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02/05/2013 | CEDH | N°001-119051

CEDH | CEDH, AFFAIRE CHKHARTISHVILI c. GRÈCE, 2013, 001-119051


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE CHKHARTISHVILI c. GRÈCE

(Requête no 22910/10)

ARRÊT

STRASBOURG

2 mai 2013

DÉFINITIF

02/08/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Chkhartishvili c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,


Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse,
Ksenija Turković, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE CHKHARTISHVILI c. GRÈCE

(Requête no 22910/10)

ARRÊT

STRASBOURG

2 mai 2013

DÉFINITIF

02/08/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Chkhartishvili c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Isabelle Berro-Lefèvre, présidente,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse,
Ksenija Turković, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 avril 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 22910/10) dirigée contre la République hellénique et dont une ressortissante géorgienne, Mme Ketevan Chkhartishvili (« la requérante »), a saisi la Cour le 8 avril 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante a été représentée par Me Th. Tsiatsios, avocat exerçant à Thessalonique. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les déléguées de son agent, Mme K. Paraskevopoulou, assesseure auprès du Conseil juridique de l’Etat, et Mme Z. Hadjipavlou, auditrice auprès du Conseil juridique de l’Etat. Le gouvernement géorgien, qui a reçu communication de la requête (articles 36 § 1 de la Convention et 44 § 1 a) du règlement), a exprimé son souhait d’exercer son droit d’intervenir dans la procédure. Toutefois, il n’a pas présenté d’observations dans le délai qui lui était imparti.

3. La requérante se plaint d’une violation des articles 3 et 5 §§ 1 et 4 de la Convention.

4. Le 25 mars 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et sur le fond de l’affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. La requérante est née en 1980.

A. Le placement en détention de la requérante en vue de son expulsion et les recours y relatifs

6. Le 2 février 2005, la requérante entra sur le territoire grec munie d’un titre de séjour valable pour trois mois.

7. Le 15 octobre 2009, elle fut arrêtée à Thessalonique par le service de la répression de l’immigration clandestine (antérieurement la police des frontières de Kordelio) et placée en détention provisoire dans les locaux de ce service en vue de son expulsion. Le service fit à la Direction des étrangers de Thessalonique une proposition d’expulsion de la requérante assortie d’une détention. La requérante reçut une copie de cette proposition ainsi que la brochure l’informant de ses droits en tant qu’étrangère en voie d’expulsion.

8. Le même jour, la Direction des étrangers de Thessalonique, considérant que la requérante risquait de fuir, qu’elle constituait une menace pour l’ordre et la sécurité publics et qu’elle résidait illégalement sur le territoire, ordonna, sur le fondement de l’article 76 §§ 1 b) et c) et 3 de la loi no 3386/2005, sa détention jusqu’à l’adoption, dans un délai de trois jours, de la décision d’expulsion.

9. Le 18 octobre 2009, la Direction des étrangers de Thessalonique ordonna l’expulsion de la requérante en se fondant sur l’article 76 § 1 b) et c) de la loi no 3386/2005, tel que modifié par l’article 48 § 2 de la loi no 3772/2009, aux motifs qu’elle séjournait en Grèce sans être en possession des documents administratifs nécessaires et qu’une procédure pénale était déjà ouverte contre elle. Elle releva en particulier que la requérante était accusée des délits d’obtention frauduleuse d’une fausse attestation de dépôt de justificatifs en vue de l’obtention d’un titre de séjour et de tentative d’obtention frauduleuse d’une attestation de titre de séjour (articles 42 et 220 du code pénal). En outre, elle décida le maintien en détention de l’intéressée « jusqu’à l’exécution de la décision d’expulsion et pour une période qui ne [pouvait] pas aller, au total, au-delà de six mois à compter de son placement en détention, car, vu les circonstances de l’espèce, [la requérante] était susceptible de se soustraire à son expulsion et de menacer l’ordre et la sécurité publics ». La décision de la Direction des étrangers de Thessalonique prévoyait que, en vertu de l’article 48 de la loi no 3772/2009, la détention de la requérante pouvait atteindre « douze mois au maximum dans le cas où celle-ci ne coopérait pas avec les autorités compétentes ou lorsque la réception des titres de transport établis dans le pays d’origine ou le pays de transit et nécessaires à l’exécution de la mesure était retardée » (décision no 358127/1-γ).

10. Le 26 octobre 2009, la requérante introduisit par l’intermédiaire de son avocat, en vertu de l’article 77 de la loi no 3386/2005, un recours gracieux contre la décision d’expulsion, que le directeur de la Direction des étrangers de Thessalonique rejeta le 30 octobre 2009.

11. Le 2 novembre 2009, la requérante soumit à la présidente du tribunal administratif de Thessalonique ses objections à son maintien en détention. Elle alléguait notamment ne pas constituer une menace pour l’ordre public et ne pas être susceptible de fuir. Elle affirmait qu’elle vivait dans la ville de Drama avec son mari et qu’ils avaient tous les deux une activité professionnelle. Elle se plaignait aussi de « conditions de détention inadmissibles en raison de la surpopulation régnant dans les locaux » ainsi que des conditions de détention de son mari, qu’elle disait être détenu dans un autre lieu.

12. Le jour même, la présidente du tribunal administratif de Thessalonique rejeta les objections de la requérante au motif que l’intéressée présentait un risque de fuite. Elle releva à cet égard que la requérante n’avait pas quitté le territoire à l’expiration de son visa et qu’elle avait choisi de s’y maintenir illégalement. Elle nota qu’elle était accusée d’obtention frauduleuse d’une fausse attestation de dépôt de justificatifs en vue de l’obtention d’un titre de séjour et de tentative d’obtention frauduleuse d’une attestation de titre de séjour. Elle releva en outre que la maison de l’intéressée en Géorgie avait été détruite et que celle-ci n’avait pas, dans son pays, de parents proches. Elle ne fit aucune référence aux allégations de la requérante concernant les conditions de sa détention (décision no 1298/2009).

13. Le 3 novembre 2009, la requérante fit part de vive voix aux gardiens de son lieu de détention de son souhait de déposer une demande d’asile. Un rapport rédigé à cet égard fut transmis au service de l’asile politique de la Direction des étrangers de Thessalonique.

14. Le 17 novembre 2009, la requérante saisit la présidente du tribunal administratif de nouvelles objections contre son placement en détention. Elle réitéra ses arguments quant à l’absence de risque de fuite et aux conditions de sa détention et ajouta qu’elle avait entre-temps fait une demande d’asile. Le même jour, la présidente qualifia ces objections de recours en révocation (article 76 § 5 de la loi no 3386/2005) et les rejeta par la décision no 1371/2009. Elle confirma les conclusions de la décision no 1298/2009 en soulignant, entre autres, que l’accusation relative à l’obtention frauduleuse de fausse attestation et à la tentative d’obtention frauduleuse de titre de séjour était déjà connue du tribunal lors de la discussion des premières objections et qu’elle ne saurait être considérée comme constituant un « fait nouveau » au sens de l’article 76 § 5 de la loi no 3386/2005. Enfin, elle considéra que le dépôt d’une demande d’asile ne pouvait mettre en cause la légalité de la détention au motif que cette demande avait été introduite après l’arrestation de la requérante et en raison de cette arrestation et non pas au moment de son entrée en Grèce, en février 2005.

15. Le 10 décembre 2009, la requérante déposa auprès du tribunal administratif de Thessalonique un recours en annulation de la décision d’expulsion, une demande de sursis à l’exécution de la mesure ainsi qu’une demande d’ordre provisoire de suspension. Le 29 mars 2010, le tribunal rejeta la demande d’ordre provisoire de suspension.

16. Le 17 décembre 2009, la requérante déposa par écrit une demande d’asile.

17. Le 13 janvier 2010, elle déposa un mémoire auprès de la Direction des étrangers de Thessalonique. Elle y affirmait que les conditions, selon elle déplorables, de sa détention justifiaient son élargissement. A cet égard, se prévalant de l’article 3 de la Convention, elle affirmait qu’elle avait vécu pendant trois mois dans des conditions inhumaines et dégradantes, que, obligée de partager un espace restreint avec un nombre excessif de détenues, elle ne pouvait se reposer de manière digne, que la cellule n’était pas suffisamment aérée et éclairée, que l’air qu’elle-même et ses codétenues respiraient était enfumé et nauséabond et qu’il y avait un nombre insuffisant de douches et de toilettes. Elle se plaignait de l’absence d’espace destiné à l’exercice physique ou aux activités récréatives. Elle dénonçait l’absence d’infrastructure pour la restauration et soulignait que l’allocation d’une somme de 5,87 euros par jour ne suffisait pas pour une alimentation correcte et que, depuis trois mois, deux sandwiches quotidiens constituaient sa seule nourriture.

18. Le 19 janvier 2010, sa demande fut rejetée par le directeur de la Direction des étrangers de Thessalonique. Se référant plus précisément aux conditions de détention, il indiquait que la somme de 5,87 euros était celle prévue par les textes pertinents et que les locaux avaient fait l’objet d’une visite, le 18 septembre 2009, par le Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Celui-ci n’aurait formulé aucun commentaire en ce qui concernait les locaux (douches, toilettes, sorties, téléviseur, espace de restauration).

19. Le 25 janvier 2010, la requérante déposa auprès du président du tribunal administratif de Thessalonique une demande de révocation de la décision no 1371/2009 (article 76 § 5 de la loi no 3386/2005) : elle affirmait qu’elle voulait quitter le pays de sa propre initiative pour rejoindre sa fille qu’elle disait atteinte de problèmes cardiaques.

20. Le même jour, le président du tribunal rejeta cette demande (décision no 80/2010). Il considéra que les éléments produits par la requérante pour prouver la maladie de sa fille ne pouvaient pas être pris en compte car il s’agissait de simples photocopies non certifiées et dépourvues de toute mention de l’institution ayant traduit les documents. Il releva en outre que le certificat médical produit par la requérante n’avait pas été établi par un hôpital public et qu’il n’indiquait que les résultats d’une échographie du cœur qui ne pouvaient pas être interprétés par le tribunal.

21. Le 18 février 2010, la commission consultative des recours proposa le rejet de la demande d’asile présentée au motif que la requérante ne remplissait pas les critères permettant de prétendre au statut de réfugiée. Elle conclut que la demande de la requérante était manifestement mal fondée et abusive. Selon la commission, en effet, l’intéressée avait entamé cette procédure pour faciliter son séjour en Grèce dans le but d’y trouver un travail. Du reste, la requérante aurait admis qu’elle avait quitté son pays car elle n’y aurait eu aucune famille, qu’elle recherchait une vie meilleure avec son mari et qu’elle n’avait pas introduit une telle demande plus tôt dans l’espoir qu’une loi viendrait régulariser sa situation. Le 21 février 2010, le directeur de la Direction des étrangers de Thessalonique rejeta la demande d’asile. Cette décision fut signifiée à la requérante le 3 mars 2010, alors que celle-ci se trouvait en détention.

22. Le 8 mars 2010, la requérante saisit le tribunal administratif de Thessalonique d’une demande de révocation de la décision no 80/2010 du président de cette juridiction. Elle alléguait que la survenue de graves problèmes constituait un élément nouveau justifiant la révocation. Elle se plaignait aussi d’avoir été soumise pendant quatre mois à des conditions de détention inhumaines et dégradantes. Elle reprochait enfin à l’administration d’avoir fait preuve de passivité quant aux préparatifs de l’expulsion, et alléguait qu’elle n’avait pas à en faire les frais par une détention étendue jusqu’à sa durée maximale légale.

23. Le 16 mars 2010, le tribunal rejeta la demande. Il considéra que les certificats médicaux produits par la requérante ne suffisaient pas à établir la dégradation de son état de santé (décision no 326/2010) et à justifier un nouvel examen de la légalité de sa détention. Plus particulièrement, il releva que la requérante avait produit deux ordonnances médicales du service ambulatoire de l’hôpital psychiatrique de Thessalonique, dont la première portait seulement l’indication « dépression » et prescrivait certains médicaments, et dont la deuxième ne mentionnait même pas le nom du bénéficiaire, ce qui créait des doutes quant à son identité. Ces ordonnances ne faisant pas état de la gravité de l’état de santé alléguée par l’intéressée, le tribunal s’estima dans l’incapacité, faute de disposer d’une expertise technique, d’apprécier cet état sur la seule base de la prescription de médicaments. Il ne répondit pas aux autres motifs d’illégalité soulevés par la requérante.

24. Le 10 avril 2010, la requérante déposa une nouvelle demande de révocation devant le tribunal administratif d’Athènes. Elle y soutenait être détenue depuis six mois sans que son expulsion eût été exécutée et souffrir toujours de problèmes de santé. Elle produisait une attestation de l’hôpital psychiatrique de Thessalonique, établie le 29 mars 2010, selon laquelle elle était sous traitement médical et souffrait de troubles d’adaptation comportant des éléments de stress et de dépression.

25. Par une décision no 428/2010 du 12 avril 2010, le tribunal ordonna la levée de la détention de la requérante et impartit à l’intéressée un délai de dix jours pour quitter le territoire. Pour ce faire, il admit que la détention de la requérante était à trois jours d’atteindre la limite maximale de détention prévue par la loi, et il constata que l’intéressée possédait des documents de voyage et que l’administration n’avait entrepris aucune démarche en vue de l’expulsion. Il releva, en outre, que la requérante n’avait commis aucune infraction autre que l’entrée et le séjour illégaux, qu’elle avait des problèmes de santé et qu’elle disposait d’une résidence connue où elle pourrait être recherchée aux fins de l’exécution de l’expulsion. De l’avis du tribunal, tous ces éléments étaient déterminants et justifiaient un nouvel examen des objections de la requérante.

B. Les conditions de détention dans les locaux du service de la répression de l’immigration clandestine de Thessalonique

1. La version de la requérante

26. La requérante affirme que sa cellule n’était pas suffisamment aérée et lumineuse, qu’elle était d’une superficie de 13 m2, qu’elle la partageait avec quinze à vingt autres détenues, et que l’air y était humide et fétide, surtout en raison de la promiscuité avec des fumeurs. Elle dénonce de plus l’absence d’un espace dédié à la promenade et à l’exercice physique. Elle ajoute que les détenues n’avaient aucune activité récréative.

27. En outre, les locaux auraient été insalubres et les douches et les toilettes insuffisantes. La requérante se plaint d’une absence de restauration des détenus par le service pénitentiaire et affirme que chacun d’eux avait droit uniquement à 5,87 euros par jour pour commander des repas qui étaient livrés de l’extérieur. Elle allègue enfin que les conditions de sa détention sont responsables d’une dégradation de son état de santé.

2. La version du Gouvernement

28. Selon le Gouvernement, l’espace de détention a une surface totale de 60 m² et se compose de deux cellules distinctes, d’un hall de 18 m², de WC et de douches. La première cellule aurait une superficie de 28 m² et une capacité de 10 personnes, et la deuxième une superficie de 14 m² et une capacité de 5 personnes. Chaque cellule serait équipée d’un WC et d’une douche, disposerait d’un éclairage artificiel, d’un système d’aération, de chauffage central et de climatisation, et serait pourvue de barreaux permettant l’entrée d’air et de lumière.

29. Dans chaque cellule, il y aurait deux lits et des matelas. Les cellules seraient désinfectées une fois par semaine par une équipe spécialisée et nettoyées quatre fois par semaine par une femme de ménage. A l’appui de ses affirmations, le Gouvernement produit des attestations établies par l’officier de police chargé de la propreté du bâtiment et certifiant que le nettoyage a eu lieu comme prévu entre octobre 2009 et avril 2010. La literie serait acheminée pour nettoyage au centre de détention de Thessalonique une fois tous les deux mois environ. Les détenus recevraient le matériel nécessaire à leur hygiène personnelle.

30. Le montant alloué quotidiennement à chaque détenu pour sa nourriture aurait été fixé par la loi à 5,87 euros ; il serait ainsi possible à chaque détenu de choisir chaque jour son repas. Les détenus auraient aussi la possibilité de se procurer des journaux, des revues et des livres.

31. Les locaux du service de la répression de l’immigration clandestine de Thessalonique auraient fait l’objet en 2009 d’une visite du Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Ce comité n’aurait fait aucune observation particulière.

C. L’état de santé de la requérante

32. Durant sa détention dans les locaux du service de la répression de l’immigration clandestine de Thessalonique, la requérante fut transférée :

– le 16 décembre 2009 au dispensaire d’Evosmo, car elle se plaignait d’une douleur à la gorge. On diagnostiqua une pharyngite-otite et on lui administra un traitement médicamenteux ;

– le 16 janvier 2010 à l’hôpital général Papageorgiou, où on lui administra un traitement pour lumbago ;

– le 3 février 2010 à l’hôpital général Papageorgiou, où on lui administra un traitement pour des douleurs à certaines côtes ;

– le 26 février 2010 à l’hôpital psychiatrique de Thessalonique, où on lui administra un traitement pour des problèmes psychologiques et de stress ;

– les 12 et 19 mars 2010 à l’hôpital psychiatrique de Thessalonique, où on lui administra un traitement pour une dépression ;

– le 24 mars 2010 à l’hôpital général Aghios Dimitrios, où elle fut traitée pour une crise de panique.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Le droit national

1. La Constitution

33. L’article 5 de la Constitution prévoit :

« 1. Chacun a le droit de développer librement sa personnalité et de participer à la vie sociale, économique et politique du pays pourvu qu’il ne porte pas atteinte aux droits d’autrui ou aux bonnes mœurs ni ne viole la Constitution.

2. Tous ceux qui se trouvent sur le territoire hellénique jouissent de la protection absolue de leur vie, de leur honneur et de leur liberté sans distinction de nationalité, de race, de langue, de convictions religieuses ou politiques. Des exceptions sont permises dans les cas prévus par le droit international.

L’extradition d’un étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté est interdite.

3. La liberté individuelle est inviolable. Nul ne peut être poursuivi, arrêté, emprisonné ni soumis à une quelconque restriction dans l’usage de sa liberté individuelle si ce n’est dans les cas prévus par la loi et dans les formes qu’elle prescrit.

(...) »

2. La loi no 3386/2005

34. Les articles pertinents en l’espèce de la loi no 3386/2005, telle qu’amendée par la loi no 3772/2009, relative à l’entrée, au séjour et à l’insertion des ressortissants de pays tiers au territoire grec disposaient :

Article 2

« 1. Les dispositions de cette loi ne s’appliquent pas

(...)

c) aux réfugiés et aux personnes qui ont déposé une demande pour la reconnaissance de leur statut de réfugié, au sens de la Convention de Genève de 1951 (...) »

Article 76

« 1. L’expulsion administrative d’un étranger est permise lorsque :

a) l’intéressé a été condamné de manière définitive à une peine privative de liberté (...) ;

b) [l’intéressé] a violé les dispositions de la présente loi ;

c) sa présence sur le territoire grec représente une menace pour l’ordre public ou la sécurité du pays.

2. L’expulsion est ordonnée par décision du directeur de police et (...) après que l’étranger a bénéficié d’un délai d’au moins quarante-huit heures pour déposer ses objections.

3. Lorsque l’étranger est considéré comme susceptible de fuir ou de constituer une menace pour l’ordre public ou lorsqu’il fait obstacle à la préparation de son éloignement, les organes mentionnés au paragraphe précédent ordonnent sa détention provisoire jusqu’à l’adoption, dans un délai de trois jours, de la décision d’expulsion (...) Lorsqu’une décision d’expulsion est adoptée, la détention est maintenue jusqu’à l’exécution de l’expulsion mais en aucun cas elle ne peut dépasser six mois. Lorsque l’expulsion est retardée parce que l’intéressé refuse de coopérer ou parce que la réception des documents devant être établis par son pays de provenance ou d’origine nécessaires à l’exécution de la mesure est elle-même retardée, la détention peut être prorogée pour une durée ne pouvant dépasser douze mois (...)

4. Lorsque l’étranger sous écrou en vue de son expulsion n’est pas considéré comme susceptible de fuir ou de constituer une menace pour l’ordre public ou lorsque le président du tribunal administratif s’oppose à la détention de l’intéressé, il est fixé à celui-ci un délai pour quitter le territoire, qui ne peut dépasser trente jours.

5. La décision mentionnée aux paragraphes 3 et 4 de cet article peut être annulée à la requête des parties si la demande est fondée sur des faits nouveaux (...) »

Article 77

« L’étranger a le droit d’exercer un recours contre la décision d’expulsion auprès du ministre de l’Ordre public dans un délai de cinq jours à compter de sa notification (...) La décision est rendue dans un délai de trois jours ouvrables à compter de l’introduction du recours. L’exercice du recours entraîne la suspension de l’exécution de la décision. Dans le cas où la détention est ordonnée en même temps que la décision d’expulsion, la suspension concerne seulement l’expulsion. »

Article 79

« 1. L’expulsion est interdite, lorsque l’étranger :

(...)

d) est reconnu comme réfugié ou a demandé l’asile, sous réserve des articles 32 et 33 de la Convention de Genève de 1951 (...) »

Article 83

« 1. Le ressortissant d’un pays tiers qui entre sur le territoire grec ou en sort ou essaie d’y entrer ou d’en sortir sans suivre la procédure légale en la matière est puni d’un emprisonnement de trois mois au minimum. Cette peine est assortie d’une amende de 1 500 euros au minimum.

(...)

2. Si un ressortissant d’un pays tiers entre sur le territoire grec ou en sort sans suivre la procédure légale, le procureur près le tribunal correctionnel peut (...) s’abstenir de déclencher des poursuites pénales après avoir eu l’aval du procureur près la cour d’appel auquel il doit se rapporter sans retard (...) »

3. Le décret no 114/2010 relatif au statut de réfugié et à la procédure unique applicable aux étrangers et aux non-nationaux

35. Les articles pertinents en l’espèce du décret no 114/2010, entré en vigueur le 22 novembre 2010, prévoient :

Article 5 § 1

« Les demandeurs [d’asile] sont autorisés à rester sur le territoire jusqu’à la fin de la procédure administrative d’examen de leur demande et ne peuvent être éloignés en aucun cas. »

Article 6

« 1. Les demandes ne peuvent être rejetées et leur examen exclu du seul fait qu’elles n’ont pas été déposées aussitôt que possible.

2. Les décisions concernant les demandes sont prises au cas par cas, après un examen circonstancié, objectif et impartial (...) »

Article 13

« 1. Un ressortissant d’un pays tiers ou un non-national qui demande la protection internationale ne peut être détenu au seul motif qu’il est entré illégalement sur le territoire et qu’il y réside. La personne qui, pendant sa détention, dépose une demande de protection internationale reste en détention si les conditions du paragraphe 2 sont réunies.

2. La détention des demandeurs dans un espace approprié est permise exceptionnellement et lorsque des mesures alternatives ne peuvent pas être appliquées pour l’une des raisons suivantes :

a) le demandeur ne dispose pas de documents de voyage ou les a détruits et il est nécessaire de vérifier son identité, les circonstances de son entrée sur le territoire et les données relatives à ses véritables origines (...) ;

b) il constitue une menace pour la sécurité nationale ou l’ordre public pour des motifs qui doivent être exposés en détail dans la décision de détention ;

c) la détention est jugée nécessaire pour un examen rapide et efficace de la demande.

(...)

4. La détention est imposée pour la durée strictement nécessaire et ne peut en aucun cas dépasser quatre-vingt-dix jours. Si le demandeur a été détenu auparavant en vue d’une expulsion administrative, la durée totale de sa détention ne pourra pas dépasser cent quatre-vingts jours.

5. Les demandeurs détenus en vertu des paragraphes précédents ont le droit d’exercer les recours et de formuler les objections prévus au paragraphe 3 de l’article 76 de la loi no 3386/2005 telle qu’en vigueur.

6. Si des demandeurs sont en détention, les autorités compétentes chargées de recevoir et d’examiner les demandes (...) s’engagent à :

(...)

d) fournir aux détenus les soins médicaux requis ;

e) garantir le droit des détenus à une représentation juridique ;

f) veiller à ce que les détenus soient informés des motifs et de la durée de leur détention. »

B. Les constats du Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT)

1. Les constats du CPT à la suite de sa visite aux postes de police et centres de détention pour étrangers en 2008

36. En 2008, le CPT a visité, entre autres, les locaux de la sous-direction de la police des étrangers de Thessalonique. Il a noté l’absence de lits dans les cellules et le fait que les personnes détenues dormaient sur des matelas sales posés à même le sol. De plus, le rapport relevait l’absence d’espace de promenade et d’exercice physique et soulignait que chacun des détenus avait droit à 5,87 euros par jour pour commander des repas qui leur étaient livrés de l’extérieur. Sur ce point, le CPT a fait état de griefs provenant des personnes détenues, selon lesquels elles pouvaient, avec une telle somme, acheter au maximum deux sandwiches par jour. Le CPT a recommandé aux autorités nationales d’assurer à toutes les personnes détenues dans des locaux destinés à accueillir des étrangers en attente de leur expulsion un plat cuisiné, chaud de préférence, au moins une fois par jour.

2. Les constats du CPT à la suite de sa visite du 17 au 29 septembre 2009 aux postes de police et centres de détention pour étrangers

37. Dans son rapport du 17 novembre 2010, le CPT relevait que les arrangements concernant la nourriture des détenus restaient inadéquats. L’allocation journalière de 5,87 euros ne permettait d’acheter que quelques sandwiches et une bouteille d’eau, ce qui était suffisant pour des prévenus en détention de courte durée, mais insuffisant pour des personnes détenues pour une longue durée.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

38. La requérante allègue que les conditions de sa détention dans les locaux du service de la répression de l’immigration clandestine de Thessalonique étaient contraires à l’article 3 de la Convention, aux termes duquel :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

39. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Selon lui, en effet, la requérante a omis de saisir le procureur près le tribunal correctionnel de Thessalonique pour se plaindre des conditions de sa détention en se fondant sur l’article 572 du code de procédure pénale. Il se réfère à cet égard à l’arrêt Siasios et autres c. Grèce (no 30303/07, 4 juin 2009). Il soutient que les objections de l’intéressée devant le président du tribunal administratif de Thessalonique, selon lesquelles elle était détenue dans des conditions inadmissibles de surpopulation, étaient formulées de manière générale et ne constituaient pas le recours adéquat pour l’amélioration de celles-ci. Il considère en outre que, à la lumière de l’arrêt Efremidze c. Grèce (no 33225/08, § 27, 21 juin 2011), le mémoire que la requérante a déposé le 13 janvier 2010 devant la Direction des étrangers de Thessalonique n’était pas suffisant aux fins de l’épuisement des voies de recours internes.

40. Citant l’arrêt Tabesh c. Grèce (no 8256/07, §§ 28-30, 26 novembre 2009), la requérante soutient avoir fait usage des voies de recours qui lui étaient offertes. Elle ajoute qu’aucune disposition, ni de la loi no 3386/2005 ni d’une autre loi, ne prévoit que le procureur est compétent en matière de conditions de détention d’étrangers en voie d’expulsion ou d’élargissement de ceux-ci pour mauvaises conditions de détention.

41. La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée dans l’article 35 § 1 de la Convention veut qu’avant de saisir un tribunal international le requérant doit avoir donné à l’Etat responsable la faculté de remédier aux violations alléguées par des moyens internes, en utilisant les ressources judiciaires offertes par la législation nationale pourvu qu’elles se révèlent efficaces et suffisantes (voir, entre autres, Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 37, CEDH 1999–I). En effet, l’article 35 § 1 de la Convention ne prescrit l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir, parmi beaucoup d’autres, Dalia c. France, 19 février 1998, § 38, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I).

42. La Cour rappelle ensuite que l’article 35 § 1 de la Convention prévoit une répartition de la charge de la preuve. Pour ce qui concerne le Gouvernement, il doit, lorsqu’il excipe du non-épuisement, convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible, qu’il était susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs et qu’il présentait des perspectives raisonnables de succès (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 68, Recueil 1996‑IV, et Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 46, CEDH 2006-II).

43. La Cour rappelle par ailleurs que dans l’arrêt Efremidze (précité, § 28), elle a considéré que la requérante avait épuisé les voies de recours internes. Elle a relevé que, en ce qui concernait la saisine du chef hiérarchique de la police, le CPT avait fait état en 2008 de l’inexistence en Grèce d’une véritable autorité indépendante chargée d’inspecter les locaux de détention des forces de l’ordre. Elle s’est également posé la question de savoir si le chef de la police représentait une autorité qui remplissait les conditions d’impartialité et d’objectivité nécessaires à l’efficacité du recours. Elle précise cependant que ni la référence au constat du CPT ni cette interrogation n’ont été déterminantes pour la conclusion à laquelle elle est parvenue dans l’affaire précitée.

44. Se penchant sur la présente affaire, la Cour relève que, dans ses objections du 2 novembre 2009 à la présidente du tribunal administratif de Thessalonique, la requérante se plaignait de « conditions de détention inadmissibles en raison de la surpopulation régnant dans les locaux » du service de la répression de l’immigration clandestine. Or, dans sa décision no 1298/2009 rejetant ces objections, la présidente n’a fait aucune référence aux conditions de détention.

45. De même, le 13 janvier 2010, la requérante a déposé un mémoire auprès de la Direction des étrangers de Thessalonique, dans lequel elle affirmait que les conditions de sa détention justifiaient son élargissement. Se prévalant de l’article 3 de la Convention, elle y alléguait qu’elle vivait depuis trois mois dans des conditions inhumaines et dégradantes, qu’elle était obligée de partager un espace restreint avec un nombre excessif de détenues et que, par conséquent, personne ne pouvait se reposer de manière digne, que la cellule n’était pas suffisamment aérée et éclairée, que l’air y était enfumé et nauséabond et que les douches et les toilettes étaient en nombre insuffisant. Elle se plaignait également de l’absence d’espace dédié à l’exercice physique ou aux activités récréatives. Elle dénonçait en outre l’absence d’infrastructure pour la restauration et affirmait que la somme de 5,87 euros allouée quotidiennement ne permettait pas aux détenus de se nourrir correctement. Depuis trois mois, elle-même se serait ainsi nourrie de deux sandwiches par jour.

46. La Cour note que ces doléances portaient sur les conditions de détention dans les locaux du service de la répression de l’immigration clandestine et que les conditions dénoncées s’apparentaient à un phénomène structurel, propre à la détention dans les locaux de rétention de la police, qui ne concernait pas exclusivement le cas particulier de la requérante (Bygylashvili c. Grèce, no no58164/10, § 47, 25 septembre 2012). En revanche, dans l’arrêt Siasios évoqué par le Gouvernement, les conditions de détention des requérants étaient liées à leur qualité de toxicomanes et à la nécessité de les transférer dans une prison pour la suite de leur détention provisoire. Il s’agissait là d’une situation propre aux requérants qui devait être portée à la connaissance du procureur afin que celui-ci entreprît les démarches nécessaires.

47. A ce propos, la Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, lorsque le droit interne prévoit plusieurs recours parallèles relevant de différents domaines du droit, l’article 35 § 1 de la Convention n’exige pas qu’un requérant, après avoir tenté d’obtenir le redressement d’une violation alléguée de la Convention au travers de l’un de ces recours, doive encore nécessairement en utiliser d’autres (Zając c. Pologne, no 19817/04, § 80, 29 juillet 2008).

48. En conséquence, nonobstant le fait que la requérante n’a pas fait usage de la voie suggérée par le Gouvernement, la Cour estime que son grief ne saurait être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes (voir aussi, dans ce sens, Ahmade c. Grèce, no 50520/09, § 91, 25 septembre 2012). Partant, il convient d’écarter l’exception soulevée par le Gouvernement à ce titre.

49. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

50. Le Gouvernement soutient que la requérante ne prouve pas que les conditions de sa détention ont été telles qu’elle les a décrites dans sa requête. Il indique que le nombre total des détenues pendant la période de détention de la requérante a fluctué tout en restant dans la limite des capacités des locaux. Le nettoyage et la désinfection des locaux auraient été assurés régulièrement par une entreprise privée. La requérante aurait reçu des articles pour son hygiène personnelle et aurait eu la possibilité de se procurer des journaux et des revues. Elle n’aurait en outre pas prouvé que la somme de 5,87 euros qu’elle recevait par jour pour son alim²entation était l’unique ressource dont elle disposait pour se nourrir. Enfin, le Gouvernement précise que, lorsque l’intéressée s’est plainte de problèmes de santé, elle a été immédiatement transférée dans des hôpitaux publics où des soins lui ont été prodigués.

51. Pour étayer ses allégations de mauvaises conditions de détention, la requérante se réfère à la jurisprudence de la Cour en matière de détention d’étrangers en vue d’expulsion, notamment aux arrêts Dougoz c. Grèce (no40907/98, CEDH 2001-II), S.D. c. Grèce (no 53541/07, 11 juin 2009), Tabesh (précité) et A.A. c. Grèce (no 12186/08, 22 juillet 2010), ainsi qu’aux rapports établis par diverses instances et divers organes internationaux tels que le CPT, le Rapporteur spécial de l’ONU sur la torture (mission de 2010) et Amnesty International et aux articles publiés dans des journaux grecs (en 2009 et 2010) concernant les conditions de détention en Grèce en général et le service de la répression de l’immigration clandestine de Thessalonique en particulier. L’intéressée réitère que sa cellule a parfois abrité plus de vingt-cinq détenues, qu’il n’y avait aucune possibilité de sortir dans une cour, qu’elle recevait 5,87 euros par jour pour son alimentation, qu’elle dormait à même le sol et que la cellule ne recevait aucune lumière naturelle.

52. La Cour réaffirme d’emblée que l’article 3 de la Convention consacre l’une des valeurs les plus fondamentales des sociétés démocratiques et qu’il prohibe en termes absolus la torture et les traitements ou peines inhumains ou dégradants, quels que soient les circonstances et les agissements de la victime (voir, par exemple, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 119, CEDH 2000‑IV).

53. Elle rappelle ensuite que, si les Etats sont autorisés à placer en détention des immigrés potentiels en vertu de leur « droit indéniable de contrôler (...) l’entrée et le séjour des étrangers sur leur territoire » (Amuur c. France, 25 juin 1996, § 41, Recueil 1996‑III), ce droit doit s’exercer en conformité avec les dispositions de la Convention (Mahdid et Haddar c. Autriche (déc.), no 74762/01, CEDH 2005-XIII). Elle rappelle également qu’elle doit avoir égard à la situation particulière de ces personnes lorsqu’elle est amenée à contrôler les modalités d’exécution de la mesure de détention à l’aune des dispositions conventionnelles (Riad et Idiab c. Belgique, nos 29787/03 et 29810/03, § 100, 24 janvier 2008).

54. La Cour rappelle encore que, lorsqu’on évalue les conditions de détention, il y a lieu de prendre en compte leurs effets cumulatifs ainsi que les allégations spécifiques du requérant (Dougoz, précité, § 46). En particulier, la durée pendant laquelle un individu a été détenu dans les conditions incriminées constitue un facteur important à considérer (Alver c. Estonie, no 64812/01, 8 novembre 2005).

55. En matière de surpopulation dans les prisons, la Cour note que les Rapports Généraux établis par le CPT n’indiquent pas explicitement le minimum d’espace personnel dont devrait disposer chaque détenu placé dans des cellules partagées. Il ressort toutefois des rapports nationaux du CPT et recommandations qui y sont faites aux Etats que le standard minimum souhaitable devrait être fixé à 4 m² par détenu. De son côté, la Cour, saisie d’affaires où un requérant disposait de moins de 3 m² d’espace personnel, a considéré que cet élément, à lui seul, suffisait pour conclure à la violation de l’article 3 de la Convention (Ananyev et autres c. Russie, nos 42525/07 et 60800/08, §§ 144-145, 10 janvier 2012, avec d’autres références).

56. En revanche, dans des affaires où la surpopulation n’était pas importante au point de soulever à elle seule un problème sous l’angle de l’article 3, la Cour a noté que d’autres aspects des conditions de détention étaient à prendre en compte dans l’examen du respect de cette disposition. Parmi ces éléments figurent la possibilité d’utiliser les toilettes de manière privée, l’existence d’un système d’aération, l’accès à la lumière et à l’air naturels, la qualité du chauffage et le respect des exigences sanitaires de base (voir également les éléments ressortant des Règles pénitentiaires européennes adoptées par le Comité des Ministres). Ainsi, même dans des affaires où chaque détenu disposait de 3 à 4 m², la Cour a conclu à la violation de l’article 3 dès lors que le manque d’espace allégué s’accompagnait d’un manque de ventilation et de lumière (Moïsseïev c. Russie, no 62936/00, 9 octobre 2008 ; voir également Vlassov c. Russie, no 78146/01, § 84, 12 juin 2008, et Babouchkine c. Russie, no 67253/01, § 44, 18 octobre 2007), d’un accès limité à la promenade en plein air (István Gábor Kovács c. Hongrie, no 15707/10, § 26, 17 janvier 2012) ou d’un manque total d’intimité dans les cellules (voir, mutatis mutandis, Belevitskiy c. Russie, no 72967/01, §§ 73-79, 1er mars 2007, Khoudoïorov c. Russie, no 6847/02, §§ 106-107, CEDH 2005-X, et Novoselov c. Russie, no 66460/01, §§ 32 et 40-43, 2 juin 2005).

57. En l’espèce, la Cour relève que les allégations de la requérante soulèvent un problème sur le plan des conditions de sa détention dans les locaux du service de la répression de l’immigration clandestine de Thessalonique.

58. La Cour note que la requérante, tant dans ses objections et mémoires devant les autorités nationales que dans ses observations devant elle, s’est plainte de la surpopulation régnant dans les cellules du service de la répression de l’immigration clandestine où elle était détenue. Toutefois, elle ne dispose pas d’éléments suffisants lui permettant de vérifier cette allégation fondée uniquement sur des arrêts antérieurs de la Cour ou sur des rapports d’instances et organes internationaux concernant divers établissements et diverses périodes. Elle note aussi que, à l’issue de sa visite du 18 septembre 2009 dans ces locaux, le CPT n’a pas formulé de critique à cet égard.

59. Cela étant, la Cour constate en l’espèce des manquements spécifiques sur deux points que le Gouvernement ne met pas en cause, à savoir les questions de qualité de la restauration et de possibilité d’exercice physique pour la requérante. Ces deux points ont déjà fait l’objet d’affaires relatives aux conditions de détention en Grèce, dans lesquelles la Cour a conclu à la violation de l’article 3 de la Convention (Vafiadis c. Grèce, no 24981/07, § 36, 2 juillet 2009 ; Shuvaev c. Grèce, no 8249/07, § 37, 29 octobre 2009 ; Tabesh, §§ 40-42, et Efremidze, § 38, précités).

60. Comme dans les affaires précitées, la Cour estime qu’en l’espèce le régime afférent à la possibilité de loisirs et à la restauration dans les locaux de police où la requérante a été détenue pendant six mois pose en soi problème au regard de l’article 3 de la Convention. En particulier, l’impossibilité de se promener ou de pratiquer une activité en plein air risquait de faire naître chez la requérante un sentiment d’isolement par rapport au monde extérieur, avec des conséquences potentiellement négatives sur son bien-être physique et moral (Efremidze, précité, § 39).

61. En outre, la Cour a des doutes sérieux quant à l’adéquation de la somme allouée à la requérante pour garantir une restauration conforme aux exigences du CPT (paragraphes 36-37 ci-dessus). Il est à noter que le versement aux détenus d’un montant modique pour satisfaire leurs besoins alimentaires ne saurait être considéré en soi comme contraire à l’article 3, lorsqu’il s’agit d’une détention de très courte durée. Néanmoins, pour des détentions plus longues, semblables à celle de la requérante, les autorités compétentes doivent garantir une alimentation journalière adéquate et suffisante, le cas échéant par la mise en place d’une structure interne pour la restauration des détenus. La Cour rappelle sur ce point que le CPT se réfère explicitement dans son rapport de 2008 à la nécessité de garantir à des personnes détenues et se trouvant dans une situation semblable à celle de la requérante un plat cuisiné – chaud de préférence – au moins une fois par jour. Par ailleurs, dans son rapport de 2010, il souligne que l’allocation journalière de 5,87 euros ne permettait d’acheter que quelques sandwiches et une bouteille d’eau, ce qui était suffisant pour des prévenus en détention de courte durée, mais insuffisant pour des personnes détenues pour une longue durée.

62. La Cour rappelle qu’elle a déjà examiné cette question dans l’arrêt Tabesh (précité), où elle a conclu à la violation de l’article 3 de la Convention en raison des conditions dans lesquelles le requérant avait été détenu dans les mêmes locaux, à l’époque ceux de la police des étrangers de Thessalonique. En particulier, la Cour a considéré que les insuffisances quant aux activités récréatives et à la restauration appropriée du requérant résultaient du fait que ces locaux n’étaient pas des lieux appropriés pour la détention du requérant. Il s’agissait de lieux destinés, de par leur nature même, à accueillir des personnes pour de très courtes durées. Par conséquent, ils n’étaient en rien adaptés aux besoins d’une détention de trois mois et imposée, de plus, à une personne qui ne purgeait pas une peine pénale mais qui se trouvait en attente de l’application d’une mesure administrative (Tabesh, précité, § 43).

63. Or ces considérations s’appliquent d’autant plus dans la présente affaire où la requérante a été détenue près de six mois.

64. Dès lors, la Cour estime que le fait de maintenir la requérante en détention pendant six mois dans les locaux du service de la répression de l’immigration clandestine de Thessalonique dans de telles conditions s’analyse en un traitement dégradant, au sens de l’article 3 de la Convention. Il y a donc eu violation de cette disposition.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

65. La requérante se plaint de l’illégalité de son placement en détention en vue de son expulsion. Elle invoque l’article 5 § 1 de la Convention, qui se lit ainsi :

« Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(...)

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.

(...) »

66. Le Gouvernement soutient que la détention de la requérante était légale au regard de l’article 5 § 1 de la Convention, du droit de l’Union européenne et de la législation interne. Il soutient également que la durée de la détention était raisonnable car elle n’aurait pas dépassé la limite légale de six mois et que la détention n’a pas été prolongée en dépit de la possibilité qu’aurait offert l’article 76 § 3 de la loi no 3386/2005 de le faire. Il estime que la diligence des autorités nationales concernant la procédure d’expulsion ne peut pas être mise en cause en l’espèce car la requérante, en soumettant une demande d’asile, aurait fait suspendre son expulsion et aurait ainsi prolongé son séjour dans le pays. Le Gouvernement souligne ensuite que la requérante a formé plusieurs recours et formulé plusieurs objections contre sa détention, que leur légalité a été examinée et qu’ils ont été tous rejetés par des décisions selon lui motivées et rendues dans certains cas le jour même du dépôt du recours.

67. La requérante critique la décision d’expulsion rendue contre elle. Elle allègue que le tribunal a fondé cette décision sur le fait qu’il la considérait comme une menace pour l’ordre et la sécurité publics et l’a prise en l’absence d’un jugement de condamnation, condition qui serait requise par l’article 76 § 1 a) de la loi no 3386/2005 pour une expulsion.

68. La Cour rappelle qu’en matière de « régularité » d’une détention, y compris d’observation des « voies légales », la Convention renvoie pour l’essentiel à l’obligation d’observer les normes de fond comme de procédure de la législation nationale, mais qu’elle exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de l’article 5 : protéger l’individu contre l’arbitraire (voir, parmi d’autres, Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 118, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V, et Čonka c. Belgique, no 51564/99, § 39, CEDH 2002-I).

69. La Cour rappelle ensuite que l’article 5 § 1 f) n’exige pas que la détention d’une personne contre laquelle une procédure d’expulsion est en cours soit considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir ; à cet égard, l’article 5 § 1 f) ne prévoit pas la même protection que l’article 5 § 1 c). De fait, il exige seulement qu’une procédure d’expulsion soit en cours. Que la décision d’expulsion initiale se justifie au regard de la législation interne ou de la Convention n’entre donc pas en ligne de compte aux fins de l’article 5 § 1 f). La Cour rappelle cependant que seul le déroulement de la procédure d’expulsion justifie la privation de liberté fondée sur cette disposition (Efremidze, précité, § 54 et Takush c. Grèce, no 2853/09, § 41, 17 janvier 2012).

70. En l’espèce, la Cour relève que la requérante a été arrêtée le 15 octobre 2009 et détenue en vue de son expulsion au motif que, en méconnaissance des dispositions de la loi no 3386/2005, elle n’avait pas quitté le territoire grec à l’expiration du délai de validité de son visa. La décision d’expulsion du 18 octobre 2009 précisait en outre que la requérante était accusée, sur le fondement des articles 42 et 220 du code pénal, d’obtention frauduleuse d’une fausse attestation de dépôt de justificatifs en vue de l’obtention d’un titre de séjour et de tentative d’obtention frauduleuse d’une attestation de titre de séjour.

71. La Cour note encore que, en dépit des affirmations de la requérante, son expulsion a été ordonnée sur le fondement des alinéas b) et c) de l’article 76 § 1, et non sur celui de l’alinéa a). La décision précisait en outre que la requérante serait maintenue en détention jusqu’à l’exécution de la décision d’expulsion et pour une période qui ne pouvait pas aller au-delà de six mois à compter de la date de son placement en détention, car, au vu des circonstances de l’espèce, le tribunal considérait l’intéressée comme susceptible de se soustraire à son expulsion et comme constituant une menace pour l’ordre et la sécurité publics. La requérante a formulé devant la présidente du tribunal administratif de Thessalonique des objections contre son maintien en détention et a introduit plusieurs demandes de révocation en vertu de l’article 76 § 5, en soulevant différents motifs tirés de l’illégalité de sa détention. Ces objections et demandes ont pour la plupart été rejetées par des décisions motivées et adaptées aux différents moyens de la requérante.

72. La Cour constate aussi que, pendant sa détention, la requérante a introduit, d’abord oralement le 3 novembre 2009, puis par écrit, le 17 décembre 2009, une demande d’asile que les autorités compétentes ont rejetée. Il ressort du droit interne que, si une telle demande suspend l’exécution de la mesure d’expulsion, elle ne suspend pas celle de la détention ; le droit interne impose seulement que la demande d’asile soit examinée en priorité (article 13 du décret no 114/2010 – paragraphe 35 ci‑dessus). Or, en l’espèce, les autorités ont examiné la demande d’asile de la requérante et l’ont rejetée à bref délai, soit le 21 février 2010, en soulignant que la requérante, présente sur le territoire depuis février 2005, avait utilisé cette procédure afin de rester en Grèce et de trouver du travail (paragraphe 21 ci-dessus).

73. Enfin, la Cour relève que la requérante a été remise en liberté le 12 avril 2010, soit dans le délai de six mois fixé par la législation interne (article 76 § 3 de la loi no 3386/2005) et comme le précisait la décision du 18 octobre 2009 prolongeant la détention de l’intéressée (paragraphe 9 ci‑dessus), le tribunal administratif ayant constaté l’expiration de ce délai ainsi que la survenance de nouveaux faits de nature à rendre possible cette remise en liberté (paragraphe 25 ci-dessus).

74. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que la détention de la requérante n’était pas arbitraire et que l’on ne saurait considérer qu’elle n’était pas « régulière » au sens de l’article 5 § 1 f) de la Convention.

75. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté comme irrecevable, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

76. La requérante reproche aux autorités internes de n’avoir pas suffisamment examiné ses doléances dénonçant l’illégalité de sa détention. L’illégalité de celle-ci tenait notamment, selon elle, aux conditions de sa détention et à son maintien en détention alors même que les autorités auraient fait preuve de passivité quant aux préparatifs de son expulsion et alors même qu’elle aurait déposé une demande d’asile. Elle invoque l’article 5 § 4 de la Convention, qui se lit ainsi :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

77. Le Gouvernement souligne que la requérante a formulé à plusieurs reprises des objections contre sa détention devant le président du tribunal administratif de Thessalonique. Celui-ci les aurait examinées non seulement sous l’angle du risque de fuite et de la dangerosité pour l’ordre public de l’intéressée, mais aussi en tenant compte des autres motifs invoqués. Il les aurait rejetées dans des délais très courts et avec une motivation détaillée.

78. Le Gouvernement soutient en outre que, dans ses premières objections du 2 novembre 2009, la requérante a fait état, de manière vague selon lui, des « conditions de détention inadmissibles en raison de la surpopulation régnant dans les locaux », sans préciser quelles étaient ces conditions et sans étayer son allégation par des éléments concrets, raisons pour lesquelles le tribunal aurait rejeté cette doléance sans motivation particulière. En revanche, il soutient que le tribunal a rejeté par une motivation précise l’allégation concernant l’absence de risque de fuite que la requérante aurait étayée de manière plus détaillée. Le Gouvernement indique encore que l’intéressée a, dans son recours en révocation du 17 novembre 2009, réitéré son allégation avec le même manque de précision, et ce sans invoquer de faits nouveaux qui auraient justifié une décision différente du tribunal à cet égard. Enfin, le tribunal administratif aurait examiné les doléances de la requérante relatives à sa demande d’asile, à ses problèmes de santé ainsi qu’aux problèmes de santé de sa fille et il les aurait considérées comme insuffisamment fondées pour permettre aux juges d’ordonner la levée de la détention.

79. La requérante se prévaut des conclusions de la Cour dans l’arrêt Tabesh (précité, §§ 62-63) relatives aux insuffisances du droit interne quant à l’efficacité du contrôle juridictionnel d’un placement en détention en vue d’expulsion. Elle réitère que la présidente du tribunal administratif de Thessalonique a rejeté ses objections relatives à son maintien en détention sans examiner les allégations concernant les conditions en cause.

80. La Cour rappelle que le concept de « lawfulness » (« régularité », « légalité ») doit avoir le même sens au paragraphe 4 de l’article 5 de la Convention qu’au paragraphe 1, de sorte qu’une personne détenue a le droit de faire contrôler sa détention sous l’angle non seulement du droit interne, mais aussi de la Convention, des principes généraux qu’elle consacre et du but des restrictions qu’autorise le paragraphe 1. L’article 5 § 4 ne garantit pas le droit à un contrôle juridictionnel d’une ampleur telle qu’il habiliterait le tribunal à substituer sur l’ensemble des aspects de la cause, y compris des considérations de pure opportunité, sa propre appréciation à celle de l’autorité dont émane la décision. Il n’en veut pas moins un contrôle assez ample pour s’étendre à chacune des conditions indispensables à la régularité de la détention d’un individu au regard du paragraphe 1 (Chahal, § 127, et Dougoz, § 61, précités).

81. La Cour note que, en l’espèce, la requérante a introduit à deux reprises des objections contre son maintien en détention (le 2 et le 17 novembre 2009) et à trois reprises (le 25 janvier, le 8 mars et le 10 avril 2010) des demandes de révocation de la décision no 1371/2009 rejetant ses objections. Parmi les raisons susceptibles de justifier une levée de sa détention, la requérante mentionnait, outre l’absence de risque de fuite et de menace pour l’ordre public (soit les motifs prévus par l’article 76 § 4 de la loi no 3386/2005), les conditions de sa détention (objections du 2 et du 17 novembre 2009), sa demande d’asile (objections du 17 novembre 2009), sa volonté de quitter la Grèce pour se rendre auprès de sa fille malade (demande du 25 janvier 2010), son état de santé et la passivité des autorités quant aux préparatifs de son expulsion (demandes respectives du 8 mars et du 10 avril 2010).

82. La Cour constate d’abord que le 19 janvier 2010, le directeur de la Direction des étrangers de Thessalonique a rejeté les doléances de la requérante relatives à ses conditions de détention en se référant notamment aux conclusions du CPT suite à sa visite du 18 septembre 2009 (paragraphe 18 ci-dessus). En outre, dans sa décision no 80/2010 du 25 janvier 2010, le tribunal administratif a rejeté la demande de révocation de la requérante au motif que celle-ci n’avait pas produit les documents adéquats pour prouver la maladie de sa fille qu’elle invoquait dans le but de se rendre auprès d’elle (paragraphe 20 ci-dessus). De même, le 16 mars 2010, le tribunal a rejeté une nouvelle demande de révocation en considérant que les certificats médicaux produits par la requérante ne suffisaient pas à établir la dégradation de son état de santé (paragraphe 23 ci-dessus). Enfin, le 12 avril 2010, le tribunal a ordonné la levée de la détention après avoir relevé que la détention de la requérante était à trois jours d’atteindre la limite maximale de détention prévue par la loi, que l’intéressée possédait des documents de voyage et que l’administration n’avait entrepris aucune démarche en vue de l’expulsion, qu’elle n’avait commis aucune infraction autre que l’entrée et le séjour illégaux, qu’elle avait des problèmes de santé et qu’elle disposait d’une résidence connue où elle pourrait être recherchée aux fins de l’exécution de l’expulsion (paragraphe 25 ci-dessus).

83. Il ressort de toutes ces décisions que les autorités nationales ont examiné les doléances de la requérante de manière qui répond, en l’occurrence, aux critères de la jurisprudence de la Cour tels qu’ils sont mentionnés au paragraphe 80 ci-dessus.

84. Il s’ensuit que ce grief doit aussi être rejeté comme irrecevable, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

85. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

86. La requérante réclame 15 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’elle aurait subi.

87. Le Gouvernement soutient que cette somme est excessive et non justifiée par les circonstances de la cause. Il affirme que l’allocation à un requérant de sommes exorbitantes au titre du dommage moral limite les ressources qui pourraient être utilisées pour l’effacement des problèmes à l’origine des violations constatées et qu’il en irait ainsi dans la situation économique actuelle. Il invite la Cour à prendre cela en considération dans son examen des prétentions de la requérante.

88. La Cour rappelle qu’elle a conclu à la violation de l’article 3 de la Convention. Elle estime qu’il y a lieu d’octroyer à la requérante 8 000 EUR pour dommage moral.

B. Frais et dépens

89. La Cour note que la requérante ne présente aucune demande de remboursement des frais et dépens. Elle ne lui accorde donc aucune somme à ce titre.

C. Intérêts moratoires

90. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 3 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

3. Dit,

a) que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 8 000 EUR (huit mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 mai 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren NielsenIsabelle Berro-Lefèvre
GreffierPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-119051
Date de la décision : 02/05/2013
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Exception préliminaire rejetée (Article 35-1 - Recours interne efficace);Partiellement irrecevable (Article 35-3 - Manifestement mal fondé);Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant) (Volet matériel);Préjudice moral - réparation

Parties
Demandeurs : CHKHARTISHVILI
Défendeurs : GRÈCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : TSIATSIOS T.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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