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18/04/2013 | CEDH | N°001-118604

CEDH | CEDH, AFFAIRE SAINT-PAUL LUXEMBOURG S.A. c. LUXEMBOURG, 2013, 001-118604


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE SAINT-PAUL LUXEMBOURG S.A. c. LUXEMBOURG

(Requête no 26419/10)

ARRÊT

STRASBOURG

18 avril 2013

DÉFINITIF

18/07/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Saint-Paul Luxembourg S.A. c. Luxembourg,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupanči

,
Ann Power-Forde,
André Potocki,
Paul Lemmens,
Helena Jäderblom, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir dé...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE SAINT-PAUL LUXEMBOURG S.A. c. LUXEMBOURG

(Requête no 26419/10)

ARRÊT

STRASBOURG

18 avril 2013

DÉFINITIF

18/07/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Saint-Paul Luxembourg S.A. c. Luxembourg,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ann Power-Forde,
André Potocki,
Paul Lemmens,
Helena Jäderblom, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 mars 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 26419/10) dirigée contre le Grand-Duché de Luxembourg et dont une ressortissante de cet Etat, la société Saint-Paul Luxembourg S.A. (« la requérante »), a saisi la Cour le 26 avril 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante a été représentée par Me S. Azizi, avocat à Luxembourg. Le gouvernement luxembourgeois (« le Gouvernement ») a été représenté par son conseil, Me M. Thewes, avocat à Luxembourg.

3. La requérante allègue avoir subi une violation de son droit à la liberté d’expression et de son droit au respect du domicile.

4. Le 5 décembre 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.

5. A la suite du déport de M. D. Spielmann, juge élu au titre du Luxembourg (article 28 du règlement de la Cour), le président de la chambre a désigné Mme A. Nußberger, juge élue au titre de l’Allemagne, pour siéger en qualité de juge ad hoc (article 26 § 4 de la Convention et article 29 § 1 du règlement de la Cour).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. La requérante est une société établie à Luxembourg.

7. Le 17 décembre 2008, le journal en langue portugaise « Contacto Semanário » (ci-après « Contacto »), édité par la requérante au Luxembourg, publia un article décrivant la situation de familles s’étant vu retirer la garde de leurs enfants. Le service central d’assistance sociale (SCAS) serait à l’initiative de ces retraits de garde. Le journaliste traita du cas de deux adolescents et de l’assistant social en charge de leur dossier en les nommant. La mineure aurait notamment été victime d’une tentative de viol et le mineur aurait brûlé un camarade avec une cigarette. Cet article était signé du nom de « Domingos Martins ».

8. La liste des journalistes officiellement reconnus au Grand-Duché de Luxembourg par le conseil de presse ne contient aucun journaliste de ce nom. Cette liste contient plusieurs centaines de noms rangés suivant l’ordre alphabétique du nom de famille. Y apparaît sous la lettre « D » un dénommé De Araujo Martins Domingos Alberto.

9. L’assistant social se plaignit de cet article auprès du directeur du SCAS, qui à son tour se plaignit auprès du Procureur Général d’Etat en alléguant qu’il s’agissait de diffamation tant de cet assistant particulier que du système judiciaire et social luxembourgeois en général. Le 5 janvier 2009, l’assistant social déposa également plainte.

10. Le 30 janvier 2009, le parquet du tribunal d’arrondissement de Luxembourg ouvrit une information judiciaire contre inconnu, sur le fondement d’une violation de l’article 38 de la loi modifiée du 10 août 1992 relatif à la protection de la jeunesse, ainsi que pour calomnie, sinon diffamation.

11. Le 30 mars 2009, un juge d’instruction émit une ordonnance de perquisition et de saisie au siège de la requérante en sa qualité d’éditeur du journal Contacto « aux fins de rechercher et de saisir tous documents et objets sous quelque forme que ce soit et sur quelque support que ce soit en relation avec les infractions reprochées et notamment tout élément utile à l’identification de l’auteur de l’infraction, respectivement du collaborateur du journal « Contacto » ayant rédigé l’article « litigieux » paru en date du 17 décembre 2008 dans le journal « Contacto ».

12. Le 7 mai 2009, des policiers se présentèrent aux locaux du journal Contacto (situé au sein du siège de la requérante) muni de cette ordonnance. Le Gouvernement expose que, au moment où les enquêteurs se présentèrent dans les locaux du journal, l’objet de la mesure d’instruction se limitait dans leur esprit à identifier l’auteur de l’article incriminé. Il en veut pour preuve le passage du rapport de police du 11 mai 2009 relatif à la perquisition, qui dit ceci (texte original en allemand) :

« Pour identifier de façon certaine l’auteur de l’article (...) l’autorité [le juge d’instruction] a émis une ordonnance de perquisition. Avant l’exécution de cette ordonnance, la façon de procéder a été clarifiée avec l’autorité [le juge d’instruction]. Il a été décidé que la perquisition portait seulement sur l’identification claire de l’auteur de l’article. »

13. Le journaliste ayant rédigé l’article remit aux policiers un exemplaire du journal, un cahier de notes, des documents (notamment des décisions de justice concernant l’un des sujets de l’article) ayant servi à la rédaction de l’article ainsi qu’un fichier informatique et un CD contenant ledit article. Il résulte du dossier que le journaliste, assisté du juriste de la maison d’édition et du rédacteur en chef du journal Contacto lors de la perquisition, signa le procès-verbal de perquisition sans faire usage de la possibilité de rajouter des remarques.

14. Selon la requérante, la coopération aurait été forcée, dans la mesure où les policiers auraient fait comprendre au journaliste qu’il n’avait pas d’autre choix que de coopérer au vu de l’ordonnance de perquisition et de saisie.

Il ressort cependant d’un rapport interne de la requérante daté du 8 mai 2009, que le journaliste dit aux policiers « qu’il n’a rien contre à leur donner une copie [de ses] notes » et que ce fut le rédacteur en chef du journal qui proposa aux policiers de leur remettre une version gravée de l’article. Ce même rapport énonce qu’un policier introduisit une clé USB dans l’ordinateur du journaliste. La requérante indique ne pas savoir s’il copia des fichiers, cependant il résulte du dossier qu’à aucun moment les policiers ne furent seuls dans les locaux. Au moment où le policier a introduit ladite clé USB dans l’ordinateur, le juriste de la requérante était présent et il ne s’y est pas opposé.

Quant au rapport de police du 11 mai 2009 relatif à la perquisition, il relate que le journaliste, avec l’accord du rédacteur en chef, se déclara prêt à coopérer avec la police. Les policiers auraient alors répliqué qu’ils ne s’étaient pas attendus à une autre réaction et lui soumirent tout de même l’ordonnance du juge d’instruction, pour expliquer qu’en cas de refus de coopération, un moyen de pression aurait existé.

15. Toujours suivant le rapport de police du 11 mai 2009, le journaliste remit volontairement son cahier de notes et une copie de l’article aux policiers. Il leur montra également volontairement et sans y avoir été invité la préparation informatique de son article et leur en proposa une copie. Finalement, il leur aurait encore remis un ensemble de documents. Les policiers notèrent que les objets ainsi emportés avaient été volontairement remis et servaient exclusivement à la décharge du journaliste ; la protection des sources n’aurait à aucun moment été mise en cause. Pour conclure, ils précisèrent que l’opération, qui dura entre 12 et 15 minutes, se déroula sans pression, dans une ambiance cordiale et respectueuse.

16. Ni ce rapport de police, ni le procès-verbal de saisie ne firent l’objet d’une contestation quant à leur véracité devant les juridictions internes.

17. Le 10 mai 2009, la requérante, mais aussi le journaliste, saisirent la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement afin de voir annulées l’ordonnance de perquisition et de saisie litigieuse, ainsi que son exécution.

18. Le 11 mai 2009, le juge d’instruction ordonna d’office la mainlevée de la saisie et la restitution de tous les documents et objets saisis dans le cadre de la perquisition.

19. Le 20 mai 2009, la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement dit non fondée la demande en annulation.

20. Par une déclaration du 29 mai 2009, la requérante et le journaliste relevèrent appel de cette décision.

21. Le 27 octobre 2009, la chambre du conseil de la cour d’appel confirma l’ordonnance entreprise.

22. La requérante n’a pas informé la Cour d’éventuelles suites qu’aurait connu cette perquisition.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

23. Les dispositions pertinentes de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité civile de l’Etat et des collectivités publiques est libellé comme suit :

Article 1

« L’Etat et les autres personnes morales de droit public répondent, chacun dans le cadre de ses missions de service public, de tout dommage causé par le fonctionnement défectueux de leurs services, tant administratifs que judiciaires, sous réserve de l’autorité de la chose jugée.

Toutefois, lorsqu’il serait inéquitable, eu égard à la nature et à la finalité de l’acte générateur du dommage, de laisser le préjudice subi à charge de l’administré, indemnisation est due même en l’absence de preuve d’un fonctionnement défectueux du service, à condition que le dommage soit spécial et exceptionnel et qu’il ne soit pas imputable à une faute de la victime. »

24. Les dispositions pertinentes de la loi du 10 août 1992 relative à la protection de la jeunesse sont libellées comme suit :

Article 38

« Il est interdit de publier ou de diffuser de quelque manière que ce soit les débats des juridictions de la jeunesse.

Il en est de même de la publication ou de la diffusion de tous éléments qui seraient de nature à révéler l’identité ou la personnalité des mineurs qui sont poursuivis ou qui font l’objet d’une mesure prévue par la présente loi.

(...)

Les infractions au présent article sont punies d’un emprisonnement de huit jours à six mois et d’une amende de 251 euros à 10.000 euros ou d’une de ces peines seulement. »

25. Les dispositions du Code pénal relatives à la calomnie et à la diffamation sont libellées comme suit :

Article 443

« Celui qui, dans les cas ci-après indiqués, a méchamment imputé à une personne un fait précis qui est de nature à porter atteinte à l’honneur de cette personne ou à l’exposer au mépris public, est coupable de calomnie, si, dans les cas où la loi admet la preuve légale du fait, cette preuve n’est pas rapportée. Il est coupable de diffamation, si la loi n’admet pas cette preuve.

La personne responsable au sens de l’article 21 de la loi du 8 juin 2004 sur la liberté d’expression dans les médias n’est pas (...) coupable de calomnie ou de diffamation

1) lorsque, dans les cas où la loi admet la preuve légale du fait, cette preuve n’est pas rapportée, mais que la personne responsable au sens de l’article 21 précité, sous réserve d’avoir accompli les diligences nécessaires, prouve par toutes voies de droit qu’elle avait des raisons suffisantes pour conclure à la véracité des faits rapportés ainsi que l’existence d’un intérêt prépondérant du public à connaître l’information litigieuse; »

26. L’article 21 de la loi du 8 juin 2004 sur la liberté d’expression dans les médias est libellé comme suit :

« La responsabilité, civile ou pénale, pour toute faute commise par la voie d’un média incombe au collaborateur, s’il est connu, à défaut à l’éditeur et à défaut au diffuseur. »

27. Le code d’instruction criminelle ne prévoit pas explicitement, lorsqu’une instruction judiciaire est ouverte, de remise volontaire d’objets. La saisie judiciaire constitue le mode ordinaire d’appréhension d’objets requis par l’enquête. Les dispositions relatives aux perquisitions et aux saisies pertinentes du code d’instruction criminelle sont libellées comme suit :

Article 51 §1

« Le juge d’instruction procède, conformément à la loi, à tous les actes d’information qu’il juge utiles à la manifestation de la vérité. Il recueille et vérifie, avec soin égal, les faits et les circonstances à charge ou à décharge de l’inculpé. »

Article 65 §1

« Les perquisitions sont effectuées dans tous les lieux où peuvent se trouver des objets dont la découverte serait utile à la manifestation de la vérité. »

Article 66 §1

« Le juge d’instruction opère la saisie de tous les objets, documents, effets et autres choses visés à l’article 31(3). »

Article 31 §3

« Il saisit les objets, documents et effets qui ont servi à commettre le crime ou qui étaient destinés à le commettre et ceux qui ont formé l’objet du crime, de même que tout ce qui paraît avoir été le produit du crime, ainsi qu’en général, tout ce qui paraît utile à la manifestation de la vérité ou dont l’utilisation serait de nature à nuire à la bonne marche de l’instruction et tout ce qui est susceptible de confiscation ou de restitution. »

EN DROIT

I. SUR LA RECEVABILITE

28. Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Il expose que la requérante aurait dû introduire une action en responsabilité contre l’Etat du fait du fonctionnement défectueux de ses services judiciaires, en vertu de l’article 1er de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité civile de l’Etat et des collectivités publiques (ci-après « la loi de 1988 »). Au soutien de cette exception, le Gouvernement invoque une décision de justice par laquelle une juridiction interne a condamné l’Etat pour la durée excessive d’une procédure juridictionnelle. Le Gouvernement précise que les juridictions nationales n’auraient pas pu opposer l’autorité de la chose jugée à la requérante, car les décisions de la chambre du conseil ne sont pas revêtues de cette autorité. Ensuite, le Gouvernement joint un jugement du tribunal d’arrondissement de Luxembourg du 16 décembre 2005, ainsi qu’un arrêt de la cour d’appel du 10 décembre 2009 le confirmant, retenant la responsabilité de l’Etat luxembourgeois du fait des dommages causés par une perquisition, sur base de l’alinéa 1 de l’article 1er de la loi de 1988. A défaut, il aurait toujours été possible à la requérante d’obtenir la réparation de son dommage sur base de l’alinéa 2 de l’article 1er de la loi de 1988, prévoyant l’indemnisation d’une victime d’un dommage, même d’un fonctionnement non défectueux des services de l’Etat, en cas d’iniquité.

29. La requérante sollicite le rejet de cette exception d’irrecevabilité, au motif que l’effectivité du recours invoqué par le Gouvernement ne serait établie que pour des affaires de dépassement du délai raisonnable. De surcroît l’alinéa 1 de l’article 1er de la loi de 1988 prévoirait une réserve expresse tenant à l’autorité de la chose jugée, de sorte que le juge saisi d’une action en indemnisation sur base de cette loi ne saurait condamner l’Etat pour les torts qu’aurait subi un justiciable à la suite d’une décision de justice (tel, en l’espèce, l’arrêt de la chambre du conseil de la cour d’appel du 27 octobre 2009) revêtue de cette autorité.

30. La Cour rappelle que les dispositions de l’article 35 § 1 de la Convention ne prescrivent que l’épuisement des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (Leandro Da Silva c. Luxembourg, no 30273/07, § 42, 11 février 2010 et Paksas c. Lituanie [GC], no 34932/04, § 75, CEDH 2011 (extraits)).

31. La Cour estime que les exemples fournis par le Gouvernement, où le recours basé sur l’alinéa 1 de l’article 1er de la loi de 1988 a prospéré se distinguent du cas d’espèce. En effet, dans les affaires ayant trait à la durée de procédure, c’est la diligence des juridictions qui est jugée et non la qualité de leur activité juridictionnelle. Quant à l’affaire tranchée finalement par l’arrêt de la cour d’appel en date du 10 décembre 2009, elle concernait non pas le principe de la perquisition, mais son mode d’exécution. La cour d’appel y énonce d’ailleurs que « dans le cadre d’un litige tendant à engager la responsabilité de l’Etat à l’occasion de l’exécution d’une perquisition ordonnée par le juge d’instruction, il n’est pas admissible de faire porter le débat sur la question de la légalité, de l’opportunité et de la nécessité de cet acte d’instruction ». Le Gouvernement n’a ainsi pas prouvé que les juridictions saisies sur base de la loi de 1988 auraient compétence pour apprécier la nécessité d’un acte d’instruction, cette compétence appartenant, selon les éléments fournis, aux seules juridictions d’instruction. Or, quant à ces dernières juridictions, le Gouvernement n’établit pas qu’elles auraient encore pu être saisies. Par ailleurs, le Gouvernement ne fournit pas d’exemple où un justiciable aurait été indemnisé sur base de l’alinéa 2 de l’article 1er de la loi de 1988. Partant, le Gouvernement n’a pas démontré l’existence d’une voie de recours effective non encore épuisée.

32. Dans ces circonstances, il y a lieu de rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement.

33. La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. Elle relève en outre qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

34. La requérante allègue que la perquisition dans les locaux d’un journal qu’elle édite et dont elle est propriétaire portait atteinte à l’inviolabilité de son domicile et était disproportionnée au regard de l’article 8 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect (...) de son domicile (...).

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

35. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse. Il conteste le fait même qu’il puisse y avoir ingérence. En effet, le journaliste travaillant pour la requérante, avait volontairement coopéré à la mesure en cause afin de démontrer qu’il avait accompli les diligences nécessaires au sens de l’article 443 du code pénal. A titre subsidiaire, le Gouvernement soutient que l’ingérence en cause était légalement justifiée, qu’elle poursuivait les buts légitimes de la défense de l’ordre public et des infractions pénales et de la protection des droits et des libertés d’autrui et qu’elle était nécessaire dans une société démocratique. En effet, confrontées à des faits qui étaient a priori constitutifs d’infractions, il appartenait aux autorités judiciaires d’entreprendre les investigations nécessaires à la détermination des circonstances de l’espèce. Le Gouvernement fait valoir que les maisons d’édition ne sauraient se soustraire à l’application des lois pénales et que l’article litigieux avait été publié sous un nom ne figurant pas sur la liste des journalistes officiellement reconnus au Luxembourg, circonstance qui rendait nécessaire des investigations afin de déterminer l’auteur de l’article. De surcroît, l’ingérence était peu intrusive dans la mesure où aucune recherche active de documents ne fut entreprise par les policiers, où l’ensemble des documents saisis fut volontairement remis par le journaliste et où la perquisition et saisie était dans l’intérêt même du journaliste et de la maison d’édition. De plus, le juge d’instruction n’avait fait qu’accomplir son devoir, étant tenu d’instruire à charge et à décharge et vu que la saisie est le seul moyen d’appréhender des objets, même volontairement remis.

36. La requérante soutient au contraire que sa coopération était forcée et qu’une perquisition constitue, par nature, une ingérence dans son droit à l’inviolabilité de son domicile. En l’espèce, la perquisition avait été disproportionnée, car elle devait être motivée par d’autres buts que la découverte de l’auteur de l’article qui était facilement identifiable. Et même si cette identification avait réellement constitué le but de la perquisition, elle était disproportionnée car d’autres moyens étaient à la disposition de la justice pour obtenir cette information, tels que l’envoi d’une lettre au rédacteur en chef lui demandant de confirmer la qualité d’auteur du journaliste.

37. La Cour rappelle en premier lieu que la notion de « domicile » figurant à l’article 8 § 1 ne se limite pas au domicile proprement dit d’un particulier. Le terme « domicile » a une connotation plus large que le mot « home » (figurant dans le texte anglais de l’article 8) et peut englober par exemple le bureau ou le cabinet d’un membre d’une profession libérale. Par conséquent, le terme « domicile » doit s’interpréter comme incluant aussi le bureau officiel d’une société dirigée par un particulier, et le bureau officiel d’une personne morale, y compris les filiales et autres locaux professionnels (Buck c. Allemagne, no 41604/98, § 31, CEDH 2005-I; voir également Société Colas Est et autres c. France, no 37971/97, § 41, CEDH 2002-III et Wieser et Bicos Beteiligungen GmbH c. Autriche, no 74336/01, § 43), tel que c’est le cas de la requérante.

38. Le fait que le journaliste et d’autres collaborateurs de la requérante aient coopéré avec la police ne saurait enlever à la perquisition et à la saisie qui l’a accompagnée sa nature intrusive. La Cour a en effet déjà eu l’occasion de retenir qu’une coopération effectuée sous la menace d’une perquisition ne saurait enlever à un tel acte son caractère ingérant (mutatis mutandis, Sanoma Uitgevers B.V. c. Pays-Bas [GC], no 38224/03, §§ 68 à 70, 14 septembre 2010). En outre, il n’est pas allégué en l’espèce qu’une éventuelle absence de collaboration aurait empêché les policiers d’exécuter le mandat judiciaire qui leur avait été confié. Au contraire, les policiers indiquèrent clairement qu’ils pourraient procéder à la mesure par la contrainte en l’absence de coopération (voir paragraphe 14 ci-dessus).

39. Dès lors, la Cour considère que la perquisition opérée au siège de la requérante et la saisie effectuée s’analysent en une « ingérence » dans l’exercice des droits de la requérante découlant du paragraphe 1 de l’article 8 de la Convention (mutatis mutandis, Roemen et Schmit c. Luxembourg, no 51772/99, § 65, CEDH 2003‑IV).

40. Pareille ingérence enfreint l’article 8, sauf si elle satisfait aux conditions du paragraphe 2, c’est-à-dire si elle est prévue par la loi, qu’elle poursuit l’un des buts énoncés dans ce paragraphe et est nécessaire dans une société démocratique.

41. Au regard des articles 51, 65, 66 et 31 du code d’instruction criminelle, la Cour estime, de concert avec les parties, que l’ingérence était « prévue par la loi ».

42. La Cour juge par ailleurs que l’ingérence, destinée à déterminer la véritable identité d’une personne poursuivie pénalement dans le cadre d’une information judiciaire et la découverte des circonstances de la commission d’une éventuelle infraction poursuivait un « but légitime », à savoir celui de la défense de l’ordre public et de la prévention des infractions pénales. En outre, l’article litigieux mettait en cause un assistant social dont le nom était cité, tout comme celui des mineurs au sujet desquels il relatait des faits relativement graves. De ce point de vue, l’ingérence poursuivait également un autre but légitime, à savoir celui de la protection des droits d’autrui.

43. Quant à la question de la « nécessité » de cette ingérence, la Cour rappelle que « les exceptions que ménage le paragraphe 2 de l’article 8 appellent une interprétation étroite et [que] leur nécessité dans un cas donné doit se trouver établie de manière convaincante » (Crémieux c. France, 25 février 1993, § 38, série A no 256-B).

44. La Cour note qu’en l’espèce le journaliste avait signé son article sous le nom « Domingos Martins ». Or, même si la liste des journalistes officiellement reconnus au Luxembourg ne renseigne pas un tel nom, elle contient cependant le nom de « De Araujo Martins Domingos Alberto », qui contient l’ensemble des éléments du nom sous lequel l’article litigieux était paru. De plus, elle ne contient aucun autre nom contenant ces éléments. Cette liste renseigne encore que le dénommé « De Araujo Martins Domingos Alberto », travaille pour le journal Contacto. La similitude des noms, l’exclusivité des éléments nominaux associés et son lien avec le journal en cause, rendent dès lors le rapprochement entre l’auteur de l’article litigieux et la personne figurant sur la liste évident. A partir de ces éléments, le juge d’instruction aurait pu, dans un premier temps, prendre une mesure moins intrusive qu’une perquisition afin de confirmer l’identité du rédacteur de l’article s’il avait encore jugé nécessaire de le faire. La perquisition et la saisie n’étaient donc pas, à ce stade, nécessaires.

45. Les mesures litigieuses n’étaient donc pas des moyens raisonnablement proportionnés à la poursuite des buts légitimes visés.

46. Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION

47. La requérante dénonce une violation de sa liberté d’expression. En effet, la mesure litigieuse serait critiquable en ce qu’elle consisterait à rechercher les sources du journaliste et qu’elle aurait un effet d’intimidation. Elle invoque l’article 10 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

48. Le Gouvernement conteste cette thèse essentiellement pour les mêmes motifs que ceux qu’il opposa au grief tiré de l’article 8. Il soutient également qu’il n’aurait nullement été question de rechercher les sources du journaliste car celle-ci étaient connues.

49. La Cour rappelle que la protection des sources journalistiques est l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse. L’absence d’une telle protection pourrait dissuader les sources journalistiques d’aider la presse à informer le public sur des questions d’intérêt général. En conséquence, la presse pourrait être moins à même de jouer son rôle indispensable de « chien de garde », et son aptitude à fournir des informations précises et fiables pourrait s’en trouver amoindrie (voir, parmi beaucoup d’autres, Martin et autres c. France, no 30002/08, § 59, 12 avril 2012 ; Roemen et Schmit c. Luxembourg, no 51772/99, § 46, CEDH 2003-IV ; Tillack c. Belgique, no 20477/05, § 53, 27 novembre 2007, Thoma c. Luxembourg, no 38432/97, § 45, CEDH 2001-III, Cumpănă et Mazăre c. Roumanie [GC], no 33348/96, § 93, CEDH 2004‑XI et Sanoma Uitgevers B.V. c. Pays-Bas [GC], précité, § 50).

50. Suivant la conception de la Cour, la « source » journalistique désigne « toute personne qui fournit des informations à un journaliste » ; par ailleurs, la Cour entend le terme « information identifiant une source » comme visant, dans la mesure où elle risque de conduire à identifier une source, tant « les circonstances concrètes de l’obtention d’informations par un journaliste auprès d’une source » que « la partie non publiée de l’information fournie par une source à un journaliste » (Telegraaf Media Nederland Landelijke Media B.V. et autres c. Pays-Bas, no 39315/06, § 86, 22 novembre 2012).

51. La Cour a déjà jugé que des perquisitions qui avaient été menées au domicile et sur les lieux de travail de journalistes aux fins d’identifier les fonctionnaires qui avaient livré aux intéressés des informations confidentielles s’analysaient en des atteintes aux droits résultant pour les journalistes du paragraphe 1 de l’article 10 (Martin et autres c. France, no 30002/08, § 70, 12 avril 2012, Roemen et Schmit, précité, § 47, Ernst et autres c. Belgique, no 33400/96, § 94, 15 juillet 2003, Tillack c. Belgique, no 20477/05, § 56, 27 novembre 2007 et Sanoma Uitgevers B.V. c. Pays-Bas [GC], précité, § 61)

52. Dans l’affaire Roemen et Schmit (précitée, § 47), l’exécution de l’ordonnance de saisie et de perquisition dans les locaux utilisés par les journalistes concernés n’avait pas permis d’obtenir les informations souhaitées. La Cour a aussi estimé (§ 57) que cette ordonnance constituait un acte plus grave qu’une sommation de divulgation de l’identité de la source parce que les enquêteurs qui, munis d’un mandat de perquisition, surprennent un journaliste à son lieu de travail, ont des pouvoirs d’investigation très larges du fait qu’ils ont, par définition, accès à toute la documentation détenue par le journaliste.

53. En l’espèce, le Gouvernement conteste que l’objet de la perquisition et de la saisie litigieuses ait été de découvrir les sources du journaliste.

54. La Cour constate qu’il ne ressort pas du dossier que d’autres sources que celles d’ores et déjà publiées dans l’article aient été relevées. Cependant, au regard de la compréhension qu’a la Cour d’une information susceptible d’identifier une source, et au regard de l’ampleur du pouvoir qu’a donné la perquisition aux autorités perquisitionnant le siège de la requérante, la Cour considère qu’en l’espèce, les policiers étaient, de par l’ordonnance litigieuse, en mesure d’accéder à des informations que le journaliste n’entendait pas publier et susceptibles de renseigner l’identité d’autres sources.

55. Cela suffit à la Cour pour conclure qu’il y a eu en l’espèce « ingérence » dans la liberté de la requérante de recevoir ou de communiquer des informations au sens de l’article 10 § 1 de la Convention.

56. La question se pose dès lors de savoir si pareille ingérence peut se justifier au regard du paragraphe 2 de l’article 10. Il y a donc lieu d’examiner si cette ingérence était « prévue par la loi », visait un « but légitime » au regard de ce paragraphe et était « nécessaire dans une société démocratique ».

57. Au regard de ce qu’elle a retenu pour l’article 8 (paragraphes 41 et 42), la Cour estime que cette ingérence était prévue par la loi et qu’elle poursuivait un but légitime.

58. Quant à la nécessité d’une telle ingérence dans une société démocratique, la Cour rappelle que les limitations apportées à la confidentialité des sources journalistiques appellent, de la part de la Cour, l’examen le plus scrupuleux (voir Roemen et Schmit, précité, § 46).

59. La Cour constate qu’en l’espèce l’ordonnance litigieuse avait pour but de rechercher et de saisir « tous documents et objets sous quelque forme que ce soit et sur quelque support que ce soit en relation avec les infractions reprochées (...) ».

60. La Cour relève la formulation relativement large de cette mission. Le mandat de perquisition octroyait ainsi aux enquêteurs des pouvoirs assez étendus (voir, à titre de comparaison, Roemen et Schmit, précité, § 70). A cet égard, la Cour note que les policiers, qui exécutèrent la perquisition seuls, en l’absence de toute mesure de sauvegarde, avaient le soin d’apprécier la nécessité de saisir tel ou tel élément.

61. Même si la Cour ne peut, sur la base des éléments fournis par les parties, déterminer si l’objet de cette perquisition était de découvrir les sources du journaliste, force est de constater que la formulation large de l’ordonnance ne lui permet pas d’exclure cette possibilité. A cet égard, la Cour ne saurait se satisfaire de l’explication du Gouvernement, selon laquelle les sources figuraient déjà dans l’article litigieux. En effet, ce n’est pas parce que certaines sources avaient été publiées que d’autres sources potentielles ne pouvaient être découvertes lors de la perquisition. La Cour estime que la perquisition et la saisie litigieuses étaient disproportionnées dans la mesure où elles permettaient aux policiers de rechercher les sources du journaliste. La Cour relève à cet égard que l’introduction d’une clé USB dans un ordinateur est un procédé qui peut être de nature à extraire des données se trouvant dans la mémoire du support informatique, permettant ainsi aux autorités de recueillir des informations sans lien avec les faits poursuivis. L’ordonnance du 30 mars 2009 n’était pas assez restreinte pour éviter un éventuel abus. Puisque - comme le Gouvernement l’affirme devant la Cour - l’unique objet de la perquisition était de découvrir la véritable identité du journaliste ayant rédigé l’article, un libellé plus étroit, ne reprenant que cet objet, aurait été suffisant.

62. Compte tenu de ce qui précède, la Cour juge que la perquisition et saisie effectuée au siège de la requérante était, dans les circonstances de l’espèce, disproportionnée par rapport au but visé.

63. Partant, il y a eu violation de l’article 10 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

64. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

65. La requérante n’a présenté aucune demande de satisfaction équitable. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.

A. Frais et dépens

66. La requérante demande en revanche 8 210 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 5 635 EUR pour ceux engagés devant la Cour.

67. Le Gouvernement se rapporte à la sagesse de la Cour quant à ces demandes.

68. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, quant au montant réclamé pour la procédure interne, la Cour relève que les notes d’honoraires produites comprennent d’autres frais que ceux relatifs à la demande d’annulation de l’ordonnance litigieuse. Certes, la requérante n’en demande que partiellement le remboursement, mais elle ne fournit pas de justification du montant réclamé. Dès lors la Cour décide de ne rien allouer à la requérante pour ce volet de sa demande. Quant aux frais ayant trait à la procédure devant la Cour, basées sur une note d’honoraire distincte, la Cour estime qu’il y a lieu de les imputer intégralement à l’Etat défendeur. Dès lors, compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 5 635 EUR pour la procédure devant la Cour et l’accorde à la requérante.

B. Intérêts moratoires

69. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Déclare, à la majorité, la requête recevable quant au grief tiré de l’article 8 ;

2. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable quant au grief tiré de l’article 10 ;

3. Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

4. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;

5. Dit, à l’unanimité,

a) que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 5 635 EUR (cinq mille six cent trente-cinq euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 18 avril 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia WesterdiekMark Villiger
GreffièrePrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

– opinion concordante du juge Lemmens ;

– opinion en partie dissidente de la juge Jäderblom.

M.V.
C.W.

OPINION CONCORDANTE DU JUGE LEMMENS

1. Je souscris à la conclusion de l’arrêt, mais j’aurais préféré, concernant l’examen de la violation de l’article 8 de la Convention, que la motivation fût un peu plus nuancée.

2. Au paragraphe 43, l’arrêt rappelle que les exceptions que ménage le paragraphe 2 de l’article 8 appellent une interprétation étroite et que leur nécessité doit se trouver établie de manière convaincante.

A mon avis, ce rappel devrait être placé dans un contexte un peu plus général. Il s’agit en l’espèce d’une affaire qui concerne le droit au respect du « domicile » d’une personne morale. Sans aller aussi loin que le juge Jäderblom dans son opinion dissidente, je suis d’avis que dans un tel cas les possibilités d’ingérence sont a priori plus grandes que lorsqu’il s’agit d’une personne physique (Niemietz c. Allemagne, 16 décembre 1992, § 31, série A no 251-B ; Société Colas Est et autres c. France, no 37971/97, § 49, CEDH 2002-III). Ce n’est qu’en tenant dûment compte de cet aspect de l’affaire que l’on peut, à mon sens, conclure que les exceptions de l’article 8 § 2 appellent une interprétation étroite et que leur nécessité doit se trouver établie de manière convaincante.

3. Selon le paragraphe 44 de l’arrêt, le juge d’instruction « aurait pu » prendre une mesure moins intrusive. Je ne suis pas convaincu qu’il appartienne à la Cour de tirer une conclusion aussi nette. J’aurais préféré une formulation moins affirmative. La Cour aurait pu par exemple « se demander » si le juge d’instruction n’avait pas eu la possibilité, dans un premier temps, de prendre des mesures moins intrusives, et constater que le Gouvernement n’avait en tout cas pas essayé de démontrer qu’en l’absence de la perquisition et de la saisie litigieuses le juge d’instruction n’aurait pas été en mesure de rechercher l’identité du rédacteur de l’article (comparer avec Ernst et autres c. Belgique, no 33400/96, § 102, 15 juillet 2003 ; Martin et autres c. France, no 30002/08, § 86, 12 avril 2012).

Cela ne change pas la conclusion. En effet, même si l’on devait considérer que les motifs invoqués par le Gouvernement pour justifier l’ingérence étaient pertinents, ils n’étaient en tout cas pas suffisants pour justifier la perquisition et la saisie en cause, du moins pas à ce stade (Roemen et Schmit c. Luxembourg, no 51772/99, § 59, CEDH 2003-IV; Ernst et autres c. Belgique, précité, § 104 ; Martin et autres c. France, précité, § 88). Dès lors, l’ingérence n’était pas nécessaire au sens de l’article 8 § 2.

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DE LA JUGE JÄDERBLOM

(Traduction)

1. Tout en souscrivant au constat de violation de l’article 10 en l’espèce, j’ai un point de vue divergent de celui de la majorité en ce qui concerne la violation alléguée de l’article 8.

2. Les intérêts susceptibles de relever de la protection accordée par l’article 8 au droit au respect de la vie privée ont été élargis par la jurisprudence de la Cour, notamment en ce qui concerne les victimes potentielles d’une violation. Alors qu’à l’origine elle semblait ne protéger que les personnes physiques, la jurisprudence de la Cour reconnaît à présent aux personnes morales un droit de protection de leur « domicile » et de leur « correspondance ».

Cette évolution a commencé avec des requêtes introduites par des personnes physiques et concernant des ingérences survenues sur leur lieu de travail ou en rapport d’une façon ou d’une autre avec leur vie professionnelle (voir, notamment, Buck c. Allemagne, no 41604/98 ; Niemietz c. Allemagne, 16 décembre 1992, série A no 251‑B). La Cour a étoffé son interprétation de la notion de « domicile » pour y inclure des activités ou locaux professionnels ou commerciaux (Niemietz, §§ 30-31). Dans ces affaires, les titulaires des droits résultant de l’article 8 demeuraient des personnes physiques. Cependant, dans l’affaire Société Colas Est et autres c. France (no 37971/97, CEDH 2002-III), la Cour, renvoyant à la nature de la Convention en tant qu’« instrument vivant à interpréter à la lumière des conditions de vie actuelles » et soulignant qu’elle avait déjà, au titre de l’article 41, reconnu le droit à réparation du préjudice moral subi par une société sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, a considéré qu’il était temps « de reconnaître, dans certaines circonstances, que les droits garantis sous l’angle de l’article 8 de la Convention peuvent être interprétés comme incluant pour une société le droit au respect de son siège social, son agence ou ses locaux professionnels » (§ 41). La Cour est parvenue à cette conclusion après avoir cité notamment la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes. Celle-ci avait conclu dans l’affaire Hoechst c. Commission (arrêt du 21 septembre 1989 dans les affaires jointes 46/87 et 227/88) que, indépendamment du fait que l’article 8 n’était pas applicable, l’exigence de protéger la sphère d’activité privée de toute personne, qu’elle soit physique ou morale, devait être reconnue comme un principe général du droit communautaire.

Dans la même ligne de jurisprudence, la Cour a déclaré que le droit d’ingérence des Etats, dans la mesure autorisée par le paragraphe 2 de l’article 8, pourrait fort bien aller plus loin pour des locaux ou activités professionnels ou commerciaux que dans d’autres cas (Niemietz, § 31, et, mutatis mutandis, Société Colas Est, § 49).

3. En l’espèce, l’ordonnance de perquisition était formulée de manière générale, en ce qu’elle englobait toutes sortes d’éléments concernant certaines infractions présumées. Toutefois, l’enquête visait en fait à l’identification d’un journaliste suspect et à la sauvegarde d’éléments de preuve contre lui relativement à l’enquête sur certaines infractions spécifiques. La perquisition a eu lieu en présence du journaliste en cause, qui a coopéré avec les policiers pendant toute la durée de l’opération. Il n’apparaît pas que l’enquête et la perquisition aient été dirigées contre la société requérante en tant que telle, ni contre le rédacteur-en-chef du journal.

La Cour est d’avis que le droit d’ingérence pourrait aller plus loin en ce qui concerne des activités et locaux commerciaux/ professionnels. Les circonstances dans lesquelles elle a trouvé une violation à cet égard (dans l’affaire Société Colas Est, qui portait sur des saisies très importantes par des inspecteurs d’Etat de plusieurs milliers de documents au siège et dans diverses succursales de la société requérante, en l’absence d’autorisation préalable par une autorité judiciaire) me conduit à conclure que la perturbation en l’espèce du « domicile » de la société requérante, qui a consisté à pénétrer dans les locaux de la requérante et à interroger le journaliste en question, ne saurait passer pour revêtir une importance telle qu’elle équivaudrait à une ingérence dans son droit au respect de la « vie privée ». Quant à la collecte des papiers du journaliste et à la mesure, en soi remarquable, consistant à introduire une clé USB dans son ordinateur, ces mesures étaient également dirigées contre le journaliste en tant que suspect, et il n’a pas été allégué par la société requérante qu’elle en était directement affectée d’une autre manière. A mon avis, ces mesures ne revêtaient pas non plus un caractère méritant la qualification d’ingérence dans le droit de la société requérante au respect de la vie privée.

Pour les raisons qui précèdent, j’estime que le grief tiré de l’article 8 est manifestement mal fondé, et que cette partie de la requête aurait dû être déclarée irrecevable.


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