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16/04/2013 | CEDH | N°001-118570

CEDH | CEDH, AFFAIRE BUCUREŞTEANU c. ROUMANIE, 2013, 001-118570


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE BUCUREŞTEANU c. ROUMANIE

(Requête no 20558/04)

ARRÊT

STRASBOURG

16 avril 2013

DÉFINITIF

16/07/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Bucureşteanu c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,
Nona Tso

tsoria,
Kristina Pardalos,
Valeriu Griţco, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 mar...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE BUCUREŞTEANU c. ROUMANIE

(Requête no 20558/04)

ARRÊT

STRASBOURG

16 avril 2013

DÉFINITIF

16/07/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Bucureşteanu c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,
Nona Tsotsoria,
Kristina Pardalos,
Valeriu Griţco, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 mars 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 20558/04) dirigée contre la Roumanie et dont deux ressortissants de cet État, MM. Florea et Florin Bucureşteanu, (« les requérants »), ont saisi la Cour le 17 mars 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants ont été représentés par Me V. Ştefănescu, avocat à Târgovişte. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agentes, Mmes I. Cambrea et C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant Florin Bucureşteanu se plaint de l’absence d’une enquête prompte et efficace au sujet de son agression subie le 12 août 2000. Le requérant Florea Bucureşteanu se plaint de la durée de sa détention provisoire et du défaut de justification du maintien de cette mesure par les tribunaux internes.

4. Le 7 février 2012, la requête a été déclarée partiellement irrecevable et les griefs susmentionnés ont été communiqués au Gouvernement sur le terrain des articles 3 et 5 § 3 de la Convention. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

5. A la suite du déport de M. Corneliu Bîrsan, juge élu au titre de la Roumanie (article 28 du Règlement de la Cour), le président de la chambre a désigné Mme Kristina Pardalos pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 26 § 4 de la Convention et 29 § 1 du règlement).

EN FAIT

LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Les requérants, MM. Florea et Florin Bucureşteanu, sont nés respectivement en 1953 et 1976 et résident à Târgovişte. Le deuxième requérant est le fils du premier requérant.

A. L’agression de Florin Bucureşteanu et la procédure pénale engagée

7. Le 12 août 2000, le requérant fut agressé par plusieurs personnes. Il fut admis à l’hôpital des urgences de Bucarest, avec le diagnostic suivant : traumatisme crânio-cérébral, fracture des os de l’avant-bras droit, fracture des côtes et plaie au niveau des sourcils. Il quitta l’hôpital le 22 août 2000.

8. Par un certificat du 30 octobre 2000, le laboratoire médico-légal de Dâmboviţa conclut que le requérant avait eu besoin de 80 à 85 jours de soins médicaux.

9. Le 29 août 2000, le requérant porta plainte devant le parquet contre huit personnes du chef d’atteinte grave à l’intégrité corporelle, délit prévu par l’article 182 du code pénal (ci-après « CP »). Il réitéra sa plainte le 30 août 2000 devant la police.

10. Le parquet entendit le requérant, ses parents, douze témoins, ainsi que sept des huit personnes indiquées par le requérant comme étant les agresseurs. Ces derniers nièrent avoir agressé le requérant.

11. Par une décision du 9 août 2001, le parquet près le tribunal de première instance de Târgovişte ordonna l’ouverture de poursuites contre quatre des personnes citées par le requérant et rendit un non-lieu pour les quatre autres. Néanmoins, le 30 novembre 2001, compte tenu des dépositions contradictoires des personnes entendues, le parquet décida la clôture des poursuites au motif que l’agression n’avait pas été commise par les personnes indiquées par le requérant. L’affaire fut renvoyée devant la police judiciaire pour la poursuite de l’instruction aux fins de l’identification des agresseurs.

12. Le 28 février 2002, le requérant fit une offre de preuve par témoins, à savoir sa compagne et son oncle. Ceux-ci furent entendus par la police. Ils déclarèrent avoir assisté à l’agression du requérant et identifièrent plusieurs personnes qui avaient porté des coups à celui-ci.

13. Le 12 juillet 2002, la police ouvrit des poursuites pénales in rem au sujet de l’agression du requérant.

14. Faute de renseignements de la part des autorités sur le déroulement de l’enquête, le requérant et ses parents envoyèrent plusieurs lettres au parquet près la Haute Cour de cassation et de justice et à la direction générale de la police nationale afin de demander des informations supplémentaires quant au stade de l’enquête et de dénoncer la longueur de la procédure. Par une lettre du 16 octobre 2003, la direction générale de la police nationale les informa que l’enquête était en cours devant la police judiciaire de Târgovişte.

15. Par un procès-verbal du 6 août 2004, les autorités d’enquête décidèrent la réouverture des poursuites à l’encontre de quatre des agresseurs présumés.

16. En octobre 2004, la police judiciaire communiqua l’affaire au parquet avec une proposition de renvoi en jugement de quatre personnes qui avaient été reconnues par deux témoins, autres que la compagne et l’oncle du requérant, comme étant les agresseurs de ce dernier.

17. Cependant, le 16 décembre 2004, le parquet décida à nouveau la clôture des poursuites à l’égard desdites personnes et le renvoi de l’affaire devant la police judiciaire pour la poursuite de l’instruction. Le parquet constata que la thèse de l’agression du requérant par les personnes qu’il avait indiquées comme étant ses agresseurs n’était confirmée que par un témoin, V.D., qui avait déjà été entendu les 20 avril et 16 septembre 2004. Le parquet décida toutefois d’écarter cette déposition au motif que le même témoin avait donné une version des faits différente lors de sa première audition, le 7 mai 2001. Le parquet mentionna également que la famille du requérant et celle des agresseurs présumés étaient connues dans la ville comme appartenant à des « groupes de délinquants».

18. L’affaire fut réinscrite au rôle de la police judiciaire de Târgovişte.

19. Le 15 mars 2006, la police judiciaire de Târgovişte demanda à la direction départementale de Prahova de soumettre un agresseur présumé au test du polygraphe. Il ne ressort pas des pièces du dossier si le test a effectivement été réalisé.

20. Le 21 août 2006, trois des agresseurs présumés furent cités à comparaître devant la police pour être interrogés. Ceux-ci refusèrent de faire des déclarations écrites et mentionnèrent qu’ils maintenaient leurs déclarations antérieures.

21. Le requérant et sa mère demandèrent à plusieurs reprises au cours des années 2004 – 2007 des renseignements sur l’affaire auprès de la police judiciaire de Târgovişte, du parquet national anti-corruption, du parquet près la Haute Cour de cassation et de justice, de la direction d’investigation du crime organisé et du terrorisme, du ministère de la justice et du président de la République. A chaque reprise, les autorités leur répondirent que l’enquête était en cours. Dans une lettre du 22 juin 2006, la police judiciaire de Târgovişte les informa que l’enquête continuait étant donné que le parquet avait estimé que les pièces du dossier ne permettaient pas de conclure que les agresseurs présumés avaient commis les faits. Dans une lettre du 17 septembre 2007, la police ajouta que, malgré la poursuite de l’enquête, le dossier avait été enregistré dans la catégorie des affaires avec « auteur inconnu » eu égard aux décisions du parquet des 30 novembre 2001 et 16 décembre 2004 de clore les poursuites contre quatre des personnes qu’il avait indiquées dans sa plainte pénale comme étant les agresseurs.

22. Le requérant affirme que pendant cette période les autorités ont refusé de lui fournir des photocopies des pièces du dossier.

23. Les décisions du parquet du 30 novembre 2001 et du 16 décembre 2004 (paragraphes 11 et 17 ci-dessus), ne furent pas notifiées au requérant. Il prit connaissance de leur contenu par l’intermédiaire de son avocat, le 13 septembre 2010.

24. Par une décision du 27 décembre 2010, le parquet classa l’affaire pour cause de prescription de la responsabilité pénale en vertu de l’article 122 § 1 c) du CP. Cette décision fut notifiée au requérant.

25. Le Gouvernement produit devant la Cour une lettre de la direction départementale de police de Dâmboviţa du 18 mai 2012 attestant que toutes les pétitions et réclamations reçues pendant la période novembre 2001 – mars 2004 ont été détruites conformément aux dispositions légales concernant l’archivage des documents de la police. Il produit également deux lettres du parquet près le tribunal de première instance de Târgovişte des 15 et 18 mai 2012 attestant qu’aucune demande écrite de la part du requérant n’a été enregistrée pour la période novembre 2001 – mars 2004 et que ses décisions des 30 novembre 2001 et 16 décembre 2004 ont été communiquées à la demande de l’avocat du requérant, le 12 juillet 2011.

B. La détention provisoire de Florea Bucureşteanu

26. Le 17 juillet 2006, le domicile du requérant fut attaqué par les membres d’une « bande » qui auraient proféré des menaces et auraient tiré des coups de feu. En conséquence, la famille du requérant demanda l’aide de la police.

27. Dans la nuit du 17 au 18 juillet 2006, une fusillade eut lieu dans les rues à proximité du domicile du requérant. Par une décision du procureur, à 5 h du matin le 18 juillet 2006, le requérant Florea Bucureşteanu fut placé en garde à vue. Par une décision du même jour, le parquet ouvrit des poursuites pénales et mit le requérant en examen du chef de tentative de meurtre (article 174-175 du CP) et de détention illégale d’armes (article 279 du CP).

28. Le même jour, par une décision du tribunal départemental de Dâmboviţa, le requérant fut placé en détention provisoire pour une période de 29 jours, du 19 juillet au 16 août 2006. Il était accusé d’avoir tiré un coup de feu, avec un pistolet qu’il détenait illégalement, dans la direction d’une voiture dans laquelle se trouvaient quatre personnes, la balle ayant touché la fesse droite d’une d’entre-elles. Le tribunal jugea qu’il y avait des raisons plausibles de croire que le requérant avait commis les infractions de tentative de meurtre et de détention illégale d’armes. Le tribunal constata que trois témoins avaient déclaré avoir vu le requérant tirant avec un pistolet dans la direction d’une voiture. En outre, lors de la perquisition réalisée au domicile du requérant, la police avait trouvé plusieurs munitions. Le tribunal se référa également aux documents médicaux produits au dossier, au rapport d’expertise technique concernant la voiture impliquée dans l’incident et aux rapports de recherche sur les lieux.

Le tribunal jugea également que la détention provisoire du requérant était justifiée, au sens de l’article 148 § 1 h) du code de procédure pénale, par des raisons d’ordre public, eu égard aux circonstances de faits, aux effets produits ou qui auraient pu se produire, au comportement extrêmement agressif du requérant, à son attitude non sincère et au fait qu’il avait attenté à la vie d’autrui. Le requérant, qui était assisté par deux avocats choisis, fut entendu par le tribunal.

29. Par une décision du 21 juillet 2006, sur contestation du requérant, la cour d’appel de Ploieşti confirma la décision du tribunal départemental de Dâmboviţa du 18 juillet 2006.

30. Le 21 août 2006, le parquet étendit les poursuites pénales contre le requérant du chef d’usage illégal d’arme létale (article 136 de la loi no 295/2004 sur le régime des armes et des munitions).

31. La détention provisoire fut prolongée par le tribunal départemental de Dâmboviţa consécutivement les 11 août, 11 septembre, 3 octobre, 3 novembre, 4 décembre 2006, 8 janvier, 5 février, 6 mars, 3 avril, et 1er juin 2007, au motif que les raisons de placement en détention initiale persistaient. Lors des audiences des 15 septembre et 3 octobre 2006, et de celle du 1er juin 2007, le tribunal écarta les demandes du requérant tendant au remplacement de la détention provisoire par l’interdiction de quitter la ville ou le pays.

32. Le requérant forma des recours contre les décisions des 11 septembre, 3 octobre et 4 décembre 2006, ainsi que contre celles des 8 janvier et 1er juin 2007. Les recours du requérant furent rejetés par la cour d’appel de Ploieşti qui constata que le requérant était récidiviste (ayant déjà été condamné pour vol), qu’il y avait des risques qu’il essaie d’entraver la recherche de la vérité en influençant certains témoins, compte tenu notamment du conflit entre la famille du requérant et le groupe dont faisait partie la victime. Elle releva également la nécessité de rechercher des preuves et d’entendre des témoins. Elle souligna enfin que la remise en liberté du requérant représentait un danger pour l’ordre public étant donné le sentiment d’insécurité qu’elle aurait provoqué dans le public, vu la gravité des infractions pour lesquelles il était inculpé et le fait que le requérant était suspecté d’avoir utilisé en public une arme à feu contre plusieurs personnes.

33. Le requérant fut assisté par deux avocats choisis devant le tribunal départemental de Dâmboviţa et devant la cour d’appel de Ploieşti.

34. Sur réquisitoire du 31 août 2006, le requérant fut renvoyé en jugement devant le tribunal départemental de Dâmboviţa, du chef de tentative de meurtre et d’infractions au régime des armes et des munitions.

35. Le tribunal reporta trois audiences sur demande de la victime en vue de son assistance par l’avocat de son choix, et sur demande du requérant ou de la victime en vue d’obtenir des renseignements sur la demande de dépaysement formée par la victime. Après plusieurs reports d’audience, dus au refus de plusieurs témoins de comparaître en vue de leur audition, le tribunal délivra des mandats de comparution et condamna l’un des témoins à une amende. Par un jugement du 13 juillet 2007, le tribunal départemental de Dâmboviţa condamna le requérant à sept ans et demi de prison ferme pour les délits pour lesquels il avait été renvoyé en jugement.

36. Par un arrêt de la cour d’appel de Ploieşti du 12 novembre 2007, la peine du requérant fut réduite à trois ans et demi d’emprisonnement. Cet arrêt fut confirmé en dernier ressort par la Haute Cour de cassation et de justice le 11 mars 2008.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

37. Le requérant Florin Bucureşteanu se plaint de l’absence d’une enquête prompte et efficace au sujet de son agression subie le 12 août 2000. Il invoque les droits garantis par les articles 2, 5 et 6 de la Convention. La Cour rappelle que, dans sa décision partielle du 7 février 2012, elle a estimé qu’il convenait d’analyser le présent grief sur le terrain de l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

38. Le Gouvernement excipe du non-respect du délai de six mois et du non-épuisement des voies de recours internes par le requérant.

1. L’exception tirée du non-respect du délai de six mois

39. Le Gouvernement estime que le requérant a omis de s’informer auprès du parquet ou de la police judiciaire du stade de l’enquête ouverte suite à sa plainte pénale, malgré le fait qu’il était assisté par un avocat choisi. Ses lettres envoyées à plusieurs autorités publiques (paragraphe 21 ci-dessus) ne sauraient être interprétées comme des preuves de son intérêt pour l’enquête. Le Gouvernement fait valoir également que le requérant a commencé à s’intéresser de l’issue de cette enquête uniquement après la décision du 16 décembre 2004, par laquelle le parquet a renvoyé l’affaire devant la police judiciaire, et suite aux demandes de renseignements de la Cour dans le cadre de la présente requête. En cela, le Gouvernement estime que la situation dans la présente requête s’apparente à celle des requêtes Andriţă c. Roumanie ((déc.), no 67708/01, 27 janvier 2009), Finozhenok c. Russie ((déc.), no 3025/06, 31 mai 2011), et Nasirkhayeva c. Russie ((déc.), no 1721/07, 31 mai 2011).

40. Le requérant souligne qu’il a fait toutes les démarches nécessaires afin de se renseigner sur l’issue de l’enquête pénale ouverte suite à sa plainte, mais que celles-ci sont restées infructueuses.

41. La Cour rappelle que la règle des six mois a pour finalité de servir la sécurité juridique et de veiller à ce que les affaires soulevant des questions au regard de la Convention soient examinées dans un délai raisonnable, tout en évitant aux autorités et autres personnes concernées d’être pendant longtemps dans l’incertitude (P.M. c. Royaume-Uni (déc.), no 6638/03, 24 août 2004 et Bulut et Yavuz c. Turquie (déc.), no 73065/01, 28 mai 2002). En outre, cette règle fournit au requérant potentiel un délai de réflexion suffisant pour lui permettre d’apprécier l’opportunité d’introduire une requête et, le cas échéant, de déterminer les griefs et arguments précis à présenter (O’Loughlin et autres c. Royaume-Uni (déc.), no 23274/04, 25 août 2005), indiquant aux particuliers comme aux autorités la période au-delà de laquelle le contrôle de la Cour ne s’exerce plus (Tahsin Ipek c. Turquie (déc.), no 39706/98, 7 novembre 2000). Seuls les recours normaux et effectifs peuvent être pris en compte car un requérant ne peut pas repousser le délai strict imposé par la Convention en essayant d’adresser des requêtes inopportunes à des instances ou institutions qui n’ont pas le pouvoir ou la compétence nécessaires pour accorder sur le fondement de la Convention une réparation effective concernant le grief en question (Fernie c. Royaume-Uni (déc.), no 14881/04, 5 janvier 2006).

42. En l’espèce, la Cour entend souligner d’emblée que, à la différence des requêtes Andriţă, Finozhenok et Nasirkhayeva citées par le Gouvernement, dans la présente requête, l’enquête n’était pas finalisée au moment où la Cour a été saisie (voir aussi, a contrario, Nicorici c. Roumanie (déc.), no 648/05, § 31, 4 octobre 2011). Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier, que le 28 février 2002, le requérant a fait une offre de preuve par témoins dans la procédure et que, par une lettre du 16 octobre 2003, soit moins de six mois avant l’introduction de la présente requête, la direction générale de la police nationale a informé les parents du requérant que l’enquête était en cours devant la police judiciaire de Târgovişte (paragraphe 14 ci-dessus). Dans ces conditions, la Cour estime qu’il ne saurait être reproché au requérant d’avoir fait preuve de négligence et qu’il a dès lors respecté le délai de six mois dans la présente requête. Elle rejette en conséquence l’exception préliminaire du Gouvernement soulevée à cet égard.

2. L’exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes

43. Le Gouvernement estime que le requérant aurait pu former un recours devant les tribunaux contre les décisions du parquet près le tribunal de première instance de Târgovişte des 30 novembre 2001 et 16 décembre 2004, conformément à l’article 2781 du code de procédure pénale. D’après le Gouvernement, ce recours était adéquat, efficace, suffisant et accessible et le requérant avait connaissance de l’existence des décisions susmentionnées.

44. Le requérant conteste la thèse du Gouvernement.

45. La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée à l’article 35 § 1 de la Convention vise à donner aux États contractants la possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne avant d’avoir à répondre de leurs actes devant un organisme international (Egmez c. Chypre, no 30873/96, § 64, CEDH 2000-XII). A cet égard, un requérant doit avoir fait un usage normal des recours internes vraisemblablement efficaces et suffisants. Lorsqu’une voie de recours a été utilisée, l’usage d’une voie dont le but est pratiquement le même n’est pas exigé (Günes c. Turquie (déc.), no 28490/95, 9 octobre 2001).

46. La Cour observe qu’en l’espèce, au vu des copies du dossier d’enquête fournies par les parties, il n’y a aucune preuve de la communication au requérant, conformément aux dispositions du code de procédure pénale, des décisions du parquet près le tribunal de première instance de Târgovişte des 30 ovembre 2001 et 16 décembre 2004. Elle note que, si la police a informé le requérant que des décisions avaient été adoptées par le parquet, elle ne l’a fait que plusieurs années après leur adoption, suite aux demandes répétées du requérant. Par ailleurs, ces lettres étaient très sommaires, ne comportant que quelques lignes, et précisaient que les décisions concernaient uniquement une partie des agresseurs présumés et que l’enquête était en cours (paragraphe 21 ci-dessus). Dans ces conditions, la Cour ne saurait, reprocher au requérant de ne pas avoir formé de recours contre les décisions du parquet des 30 nvembre 2001 et 16 décembre 004. Partant l’exception préliminaire du Gouvernement doit être rejetée.

47. La Cour constate en outre que le grief du requérant n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

48. Le Gouvernement considère que les autorités internes ont mené une enquête effective et ne sont pas restées inactives face aux allégations du requérant. En se référant aux faits pertinents, il note que le requérant et des témoins ont été entendus et que le certificat médico-légal ainsi que les autres documents médicaux produits ont été pris en compte. Toutefois, les pièces du dossier n’ont pas permis aux autorités de conclure que les personnes indiquées par le requérant dans sa plainte étaient les auteurs de l’agression.

49. Le Gouvernement estime que l’attitude passive du requérant a nui à l’efficacité de l’enquête, puisqu’il n’a pas fait de démarches afin de s’intéresser de l’issue de la procédure et qu’il n’a manifesté aucun intérêt pour le déroulement de l’enquête. Il n’a pas non plus demandé au procureur à être informé des décisions rendues.

50. De son côté, le requérant affirme que les autorités n’ont pas mené d’enquête prompte et efficace au sujet de son agression. Il souligne que la procédure a été excessivement longue et qu’au terme de dix ans, il s’est vu opposer la prescription de l’action publique. En tout état de cause, d’après lui, le déroulement de l’enquête n’a pas fait apparaître que le but des autorités était la recherche de la vérité.

51. La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention impose aux autorités nationales le devoir de mener une enquête officielle effective lorsqu’une personne allègue, de manière « défendable », avoir été victime d’actes contraires à l’article 3 et commis dans des circonstances suspectes, quelle que soit la qualité des personnes mises en cause (M.C. c. Bulgarie, no 39272/98, §§ 151 et 153, CEDH 2003-XII). Cette enquête doit pouvoir mener non seulement à l’identification mais aussi à la punition des responsables (Macovei et autres c. Roumanie, no 5048/02, § 46, 21 juin 2007). Une exigence de célérité et de diligence raisonnable est implicite dans l’obligation d’enquêter, même si l’enquête vise des faits commis par des civils (Ebcin c. Turquie, no 19506/05, § 56, 1er février 2011).

52. En l’espèce, la Cour estime que le caractère défendable des allégations du requérant concernant l’atteinte à son intégrité corporelle résultait de la réalité non contestée des lésions mentionnées dans le certificat médical du 8 juillet 1998 (paragraphes 7 et 8 ci-dessus). Au vu du caractère autonome des termes contenus dans l’article 3 de la Convention, la Cour juge ce constat suffisant pour faire entrer l’agression dont le requérant a été victime dans la sphère de protection de cet article (voir, mutatis mutandis, Macovei et autres précité, § 50).

53. La Cour note qu’une enquête a bien eu lieu dans la présente affaire. Il reste à apprécier la diligence avec laquelle elle a été menée et son caractère « effectif ».

54. La procédure diligentée contre les agresseurs présumés du requérant d’atteinte grave à l’intégrité corporelle a débuté le 29 août 2000 avec la plainte du requérant. Elle s’est achevée le 27 décembre 2010, date à laquelle le parquet près le tribunal de première instance de Târgovişte a établi que l’action publique se trouvait prescrite. L’enquête s’est ainsi déroulée pendant plus de dix ans. La Cour estime que, quelle que soit sa complexité, une telle durée entache inévitablement son efficacité. Le fait que les investigations ont été clôturées en raison de la prescription l’atteste (Şerban c. Roumanie, no 11014/05, § 84, 10 janvier 2012).

55. A cet égard, la Cour note qu’il ressort des pièces du dossier que, malgré les dépositions contradictoires des personnes entendues (paragraphes 11 et 17 ci-dessus), les autorités n’ont aucunement recherché à éclaircir les circonstances de fait de l’affaire, en procédant par exemple à des confrontations. Pour ce qui est de la décision du parquet du 16 décembre 2004, la Cour relève que sa motivation se fonde, outre l’absence de preuve confirmant l’implication des quatre agresseurs présumés dans l’agression, sur l’appréciation personnelle du procureur chargé de l’enquête, quant au contexte de l’agression. Il souligne ainsi que la famille du requérant et celle des agresseurs présumés étaient connues dans la ville comme appartenant à des « groupes de délinquants » (paragraphe 17 ci-dessus). Or, une telle affirmation ne peut que confirmer un certain désintérêt des autorités quant aux allégations du requérant (voir, mutatis mutandis, Ghiga Chiujdea c. Roumanie, no 4390/03, § 43, 5 octobre 2010). En tout état de cause, la Cour observe que, après cette décision du parquet, aucune mesure réelle d’instruction n’a été prise par la police judiciaire de Târgovişte qui s’est bornée à inscrire l’affaire dans la catégorie des affaires avec « auteur inconnu » (paragraphe 21 in fine
ci-dessus, et, mutatis mutandis, Predică c. Roumanie, no 42344/07, § 69, 7 juin 2011).

56. Dans ces circonstances, la Cour estime que les autorités n’ont pas mené d’enquête diligente et effective au sujet de l’allégation du requérant.

57. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention, dans son volet procédural, à l’égard du requérant Florin Bucureşteanu.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION

58. Le requérant Florea Bucureşteanu se plaint de la durée de sa détention provisoire et du défaut de justification du maintien de cette mesure par les tribunaux internes. Il invoque les articles 5, 6 et 7 de la Convention. La Cour rappelle que, dans sa décision partielle du 7 février 2012, elle a estimé qu’il convenait d’analyser le présent grief sur le terrain de l’article 5 § 3 de la Convention, ainsi libellé dans sa partie pertinente :

« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. ».

A. Arguments des parties

59. Se référant à la jurisprudence de la Cour en la matière, le Gouvernement expose que la détention provisoire du requérant a commencé le 18 juillet 2006 et qu’elle a pris fin lors de sa condamnation en première instance, le 13 juillet 2007. Toutefois, il estime que, au vu des arrêts rendus par la Cour dans les affaires Degeratu c. Roumanie (no 35104/02, § 39, 6 juillet 2010), Begu c. Roumanie (no 20448/02, § 98, 15 mars 2011), Konolos c. Roumanie (no 26600/02, § 34, 7 février 2008), et Bujac c. Roumanie (no 37217/03, §§ 70-73, 2 novembre 2010), la période de détention de six mois consécutive aux décisions des 11 août et 3 novembre 2006 et des 5 février, 6 mars et 3 avril 2007 du tribunal départemental de Dâmboviţa, contre lesquelles le requérant n’a pas formé de pourvoi en recours, ne doit pas être prise en compte pour le calcul de la durée de détention provisoire du requérant. En conséquence, la période de détention provisoire à prendre en considération est d’environ six mois.

60. Le Gouvernement soutient que les juridictions nationales ont justifié régulièrement la nécessité de prolonger la mesure de détention provisoire, avec des motifs pertinents et suffisants, amplement détaillés et non stéréotypés. Elles ont examiné les circonstances de l’affaire à la lumière des exigences de l’article 5 § 3 de la Convention, du caractère des infractions reprochées qui faisaient partie de la catégorie des celles dirigées contre la vie, et de l’opportunité de mesures alternatives à la détention provisoire.

61. Pour ce qui est de la conduite de la procédure, le Gouvernement relève d’abord le caractère complexe de l’affaire qui portait sur une infraction grave. Il expose ensuite que les autorités avaient fait preuve de diligence. A cet égard, le Gouvernement souligne que le requérant a été renvoyé en jugement un mois et demi seulement après son inculpation et que la procédure en première instance s’est déroulée avec célérité. Il ajoute que le tribunal a délivré des mandats de comparution à l’égard des témoins qui ne s’étaient pas présentés en vue de leur audition et qu’il a condamné l’un d’entre eux à une amende pour la même raison. Il souligne enfin que le tribunal n’a reporté des audiences que pour des raisons bien justifiées, et cela sur demande du requérant ou de la victime.

62. De son côté, le requérant estime en premier lieu que la période de détention à prendre en considération s’est étendue sur un an et six mois, ayant débuté le 18 juillet 2006, date de son placement sous mandat d’arrêt, pour s’achever le 11 mars 2008, date de l’arrêt de la Haute Cour de cassation et de justice. A cet égard, il estime qu’un recours formé contre les décisions du tribunal départemental ayant prolongé sa détention provisoire était inefficace car les tribunaux ont examiné uniquement de manière formelle la question de sa détention provisoire.

63. Le requérant ajoute que les juridictions nationales ont omis de motiver son maintien en détention provisoire par rapport à ses données personnelles ou à celles de l’affaire. Il affirme que non seulement la durée de sa détention provisoire n’a pas répondu aux exigences de l’article 5 § 3 de la Convention, mais que la durée de l’entière procédure pénale a été trop longue étant donné qu’il n’a pas bénéficié de son droit d’être jugé en étant libre.

B. Appréciation de la Cour

64. La Cour estime d’emblée que, conformément à sa jurisprudence, la détention provisoire du requérant au sens de l’article 5 § 3 de la Convention a débuté le 18 juillet 2006, avec son arrestation, et a pris fin le 13 juillet 2007, date de sa condamnation en premier ressort (Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 147, CEDH 2000‑IV). Elle a donc duré presque un an.

65. Le Gouvernement considère que, à la lumière des conclusions de la Cour dans l’affaire Degeratu, précitée, la période de détention de six mois consécutive aux décisions par lesquelles le tribunal départemental de Dâmboviţa a prolongé la détention du requérant et contre lesquelles il n’a pas formé de pourvoi en recours, ne doit pas être prise en compte pour le calcul de la durée totale de la détention provisoire. La Cour n’estime pas nécessaire de trancher cette question dans la présente affaire, étant donné que, même en prenant en considération la période la plus longue – soit environ un an –, celle-ci s’avère raisonnable pour les raisons exposées ci-dessous (Medinţu c. Roumanie (déc.), no 5623/04, § 42, 13 novembre 2012).

66. Suivant sa jurisprudence, la Cour a développé quatre raisons fondamentales acceptables pour décider le placement ou le maintien en détention provisoire d’un accusé suspecté d’avoir commis une infraction : le danger de fuite de l’accusé, le risque que l’accusé, une fois remis en liberté, entrave l’administration de la justice ou commette de nouvelles infractions, ou le risque que sa remise en liberté trouble l’ordre public. Elle a également jugé que les juridictions statuant sur l’opportunité du maintien du requérant en détention provisoire doivent se livrer à l’examen d’un ensemble d’éléments pertinents concrets, propres à confirmer la nécessité de cette mesure (voir, entre autres, Georgiou c. Grèce (déc.), no 8710/08, 22 mars 2011).

67. En l’espèce, la Cour note d’abord que la décision de placement du requérant en détention provisoire était fondée sur l’article 148 § 1 h) du code de procédure pénale, le tribunal indiquant essentiellement que le maintien en liberté du requérant constituait un danger pour l’ordre public (paragraphe 28 ci-dessus).

68. Force est de constater ensuite que les tribunaux internes ont procédé d’office et à des intervalles réguliers au contrôle de la légalité et de l’opportunité du maintien en détention de l’intéressé. Dans leurs décisions, ils ont justifié la nécessité de la mesure par des références aux textes de loi et aux éléments de fait qu’ils estimaient pertinents. Ainsi, ils se sont livrés à un examen concret de la situation et de la personnalité du requérant, dont en particulier l’impact sur l’ordre public et sur la bonne administration de la justice. Étant donné le laps de temps restreint entre lesdites décisions, il est raisonnable que les tribunaux aient utilisé pendant certaines périodes des raisonnements proches, en se fondant sur les mêmes motifs pour justifier le maintien du requérant en détention (Georgiou, (déc.), précitée et Medinţu (déc.), précitée, § 47).

69. Il convient de noter également que, avec le passage du temps, les tribunaux ont fourni des raisons différentes pour justifier le maintien de l’intéressé en détention, raisons qui ne peuvent pas être considérées comme stéréotypées (paragraphes 31 et 32 ci-dessus). Par ailleurs, les tribunaux nationaux ont examiné l’opportunité de remplacer la mesure de détention provisoire par une autre mesure (paragraphe 31 in fine ci-dessus).

70. Pour ce qui est de la diligence des autorités dans la conduite de l’enquête, la Cour constate que les poursuites pénales ouvertes contre le requérant ont abouti, environ un mois et demi seulement après le placement en détention, à son renvoi en jugement (voir le réquisitoire du 31 août 2006, paragraphe 34 ci-dessus). Après l’inscription au rôle des tribunaux, les audiences ont été reportées initialement à la suite des demandes du requérant et de la victime (paragraphe 35 ci-dessus). Une fois que le requérant et ses coïnculpés ainsi que les principaux témoins eurent été entendus, le tribunal a rendu son jugement sur le fond de l’affaire. Dès lors, il ne saurait être reproché aux autorités judiciaires un quelconque manque de diligence dans le traitement de l’affaire.

71. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 (a) et 4 de la Convention.

III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

72. Dans leurs observations transmises à la Cour le 22 octobre 2012, les requérants Florin et Florea Bucureşteanu, se prétendent victimes d’une violation de l’article 14 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 12 à la Convention, alléguant que la méconnaissance de leurs droits garantis par les articles 3 et 5 § 3 de la Convention résulteraient d’attitudes discriminatoires des autorités policières et judiciaires envers les personnes d’origine rom. Le requérant Florea Bucureşteanu soutient de surcroît que, du fait de sa détention provisoire, il a été dans l’impossibilité de bénéficier d’une défense « pleine et effective », au sens des articles 6 et 13 de la Convention, dans la procédure pénale qui a abouti à sa condamnation pénale.

73. La Cour note que les deux procédures qui ont fait l’objet de la présente requête ont pris fin respectivement par la décision de classement du 27 décembre 2010 du parquet près le tribunal de première instance de Târgovişte, en ce qui concerne le requérant Florin Bucureşteanu, et par l’arrêt de la Haute Cour de cassation et de justice du 11 mars 2008, en ce qui concerne le requérant Florea Bucureşteanu. Or, les présents griefs ont été formulés pour la première fois le 22 octobre 2012, soit plus de six mois après.

74. Il s’ensuit que ces griefs sont tardifs et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

75. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

76. Le requérant Florin Bucureşteanu réclame 20 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’il aurait subi et 250 000 EUR au titre du préjudice moral consistant dans la souffrance causée par son agression, son hospitalisation, par les soins médicaux, l’invalidité permanente consécutive à l’agression, ainsi que ses problèmes psychologiques au cours de ces douze dernières années.

77. Le Gouvernement souligne que le requérant Florin Bucureşteanu n’a aucunement étayé le préjudice matériel qu’il aurait subi. En ce qui concerne le dommage moral invoqué, le Gouvernement soutient qu’il n’y a pas de lien de causalité clair avec les violations alléguées et qu’il n’est pas non plus étayé. Le Gouvernement met en exergue que celui-ci n’a pas produit de documents attestant de son état de santé ou de son invalidité et qu’en tout état de cause les conséquences médicales de son agression ne sont pas pertinentes pour le volet procédural de l’article 3 de la Convention qui fait l’objet de la présente requête. Il souligne également que les montants demandés sont excessifs par rapport à la jurisprudence de la Cour en la matière. A titre subsidiaire, le Gouvernement estime que le constat d’une violation vaudrait en soi une réparation satisfaisante du préjudice moral allégué.

78. La Cour relève que le seul fondement à retenir, pour l’octroi d’une satisfaction équitable, réside en l’espèce dans le fait que le requérant Florin Bucureşteanu n’a pas bénéficié d’une enquête efficace au sujet de son agression, en méconnaissance de l’article 3 de la Convention.

79. La Cour note que la demande au titre de la réparation de son préjudice matériel n’est pas étayée. Elle estime cependant qu’il a subi un tort moral indéniable compte tenu de la violation constatée ci-dessus. Dès lors, statuant en équité, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant Florin Bucureşteanu 7 500 EUR pour le préjudice moral.

B. Frais et dépens

80. Les requérants demandent également respectivement 7 000 RON, soit environ 1 500 EUR, et 8 000 RON, soit environ 1 700 EUR, pour les frais et dépens engagés devant la Cour.

81. Le Gouvernement souligne que les requérants n’ont pas envoyé de contrats d’assistance judiciaire, établissant les honoraires de l’avocat ainsi qu’un récapitulatif des heures effectivement travaillées par celui-ci. Il estime qu’en tout état de cause les montants réclamés sont excessifs.

82. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme demandée de 1 500 EUR pour la procédure devant la Cour et l’accorde au requérant Florin Bucureşteanu.

C. Intérêts moratoires

83. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 3 de la Convention, en ce qui concerne le requérant Florin Bucureşteanu, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention, dans son volet procédural, en ce qui concerne le requérant Florin Bucureşteanu ;

3. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant Florin Bucureşteanu, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement) :

i) 7 500 EUR (sept mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii) 1 500 EUR (mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 avril 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-118570
Date de la décision : 16/04/2013
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Enquête efficace) (Volet procédural)

Parties
Demandeurs : BUCUREŞTEANU
Défendeurs : ROUMANIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : STEFANESCU V.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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