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23/07/2013 | CEDH | N°001-122890

CEDH | CEDH, AFFAIRE SCARLAT c. ROUMANIE, 2013, 001-122890


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE SCARLAT c. ROUMANIE

(Requêtes nos 68492/10 et 68786/11)

ARRÊT

STRASBOURG

23 juillet 2013

DÉFINITIF

23/10/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Scarlat c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Corneliu Bîrsan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,
Nona

Tsotsoria,
Kristina Pardalos,
Johannes Silvis, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le ...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE SCARLAT c. ROUMANIE

(Requêtes nos 68492/10 et 68786/11)

ARRÊT

STRASBOURG

23 juillet 2013

DÉFINITIF

23/10/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Scarlat c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Corneliu Bîrsan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,
Nona Tsotsoria,
Kristina Pardalos,
Johannes Silvis, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 juillet 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 68492/10 et 68786/11) dirigées contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Mihai Scarlat (« le requérant »), a saisi la Cour les 7 juillet 2010 et 10 octobre 2011 respectivement en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme Catrinel Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant se plaint en particulier des mauvaises conditions de détention dans les prisons de Bucarest-Jilava, de Bucarest-Rahova et de Giurgiu.

4. Les 15 septembre 2011 et 26 juin 2012, les requêtes ont été communiquées au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1977 et il est détenu à présent dans la prison de Giurgiu.

6. Depuis le 4 avril 2003, le requérant purge une peine de dix ans et trois mois de prison pour trafic de drogue. Pendant sa détention, il fut transféré dans différentes prisons.

A. Les conditions matérielles de détention

1. Les conditions de détention dans la prison de Bucarest-Jilava

7. Du 2 décembre 2008 et au 15 juillet 2010, le requérant fut incarcéré à la prison de Bucarest-Jilava.

a) La version du requérant

8. Le requérant indique qu’il avait été placé dans la cellule no 418 ayant un profil d’infirmerie. La superficie de la cellule était d’environ 20 m², pour quatorze lits. La cellule n’était pas raccordée à l’eau potable. Elle disposait d’un radiateur avec dix éléments ce qui, selon le requérant, n’était pas suffisant pour assurer le chauffage de la cellule pendant les saisons froides.

9. La cellule disposait d’un groupe sanitaire séparé de la pièce principale par une porte en carton. Dans cet espace il y avait deux toilettes asiatiques, un lavabo en béton avec trois robinets dont un seul en état de fonctionnement. Cet espace était raccordé à l’eau froide qui était fournie de 6 h à 22 h, et il ne disposait d’aucune source de chauffage. Le requérant souligne qu’il y avait de fortes odeurs de moisissure, d’urine et de matières fécales, en raison de l’état déplorable des canalisations d’évacuation des eaux usées. Le programme de douche était fixé à deux fois par semaine, pour une durée de dix minutes.

10. La cellule n’était pas suffisamment aérée et il y avait de la moisissure sur les murs. Aucun espace n’était disponible pour ranger les objets personnels. L’éclairage était assuré par une ampoule de quarante watts reliée de manière artisanale aux câbles électriques. L’éclairage ne fonctionnait pas pendant la nuit.

11. Le requérant indique que sa cellule était située à cinq mètres environ des locaux de la cuisine de la prison d’où émanaient des odeurs très fortes de nourriture ainsi que du bruit produit tous les jours de 5 h à 17 h. À l’extérieur de la cellule, à un mètre environ de la fenêtre, se trouvaient deux bouches d’égout ouvertes d’où provenaient de manière permanente des odeurs fortes d’urine et de matières fécales. Ces odeurs étaient insupportables pendant l’été ce à quoi il faut ajouter les mouches, moustiques et autres insectes. Il souligne également que la cellule était infestée de parasites, notamment de punaises, de perce-oreilles, de poux, de souris et de rats.

12. Les sorties en plein air avaient lieu tous les jours, de 15 à 17 h, sauf lorsque les conditions météorologiques étaient défavorables auquel cas aucune sortie n’était assurée. Dans la cour de promenade il y avait six bouches d’égout dont seulement trois étaient couvertes. Les trois autres débordaient de déchets ménagers, de matières fécales et de vers et dégageaient une odeur insupportable.

13. Le requérant souligne enfin que bien qu’il ait bénéficié du régime alimentaire « hépatique », la nourriture n’était pas adaptée à son état de santé. Souvent les plats contenaient des aliments périmés, de la terre et parfois des insectes ou des souris.

b) La version du Gouvernement

14. Le requérant fut détenu dans la cellule no 418 d’une superficie de 34,34 m² laquelle de février à juin 2010 avait été dotée de quatorze lits pour autant de détenus. Le 21 juin 2010, le nombre de lits avait été réduit à dix et en juillet 2010 à huit, afin que sept ou huit détenus y soient logés.

15. La prison était branchée au réseau public de distribution d’eau potable. L’eau chaude était fournie deux fois par semaine. La cellule bénéficiait d’un accès à une pièce séparée dotée de deux toilettes et un évier. Elle bénéficiait également d’illumination naturelle. La prison disposait de son propre système de chauffage.

16. La désinfection et la désinsectisation des cellules étaient assurées régulièrement, comme en témoignent les procès-verbaux de constatation dressés à la fin de ces opérations datées de décembre 2010 à août 2011. Le nettoyage des cellules relevait de la responsabilité des détenus. La cuisine ne fonctionnait pas au moment où l’intéressé avait introduit sa requête devant la Cour, au motif qu’elle était en réparation.

c) Les plaintes concernant les conditions de détention dans la prison de Bucarest-Jilava

17. En 2010, se fondant sur les dispositions de la loi no 275/2006 sur les droits des personnes détenues (« la loi no 275/2006 »), le requérant saisit le juge de l’exécution des peines, délégué auprès de la prison de Bucarest‑Jilava (« le juge délégué ») d’une plainte pour dénoncer les conditions de sa détention, telles que présentées devant la Cour.

18. Par une décision du 14 mai 2010, le juge délégué rejeta sa plainte comme mal fondée. Il nota que le requérant était détenu dans une cellule de 37,28 m² pour quatorze lits et un nombre de détenus variable sans que le nombre de places ne soit dépassé. La cellule disposait, parmi d’autres éléments, d’un groupe sanitaire séparé par une porte. Dans ce dernier espace il y avait deux toilettes asiatiques et un lavabo en béton avec trois arrivées d’eau froide.

19. Sur le plan de l’hygiène, le juge délégué nota que des contrats avaient été conclus avec différentes sociétés de dératisation, qui intervenaient au moins une fois par trimestre, avec des produits écologiques. La dernière intervention avait eu lieu en avril 2010. Le nettoyage des cellules et des groupes sanitaires était à la charge des détenus. L’administration pénitentiaire leur distribuait à cet effet des poubelles et des sacs poubelles. Les ordures ménagères étaient ramassées tous les jours par des détenus désignés pour ce faire. Les odeurs désagréables existant dans la cellule ne pouvaient pas être imputées à l’administration, mais aux autres détenus qui ne remplissaient pas leurs devoirs ménagers ou qui avait des habitudes malpropres, comme c’était le cas d’un codétenu du requérant qui changeait sa sonde urinaire dans la cellule.

20. Le juge délégué nota ensuite que le programme de douche était établi à deux fois par semaine pour une durée d’au moins quinze minutes pour chaque cellule. Il indiqua également que le requérant pouvait sortir en promenade tous les jours, de 8 h à 9 h et de 13 h à 15 h. En raison de l’ancienneté du bâtiment, les tuyaux de distribution d’eau devaient être réparés souvent ce qui impliquait des coupures d’eaux. Le réseau de canalisation de la prison avait une ancienneté de plus de quarante ans, il était sous-dimensionné par rapport aux besoins, et était en réparation jusqu’à novembre 2010. La cuisine était également en réparation jusqu’à novembre 2010.

21. Le juge délégué conclut que les normes minimales obligatoires concernant les conditions de détention étaient respectées. Sur contestation du requérant, par un arrêt définitif du 23 juin 2010, le tribunal de première instance de Bucarest confirma la décision du juge délégué.

22. Le 3 juin 2010, le requérant saisit à nouveau le juge délégué auprès de la prison de Bucarest-Jilava d’une plainte concernant les mauvaises conditions de détention, notamment les conditions précaires d’hygiène. Il indiqua qu’une flaque d’eau s’était constituée sous son lit en raison des infiltrations du groupe sanitaire ce qui provoquait de fortes odeurs pestilentielles et qu’aucune mesure n’avait été prise par les autorités pour l’éliminer, alors qu’un état des lieux avait été dressé le 19 mai 2010. Il releva également la présence des rats et de souris dans la cour de promenade et l’existence de bouches d’égout ouvertes d’où émanaient de manière permanente de fortes odeurs.

23. Par une décision du 6 juillet 2010, le juge délégué rejeta sa demande comme mal fondée. Pour ce qui est des conditions d’hygiène, il nota que des désinsectisations et des dératisations avaient lieu régulièrement, les dernières ayant eu lieu de janvier à avril 2010.

2. La remise en liberté du requérant pour des raisons médicales

24. Du 15 juillet au 21 septembre 2010, le requérant fut transféré à la prison de Giurgiu. Dans cette prison il aurait été détenu dans une cellule surpeuplée et sale qu’il aurait dû partager avec des détenus fumeurs. Après avoir formulé une plainte auprès de l’administration de la prison le 15 juillet 2010, l’intéressé fut transféré le 22 juillet 2010 dans une cellule sans détenus fumeurs. Le 21 septembre 2010, le requérant fut remis en liberté pour cause de suspension de sa peine afin de se soumettre à une intervention chirurgicale (paragraphe 38 ci-dessous).

3. La détention du requérant dans la prison de Bucarest-Rahova, après sa réincarcération

25. Après avoir subi l’intervention chirurgicale, le requérant fut réincarcéré du 10 février au 21 mai 2011 dans la prison de Bucarest‑Rahova. Pendant sa détention dans cette prison, le requérant contracta une maladie de la peau et fut hospitalisé pendant quelques jours au département de dermatologie de l’hôpital prison de Bucarest-Jilava.

a) La version du requérant

26. Le requérant indique avoir été détenu dans une cellule de 24 m² dotée de dix lits tous attribués. Il occupait lui-même un lit superposé ce qui l’obligeait de monter et de descendre du lit lui provoquant de fortes douleurs, en raison de son état de santé. La cellule ne bénéficiait d’aucun autre mobilier que les lits, ce qui obligeait les détenus à prendre leur repas sur le lit ou par terre.

27. La cellule était infestée de parasites et de punaises. Le requérant indique que l’administration de la prison ne fournissait pas le matériel nécessaire pour le nettoyage de la cellule. Les fenêtres de la cellule ne fermaient pas correctement. Le loquet de la porte qui séparait les toilettes de la cellule, était cassé. Dès lors, les mauvaises odeurs entraient dans la cellule. Le chauffage n’était fourni qu’une heure par jour.

b) La version du Gouvernement

28. Le requérant était détenu dans une cellule de 24,59 m² qu’il partageait avec huit autres détenus. La cellule bénéficiait d’eau potable, d’un système de chauffage et d’un système d’illumination adéquat.

29. Le nettoyage de la cellule relevait de la responsabilité des détenus. L’administration de la prison leur distribuait les produits nécessaires pour assurer l’hygiène personnelle et celle de la cellule. Des désinsectisations et des dératisations étaient assurées régulièrement.

c) Les plaintes concernant les conditions de détention dans la prison de Bucarest-Rahova

30. En avril 2011, le requérant saisit le juge délégué d’une plainte pour dénoncer les mauvaises conditions de détention. Par un jugement définitif du 18 août 2011, le tribunal de première instance de Bucarest fit partiellement droit à sa plainte et ordonna à l’administration de la prison de meubler la cellule du requérant d’une table et de bancs ou de chaises, dans la limite de l’espace disponible et de lui fournir un balai, une pelle, un seau avec une serpillère et des produits pour faire le ménage. Il ordonna également à l’administration de mettre à la disposition du requérant un lit situé au premier niveau. Quant aux allégations concernant le surpeuplement, le tribunal les rejeta comme mal fondées, au motif que lors d’un contrôle effectué par le juge délégué dans la cellule du requérant, seulement huit des dix lits existants dans la cellule étaient occupés.

31. Le 12 mai 2011, après avoir contracté une maladie de la peau, le requérant demanda à l’administration de la prison la permission de se voir fournir par sa famille un oreiller et une couette, au motif que ceux fournis par la prison était très usés, sales et infestés par différents insectes. Sa demande fut rejetée. Le requérant contesta ce refus devant le tribunal de première instance de Bucarest.

32. Par un jugement définitif du 19 juillet 2011, le tribunal de première instance confirma la décision de l’administration pénitentiaire, au motif que les objets sollicités ne figuraient pas sur la liste des « objets personnels » qui pouvaient être procurés de l’extérieur. Le tribunal de première instance nota toutefois que, compte tenu du risque de transmission des maladies par l’utilisation d’objets non nettoyés, la prison devait assurer le nettoyage des oreillers et des couettes attribués aux détenus.

4. Les conditions matérielles de détention dans la prison de Giurgiu

33. Le 21 mai 2011, le requérant fut transféré à la prison de Giurgiu située à environ 66 km de Bucarest où sa famille est domiciliée. Il est toujours détenu dans cette prison.

a) La version du requérant

34. Le requérant indique qu’il est logé dans la cellule no 108 qu’il partage avec des détenus fumeurs. Les lits sont superposés et un lit au niveau supérieur lui est assigné. La cellule est surpeuplée, les conditions d’hygiène sont mauvaises et la nourriture est de très mauvaise qualité.

b) La version du Gouvernement

35. Le requérant a été détenu successivement dans les cellules nos 2 (d’une superficie de 33,01 m² pour 7 détenus), 15 (21,27 m² pour 6 détenus), 9 (de 21,31 m² pour 6 détenus) et 8 (21,22 m² pour 6 détenus).

36. La première cellule bénéficiait d’un accès aux toilettes situées dans une pièce séparée. Des produits pour assurer le ménage étaient distribués régulièrement aux détenus pour maintenir la propreté dans les cellules. Les poubelles des cellules étaient vidées deux fois par jour. Le nettoyage des parties communes était assuré par les détenus. Des désinsectisations et des dératisations étaient réalisées régulièrement.

c) Les plaintes concernant les conditions de détention dans la prison de Giurgiu

37. Après sa réincarcération dans la prison de Giurgiu, le requérant saisit le juge délégué d’une plainte pour dénoncer les conditions matérielles de détention et le surpeuplement. Sa demande fut rejetée. Sur contestation du requérant, par un arrêt définitif du 13 septembre 2011, le tribunal de première instance de Giurgiu rejeta son action, au motif que les conditions de détention devaient être examinées par rapport aux conditions de détention générales existant dans la prison. Le fait pour le requérant d’avoir partagé sa cellule avec d’autres détenus ne constituait pas une atteinte à son droit à l’intimité dans la mesure où il avait bénéficiait de son propre lit. Il prit note de ce que après sa plainte adressée aux autorités en 2010, le requérant avait été rapidement transféré dans une autre cellule (paragraphe 24 ci-dessus) et qu’en tout état de cause, l’espace individuel dont il avait bénéficiait n’était pas inférieur à 3 m², comme la Cour l’avait établi dans l’affaire Florea c. Roumanie, (no 37186/03, 14 septembre 2010).

B. L’état de santé du requérant

1. Le suivi des maladies cardiaques du requérant

38. En 2009, le requérant contracta un « germe inconnu », qui aurait déclenché chez lui plusieurs maladies cardiaques, dont une endocardite infectieuse. Par un jugement du 6 septembre 2010, sur demande du requérant, le tribunal départemental de Bucarest ordonna l’interruption de l’exécution de sa peine pour une période de deux mois pour subir une intervention chirurgicale. Cette période fut prolongée ultérieurement de trois mois par un jugement du tribunal départemental de Bucarest du 10 novembre 2010 afin de permettre le rétablissement postopératoire du requérant. Le requérant fut remis en liberté le 21 septembre 2010 et il fut opéré le 8 novembre 2010.

2. Le suivi médical de la maladie d’hépatite C

39. Lors de son placement en détention, le 4 avril 2003, le requérant souffrait d’une hépatite C chronique. Une expertise médicale du 18 août 2004 établit qu’un traitement antiviral n’était pas nécessaire. En mai 2010, une nouvelle expertise médicale établit que le requérant devait suivre un traitement antiviral pour l’hépatite C pour une période allant de dix à douze mois. Ce traitement devait être administré après l’intervention chirurgicale qu’il devait subir (paragraphe 38 ci-dessus).

40. En 2011, le requérant commença un traitement pour l’hépatite C qui aurait été interrompu pendant six semaines, à savoir du 12 août au 22 septembre 2011. D’après le dossier, après sa réincarcération à la suite de l’intervention chirurgicale, le requérant n’a pas formé de plainte auprès du juge délégué près de la prison de Giurgiu pour dénoncer l’absence de traitement médical.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

41. Les dispositions pertinentes de la loi no 275/2006 sur les droits des personnes détenues ainsi que les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) rendues à la suite de plusieurs visites effectuées dans des prisons de Roumanie, tout comme ses observations à caractère général, sont résumées dans les arrêts Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 113‑129, 24 juillet 2012) et Cucu c. Roumanie (no 22362/06, § 56, 13 novembre 2012).

42. Le CPT a dressé un état des lieux détaillé de la situation rencontrée dans les différents établissements pénitentiaires roumains visités en janvier 1999 et en juin 2006, dont la prison de Bucarest-Jilava. Dans son rapport publié le 11 décembre 2008 à la suite de sa visite en juin 2006 dans plusieurs établissements pénitentiaires de Roumanie, le CPT a constaté que la norme officielle d’espace de vie par détenu dans les cellules avait été fixée à 4 m² ou 8 m3. Il a recommandé aux autorités roumaines de prendre les mesures nécessaires au respect de cette norme dans les cellules collectives de tous les établissements pénitentiaires de Roumanie. Le Comité s’est montré très préoccupé par le fait que le surpeuplement des prisons demeurait un problème persistant à l’échelon national. Qualifiant d’« atterrantes » les conditions matérielles de détention dans certaines cellules de la prison de Bucarest-Jilava en raison, notamment, du surpeuplement chronique, du manque constant de lits, des conditions d’hygiène déplorables et de l’insuffisance d’activités éducatives pour les détenus, le CPT a recommandé aux autorités roumaines de prendre des mesures immédiates afin de réduire de façon significative le taux d’occupation des cellules. La direction de la prison a attiré l’attention de la délégation du CPT sur le fait que les conditions matérielles étaient « extrêmement médiocres » dans l’ensemble de la prison.

43. Les extraits pertinents de la Recommandation no (2006)2 du Comité des Ministres aux États membres sur les règles pénitentiaires européennes, adoptées le 11 janvier 2006, sont décrites dans les arrêts Enea c. Italie ([GC], no 74912/01, § 48, CEDH 2009, et Rupa c. Roumanie (no 1), no 58478/00, § 88, 16 décembre 2008).

EN DROIT

I. SUR LA JONCTION DES REQUÊTES

44. La Cour constate que les deux requêtes introduites par le même requérant concernent des périodes successives de sa détention. Dès lors, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, il y a lieu, en application de l’article 42 § 1 du Règlement de la Cour, de les joindre.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

45. Dans sa requête du 7 juillet 2010, le requérant, invoquant l’article 3 de la Convention, se plaint des mauvaises conditions de sa détention dans la prison de Bucarest-Jilava. Dans sa requête du 10 octobre 2011, il dénonce les conditions de sa détention dans les prisons de Bucarest-Rahova et de Giurgiu, qu’il estime également contraires à l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

46. La Cour note à titre liminaire que le requérant a été détenu dans la prison de Giurgiu pendant deux périodes : tout d’abord, il y a séjourné du 15 juillet au 21 septembre 2010, pour y être réincarcéré du 21 mai 2011 jusqu’à présent. Le 21 septembre 2010, le requérant a été remis en liberté pendant cinq mois environ pour des raisons médicales. Compte tenu de la remise en liberté du requérant et du fait qu’il n’a formulé son grief concernant les conditions matérielles de détention dans la prison de Giurgiu que le 10 octobre 2011, la Cour estime que la partie du grief concernant les conditions de détention dans la prison de Giurgiu du 15 juillet au 12 septembre 2010 est tardive et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

47. Pour ce qui est du restant du grief, à savoir les conditions de détention dans les prisons de Bucarest-Jilava et de Bucarest-Rahova ainsi que dans la prison de Giurgiu après le 21 mai 2011, la Cour estime qu’il n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

48. Le requérant soutient que les conditions de sa détention dans les prisons de Bucarest-Jilava, de Bucarest-Rahova et de Giurgiu constituent un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Il détaille les conditions de sa détention dans la prison de Bucarest-Jilava et précise que les observations du Gouvernement portent uniquement sur la dernière période de sa détention dans cette prison, sans décrire les conditions de sa détention de décembre 2008 à février 2010. Il verse au dossier de l’affaire une déclaration d’un codétenu de la prison de Bucarest-Jilava qui confirme ses allégations quant aux conditions d’hygiène.

49. Concernant les conditions de détention dans la prison de Bucarest‑Rahova, il précise avoir partagé sa cellule avec neuf autres détenus, et non pas avec sept, comme l’indique le Gouvernement. Il fournit à ce sujet la déclaration d’un codétenu faite sous serment devant le tribunal de première instance de Bucarest dans le cadre d’une plainte dénonçant les conditions matérielles de détention, déclaration dans laquelle il est noté que la cellule était occupée par dix détenus et qu’occasionnellement il y avait un lit inoccupé. Il souligne que l’eau courante était distribuée selon un programme préétabli et verse au dossier une copie de ce programme affiché dans la prison. Il ajoute que les jugements rendus par le tribunal de première instance à la suite de ses plaintes n’ont pas été exécutés.

50. Pour ce qui est des conditions de détention dans la prison de Giurgiu, le requérant accuse le Gouvernement de vouloir cacher la surpopulation existant dans la prison, en ajoutant les toilettes attenantes qui seraient de 3,99 m², à la superficie de la cellule qui serait donc en réalité de 17,23 m².

51. Renvoyant à sa version des faits, le Gouvernement estime que l’article 3 de la Convention n’a pas été méconnu en l’espèce par les autorités nationales. Il ajoute que le requérant était fumeur, de sorte qu’il ne peut pas se plaindre d’avoir été détenu avec d’autres fumeurs. Il ajoute que les autorités ont agi rapidement et ont transféré le requérant dans une autre cellule lorsque cela avait été nécessaire, comme cela a d’ailleurs été constaté par le tribunal de première instance de Giurgiu (paragraphe 24 ci-dessus).

52. La Cour rappelle que, l’article 3 de la Convention impose à l’État de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure dont l’intéressé fait l’objet ne le soumettent pas à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 92-94, CEDH 2000-XI).

53. S’agissant des conditions de détention, la Cour prend en compte les effets cumulatifs de celles-ci ainsi que les allégations spécifiques du requérant (Dougoz c. Grèce, nº 40907/98, CEDH 2001-II). En particulier, le temps pendant lequel un individu a été détenu dans les conditions incriminées constitue un facteur important à considérer (Alver c. Estonie, no 64812/01, 8 novembre 2005). En outre, dans certains cas, lorsque la surpopulation carcérale atteint un certain niveau, le manque d’espace dans un établissement pénitentiaire peut constituer l’élément central à prendre en compte dans l’appréciation de la conformité d’une situation donnée à l’article 3 (en ce sens, Karalevičius c. Lituanie, no 53254/99, 7 avril 2005).

54. En l’occurrence, le requérant dénonce d’abord les conditions de détention dans la prison de Bucarest-Jilava et plus particulièrement, le surpeuplement qu’il y a subi et les très mauvaises conditions d’hygiène.

55. La Cour renvoie à sa jurisprudence sur la manière dont, dans des affaires similaires, elle a fait application du principe affirmanti incumbit probatio lorsque le Gouvernement est le seul à avoir accès aux informations susceptibles de confirmer ou d’infirmer les affirmations du requérant (Khoudoyorov c. Russie, no 6847/02, § 113, CEDH 2005‑X (extraits), et Brânduşe précité § 48). Elle constate qu’en l’espèce, concernant les allégations de surpeuplement, le Gouvernement n’a pas fourni de renseignements concernant la détention du requérant dans la prison de Bucarest-Jilava antérieurement à février 2010. L’absence de ces données ne saurait cependant constituer une raison suffisante pour écarter purement et simplement les allégations de l’intéressé quant au surpeuplement des cellules (Stana c. Roumanie, no 44120/10, § 45, 5 mars 2013).

56. Même si l’on ne s’en tient qu’aux renseignements fournis par le Gouvernement, le requérant a disposé de février à juillet 2010 d’un espace individuel réduit allant de 2,45 m² à 3,43 m², soit une surface inférieure à la norme de 4 m² recommandée par le CPT pour les cellules collectives (voir, mutatis mutandis, Colesnicov c. Roumanie, no 36479/03, §§ 78-82, 21 décembre 2010, et Budaca c. Roumanie, no 57260/10, §§ 40-45, 17 juillet 2012).

57. Quant aux conditions d’hygiène dans la prison de Bucarest-Jilava, la Cour observe que, les rapports issus de la visite du CPT de juin 2006 qualifient les conditions de détention dans cette prison de « atterrantes » (paragraphe 42 ci-dessus ; voir également Eugen Gabriel Radu c. Roumanie, no 3036/04, § 30, 13 octobre 2009). Il suffit à ce titre d’observer que, dans le dernier rapport du CPT précité, ces conditions sont décrites comme étant relativement similaires dans l’ensemble de la prison et sont qualifiées d’« extrêmement médiocres » même par la direction de la prison. La Cour note également que dans le cadre d’une plainte adressée par le requérant, le juge délégué s’est limité à constater certaines défaillances sanitaires sans toutefois ordonner des mesures concrètes et immédiates susceptibles d’améliorer sa situation (paragraphe 23 ci-dessus). Une telle conclusion trop formaliste ne prenant pas en compte les nécessités présentes des détenus rend ineffectif le recours formulé par l’intéressé. Il est vrai que le Gouvernement a fourni des procès-verbaux constatant que des désinsectisations avaient lieu régulièrement. Toutefois, ces documents correspondent à une période ultérieure à la détention du requérant dans cette prison. En outre, la Cour rappelle qu’elle a déjà conclu à plusieurs reprises à la violation de l’article 3 en raison des conditions de détention inappropriées dans la prison de Bucarest-Jilava correspondant à des périodes proches de celle où l’intéressé y a été incarcéré (Banu c. Roumanie, no 60732/09, §§ 36‑37, 11 décembre 2012, Iacov Stanciu, précité, Flamînzeanu c. Roumanie, no 56664/08, 12 avril 2011).

58. S’agissant des conditions de détention que le requérant a subies dans la prison de Bucarest-Rahova, le Cour constate que le requérant a bénéficié d’un espace individuel allant de 2,45 m² à 3,07 m², ce qui reste en-dessous de la norme de 4 m² recommandée par le CPT. Par ailleurs, sur plainte du requérant, le tribunal de première instance de Bucarest constata implicitement dans son jugement du 18 août 2011 que des produits nécessaires pour assurer le ménage n’étaient pas remis aux détenus et ordonna que ces produits soient mis à la disposition de l’intéressé (paragraphe 30 ci-dessus). Cela étant, ce jugement n’a été rendu que plusieurs mois après le transfert du requérant dans une autre prison, à savoir celle de Giurgiu, de sorte qu’il n’avait pas pu améliorer la situation de l’intéressé.

59. La Cour estime que les conditions de détention subies par le requérant pendant un laps de temps d’environ un an et dix mois, n’ont pas manqué de le soumettre à une épreuve d’une intensité qui excédait le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention. Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

60. Compte tenu de ce constat, la Cour n’estime pas nécessaire de se pencher en outre sur la partie du grief relative aux conditions de détention à la prison de Giurgiu, dans la mesure où les thèses des parties concernant les conditions de détention divergent (Micu c. Roumanie, no 29883/06, § 90, 8 février 2011).

III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

61. Invoquant les articles 3 et 8 de la Convention, le requérant se plaint de l’absence de traitement médical en détention et de la distance qui existe entre son lieu de détention et le domicile de sa famille. Il cite également les articles 1, 6, 13 et 14 de la Convention. Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par les articles de la Convention. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

62. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

63. Le requérant réclame 85 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel représentant les revenus qu’il aurait pu obtenir s’il n’avait pas été déclaré inapte au travail en raison de ses maladies. Il demande également 60 000 EUR au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

64. Le Gouvernement conteste ces sommes et considère qu’un éventuel constat de violation serait une réparation suffisante pour le préjudice moral allégué.

65. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 4 500 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

66. Le requérant demande également 4 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes ainsi que ses dépenses faites en prison pour assurer sa survie. Cette somme couvrirait également le coût des traductions des documents envoyés à la Cour et les frais de correspondance y afférents.

67. Le Gouvernement relève que la somme demandée n’a pas de lien avec l’éventuelle violation de l’article 3 de la Convention et que l’intéressé n’a pas fourni de justificatifs pour l’étayer.

68. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000‑XI). En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 730 EUR tous frais confondus et l’accorde aux requérants.

C. Intérêts moratoires

69. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de joindre les requêtes ;

2. Déclare les requêtes recevables quant au grief tiré de l’article 3 de la Convention pour ce qui est des conditions matérielles de détention dans les prisons de Bucarest-Jilava, de Bucarest-Rahova et, en ce qui concerne la prison de Giurgiu, à partir du 21 mai 2011, et irrecevables pour le surplus ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention pour ce qui est des conditions matérielles de détention dans les prisons de Bucarest-Jilava et de Bucarest-Rahova ;

4. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner la partie du grief tiré de l’article 3 de la Convention concernant les conditions de détention dans la prison de Giurgiu ;

5. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’Etat défendeur, au taux applicable à la date du règlement :

i) 4 500 EUR (quatre mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii) 730 EUR (sept cent trente euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 juillet 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-122890
Date de la décision : 23/07/2013
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant;Traitement inhumain) (Volet matériel)

Parties
Demandeurs : SCARLAT
Défendeurs : ROUMANIE

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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