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05/03/2013 | CEDH | N°001-116968

CEDH | CEDH, AFFAIRE MANOLACHI c. ROUMANIE, 2013, 001-116968


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE MANOLACHI c. ROUMANIE

(Requête no 36605/04)

ARRÊT

STRASBOURG

5 mars 2013

DÉFINITIF

08/07/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Manolachi c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,
Kristina Pardalos,


Johannes Silvis,
Valeriu Griţco, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 février 20...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE MANOLACHI c. ROUMANIE

(Requête no 36605/04)

ARRÊT

STRASBOURG

5 mars 2013

DÉFINITIF

08/07/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Manolachi c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,
Kristina Pardalos,
Johannes Silvis,
Valeriu Griţco, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 février 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 36605/04) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Petrică Manolachi (« le requérant »), a saisi la Cour le 1er septembre 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Mme O. A. Manolachi. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. Răzvan‑Horaţiu Radu, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant allègue en particulier l’iniquité de la procédure pénale à l’issue de laquelle il a été condamné sans que les juridictions d’appel et de recours l’entendent en personne alors qu’il avait été acquitté par la juridiction de premier ressort. Il se plaint en outre qu’aucune suite n’a été donnée à ses allégations de mauvais traitements dont il s’est plaint devant le parquet.

4. Le 4 mars 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

5. A la suite du déport de M. Corneliu Bîrsan, juge élu au titre de la Roumanie (article 28 du règlement de la Cour), le président de la chambre a désigné Mme Kristina Pardalos pour siéger en qualité de juge ad hoc (article 26 § 4 de la Convention et article 29 § 1 du Règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Le requérant est né en 1979 et réside à Valea Lupului.

A. La procédure pénale pour vol avec violences

7. Le 27 avril 2002, le requérant, accusé de complicité de vol avec violences commis le 18 avril 2002, fut interpellé par la police. Il fut d’abord interrogé en présence de son avocat de 7 h à 16 h et nia les faits qui lui étaient reprochés. Ensuite, il fut amené au siège de la police de Iaşi où les policiers lui demandèrent avec insistance, en l’absence de son avocat, de reconnaître qu’il avait participé à l’infraction en question. Il fut ensuite conduit dans plusieurs salles du poste de police. Dans l’une d’entre elle, une femme âgée pointa son doigt dans sa direction en guise de reconnaissance. Selon le requérant, en raison de son refus de reconnaître qu’il avait participé aux faits qui lui étaient reprochés par les policiers, ces derniers se mirent à le frapper. Le Gouvernement nie qu’il ait été frappé.

8. Le 28 avril 2002, un procureur ordonna sa mise en détention provisoire pour une durée de trente jours. Dans la déclaration qu’il fit ce jour-là devant le procureur, il se plaignait d’avoir été frappé le jour d’avant par un policier qu’il aurait pu identifier et demandait à être examiné par un médecin. Il nia toute participation à l’infraction qui lui était reprochée et demanda l’audition de six témoins qui pouvaient confirmer l’avoir vu le 18 avril 2002.

9. Le procureur chargé de l’enquête ne prit aucune mesure pour que le requérant soit examiné par un médecin. Il accepta, par une ordonnance du 20 mai 2002, de procéder à l’audition de deux des témoins à décharge indiqués par le requérant et rejeta sa demande pour le surplus, estimant qu’il ne s’agissait pas de preuves pertinentes.

10. Il ressort des dépositions des deux témoins en question, qui étaient le père et la compagne du requérant, qu’à la date à laquelle avait eu lieu le vol avec violences pour lequel le requérant était poursuivi, soit le 18 avril 2002, celui-ci se trouvait à son domicile.

11. A une date non précisée, la police organisa une reconstitution des faits. Le requérant n’était pas présent. Selon lui, les policiers et le parquet cherchaient à dissimuler les signes de violence sur son corps qu’auraient pu apercevoir les témoins assistant à la reconstitution.

12. Par un réquisitoire du 22 mai 2002, G. et D. furent renvoyé en jugement du chef de vol avec violences et le requérant pour complicité.

13. Le 13 juin 2002, lors de la première audience publique devant le tribunal départemental de Iaşi (« le tribunal »), G. et D. retirèrent leurs déclarations initiales faites devant les policiers, dans lesquelles ils avaient indiqué que le requérant avait participé aux faits qui leur étaient imputés. Ils reconnurent qu’ils étaient les auteurs des faits, mais nièrent toute implication du requérant. G. et D. expliquèrent ce changement d’attitude par la pression et les contraintes physiques exercées sur eux par les policiers lors des premiers interrogatoires, lesquels avaient eu lieu à une heure tardive dans la nuit, à un moment où ils étaient stressés, affamés et où ils n’étaient pas assistés par un avocat. Ils faisaient valoir que leurs dépositions initiales étaient justifiées par le fait que les policiers leur avaient indiqué que la victime avait reconnu le requérant.

14. Lors de la même audience publique, le 13 juin 2002, le requérant réitéra qu’il n’avait pas commis les faits qui lui étaient imputés ; il indiqua qu’il connaissait les coïnculpés G. et D., qui étaient anciens amis qu’il ne voyait ces derniers temps que très rarement.

15. Par un jugement du 19 décembre 2002, le tribunal départemental de Iaşi, acquitta le requérant et ordonna sa remise en liberté. Le tribunal releva que les allégations du requérant selon lesquelles il n’était pas présent sur les lieux de l’infraction étaient crédibles. Le tribunal se fonda sur les déclarations des témoins à décharge entendus devant lui, de celles des témoins ayant assisté à la reconstitution des faits, de celles des coïnculpés G. et D. faites également devant lui ainsi que sur les déclarations de la victime et de son fils relevées par les organes d’enquête. Le tribunal nota plus particulièrement que la reconstitution n’avait pas eu lieu en présence du requérant ; or, il releva que le seul élément qui restait à clarifier en l’espèce était celui de savoir si le requérant avait été ou non présent sur les lieux de l’infraction, puisque les deux autres coïnculpés avaient reconnu les faits qui leur étaient reprochés. Rappelant que la charge de la preuve de la culpabilité de l’accusé incombait aux organes d’enquête et au tribunal, il conclut que la responsabilité du requérant n’avait pas été établie sans équivoque par les preuves qui avaient été versées au dossier. Il acquitta le requérant en rappelant le principe in dubio pro reo.

16. Dans les motifs du jugement du 19 décembre 2002, le tribunal retint, à la suite d’une erreur dactylographique, la date du 17 avril 2002 comme date à laquelle les témoins à décharge avaient déclaré avoir vu le requérant, alors qu’ils avaient indiqué la date du 18 avril 2002 dans leurs dépositions. Le requérant demanda au tribunal la rectification de cette erreur matérielle (voir la procédure sous 2 ci-après).

17. Le parquet interjeta appel contre le jugement du 19 décembre 2002. Dans ses motifs d’appel il soulignait qu’il était inexplicable que le tribunal, pour fonder sa décision d’acquittement, ait pris en compte les déclarations des témoins qui auraient vu le requérant le 17 avril 2002, alors que l’infraction qui lui était reprochée avait eu lieu le 18 avril 2002.

18. L’appel fut enregistré devant la cour d’appel de Iaşi (« la cour d’appel »). Le requérant comparut à toutes les audiences et y fut représenté par des avocats de son choix. Lors de l’audience du 30 octobre 2003, la cour d’appel entendit les plaidoiries de l’avocat, mais n’entendit pas le requérant. En application des règles procédurales, ce dernier put prendre la parole en dernier et clama son innocence. La cour d’appel ne procéda pas à l’audition des témoins qui avaient déposé devant le parquet et la juridiction de premier ressort.

19. Par un arrêt du 4 novembre 2003, la cour d’appel de Iaşi fit droit à l’appel du parquet, annula le jugement rendu par le tribunal de première instance et condamna le requérant à une peine de cinq ans d’emprisonnement pour complicité de vol avec violence. Sans administrer de nouveaux éléments de preuve et se fondant exclusivement sur ceux qui avaient été versés au dossier par les autorités de l’enquête et par le tribunal départemental, la cour d’appel estima que les premiers juges avaient fait une interprétation erronée des éléments de preuve qui avaient été versés au dossier. La cour d’appel écarta notamment les déclarations du père et de la concubine du requérant, aux motifs qu’ils voulaient fournir un alibi au requérant et qu’ils n’avaient pas démontré comment ils s’étaient rappelé exactement la date de l’incident du 18 avril 2002.

20. Le requérant se pourvut en cassation contre ce jugement, alléguant qu’il n’avait pas commis les faits qui lui étaient reprochés.

21. Par un arrêt définitif du 18 mai 2004, la Haute Cour de cassation et de justice (« la Haute Cour ») rejeta le pourvoi en recours et confirma la décision rendue en appel, sans administrer d’autres éléments de preuve. Devant cette juridiction, le requérant était présent et il fut représenté par un avocat. Lors de l’audience publique du 18 mai 2004, l’avocat du requérant plaida pour que la décision d’acquittement soit maintenue, l’estimant correcte et conforme aux preuves du dossier. La Haute Cour ne posa pas de questions au requérant et ne procéda pas à une nouvelle audition des témoins. Le requérant eut la parole en dernier et déclara qu’il n’était pas coupable.

B. Demande de rectification de l’erreur matérielle

22. Par un jugement du 27 octobre 2004, le tribunal rejeta la demande du requérant visant la rectification de l’erreur matérielle qui s’était glissée dans les motifs du jugement du 19 décembre 2002 du tribunal départemental de Iaşi, qui avait retenu la date de 17 avril 2002, au lieu du 18 avril 2002, comme date à laquelle les témoins à décharge auraient vu le requérant à son domicile.

23. Ce jugement fut infirmé par un arrêt du 23 novembre 2004 de la cour d’appel de Iaşi, qui fit droit à la demande du requérant.

24. Le requérant fit recours, demandant l’annulation de la demande d’appel formulée par le parquet contre le jugement du 19 décembre 2002 du tribunal départemental de Iaşi. Il faisait valoir que, s’il n’y avait pas eu l’erreur matérielle qui s’était glissée dans le jugement du 19 décembre 2002, le parquet n’aurait eu aucun argument pour interjeter appel contre cette décision.

25. Les parties n’ont pas précisé quelles ont été les suites de cette procédure.

C. Enquête concernant les allégations de mauvais traitement

26. Le 5 août 2002, les parents du requérant saisirent le parquet militaire de Iaşi d’une plainte contre quatre policiers de la police de Iaşi qu’ils accusaient d’avoir frappé le requérant le 27 avril 2002.

27. Le parquet militaire de Iaşi procéda à l’audition du requérant et de ses parents ainsi que des policiers. Le procès-verbal du 28 avril 2002 dressé lors de l’arrestation du requérant et qui ne faisait état d’aucune trace de violence sur son corps fut également versé au dossier du parquet militaire.

28. Par une ordonnance du 4 septembre 2002, confirmée le 11 septembre 2002, le parquet militaire de Iaşi prononça un non-lieu, au motif que les éléments de preuve versés au dossier ne prouvaient pas que les policiers avaient frappé le requérant.

29. Ni ses parents ni le requérant lui-même n’ont contesté l’ordonnance de non-lieu.

D. Plainte pénale contre le procureur

30. A une date non précisée en 2005, le requérant saisit le parquet près la cour d’appel d’une plainte pénale contre M., le procureur du parquet près le tribunal départemental qui avait rédigé les motifs d’appel du parquet contre le jugement d’acquittement. Le requérant l’accusait d’abus et négligence car son appel était essentiellement fondé sur l’erreur matérielle contenue dans le jugement. Par ordonnances des 25 mars et 3 juin 2005, le parquet près la Haute Cour de cassation et de justice rejeta sa plainte, au motif que M. avait accompli son devoir professionnel et indiqué plusieurs motifs d’appel en dehors de celui soulevé par le requérant.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

31. Le Code de procédure pénale règlementait, à l’époque des faits, à l’article 341, l’exercice par l’inculpé de son droit de prendre la parole en dernier (« ultimul cuvânt al inculpatului ») comme le moment final de la phase de l’enquête judiciaire (« cercetare judecătorească »). Le second paragraphe de cet article disposait plus précisément que :

« Lorsque l’inculpé prend la parole en dernier, on ne peut pas lui poser des questions. Si l’inculpé expose des faits ou des circonstances nouveaux, essentiels pour la solution de l’affaire, le tribunal procède à la réouverture de l’enquête judiciaire ».

32. Les dispositions pertinentes du Code de procédure pénale relatives aux pouvoirs de la juridiction d’appel étaient ainsi libellées à l’époque des faits :

Article 378

« (1) La juridiction qui juge l’appel vérifie la décision contestée sur la base des éléments du dossier et de tout nouveau document écrit présenté devant la juridiction d’appel.

(2) En vue de décider de l’appel, la juridiction peut faire une appréciation nouvelle des éléments de preuve dans le dossier de l’affaire et peut administrer tout nouvel élément de preuve qu’elle estime nécessaire (...) »

Article 379

« La juridiction qui juge l’appel prononce une des décisions suivantes :

(...) 2. fait droit à l’appel et :

a) casse la décision de la juridiction de premier ressort en prononçant une nouvelle décision et procède selon l’article 345 et suiv. sur le jugement au fond (...) »

33. Les dispositions pertinentes du Code de procédure pénale en vigueur à l’époque des faits relatives aux pouvoirs de la juridiction de recours ainsi que les modifications qui ont été apportées en septembre 2006 sont décrites dans l’affaire Găitănaru c. Roumanie (no 26082/05, §§ 17-18, 26 juin 2012).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

34. Le requérant se plaint de l’iniquité de la procédure pénale à l’issue de laquelle il a été condamné après un premier jugement qui l’a acquitté, sans que les juridictions d’appel et de recours n’entendent en personne, ni lui, ni les témoins. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

A. Sur la recevabilité

35. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes, au motif que le requérant n’a pas expressément demandé aux juridictions d’appel et de recours de l’entendre en personne ou d’entendre à nouveau les témoins.

36. Le requérant combat cette thèse. Il fait valoir qu’il a épuisé les voies de recours qui étaient disponibles en droit interne et qu’il revenait à la Haute Cour de cassation et de justice de vérifier à nouveau les éléments du dossier.

37. La Cour considère que l’exception soulevée par le Gouvernement comporte des questions étroitement liées à celles posées par le grief du requérant sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention. Elle estime donc qu’il y a lieu de joindre cette exception au fond (paragraphe 52 ci-dessous).

38. La Cour constate ensuite que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable

B. Sur le fond

39. Le requérant allègue que les juridictions qui l’ont condamné avaient l’obligation légale de l’entendre en personne et que, de plus, elles n’ont ni entendu les témoins ni administré de nouveaux éléments de preuve. Il affirme que ces juridictions ont exploité de manière formaliste l’erreur matérielle qui était apparue dans le jugement de la juridiction de premier ressort pour écarter les dépositions de certains témoins alors qu’elles auraient dû les entendre en personne.

40. Le Gouvernement estime que le requérant a bénéficié, dans l’ensemble, d’un procès équitable car il a été entendu par la juridiction de premier ressort et qu’il a pu déposer devant elle tous les éléments de preuve qu’il avait jugé utiles à sa défense. S’agissant des procédures d’appel et de recours, il fait valoir que le requérant n’a sollicité ni son audition en personne ni celle des témoins, alors qu’il avait bénéficié des conseils d’un avocat. Lors de ces procédures, le requérant a pu soutenir son point de vue dès lors qu’il a pris la parole en dernier. Enfin, le Gouvernement soutient que la condamnation du requérant n’était pas fondée uniquement sur sa déclaration ou sur celles des témoins, mais sur un ensemble d’éléments de preuve.

41. La Cour rappelle les modalités d’application de l’article 6 aux procédures d’appel dépendent des caractéristiques de la procédure dont il s’agit ; il convient de tenir compte de l’ensemble de la procédure interne et du rôle dévolu à la juridiction d’appel dans l’ordre juridique national. Lorsqu’une audience publique a eu lieu en première instance, l’absence de débats publics en appel peut se justifier par les particularités de la procédure en question, eu égard à la nature du système d’appel interne, à l’étendue des pouvoirs de la juridiction d’appel, à la manière dont les intérêts du requérant ont réellement été exposés et protégés devant elle, et notamment à la nature des questions qu’elle avait à trancher (Lacadena Calero c. Espagne, no 23002/07, § 36, 22 novembre 2011).

42. En outre, la Cour a déclaré que lorsqu’une instance d’appel est amenée à connaître d’une affaire en fait et en droit et à étudier dans son ensemble la question de la culpabilité ou de l’innocence, elle ne peut, pour des motifs d’équité du procès, décider de ces questions sans appréciation directe des témoignages présentés en personne par l’accusé qui soutient qu’il n’a pas commis l’acte tenu pour une infraction pénale (Ekbatani c. Suède, 26 mai 1988, § 32, série A no 134 et Constantinescu c. Roumanie, no 28871/95, § 55, CEDH 2000‑VIII).

43. La Cour rappelle qu’elle a d’ores et déjà souligné que, si le droit de l’accusé à parler le dernier revêt une importance certaine, il ne saurait se confondre avec son droit d’être entendu, pendant les débats, par un tribunal (Constantinescu précité, § 58). Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour note, tout d’abord, que si le requérant a pu prendre la parole en dernier devant la cour d’appel de Iaşi et la Haute Cour de cassation et de justice, il n’a pas été formellement entendu par ces juridictions.

44. En effet, il ressort du dossier que le requérant a été condamné sans que ni lui ni les témoins fussent entendus en personne par la cour d’appel de Iaşi et par la Haute Cour. Dès lors, afin de déterminer s’il y a eu violation de l’article 6, il y a lieu d’examiner le rôle des deux juridictions ainsi que la nature des questions dont elles avaient à connaître (Popa et Tănăsescu c. Roumanie, no 19946/04, § 47, 10 avril 2012).

45. Selon les dispositions du Code de procédure pénale en vigueur à l’époque des faits, la juridiction saisie de l’appel n’était pas tenue de rendre un nouveau jugement sur le fond, mais elle avait cette possibilité (paragraphe 32 ci-dessus). En l’espèce, la cour d’appel de Iaşi s’en est prévalue et a annulé la décision d’acquittement du requérant. Les aspects que cette juridiction a dû analyser pour se prononcer sur la culpabilité du requérant avaient, en l’occurrence, un caractère factuel prédominant, ce qui aurait justifié qu’elle entende l’accusé, d’autant plus qu’elle a été la première à le condamner. Or, il ressort des pièces du dossier que le requérant n’a pas été entendu en personne en appel. Il en ressort également que la cour d’appel n’a pas entendu à nouveau les témoins et a utilisé les déclarations que ces derniers avaient faites devant la police et le parquet alors que certains avaient retiré ces déclarations devant le tribunal départemental.

46. S’agissant du rôle de la Haute Cour de cassation et de justice comme juridiction de recours dans une procédure pénale comme celle de l’espèce, la Cour a déjà eu l’occasion de se prononcer sur ce point. Dans les affaires Dănilă c. Roumanie (no 53897/00, § 38, 8 mars 2007) et Găitănaru (arrêt précité, § 30), elle a constaté que la procédure devant la juridiction de recours était une procédure complète qui suivait les mêmes règles qu’une procédure au fond et que la Haute Cour pouvait décider, soit de confirmer l’acquittement du requérant prononcé en premier ressort, soit de le déclarer coupable, après s’être livrée à une appréciation complète de la question de la culpabilité ou de l’innocence de l’intéressé, en administrant le cas échéant de nouveaux moyens de preuve.

47. Ces constats s’imposent également dans la présente affaire, dans la mesure où les aspects que la cour d’appel et la Haute Cour ont dû analyser afin de se prononcer sur la culpabilité du requérant avaient un caractère essentiellement factuel. Il s’agissait de statuer plus précisément sur la présence réelle du requérant sur les lieux de l’infraction le 18 avril 2002. De plus, cet élément factuel était décisif pour la détermination de la culpabilité du requérant (mutatis mutandis, Igual Coll c. Espagne, no 37496/04, § 35, 10 mars 2009).

48. Le requérant a été reconnu coupable sur la base des témoignages mêmes qui avaient suffisamment fait douter le tribunal du bien-fondé de l’accusation à son encontre pour motiver son acquittement (Găitănaru précité, § 34). Dans ces conditions, l’omission de la cour d’appel et de la Haute Cour d’entendre le requérant et les témoins avant de déclarer le requérant coupable a sensiblement réduit les droits de la défense, d’autant plus que l’appel du parquet était motivé par la différence entre la date retenue dans les transcriptions des déclarations des témoins à décharge et la date de l’incident. Or, le requérant avait fait valoir que cette différence était une erreur matérielle, comme la cour d’appel de Iaşi l’a, d’ailleurs, reconnu dans son arrêt du 23 novembre 2004 (paragraphe 23 ci-dessus).

49. La Cour observe que lorsque la cour d’appel et la Haute Cour ont substitué une décision de condamnation à la décision initiale d’acquittement, elles ne disposaient d’aucune donnée nouvelle. La jurisprudence de la Cour souligne à cet égard que la possibilité pour l’accusé de se confronter avec un témoin en la présence du juge appelé à statuer en dernier lieu sur l’accusation est une garantie d’un procès équitable, dans la mesure où les observations du juge en ce qui concerne le comportement et la crédibilité d’un témoin peuvent avoir des conséquences pour l’accusé (voir P.K. c. Finlande (déc.), no 37442/97, 9 juillet 2002 et mutatis mutandis, Pitkänen c. Finlande no 30508/96, §§ 62-65, 9 mars 2004 ainsi que Milan c. Italie (déc.), no 32219/02, 4 décembre 2003).

50. Pour autant que le Gouvernement souligne le fait que le requérant n’a pas demandé son audition ni celle des témoins, la Cour estime que la juridiction de recours était tenue de prendre d’office des mesures positives à cette fin, même si le requérant ne l’avait pas sollicitée expressément en ce sens (Dănilă, § 41 et Găitănaru, § 34, précités). En tout état de cause, la Cour note que l’on ne saurait reprocher au requérant un manque d’intérêt pour son procès (a contrario, Bragadireanu c. Roumanie, no 22088/04, § 110, 6 décembre 2007).

51. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que la condamnation du requérant sans qu’il soit entendu en personne par les juridictions d’appel et de recours et sans que les témoins ne soient non plus entendus, alors que le requérant avait été acquitté en premier ressort ne correspond pas aux exigences d’un procès équitable.

52. Dès lors, la Cour rejette l’exception du Gouvernement (paragraphe 37 ci-dessus) et dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

53. Le requérant dénonce une violation de l’article 3 de la Convention en raison du fait qu’aucune suite n’a été donné à ses allégations de mauvais traitements faites devant le parquet, où il a demandé d’être vu en consultation par un médecin. Il soutient également qu’il a saisi le parquet militaire de Iaşi, qui lui a demandé de fournir un certificat médico-légal à l’appui de ses allégations, bien qu’il ait soutenu que les policiers lui avaient refusé la consultation médicale.

54. Le Gouvernement soulève une exception de non-épuisement des voies de recours interne, au motif que le requérant n’a pas déposé de plainte pénale contre les policiers et fait valoir que le requérant n’a pas formellement été partie à la plainte formée par ses parents. A titre subsidiaire, le Gouvernement soutient que ce grief est tardif, du fait que le requérant n’a pas saisi la Cour dans un délai de six mois à compter de l’ordonnance du 11 septembre 2002 du parquet militaire de Iaşi.

55. Sur le fond, le Gouvernement fait valoir que les parents du requérant ont déposé leur plainte avec retard et que les autorités ont néanmoins réagi en entendant le requérant, ses parents et les policiers et en analysant plusieurs autres éléments de preuve et il conclut que l’enquête a été effective.

56. La Cour note que le requérant n’a pas formé de plainte pénale contre les policiers qu’il accusait de l’avoir frappé dans la nuit du 27 avril 2002 et qu’il n’a pas fourni de justification pour son manque de diligence. La Cour note que lors de son interrogatoire initial, le 27 avril 2002, et ultérieurement pendant la procédure judiciaire, le requérant a eu accès aux conseils de plusieurs avocats de son choix. De même, il a pu former une plainte pénale contre le procureur qui avait rédigé les motifs d’appel contre le jugement d’acquittement.

57. A supposer même que le requérant ait indirectement saisi les autorités par l’intermédiaire de la plainte pénale déposée par ses parents, la Cour note que ce grief est irrecevable pour les raisons qui suivent.

58. La Cour relève que le parquet militaire de Iaşi a rendu une ordonnance de non-lieu le 11 septembre 2002 et qu’à partir du 1er janvier 2004, le Code de procédure pénale prévoyait une nouvelle voie de recours contre les actes du procureur, plus précisément celle introduite par l’article 2781. En vertu de ces modifications législatives, le requérant disposait d’un délai d’une année à partir du 1er janvier 2004 pour contester l’ordonnance de non-lieu du 11 septembre 2002 devant les juridictions. La Cour rappelle avoir déjà conclu au caractère effectif de cette voie de recours, nonobstant le fait qu’elle soit devenue disponible après l’introduction d’une requête devant elle (Stoica c. Roumanie, no 42722/02, §§ 105-109, 4 mars 2008 et Chiriţă c. Roumanie, no 37147/02, § 99, 29 septembre 2009).

59. En l’espèce, le requérant n’a pas allégué qu’il n’avait pas eu connaissance de la décision du parquet militaire de Iaşi ou que lui-même ou ses parents avaient été empêchés pour des raisons objectives de former une contestation devant le juge (a contrario, Chiriţă précité, § 100).

60. De plus, la Cour note que la nouvelle voie de recours est devenue disponible, comme dans les affaires Stoica et Chiriţă précitées, moins de trois ans après la date des incidents ; or une telle période n’est pas suffisamment longue pour altérer sérieusement la capacité des témoins et personnes impliqués dans les incidents à se souvenir des événements en cause (a contrario, Dumitru Popescu c. Roumanie (no 1), no 49234/99, § 56, 26 avril 2007).

61. Au vu de ce qui précède, la Cour estime qu’il y a lieu de déclarer cette partie de la requête irrecevable en vertu de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

62. Le requérant se plaint également d’avoir été maltraité par la police et invoque l’article 3 de la Convention. Sous l’angle de l’article 5 §§ 1 et 3 de la Convention, il se plaint de sa mise en détention provisoire décidée par un procureur et non pas par un magistrat. Il allègue aussi une violation de l’article 7 § 1 de la Convention en raison du fait qu’il a été condamné pour une infraction à laquelle il affirme ne pas avoir participé. Citant enfin les articles 7, 8 et 14 de la Convention, il se plaint que sa condamnation prétendument injuste a porté atteinte à son honneur et à sa dignité, ainsi qu’à celle de sa famille.

63. Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention. La Cour conclut donc que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

64. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

65. Le requérant réclame 1 400 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel qu’il aurait subi en raison de l’impossibilité de finir ses études, d’avoir un contrat de travail en bonne et due forme et de subvenir aux besoins de son enfant mineur ainsi que des tortures et traitements inhumains dont il aurait été victime. De plus, il réclame 1 500 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral que lui-même et sa famille auraient subi.

66. Le Gouvernement estime ces sommes exorbitantes. S’agissant du montant réclamé au titre du préjudice matériel, il fait valoir qu’il n’y a pas de lien de causalité entre le préjudice allégué et l’objet de la présente affaire. S’agissant de la somme sollicitée au titre du préjudice moral, il considère qu’un éventuel arrêt de condamnation pourrait constituer une réparation satisfaisante en lui-même et qu’en tout état de cause les sommes réclamées ne reflètent pas la jurisprudence de la Cour en la matière.

67. La Cour relève que le seul fondement à retenir, pour l’octroi d’une satisfaction équitable, réside en l’espèce dans le fait que le requérant n’a pas bénéficié d’un procès équitable devant la cour d’appel de Iaşi et la Haute Cour de cassation et de justice. Dès lors, elle n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le préjudice matériel allégué par le requérant.

68. En revanche, la Cour considère que le requérant a subi un dommage moral certain et, statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle alloue au requérant la somme de 3 000 EUR au titre du préjudice moral.

69. En outre, la Cour rappelle que lorsqu’un particulier, comme en l’espèce, a été condamné à l’issue d’une procédure entachée de manquements aux exigences de l’article 6 de la Convention, un nouveau procès ou une réouverture de la procédure à la demande de l’intéressé représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée (voir Gençel c. Turquie, no 53431/99, § 27, 23 octobre 2003 et Tahir Duran c. Turquie, no 40997/98, § 23, 29 janvier 2004). A cet égard, elle note que l’article 4081 du Code roumain de procédure pénale permet la révision d’un procès sur le plan interne lorsque la Cour a constaté la violation des droits et libertés fondamentaux d’un requérant (voir, également, Mircea c. Roumanie, no 41250/02, § 98, 29 mars 2007).

B. Frais et dépens

70. Le requérant ne demande pas le remboursement des frais et dépens encourus devant les juridictions internes et la Cour.

71. En l’absence de demande du requérant, la Cour décide de ne lui allouer aucune somme de ce chef.

C. Intérêts moratoires

72. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Joint au fond l’exception préliminaire soulevée par le Gouvernement relative au non-épuisement des voies de recours internes concernant le grief tiré de l’article 6 § 1 et la rejette ;

2. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

4. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 3 000 EUR (trois mille euros), pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, somme à convertir à convertir dans la monnaie de l’Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 mars 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-116968
Date de la décision : 05/03/2013
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale;Article 6-1 - Procès équitable)

Composition du Tribunal
Avocat(s) : MANOLACHI O.-A.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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