Toutefois, la Cour ne peut accepter cet argument, dans la mesure où les investigations mentionnées par les autorités, notamment des expertises, des contrôles par les autorités compétentes et l’audition de témoins n’exigent pas en eux‑mêmes que l’accusé soit détenu (Miminoshvili, précité, § 86 in fine). En outre, ni le procureur, qui avait convoqué les avocats du requérant à tous ces actes de poursuite, ni le tribunal n’ont expliqué pourquoi ils estimaient ne pouvoir accomplir leurs tâches avec le requérant en liberté.

46. La Cour note aussi qu’à aucun moment les tribunaux n’ont évalué la possibilité d’appliquer au requérant une mesure moins contraignante que la privation de liberté, et cela même étant saisis par lui d’une demande de mise en liberté (paragraphe 17 ci-dessus ainsi que Pichugin, précité, § 140).

47. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que, compte tenu de la durée de la détention, en s’abstenant d’évoquer des faits précis justifiant la prolongation de cette mesure et d’envisager d’autres « mesures préventives », les autorités ont maintenu le requérant en détention provisoire pour des motifs qui ne sauraient passer pour « pertinents » et « suffisants » à la fois.

Il y a eu dès lors violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

48. Invoquant l’article 5 § 4 de la Convention, le requérant se plaint de ce que les tribunaux n’ont pas statué dans un « bref délai » sur son objection contre l’ordonnance de placement en détention du 9 avril 2003. S’appuyant sur le même article, le requérant allègue une atteinte à ses droits de la défense, en raison du fait qu’il a été assisté par un avocat commis d’office qui ne l’a pas défendu de manière adéquate lors de l’audience du 7 juillet 2003 portant sur la prolongation de la détention à laquelle il était absent.

49. L’article 5 § 4 se lise ainsi :

« 4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

A. Sur la recevabilité

50. Le Gouvernement reproche au requérant de ne pas avoir invoqué ces griefs devant les juridictions internes.

51. La Cour note, toutefois, que le Gouvernement n’a indiqué concrètement aucun moyen de recours dont le requérant aurait pu user afin de se plaindre des violations alléguées.

Il convient donc de rejeter cette exception.

52. En outre, la Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

53. Le requérant réitère que l’objection qu’il a formée le 16 avril 2003 contre l’ordonnance de placement en détention provisoire, a été définitivement jugée dans un délai de trois mois, lequel ne peut passer pour raisonnable aux termes de l’article 5 § 4 de la Convention. En outre, il fait valoir que l’avocat commis d’office lors de l’audience du 7 Juillet 2003 ne pouvait pas prendre connaissance du dossier qui contenait 5 000 pages, étant donné qu’il venait d’être nommé au cours de l’audience même.

54. Le Gouvernement observe que les droits de la défense du requérant ont été amplement respectés par les tribunaux. Il a ainsi été présent à toutes les audiences concernant la détention provisoire et a été constamment assisté par ses avocats. Il a été entendu aussi bien en première instance qu’en recours et a eu la possibilité, qu’il a utilisée, de présenter son point de vue et de proposer des preuves. En outre, ses avocats ont été invités à assister à tous les actes d’enquête effectués par le parquet.

55. Le Gouvernement insiste sur le fait que la prolongation de la procédure en objection contre la mise en détention a été causée par les importantes modifications législatives survenues au cours de la procédure qui ont rendu nécessaire, pour des raisons strictement formelles, le renvoi de l’affaire. Il fait remarquer toutefois que les tribunaux ont confirmé de manière constante la mesure de placement en détention provisoire prise à l’encontre du requérant.

56. Enfin, le Gouvernement souligne que l’avocat commis d’office lors de l’audience du 7 juillet 2003, a assuré une défense effective, en formulant des conclusions pour la mise en liberté du requérant.

2. Appréciation de la Cour

a) Quant à la durée de la procédure en objection contre le placement en détention provisoire

57. La Cour rappelle qu’en garantissant aux détenus un recours pour contester la régularité de leur incarcération, l’article 5 § 4 consacre aussi le droit pour eux, à la suite de l’institution d’une telle procédure, d’obtenir à bref délai une décision judiciaire concernant la régularité de leur détention et mettant fin à celle-ci si elle se révèle illégale. Dans chaque cas, il convient d’apprécier à la lumière des circonstances de l’espèce si le droit à une décision rapide a bien été respecté. La Cour estime en outre qu’une décision rapide sur la légalité d’une détention s’impose d’autant plus lorsque le procès est en cours, l’accusé devant pleinement bénéficier du principe de la présomption d’innocence (Idalov, précité, §§ 154-155).

58. Par ailleurs dès lors que la liberté d’un individu est en jeu, elle applique des critères très stricts pour déterminer si, comme il en a l’obligation, l’État a statué à bref délai sur la régularité de la détention (Idalov, précité, § 157). Elle fait aussi référence aux principes résumés dans l’affaire S.T.S. c. Pays‑Bas (no 277/05, § 43, CEDH 2011).

59. Dans la présente affaire, la Cour note que le requérant a formé son objection le 16 avril 2003. Elle a été rejetée en premier ressort neuf jours après, mais cette décision a été par la suite cassée pour vices de procédure. En conséquence, le requérant n’a obtenu une décision sur le fond de sa demande que le 11 juillet 2003, qui n’est devenue définitive que le 16 juillet 2003, soit presque trois mois après sa demande initiale.

Compte tenu même des difficultés alléguées par le Gouvernement, liées aux modifications législatives survenus au cours de la procédure, la Cour estime que ces délais ne puissent passer pour raisonnables à la lumière de la réglementation précise du CPP en la matière (paragraphe 32 ci-dessus).

60. La Cour note qu’au cours de la procédure faisant grief au requérant, une autre juridiction a décidé, le 8 mai 2003, de prolonger sa détention. Cette nouvelle procédure est toutefois indépendante de celle examiné par la Cour et dès lors, n’est pas pertinente pour le grief soulevé par le requérant tiré du non-respect allégué des exigences de l’article 5 § 4 (voir, mutatis mutandis, Rehbock c. Slovénie, no 29462/95, § 87, CEDH 2000‑XII).

61. La Cour estime, compte tenu de sa jurisprudence en la matière et des circonstances concrètes de la présente affaire, que cette durée de trois mois au total a été excessive.

Elle conclut qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention, faute pour les autorités d’avoir examiné « à bref délai » la régularité du placement en détention provisoire du requérant.

b) Quant à l’absence du requérant et des avocats choisis lors de l’audience du 7 juillet 2003

62. La Cour rappelle que, en vertu de l’article 5 § 4, toute personne arrêtée ou détenue a le droit de faire examiner par le juge le respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la « régularité », au sens de l’article 5 § 1 de la Convention, de sa privation de liberté. Si la procédure au titre de l’article 5 § 4 ne doit pas toujours s’accompagner de garanties identiques à celles que l’article 6 § 1 de la Convention prescrit pour les procès civils ou pénaux, il faut qu’elle revête un caractère judiciaire et offre des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté en question. S’il s’agit d’une personne dont la détention relève de l’article 5 § 1 c), comme c’est le cas en l’espèce, une audience s’impose. La possibilité pour un détenu d’être entendu lui-même ou moyennant une certaine forme de représentation figure parmi les garanties procédurales fondamentales appliquées en matière de privation de liberté (Idalov, précité, § 161).

63. Se tournant vers les circonstances de la présente affaire, la Cour constate que ni le requérant ni ses avocats choisis n’ont assisté à l’audience du 7 juillet 2003. De surcroît, rien dans le dossier dont la Cour dispose ne permet de dire si la juridiction d’appel a à tout le moins vérifié si le requérant et ses représentants avaient été convoqués à l’audience et si la comparution en personne du requérant était nécessaire à l’examen effectif de la régularité de son maintien en détention. Elle s’est contentée de nommer un avocat d’office et d’examiner l’appel (paragraphe 19 ci-dessus).

64. Au vu de sa jurisprudence constante en la matière et des circonstances de l’espèce, la Cour estime que la non-participation du requérant et de ses avocats à l’audience du 7 juillet 2003 a emporté violation de l’article 5 § 4 de la Convention (voir, parmi d’autres affaires, Idalov, précitée, § 164).

III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

65. Le requérant a enfin soulevé d’autres griefs tirés des articles 5 et 6 de la Convention.

66. Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle était compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou de ses Protocoles. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être déclarée irrecevable pour défaut de manifeste de fondement, en application de l’article 35 §§ 1, 3 et 4 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

67. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

68. Le requérant n’a présenté aucune demande au titre des dommages matériel ou moral.

B. Frais et dépens

69. Le requérant demande, au titre des frais et dépens engagés devant la Cour : 12 400 euros (EUR) pour honoraires d’avocat, 2 500 EUR pour ses déplacements liés à la présente requête, 892 EUR pour la traduction de divers documents et lettres envoyés à la Cour et 136 EUR pour frais postaux. Il renvoie des factures attestant le paiement de 253,75 lei roumains.

70. Le Gouvernement observe que le requérant n’a pas prouvé avoir acquitté l’intégralité des sommes réclamées à titre de frais et dépens.

71. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 60 EUR pour la procédure devant la Cour et l’accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

72. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 5 §§ 3 et 4 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention à raison de la durée de la procédure en objection du 16 avril 2003 concernant le placement en détention provisoire ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention à raison de l’absence du requérant et de ses avocats choisis lors de l’audience du 7 juillet 2003 ;

5. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, pour frais et dépens, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 60 EUR (soixante euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 29 octobre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident


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