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19/02/2013 | CEDH | N°001-116588

CEDH | CEDH, AFFAIRE B. c. ROUMANIE (N° 2), 2013, 001-116588


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE B. c. ROUMANIE (No 2)

(Requête no 1285/03)

ARRÊT

STRASBOURG

19 février 2013

DÉFINITIF

19/05/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire B. c. Roumanie (no 2),

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,
Kristina Parda

los,
Johannes Silvis,
Valeriu Griţco, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 29 janvier...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE B. c. ROUMANIE (No 2)

(Requête no 1285/03)

ARRÊT

STRASBOURG

19 février 2013

DÉFINITIF

19/05/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire B. c. Roumanie (no 2),

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,
Kristina Pardalos,
Johannes Silvis,
Valeriu Griţco, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 29 janvier 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 1285/03) dirigée contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet État, Mme M.B., a saisi la Cour le 4 novembre 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le président de la chambre a décidé d’office la non-divulgation de l’identité de la requérante (article 47 § 3 du règlement).

2. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme Carmen Ciută, du ministère des Affaires étrangères.

3. La requérante allègue en particulier que ses internements psychiatriques et le placement de ses enfants mineurs ont eu lieu de manière abusive.

4. Le 9 novembre 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement. La requête initiale a été complétée par des lettres de la requérante parvenues à la Cour entre fin 2002 et 2010. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

5. A la suite du déport de M. Corneliu Bîrsan, juge élu au titre de la Roumanie (article 28 du règlement), le président de la chambre a désigné Mme Kristina Pardalos pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 26 § 4 de la Convention et 29 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. La requérante, Mme M.B., est une ressortissante roumaine, née en 1958 et résidant à Bacău. A aucun moment elle n’a été représentée par un avocat devant la Cour, ni devant les juridictions internes.

7. Elle est admise depuis 1996 au bénéfice d’une aide sociale, comme personne handicapée inapte pour exercer un travail.

8. Le 14 septembre 2000, elle a été diagnostiquée comme atteinte de « schizophrénie paranoïde ». Depuis cette date, elle figure dans les fichiers de plusieurs établissements psychiatriques.

9. La requérante est la mère de trois enfants, dont deux, C.-L. et C.-I., nés en 1992 et 1994 respectivement, étaient mineurs à l’époque des faits. Elle avait, en outre, une fille aînée majeure.

10. Une lettre du 18 janvier 2011 de l’autorité des tutelles près la mairie de Bacău, adressée à l’agent du Gouvernement roumain auprès de la Cour, précise que « d’après les vérifications dans la base de données de la section de l’autorité des tutelles (Compartimentul Autoritate Tutelară) près la mairie de Bacău, aucune mesure de protection des intérêts de Mme [M.B.] – personne malade ayant un diagnostic de schizophrénie paranoïde – n’a été mise en place (nu s-a instituit) ni par curatelle, ni par tutelle ». Cette lettre ajoute que « de même pour ses deux enfants, aucune curatelle n’a été mise en place afin de les assister ou de protéger leurs intérêts pendant la période d’internement de leur mère ».

A. Les admissions de la requérante à l’hôpital psychiatrique

11. Depuis 2000, la requérante a été conduite à plusieurs reprises, le plus souvent par la police, dans le service psychiatrique de l’hôpital de Bacău et dans le centre psychiatrique de Socola où elle a séjourné. Tel a été le cas pendant les périodes du 14 septembre au 13 octobre 2000, du 1er au 15 mai 2002, du 21 janvier au 17 février 2003, du 12 mai au 2 juin 2004, du 26 octobre au 4 novembre 2005, du 18 au 31 mars, du 21 juillet au 8 août et du 25 août au 13 septembre 2006, et du 8 au 22 octobre 2007.

12. Ainsi, par exemple, par une lettre du 11 janvier 2003, la police d’Izvoru Bereheciului demanda à l’hôpital de Bacău l’admission de la requérante au motif qu’« elle a été trouvée mal nourrie (subnutrită), habitant dans une chambre sans chauffage et sans aucune aide matérielle ». La lettre s’achevait par la phrase suivante : « nous vous saurions gré de prendre des mesures médicales car elle a un comportement antisocial ».

13. La fiche d’admission de la requérante à l’hôpital, en service psychiatrique, du 12 mai 2004, indiquait à la rubrique « type d’internement » que c’était la police qui l’avait déposée en urgence. Une lettre de la police datée du même jour indique comme raison de son transport le fait qu’elle « représentait un danger pour ses voisins du village, car elle avait l’habitude d’allumer du feu dans la cour de sa maison, elle entrait dans les institutions de la commune et, en se manifestant violemment, elle faisait peur aux enfants passant dans la rue ».

14. De même, la fiche de sortie de l’hôpital datée du 8 août 2006 précise que la requérante avait été « réadmise à l’hôpital après y avoir été emmenée par la police (se reinternează adusă de poliţie) », le 21 juillet 2006. Une lettre signée par la requérante, mais non datée, demandant son admission à l’hôpital, fut classée avec sa fiche d’admission du 21 juillet 2006. Cette lettre indiquait qu’en cas de besoin, ses enfants pouvaient être contactés au foyer d’accueil dont elle indiquait l’adresse.

15. La même mention « type d’internement : police » figure sur la fiche d’admission datée du 25 août 2006. Une lettre de la police datée du même jour reprenait les mêmes raisons que celles contenues dans la lettre du 12 mai 2004. Cette lettre ajoutait qu’il paraissait qu’elle avait « aussi été victime d’un viol pendant la nuit du 24 au 25 août 2006 ». Ces faits ont été à l’origine de l’affaire B. c. Roumanie (no 42390/07, 10 janvier 2012).

16. Il ressort des documents envoyés que la requérante est sortie de l’hôpital après des périodes de longueur variable suivant chaque admission.

17. D’après les données fournies par le Gouvernement, au cours de l’année 2008, la requérante a été admise à l’hôpital à quatre reprises et a passé, au total, cinq mois dans le service de psychiatrie pour malades chroniques.

18. En 2009, elle a été admise à l’hôpital à six reprises et a passé, au total, dix mois et demi dans le service de psychiatrie pour malades chroniques de l’hôpital de Buhuşi. En, 2010, elle a également été internée à sept reprises, ayant passé, au total, plus de onze mois à l’hôpital.

19. La requérante estime qu’elle a été « définitivement internée » par les autorités. Elle n’a pas indiqué à la Cour si elle a contesté ces mesures en vertu de la loi nº 487/2002 sur la santé mentale et la protection des personnes présentant des troubles psychiques.

20. Dans une lettre du 31 janvier 2011, adressée à l’agent du Gouvernement roumain, le directeur de l’hôpital de Buhuşi assura que la requérante était hospitalisée dans de bonnes conditions. Les autres parties pertinentes de cette lettre se lisent ainsi :

« En réponse à votre lettre no 319 du 21 janvier 2011, relative au cas [M.B.] nous revenons avec les précisions suivantes : (...)

[M.B.] est une patiente chronique internée dans des cliniques de psychiatrie depuis 2000 ; elle présente des idées délirantes de persécution et de préjudice.

Elle a le droit d’être informée, pour preuve sa correspondance qu’elle entretient depuis des années avec la CEDH.

Pour nous, il est surprenant que ses accusations à caractère bizarre, délirant, incohérent, l’œuvre d’une malade psychique chronique, soient prises en compte, nous obligeant en permanence à des réponses et lettres officielles de plusieurs dizaines de pages, au total, incluant des documents d’archives et un travail soutenu afin d’infirmer ses mensonges flagrants.

(...) [M.B.] n’est pas une victime de l’État roumain mais de la maladie dont elle souffre. »

B. Le placement des deux enfants mineurs de la requérante

21. A partir de 2000 les deux enfants mineurs n’habitaient plus avec la requérante et avaient été placés, à cause de sa maladie, dans un centre d’accueil pour les enfants abandonnés, par décision de la commission pour la protection de l’enfant de Bacău.

1. Les procédures de placement

22. Deux articles publiés les 9 et 12 septembre 2000 dans le quotidien local Deşteptarea décrivaient les conditions insalubres dans lesquelles vivaient la requérante et ses deux enfants mineurs.

23. Le lendemain de la parution de ces articles, les autorités furent informées que les deux enfants étaient nourris « avec de l’herbe, des châtaignes, des feuilles de plantain et des champignons ramassés dans les parcs publics ». De plus, leur mère avait refusé de les inscrire à l’école.

24. Le 12 septembre 2000, poussée par les assistants sociaux, ainsi qu’il ressort du rapport du 13 septembre 2000, la mère de la requérante, et grand-mère des enfants, sollicita l’aide des services sociaux (Direcţia Generală de Asistenţă Socială şi Protecţia Copilului – ci-après « la DGASPC ») de Bacău afin de faire admettre la requérante dans un hôpital spécialisé, en raison de sa maladie psychique et de son comportement violent. La grand‑mère des enfants précisa que les deux enfants n’étaient pas scolarisés, se trouvaient parfois sans nourriture, ni surveillance et exprima son accord pour leur placement dans un centre d’accueil. A l’époque des faits, les enfants avaient huit et six ans respectivement.

25. Le même jour, quatre fonctionnaires des services d’assistance sociale, dont deux de la DGASPC et deux d’un centre d’accueil pour enfants, accompagnés par un policier, se déplacèrent au domicile de la requérante. Dans le rapport du 13 septembre 2000 rédigé à la suite de cette visite, il était indiqué que la maladie de la requérante « était évidente », ainsi que le manque de nourriture dans la maison et les conditions de vie inadéquates, comme l’absence de chauffage et d’électricité. Ledit rapport proposa le placement d’urgence des enfants dans le centre d’accueil, au motif que « leur mère représentait un danger pour eux ».

26. Le service social recueillit les déclarations de trois voisins de la requérante qui décrivirent les conditions déplorables dans lesquelles les deux enfants vivaient avec leur mère.

27. Le jour même, les assistants sociaux ramenèrent les enfants au centre d’accueil, après avoir obtenu l’accord écrit de leur grand-mère.

28. Deux enquêtes psychosociales furent conduites. Les rapports en découlant exposaient la situation familiale, sociale, matérielle et affective des enfants, soulignant le danger dans lequel ils se trouvaient. Les rapports précisaient que depuis le 15 septembre 2000, la requérante avait été internée dans un hôpital psychiatrique.

29. Par les décisions nos 978 et 979 du 26 septembre 2000, la commission pour la protection de l’enfant de Bacău ordonna le placement des enfants dans un centre d’accueil dénommé « Les tulipes » (Centrul Lalelelor).

30. La requérante ne forma pas de recours contre ces arrêtés.

31. Par les décisions nos 1374 et 1375 du 5 décembre 2000 de la même commission, les mineurs furent transférés dans le centre d’accueil dénommé « Le pré aux fleurs » (Poiana Florilor) de Humeiuş.

32. La requérante ne forma pas de recours contre cette décision.

2. Le maintien du placement des enfants

33. Saisi par la Direction départementale de Bacău pour l’assistance sociale et la protection de l’enfant, le tribunal départemental de Bacău ordonna par jugements des 14 décembre 2005 et 27 janvier 2006 que le placement des enfants se poursuive. Par ces jugements, il fut décidé de déléguer l’exercice des droits parentaux au directeur du centre.

34. La requérante n’était pas présente, ni représentée devant le tribunal.

35. Les enfants furent entendus par le tribunal en présence d’un assistant social du centre d’accueil.

36. Le tribunal constata qu’en septembre 2000, les enfants avaient été trouvés dans la maison de leur mère dans un état de misère, sans lumière et sans nourriture et qu’ils n’étaient pas scolarisés. Il ajouta ensuite que la grand‑mère maternelle était trop âgée pour les prendre en charge. Le tribunal estima que cette mesure était dans l’intérêt des enfants, tout en notant que depuis leur placement ils recevaient régulièrement la visite de leur mère.

37. La requérante ne forma pas de pourvoi en recours contre ces jugements.

38. Par la suite, elle adressa en vain plusieurs demandes à diverses autorités afin de récupérer la garde de ses enfants.

39. Par deux jugements du 17 août 2007 du tribunal départemental de Bacău, les deux enfants furent transférés au centre d’accueil dénommé « SOS Village d’enfants » (SOS Satul Copiilor) de Humeiuş, à la suite d’une réorganisation des centres d’accueil. Le tribunal justifia cette mesure de placement par le fait que les deux enfants avaient été abusés émotionnellement par leur mère au moment de leur placement initial le 12 septembre 2000.

40. La requérante ne forma pas de recours contre ces jugements.

41. Il ressort des rapports communiqués par la direction d’assistance sociale et de protection de l’enfant et de ceux rédigés périodiquement par les délégués de la mairie d’Izvorul Berheciului que les enfants ont été souvent visités par leur mère.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. La législation relative à la protection des personnes atteintes de troubles psychiques et la pratique interne pertinente

42. La législation en vigueur à la date de l’introduction de la présente requête et la pratique interne pertinente relative à la protection des personnes atteintes de troubles psychiques sont, en partie, décrites dans les arrêts C.B. c. Roumanie (no 21207/03, § 37, 20 avril 2010), Parascineti c. Roumanie, (no 32060/05, §§ 25 et 29, 13 mars 2012) et Cristian Teodorescu c. Roumanie (no 22883/05, §§ 30-40, 19 juin 2012).

1. La loi sur la santé mentale dans sa version initiale

43. L’internement psychiatrique est régi par les dispositions de la loi no 487 du 11 juillet 2002 sur la santé mentale et la protection des personnes ayant des troubles psychiques (« la loi no 487/2002 »), publiée au Journal Officiel no 589 du 8 août 2002. Cette loi fait la distinction entre l’internement volontaire et l’internement d’office d’une personne.

44. Les articles 12 et 13 de cette loi prévoient que l’évaluation de l’état de santé mentale d’une personne, dans le but d’établir un diagnostic ou de déterminer si l’intéressé a du discernement, a lieu par le biais d’un examen direct, par un médecin psychiatre, à la demande de la personne en cause lors d’un internement volontaire ou à la demande d’une autorité ou d’une personne habilitée dans le cas d’un internement d’office.

45. En vertu de l’article 29 de ladite loi, le médecin psychiatre est tenu d’obtenir le consentement de l’intéressé pour le traitement et de respecter le droit de ce dernier d’être assisté lorsqu’il exprime son consentement (dreptul acestuia de a fi asistat în acordarea consimţământului). Le consentement peut être retiré à tout moment par le patient ou par son représentant (article 30). Lorsque le médecin soupçonne l’existence d’un conflit d’intérêts entre le patient et son représentant, il doit saisir le parquet afin de démarrer la procédure de désignation d’un représentant légal (article 31).

46. Lors de son internement, chaque personne doit être informée dès que possible sur ses droits et doit bénéficier d’explications qu’elle puisse comprendre sur les modalités d’exercice de ses droits. Si la personne n’est pas en mesure de comprendre ces informations, c’est son représentant légal ou personnel qui doit en être informé (article 38).

47. S’agissant de l’internement volontaire, tout patient concerné a le droit de quitter l’hôpital psychiatrique sur simple demande et à tout moment (article 43). La procédure précitée relative à l’internement psychiatrique d’office s’applique aussi dans le cas où une personne qui avait initialement donné son accord pour l’internement le retire par la suite (article 55).

48. La loi prévoit, dans ses articles 44 à 53, les hypothèses dans lesquelles l’internement d’office est autorisé, à la suite d’un examen psychiatrique, ainsi que la procédure pour sa mise en œuvre (demande motivée de la part de la famille, de la police ou du médecin traitant, entre autres ; notification de la décision prise par le médecin au malade, à son représentant et à sa famille, ainsi qu’au parquet et à une commission médicale, pour confirmation).

49. La décision relative à l’internement d’office est susceptible d’un recours judiciaire « auprès du tribunal compétent selon la loi », formé par le malade ou par son représentant (article 54).

50. Les autorités, et notamment le ministère de la Santé, devaient prendre les mesures nécessaires pour la mise en application de la loi (article 63), ce que le ministère en cause a fait par les normes d’application du 10 avril 2006. Ces normes prévoyaient, entre autres, la désignation dans un délai de trente jours des hôpitaux habilités à procéder à des internements d’office (article 27). Elles prévoyaient aussi l’obligation pour le médecin d’informer le patient, sa famille et son représentant du droit de contester la décision d’internement et de la procédure applicable (article 28), et fournissaient les formulaires types pour la notification de la décision, telle qu’exigée par la loi no 487/2002.

2. Les modifications apportées à la loi sur la santé mentale

51. La loi no 487/2002 a été modifiée par la loi no 600/2004, publiée au Journal Officiel no 1228 du 21 décembre 2004, puis par la loi no 129/2012, publiée au Journal Officiel no 487 du 17 juillet 2012.

52. La loi no 129/2012 ajoute un nouvel article 381 régissant le droit de toute personne intéressée, ayant conservé tous ses droits, de désigner un représentant conventionnel à titre gratuit afin de se faire assister ou représenter pendant toute la durée du traitement psychiatrique.

Cette nouvelle disposition prévoit que si le patient n’a pas de représentant légal et qu’il n’a pas pu désigner un représentant conventionnel en raison de son incapacité psychique, l’hôpital est tenu de le notifier aussitôt (de îndată) à l’autorité de tutelle du domicile de l’intéressé, ou lorsque son domicile est inconnu, à celle de la commune où se trouve l’hôpital, afin que les mesures de protection juridique puissent être mises en place.

3. L’arrêté du ministre de la Santé du 10 avril 2006 sur l’application de la loi sur la santé mentale no 487/2002

53. Cet arrêté, entré en vigueur le 2 mai 2006, régit la procédure d’application de la loi sur la santé mentale no 487/2002. L’article 29 prévoit que la demande d’internement d’office doit être faite par l’une des personnes ou des autorités habilitées par l’article 47 de la loi no 487/2002 au moment où elle se présente à l’hôpital ; cette demande doit être formulée par écrit et signée par le demandeur, qui doit indiquer les raisons qui, selon lui, la justifient.

54. L’article 28 indique que le psychiatre, qui considère que les conditions de l’internement obligatoire sont remplies, est tenu d’informer la personne concernée de son droit de contester la décision prise à son égard, en lui indiquant les démarches à suivre.

55. L’article 33 prévoit l’obligation des hôpitaux psychiatriques de tenir un registre destiné exclusivement aux informations relatives aux personnes internées contre leur gré, registre qui doit contenir toutes les décisions prises à leur égard. L’article 34 prévoit les conditions de forme que le médecin qui prend une décision d’internement d’office et la commission qui la valide sont tenus de respecter pour notifier leurs décisions au parquet.

4. La loi sur la protection des personnes atteintes d’un handicap

56. La loi no 448/2006 sur la sauvegarde des droits des personnes atteintes d’un handicap (legea privind protecţia şi promovarea drepturilor persoanelor cu handicap) a été publiée au Journal Officiel no 1006 du 18 décembre 2006. Elle a été par la suite modifiée et sa version refondue a été publiée au Journal Officiel no 1 du 3 janvier 2008.

57. En vertu de l’article 25 de la version refondue de cette loi, les personnes atteintes d’un handicap bénéficient d’une protection contre la négligence et les abus, sans distinction aucune fondée sur l’endroit où elles se trouvent. Si une personne est dans l’incapacité totale ou partielle d’administrer ses biens, elle bénéficie d’une protection juridique sous la forme de la tutelle ou de la curatelle et aussi d’assistance juridique.

Si la personne atteinte d’un handicap n’a pas de parents et qu’il n’y a personne qui puisse accepter de prendre en charge sa tutelle, le tribunal pourra nommer comme tuteur l’autorité de l’administration publique locale ou la personne morale de droit privé qui prodige des soins à l’intéressé.

5. Les rapports des organisations non-gouvernementales au sujet de l’application de la loi sur la santé mentale

58. Un rapport sur le respect des droits des personnes internées dans les hôpitaux psychiatriques établi en octobre 2009 par une organisation non gouvernementale, le Centre de ressources juridiques (Centrul de Resurse Juridice - CRJ), nota que les autorités n’avaient toujours pas désigné les hôpitaux habilités à procéder à des internements d’office, ce qui – ajouté à la connaissance précaire par le personnel médical des procédures précitées – rendait l’application effective de la loi no 487/2002 difficile et divergente (pour la partie pertinente du rapport voir l’arrêt Parascineti (précité, § 30)).

59. En réponse à un mémorandum d’Amnesty International, publié le 4 mai 2004, au sujet de la méconnaissance, selon cette organisation, des standards internationaux en matière de placement et des conditions d’internement psychiatrique en Roumanie, le gouvernement roumain a contesté, par un communiqué de presse diffusé le jour même, l’idée que la loi no 487/2002 ne serait pas applicable avant l’adoption des normes d’application. Selon le Gouvernement, plusieurs procédures dans lesquelles les intéressés contestaient une mesure d’internement d’office auraient d’ailleurs été pendantes à l’époque devant les tribunaux internes.

60. Le même mémorandum indique que lors d’une visite faite en novembre 2003, un représentant d’Amnesty International, qui avait visité un pavillon fermé pour les hommes de l’hôpital psychiatrique Obregia de Bucarest, a recueilli des informations selon lesquelles beaucoup de ceux qui avaient été amenés à l’hôpital avaient initialement refusé l’internement, mais avaient, par la suite, été « persuadés » que c’était dans leur intérêt, afin qu’ils signent un formulaire de consentement au traitement. Ainsi, vingt hommes retenus dans le pavillon fermé étaient considérés comme des « internements volontaires ». Certains s’étaient plaints de ce qu’ils souhaitaient quitter l’hôpital, mais que cela ne leur était pas permis.

B. Le code de la famille et le nouveau code civil

1. Dispositions sur l’autorité parentale et l’autorité de tutelle

61. Les dispositions pertinentes du code de la famille, en vigueur à l’époque des faits et jusqu’au 1er octobre 2011 (date d’entrée en vigueur du nouveau code civil), concernant les attributions générales de l’autorité de tutelle en ce qui concerne les enfants sont décrites dans l’affaire Amanalachioai c. Roumanie (no 4023/04, §§ 54‑56, 26 mai 2009).

62. Les dispositions pertinentes du code de la famille, en vigueur à l’époque des faits, étaient ainsi libellées :

Article 97 § 2

« Les parents exercent leurs droits parentaux dans l’intérêt de l’enfant. »

Article 98

« Les mesures concernant la personne de l’enfant et ses biens sont prises par les parents, d’un commun accord.

(...) »

Article 100 §§ 1 et 3

« L’enfant mineur habite chez ses parents (...).

En cas de mésentente entre les parents, le tribunal, après avoir entendu l’autorité de tutelle et l’enfant, s’il a atteint l’âge de dix ans, décide, en tenant compte de l’intérêt de l’enfant. »

Article 103

« Les parents ont le droit de demander que leur enfant leur soit remis par toute personne le gardant sans en avoir le droit.

Les tribunaux rejettent la demande de retour si elle est contraire aux intérêts de l’enfant. Celui-ci est entendu après l’âge de dix ans. »

Article 108

« L’autorité de tutelle [autoritatea tutelară] doit exercer un contrôle effectif et continu sur la manière dont les parents s’acquittent de leurs obligations concernant la personne et les biens de l’enfant.

Les délégués de l’autorité de tutelle ont le droit de rendre visite aux enfants chez eux et de se renseigner par tous les moyens sur la manière dont les personnes qui en ont la charge s’occupent d’eux, sur leur santé et leur développement physique, leur éducation (...) ; au besoin, ils donnent les instructions nécessaires. »

63. L’autorité de tutelle peut être aidée dans son travail par des collectifs de soutien. Ces collectifs sont composés de députés, enseignants, juristes, responsables de la croix rouge, etc.

64. Les Directions départementales pour la protection des droits de l’enfant sont des institutions publiques au niveau départemental, avec personnalité morale, sous l’autorité du conseil départemental. Le rôle de ces institutions est d’assurer aux enfants en difficulté la protection et l’assistance nécessaires pour bénéficier de leurs droits et de leur fournir soutien et conseils pour prévenir les situations qui mettent en danger la sécurité et le développement de l’enfant.

2. Dispositions sur l’interdiction civile, la tutelle et la curatelle

65. Les dispositions du code de la famille concernant les personnes mises sous interdiction civile, en vigueur à l’époque des faits, peuvent se lire comme suit.

Article 142

« Celui qui n’a pas le discernement afin de faire valoir ses intérêts, en raison de son aliénation mentale ou de sa débilité mentale, sera mis sous interdiction. (...) »

Article 149

« Le tuteur a l’obligation de prendre soin de celui qui est mis sous interdiction afin d’accélérer sa récupération et d’améliorer ses conditions de vie (...) ».

L’autorité de tutelle, en accord avec le service de santé publique compétent et en fonction des circonstances, devra décider si la personne incapable sera soignée à son domicile ou dans une institution médicale. »

Article 152

« En dehors des autres situations prévues par la loi, l’autorité de tutelle doit nommer un curateur dans les cas suivants :

(...)

(b) Lorsqu’en raison de sa maladie ou pour d’autres motifs une personne même capable n’est pas en mesure, ni personnellement, ni par le biais d’un représentant, de prendre des mesures nécessaires dans des situations qui réclament l’urgence. »

3. Dispositions du nouveau code civil sur l’interdiction civile, la tutelle et la curatelle

66. Le nouveau code civil a été publié au Journal officiel no 511 du 24 juillet 2009, puis republié au Journal officiel no 505 du 15 juillet 2011. Il est entré en vigueur le 1er octobre 2011.

Le titre III du nouveau code civil régit, entre autres, les mesures de protection des majeurs qui sont dans l’impossibilité de pourvoir seuls à leurs intérêts.

L’article 164 reprend, pour l’essentiel, l’ancien article 142 du code de la famille. Il est statué que « celui qui n’a pas le discernement afin de faire valoir ses intérêts, en raison de son aliénation mentale ou de sa débilité mentale, sera mis sous interdiction par décision de justice (interdicţie judecătorească) ».

L’article 170 statue que le juge des tutelles (instanţa de tutelă) doit désigner un tuteur par la décision de justice ordonnant l’interdiction.

L’article 178 régit la curatelle qui doit être instituée entre autres si, en raison de la maladie, une personne, quoique capable, n’est pas en mesure de défendre ses intérêts de manière adéquate et, pour des raisons objectives, elle n’est pas en mesure de désigner elle-même un représentant.

C. Autres dispositions pertinentes au sujet du placement des enfants

67. Le règlement d’urgence du Gouvernement no 26 du 9 juin 1997 sur la protection de l’enfant en difficulté a été publié au Journal officiel du 12 juin 1997. Il a été abrogé et remplacé par la loi no 272/2004, publiée au Journal officiel du 23 juin 2004. Les dispositions du règlement d’urgence, en vigueur à l’époque du placement initial des deux enfants mineurs de la requérante, se lisaient ainsi :

Article 7

« Afin d’assurer le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant en difficulté, la Commission pour la protection de l’enfant peut ordonner :

(...)

e) le placement de l’enfant auprès d’un service public de protection spécialisé ou auprès d’un établissement privé agréé. »

Article 8

« Si l’enfant a été déclaré abandonné par décision judiciaire définitive (...) les droits parentaux sont exercés par le conseil départemental, par le biais de la Commission pour la protection de l’enfant. »

68. Selon l’article 14 de l’ordonnance d’urgence précitée, les autorités sont obligées de favoriser le maintien des relations familiales, dans la mesure où celles-ci étaient dans l’intérêt supérieur des enfants.

69. Conformément à l’article 14 de l’ordonnance, les parents gardent les droits et obligations parentaux pendant toute la durée du placement, sauf ceux qui sont incompatibles avec la mesure de protection.

EN DROIT

I. OBSERVATION PRÉLIMINAIRE

70. S’agissant des vingt-deux lettres de la requérante envoyées à la Cour entre décembre 2002 et décembre 2010, le Gouvernement estime qu’elles ont un contenu incohérent et ne soulèvent aucun grief substantiel relatif aux dispositions de la Convention. A ce titre, il relève, par exemple, que, dans la lettre reçue par la Cour le 2 décembre 2002, la requérante « s’est plainte du vol de ses inventions » et « du fait que les autorités l’aient internée de force dans un hôpital psychiatrique, la rendant incapable de prendre soin de ses enfants ».

71. La Cour rappelle qu’un grief se caractérise par les faits qu’il dénonce et non par les simples moyens ou arguments de droit invoqués (voir Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 44, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I). En vertu du principe jura novit curia, elle a étudié d’office plus d’un grief sous l’angle d’un article ou paragraphe que n’avaient pas invoqué les comparants.

72. En l’espèce, elle considère que les griefs de la requérante, qui ont été dûment accompagnés par les documents pertinents relatifs à son internement et au placement de ses enfants, sont suffisamment clairs pour être examinés. Le fait que ces griefs ont été présentés par la requérante en même temps que d’autres plus confus n’enlève rien à leur sérieux.

73. Dès lors, la Cour considère qu’elle a été régulièrement saisie par la requérante, en vertu de l’article 34 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 3, 5 § 1 ET 8 DE LA CONVENTION S’AGISSANT DES INTERNEMENTS

74. La requérante se plaint de ses internements psychiatriques prétendument abusifs. A cet égard, elle invoque, en substance, les articles 3, 5 § 1 et 8 de la Convention.

75. Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, la Cour estime approprié d’examiner les griefs soulevés par la requérante sous l’angle de l’article 8 de la Convention, lequel exige également que le processus décisionnel portant sur la vie privée soit équitable et respecte, comme il se doit, les intérêts protégés par cette disposition (voir, mutatis mutandis, Saleck Bardi c. Espagne, no 66167/09, § 31, 24 mai 2011).

L’article 8 de la Convention est ainsi libellé :

Article 8

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A. Sur la recevabilité

76. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes, en faisant valoir que la requérante n’a pas porté plainte contre les mesures d’internement prises à son encontre.

77. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, l’article 35 § 1 de la Convention impose aux requérants l’épuisement des recours normalement disponibles et suffisants dans l’ordre juridique interne pour leur permettre d’obtenir réparation des violations qu’ils allèguent. Cependant, elle souligne qu’elle doit appliquer cette règle en tenant dûment compte du contexte, avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif. Cela signifie notamment que la Cour doit analyser de manière réaliste non seulement les recours prévus en théorie dans le système juridique de la Partie contractante concernée, mais également la situation personnelle du requérant (Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 77, CEDH 1999-V, mutatis mutandis, Storck c. Allemagne, (déc.) no 61603/00, 26 octobre 2004, Rupa c. Roumanie (no 2), no 37971/02, § 36, 19 juillet 2011, et V.D. c. Roumanie, no 7078/02, § 87, 16 février 2010).

78. Ainsi, la Cour a déjà jugé, lors de l’examen de l’épuisement des voies de recours internes par des mineurs et par des personnes atteintes de handicap mental, qu’il convient de prendre en compte la vulnérabilité de ces personnes, notamment leur incapacité, dans certains cas, à se plaindre de manière cohérente (A.M.M. c. Roumanie, no 2151/10, § 59, 14 février 2012).

79. La Cour considère que les arguments à l’appui de l’exception soulevée par le Gouvernement posent des questions juridiques étroitement liées au fond du grief, qu’elle ne peut dissocier de l’examen dudit grief. Aussi la Cour estime-t-elle qu’il convient de l’examiner au regard de la disposition normative de la Convention applicable en l’espèce (A.M.M. c. Roumanie, précité § 44).

80. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Les arguments des parties

81. La requérante estime abusifs ses internement psychiatriques réalisés par la police alors qu’elle demandait protection contre divers actes illégaux qu’elle dénonçait de la part de tiers, comme, par exemple, la tentative de viol du 24 août 2006. A cet égard, elle considère que les autorités l’internaient pour l’empêcher de se plaindre, au lieu de lui offrir un redressement à ses griefs.

82. Citant les affaires Nielsen c. Danemark (28 novembre 1988, §§ 70 et 72, série A no 144) et H.M. c. Suisse (no 39187/98, § 48, CEDH 2002‑II), le Gouvernement estime qu’en l’espèce il ne s’agit pas de privation de liberté.

83. Il indique, en outre, que les internements psychiatriques de la requérante ont eu un caractère volontaire, car elle avait donné son accord. Ceux-ci étaient nécessaires pour soigner sa maladie psychique chronique. A cet égard il renvoie à la déclaration signée par la requérante, mais non datée, demandant son internement, qui fut classée avec sa fiche d’admission à l’hôpital du 21 juillet 2006, ainsi qu’au formulaire de consentement éclairé signé lors de cet internement à l’hôpital de Socola.

84. De même, le Gouvernement souligne les bonnes intentions des autorités, en indiquant que les internements de la requérante ont été réalisés en urgence, étaient justifiés tant par son comportement violent que par la nécessité de la protéger d’elle-même. Il fait valoir que la requérante a été chaque fois soumise à des examens spécialisés et a reçu les soins médicaux appropriés.

2. L’appréciation de la Cour

a) Principes découlant de la jurisprudence

85. S’appuyant sur sa jurisprudence constante, la Cour rappelle que l’article 8 met à la charge de l’État l’obligation positive d’adopter des mesures raisonnables et adéquates pour protéger le droit des individus au respect de la vie privée, qui comprend le droit à l’intégrité physique et psychique (Storck, précité, § 149, et Tysiąc c. Pologne, no 5410/03, §§ 110‑113, CEDH 2007‑I).

86. Dans le cas des personnes vulnérables, dont font partie les personnes handicapées, les autorités doivent faire preuve d’une attention particulière et doivent leur assurer une protection accrue en raison de leur capacité ou de leur volonté de se plaindre qui se trouvent souvent affaiblies (voir, mutatis mutandis, M.B. c. Roumanie, no 43982/06, § 52, 3 novembre 2011, et A.M.M. c. Roumanie, précité, § 56).

87. De même, la Cour a statué que les autorités nationales, notamment les juridictions, se doivent d’interpréter les dispositions du droit interne applicables en matière d’internement psychiatrique et, plus généralement, d’intégrité de la personne dans l’esprit du droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 (Storck, précité, § 47).

88. De surcroît, l’article 8 impose aux autorités de ménager un juste équilibre entre les intérêts d’une personne atteinte d’affections psychiques et les autres intérêts légitimes concernés. Elles doivent en règle générale, pour une question aussi complexe que celle consistant à déterminer les capacités mentales d’un individu, jouir d’une large marge d’appréciation. En effet, les autorités nationales bénéficient de rapports directs avec les intéressés et sont donc particulièrement bien placées pour trancher ces questions. La Cour a pour tâche, quant à elle, d’apprécier sous l’angle de la Convention les décisions qu’elles ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation. La marge d’appréciation laissée aux autorités nationales compétentes variera selon la nature des questions en litige et l’importance des intérêts en jeu (Elsholz c. Allemagne [GC], no 25735/94, § 49, CEDH 2000-VIII). Il faut exercer un contrôle plus rigoureux sur les restrictions particulièrement graves prononcées dans le domaine de la vie privée (Chtoukatourov c. Russie, no 44009/05, §§ 87-88, CEDH 2008).

89. En outre, la Cour rappelle que, si l’article 8 ne renferme aucune condition explicite de procédure, le processus décisionnel lié aux mesures d’ingérence doit être équitable et propre à respecter comme il se doit les intérêts protégés par cette disposition. Ainsi, l’étendue de la marge d’appréciation de l’État dépend de la qualité du processus décisionnel : si la procédure a été gravement déficiente pour une raison ou pour une autre, les conclusions des autorités internes sont plus sujettes à caution (voir, mutatis mutandis, Sahin c. Allemagne, no 30943/96, §§ 46 et suivants, 11 octobre 2001, et Chtoukatourov, précité, § 89).

90. Dans la plupart des affaires concernant des « aliénés » dont la Cour a été saisie précédemment, la procédure interne portant sur l’internement des intéressés a été examinée sous l’angle de l’article 5 de la Convention. Par conséquent, pour déterminer si la procédure d’internement en l’espèce a été conforme à l’article 8 de la Convention, la Cour s’appuiera, mutatis mutandis, sur sa jurisprudence relative à l’article 5 § 1 e) de la Convention (voir, mutatis mutandis, Chtoukatourov, précité, § 66).

91. La Cour note, à cet égard, que dans son récent arrêt Cristian Teodorescu (précité, § 65), elle a relevé plusieurs lacunes de la loi roumaine sur la santé mentale (no 487/2002), applicable également en l’espèce. La Cour a statué que cette loi ne contenait à l’époque des faits aucune exigence quant à la forme que devait revêtir la notification d’une décision d’internement d’office prise en vertu de l’article 49 de la loi à la personne concernée ou à son représentant. De même, la Cour a constaté que la loi n’impartissait aucun délai à la commission de contrôle pour informer l’intéressé et son représentant de la décision qu’elle avait prise.

92. La Cour a, de ce fait, jugé que de telles lacunes faisaient courir à celui à l’égard de qui une décision d’internement forcée a été prise un risque réel d’être empêché de se prévaloir des voies de recours prévues par la loi no 487/2002, tel un recours fondé sur l’article 54 de la loi. Elle en a aussi conclu qu’il n’était pas surprenant, vu la manière dont cette loi est libellée, qu’aucun recours fondé sur cette disposition n’ait encore été introduit devant les tribunaux nationaux à partir du 8 août 2002, date d’entrée en vigueur de la loi dix ans auparavant.

b) Application de ces principes en l’espèce

93. En l’espèce, la Cour observe qu’à partir de 2000, la requérante a fait l’objet de nombreuses admissions en hôpital ou service psychiatrique, la plupart du temps à la demande de la police.

Ainsi, lors d’une de ses admissions en service psychiatrique de l’hôpital de Bacău, le 11 janvier 2003, la police demanda à l’hôpital l’internement de la requérante au motif qu’elle avait été « trouvée mal nourrie, habitant dans une chambre sans chauffage et sans aucune aide matérielle », en indiquant seulement de manière brève et dépourvue de détails factuels qu’elle avait « un comportement antisocial ».

Ces éléments factuels plaident en faveur du caractère forcé de ses internements, au moins pour ce qui est de la période allant de 2003 à 2007.

94. Or, s’agissant de la procédure ayant conduit en l’espèce aux internements répétés de la requérante, bien que la loi no 487/2002 prévoit que la décision d’internement d’office doit être confirmée par une commission médicale composée de trois médecins différents de celui qui a décidé de l’internement et ensuite transmise au parquet, à l’intéressée et à son représentant, aucun élément n’a été produit par les parties qui attesterait que cette procédure a véritablement été respectée en l’espèce.

95. En outre, la Cour constate l’absence de tout élément pouvant indiquer que la décision d’internement prise à l’égard de la requérante ait été communiquée à l’intéressée ou à un membre de son entourage, selon les formalités requises par la loi, y compris dans le respect du droit du patient d’être assisté lorsqu’il exprime son consentement, notamment s’il n’est pas en mesure de comprendre les informations qu’on lui donne. Cela dénote l’incertitude qui entourait les internements de la requérante et leur caractère ambigu (voir, mutatis mutandis, Cristian Teodorescu, précité, § 64).

Qui plus est, ces omissions apparaissent dans le contexte des défaillances signalées dès 2003 et jusqu’au moins en 2009 par les rapports de deux organisations non-gouvernementales agissant tant au niveau national qu’international (paragraphes 58 et 60 ci-dessus).

96. La Cour observe à cet égard qu’en dépit du fait que la loi sur la protection des personnes atteintes d’un handicap prévoyait l’obligation de mettre en place à leur profit une protection juridique sous forme de tutelle ou de curatelle (paragraphes 57 et 65 ci-dessus), aucune mesure de protection de ce type n’a été prise à l’égard de la requérante. Cela malgré le fait que l’état de santé de la requérante, qui était admise depuis 1996 au bénéfice d’une aide sociale, comme personne handicapée inapte pour exercer un travail, était connu des autorités bien avant le début des internements.

La situation de vulnérabilité de la requérante avait d’ailleurs été constatée et portée à la connaissance des tribunaux nationaux par de nombreux rapports des services d’assistance sociale ayant pris en charge la situation de ses enfants mineurs (voir, par exemple, le paragraphe 25 ci‑dessus). Or, ni les services sociaux, ni les tribunaux n’en tirèrent aucune conséquence de ces constats sur le plan de la protection juridique de la requérante elle-même.

97. Ce fut précisément ce manquement des autorités qui a contribué, en l’espèce, à rendre illusoires les garanties mises en place par la loi sur la santé mentale, notamment le droit de l’intéressé d’être assisté lorsqu’il exprime son consentement (paragraphe 45 ci-dessus). Il en est de même s’agissant de l’obligation de notification de la mesure d’internement au représentant légal (paragraphe 48 ci-dessus) ainsi que de l’obligation d’information du représentant légal au sujet des circonstances justifiant la prise de la mesure d’internement (paragraphe 46 ci-dessus).

98. La Cour note que les récentes modifications apportées à la loi sur la santé mentale par la loi no 129/2012 prévoient que si le patient n’a pas de représentant légal et qu’il n’a pas pu désigner un représentant conventionnel en raison de son incapacité psychique, l’hôpital est tenu de le notifier aussitôt à l’autorité de tutelle du domicile de l’intéressé, ou lorsque son domicile est inconnu, à celle de la commune où se trouve l’hôpital, afin que les mesures de protection juridique puissent être mises en place. Toutefois, ces nouvelles dispositions n’ont pas eu d’incidence sur la situation de la requérante.

99. Pour ces raisons, il convient de rejeter l’exception de non‑épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement.

100. En dépit de la bonne volonté des autorités, mise en avant par le Gouvernement, la Cour considère que les dispositions du droit interne régissant les internements psychiatriques et la protection des personnes se trouvant dans l’impossibilité de pourvoir seules à leurs intérêts n’ont pas été appliquées à la requérante dans l’esprit de son droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8. Ce faisant, les autorités nationales ont failli à leur obligation de prendre des mesures adéquates à la défense des intérêts de la requérante.

101. Dès lors, la Cour conclut qu’il y a eu, en l’espèce, violation de l’article 8 de la Convention, de ce chef.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION S’AGISSANT DU PLACEMENT DES ENFANTS

102. La requérante se plaint du placement de ses deux enfants, mineurs à l’époque des faits, dans des centres d’accueil. A cet égard, elle invoque, en substance, l’article 8 de la Convention, précité.

A. Sur la recevabilité

103. Le Gouvernement excipe de la tardiveté du grief concernant le placement de ses enfants, en raison du fait que la requête a été introduite le 4 novembre 2002, alors que le placement des enfants remontait au 26 septembre 2000.

104. La Cour observe que le processus décisionnel portant sur le placement des enfants mineurs de la requérante ayant commencé par la décision de l’autorité administrative du 26 septembre 2000 s’est poursuivi durant plusieurs années après cette date, par le biais de plusieurs décisions de justice, notamment celles des 14 décembre 2005 et 27 janvier 2006. Partant, le grief ne saurait pas être considéré comme tardif.

105. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Les arguments des parties

106. La requérante allègue que ses deux enfants mineurs à l’époque des faits lui ont été retirés et placés dans des centres d’accueil, en raison de la pauvreté dans laquelle vivait la famille. Elle considère que leurs droits ont été méconnus et dénonce l’absence de mesures de protection adéquates. Elle invoque, en substance, son droit à la vie privée et familiale, tel que prévu par l’article 8.

107. Selon le Gouvernement, la mesure du placement des deux enfants mineurs de la requérante a été prise à la demande d’un membre de la famille, à savoir la grand-mère des enfants, et était justifiée par le fait que la requérante ne pouvait pas correctement prendre soin d’eux. Cette mesure avait un caractère provisoire, demeurant en place jusqu’au moment où la mère pourrait prouver qu’elle était capable de prendre soin de ses enfants. Le Gouvernement indique également qu’à la suite de cette mesure, la requérante n’a pas perdu son droit de maintenir des relations personnelles avec ses enfants. Ainsi, il ressort des rapports communiqués par la direction d’assistance sociale et de protection de l’enfant et de ceux rédigés périodiquement par les délégués de la mairie d’Izvorul Berheciului, que les enfants ont eu souvent la visite de leur mère, une vie familiale entre eux étant, de ce fait, maintenue.

2. L’appréciation de la Cour

a) Principes découlant de la jurisprudence

108. La Cour rappelle les principes découlant de sa jurisprudence constante selon lesquels pour un parent et son enfant, être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale. En outre, le placement de l’enfant à l’assistance publique ne met pas fin aux relations familiales naturelles. Les décisions prises par l’autorité responsable aboutissant au placement d’un enfant dans un centre d’accueil s’analysent en des ingérences dans le droit du requérant au respect de sa vie familiale (W. c. Royaume-Uni, 8 juillet 1987, § 59, série A no 121).

109. D’après la jurisprudence constante de la Cour, pareille ingérence méconnaît l’article 8 sauf si, prévue par la loi, elle poursuivait un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 et était nécessaire, dans une société démocratique, pour les atteindre. La notion de nécessité implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux et notamment proportionnée au but légitime recherché. Si l’article 8 tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il peut engendrer de surcroît des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie familiale. Pour se prononcer sur la nécessité d’une ingérence dans une société démocratique ou sur l’existence d’un manquement à une obligation positive, la Cour tient compte de la marge d’appréciation laissée aux États contractants (voir, par exemple, W. c. Royaume-Uni, précité, § 60).

110. Cela étant, les procédures applicables au règlement de questions relatives à la vie familiale doivent témoigner du respect pour celle-ci; en particulier, les parents ont normalement le droit d’être entendus et pleinement informés à ce sujet, encore que des restrictions puissent, dans certaines circonstances, se justifier sous l’angle de l’article 8 § 2.

111. La Cour admet que les autorités responsables se trouvent devant une tâche difficile à l’extrême quand elles se prononcent dans un domaine aussi délicat. Leur prescrire dans chaque cas une procédure rigide ne ferait qu’ajouter à leurs problèmes. Il faut donc leur réserver un certain pouvoir d’appréciation à cet égard. D’un autre côté, l’examen de cet aspect de l’affaire doit se fonder sur une donnée primordiale: les décisions risquent fort de se révéler irréversibles. Il s’agit donc d’une matière qui appelle encore plus que de coutume une protection contre les ingérences arbitraires (W. c. Royaume-Uni, précité, § 62).

112. Sans doute l’article 8 ne renferme-t-il aucune condition explicite de procédure, mais cela n’est pas déterminant. A l’évidence, le processus décisionnel de l’autorité responsable ne saurait manquer d’influer sur le fond de la décision, notamment en assurant qu’elle repose sur les considérations pertinentes et soit impartiale, donc non entachée d’arbitraire, même en apparence. Partant, la Cour peut y avoir égard pour dire s’il a joué d’une manière qui, au total, était équitable et respectait comme il se doit les intérêts protégés par l’article 8.

Les vues et intérêts des parents figurent nécessairement parmi les éléments à peser par l’autorité responsable pour arrêter ses décisions concernant un enfant qu’elle assiste. Le processus décisionnel doit donc être propre à garantir que ces éléments seront pris en compte (W. c. Royaume‑Uni, précité, §§ 62-63).

113. Comme la Cour l’a également accepté, il arrive inévitablement que la participation des parents au processus décisionnel se révèle irréalisable ou dénuée de sens, par exemple en raison de l’impossibilité de les joindre, d’une incapacité physique ou mentale ou d’une urgence extrême. En outre, les décisions en la matière, quoique souvent adoptées à la lumière d’examens périodiques ou de réunions ad hoc, peuvent également se dégager d’un contrôle continu opéré par des agents de l’autorité responsable. Enfin, des contacts réguliers entre les travailleurs sociaux responsables et les parents fournissent fréquemment un bon moyen de signaler à celle-ci l’opinion des seconds.

Il échet dès lors de déterminer, en fonction des circonstances de chaque espèce et notamment de la gravité des mesures à prendre, si les parents ont pu jouer dans le processus décisionnel, considéré comme un tout, un rôle assez grand pour leur accorder la protection requise de leurs intérêts. Dans la négative, il y a manquement au respect de leur vie familiale et l’ingérence résultant de la décision ne saurait passer pour « nécessaire » au sens de l’article 8.

114. Enfin, la Cour rappelle une fois de plus que les autorités doivent faire preuve d’une attention particulière dans le cas des personnes vulnérables et doivent leur assurer une protection accrue en raison de leur capacité ou de leur volonté de se plaindre qui se trouvent souvent affaiblies (paragraphe 86 ci-dessus).

b) Application en l’espèce de ces principes

115. La requérante ne prétend pas que les décisions des autorités ordonnant le placement de ses deux enfants mineurs ne reposaient pas sur une disposition de la loi ou ne poursuivaient pas un but légitime. Le dossier ne révèle aucune inobservation de la première de ces exigences telle que l’interprète la jurisprudence de la Cour. Il n’en ressort pas non plus que les mesures prises ne visaient pas un but légitime : la protection de la santé ou des droits et libertés d’autrui.

La question qui se pose en l’occurrence est celle de savoir si les procédures suivies se conciliaient avec le droit de la requérante au respect de sa vie familiale ou constituaient des ingérences dans l’exercice de ce droit, lesquelles ne pouvaient passer pour « nécessaires dans une société démocratique ».

116. La Cour constate que la requérante souffrait, à l’époque des faits, comme à présent, d’une sévère pathologie psychique, étant considérée comme une personne invalide depuis 1996 et ayant subi de très nombreux internements psychiatriques. A cet égard, elle note qu’aucune mesure de protection spéciale, notamment par la désignation d’un avocat commis d’office lors des procédures de placement ou par la nomination d’un curateur, n’a été prise à son égard (voir aussi l’arrêt B. c. Roumanie, no 42390/07, § 42, 10 janvier 2012, qui concerne la même requérante).

117. Or, c’est en raison de ce manquement déjà constaté par la Cour (paragraphe 96 ci-dessus) que la requérante n’a pas été en mesure de participer effectivemment à la procédure concernant le placement de ses enfants, ni d’y voir ses intérêts représentés.

118. La Cour observe également que le placement des enfants décidé par une autorité administrative, en 2000, se poursuivit en vertu des jugements des 14 décembre 2005 et 27 janvier 2006 du tribunal départemental de Bacău. Le tribunal fonda ses décisions sur les constats remontant à septembre 2000, selon lesquels les enfants avaient été trouvés dans la maison de leur mère dans la misère, sans lumière et sans nourriture et qu’ils n’étaient pas scolarisés. Le tribunal estima que cette mesure était dans l’intérêt des enfants, tout en notant qu’ils recevaient régulièrement la visite de leur mère.

Par la suite, le foyer d’accueil des enfants fut changé par des décisions de justice du 17 août 2007 (paragraphe 39 ci-dessus). Il s’ensuit qu’avec les décisions des 14 décembre 2005 et 27 janvier 2006, ce furent les deux seules occasions auxquelles l’examen de la situation familiale de la requérante et de ses deux enfants mineurs fut réalisé par un tribunal, sur une période de dix ans, pour sa fille, et de douze ans, pour son fils, respectivement, jusqu’au moment où les enfants attinrent leur majorité. À ces deux occasions, les décisions des tribunaux furent exclusivement motivées par la situation dans laquelle la requérante et ses enfants se trouvaient en septembre 2000.

La Cour constate l’impossibilité manifeste dans laquelle se trouvait la requérante de participer au processus décisionnel concernant ses enfants mineurs, qui avait été mise en avant par les autorités responsables lors du placement initial des enfants. Par ailleurs, le dossier ne relève aucun indice quant au maintien des contacts réguliers entre les travailleurs sociaux responsables et la requérante, qui auraient pu fournir un bon moyen de signaler aux autorités l’opinion de cette dernière.

119. Pour ces raisons, la Cour estime que le processus décisionnel ayant maintenu le placement des deux enfants mineurs de la requérante n’a pas été conduit dans le respect de ses droits tels que garantis par l’article 8 de la Convention.

120. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention également de ce chef.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

121. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage moral

122. La Cour rappelle d’abord sa jurisprudence bien établie selon laquelle un arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation juridique au regard de la Convention de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci. Les États contractants parties à une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt constatant une violation. Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l’État défendeur de la réaliser. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de la violation, l’article 41 habilite la Cour à accorder, s’il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée (Sfrijan c. Roumanie, no 20366/04, § 44, 22 novembre 2007, et Association « 21 Décembre 1989 » et autres c. Roumanie, nos 33810/07 et 18817/08, §§ 201-202, 24 mai 2011).

123. Dans la présente affaire, la Cour rappelle qu’elle a conclu à la double violation de l’article 8 de la Convention, en raison de l’absence de protection juridique adéquate de la requérante lors de ses internements psychiatriques et lors des procédures ayant abouti au maintien du placement de ses enfants. Dès lors, il est dans l’intérêt de la requérante que les autorités nationales compétentes prennent l’initiative pour assurer à la requérante une protection juridique adéquate qui soit conforme aux exigences de la Convention (voir, mutatis mutandis, Amanalachioai c. Roumanie, no 4023/04, § 107, 26 mai 2009).

124. Tout en se remettant à la sagesse de la Cour à cet égard, la requérante expose ses prétentions à la hauteur de 200 000 000 euros (EUR), au titre du dommage moral qu’elle a subi du fait de « son évolution à elle et de celle de ses enfants, volées et détruites ».

125. Le Gouvernement s’oppose à ces prétentions.

126. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour octroie à la requérante 10 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral encouru.

B. Frais et dépens

127. La requérante n’a présenté et étayé aucune demande de remboursement des frais et dépens.

C. Intérêts moratoires

128. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Joint au fond l’exception de non-épuisement des voies de recours internes et la rejette ;

2. Déclare la requête recevable ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention s’agissant des internements de la requérante ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention s’agissant du placement des enfants mineurs de la requérante ;

5. Dit

a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 février 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident


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