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26/03/2013 | CEDH | N°001-117632

CEDH | CEDH, AFFAIRE NICULESCU-DELLAKEZA c. ROUMANIE, 2013, 001-117632


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE NICULESCU-DELLAKEZA c. ROUMANIE

(Requête no 5393/04)

ARRÊT

STRASBOURG

26 mars 2013

DÉFINITIF

26/06/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Niculescu-Dellakeza c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra, r>Kristina Pardalos,
Johannes Silvis,
Valeriu Griţco, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du cons...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE NICULESCU-DELLAKEZA c. ROUMANIE

(Requête no 5393/04)

ARRÊT

STRASBOURG

26 mars 2013

DÉFINITIF

26/06/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Niculescu-Dellakeza c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,
Kristina Pardalos,
Johannes Silvis,
Valeriu Griţco, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 février 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 5393/04) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Valerică Niculescu-Dellakeza (« le requérant »), a saisi la Cour le 20 décembre 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Mes Andreea Livia Turculeanu et Ion Turculeanu, avocats à Craiova. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. Razvan-Horațiu Radu, du ministère des Affaires étrangères.

3. A la suite du déport de M. Corneliu Bîrsan, juge élu au titre de la Roumanie (article 28 du règlement), le président de la chambre a désigné Mme Kristina Pardalos pour siéger en qualité de juge ad hoc (article 26 § 4 de la Convention et article 29 § 1 du règlement).

4. Le requérant se plaint en particulier d’une atteinte à son droit à un procès équitable, au motif que, après avoir été acquitté en première instance, il aurait été condamné par la juridiction de recours sans avoir été entendu. Il dénonce également une atteinte à son droit à la liberté d’expression en raison de sa condamnation au pénal et au civil pour diffamation.

5. Le 25 mai 2007, le président de la troisième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et sur le fond de l’affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Le requérant est né en 1942 et réside à Craiova.

A. Le contenu des articles litigieux

7. Le 10 novembre 2001, le requérant, comédien au théâtre national de Craiova (« le TNC »), était l’invité de la chaîne de télévision locale Terra­SAT pour intervenir dans le cadre d’une émission intitulée « Le café du samedi matin » (Cafeaua de sâmbată dimineața). Interrogé sur l’activité du directeur du TNC, C.M., il appela ce dernier le « metteur en scène seven­hand ».

8. Les 17-18 et 30 novembre 2001, le requérant publia dans les journaux locaux Cuvântul libertăţii et Edition spéciale une lettre ouverte intitulée « C. s’approprie presque tout l’argent qui nous a été alloué pour le montage des spectacles » (Aproape toți banii alocați montării de spectacole ni-i ia C.). L’article faisait référence à C.M., qui aurait cumulé les fonctions de directeur, de metteur en scène et de conseiller artistique du TNC, et était ainsi rédigé :

« Ce n’est pas peu de chose de rassembler, pendant toutes ces années, plus de cinq cents pages de chroniques, de photos ou de simples notes dans lesquelles mon nom a été mentionné. Cela prouve mon sérieux, mais plus encore la passion que j’éprouve pour ce que je fais. J’ai également eu de la CHANCE ! La chance de travailler avec deux grands metteurs en scène, S.P. et V.M. (...) qui ont su faire de leur métier un credo (...) J’ai uni mon destin à mon travail et j’ai obtenu le succès – c’est un fardeau lourd à porter ! Je pense que c’est pour cela que ma vie est passée si vite. Cela représente également du respect pour la scène sur laquelle des grands acteurs du pays ont joué. Et plus les années passent, plus la responsabilité est grande. Je considère qu’il est de mon devoir de faire tout ce que je peux et de prendre des risques pour défendre cette institution emblématique.

Bien sûr, Dieu ne nous a pas faits saints, ni brigands non plus ! (...) je suis fier que mon directeur, un garçon plein de finesse, soit, peut-être, le seul directeur de théâtre du pays à être payé en dollars [américains]. Mais il mérite encore plus que cela. Je peux même dire qu’il n’y a pas de joie plus grande que de savoir que c’est lui qui s’approprie presque tout l’argent qui nous a été alloué pour le montage des spectacles. Pourquoi d’autres le recevraient-ils ?

Peu importe si, moins d’un mois après être monté sur le trône, il a mis en congé sans solde S.P. (à sa demande !!!). Et, pour être sûr qu’il ne reviendra plus à Craiova, il a fait enlever sa grande photo du foyer du théâtre. Le portrait de V.M., tout aussi grand, a disparu également. Par contre, la photo de la chef comptable a fait son apparition !!! Celle qui a l’argent, celle qui a rempli les poches de C. de milliers de dollars. Celle qui bientôt, après de nombreuses démarches du directeur auprès du ministère, sera notre directeur financier ! Et parce qu’elle a eu le courage d’arrêter le paiement des salaires des Vétérans du théâtre, les salaires de ceux qui ont construit la renommée du théâtre à travers le monde, de ceux qui ont rempli de prix internationaux la vitrine du théâtre roumain, il a été demandé au ministère de transformer un poste d’ACTEUR en un poste financier (economist), pour qu’« elle » devienne directeur (...) Si ceux qui dirigent le destin du théâtre roumain nous aident, nous pourrons entrer dans le Livre des records : pour vingt et un acteurs – quatre directeurs, un chef-comptable et un auditeur qui, depuis peu, conserve le registre de présence.

Nous avons toutefois établi cette année un record républicain : c’est la première fois que nous ne participons pas au Festival national de théâtre, nous qui étions jusqu’à présent les seuls à avoir participé à toutes les éditions !

Comment C. ne mériterait-il pas tout notre respect et notre fierté quand c’est lui qui fait tout ce qu’il peut pour prendre l’argent qui nous a été alloué pour des adaptations scéniques, des versions scéniques, auquel il faut ajouter le pourcentage prélevé sur les ventes ?

Vous croyez que c’est facile pour lui de ne faire que ce qui lui chante, d’être en même temps et conseiller artistique et manager général et metteur en scène artistique ? Il s’est battu de toutes ses forces pour faire tomber dans l’illégalité la mission du théâtre et il a réussi ! Et quelle bataille cela représente, lorsque le metteur en scène propose au conseiller artistique – la même personne – un texte dramatique que doit approuver le manager – toujours la même personne ! Quel combat, quel esclandre, lorsqu’il est tout seul dans le bureau et lorsque le manager et conseiller fixent pour le metteur en scène, toujours lui, la somme contractuelle en dollars, réactualisée au taux de change du jour !

Comme je suis heureux quand je sens l’envie que suscite auprès de mes collègues des autres théâtres le fait que l’on invite mon directeur, qu’on le supplie, de mettre en scène le même texte dramatique dans deux ou trois autres théâtres, si bien qu’il ne revient pas à Craiova pendant plusieurs jours. Mais lui sait diriger une institution aussi glorieuse que la nôtre par téléphone. La direction n’est pas assujettie au registre de présence. Ils ont un régime spécial, un travail hors norme (nenormata). Pendant que nous travaillons dans la joie, ils nous représentent sur la côte dalmate ou à Paris – et leur salaire tombe ! Seuls les acteurs sont soumis à une norme (norma) ! Comme si notre travail prenait fin une fois la répétition ou le spectacle finis ! Qui compte les nuits d’insomnie, les heures d’étude individuelle, les heures dévorées d’inquiétude qui accompagnent toute la préparation d’un rôle ?

Pour le bien du théâtre, le directeur dépense des milliers de dollars avec des metteurs en scène artistiques, alors que nous avons deux postes vacants. Pour cela, (...) avec l’argent du théâtre et la complicité du Ministère, C. a été envoyé en Italie pour pouvoir participer lui aussi à la Convention européenne du théâtre. S’il continue comme cela, il sera envoyé à nouveau ! (Dacă continuă tot așa, o sa-l mai băgăm !)

Avec quel amour il a accompagné le collectif de la pièce Phèdre à Brasov, d’où il a rapporté – c’est ce que j’ai entendu dire –, après deux représentations devant des salles presque pleines et avec des billets vendus à un bon prix, la somme fantastique de 2 000 000 de lei. C’est comme cela quand on travaille avec toutes sortes d’impresarii ! (Allô ? la police ?)

Et parce que autant d’éloges pourraient nuire à l’intégrité dont notre directeur a fait preuve (...), je pense qu’un peu de critique dans l’esprit socialiste ne ferait pas de mal. Et ce aussi parce que c’est lui qui veut que l’on revienne aux anciennes habitudes de la censure staliniste : on n’a pas le droit de parler à quiconque de ce qui se passe dans le théâtre !!!

Seule une intelligence diabolique comme celle de C. a pu éloigner les meilleurs des meilleurs du milieu du théâtre, justement le 1er avril – la journée des farces. Les acteurs, des retraités, sans lesquels aucun théâtre ne peut fonctionner à plein régime (...)

Comment le théâtre pourrait-il fonctionner correctement quand ceux qui décident de son sort sont deux ingénieurs, un financier et un conseiller artistique, sans même un metteur en scène ? Quant au conseil artistique, même consultatif, il devrait exister, s’il n’était pas gênant ! Mais il est gênant !

Le fait qu’il ne s’intéresse pas à notre théâtre – et non pas « son » théâtre – est prouvé parce que tout le collectif artistique, excepté lui, a signé une pétition adressée au ministre de la Culture concernant sa décision de transférer notre institution sous le contrôle du conseil départemental. Quelle honte ! Qui sont ceux qui commettent un tel acte d’inculture par rapport à l’éternité de cette demeure sacrée plus ancienne que la Roumanie ?!

Qu’est-ce qui lui permet de faire circuler, afin qu’elle soit signée, une fiche de poste dans laquelle les employés, avant même de parachever et de signer le contrat collectif de travail, ne se voient reconnaître que des obligations ? Tous ces actes et bien d’autres encore constituent un grave abus de pouvoir !

Je ne trouve rien de plus odieux que ce qui se passe actuellement dans notre théâtre. Et parce que le ministère, dont il est impossible qu’il ne connaisse pas les méthodes de travail et les résultats du directeur C., n’a pris aucune mesure, je m’adresse à votre journal. Il m’est difficile de croire que nous méritons ce destin, à moins qu’il n’ait été planifié de nous tenir à l’écart du réseau du théâtre roumain de qualité, là où l’Histoire nous a placés.

Je vais perdre l’amitié de certaines personnes que je continuerai d’apprécier et d’aimer, et je le regrette, mais ces personnes doivent comprendre que tout ce qui est légal n’est pas forcément moral ! »

B. La procédure pénale engagée contre le requérant pour diffamation

9. Le 11 décembre 2001, C.M. saisit le tribunal de première instance de Craiova d’une plainte pénale contre le requérant pour injure et diffamation – délits punis par les articles 205 et 206 du code pénal –, en raison du contenu de son article publié dans les journaux locaux et des propos qu’il aurait tenus lors de l’émission télévisée susmentionnée. C.M. soutenait que les articles en cause contenaient des injures à son égard et que sa réputation en avait été affectée. Il se constitua partie civile dans la procédure en réclamant la somme de 500 000 000 d’anciens lei roumains (ROL) pour la réparation du préjudice moral qu’il alléguait avoir subi.

1. Les débats devant le tribunal de première instance

10. Le 18 mars 2002, le requérant, interrogé par le tribunal, exposa que les articles incriminés n’avaient pas de but diffamatoire et qu’ils visaient à informer le grand public sur l’administration du TNC et sur le mécontentement de ses acteurs. Il versa au dossier les copies de l’organigramme du théâtre, d’une décision rendue le 26 juillet 1999 par le conseil local de Brasov, de décisions rendues le 6 avril 2001 par la cour des comptes, la chambre des comptes et le département de contrôle financier constatant des irrégularités dans l’administration du budget du TNC, d’un contrat de management conclu entre C.M. et le ministère de la Culture ainsi que d’articles de journaux publiés à Brasov et relatant l’activité de C.M. au théâtre de Brasov.

11. Par un jugement du 3 juin 2002, le tribunal de première instance relaxa le requérant des trois chefs d’accusation au motif que l’élément intentionnel n’avait pas été prouvé et il rejeta l’action civile de C.M. Il jugea qu’il ressortait des preuves versées au dossier que l’intéressé n’avait pas eu l’intention d’offenser C.M. par ses affirmations, mais seulement d’informer le grand public du mécontentement des acteurs du TNC et de la manière dont la partie civile dirigeait ce théâtre.

2. Le pourvoi en recours de la partie lésée devant le tribunal départemental de Satu Mare

12. C.M. forma un recours contre ce jugement. Il alléguait qu’en publiant les articles en question le requérant avait porté atteinte à son honneur et à sa réputation et qu’il l’avait exposé au mépris public.

13. Sur une demande de C.M., la Cour suprême de justice ordonna le transfert de l’affaire au tribunal départemental de Satu Mare, ville située à environ 600 km de Craiova.

14. Le 21 février 2003, le requérant subit une intervention chirurgicale en raison d’une sténose rachidienne dégénérative. Il quitta l’hôpital le 28 février 2003.

15. Le requérant forma une demande auprès de la Cour suprême de justice en vue de l’annulation du transfert de l’affaire au tribunal départemental de Satu Mare et, le cas échéant, de son transfert au tribunal d’une ville plus proche de Craiova. Il arguait de son état de santé et versait au dossier des attestations médicales selon lesquelles il ne pouvait pas faire d’efforts physiques ni rester debout plus de trente minutes. Il ajouta qu’aucun avocat de Craiova n’était disposé à se déplacer à Satu Mare et qu’il ne pouvait pas rencontrer d’avocat de Satu Mare en raison de son impossibilité de s’y déplacer.

16. Cité à comparaître devant le tribunal départemental de Satu Mare le 18 mars 2003, le requérant forma une demande d’ajournement au motif que son état de santé rendait son déplacement impossible. Il fournit au tribunal les copies du bulletin de sortie de l’hôpital et du certificat d’arrêt de travail. Il transmit en même temps au tribunal ses observations en réponse aux moyens de recours de C.M., en soulignant que l’article en cause constituait un pamphlet dont les termes devaient être lus dans le contexte. Il expliqua par écrit le sens qu’il avait donné aux termes que C.M. considérait comme injurieux. Il joignit également d’autres documents pour étayer ses allégations quant à la manière dont C.M. dirigeait le personnel du théâtre, notamment des copies du registre de présence et du mémoire que le personnel du théâtre avait adressé auparavant au ministère de la Culture. Il présenta en outre l’activité du théâtre sous la direction de C.M.

17. Le 18 mars 2003, le tribunal départemental de Satu Mare reporta l’audience au 15 avril 2003. A cette dernière date, sur une demande du requérant absent bien qu’ayant été régulièrement cité, le tribunal reporta l’audience au 20 mai 2003.

18. Le 29 avril 2003, le requérant demanda au tribunal départemental de sursoir à l’examen de l’affaire pendant un an en raison de son état de santé. Il joignit à sa demande un certificat médical attestant qu’il souffrait de sténose rachidienne dégénérative. Il ajouta que les avocats de Craiova avec lesquels il aurait pris contact avaient refusé de le représenter à Satu Mare et que son état de santé l’empêchait de se rendre à Satu Mare pour engager un avocat local.

19. Le tribunal reporta l’audience au 17 juin 2003, en attendant l’issue donnée par la Cour suprême de justice à la demande du requérant tendant au transfert de l’affaire (paragraphe 20 ci-dessous).

20. Par un arrêt du 28 mai 2003, la Cour suprême rejeta la demande du requérant d’annulation du transfert de l’affaire auprès du tribunal départemental de Satu Mare (paragraphe 15 ci-dessus).

21. Le requérant, bien que légalement cité, ne fut pas présent à l’audience du 17 juin 2003 du tribunal départemental de Satu Mare. Après avoir constaté que la procédure avait déjà été ajournée à trois reprises, que la Cour suprême de justice avait rejeté la demande de transfert de l’affaire du requérant et que les parties n’avaient pas d’autres preuves à verser au dossier, le tribunal ouvrit les débats au fond. La partie civile exposa ses moyens de recours et le procureur présent aux débats demanda leur rejet.

22. Par un arrêt du 24 juin 2003, se fondant sur l’article 38515, point 2, lettre d), du code de procédure pénale, le tribunal départemental de Satu Mare fit droit au recours de C.M., cassa le jugement rendu en première instance pour autant qu’il concernait l’article publié par le requérant, jugea ce dernier coupable de diffamation et le condamna à une amende pénale de 10 000 000 de ROL et au versement de 30 000 000 de ROL de dommages-intérêts à la partie civile pour la réparation du préjudice moral subi, de 1 000 000 de ROL pour frais et dépens à l’État et de 11 730 259 ROL pour frais et dépens à la partie civile. Il constata que la peine pénale infligée au requérant bénéficiait d’une loi de grâce générale. Les parties n’étaient pas présentes à l’audience de prononcé de l’arrêt.

23. Après avoir analysé les preuves examinées par le tribunal de première instance, le tribunal départemental jugea que le fait pour le requérant d’injurier publiquement C.M., en utilisant les expressions « metteur en scène seven-hand », « C. s’approprie presque tout l’argent qui nous a été alloué pour le montage des spectacles », « acte d’inculture » et « un grave abus de pouvoir », constituait une diffamation intentionnelle. Le tribunal s’exprima en ces termes :

« (...) ainsi qu’il ressort de la rédaction des articles, le requérant était conscient que l’action de dénigrement était commise publiquement et il a agi délibérément, son intention étant prouvée par le fait qu’il a envoyé des articles à des journaux et [qu’il a participé à une émission] de télévision ; dès lors, il a délibérément cherché à exposer la partie lésée à une sanction pénale, administrative ou disciplinaire ou au mépris public. »

24. Le 1er août 2003, le requérant versa à la partie lésée les sommes dues au titre du dommage moral et des frais et dépens. En raison des changements législatifs apportés au code pénal par la loi no 278/2006 qui a abrogé l’article incriminant la diffamation (paragraphe 33 ci-dessous, in fine), la sanction pénale infligée au requérant ne figurait plus en 2007 dans son casier judiciaire.

3. Procédures fiscales et poursuites pénales engagées contre C.M.

25. Le 31 octobre 2002, le département d’audit public interne du conseil départemental de Dolj rédigea une note sur l’état des finances du TNC et, le 9 juin 2003, la cour des comptes rendit un rapport de contrôle intermédiaire sur l’exercice budgétaire du TNC et la légalité des dépenses. Il ressortait de ces documents que C.M. avait engagé des dépenses illégales sur le budget du TNC.

26. Par un jugement avant dire droit du 23 juin 2003, la cour des comptes, se fondant sur le rapport de contrôle précité, saisit le collège juridictionnel d’une action contre C.M. pour faux, usage de faux et abus de fonction. Elle saisit en outre le parquet d’une demande d’ouverture de poursuites pénales contre C.M. pour dilapidation.

4. Demande en révision de l’arrêt du 24 juin 2003 du tribunal départemental de Satu Mare

27. Le 5 janvier 2004, le requérant saisit le tribunal de première instance de Craiova d’une demande en révision de l’arrêt du 24 juin 2003, dans laquelle il exposait avoir pris connaissance de faits et de documents qui auraient existé lors de sa condamnation mais dont il n’aurait pas eu connaissance à l’époque. Il versait également au dossier les copies des décisions de la cour des comptes renvoyant C.M. en jugement.

28. Par un jugement du 17 mai 2004, le tribunal de première instance rejeta la demande en révision, au motif que certaines illégalités dans l’activité de directeur de C.M. étaient déjà connues au moment où l’arrêt du 24 juin 2003 avait été rendu. Il jugea également que les expressions incriminées dans l’arrêt précité ne visaient que de manière indirecte l’activité de C.M. en tant que dirigeant et qu’elles constituaient plutôt des attaques directes contre sa personne.

29. Sur un recours du requérant, le tribunal départemental de Dolj confirma ce jugement par un arrêt définitif du 17 septembre 2004.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

30. Les dispositions du code de procédure pénale (CPP) qui régissaient l’étendue de la compétence des tribunaux statuant à la suite d’un recours, telles qu’en vigueur à l’époque des faits, ainsi que les modifications qui leur ont été apportées par la loi no 356 du 21 juillet 2006 sont décrites dans l’affaire Mihaiu c. Roumanie (no 42512/02, §§ 21 et 22, 4 novembre 2008).

31. Les articles suivants du CPP en vigueur à l’époque des faits sont également pertinents pour la présente affaire :

Article 55

« [Saisie d’une demande de dépaysement de l’affaire, L]a Cour suprême de justice ordonne le transfert de l’affaire (strămutarea cauzei) vers une autre juridiction de même niveau [que celle qui était compétente pour en juger] lorsque, après avoir examiné le bien-fondé des motifs invoqués, elle considère que cette mesure est nécessaire pour assurer le déroulement normal du procès. »

Article 60

« 1. La Cour suprême de justice accueille ou rejette la demande sans motivation. »

Article 291

« 1. Les débats ont lieu après que les parties ont été correctement citées et que la procédure a été respectée.

2. L’absence de parties qui ont été correctement citées n’empêche pas le jugement de l’affaire. Lorsque le tribunal estime nécessaire la présence d’une partie qui est absente, il peut prendre des mesures pour s’assurer de sa présence, en prononçant à cette fin le report de l’affaire. (...) »

Article 303

« Lorsque le tribunal constate, sur la base d’une expertise médico-légale, que l’inculpé est atteint d’une maladie grave qui l’empêche de participer au procès, il décide, par un jugement avant dire droit, de surseoir au procès jusqu’à ce que l’état de santé de l’inculpé lui permette de participer au procès (...) »

32. Tel qu’en vigueur à l’époque des faits, l’article 55 ne mentionnait pas expressément les motifs qui pouvaient justifier le dépaysement de l’affaire vers une juridiction d’un autre département. Pour la doctrine (Ion Neagu, Traité de procédure pénale, L’édition PRO, 1997, p. 252), les motifs de dépaysement de l’affaire portaient sur les cas dans lesquels il était nécessaire d’assurer l’impartialité des juges (V. Ramureanu, La compétence pénale des organes judiciaires, Bucarest, L’édition scientifique et encyclopédique, 1980, p. 284) ou d’éviter des troubles à l’ordre public (V. Dongoroz, Cours de procédure pénale (III), deuxième édition, Bucarest, 1942, p. 55).

33. Les dispositions pertinentes en l’espèce du code pénal en matière de diffamation, telles qu’en vigueur à l’époque des faits, et les changements législatifs ultérieurs sont décrits dans l’arrêt Boldea c. Roumanie (no 19997/02, § 16-18, CEDH 2007‑...). La loi no 278 du 4 juillet 2006 portant modification du code pénal (« la loi no 278/2006 ») a abrogé les articles du code pénal incriminant l’insulte et la diffamation.

34. Par la décision no 62/2007 du 18 janvier 2007, publiée au Journal officiel no 104 du 12 février 2007, la Cour constitutionnelle roumaine a déclaré inconstitutionnelle la loi d’abrogation des articles du code pénal incriminant l’insulte et la diffamation, au motif que la réputation des personnes, garantie par la Constitution, devait être protégée nécessairement par des sanctions de droit pénal.

35. Le Gouvernement fournit des exemples de jurisprudence des tribunaux internes, d’où il ressort que les juridictions nationales ont tenu compte de la décision de la Cour constitutionnelle précitée, mais qu’elles n’ont pas prononcé de condamnations pour les délits d’injure et de diffamation, en se fondant sur l’article 13 du code pénal sur l’application de la loi pénale la plus favorable à l’accusé, à savoir la loi no 278/2006.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

36. Le requérant se plaint que la condamnation pénale prononcée contre lui le 24 juin 2003 par le tribunal départemental de Satu Mare sans qu’il eût été entendu en personne ait enfreint son droit à un procès équitable. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé dans sa partie pertinente en l’espèce :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) »

A. Sur la recevabilité

37. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

38. Le requérant, reprochant au tribunal départemental de Satu Mare – la première juridiction l’ayant condamné à une peine – de ne pas l’avoir entendu en personne, allègue qu’il n’a pas eu l’occasion de préciser la portée des termes utilisés dans l’article litigieux ni de rectifier ce qui avait pu être retenu ou interprété de manière erronée par la partie adverse et par le tribunal.

39. Il indique que, s’il ne s’est pas présenté aux audiences de recours, c’est en raison de son état de santé. Il souligne qu’il a demandé au tribunal, certificats médicaux à l’appui, de reporter l’audience, voire de sursoir à statuer dans l’affaire pendant un an, pour lui permettre de participer aux débats. Il ajoute que le tribunal départemental a rejeté sa demande sans motiver sa décision.

40. Le Gouvernement considère que les juridictions nationales ont examiné l’accusation pénale portée contre le requérant en respectant pleinement les garanties d’indépendance, d’impartialité, de publicité et d’égalité des armes. A cet égard, il souligne que le requérant a été entendu par le tribunal de première instance et que sa déposition écrite a été versée au dossier. De plus, l’intéressé aurait eu la possibilité de verser au dossier les moyens de preuve qu’il estimait pertinents pour défendre sa cause.

41. Le Gouvernement soutient ensuite que, en cassant la décision du tribunal de première instance par laquelle le requérant avait été acquitté, le tribunal départemental de Satu Mare n’a pas établi une nouvelle situation de fait, mais qu’il a procédé à sa propre interprétation des preuves existant dans le dossier par rapport aux dispositions du code pénal régissant la diffamation. De plus, selon le Gouvernement, la cause du requérant ne présentait pas de circonstances exceptionnelles qui eussent rendu indispensable l’audition de l’intéressé par le tribunal départemental.

42. Le Gouvernement rappelle enfin que le requérant, bien que légalement cité, ne s’est pas présenté aux audiences fixées devant le tribunal départemental de Satu Mare. Sans mettre en doute les problèmes médicaux de l’intéressé et l’intervention chirurgicale que celui-ci affirmait avoir subie, il estime que le tribunal départemental ne pouvait pas surseoir à l’examen de l’affaire, faute pour le requérant d’avoir présenté un certificat délivré par un institut médico-légal et attestant de son incapacité à y participer. Sur ce point, il attire l’attention sur les modifications apportées au CPP en 2006, qui obligent désormais les juridictions statuant en recours d’entendre la personne mise en examen.

2. Appréciation de la Cour

43. La Cour rappelle que les modalités d’application de l’article 6 aux procédures d’appel dépendent des caractéristiques de la procédure dont il s’agit, et qu’il convient de tenir compte de l’ensemble de la procédure interne et du rôle dévolu à la juridiction d’appel dans l’ordre juridique national. Lorsqu’une audience publique a eu lieu en première instance, l’absence de débats publics en appel peut se justifier par les particularités de la procédure en question, eu égard à la nature du système d’appel interne, à l’étendue des pouvoirs de la juridiction d’appel, à la manière dont les intérêts du requérant ont réellement été exposés et protégés devant elle, et notamment à la nature des questions qu’elle avait à trancher (Botten c. Norvège, 19 février 1996, § 39, Recueil des arrêts et décisions 1996‑I).

44. La Cour rappelle ensuite que, devant une cour d’appel jouissant de la plénitude de juridiction, l’article 6 ne garantit pas nécessairement le droit à une audience publique ni, si une telle audience a lieu, celui d’assister en personne aux débats (Fejde c. Suède, 29 octobre 1991, § 33, série A no 212‑C). En revanche, lorsqu’une instance d’appel est amenée à connaître d’une affaire en fait et en droit et à étudier dans son ensemble la question de la culpabilité ou de l’innocence, elle ne peut, pour des motifs d’équité du procès, décider de ces questions sans appréciation directe des témoignages présentés en personne par l’accusé qui soutient qu’il n’a pas commis l’acte tenu pour une infraction pénale (voir Ekbatani c. Suède, 26 mai 1988, § 32, série A no 134, Constantinescu c. Roumanie, no 28871/95, § 55, CEDH 2000‑VIII et, mutatis mutandis, Igual Coll c. Espagne, no 37496/04, § 36, 10 mars 2009, et Almenara Alvarez c. Espagne, no 16096/08, § 42, 25 octobre 2011).

45. La Cour observe qu’en l’espèce il n’est pas contesté que, après avoir été acquitté en première instance, le requérant a été condamné en recours par le tribunal départemental de Satu Mare sans avoir été entendu en personne. Dès lors, afin de déterminer s’il y a eu violation de l’article 6 de la Convention, il échet d’examiner d’abord le rôle du tribunal départemental et la nature des questions dont il avait à connaître. Il convient d’examiner ensuite si les juridictions nationales ont satisfait à leurs obligations positives de prendre des mesures afin d’entendre le requérant (voir Dănilă c. Roumanie, no 53897/00, § 41, 8 mars 2007, Spînu c. Roumanie, no 32030/02, § 58, 29 avril 2008, et, mutatis mutandis, Botten, précité, § 53).

46. La Cour note que l’étendue des pouvoirs du tribunal départemental de Satu Mare, en tant qu’instance de recours, était définie aux articles 38515 et 38516 du code de procédure pénale. Selon ces dispositions, le tribunal départemental, en tant qu’instance de recours, n’était pas tenu de rendre un nouveau jugement sur le fond mais en avait néanmoins la possibilité. La Cour relève que, après avoir infirmé l’acquittement prononcé en première instance, le tribunal départemental a statué sur le bien-fondé de l’accusation dirigée contre le requérant et a reconnu celui-ci coupable de diffamation. Or, dès lors que le tribunal départemental de Satu Mare décidait de statuer sur le fond de l’accusation portée contre l’intéressé, il pouvait ordonner l’administration des preuves et procéder à une nouvelle appréciation des faits (Popa et Tănăsescu c. Roumanie, no 19946/04, §§ 51 et 52, 10 avril 2012). Une telle démarche imposait d’entendre l’accusé.

47. Dans ce contexte, la Cour estime que, quand bien même le tribunal de première instance avait entendu le requérant, cela n’exonérait pas le tribunal départemental de l’obligation de l’entendre à son tour, et ce d’autant plus que la juridiction de première instance avait acquitté l’intéressé. La Cour relève également que le requérant ne pouvait pas se voir reprocher un manque d’intérêt pour le procès (voir, a contrario, Rusu c. Roumanie (déc.), no 6246/04, § 28, 31 août 2010) dès lors qu’il avait formulé plusieurs demandes d’ajournement étayées par des raisons médicales, une demande de dépaysement de l’affaire et une demande de report de l’examen de l’affaire pour raisons médicales. Si le tribunal départemental n’entendait pas s’appuyer sur les certificats médicaux fournis par le requérant pour pouvoir juger du bien-fondé de la demande de sursis de l’examen de l’affaire, il pouvait toutefois ordonner une expertise médico-légale, comme le prévoyait l’article 303 du CPP, pour trancher la demande. Or le tribunal départemental n’a pas examiné cette demande et l’a rejetée de manière implicite, sans la motiver.

48. Dès lors, la Cour estime que la condamnation du requérant, prononcée sans qu’il ait été entendu en personne et après son acquittement par le tribunal de première instance (voir, parmi d’autres, Mircea c. Roumanie, no 41250/02, § 54, 29 mars 2007), est contraire aux exigences d’un procès équitable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

49. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION

50. Invoquant les articles 9 et 10 de la Convention, le requérant allègue que sa condamnation pénale et civile par l’arrêt définitif prononcé le 24 juin 2003 par le tribunal départemental de Satu Mare constitue une ingérence disproportionnée dans l’exercice de son droit à la liberté d’expression et non nécessaire dans une société démocratique. La Cour estime que ce grief se prête à un examen sur le seul terrain de l’article 10 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

A. Sur la recevabilité

51. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

52. Le requérant considère que sa condamnation pénale et civile pour diffamation constitue une ingérence dans l’exercice de son droit à la liberté d’expression, et que pareille ingérence ne répondait pas à un besoin social impérieux. Il indique qu’il avait publié un pamphlet dans un style littéraire pour dénoncer le mécontentement des acteurs du TNC quant à la manière dont cette institution publique était dirigée. Dès lors, à ses yeux, l’information revêtait un intérêt public pour les citoyens de Craiova, qui avaient, selon le requérant, le droit de savoir comment le théâtre financé par l’argent du contribuable était administré. L’intéressé soutient que les faits présentés étaient bien argumentés et fondés sur des documents pertinents. En outre, les passages contenant des jugements de valeur n’auraient pas comporté d’attaques contre la personne de C.M., mais se seraient bornés à viser la gestion d’une institution publique. Il indique qu’il a dû payer les dommages moraux alors qu’il n’avait qu’un salaire d’acteur dont le montant dépendait des apparitions sur scène et qu’il obtenait difficilement des rôles dans des pièces de théâtre.

53. Le Gouvernement admet que l’arrêt du 24 juin 2003 du tribunal départemental de Satu Mare constitue une ingérence dans l’exercice par le requérant de son droit à la liberté d’expression. Il estime cependant que l’ingérence en cause était prévue par la loi et qu’elle poursuivait un but légitime, à savoir la protection de la réputation de C.M.

54. Quant à la nécessité de pareille ingérence dans une société démocratique, le Gouvernement fait remarquer d’abord que les articles incriminés ont été qualifiés par le tribunal départemental de Satu Mare d’injures publiques à l’adresse de la partie lésée. Il ajoute que le requérant a porté ses affirmations à la connaissance du public et qu’il a attribué à C.M. la commission d’actes graves, à savoir la dilapidation et l’escroquerie. En utilisant les termes que le tribunal départemental a relevés, le requérant a franchi, selon le Gouvernement, les limites de la critique admissible à l’égard des fonctionnaires. Pour ce qui est du caractère proportionné de la sanction, le Gouvernement souligne que le requérant a été condamné uniquement au paiement des frais de justice à l’État et au dédommagement de la partie lésée (environ 1 100 euros (EUR), un montant modéré aux yeux du Gouvernement), et qu’une loi de grâce l’a dispensé du paiement de l’amende pénale.

2. Appréciation de la Cour

55. La Cour estime que la condamnation litigieuse s’analyse en une « ingérence » dans l’exercice par le requérant de son droit à la liberté d’expression. Elle rappelle que pareille immixtion enfreint l’article 10 de la Convention, sauf si elle est « prévue par la loi », dirigée vers un ou plusieurs des buts légitimes énumérés au paragraphe 2 de l’article 10 et « nécessaire, dans une société démocratique » pour les atteindre.

56. En l’espèce, la Cour observe que, pour parvenir à la condamnation du requérant, le tribunal départemental de Satu Mare s’est fondé sur l’article 206 du code pénal incriminant la diffamation, et sur l’article 998 de l’ancien code civil régissant la responsabilité civile délictuelle. L’ingérence était dès lors « prévue par la loi ». Elle poursuivait un but légitime au regard de l’article 10 § 2 de la Convention, à savoir la protection de la réputation d’autrui, en l’occurrence celle de C.M., fonctionnaire, directeur de l’institution publique qu’est le théâtre national de Craiova.

57. Il reste à déterminer si cette ingérence était « nécessaire », dans une société démocratique, pour atteindre le but légitime poursuivi. La Cour renvoie à cet égard aux principes fondamentaux qui se dégagent de sa jurisprudence en la matière (voir, parmi de nombreux autres, Tourancheau et July c. France, no 53886/00, §§ 64 à 68, 24 novembre 2005, Lindon, Otchakovsky-Laurens et July c. France [GC], nos 21279/02 et 36448/02, §§ 45 et 46, CEDH 2007‑XI, et July et Sarl Libération c. France, no 20893/03, §§ 60 à 64, CEDH 2008-...).

58. La Cour rappelle que, dans l’exercice de son pouvoir de contrôle, la Cour n’a point pour tâche de se substituer aux juridictions internes compétentes, mais de vérifier sous l’angle de l’article de la Convention concerné, les décisions qu’elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation (News Verlags GmbH & Co. KG c. Autriche, no 31457/96, § 52, CEDH 2000-I). En particulier, il incombe à la Cour de déterminer si les motifs invoqués par les autorités nationales pour justifier l’ingérence apparaissent « pertinents et suffisants » et si la mesure incriminée était « proportionnée aux buts légitimes poursuivis » (Chauvy et autres c. France, no 64915/01, § 70, CEDH 2004‑VI). Ce faisant, la Cour doit se convaincre que les autorités nationales ont, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents, appliqué des règles conformes aux principes consacrés par l’article en question (Zana c. Turquie, 25 novembre 1997, § 51, Recueil 1997‑VII, et Kyprianou c. Chypre [GC], no 73797/01, § 171, 15 décembre 2005).

59. En l’espèce, la Cour note que le requérant a été condamné pour avoir rédigé un article dénonçant notamment la manière dont C.M., le directeur du théâtre national de Craiova (TNC), gérait cette institution publique. Elle considère que la gestion d’une telle institution est incontestablement un sujet d’intérêt général pour la communauté locale, sur lequel le requérant pouvait communiquer des informations au public. En l’espèce, les propos litigieux visaient C.M. en sa qualité de directeur du TNC. Or la qualité de gérant d’une institution publique de C.M. implique, avec certaines limites (voir, mutatis mutandis, Busuioc c. Moldova, no 61513/00, § 64, 21 décembre 2004), de pouvoir discuter des actions qu’il a menées dans le cadre de l’exercice de son mandat.

60. Par ailleurs, la Cour rappelle que, en raison des « devoirs et responsabilités » inhérents à l’exercice de la liberté d’expression, la protection offerte par l’article 10 de la Convention aux personnes qui, comme le requérant, s’engagent dans le débat public, est subordonnée à la condition qu’elles aient agi de bonne foi de manière à fournir des informations exactes et dignes de crédit (Radio France et autres c. France, no 53984/00, § 37, Recueil 2004-II, et Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège [GC], no 21980/03, § 65, CEDH 1999-III), même s’il leur est néanmoins permis de recourir à une certaine dose d’exagération, voire de provocation (Mamère c. France, no 12697/03, § 25, CEDH 2006‑XIII).

61. Il convient ensuite de rappeler la jurisprudence désormais bien établie de la Cour selon laquelle il y a lieu, pour apprécier l’existence d’un « besoin social impérieux » propre à justifier une ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression, de distinguer avec soin entre faits et jugements de valeur. Si la matérialité des premiers peut se prouver, les seconds ne se prêtent pas à une démonstration de leur exactitude (De Haes et Gijsels c. Belgique, 24 février 1997, § 42, Recueil 1997‑I, et Harlanova c. Lettonie (déc.), no 57313/00, 3 avril 2003). Certes, lorsqu’il s’agit d’allégations sur la conduite d’un tiers, il peut parfois s’avérer difficile de distinguer entre imputations de fait et jugements de valeur. Il n’en reste pas moins que même un jugement de valeur peut se révéler excessif s’il est totalement dépourvu de base factuelle (Jerusalem c. Autriche, no 26958/95, § 43, CEDH 2001-II).

62. En l’espèce, la Cour note, comme l’a relevé le tribunal départemental de Satu Mare dans son arrêt du 24 juin 2003, que le requérant avait qualifié C.M. de « metteur en scène seven-hand », et qu’il avait écrit à propos de celui-ci qu’il « s’appropri[ait] presque tout l’argent (...) alloué [au] montage des spectacles », qu’il avait commis un « acte d’inculture » et que tout ce qu’il entreprenait constituait « un grave abus de pouvoir ». Examinant ces affirmations litigieuses à la lumière de l’article du requérant dans son ensemble, la Cour estime que l’on se trouve en présence d’un mélange de jugements de valeur et d’éléments factuels. Elle note que le requérant, pour justifier ses affirmations, a fait référence au cumul de fonctions de C.M., à son comportement et aux décisions qu’il aurait prises en tant que directeur, ainsi qu’à l’activité du TNC sous sa direction. Elle relève qu’il a indiqué dès le début de son article avoir pour objet d’informer le public sur l’activité de cette institution et sur son mécontentement en tant qu’employé du TNC.

63. Si certains des termes utilisés dans l’article peuvent être considérés comme étant peu appropriés, la Cour juge qu’ils restent néanmoins dans les limites de l’exagération ou de la provocation admissibles. A cet égard, elle accorde de l’importance au fait que, pour mettre en doute la gestion du théâtre, le requérant a fait certaines recherches et qu’il a essayé de justifier ses allégations quant aux faits reprochés à C.M. lors de la procédure pénale dirigée contre lui (paragraphes 10 et 16 ci-dessus). Elle estime que, ce faisant, il a agi de bonne foi. Par ailleurs, l’existence des enquêtes pénale et fiscale à l’encontre de C.M. concernant la gestion du TNC (paragraphes 25 et 26 ci-dessus) confirme que les affirmations du requérant n’étaient pas complètement dénuées de fondement.

64. La Cour note ensuite que le tribunal départemental de Satu Mare a jugé que, au travers des articles litigieux, le requérant avait exposé C.M. au mépris public et à de possibles sanctions compte tenu de ses fonctions. Cependant, force est de constater que, en cassant le jugement rendu en première instance pour condamner le requérant au civil et au pénal, le tribunal départemental de Satu Mare n’a prêté aucune attention au contexte dans lequel l’article en cause avait été publié ou aux intérêts en jeu, ni au fait que l’intéressé avait été acquitté en première instance (voir, a contrario, Cumpănă et Mazăre c. Roumanie [GC], no 33348/96, § 104, CEDH 2004‑XI, Stângu et Scutelnicu c. Roumanie, no 53899/00, § 51, 31 janvier 2006, et Fleury c. France, no 29784/06, § 49, 11 mai 2010). Dès lors, le tribunal départemental n’a pas fourni des motifs « pertinents et suffisants » pour justifier la condamnation de l’intéressé.

65. La Cour note également que le requérant a essayé de justifier ses propos dans le cadre de la procédure pénale dirigée contre lui pour diffamation. Il a ainsi activement participé à la procédure devant le tribunal de première instance de Craiova et fait preuve de son intérêt pour le procès (voir, a contrario, Ivanciuc c. Roumanie (déc.), no 18624/03, 8 septembre 2005). Bien qu’absent pendant la procédure de recours, il a toutefois répondu aux moyens de recours de la partie adverse et a présenté des preuves en défense. Il a même insisté sur la nécessité d’être entendu en personne, exposant qu’il aurait été le seul en mesure d’expliquer au tribunal départemental le message qu’il voulait transmettre par le biais de l’article litigieux.

66. Enfin, s’agissant de la proportionnalité de l’atteinte portée au droit à la liberté d’expression, la Cour rappelle que la nature et la lourdeur des peines infligées sont des éléments à prendre en considération (Cumpănă et Mazăre, précité, § 111, et Brunet-Lecomte et autres c. France, no 42117/04, § 51, 5 février 2009). En l’espèce, certes le requérant n’a pas eu à verser l’amende pénale en raison de l’intervention d’une loi de grâce générale et cette sanction ne figure plus à présent dans son casier judiciaire, en raison des modifications législatives intervenues en 2006 (paragraphe 24 ci-dessus). Il n’en reste pas moins qu’il avait fait l’objet d’une sanction pénale en vertu du droit interne en vigueur à l’époque des faits. Il a également dû supporter le paiement de dommages-intérêts à la partie civile ainsi que les frais et dépens de la procédure, soit environ 1 100 EUR au total, ce qui a eu un impacte sur ses moyens économiques (voir, a contrario, Ciuvica c. Roumanie (déc.), no 29672/05, § 58 in fine, 15 janvier 2013).

67. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention.

III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

68. Invoquant l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 10, le requérant s’estime victime d’une discrimination en raison de sa condamnation pénale. Invoquant en outre les articles 6 et 13 de la Convention, il se plaint du rejet par la Cour suprême de justice de sa demande de transfert de l’affaire. Eu égard à l’ensemble des éléments en sa possession et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par ces articles de la Convention. Dès lors, tous ces griefs doivent être rejetés, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

69. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

70. Le requérant réclame 2 671,80 EUR pour préjudice matériel, ce montant représentant les sommes qu’il a été condamné à verser à la partie lésée au titre du préjudice moral ainsi que les frais et dépens, et réactualisé selon la méthode de la valeur du revenu salarial. Il demande également 7 109 EUR pour préjudice moral.

71. S’agissant du préjudice matériel, le Gouvernement conteste la méthode de réactualisation utilisée par le requérant, estimant qu’il convient de réactualiser la somme payée par le requérant en prenant en compte l’indice des prix à la consommation ou le taux de l’inflation pendant la période comprise entre août 2003 et janvier 2008. Selon lui, la somme réactualisée est d’environ 1 624,12 EUR. S’agissant du préjudice moral, le Gouvernement estime qu’un éventuel arrêt de violation pourrait constituer en soi une réparation suffisante du préjudice moral prétendument subi.

72. La Cour observe que l’octroi d’une satisfaction équitable se fonde, en l’espèce, sur le fait que le requérant n’a pas bénéficié d’une procédure équitable et qu’il a subi une ingérence disproportionnée dans l’exercice de son droit à la liberté d’expression à raison de sa condamnation pour diffamation. Elle constate que le requérant a payé les dommages-intérêts infligés à la suite de sa condamnation pénale (voir, a contrario, Anghel c. Roumanie, no 28183/03, § 78, 4 octobre 2007). Dès lors, compte tenu de l’ensemble des éléments soumis par les parties sur ce point, elle estime qu’il convient d’accorder au requérant 1 700 EUR au titre du dommage matériel.

73. En outre, la Cour estime que le requérant a subi un tort moral indéniable. Statuant en équité, comme le veut l’article 41, il y a lieu de lui octroyer 5 900 EUR au titre du dommage moral.

B. Frais et dépens

74. Le requérant demande également 218,13 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et la Cour, dont 84,50 EUR pour les honoraires des avocats devant la Cour.

75. Le Gouvernement soutient que le justificatif fourni par le requérant pour étayer sa demande de remboursement des frais de procédure supportés dans la procédure interne n’est pas correctement complété et signé. Il considère également que les pièces fournies pour justifier les frais et dépens devant la Cour ne permettent pas d’établir avec certitude un lien avec la présente affaire.

76. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 200 EUR tous frais confondus et l’accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

77. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 6 § 1 de la Convention pour autant qu’ils portent sur le droit d’être entendu en personne et de l’article 10 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit, par cinq voix contre deux, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;

4. Dit, à l’unanimité,

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

i. 1 700 EUR (mille sept cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel ;

ii. 5 900 EUR (cinq mille neuf cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

iii. 200 EUR (deux cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 mars 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée des juges López Guerra et Silvis.

J.C.M.
S.Q.

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES LÓPEZ GUERRA ET SILVIS

1. D’après les faits de l’espèce, après avoir été relaxé en première instance, le requérant a été condamné pour diffamation par le tribunal départemental qui statuait sur son recours, sans avoir été de nouveau entendu en personne. Cependant, son point de vue aurait été clair pour le tribunal départemental. Appelé à statuer sur le recours, le tribunal départemental disposait des observations du requérant en réponse aux moyens de recours de la partie civile, dans lesquelles l’intéressé soulignait que l’article en cause constituait un pamphlet dont les termes devaient être lus dans le contexte. Le requérant a aussi étayé ses allégations par écrit et expliqué le sens qu’il avait donné aux termes que la partie civile considérait comme injurieux.

En ce qui concerne les griefs du requérant relatifs à l’article 10 de la Convention, nous nous rallions sans réserve à la conclusion de la Cour selon laquelle la condamnation du requérant par le tribunal départemental emporte violation du droit de l’intéressé à la liberté d’expression. Notre opinion dissidente concerne seulement le raisonnement de la Cour et sa conclusion selon laquelle il y a aussi eu violation de l’article 6 de la Convention.

2. Lorsque le tribunal départemental a été amené à connaître de l’affaire en fait et en droit et à étudier dans son ensemble la question de la culpabilité ou de l’innocence, il était tenu de prendre des mesures positives afin de pouvoir accomplir son obligation d’entendre en personne l’inculpé ; même si le tribunal de première instance avait entendu le requérant, cela n’exonérait pas le tribunal départemental de cette obligation (Spînu c. Roumanie, no 32030/02, § 58, 29 avril 2008) ; Mihaiu c. Roumanie, no 42512/02, § 39, 4 novembre 2008, et Dănilă c. Roumanie, no 53897/00, § 41, 8 mars 2007).

3. Une procédure se déroulant en l’absence du prévenu, même au stade d’un recours après une relaxe en première instance, n’étant pas en soi incompatible avec l’article 6 de la Convention, il convient d’examiner en l’espèce, tout comme l’a fait observer la Cour, si les juridictions nationales ont satisfait à leurs obligations positives de prendre des mesures afin d’entendre le requérant. C’est la réponse à cette question qui nous amène à nous écarter de l’avis de nos collègues.

4. En effet, il nous semble que le tribunal départemental a décidé à raison, le 17 juin 2003, après avoir constaté que la procédure avait déjà été ajournée à trois reprises à cause de la non-comparution du requérant –régulièrement cité 18 mars 2003, le 15 avril 2003 et le 20 mai 2003 – et pris en compte toutes les circonstances de l’espèce, que les obligations positives de prendre des mesures afin d’entendre le requérant étaient satisfaites. L’ajournement de la procédure à trois reprises montre objectivement, à notre avis, que le tribunal avait bien tenté d’entendre l’accusé en personne.

5. Il ne faut pas qu’il incombe à l’accusé de prouver qu’il n’entendait pas se dérober à la justice, ni que son absence s’expliquait par un cas de force majeure. En même temps, il est loisible aux autorités nationales d’évaluer si les excuses fournies par l’accusé pour justifier son absence étaient valables ou si les éléments versés au dossier permettaient de conclure que son absence était indépendante de sa volonté (Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, GC, § 88, 1er mars 2006).

6. Il n’est pas contesté que le requérant avait bien informé le tribunal qu’il avait subi une intervention médicale le 21 février 2003 à cause d’une sténose rachidienne dégénérative. Sa demande initiale d’ajournement au motif que son état de santé rendait son déplacement impossible était donc bien fondée. Cependant l’argument du requérant selon lequel aucun avocat de Craiova n’était disposé à se déplacer à Satu Mare et que lui-même ne pouvait pas s’y rendre pour en engager un en raison de son impossibilité de se déplacer, semble beaucoup moins convaincant, surtout compte tenu des moyens de communication généralement disponibles permettant de gérer à distance la représentation par un avocat. Aussi les informations soumises par le requérant, notamment le certificat médical accompagnant sa demande de sursis à l’examen pendant un an, ne pouvaient pas convaincre un tribunal que l’intéressé cherchait sérieusement à assister à la procédure pour être entendu dans le plus court délai, ni d’ailleurs que cela serait possible. La Cour a fait observer que le requérant ne pouvait pas se voir reprocher un manque d’intérêt pour le procès. Bien entendu cela n’exclut pas que le tribunal eût pu à juste titre juger que le requérant faisait montre d’une certaine mauvaise foi quant à sa volonté de comparaître ou d’être représenté devant lui. En principe, la Cour laisse aux tribunaux nationaux la tâche d’apprécier des éléments de cette nature.

7. De plus, l’interprétation du droit interne relève en premier lieu des juridictions nationales. La Cour a noté que, si le tribunal départemental n’entendait pas s’appuyer sur les certificats médicaux fournis par le requérant pour pouvoir juger du bien-fondé de la demande de sursis à l’examen de l’affaire, il aurait pu toutefois ordonner une expertise médico-légale, comme le prévoyait l’article 303 du CPP, pour trancher la demande. Nous doutons que cela fût la voie à suivre. Nous notons que le texte de l’article 303 du CPP ne prévoit pas une ordonnance de ce type dans les circonstances de l’espèce. Nous observons que la Cour a estimé auparavant qu’il n’y avait pas de violation de la Convention quand la juridiction de recours avait utilisé tous les moyens dont elle disposait pour s’assurer de la comparution des requérants aux débats, sans se référer à l’article 303 du CPP (Neculai et Alin Rusu c. Roumanie, no 6246/04, 31 août 2010 (déc.), § 28).


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-117632
Date de la décision : 26/03/2013
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale;Article 6-1 - Délai raisonnable);Violation de l'article 10 - Liberté d'expression-{Générale} (Article 10-1 - Liberté d'expression)

Parties
Demandeurs : NICULESCU-DELLAKEZA
Défendeurs : ROUMANIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : TURCULEANU A. L. ; TURCULEANU I.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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