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19/09/2013 | CEDH | N°001-126363

CEDH | CEDH, AFFAIRE R.J. c. FRANCE, 2013, 001-126363


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE R.J. c. FRANCE

(Requête no 10466/11)

ARRÊT

STRASBOURG

19 septembre 2013

DÉFINITIF

19/12/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire R.J. c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,

Ann Power-Forde,
Ganna Yudkivska,
André Potocki,
Paul Lemmens,
Helena Jä

derblom,
Aleš Pejchal, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 27 août 2013,

Rend l’arrêt ...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE R.J. c. FRANCE

(Requête no 10466/11)

ARRÊT

STRASBOURG

19 septembre 2013

DÉFINITIF

19/12/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire R.J. c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,

Ann Power-Forde,
Ganna Yudkivska,
André Potocki,
Paul Lemmens,
Helena Jäderblom,
Aleš Pejchal, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 27 août 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 10466/11) dirigée contre la République française et dont un ressortissant sri lankais, M. R.J. (« le requérant »), a saisi la Cour le 16 février 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le président de la section a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 3 du règlement).

2. Le requérant a été représenté par Me C. Redler, avocat à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant alléguait que la mise à exécution de la décision des autorités françaises de le renvoyer vers la Syrie ou le Sri Lanka, son pays d’origine, l’exposerait au risque d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention.

4. Le 12 mai 2011, le président de la cinquième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1978 et réside dans le département du Val-de-Marne.

A. Quant aux faits survenus au Sri Lanka tels qu’exposés par le requérant

6. Le requérant, d’ethnie tamoule, est originaire de Batticaloa. Il explique avoir été persécuté par les autorités sri lankaises en raison de ses origines et de son engagement en faveur du mouvement des Tigres de libération de l’Eelam Tamoul (LTTE).

7. Le requérant était trésorier d’un syndicat du bâtiment et versa, entre 2006 et 2010, une partie des avoirs du syndicat aux LTTE. Dénoncé par l’un de ses collègues, il fut interpellé en janvier 2011 par le Criminal Investigation Department (CID).

8. Il fut alors emmené au camp de Boosa et détenu pendant sept jours, au cours desquels il fut interrogé sur ses liens avec les LTT, battu, maltraité et humilié. Il semble que le requérant ait ensuite été présenté devant un tribunal avant d’être libéré sous caution.

9. Craignant pour sa vie, il décida alors de quitter le Sri Lanka et partit pour la France, via la Syrie.

B. Quant aux faits survenus en France

10. Le requérant arriva le 2 février 2011 à l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle et sollicita aussitôt son admission sur le territoire français au titre de l’asile. Le même jour, il fut placé en zone d’attente pour une durée de quatre jours. Sur place, le 3 février 2011, il fut examiné par un médecin de l’« Unité médicale de la ZAPI (Zone d’attente pour personnes en instance) » qui établit un certificat médical dont les termes sont les suivants : « Plaies par brûlure datant de quelques semaines : -face antérieur avant bras droit : 1 plaie de 3,5 cm x 1 cm ; 1 plaie de 2,5 cm x 1 cm ; 4 plaies circulaires de 1 cm de diamètre – face antérieur avant bras gauche : 1 plaie de 3,5 cm x 2,5 cm – région pectorale gauche : 2 plaies circulaires de 1 cm de diamètre – face antérieur cuisse droite : 1 plaie de 12 cm x 2,5 cm, 1 plaie de 16 cm x 2,5 cm –face antérieur de cuisse gauche : 2 plaies de 12 cm x 2,5 cm ; 1 plaie de 6 op x 1,5 cm ; ces plaies lui occasionnent des douleurs importantes nécessitant un traitement local et par la bouche adaptée [sic] ». Le même jour, le requérant fut entendu, par téléphone, par un agent de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). A la même date, il se vit opposer une décision ministérielle de refus d’entrée en France au titre de l’asile ainsi qu’une décision de renvoi vers « la Syrie ou, le cas échéant, vers tout pays où il sera[it] légalement admissible ». Dans son rapport du 3 février 2011, l’agent de l’OFPRA observa notamment que

« les déclarations lacunaires du requérant étaient dénuées d’éléments circonstanciés, que s’il affirmait avoir soutenu financièrement le LTTE, il n’apportait aucun élément précis à ce sujet ; qu’il soutenait ne pas avoir rencontré le moindre problème durant toute la période de son implication en faveur du LTTE, que s’il soutenait avoir été arrêté par des agents du Criminal Investigation Department (CID), il demeurait vague sur les motifs exacts et les circonstances de cette arrestation et qu’il n’était guère plus loquace sur les conditions de sa détention au camp de Boosa, qu’il restait évasif s’agissant de sa présentation au tribunal et sa libération sous caution en janvier 2011 ; que ses conditions de départ de son pays étaient des plus vagues ; que son récit était dépourvu d’éléments tangibles de nature à laisser penser que sa sécurité serait directement et personnellement menacée en cas de retour dans son pays d’origine, que l’ensemble de ses déclarations dénuées de substance ne permettait pas de faire ressortir un vécu personnalisé, ni de tenir pour crédible une menace actuelle et personnelle susceptible de justifier un examen approfondi de sa demande. »

11. Le requérant contesta la décision ministérielle de refus d’admission sur le territoire devant le tribunal administratif de Paris qui rejeta sa demande le 7 février 2011. Le tribunal releva que, pour demander l’annulation de la décision contestée, le requérant avait fait état de ce que, dénoncé pour avoir versé de l’argent aux LTTE, il avait été arrêté et détenu pendant sept jours, au cours desquels il avait subi des mauvais traitements. Mais le tribunal retint toutefois que, s’il soutenait avoir été libéré sous caution par une décision de justice, il ne donnait aucun détail sur sa comparution devant un tribunal. Le requérant explique ne pas avoir fait appel de ce jugement du tribunal administratif, cette voie de recours étant dépourvue d’effet suspensif.

12. Par deux décisions des 6 et 14 février 2011, le juge des libertés et de la détention autorisa le maintien du requérant en zone d’attente, respectivement pour huit jours puis pour quatre jours supplémentaires.

13. Le 15 février 2011, les autorités françaises tentèrent, sans succès, de renvoyer le requérant vers la Syrie, celui-ci ayant résisté à l’embarquement.

14. Le 16 février 2011, le requérant saisit la Cour et formula une demande de mesure provisoire sur le fondement de l’article 39 de son règlement. Le même jour, le président de la chambre à laquelle l’affaire fut attribuée décida d’indiquer au gouvernement français, en application de la disposition précitée, de ne procéder au renvoi du requérant ni vers la Syrie, ni vers le Sri Lanka pour la durée de la procédure devant la Cour.

15. Le 18 février 2011, le requérant fut autorisé à quitter la zone d’attente.

16. Par un arrêté du 19 avril 2011, le Préfet du Val-de-Marne décida d’assigner le requérant à résidence dans les limites du département du Val‑de-Marne.

17. Le 7 juin 2011, l’OFPRA rejeta la demande d’asile du requérant au motif que l’intéressé avait tenu des propos confus sur ses fonctions syndicales et sur le soutien qu’il aurait été contraint de fournir aux LTTE. En outre, ses déclarations sur les circonstances de son arrestation, ses conditions de détention et le déroulement de son évasion s’étaient révélées particulièrement évasives. A cet égard, l’OFPRA estima que l’attestation médicale délivrée le 3 février 2011 et versée au dossier, ne permettait pas d’infirmer cette analyse. Dès lors, aucun élément ne permettait d’établir la réalité des faits allégués et de conclure au bien-fondé de sa demande.

18. Le 15 février 2012, la CNDA rejeta le recours du requérant au motif que

« d’une part, il résulte de l’instruction que le requérant n’a pas été en mesure de fournir des explications convaincantes sur les circonstances dans lesquelles il aurait été contraint de fournir des vivres et de l’argent aux membres du LTTE dans le cadre de ses différentes activités professionnelles ; qu’à cet égard, l’attestation du 10 janvier 2012, rédigée par un ingénieur en chef du département des bâtiments de Batticaloa, ne permet pas d’infirmer cette analyse. Et d’autre part, que les descriptions imprécises et peu personnalisées que l’intéressé a données de son arrestation du 1er janvier 2011, par des individus et pour des motifs au demeurant non identifiés, ne permettent pas de tenir celle-ci pour établie ; que le certificat en date du 3 février 2011 ne peut être regardé comme justifiant de l’existence d’un lien entre les constatations relevées lors de l’examen médical du requérant et les sévices dont il déclare avoir été victime lors de sa détention. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que ni les pièces du dossier ni les déclarations faites en séance publique devant la Cour ne permettent de tenir pour établis les faits allégués et pour fondées les craintes énoncées, tant au regard des stipulations précitées de la convention de Genève qu’au regard des dispositions de l’article L. 712-I du code de l’entrée et du séjour de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile susvisé ».

II. TEXTES ET DOCUMENTS INTERNATIONAUX

19. La Cour renvoie à l’affaire NA. c. Royaume-Uni (no 25904/07, §§ 53-83, 17 juillet 2008) concernant la situation au Sri Lanka avant la fin des hostilités et aux affaires T.N. c. Danemark (no 20594/08, §§ 36-66, 20 janvier 2011) et E.G. c. Royaume-Uni (no 41178/08, §§ 17-46, 31 mai 2011) pour une analyse extensive des sources pertinentes du droit international traitant de la situation dans le pays depuis la fin des hostilités en mai 2009.

20. Une mise à jour concernant la situation au Sri Lanka peut être trouvée dans le rapport sur les droits de l’Homme au Sri Lanka du Département d’Etat américain publié le 8 avril 2011 et dans le Country of Origin Information Report du ministère de l’Intérieur britannique publié le 4 juillet 2011. A la lumière de ces rapports, il apparaît que les informations figurant dans les arrêts précités sont toujours d’actualité notamment en ce qui concerne le traitement des demandeurs d’asile tamouls déboutés renvoyés vers l’aéroport de Colombo.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

21. Le requérant allègue que la mise à exécution de son renvoi vers la Syrie ou le Sri Lanka l’exposerait à un risque de traitements contraires à l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

22. A titre principal, le Gouvernement estime que le requérant a perdu la qualité de victime. Le Gouvernement observe que le principal grief invoqué par le requérant tenait aux risques éventuels encourus si les autorités lui refusaient l’entrée sur le territoire aux fins d’introduire une demande d’asile. L’arrêté de non-admission sur le territoire en date du 3 février 2011 ne pouvant plus produire d’effet en raison de l’entrée sur le territoire du requérant, le Gouvernement soutient que celui-ci ne saurait se prétendre victime de cette décision.

23. Le requérant conteste l’affirmation du Gouvernement selon laquelle il aurait perdu la qualité de victime. Bien qu’il ait été in fine admis à pénétrer sur le territoire national, la circonstance que le ministre de l’Intérieur, de l’Outre-mer, des Collectivités territoriales et de l’Immigration ait refusé de le laisser entrer sur le territoire tout en regardant sa décision comme manifestement mal fondée a directement conduit le préfet à considérer sa demande comme abusive sur ce seul motif, ce qui a entraîné subséquemment le refus de lui délivrer une autorisation de séjour et le traitement de sa demande d’asile selon la procédure prioritaire

24. La Cour n’est pas convaincue par l’argument du Gouvernement concernant l’exception tirée de la perte de la qualité de victime du requérant. La Cour relève en effet que si le requérant a pu sortir de la zone d’attente et ainsi entrer sur le territoire français, ce n’est qu’à la suite de l’application de l’article 39 de son règlement. Elle note également que la demande d’asile du requérant a été rejetée et qu’il n’a obtenu de titre de séjour ni au titre de l’asile ni à un autre titre. Il ne saurait donc être regardé comme ayant perdu la qualité de victime.

25. La Cour constate dès lors que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

26. A titre subsidiaire, le Gouvernement rappelle que le risque d’être exposé à un traitement prohibé par l’article 3 de la Convention est examiné par l’OFPRA qui, s’agissant des demandes d’asile formulées à la frontière, rend son avis après avoir examiné le caractère manifestement infondé de la demande dans le respect du principe du non-refoulement.

27. Sur les griefs tirés de la méconnaissance de la Convention en cas de réacheminement vers la Syrie, le Gouvernement observe qu’au vu du fait que le requérant fut autorisé à entrer sur le territoire, son réacheminement vers la Syrie ne peut plus être envisagé par les autorités françaises. Le Gouvernement indique en outre que dans la mesure où le requérant n’est ni opposant politique syrien ni même ressortissant de ce pays et ne semble n’y avoir commis aucun acte délictuel ou criminel, il n’y a aucune raison de croire que les autorités syriennes lui portent un intérêt particulier. Le Gouvernement rappelle également que le requérant affirme être passé par la Syrie avant d’arriver en France et n’expose à aucun moment y avoir été inquiété, arrêté ou fait l’objet de mesure d’expulsion.

28. Concernant les risques de traitements contraires à l’article 3 en cas de renvoi du requérant vers le Sri Lanka, le Gouvernement observe qu’il n’a pas démontré aux autorités françaises qui l’ont interrogé, la réalité de ses liens avec le mouvement des LTTE et des risques qu’il encourrait de ce fait en cas de retour dans son pays d’origine. In fine, le Gouvernement observe qu’à supposer que le requérant démontre une certaine proximité avec le mouvement séparatiste tamoul, cette circonstance ne suffirait pas à elle seule à affirmer la réalité du risque en cas de retour, compte tenu de l’évolution favorable de la situation politique sri lankaise.

29. Le requérant se réfère au certificat médical concluant à la présence de traces de mauvais traitements sur son corps. Il estime que les traces de tortures dont ce certificat fait état sont des éléments non négligeables dans l’examen du risque sérieux de mauvais traitements en cas de retour au Sri Lanka en ce qu’ils témoignent de sa proximité avec les LTTE. Se référant à des rapports internationaux, le requérant affirme que les personnes d’origine tamoule continuent à être particulièrement exposées au Sri Lanka. Le requérant allègue également que son retour au Sri Lanka est à ce jour risqué du fait de son statut de demandeur d’asile débouté.

30. Le requérant en conclut qu’il reste exposé à un risque réel et sérieux de mauvais traitements en cas de mise à exécution de la mesure de renvoi vers le Sri Lanka.

2. Appréciation de la Cour

31. La Cour relève d’emblée que le requérant n’a pas objecté aux arguments du Gouvernement selon lesquels son admission sur le territoire français, après l’application par la Cour de l’article 39 de son règlement, fait maintenant obstacle à sa réadmission vers la Syrie dans la mesure où celle-ci n’a constitué qu’un pays de transit. La Cour estime donc établi qu’en cas de mise à exécution d’une mesure de renvoi à l’encontre du requérant, elle s’effectuerait à destination du Sri Lanka, son pays d’origine.

32. Sur le fond, la Cour se réfère aux principes applicables en la matière (voir, notamment, Saadi c. Italie [GC], no 37201/06, §§ 124-125, CEDH 2008, et M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, CEDH 2011).

33. En particulier, la Cour rappelle qu’il ne lui appartient pas normalement de substituer sa propre appréciation des faits à celle des juridictions internes, mieux placées pour évaluer les preuves produites devant elles (voir, entre autres, Klaas c. Allemagne, 22 septembre 1993, § 29, à propos de l’article 3, série A no 269).

34. En outre, l’existence d’un risque de mauvais traitements doit être examinée à la lumière de la situation générale dans le pays de renvoi et des circonstances propres au cas de l’intéressé. Lorsque les sources dont la Cour dispose décrivent une situation générale, les allégations spécifiques du requérant doivent être corroborées par d’autres éléments de preuve (Saadi, précité, §§ 130-131).

35. Enfin, s’il convient de se référer en priorité aux circonstances dont l’Etat en cause avait connaissance au moment de l’expulsion, la date à prendre en compte pour l’examen du risque encouru est celle de la date de l’examen de l’affaire par la Cour (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 86, Recueil des arrêts et décisions 1996-V).

36. S’agissant du règlement de la preuve, la Cour a explicité les principes applicables en la matière dans deux décisions récentes, à savoir F.N. et autres c. Suède (no 28774/09, § 67, 18 décembre 2012, et Mo.P. c. France ((déc.), no 55787/09, 30 avril 2013). Dans cette dernière affaire, la Cour s’est fondée sur les arguments exposés par le Gouvernement français pour rejeter les éléments de preuve avancés par le requérant et a conclu à l’irrecevabilité de la requête. Pour ce faire, elle a suivi le raisonnement suivant :

« S’agissant du règlement de la preuve pour les demandeurs d’asile, la Cour a observé dans la décision F.N. et autres c. Suède (no 28774/09, § 67, 18 décembre 2012) qu’« eu égard à la situation particulière dans laquelle se trouvent souvent les demandeurs d’asile, il convient dans de nombreux cas de leur accorder le bénéfice du doute lorsque l’on apprécie la crédibilité de leurs déclarations et des documents soumis à l’appui de celles-ci. Toutefois, lorsque des informations sont soumises qui donnent de bonnes raisons de douter de la véracité des déclarations du demandeur d’asile, celui-ci est tenu de fournir une explication satisfaisante pour les incohérences de son récit (voir, notamment, N. c. Suède, no 23505/09, § 53, 20 juillet 2010, et Collins et Akaziebie c. Suède (déc.), no 23944/05, 8 mars 2007). C’est en principe au requérant de produire des éléments propres à démontrer qu’il existe des motifs sérieux de croire que, si la mesure incriminée était mise à exécution, il serait exposé à un risque réel de se voir infliger des traitements contraires à l’article 3. Lorsque de tels éléments sont produits, il incombe au Gouvernement de dissiper les doutes éventuels à leur sujet. (NA. c. Royaume-Uni, no 25904/07, § 111, 17 juillet 2008) »

37. Dans l’affaire T.N. c. Danemark (§§ 86-94) précitée, la Cour a exposé les principes généraux applicables à l’évaluation des risques auxquels sont exposés à ce jour les Tamouls en cas de retour au Sri Lanka, de même qu’elle a réaffirmé sa conclusion aux termes de l’arrêt NA. c. Royaume-Uni (précité, § 133) selon laquelle il n’existe pas un risque généralisé de traitements contraires à l’article 3 pour les Tamouls renvoyés au Sri Lanka (T.N. c. Danemark, précité, § 93). La protection offerte par l’article 3 entre uniquement en jeu lorsqu’un requérant est en mesure d’établir qu’il existe des motifs sérieux de croire qu’il présenterait un intérêt tel pour les autorités sri lankaises qu’il serait susceptible d’être détenu et interrogé par ces autorités à son retour (ibid.). En conséquence, l’appréciation du risque pour le requérant doit se faire sur une base individuelle, en tenant compte des facteurs pertinents énoncés dans l’arrêt NA. c. Royaume-Uni (précité, §§ 129-130) et repris par l’arrêt T.N. c. Danemark (précité, § 94). (Voir E.G. c. Royaume-Uni, précité, § 68 et Mo. P. c. France, précité, § 48).

38. En l’espèce, le requérant invoque principalement le risque qu’il encourt d’être arrêté dès son arrivée du fait à la fois de son origine tamoule, de son statut de demandeur d’asile débouté et de son engagement en faveur du mouvement des LTTE.

39. La Cour note qu’il n’est pas contesté que le requérant appartient à l’ethnie tamoule. La Cour estime que cet élément, en lui-même, au vu des rapports mentionnés dans les affaires E.G. c. Royaume-Uni et T.N. c. Danemark précitées ne suffit pas à convaincre d’un risque de mauvais traitements en cas de retour et que seuls les Tamouls au profil marqué nécessitent une protection internationale (E.G. c. Royaume-Uni, précité, § 45).

40. Il s’agit donc de déterminer si le requérant a un profil marqué, notamment eu égard à ses allégations concernant son engagement en faveur du mouvement des LTTE.

41. Si le récit du requérant est, ainsi que l’ont constaté les instances nationales compétentes en matière d’asile, peu étayé tant sur son soutien financier au mouvement des LTTE que sur les conditions de sa détention, la Cour relève cependant qu’il produit un certificat médical à l’appui de ses allégations de mauvais traitements subis lors de sa détention. Ce certificat médical, établi par un médecin de l’« Unité médicale de la ZAPI de Roissy » alors que le requérant se trouvait en zone d’attente, décrit de façon précises quatorze « plaies par brûlure datant de quelques semaines » et occasionnant « des douleurs importantes nécessitant un traitement local et par la bouche (...) ».

42. La Cour considère que ce document constitue une pièce particulièrement importante du dossier. En effet, la nature, la gravité et le caractère récent des blessures constituent une forte présomption de traitement contraire à l’article 3 de la Convention infligé au requérant dans son pays d’origine. Or, malgré la présentation de ce certificat, aucune des instances nationales compétentes en matière d’asile qui se sont prononcées postérieurement à l’application de l’article 39 n’a cherché à établir d’où provenaient ces plaies et à évaluer les risques qu’elles révélaient. La Cour ne peut estimer suffisante la motivation de la CNDA selon laquelle « le certificat en date du 3 février 2011 ne peut être regardé comme justifiant de l’existence d’un lien entre les constatations relevées lors de l’examen médical du requérant et les sévices dont il déclare avoir été victime lors de sa détention ». Par la seule invocation du caractère lacunaire du récit, le Gouvernement ne dissipe pas les fortes suspicions sur l’origine des blessures du requérant.

43. Partant, la Cour considère que le requérant, sans être utilement contredit par le gouvernement, a établi le risque qu’il soit soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention en cas de renvoi au Sri Lanka. Dès lors, il y aurait violation de l’article 3 de la Convention en cas de retour du requérant au Sri Lanka.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 39 DU RÈGLEMENT DE LA COUR

44. La Cour rappelle que, conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, le présent arrêt deviendra définitif : a) lorsque les parties déclareront qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre ; ou b) trois mois après la date de l’arrêt, si le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre n’a pas été demandé ; ou c) lorsque le collège de la Grande Chambre rejettera la demande de renvoi formulée en application de l’article 43.

45. Elle considère que les mesures qu’elle a indiquées au Gouvernement en application de l’article 39 de son règlement doivent demeurer en vigueur jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou que la Cour rende une autre décision à cet égard.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

46. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

47. Le requérant ne présente aucune demande à ce titre.

B. Frais et dépens

48. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, la Cour constate qu’aucune demande chiffrée de remboursement des frais et dépens ne lui est parvenue dans les formes et délais. Dans ces conditions, aucune somme au titre des frais et dépens exposés par le requérant ne saurait être octroyée à ce dernier.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y aurait violation de l’article 3 de la Convention en cas de retour du requérant au Sri Lanka ;

3. Décide de continuer à indiquer au Gouvernement, en application de l’article 39 de son règlement, qu’il est souhaitable, dans l’intérêt du bon déroulement de la procédure, de ne pas expulser le requérant jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou que la Cour rende une autre décision à cet égard.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 septembre 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia WesterdiekMark Villiger
GreffièrePrésident


Synthèse
Formation : Cour (cinquiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-126363
Date de la décision : 19/09/2013
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Expulsion) (Volet matériel) (Conditionnel) (France) (Sri Lanka)

Parties
Demandeurs : R.J.
Défendeurs : FRANCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : REDLER C.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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