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01/10/2013 | CEDH | N°001-126557

CEDH | CEDH, AFFAIRE ŞÜKRAN BOZ c. TURQUIE, 2013, 001-126557


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE ŞÜKRAN BOZ c. TURQUIE

(Requête no 7906/05)

ARRÊT

STRASBOURG

1er octobre 2013

DÉFINITIF

01/01/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Şükran Boz c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Işıl Karak

aş,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 septemb...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE ŞÜKRAN BOZ c. TURQUIE

(Requête no 7906/05)

ARRÊT

STRASBOURG

1er octobre 2013

DÉFINITIF

01/01/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Şükran Boz c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 septembre 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 7906/05) dirigée contre la République de Turquie et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Şükran Boz (« la requérante »), a saisi la Cour le 28 janvier 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante a été représentée par Me F. Benli, avocat à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

3. Le 9 décembre 2008, la requête a été déclarée partiellement irrecevable et le grief tiré de l’absence de communication des conclusions du procureur près le Conseil d’Etat a été communiqué au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

4. La requérante est née en 1969 et réside à Osmaniye.

5. Après avoir réussi un concours général de la fonction publique, la requérante fut nommée au sein de la direction départementale des affaires sociales d’Osmaniye le 30 juin 1997.

6. Le 8 octobre 1997, l’acte de nomination fut retiré par l’administration suite à la découverte d’une irrégularité dans la composition de la commission des concours.

7. Le 7 novembre 1997, la requérante introduisit un recours de plein contentieux devant le tribunal administratif d’Adana (« le tribunal administratif »).

8. L’administration présenta sa réplique le 9 décembre 1997 à laquelle la requérante a répondu par sa duplique du 30 décembre 1997. Les 3 avril et 13 mai 1998, la requérante présenta ses observations complémentaires.

9. Le tribunal administratif, considérant qu’un acte administratif favorable entaché d’illégalité ne pouvait plus être retiré par l’administration après un délai de soixante jours lorsque l’illégalité lui est imputable, annula l’acte déféré par un jugement du 21 mai 1998.

10. A la suite de ce jugement, le 17 juillet 1998 la requérante reprit ses fonctions.

11. L’administration forma un pourvoi en cassation contre le jugement du tribunal administratif et présenta une demande de sursis à l’exécution de celui-ci.

12. Le 5 novembre 1998, le Conseil d’Etat ordonna le sursis à l’exécution du jugement de première instance.

13. Le 2 décembre 1998, la requérante présenta sa réplique au mémoire en pourvoi de l’administration.

14. Le 14 décembre 1998, la requérante fut à nouveau contrainte de quitter son poste en application de la décision de sursis du 5 novembre 1998.

15. Par un arrêt du 17 février 2000, après avoir entendu les observations du procureur, le Conseil d’Etat infirma le jugement déféré et renvoya l’affaire devant le tribunal administratif. Dans les motifs de son arrêt, le Conseil d’Etat indiqua qu’outre l’irrégularité dans la composition de la commission des concours, une irrégularité avait également été relevée dans la copie rendue par la requérante, et considéra qu’une nomination faite à la suite d’un concours entaché d’irrégularité violait le principe de l’égalité des chances et était de nature à porter atteinte à la confiance que se doivent d’inspirer l’Etat et les institutions.

16. Le 22 novembre 2000, la juridiction de renvoi suivit la solution retenue par le Conseil d’Etat et débouta la requérante.

17. Le 31 janvier 2001, la requérante forma un pourvoi en cassation. Le 30 mai 2001, l’administration présenta sa réplique. A une date non précisée, la requérante soumit, par écrit, ses observations complémentaires.

18. Le Conseil d’Etat confirma ce jugement par un arrêt du 19 février 2003 rejetant le pourvoi de la requérante.

19. Le 3 juillet 2003, la requérante demanda une rectification d’arrêt. Elle soutint à nouveau dans son mémoire que l’administration ne pouvait retirer un acte administratif favorable entaché d’illégalité lorsque que cette illégalité était imputable à l’administration.

20. Ces deux demandes furent rejetées par un arrêt rendu le 15 juin 2004 et notifié à la requérante le 9 août 2004.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

21. La requérante soutient ne pas avoir bénéficié du principe du contradictoire et de l’égalité des armes du fait de l’absence de communication des conclusions du procureur auprès du Conseil d’État. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé en sa partie pertinente :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

22. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A. Sur la recevabilité

23. La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

24. La Cour rappelle avoir examiné un grief similaire à celui présenté par la requérante et avoir conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait de la non-communication de l’avis du procureur général (voir Meral c. Turquie, no 33446/02, §§ 27-39, 27 novembre 2007). Elle ne voit aucune raison en l’espèce de s’écarter de cette jurisprudence.

25. Par conséquent, il y a eu en l’espèce violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

26. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

27. La requérante réclame 69 252 euros (EUR) au titre du préjudice matériel et 3 000 EUR au titre du préjudice moral qu’elle aurait subi.

28. Le Gouvernement estime que ces prétentions sont exagérées.

29. La Cour ne voit aucun lien de causalité entre le préjudice matériel invoqué par la requérante et l’atteinte à son droit à un procès équitable. Quant au dommage moral, la Cour juge que le constat de violation fournit une satisfaction équitable suffisante pour tout préjudice moral subi par la requérante en l’espèce (voir, parmi beaucoup d’autres, Akyazıcı c. Turquie, no 43452/02, § 30, 15 décembre 2009).

B. Frais et dépens

30. La requérante demande également 2 459 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 7 674 EUR pour ceux engagés devant la Cour. A l’appui de sa demande, elle fournit le tarif horaire des avocats établi par le barreau d’Istanbul et une facture de frais de traduction d’un montant de 1 000 livres turques (soit environ 450 EUR).

31. Le Gouvernement conteste ces montants.

32. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Elle relève que la requérante ne fournit pas de justificatifs des honoraires de son avocat. Elle observe de surcroît que la requérante ne soumet aucun document concernant les frais encourus devant les juridictions internes. Par conséquent, elle rejette cette demande. En revanche, elle estime raisonnable d’allouer la somme de 450 EUR au titre de frais et dépens.

C. Intérêts moratoires

33. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait de la non-communication au requérant de l’avis du procureur près le Conseil d’État ;

3. Dit que le constat d’une violation représente en soi une satisfaction équitable suffisante pour tout préjudice moral pouvant avoir été subi par la requérante ;

4. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 450 EUR (quatre cent cinquante euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, à convertir dans la monnaie de l’Etat défendeur, au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 1er octobre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stanley NaismithGuido Raimondi
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-126557
Date de la décision : 01/10/2013
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure administrative;Article 6-1 - Procès équitable;Procédure contradictoire)

Parties
Demandeurs : ŞÜKRAN BOZ
Défendeurs : TURQUIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : BENLI F.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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