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16/07/2013 | CEDH | N°001-122362

CEDH | CEDH, AFFAIRE STOLERIU c. ROUMANIE, 2013, 001-122362


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE STOLERIU c. ROUMANIE

(Requête no 5002/05)

ARRÊT

STRASBOURG

16 juillet 2013

DÉFINITIF

16/10/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Stoleriu c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Corneliu Bîrsan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,


Kristina Pardalos,
Valeriu Griţco, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 25 juin 2013...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE STOLERIU c. ROUMANIE

(Requête no 5002/05)

ARRÊT

STRASBOURG

16 juillet 2013

DÉFINITIF

16/10/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Stoleriu c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Corneliu Bîrsan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,
Kristina Pardalos,
Valeriu Griţco, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 25 juin 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 5002/05) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Mircea Stoleriu (« le requérant »), a saisi la Cour le 17 janvier 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me Dragoş Chilea, avocat à Constanţa. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme Carmen Ciută, du ministère des Affaires étrangères, puis par Mme Irina Cambrea, qui l’a remplacée dans ses fonctions.

3. Le requérant allègue en particulier que les conditions de sa détention à la prison de Botoşani, son enchaînement à l’hôpital public de cette ville, ainsi que les conditions de détention au siège du tribunal de Suceava auraient été contraires à l’article 3 de la Convention.

4. Le 30 novembre 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1954 et réside à Suceava.

6. Le 9 avril 2003, alors qu’il était commissaire-en-chef à la direction départementale de la police de Suceava, le requérant fut inculpé par le parquet national anticorruption (« le PNA ») du chef de plusieurs infractions de corruption et trafic d’influence.

7. Le 10 avril 2003, par décision d’un procureur du PNA, il fut placé en détention provisoire pour une durée de trente jours.

8. Par réquisitoire du 26 juin 2003, il fut renvoyé en jugement devant la cour d’appel de Târgu Mureş, qui le condamna à une peine de trois ans d’emprisonnement le 12 mai 2004. Par arrêt du 28 juillet 2004, la Haute Cour de Cassation et de Justice fit droit au pourvoi en cassation du PNA et, après avoir constaté l’omission de la cour d’appel de statuer sur un des chefs d’accusation, le condamna également de ce chef et aggrava la peine infligée au requérant, la portant à cinq ans d’emprisonnement.

9. Il fut libéré conditionnellement le 8 août 2006.

A. Conditions de détention et soins médicaux en prison

1. Conditions de détention pendant la période antérieure au 13 juillet 2004

10. Dès son incarcération, le requérant aurait été obligé de se couper les cheveux, de revêtir des vêtements usés et trop petits, et aurait été exposé au harcèlement des autres détenus, en raison de sa qualité d’ancien responsable de la police.

11. Le 30 mai 2003, il fut placé, au dépôt de la police de Suceava, dans une cellule surpeuplée qui ne disposait pas de toilettes. Le 30 juin 2003, il fut transféré à la prison de Botoşani, toujours dans une cellule surpeuplée, selon lui, qu’il partageait avec des fumeurs.

12. Du 8 septembre 2003 au 13 juillet 2004, il fut incarcéré à la prison de Târgu Mureş, dans des conditions similaires. À cause de ces conditions de détention et notamment du tabagisme passif, le requérant aurait développé de l’hypertension artérielle.

Du 13 juillet au 18 août 2004, il fut incarcéré à la prison de Bucarest‑Jilava.

13. Le transport du requérant entre plusieurs centres pénitentiaires sis dans des endroits du pays éloignés les uns des autres, aurait été fait par des moyens rudimentaires et en compagnie de détenus fumeurs.

2. Conditions de détention à la prison de Botoşani après le 18 août 2004

14. Le 18 août 2004, le requérant retourna à la prison de Botoşani.

15. Le 27 août 2004, il obtint, à la suite de ses demandes répétées, d’être placé dans la cellule no 95, avec deux autres personnes, non-fumeurs. Il indique que l’espace dont il disposait dans cette cellule n’était que de 2 m² et qu’il y était confiné toute la journée, dans l’obscurité, ne pouvant pas sortir.

16. D’après le Gouvernement, après un incident violent du 27 septembre 2004, dont le requérant fut victime, des mesures de protection furent prises à son égard, parce que les détenus le menaçaient et qu’il courait un risque d’agression. Ces mesures auraient consisté à le faire sortir de sa cellule à un autre moment que les autres.

17. Le requérant soutient qu’à partir du 6 octobre 2004, pendant plusieurs périodes s’étalant sur 235 jours, au total, il n’aurait pas été autorisé à sortir de sa cellule pour faire sa promenade journalière. La plus longue période pendant laquelle il ne put sortir fut comprise entre les 15 février et 15 juin 2005. Il soutient également que pendant les soixante-douze dernières semaines de sa détention, il aurait seulement été autorisé à sortir sur le terrain de sport douze fois.

3. Soins médicaux en prison

18. Le 10 juin 2005, un rapport médicolégal établit que le requérant pouvait être soigné en prison pour ses maladies. Ainsi, le 5 octobre 2005, sa demande de libération conditionnelle pour raisons de santé fut rejetée.

19. Par lettre du 30 juin 2005, l’Administration nationale des prisons informa les cabinets médicaux des prisons que, les ressources financières étant épuisées, la Caisse nationale d’assurance maladie ne pouvait plus assurer l’acquisition des médicaments nécessaires aux détenus, pendant les mois de juillet à septembre 2005.

D’après le Gouvernement, la famille du requérant lui fournit les médicaments nécessaires pendant cette période.

20. Le 12 décembre 2005, le requérant forma une requête concernant les mauvaises conditions de détention, le manque de médicaments et l’exposition au tabagisme passif, fondée sur le règlement d’urgence no 56/2003. Il se vit retourner cette requête par le tribunal, en raison du fait que la valeur des prétentions n’avait pas été précisée. Il la compléta et la présenta à nouveau le 4 janvier 2006. Après sept décisions déclinatoires de compétence, rendues par les tribunaux de première instance de Botoşani et de Bucarest, ainsi que par le tribunal départemental de Botoşani et la cour d’appel de Suceava, les 24 janvier, 23 mars, 21 juin, 27 juillet 2006 et 12 janvier, 20 avril et 8 juin 2007, cette requête fut finalement rejetée comme manifestement mal fondée, le 28 avril 2011.

4. Conditions dans les cellules du palais de justice de Suceava

21. Pour comparaître devant les tribunaux de première instance et départemental ainsi que devant la cour d’appel de Suceava, le requérant était amené au palais de justice de Suceava et gardé, en attendant sa comparution, dans une des trois cellules se trouvant au sous-sol du bâtiment ayant, selon le requérant, des dimensions d’environ 9 m², sans fenêtre ni possibilité d’aération, où quinze à vingt détenus étaient placés pendant six à neuf heures, correspondant à la durée d’une journée d’audiences. L’air aurait été irrespirable y compris à cause de la fumée de tabac provenant des détenus fumeurs. Selon le requérant, l’humidité, l’odeur irrespirable des toilettes improvisées sur une conduite d’évacuation des eaux usées et la présence de plusieurs personnes entassées dans un espace très réduit étaient tellement insupportables qu’elles causaient souvent l’évanouissement des détenus.

D’après le requérant il fut exposé à ces conditions pendant environ quatre-vingt heures, au total, soit plus d’une dizaine de fois.

22. Malgré ses réclamations auprès du ministère de la Justice, ces conditions restèrent inchangées.

23. Par lettre du 6 octobre 2004, le vice-président de la cour d’appel de Suceava informa le requérant que les conditions dénoncées par lui étaient dues au fait que des travaux étaient en cours au siège des trois juridictions et qu’un nouveau local destiné à accueillir les détenus était en cours d’aménagement et devrait être finalisé en priorité.

24. D’après le requérant, les travaux excédèrent trois ans durant lesquels les conditions ne s’améliorèrent pas.

25. Par lettre du 22 mars 2011, le président du tribunal du département de Suceava informa l’agent du Gouvernement, aux fins de la présente affaire, que les travaux effectués dans les locaux destinés à accueillir les personnes privées de liberté qui comparaissaient devant le tribunal avaient pris fin en 2007. Il indiquait que pendant la durée des travaux, d’autres pièces du bâtiment du palais de justice avaient été utilisées pour garder les personnes détenues attendant leur comparution. Il mentionna que ces pièces pouvaient être aérées.

5. L’incident violent du 27 septembre 2004

26. Le 27 septembre 2004, le requérant subit une agression de la part d’un codétenu, L.M., qui lui causa une contusion faciale et la perte d’une dent. Cette agression était apparemment motivée par le fait que le requérant, en tant qu’agent de police judiciaire, aurait enquêté sur L.M. en 2001.

27. Il porta plainte contre l’agresseur, pour outrage contre un fonctionnaire public. Par jugement du 5 mai 2005 du tribunal de première instance de Botoşani et arrêt du 22 novembre 2005 du tribunal départemental de Botoşani, le non-lieu rendu par le parquet à l’égard de L.M. du chef d’outrage fut confirmé, car le requérant n’était plus en fonction. L’affaire fut renvoyée par le parquet au tribunal de première instance du chef de coups et blessures.

28. Par jugement du 7 novembre 2005, le tribunal de première instance de Botoşani condamna L.M. à deux ans de prison pour l’agression du requérant. En outre, L.M. fut obligé à payer au requérant 1 000 nouveaux lei roumains (RON, ci-après) au titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral encouru.

B. Immobilisation du requérant à l’hôpital et son exposition en public avec des menottes

1. Les circonstances de l’immobilisation du requérant

29. D’avril 2003 à juin 2005, le requérant fut présenté devant les tribunaux, le parquet, à l’hôpital et à l’institut médicolégal avec des menottes en présence d’un public nombreux. Pour la seule année 2005, il aurait ainsi été présenté à dix-neuf reprises.

30. Du 30 mai 2005, à 13 heures au 31 mai 2005, à 11 heures 30, il fut hospitalisé à l’hôpital départemental de Botoşani. Un diagnostic de stéatose hépatique, hypersplénisme, pancréatite chronique, lithiase rénale, discopathie lombaire, varices aux membres inférieurs, hypertension artérielle de IIème degré et obésité commune de IIème degré fut établi.

31. À cette occasion, il fut présenté pour examen à sept médecins et conduit menotté de l’un à l’autre, à travers les couloirs et les salles d’attente de l’hôpital, par deux gardiens de prison.

32. Au cours de son hospitalisation, il fut immobilisé au lit, jour et nuit, avec des menottes et des chaînes, de sorte qu’il ne pouvait pas bouger. Ainsi, ses mains étaient attachées au lit avec une paire de menottes, alors qu’autour du thorax passait une ceinture en chaînes. De ce fait, le requérant ne pouvait faire aucun mouvement dans son lit.

33. Il ressort du dossier que la « ceinture en chaîne » (curea lanţ) utilisée pour l’immobiliser mesurait 1,5 mètres et comportait deux rangées de chaines, une plus grosse, l’autre plus fine, dont les extrémités étaient fixées sur une menotte de chaque côté.

34. Le requérant affirme qu’il ne fit jamais preuve d’un comportement dangereux, qui ait pu rendre son enchaînement au lit nécessaire.

2. La plainte du requérant au sujet de son immobilisation

35. Le 14 février 2006, il porta plainte pour son immobilisation avec des menottes et des chaînes.

36. Le 7 mars 2006, un non-lieu fut rendu par le parquet près le tribunal départemental de Botoşani, au motif que son immobilisation, lors de son hospitalisation les 30 et 31 mai 2005, avait été exécutée en conformité avec le « plan-cadre » no 1165 du 19 mai 1997, ordonné par le directeur de l’Administration nationale des prisons, afin de l’empêcher de s’enfuir. Il fut aussi tenu compte du fait que son hospitalisation avait eu lieu dans des locaux partagés par des patients civils, et donc non-équipés de verrous et de barreaux aux fenêtres.

37. Par jugement du 9 mai 2006, le tribunal départemental de Botoşani infirma le non-lieu et ordonna un complément d’enquête.

38. Après ce complément d’enquête, le 15 août 2005, un non-lieu fut rendu en l’affaire. Le procureur constata que le moyen d’immobilisation utilisé sur la personne du requérant était « la ceinture en chaîne » composée de deux menottes liées par des chaînes qui devaient entourer la taille de la personne immobilisée. Il ajouta que ce mécanisme avait été homologué par l’Administration des prisons et devait être utilisé lors du traitement médical, sans considération de la dangerosité du patient détenu.

39. Le non-lieu du 15 août 2005 fut infirmé le 24 septembre 2006 par le procureur-en-chef du parquet près le tribunal départemental de Botoşani.

40. Après un nouveau complément d’enquête, un non-lieu fut rendu le 30 mars 2007 et confirmé le 15 juin 2007, au motif que l’immobilisation du requérant au lit jour et nuit avait été conforme aux dispositions réglementaires.

41. Sur recours du requérant, par arrêt du 25 octobre 2007, la Haute Cour de Cassation et de Justice infirma le non-lieu du 30 mars 2007. La Haute Cour renvoya l’affaire devant le parquet et indiqua qu’il fallait chercher si l’immobilisation du requérant avait été rendue nécessaire par son comportement et si son état de santé était compatible avec les moyens d’immobilisation utilisés.

42. Le 21 février 2008, le parquet près la cour d’appel de Suceava rendit un non-lieu dans cette affaire. Le requérant contesta ce non-lieu, qui fut infirmé par le procureur-en-chef, le 16 avril 2008, pour un vice de forme.

43. Après d’autres investigations, le parquet rendit un cinquième non‑lieu, le 13 août 2008, au motif que les mesures d’immobilisation en question avaient été prises en conformité avec l’article 22 de l’arrêté no 945 du 9 mars 2000, rendu par le directeur de l’Administration nationale de prisons et confirmé par le ministre de la Justice.

44. À la suite des recours du requérant, ce non-lieu fut maintenu par décision de la cour d’appel de Suceava du 3 novembre 2008. La cour d’appel indiqua que les seuls moyens d’immobilisation dont l’Administration des prisons disposait à l’époque des faits étaient les menottes et les ceintures en chaînes. Elle conclut que, d’après une expérimentation judiciaire, qui avait été ordonnée dans le dossier, une personne ainsi immobilisée pouvait aisément bouger dans son lit. De plus, la cour d’appel indiqua que le cahier de consignes pour les gardiens accompagnant les personnes détenues à l’hôpital mentionnait que « sans distinction aucune relative au degré de dangerosité du détenu ou à son état de santé, des mesures d’immobilisation au lit devraient être prises, avec des moyens spécifiques conçus et réalisés de manière à ne pas entraver l’acte médical et à ne pas nuire à son état de santé ».

Par un arrêt du 27 janvier 2009, la Haute Cour de Cassation et Justice entérina la décision de la cour d’appel.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

A. Le droit et la pratique concernant l’exécution des peines

45. Les dispositions générales du droit interne pertinent concernant l’exécution des peines privatives de liberté, le droit des détenus à l’assistance médicale et leur couverture par le régime public de sécurité sociale sont partiellement décrites dans les arrêts Gagiu c. Roumanie (no 63258/00, §§ 41-42, 24 février 2009), Măciucă c. Roumanie (no 25763/03, § 14, 26 mai 2009) et V.D. c. Roumanie (no 7078/02, §§ 73‑79, 16 février 2010).

46. Les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) rendues à la suite des visites effectuées dans des prisons de Roumanie, tout comme les observations à caractère général du CPT, sont résumées dans les arrêts Bragadireanu c. Roumanie (no 22088/04, §§ 73-76, 6 décembre 2007) et Brânduşe c. Roumanie (no 6586/03, § 33, 7 avril 2009).

47. Le rapport publié par le CPT en 2008 à l’égard de la Roumanie, à la suite de sa visite de 2006, fait état des conditions particulièrement préoccupantes dans les cellules situées en sous-sol d’un tribunal, à savoir celui de Piatra-Neamţ, ville située à environ 100 km de Suceava. Les extraits pertinents du rapport sont ainsi libellés :

« Le CPT est particulièrement préoccupé par les conditions de détention dans les cellules situées en sous-sol au tribunal pénal de Piatra-Neamt. Les détenus provenant de Bicaz et de la prison de Bacău ayant une audience au tribunal étaient maintenus toute une journée dans l’une des trois cellules obscures, humides et privées d’aération. Des détenus hommes de la prison de Bacău se sont plaints qu’ils étaient plus d’une cinquantaine à être entassés dans la cellule la plus grande (mesurant 13,3 m²) sans pouvoir effectuer un seul mouvement, sans eau et sans nourriture. Dans les trois cellules, un seau était à la disposition des détenus pour faire leurs besoins. Si les allégations des détenus étaient avérées, de telles conditions pourraient à juste titre être qualifiées d’inhumaines et dégradantes.

La présidente du tribunal a informé la délégation qu’elle était consciente de la situation et avait sollicité à quatre reprises le Ministère de la Justice à ce sujet. Dans le même temps, le Ministère aurait rencontré certaines difficultés à trouver une infrastructure de remplacement adaptée. »

B. Le droit et la pratique concernant les conditions d’hospitalisation d’une personne détenue dans un hôpital civil

48. Le droit et la pratique interne pertinents concernant les conditions d’hospitalisation dans un hôpital civil d’une personne détenue sont décrites dans l’arrêt Tănase c. Roumanie (no 5269/02, §§ 46-49, 12 mai 2009).

49. L’arrêté no 945 du 9 mars 2000, pris par le directeur de l’Administration nationale de prisons et confirmé par le ministre de la Justice régissant l’immobilisation des personnes détenues, n’est pas publié au Journal Officiel. Selon la décision du 3 novembre 2009 de la cour d’appel de Suceava, rendue en l’espèce, l’article 22 de cet arrêté prévoyait que « pendant toute la période où une personne détenue se trouve hospitalisée dans un hôpital civil du réseau du ministère de la Santé, des moyens d’immobilisation doivent être appliqués sur elle, tant lors de ses déplacements en dehors de sa chambre, que lorsqu’elle est dans son lit ». Cet arrêté était en vigueur jusqu’au 28 octobre 2006, date de l’entrée en vigueur de la loi no 275/2006 sur l’exécution des peines.

50. Les extraits pertinents des règles pénitentiaires européennes (la Recommandation no R (87) 3 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres sur les règles pénitentiaires européennes, adoptée par le Comité des Ministres le 12 février 1987, lors de la 404e réunion des Délégués des Ministres) sont décrits dans l’arrêt Rupa c. Roumanie (no 1) (no 58478/00, § 88, 16 décembre 2008).

La partie pertinente est libellée comme suit :

« Moyens de contrainte

39. L’emploi de chaînes et de fers doit être prohibé. (...) »

51. Dans son rapport relatif aux visites effectuées en Roumanie, du 16 au 25 septembre 2002 et du 9 au 11 février 2003, le Comité européen de prévention de la torture et de des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« CPT ») a signalé la pratique du menottage au mobilier des détenus hospitalisés dans des hôpitaux civils et a demandé des commentaires au Gouvernement sur cet aspect (voir paragraphe 85 de ce rapport).

Dans sa réponse au rapport précité du CPT, le Gouvernement a indiqué :

« À l’égard de l’immobilisation des détenus hospitalisés dans les hôpitaux du réseau du ministère de la Santé, cette mesure a été imposée, exclusivement, par le degré augmenté de dangerosité posé par ceux-ci et par leurs maladies, corroboré au manque d’aménagements de sûreté dans les salons des hôpitaux.

On fait la mention qu’il n’y a pas la possibilité de l’internement des détenus dans des salons individuels, dotés de systèmes spécifiques de sûreté, ceux-ci étant hospitalisés dans des chambres où des personnes non-privées de liberté s’y trouvent.

La mesure de l’immobilisation est prise par le directeur de la prison, avec l’avis du médecin de l’hôpital où se trouve le détenu.

Ayant en vue la mise en fonction du nouvel hôpital pénitencier Rahova, (...), la dotation d’autres hôpitaux pénitenciers d’appareils modernes et l’encadrement de personnel qualifié, le nombre de détenus qui seront internés dans les hôpitaux du réseau du ministère de la Santé sera réduit et, par suite, la mesure de l’immobilisation deviendra inefficiente (...). »

52. La loi no 275/2006 sur l’exécution des peines et des mesures ordonnées par les organes judiciaires dans le cadre du procès pénal, publiée au Journal officiel no 627 du 20 juillet 2006, est entrée en vigueur le 18 octobre 2006. L’article 159 § 3 du règlement d’application de cette loi, publié au Journal officiel no 24 du 16 janvier 2007, prévoit :

« Les menottes métalliques ne peuvent pas être utilisées pour immobiliser les personnes privées de liberté qui se trouvent dans une unité sanitaire. Le modèle et le mode d’utilisation des moyens d’immobilisation utilisés dans les unités sanitaires sont établis par décision du directeur général de l’Administration nationale des prisons. »

EN DROIT

I. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

53. Le requérant allègue plusieurs violations de l’article 3 de la Convention, dont une partie est exposée aux paragraphes 54-56, le restant étant résumé à la section suivante (paragraphes 85-88, ci-dessous).

54. Il allègue tout d’abord que les conditions de détention dans la cellule no 95 à la prison de Botoşani et dans les cellules du palais de justice de Suceava constituent des traitements inhumains ou dégradants.

55. Il se plaint en outre d’être tombé malade à cause des mauvaises conditions de détention, en indiquant qu’il était sain lors de son incarcération, en avril 2003.

56. Il se plaint aussi de ce que pendant la période d’avril 2003 à juin 2005, il a été présenté aux tribunaux, au parquet, à l’hôpital et à l’institut médicolégal avec des menottes en présence d’un public nombreux et qu’au cours de son hospitalisation, en mai 2005, il a été immobilisé au lit, jour et nuit, avec des menottes et des chaînes, malgré ses souffrances et en dépit du fait qu’il n’avait jamais fait preuve d’un comportement dangereux.

57. L’article 3 est ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité de cette partie de la requête

58. Le Gouvernement relève que, sauf pour ce qui est de l’immobilisation du requérant à l’hôpital, cette partie de la requête est irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes. Il affirme que le requérant n’a jamais saisi les autorités compétentes pour se plaindre des conditions de détention, sur la base des dispositions du règlement d’urgence no 56/2003, ou sur la base des articles 998-999 de l’ancien code civil. Il renvoie également aux exemples de jurisprudence qu’il a présentés devant la Cour dans une affaire similaire.

59. Le requérant réplique, documents à l’appui, que le 12 décembre 2005, il a effectivement formé une requête concernant les mauvaises conditions de détention et les carences dans son traitement médical, fondée sur le règlement d’urgence no 56/2003, mais qu’il s’est vu retourner cette requête en raison du fait que la valeur des prétentions n’avait pas été précisée. Il relève, en outre, qu’il présenta une nouvelle requête le 4 janvier 2006 et qu’après sept décisions déclinatoires de compétence, rendues par les tribunaux de première instance de Botoşani et de Bucarest, ainsi que par le tribunal départemental de Botoşani et la cour d’appel de Suceava, cette requête a été finalement rejetée comme manifestement mal fondée, le 28 avril 2011.

60. La Cour observe que, s’agissant des conditions matérielles de détention, le grief du requérant porte en particulier sur la surpopulation carcérale et les mauvaises conditions d’hygiène. Elle rappelle à ce propos avoir déjà jugé, dans des affaires récentes dirigées contre la Roumanie et relatives à un grief similaire, qu’au vu de la particularité de ce grief, l’action indiquée par le Gouvernement ne constituait pas un recours effectif à épuiser par les requérants (voir Cucu c. Roumanie, no 22362/06, § 73, 13 novembre 2012). Les arguments du Gouvernement ne sauraient mener en l’espèce la Cour à une conclusion différente.

En tout état de cause, le requérant a bien formé un des recours indiqués par le Gouvernement, qui, après plus de cinq ans de procédure et au moins sept décisions déclinatoires de compétence, s’est soldé par un échec.

Partant, il convient de rejeter cette exception.

61. La Cour constate en outre que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Sur les conditions de détention dans la cellule no 95 de la prison de Botoşani et dans les locaux du palais de justice de Suceava

62. Le requérant estime que l’exiguïté de son espace vital et le fait d’être confiné dans sa cellule, sans possibilité de sortie quotidienne, pendant de longues périodes, à partir d’octobre 2004, a enfreint les exigences découlant de l’article 3.

63. Le Gouvernement considère que les conditions de détention subies par le requérant n’atteignent pas le seuil de gravité requis par l’article 3 de la Convention.

64. La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention impose à l’État de s’assurer que toute personne détenue le soit dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, qui ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être de la personne détenue sont assurés de manière adéquate (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 92-94, CEDH 2000-XI). Lorsqu’on évalue les conditions de détention, il y a lieu de prendre en compte leurs effets cumulatifs (Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 46, CEDH 2001-II).

L’État est donc tenu, nonobstant les problèmes logistiques et financiers, d’organiser son système pénitentiaire de façon à assurer aux détenus le respect de leur dignité humaine (Choukhovoï c. Russie, no 63955/00, § 31, 27 mars 2008, et Benediktov c. Russie, no 106/02, § 37, 10 mai 2007).

65. La Cour relève en outre qu’elle a déjà conclu à la violation de l’article 3 de la Convention dans des affaires similaires dans lesquelles les requérants mettaient en cause les conditions matérielles de détention dans la prison de Botoşani (voir Florea c. Roumanie, no 37186/03, § 53, 26 octobre 2010 ; Cucolaş c. Roumanie, no 17044/03, § 94, 14 septembre 2010 et Budaca c. Roumanie, no 57260/10, § 42, 17 juillet 2012).

66. S’agissant en particulier de l’espace personnel accordé au requérant, la Cour observe que l’intéressé a subi les effets d’une situation de surpopulation carcérale. En effet, le requérant, qui partageait sa cellule avec deux autres personnes, disposait d’un espace individuel réduit, d’environ deux mètres carrés, ce qui est en-dessous de la norme recommandée par le CPT pour les cellules collectives.

67. L’insuffisance d’espace de vie individuel semble avoir été aggravée en l’espèce notamment par la possibilité très limitée de passer du temps à l’extérieur de la cellule (Dimakos c. Roumanie, no 10675/03, § 46, 6 juillet 2010). Ainsi, par mesure de sécurité, l’intéressé était confiné pendant plusieurs jours de suite, sans possibilité de sortie pour la promenade quotidienne. Il ne bénéficiait que de rares sorties sur le terrain de sport, dont le nombre et la durée n’ont pas été indiqués par le Gouvernement.

68. Outre le problème du surpeuplement carcéral à la prison de Botoşani, les allégations du requérant quant à la surpopulation et aux mauvaises conditions d’hygiène dans les locaux du palais de justice de Suceava, destinés à accueillir les personnes détenues, sont plus que plausibles et reflètent des réalités décrites par le CPT dans son rapport établi à la suite de sa visite dans les cellules situées en sous-sol au tribunal de Piatra-Neamţ.

69. La Cour estime que les conditions de détention en cause n’ont pas manqué de soumettre le requérant à une épreuve d’une intensité qui excédait le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention (Kaja c. Grèce, no 32927/03, § 49, 27 juillet 2006).

70. Compte tenu de ce constat, la Cour n’estime pas nécessaire de se prononcer davantage sur la partie du grief relative aux conséquences de ces conditions de détention sur l’état de santé du requérant.

Au vu de ce qui précède, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention de ce chef.

2. Sur l’immobilisation du requérant

71. Le requérant estime que son exposition publique avec des menottes, lors de ses sorties de prison, y compris lors des consultations médicales à l’hôpital, ainsi que son immobilisation au lit avec des menottes et des chaînes, lors de son hospitalisation du 30 au 31 mai 2005, constituent un traitement inhumain et humiliant.

72. Le Gouvernement confirme que le requérant a effectivement été attaché au lit avec une ceinture en chaînes, lors de son hospitalisation, mais indique que le personnel a agi en conformité avec la législation nationale régissant les mesures de sécurité à l’égard des personnes détenues.

73. La Cour rappelle que le port des menottes ne pose normalement pas de problème au regard de l’article 3 de la Convention lorsqu’il est lié à une arrestation ou une détention légales et n’entraîne pas l’usage de la force, ni d’exposition publique, au-delà de ce qui est raisonnablement considéré comme nécessaire dans les circonstances de l’espèce. À cet égard, il importe par exemple de savoir s’il y a lieu de penser que l’intéressé opposera une résistance à l’arrestation, ou tentera de fuir, de provoquer des dommages, ou de supprimer des preuves (Raninen c. Finlande, 16 décembre 1997, § 56, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII, Mathew c. Pays-Bas, no 24919/03, § 180, CEDH 2005-IX).

74. En outre, lorsqu’il y a eu un recours aux moyens de contrainte, il appartient à la Cour d’établir qu’il n’a pas dépassé, en termes d’usage de la force, ce qui a été rendu strictement nécessaire par le comportement du requérant. Pour ce qui est de l’examen de la nécessité d’entraver les personnes détenues en dehors du milieu pénitentiaire, la Cour attache une importance particulière aux circonstances de chaque espèce, et se livre à un examen au cas par cas (Gorodnitchev c. Russie, no 52058/99, § 102, 24 mai 2007).

75. Par ailleurs, il faut prendre en compte le contexte en cas de transfert et de soins médicaux en milieu hospitalier (Mouisel c. France, no 67263/01, § 47, CEDH 2002-IX ; Tănase, précité, § 81). L’usage des entraves pendant les consultations médicales demeure une pratique hautement préoccupante au regard de l’article 3 de la Convention (Henaf c. France, no 65436/01, § 53, CEDH 2003-XI). Ainsi, lorsqu’une personne détenue, qui souffre d’une maladie ou d’un handicap, nécessite une consultation médicale ou des soins en milieu hospitalier, l’usage des entraves, comme des menottes et des chaînes, peut avoir des conséquences plus graves que dans le cas des personnes détenues qui sont en bonne santé. Cela est d’autant plus le cas lorsque la maladie ou l’infirmité sont graves ou invalidantes.

76. Enfin, la Cour a déjà noté, à l’égard de la Roumanie, qu’il ressortait des documents publiés par le CPT, qu’une pratique existait à l’époque des faits d’attacher les détenus, à l’aide de menottes, au mobilier lorsqu’ils étaient hospitalisés dans des hôpitaux civils (Tănase, précité, § 79).

77. En l’espèce, le requérant a été entravé et menotté pendant les actes médicaux et attaché par une ceinture en chaînes à son lit d’hôpital. Ces faits n’ont pas été contestés par le Gouvernement, qui se limite à préciser que les mesures de sécurité contestées ont été prises en conformité avec les instructions destinées au personnel des prisons, applicables en cas de présentation des personnes détenues à l’hôpital.

78. La Cour s’avoue particulièrement préoccupée par l’emploi de chaînes malgré le consensus existant au niveau européen quant au caractère objectivement inhumain et dégradant de ces moyens de contrainte (voir à cet égard l’Annexe à la Recommandation no R (87) 3 du 12 février 1987 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe et l’arrêt Rupa (no 1), précité, § 174).

Appliquée pendant toute la durée de l’hospitalisation du requérant à l’hôpital de Botoşani, cette mesure d’immobilisation par des chaînes entraînait notamment une difficulté supplémentaire pour le requérant, qui souffrait de discopathie lombaire et d’obésité, de bouger ou de se tourner normalement dans son lit, lui causant ainsi des souffrances supplémentaires qui auraient pu être évitées. En outre, la mesure en cause était appliquée en public dans un hôpital civil, ce qui mettait le requérant dans une situation humiliante.

79. De surcroît, la cour d’appel de Suceava a constaté, dans son arrêt du 3 novembre 2008, que le cahier de consignes pour les gardiens accompagnant les personnes détenues à l’hôpital mentionnait que, sans distinction aucune relative au degré de dangerosité du détenu ou à son état de santé, des mesures d’immobilisation au lit devraient être prises. La cour d’appel constata également que l’Administration des prisons ne disposait pas d’autres moyens d’immobilisation, à l’époque des faits, à part les menottes et les ceintures en chaînes.

80. La Cour observe que la cour d’appel a ajouté que les mesures d’immobilisation en question avaient été prises en conformité avec l’article 22 de l’arrêté no 945 du 9 mars 2000, pris par le directeur de l’Administration nationale des prisons et confirmé par le ministre de la Justice, arrêté dont le caractère secret a été mis en avant par le Gouvernement dans l’affaire Tănase (précité, § 78).

81. Eu égard à ces éléments, à supposer même que la mesure d’immobilisation prise à l’égard du requérant ait eu une base légale en droit interne, la Cour constate qu’elle manquait de flexibilité, en s’appliquant de manière automatique, sans considération aucune des circonstances particulières de l’hospitalisation de chaque personne détenue. Selon l’arrêté en question, le personnel de la prison n’avait pas de possibilité d’apprécier l’opportunité d’appliquer les moyens d’immobilisation, et notamment la ceinture de chaînes, ni d’adapter les mesures de sécurité à la situation particulière de chaque malade détenu. Au demeurant, la Cour note que les dispositions qui régissaient les conditions de sécurité appliquées aux personnes privées de liberté hospitalisées dans des établissements civils constituaient des documents secrets et qu’elle n’a donc pas la possibilité d’examiner leur application dans un cas concret (Tănase, précité, § 84).

82. La Cour note, par ailleurs, que le Gouvernement n’a pas invoqué l’état de dangerosité du requérant pour justifier son immobilisation au lit, ni avancé aucune autre justification à cette mesure. Elle constate d’ailleurs que le requérant a fait l’objet de poursuites pénales pour des délits ayant un caractère économique et non violent. En outre, il n’existe aucune référence à un comportement violent de sa part dans les documents versés au dossier (Mouisel, précité, § 47). En outre, d’après le dossier, aucune raison médicale n’a jamais été invoquée pour justifier une telle mesure (Henaf, précité, § 53).

83. Pour toutes ces raisons, la Cour est d’avis que les autorités nationales n’ont pas assuré au requérant un traitement compatible avec les dispositions de l’article 3 de la Convention et que celui-ci a été soumis à un traitement inhumain en raison de la mesure imposée dans les conditions examinées ci‑dessus.

84. Compte tenu de ce constat, la Cour n’estime pas nécessaire de se prononcer davantage sur la partie du grief relative à l’immobilisation du requérant avec des menottes lors de ses autres extractions de la prison.

Au vu de ce qui précède, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à cet égard.

II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES AU TITRE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

85. Sous l’angle de l’article 3, le requérant se plaint, en outre, des mauvaises conditions de détention (surpeuplement et mauvaise hygiène), après le 30 mai 2003, date à laquelle il a été transféré à la maison d’arrêt de la police de Suceava et à la prison de Târgu Mureş, jusqu’au 13 juillet 2004, y compris de la présence de détenus qui fumaient dans sa cellule.

86. Il se plaint également des difficultés d’être soigné en prison pour ses maladies, au motif que la Caisse nationale d’assurance maladie ne pouvait plus assurer l’acquisition des médicaments nécessaires aux détenus parce que les ressources financières étaient épuisées.

87. Il allègue avoir été obligé de se couper les cheveux, de revêtir des vêtements usés et trop petits, et avoir été exposé au harcèlement des autres détenus, en raison de sa qualité d’ancien responsable de la police, harcèlement qui aurait été toléré ou même encouragé par les gardiens de prison. Plus particulièrement, il se plaint de l’agression subie le 27 septembre 2004, de la part d’un codétenu.

88. Enfin, le requérant se plaint d’avoir été transféré à plusieurs reprises dans des centres pénitentiaires sis en des lieux éloignés les uns des autres, à savoir à ceux de Iaşi, Bucarest-Jilava et Târgu Mureş. Selon lui, ces transferts n’avaient d’autre but que de lui rendre l’accès à sa famille et à ses avocats impossible.

89. Pour ce qui est de ces griefs, la Cour note que, compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, elle ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par les articles de la Convention.

Il s’ensuit que ces griefs sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

90. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

91. Le requérant réclame 51 611 euros (EUR) au titre du préjudice matériel ainsi que 700 000 EUR au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

92. Le Gouvernement estime qu’il n’y a pas de lien de causalité entre la violation alléguée et le dommage matériel exposé. Il estime, en outre, exorbitant le dommage moral réclamé.

93. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 10 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

94. Sans présenter de justificatif, le requérant demande 5 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et pour ceux engagés devant la Cour.

95. Le Gouvernement expose que les frais encourus n’ont pas été étayés.

96. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). En l’espèce compte tenu de sa jurisprudence et en l’absence de justificatifs, la Cour rejette la demande.

C. Intérêts moratoires

97. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 3 de la Convention, portant sur les conditions de détention à la prison de Botoşani, d’octobre 2004 à juin 2006 et dans les locaux destinés aux personnes détenues, au siège du tribunal de Suceava ; quant aux griefs portant sur les conséquences de ces conditions de détention sur l’état de santé du requérant et quant aux griefs tirés de l’immobilisation du requérant lors de son hospitalisation en mai 2005 et de ses autres extractions de la prison et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention, pour ce qui est des conditions de détention à la prison de Botoşani, d’octobre 2004 à juin 2006, et dans les locaux destinés aux personnes détenues, au siège du tribunal de Suceava ;

3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 3 de la Convention, pour ce qui est des conséquences de ces conditions de détention sur l’état de santé du requérant ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention pour ce qui est de l’immobilisation du requérant lors de son hospitalisation en mai 2005 ;

5. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 3 de la Convention pour ce qui est de l’immobilisation du requérant lors de ses autres extractions de la prison ;

6. Dit :

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

7. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 juillet 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-122362
Date de la décision : 16/07/2013
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant;Traitement inhumain) (Volet matériel);Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement inhumain) (Volet matériel)

Parties
Demandeurs : STOLERIU
Défendeurs : ROUMANIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : CHILEA D.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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