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20/06/2013 | CEDH | N°001-122027

CEDH | CEDH, AFFAIRE LAVRECHOV c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE, 2013, 001-122027


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE LAVRECHOV c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

(Requête no 57404/08)

ARRÊT

STRASBOURG

20 juin 2013

DÉFINITIF

20/09/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention.




En l’affaire Lavrechov c. République tchèque,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ganna Yudkivska,
André Potocki,
Pau

l Lemmens,
Aleš Pejchal, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 mai 2013,

Rend l’arrêt que...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE LAVRECHOV c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

(Requête no 57404/08)

ARRÊT

STRASBOURG

20 juin 2013

DÉFINITIF

20/09/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention.

En l’affaire Lavrechov c. République tchèque,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ganna Yudkivska,
André Potocki,
Paul Lemmens,
Aleš Pejchal, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 mai 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 57404/08) dirigée contre la République tchèque et dont un ressortissant russe, M. Evgueni Lavrechov (« le requérant »), a saisi la Cour le 18 novembre 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me R. Rozmánek, avocat à Olomouc. Le gouvernement tchèque (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. Vít A. Schorm, du ministère de la Justice.

3. Le requérant alléguait en particulier que la confiscation de la caution versée par lui avait emporté violation de ses droits patrimoniaux.

4. Le 27 mars 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement. Le gouvernement russe a été invité à indiquer s’il souhaitait présenter des observations écrites sur l’affaire (article 36 du règlement de la Cour). Il ne s’est pas prévalu de cette possibilité.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1952 et réside à Udomlya (Russie).

6. Il fut un représentant de la société russe T., laquelle prit une participation dans la société tchèque S. Le 8 août 1995, le requérant entra dans le conseil d’administration de la société S. et, le 27 février 1996, en devint le président. Du 24 septembre au 3 décembre 1996, il se trouva néanmoins empêché d’exercer ses pouvoirs, car il avait été illégalement écarté du conseil d’administration par les membres tchèques de celui-ci. Par la suite, la société S. devint insolvable.

7. Le 11 juin 2001, le requérant fut inculpé de délit d’initié et d’escroquerie. Il lui était reproché en particulier d’avoir conclu des contrats défavorables à la société S. et d’être à l’origine d’un préjudice matériel de 88 millions de couronnes tchèques (CZK) (3 520 000 euros (EUR)). Le 20 juin 2001, il fut placé en détention provisoire.

8. Le 8 janvier 2002, le requérant demanda à bénéficier d’une mise en liberté sous caution et proposa à cette fin de verser une somme de 4 millions de CZK (160 000 EUR). La demande contenait une déclaration par laquelle il disait avoir connaissance des termes de l’article 73 § 3 du code de procédure pénale, qui posait les conditions pouvant justifier la confiscation de la caution. Le 17 janvier 2002, le tribunal régional d’Ostrava accepta de libérer le requérant contre versement d’une caution de 10 millions de CZK (400 000 EUR). Le tribunal justifia le montant de la caution par la gravité exceptionnelle des accusations pesant sur l’intéressé et l’importance des motifs ayant initialement conduit à sa mise en détention, en particulier le risque élevé qu’il prît la fuite.

9. Le 31 janvier 2002, le requérant autorisa son avocat à verser le montant de la caution fixé par le tribunal. Il s’engagea par ailleurs à demeurer à son adresse en République tchèque et à se présenter aux audiences qui se tiendraient dans son affaire, et déclara avoir été informé que la caution versée serait confisquée s’il ne respectait pas ces conditions. Le 22 février 2002, il fut remis en liberté. L’une des conditions stipulées lui faisait obligation de ne pas quitter son adresse en République tchèque et d’y réceptionner son courrier.

10. Le 7 juin 2002, le tribunal régional autorisa le requérant à quitter la République tchèque pour se rendre en Russie jusqu’au 18 juin 2002, à condition qu’il se présentât à la première audience, dont la tenue était prévue du 19 au 21 juin 2002. C’était la quatrième fois que le tribunal accueillait une telle demande du requérant. En effet, l’intéressé avait auparavant effectué trois voyages en Russie, de février à juin 2002, et était toujours revenu.

11. Le 17 juin 2002, le requérant informa son avocat que son passeport, qui comportait un visa d’entrée en République tchèque, lui avait été dérobé à Moscou le 14 juin et qu’il s’en faisait établir un nouveau. Le tribunal décida en conséquence que l’audience se tiendrait du 7 au 9 août 2002.

12. Une citation à comparaître à la nouvelle audience fut envoyée à l’adresse du requérant sise en République tchèque mais fut renvoyée à l’expéditeur sans avoir été délivrée. Le tribunal régional tenta également de faire notifier la citation à l’intéressé en passant par son avocat.

13. Le 8 juillet 2002, l’avocat adressa au tribunal régional un certain nombre de documents, dont une confirmation des autorités russes que l’adresse officiellement enregistrée du requérant en Russie était sise à Udomlya.

14. Le 30 juillet 2002, l’avocat informa le tribunal régional qu’il n’avait pas les coordonnées directes du requérant en Russie et qu’il avait envoyé la citation à l’adresse que lui avait donnée l’un des coaccusés de l’intéressé.

15. Le requérant n’ayant toujours pas reçu son nouveau passeport et ayant objecté à ce que l’audience se tînt en son absence, l’audience prévue pour les 7-9 août 2002 fut annulée.

16. Le 12 mars 2003, le tribunal régional, qui n’avait reçu aucune information du requérant, se tourna vers Interpol et la représentation commerciale de la Fédération de Russie en République tchèque pour savoir si le requérant avait demandé un passeport.

17. Les parties divergent quant à la date à laquelle le requérant s’est vu délivrer un nouveau passeport par les autorités russes : le Gouvernement avance la date du 28 février 2003, tandis que l’intéressé affirme ne pas avoir reçu son passeport avant le 2 avril 2003. Ce dernier, en tout cas, n’a pas informé le tribunal régional qu’il avait obtenu un nouveau passeport.

18. Le tribunal régional programma une nouvelle audience pour les 6‑8 septembre 2004. Le 22 mars 2004, il convoqua le requérant par le biais du ministère de la Justice, à une adresse sise dans la ville de Podolsk, qui était indiquée dans le dossier comme étant le lieu de résidence de l’intéressé en Russie. Le tribunal informa également le requérant que le fait qu’il n’avait pas demandé de visa auprès de la République tchèque, était demeuré en Russie et n’était pas resté en contact avec le tribunal était incompatible avec les conditions associées à sa mise en liberté sous caution, pouvait passer pour une façon de se soustraire aux poursuites et risquait d’aboutir à la confiscation de la somme déposée à titre de caution. En outre, l’intéressé fut averti qu’il risquait d’être jugé par défaut.

19. Le ministère russe de la Justice informa les autorités tchèques que le requérant n’était pas enregistré et n’habitait pas à l’adresse de Podolsk, et que son lieu de résidence du moment n’avait pu être établi. Il était impossible, en conséquence, de lui remettre la citation à comparaître.

20. Le requérant eut toutefois connaissance de l’audience programmée et obtint un visa de court séjour l’autorisant à se rendre en République tchèque et à y séjourner du 2 au 12 septembre 2004.

21. Le 2 septembre 2004, il envoya toutefois au tribunal régional un fax demandant le report de l’audience. Il faisait état de problèmes de santé, sans en préciser la nature, et déclarait avoir désormais de nouveaux avocats, qui avaient besoin de temps pour étudier le dossier. Il n’indiquait pas son adresse en Russie. Le tribunal régional fut donc contraint d’ajourner le procès une fois de plus.

22. Le 28 février 2005, le tribunal régional pria le ministère de la Justice de demander aux autorités russes de délivrer au requérant, à l’adresse sise à Podolsk ou à Udomlya, une citation à comparaître à une audience programmée pour les 21-23 novembre 2005. Cependant, la convocation ne fut notifiée au requérant que le 16 janvier 2006, à Udomlya. Le 21 novembre 2005, le tribunal régional annula à nouveau l’audience.

23. Le 6 décembre 2005, le tribunal régional décida de juger le requérant par défaut. Il déclara que l’intéressé s’était soustrait aux poursuites en restant à l’étranger, n’était pas revenu en République tchèque depuis juin 2002 et avait sérieusement compliqué le déroulement du procès en demeurant en Russie. Par ailleurs, le tribunal estima totalement inadéquate l’excuse avancée par le requérant – à savoir des problèmes de santé – pour se soustraire à l’audience du 2 septembre 2004. Il releva en outre que l’intéressé ne respectait pas les conditions associées à sa mise en liberté sous caution et acceptées par lui, à savoir l’engagement à comparaître aux audiences et à ne pas quitter son lieu de résidence en République tchèque.

24. Du 27 au 29 mars, du 5 au 7 juin, ainsi que le 11 septembre et le 23 octobre 2006, le tribunal régional tint des audiences dans la procédure par défaut dirigée contre le requérant.

25. Le 23 octobre 2006, le tribunal régional prononça une relaxe totale, considérant que l’intéressé n’avait commis aucune infraction pénale mais s’était simplement livré à des activités commerciales ordinaires et transparentes.

26. Le 28 juin 2007, la haute cour d’Olomouc confirma ce jugement.

27. Le 1er novembre 2007, le tribunal régional, sur demande du requérant, décida que la caution serait restituée à celui-ci au motif qu’il n’avait pas été convenablement informé des conséquences pouvant découler du non-respect des conditions associées à sa libération sous caution. De plus, selon le tribunal régional, aucune des situations visées à l’article 73 a) § 4 du code de procédure pénale comme pouvant justifier la confiscation de la caution ne trouvait à s’appliquer.

28. Le 5 décembre 2007, la haute cour infirma cette décision et décida que la caution était confisquée. Elle estima que le requérant avait certainement eu connaissance de l’éventualité d’une confiscation même s’il n’en avait pas été formellement informé, ses demandes de mise en liberté sous caution ayant contenu des déclarations selon lesquelles il savait que la caution pouvait être retenue en cas de manquement à respecter les conditions posées. La haute cour admit que pendant un certain temps l’intéressé n’avait pu revenir en République tchèque parce qu’il avait perdu son passeport et que les autorités tchèques avaient tardé à lui délivrer un nouveau visa. Elle observa cependant que le requérant n’avait pas relevé son courrier à son adresse de Podolsk, c’est-à-dire l’une des adresses qu’il avait communiquées au parquet, et qu’ainsi des lettres du tribunal n’avaient pu lui être délivrées à temps. Par ailleurs, selon la haute cour il ressortait clairement du comportement de l’intéressé que celui-ci s’était soustrait aux poursuites en restant à l’étranger ; il n’était pas non plus resté en contact avec le tribunal régional alors qu’il était au courant de la procédure. La haute cour conclut que les conditions de confiscation de la caution sur le fondement de l’article 73 a) § 4 du code de procédure pénale étaient remplies : en particulier, le requérant s’était caché, avait manqué à informer les autorités concernées de son lieu de résidence et ainsi entravé la délivrance d’une lettre officielle.

29. Le requérant contesta cette décision par un recours constitutionnel, plaidant qu’il était injuste de confisquer un montant aussi élevé alors qu’il n’avait commis aucune infraction pénale. En outre, il contestait les conclusions de la haute cour.

30. Le 3 juin 2008, la Cour constitutionnelle rejeta le recours pour défaut manifeste de fondement.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

31. L’article 73 a) §§ 1 et 2 du code de procédure pénale dispose qu’une personne placée en détention provisoire peut bénéficier d’une mise en liberté sous caution moyennant le versement d’une somme minimale de 10 000 CZK, le montant effectif étant déterminé par le tribunal en fonction des circonstances propres au prévenu et à l’affaire.

32. L’article 73 a) § 4 (§ 3 à l’époque des faits) de cette disposition prévoit la confiscation de la caution, notamment si le prévenu a pris la fuite, se cache ou néglige d’informer les autorités compétentes d’un changement de lieu de résidence, entravant ainsi la délivrance d’une lettre officielle. En vertu de l’article 73 a) § 9 (§ 6 à l’époque des faits), le prévenu doit être informé par avance des conditions auxquelles sa caution peut être confisquée.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

33. Le requérant allègue que la confiscation de sa caution après sa relaxe a emporté violation de l’article 1 du Protocole no 1, lequel est ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

A. Sur la recevabilité

34. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

35. Le requérant estime tout d’abord que la confiscation de la caution était illégale, en ce qu’il n’a pas été convenablement informé de l’éventualité de cette mesure. Il plaide qu’il ne s’est pas caché et que le fait que le tribunal régional n’a pas délivré le courrier à sa bonne adresse en Russie – celle d’Udomlya – ne lui est pas imputable. Il y avait selon lui des raisons objectives à son défaut de comparution, notamment la perte de son passeport, la non-délivrance d’un visa et la maladie.

36. Il soutient par ailleurs que la décision de la haute cour de confisquer une caution d’un montant si élevé est une mesure disproportionnée. En règle générale, l’objet d’une caution serait d’empêcher l’auteur d’une infraction de se soustraire à la sanction et de veiller à ce que l’objectif de la procédure pénale soit atteint. À ses yeux, la procédure pénale s’est déroulée convenablement malgré son absence, et l’objectif de cette procédure a été atteint. La confiscation de la caution aurait donc constitué une atteinte inappropriée à ses biens, même à supposer qu’il ait enfreint les conditions de la mise en liberté sous caution.

37. Enfin, le requérant considère que la confiscation d’une caution alors que l’intéressé a été relaxé, et donc qu’il était innocent, est une mesure injuste qui va à l’encontre du bon sens.

38. Le Gouvernement estime quant à lui que le grief est manifestement mal fondé. À ses yeux, l’ingérence doit être appréciée à la lumière du deuxième paragraphe de l’article 1 du Protocole no 1, qui porte sur la réglementation de l’usage des biens. De plus, la confiscation telle que décidée par les juridictions nationales aurait été légale.

39. Pour le Gouvernement, le tribunal régional a fait beaucoup d’efforts, pendant près de quatre ans, aux fins de citer le requérant à comparaître. Pendant toute cette période, l’intéressé aurait soumis au tribunal un certain nombre de documents, mais aucun n’aurait contenu d’informations sur une nouvelle adresse à laquelle il fallait envoyer les actes de procédure. Bien que l’absence du requérant à la première audience du 19 juin 2002 eût été dûment autorisée, l’attitude ultérieure de l’intéressé à l’égard de la procédure pénale aurait clairement montré son intention de s’y soustraire en restant à l’étranger, ce à quoi il serait du reste parvenu, le tribunal régional s’étant trouvé contraint de le juger par défaut. Plusieurs années durant, le requérant aurait eu tout loisir de prendre contact directement avec le tribunal régional, de lui préciser l’adresse en Russie à laquelle notifier les actes de procédure, et de proposer une date à laquelle il pouvait se rendre en République tchèque pour participer à une audience ; or il n’en aurait rien fait.

40. Le Gouvernement considère par ailleurs qu’il n’y a pas de lien direct entre relaxe et confiscation d’une caution, et que l’objet d’une caution est de remplacer la détention et en même temps de dissuader la personne poursuivie d’entraver la procédure pénale ou de s’y soustraire. À ses yeux, si l’intéressé ne se conforme pas aux conditions associées à sa mise en liberté sous caution, la conséquence logique d’une telle conduite est la confiscation de la caution, qui à cet égard constitue donc une privation légitime de propriété. Le fait que le prévenu soit finalement relaxé ne remettrait nullement en cause la légalité de la détention. L’objet de la caution et celui de la sanction seraient deux choses bien différentes. Le Gouvernement ajoute que la caution est restituée si les conditions prévues par la loi sont remplies. La caution ne serait pas une sanction pour une infraction commise, mais une forme de garantie.

41. Le montant de la caution aurait été proportionné à la situation patrimoniale du requérant, ce que d’ailleurs montrerait clairement le fait que l’intéressé s’est trouvé en mesure de la verser. La caution, moyen d’assurer la coopération d’un prévenu avec les autorités pénales, serait délibérément fixée à un niveau tel que sa perte constituerait une atteinte importante à la situation patrimoniale de la personne ayant déposé la somme. Si tel n’était pas le cas, la caution ne remplirait pas son objectif.

42. Enfin, le Gouvernement relève que le requérant n’a pas précisé en quoi exactement consistait la charge financière excessive que la confiscation de la caution aurait fait peser sur lui. L’intéressé n’aurait nullement étayé par des documents l’affirmation selon laquelle il s’est trouvé dans une situation financière difficile.

2. Appréciation de la Cour

43. Tout d’abord, la Cour estime que la confiscation de la caution a constitué une atteinte de l’État aux droits patrimoniaux du requérant. Elle ne juge pas nécessaire de déterminer s’il convient d’examiner cette atteinte sous l’angle du deuxième paragraphe de l’article 1 du Protocole no 1, comme l’estime le Gouvernement, car en tout état de cause les trois normes contenues à l’article 1 du Protocole no 1 sont liées et les principes applicables sont similaires (James et autres c. Royaume-Uni, 21 février 1986, § 37, série A no 98). La Cour examinera donc la situation litigieuse à la lumière de la norme générale énoncée à la première phrase du premier paragraphe de l’article 1 du Protocole no 1 (voir, mutatis mutandis, Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, § 136, CEDH 2004‑V, et Gladysheva c. Russie, no 7097/10, § 71, 6 décembre 2011).

44. La Cour rappelle que pour être compatible avec cette disposition, une ingérence doit être légale, correspondre à l’intérêt général et être proportionnée, c’est-à-dire ménager un « juste équilibre » entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu (voir, parmi bien d’autres, Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 107, CEDH 2000‑I, et Gladysheva, précité, § 65). Pour apprécier la proportionnalité de l’ingérence, la Cour doit tenir compte, d’une part, de l’importance de l’objectif poursuivi, et, de l’autre, de la charge imposée au requérant, notamment la nature de l’ingérence, le comportement du requérant et celui des autorités de l’État (Yildirim c. Italie (déc.), no 38602/02, CEDH 2003‑IV, et Forminster Enterprises Limited c. République tchèque, no 38238/04, § 75, 9 octobre 2008).

45. Concernant l’exigence de « légalité », la Cour observe tout d’abord que rien dans la présente affaire n’indique que la haute cour ait appliqué les dispositions légales en question – notamment l’article 73 a) § 3 du code de procédure pénale – de façon erronée ou arbitraire. De même, rien ne donne à penser que les dispositions pertinentes n’étaient pas accessibles, précises et prévisibles (Beyeler, précité, §§ 108-109). Dès lors, la confiscation de la caution a satisfait à l’exigence de légalité.

46. La Cour considère par ailleurs que la confiscation poursuivait le but légitime consistant à garantir le bon déroulement de la procédure pénale et, plus globalement, à combattre et à prévenir les infractions pénales, ce qui relève indéniablement de l’intérêt général prévu à l’article 1 du Protocole no 1 (Yildirim, décision précitée, et Denisova et Moiseyeva c. Russie, no 16903/03, § 58, 1er avril 2010). Elle estime du reste que cet intérêt revêt une importance toute particulière.

47. Pour ce qui est du critère de la proportionnalité, la Cour observe d’abord qu’une caution d’environ 400 000 EUR constitue une somme considérable. Cependant, le moment opportun pour discuter de la proportionnalité du montant d’une caution est le moment de sa fixation (Mangouras c. Espagne [GC], no 12050/04, §§ 78 et 80, CEDH 2010) et non celui de sa confiscation. En l’espèce, le requérant ne prétend pas que la caution initiale était d’un montant exagéré, et la Cour constate du reste qu’il a semble-t-il pu la verser rapidement et sans difficulté excessive.

48. La principale question, dans cette affaire, est de savoir si la relaxe doit jouer un rôle dans la décision de confisquer la caution. Dans ce contexte, la Cour observe que la caution a pour objet de garantir le bon déroulement de la procédure pénale, en particulier d’assurer la comparution du prévenu à l’audience (voir, dans le contexte de la fixation initiale du montant de la caution, Mangouras, précité, § 78).

49. Or le déroulement de la procédure pénale a été considérablement entravé par le manquement du requérant à respecter les conditions associées à sa mise en liberté sous caution. L’intéressé ne s’est présenté à aucune des audiences programmées et n’a fourni aucune aide au tribunal, alors qu’il se savait assurément en infraction avec les conditions posées. Les audiences ont dû être annulées à plusieurs reprises, et en conséquence la procédure a été sensiblement rallongée et les tentatives du tribunal régional pour délivrer certains documents au requérant se sont heurtées à de sérieuses difficultés.

50. Il convient de noter en outre que la relaxe ultérieure de l’intéressé ne signifie pas en soi que les poursuites contre lui étaient illégales ou d’emblée entachées d’autres vices. Différents niveaux de preuve sont requis pour une condamnation (d’ordinaire, la preuve au-delà de tout doute raisonnable) et pour des poursuites (d’ordinaire, un soupçon raisonnable selon lequel il y a eu commission d’une infraction). Il peut donc arriver qu’un soupçon raisonnable n’aboutisse pas, à l’issue du procès, à une condamnation au-delà de tout doute raisonnable. En pareille situation, l’État conserve néanmoins un intérêt légitime à ce que la procédure connaisse un bon déroulement et à ce que l’individu que l’on a des raisons plausibles de soupçonner d’avoir commis une infraction pénale ne tente pas de se soustraire à la justice ou de saper la bonne conduite de la procédure pendant laquelle sa culpabilité ou son innocence doit être appréciée.

51. Le dénouement de la procédure est donc sans rapport direct avec la question de la confiscation de la caution. Il s’agit plutôt de déterminer si cette mesure était proportionnée, eu égard au fait que les conditions de la mise en liberté sous caution avaient été enfreintes lors de la procédure.

52. La Cour observe que la caution en l’espèce n’a pas été confisquée en raison de l’impossibilité de délivrer un seul document au requérant. La haute cour a conclu que l’intéressé s’était soustrait aux poursuites en restant à l’étranger pendant plusieurs années. La Cour estime que le requérant a pu au début avoir des raisons objectives de ne pas se présenter aux audiences mais que l’on ne peut en dire autant de la période postérieure à l’obtention par lui d’un nouveau passeport.

53. L’intéressé a eu amplement l’occasion de comparaître lors du procès. Les audiences ont été reprogrammées à plusieurs reprises. Le requérant a reçu son passeport en avril 2003, selon sa version des faits, et la décision de le juger par défaut n’a été prise qu’en décembre 2005. Il a donc eu au moins deux ans et huit mois pour prendre contact avec le tribunal régional, afin de permettre à celui-ci de fixer l’audience à une date où il pourrait se rendre en République tchèque. Dès lors, la conclusion de la haute cour selon laquelle le requérant a montré par son propre comportement qu’il s’était soustrait à son procès ne semble pas injustifiée.

54. Dans ces circonstances – c’est-à-dire le fait que le requérant était certainement conscient d’avoir enfreint les conditions de sa libération sous caution pendant une période non négligeable –, il incombait à l’intéressé d’indiquer au tribunal régional, clairement et sans équivoque, son adresse en Russie et de maintenir des contacts réguliers avec cette juridiction afin de compenser les difficultés de délivrance de documents officiels en Russie, difficultés à examiner sous l’angle de la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale. Or le requérant n’en a rien fait. La lettre de son avocat en date du 8 juillet 2002 ne saurait passer pour suffisante dans ces conditions, car elle indiquait simplement le lieu correspondant à l’adresse officiellement enregistrée de l’intéressé en Russie, mais nullement l’adresse à laquelle il souhaitait recevoir son courrier. En outre, le 2 septembre 2004, le requérant a informé le tribunal qu’il lui était impossible de se présenter à l’audience parce qu’il souffrait de problèmes de santé et qu’il avait de nouveaux avocats, mais là encore il a négligé de communiquer une adresse de notification en Russie.

55. Enfin, la Cour ajoute que la confiscation – l’ingérence litigieuse – a résulté d’une procédure pleinement contradictoire, pendant laquelle il eût été loisible au requérant de présenter ses arguments. Les juridictions nationales ont examiné les questions pertinentes avec soin et motivé leurs décisions de façon exhaustive (G. c. Allemagne (déc.), no 10577/83, 6 mai 1985). Les exigences procédurales découlant de l’article 1 du Protocole no 1 (AGOSI c. Royaume-Uni, 24 octobre 1986 § 55, série A no 108) ont donc été satisfaites.

56. Eu égard aux considérations qui précèdent, la Cour estime que la confiscation de la caution a ménagé un « juste équilibre » entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs liés au droit du requérant dans les circonstances de l’affaire.

57. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

58. Invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant conteste les décisions internes relatives à la caution et allègue qu’elles ont été insuffisamment motivées.

59. Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et pour autant que les questions litigieuses relèvent de sa compétence, la Cour estime qu’elles ne révèlent aucune apparence de violation des droits et libertés énoncés dans la Convention ou ses Protocoles. Dès lors, ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Déclare, à l’unanimité, le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 recevable et le surplus de la requête irrecevable ;

2. Dit, par six voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 20 juin 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia WesterdiekMark Villiger
GreffièrePrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Pejchal.

M.V.
C.W.

OPINION EN PARTIE CONCORDANTE ET EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE PEJCHAL

Je souscris pleinement à la conclusion de mes collègues selon laquelle le grief alléguant la violation de l’article 6 de la Convention est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention. De même, j’adhère totalement à la décision de mes collègues de déclarer recevable le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

Cependant, je dois à regret marquer mon désaccord relativement au constat de non-violation de l’article 1 du Protocole no 1. J’ai voté pour le constat de violation de cette disposition.

Je considère qu’au cœur de l’affaire se trouve plutôt la question de savoir si un acquittement doit jouer un rôle dans la décision de confisquer ou non une caution. Dans ce contexte, j’observe que la justice a relaxé le requérant par un jugement définitif, en constatant qu’il n’avait commis aucune infraction pénale mais s’était simplement livré à des activités commerciales ordinaires et transparentes, et que par ailleurs sa caution a été confisquée. Il est notable que la décision de confisquer la caution a été prise après que la décision de relaxe était devenue définitive, c’est-à-dire alors que les tribunaux savaient que le requérant n’avait commis aucune infraction.

J’observe que selon le droit interne une personne acquittée a droit à être indemnisée pour le temps qu’elle a passé en détention provisoire : l’article 9 § 1 de la loi no 82/1998 sur la responsabilité de l’État pour un préjudice causé dans l’exercice de la puissance publique par une irrégularité ayant entaché une décision ou la conduite d’une procédure dispose qu’une personne ayant effectué une période de détention provisoire a droit à être indemnisée si elle est ensuite acquittée. Je note par ailleurs que les conditions associées à la mise en liberté sous caution du requérant remplaçaient sa détention provisoire. De plus, en vertu de la jurisprudence interne, une décision concernant la mise en liberté sous caution est une décision relative à la détention provisoire (voir, par exemple, l’avis de la Cour suprême no 4/97 du 11 juin 1998). Pour en revenir aux faits de l’espèce, il est illogique que l’État d’un côté reconnaisse au requérant un droit à indemnisation pour le temps passé en détention provisoire (si l’intéressé n’a, semble-t-il, pas demandé pareille indemnisation en l’espèce, il ne saurait être critiqué pour cela puisqu’il s’agit d’un droit et non d’une obligation) et que, de l’autre côté, il confisque sa caution qui, de plus, représente un montant bien supérieur à toute indemnité que le requérant aurait pu réclamer. L’intéressé ne devrait en principe subir aucune conséquence négative de la procédure pénale dont il a fait l’objet.

En outre, j’observe qu’il y a eu une certaine confusion quant à l’adresse du requérant en Russie. Le 8 juillet 2002, l’avocat a envoyé certains documents au tribunal régional, notamment une confirmation des autorités russes que l’adresse officiellement enregistrée du requérant en Russie était sise à Udomlya. Or le tribunal régional a continué à envoyer le courrier à une autre adresse, de sorte que l’intéressé ne l’a pas reçu ou l’a reçu trop tard.

Le 1er novembre 2007, le tribunal régional, sur demande du requérant, a décidé que la caution serait restituée à celui-ci au motif qu’il n’avait pas été informé convenablement et par avance des conséquences pouvant découler du non-respect des conditions associées à sa libération sous caution. De plus, pour le tribunal, aucune des situations visées à l’article 73 a) § 4 du code de procédure pénale comme pouvant justifier la confiscation de la caution ne trouvait à s’appliquer. À l’instar du tribunal régional, je doute que le requérant ait été dûment informé des conséquences résultant du non-respect des conditions en question. En dépit des arguments présentés par la haute cour, il demeure que l’intéressé n’a jamais été formellement informé, en dépit des exigences de l’article 73 a) § 6 du code de procédure pénale en vigueur à l’époque des faits. La déclaration du requérant, sur laquelle s’est appuyée la haute cour, disait qu’il avait connaissance de la possibilité d’une confiscation en cas de manquement aux conditions associées à sa mise en liberté sous caution. Cependant, le contenu de cette déclaration n’est pas clair et il n’est même pas certain que l’intéressé ait compris ce qu’il signait.

Enfin, la non-comparution du requérant ne semble pas avoir perturbé la procédure de quelque manière que ce soit. Celle-ci a été conduite et menée à bien en l’absence de l’intéressé. Cette absence n’a pas eu d’incidence importante sur le dénouement de la procédure.

Eu égard aux considérations qui précèdent, j’estime que la décision de confisquer la caution versée par le requérant, dans les circonstances de l’espèce, n’a pas ménagé un « juste équilibre » entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs liés à la sauvegarde des droits fondamentaux du requérant. En conséquence, il y a eu à mes yeux violation de l’article 1 du Protocole no 1.

Je pense qu’il eût été plus logique que la majorité conclue que le grief alléguant la violation de l’article 1 du Protocole no 1 était manifestement mal fondé et le rejette en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention, au lieu de déclarer le grief recevable et de conclure en même temps à la non-violation de cette disposition. Pour ma part, j’estime qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 1 du Protocole no 1.


Synthèse
Formation : Cour (cinquiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-122027
Date de la décision : 20/06/2013
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Partiellement irrecevable;Non-violation de l'article 1 du Protocole n° 1 - Protection de la propriété (article 1 al. 1 du Protocole n° 1 - Respect des biens)

Parties
Demandeurs : LAVRECHOV
Défendeurs : RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : ROZMANEK R.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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