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10/01/2013 | CEDH | N°001-115859

CEDH | CEDH, AFFAIRE SWENNEN c. BELGIQUE, 2013, 001-115859


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE SWENNEN c. BELGIQUE

(Requête no 53448/10)

ARRÊT

STRASBOURG

10 janvier 2013

DÉFINITIF

10/04/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Swennen c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ann Power-Forde,
André Poto

cki,
Paul Lemmens,
Helena Jäderblom, juges,
et de Claudia Werterdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 décembr...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE SWENNEN c. BELGIQUE

(Requête no 53448/10)

ARRÊT

STRASBOURG

10 janvier 2013

DÉFINITIF

10/04/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Swennen c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ann Power-Forde,
André Potocki,
Paul Lemmens,
Helena Jäderblom, juges,
et de Claudia Werterdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 décembre 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 53448/10) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Maurice Swennen (« le requérant »), a saisi la Cour le 30 juin 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me P. Verpoorten, avocat à Herentals. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. M. Tysebaert, conseiller général, service public fédéral de la Justice.

3. Le requérant allègue en particulier que son maintien en détention dans un lieu inapproprié à son état emporte violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

4. Le 5 mai 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1948 et est actuellement interné à l’annexe psychiatrique de la prison de Merksplas.

6. Le 29 avril 1992, le requérant fut condamné à une peine d’emprisonnement de huit ans par la cour d’assises du Limbourg pour viol de deux enfants mineurs. Il bénéficia d’une libération conditionnelle en 1996 mais ne respecta pas les conditions mises à sa libération et retourna à la prison d’Anvers.

7. Le 28 juin 1999, quelques mois avant la fin de sa peine, le ministre de la Justice prit une décision d’internement en application de l’article 21 de la loi de défense sociale du 9 avril 1930 (paragraphe 29) rédigée en ces termes :

(traduction)

« (...) Vu l’attestation médicale du 26 avril 1999 ;

Vu l’avis conforme de la commission de défense sociale attachée au service psychiatrique de la prison de Anvers ;

Décide :

Que le détenu, Maurice Swennen (...) sera interné dans un établissement de défense sociale.

Dans cet établissement, sera effectuée la mise en œuvre de la peine suivante :

Cour d’assises – 29 avril 1992 – 8 ans de détention (...)

Cette peine est prévue sous réserve de modification ultérieure à l’échéance du 10 janvier 2000. »

8. Le 27 juillet 1999, constatant que l’état de santé du requérant ne s’était pas suffisamment amélioré et qu’un reclassement présentant suffisamment de garanties pour protéger la société du danger n’était pas possible, la commission de défense sociale (« CDS ») d’Anvers ordonna le placement du requérant à l’annexe psychiatrique de la prison de Merksplas.

9. L’internement fut prolongé à plusieurs reprises par des décisions de la CDS formulées dans des termes identiques. La CDS ajouta, dans ses décisions prises à partir de mars 2001, que dès que le requérant pourrait présenter un certificat attestant de son admission dans une institution psychiatrique, il pourrait refaire une demande de comparution devant la commission.

10. Le 2 juillet 2003, le requérant bénéficia d’une autorisation de sortie durant laquelle il fuit aux Pays-Bas. Il y fut rattrapé quelques mois plus tard et réintégra l’annexe psychiatrique de la prison de Merksplas.

11. Le 12 janvier 2004, un rapport du service psychosocial de la prison soulignait que le requérant était une personne peu fiable, manipulatrice et malhonnête qui ne semblait pas comprendre la problématique de ses troubles. Il rapporta que durant sa fuite, le requérant s’était occupé d’un enfant mineur « comme d’un père ». Le rapport concluait que le risque de récidive demeurait élevé.

12. Le 5 juillet 2004, le service psychosocial de la prison fit état de ce que le requérant refusait toute médication, que, selon lui, sa place n’était pas dans un établissement psychiatrique et qu’il souhaitait bénéficier d’un traitement ambulatoire et tenter sa chance aux Pays-Bas.

13. Le 14 juillet 2004, la CDS d’Anvers confirma le maintien de l’internement tout en précisant à nouveau que, dès qu’il pourrait présenter un certificat attestant de son admission dans une institution psychiatrique spécialisée dans le traitement des délinquants sexuels, le requérant pourrait refaire une demande de comparution. Cette décision fut confirmée à plusieurs reprises entre 2005 et 2008.

14. Entre-temps, dès 2002, la prison prit contact avec des établissements du type de celui mentionné par la CDS dont certains plusieurs fois. Ces établissements refusèrent tous de donner une suite positive à la demande d’admission du requérant. Les hôpitaux psychiatriques Broeders Alexianen à Boechout et Sint-Hiëronymus à Sint-Niklaas motivèrent leur refus par leur absence d’expertise nécessaire pour ce type de malade. L’établissement spécialisé FIDES à Beernem considéra que les chances de succès d’une thérapie étaient trop faibles. L’hôpital psychiatrique Sint-Lucia à Sint-Niklaas dit ne pas disposer des garanties suffisantes pour assurer la sécurité. L’hôpital psychiatrique Ziekeren à Sint-Truiden invoqua l’incompatibilité entre le rôle d’expert psychiatre qui avait rédigé l’avis ayant conduit à l’internement du requérant et son rôle de psychiatre traitant au sein de l’établissement.

15. Plusieurs rapports de suivi du service psychosocial de la prison établis entre 2005 et 2008 par des psychologues, sur la base d’un examen du dossier et d’un entretien avec le requérant, concluaient que tant qu’un établissement spécialisé n’avait pas été trouvé, le maintien du requérant dans un encadrement sécuritaire était une absolue nécessité. Se référant au souhait du requérant de faire l’objet d’une prise en charge ambulatoire, notamment auprès d’un sexologue, ils considéraient que cette piste n’était pas une option en raison du manque de fiabilité du requérant et du risque élevé de récidive. Ils conseillaient donc le maintien en annexe psychiatrique ainsi que le refus d’autorisation de sorties.

16. Le 3 avril 2008, invoquant l’article 5 § 1 de la Convention, le requérant assigna le ministre de la Justice devant le Président du tribunal de première instance de Turnhout afin d’obtenir, sous peine d’astreinte, son transfert dans un établissement du type de celui désigné par la CDS. Accessoirement, et dans l’attente, le requérant demandait à bénéficier d’une thérapie à Merksplas comportant la désignation d’un psychiatre et d’un infirmier psychiatrique, d’un suivi à raison de deux heures deux fois par semaine et de la mise en œuvre de toutes les activités thérapeutiques que les professionnels considèreraient comme nécessaires à son état pour une durée d’un an.

17. Après avoir à nouveau souligné la personnalité narcissique du requérant et son caractère antisocial avec une agressivité passive, le psychiatre de la prison fit rapport le 8 août 2008 en ces termes :

(traduction)

« L’intéressé bénéficie des services d’un nouveau psychologue vu la manière bizarre et menaçante avec laquelle il a mis fin au contact avec le précédent professionnel. Il n’est non pas plus question d’une augmentation des contacts avec son nouveau psychologue. La problématique centrale ainsi que l’indisponibilité thérapeutique demeurent inchangés : l’intéressé est une personne pédophile récidiviste et peu motivée en vue d’un traitement.

Maintenant il demande des permissions de sortie pour aller chez un sexologue extérieur à la prison avec l’objectif compréhensible d’avoir une perspective. Les trois établissements spécialisés ont tous les trois refusé. La question se pose donc de ce qu’un sexologue ambulant pourrait apporter quand par ailleurs les institutions spécialisées ont refusé. (...) C’est pourquoi nous sommes toujours d’avis qu’il faut maintenir [son internement] dans l’attente de la désignation d’un centre spécialisé et dans l’attente de la construction à venir d’un établissement de haute sécurité à Gand et à Anvers ».

18. Le 9 septembre 2008, la CDS décida de commencer une pré-thérapie. Celle-ci fut organisée, sous la forme de cours par correspondance, auprès du centre I.T.E.R. spécialisé dans l’encadrement thérapeutique des auteurs de faits de mœurs.

19. Par ordonnance du 20 novembre 2008, le Président du tribunal de première instance rejeta la demande en référé du requérant au motif qu’il était lui-même à l’origine de l’urgence de la situation en s’étant opposé longtemps à l’intégration dans un établissement spécialisé et en persistant à croire qu’un traitement ambulatoire serait plus approprié. Le président refusa également de donner suite à la demande du requérant de visiter les lieux au motif qu’une telle visite sur les lieux n’aurait pas apporté d’informations substantielles utiles à la solution du litige.

20. L’appel formé par le requérant contre l’ordonnance fut rejeté par la cour d’appel d’Anvers le 2 septembre 2009.

21. Entre-temps, le 4 mars 2009, la CDS confirma à nouveau le maintien du requérant à Merksplas jusqu’à ce qu’il obtienne son admission dans un établissement spécialisé. La pré-thérapie fut prolongée et le requérant bénéficia d’une autorisation de sortie. La même décision fut prise le 15 septembre 2009.

22. Dans un rapport du 15 septembre 2009, une psychiatre de la prison résumait la situation du requérant en rappelant qu’il était un danger pour la société en tant que pédophile présentant un taux élevé de risque de récidive, qu’il était impulsif et difficile dans ses rapports humains et qu’il avait refusé des médicaments visant à faire baisser sa libido.

23. En novembre 2009, plusieurs institutions psychiatriques spécialisées dans le traitement des délinquants sexuels furent à nouveau contactées par la prison de Merksplas pour prendre en charge le requérant. Ces demandes se heurtèrent de nouveau à des refus.

24. Le 30 décembre 2009, la demande d’assistance judiciaire introduite par le requérant en vue de former un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel fut rejetée au motif que celui-ci n’avait aucune chance raisonnable de succès.

25. Selon un rapport psychosocial établi le 14 mars 2011 par une psychologue de la prison, le requérant avait arrêté sa pré-thérapie en avril 2010 après avoir effectué cinq cours sur vingt. Le requérant avait invoqué le fait qu’il était « trop occupé » pour poursuivre. Le rapport décrivait les troubles du requérant en ces termes :

(traduction)

« Les contacts sont très difficiles. Il est très gentil et poli, jusqu’à ce qu’il ait le sentiment qu’il ne peut pas influencer ou jusqu’à ce qu’il ait le sentiment que vous n’entrez pas dans son histoire. Puis il rompt tout contact (...). C’est une belle illustration de sa personnalité, caractérisée par une tendance à la manipulation, de son attitude d’opposition persistante et de sympathie feinte. Dans le passé, nous avions recommandé de le placer dans un établissement spécialisé (...) eu égard à sa déviance sexuelle et son trouble pédophile. En outre, une part importante du risque de récidive tient à sa personnalité telle que décrite ci-dessus. »

Le rapport conclut au risque important de récidive et à la nécessité de le maintenir en internement dans l’attente de l’évaluation des risques en cours.

26. Par décision du 5 avril 2011, la CDS prolongea le maintien du requérant à Merksplas jusqu’à ce qu’un établissement spécialisé soit trouvé et accorda au requérant une autorisation de sortie mensuelle avec interdiction absolue d’entrer en contact avec des mineurs.

27. Dans un courriel du 28 juin 2011, la directrice attachée de la prison fit état de ce que le centre médical privé Sint-Joseph à Munsterbilzen, contacté par le requérant, avait donné son accord de principe en mars 2011 pour la prise en charge du requérant et que, dans cet objectif, un dépistage en vue de réduire sa libido devait être effectué. Dans ses observations, le Gouvernement indique que cet accord aurait déjà été obtenu courant 2009.

28. D’après un « bilan des soins » établi en juin 2011, le requérant avait bénéficié entre 2005 et 2011 de douze consultations auprès du psychiatre de la prison.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

29. Les dispositions applicables en l’espèce figurent dans la loi du 9 avril 1930 de défense sociale à l’égard des anormaux, des délinquants d’habitude et des auteurs de certains délits sexuels (« loi de défense sociale »).

30. Cette loi doit être remplacée par la loi du 21 avril 2007 relative à l’internement des personnes atteintes d’un trouble mental, qui n’est toutefois pas encore entrée en vigueur, mais devrait l’être, au plus tard, le 1er janvier 2013.

A. Décision et durée de l’internement

31. La loi de défense sociale prévoit deux types de mesures à l’égard des inculpés qui se trouvent dans un état prévu par l’article 1er de la loi, « soit en état de démence, soit dans un état grave de déséquilibre mental ou de débilité mentale [les] rendant incapable[s] du contrôle de [leurs] actions ». La première mesure est la mise en observation qui a pour but d’établir un diagnostic sur leur état mental et dont il n’est pas question en l’espèce. La deuxième est la mesure de « défense sociale » à durée indéterminée, ou d’internement, qui se substitue à la peine.

32. L’internement est, dans ce cas, décidé par une juridiction :

Article 7

« Les juridictions d’instruction, à moins qu’il ne s’agisse d’un crime ou d’un délit politique ou de presse, et les juridictions de jugement peuvent ordonner l’internement de l’inculpé qui a commis un fait qualifié crime ou délit et qui est dans un des états prévus à l’article premier. (...) »

33. L’internement peut également concerner les personnes condamnées qui développent un trouble mental au cours de leur détention :

Article 21

« Les condamnés pour crimes et délits qui, au cours de leur détention, sont reconnus en état de démence ou dans un état grave de déséquilibre mental ou de débilité mentale les rendant incapables du contrôle de leurs actions, peuvent être internés en vertu d’une décision du Ministre de la Justice rendue sur avis conforme de la commission de défense sociale.

(...)

Si, avant l’expiration de la durée prévue pour la peine, l’état mental du condamné est suffisamment amélioré pour ne plus nécessiter son internement, la commission le constate et le Ministre de la Justice ordonne le retour du condamné au centre pénitentiaire où il se trouvait antérieurement détenu.

(...) »

B. Les instances de défense sociale

34. Les commissions de défense sociale (« CDS ») sont responsables de la mise en œuvre de l’internement :

Article 12

« Il est institué auprès de chaque annexe psychiatrique une commission de défense sociale.

Les commissions de défense sociale sont composées de trois membres : un magistrat effectif ou honoraire qui en est le président, un avocat et un médecin.

Les membres des commissions sont nommés pour trois ans ; ils ont chacun un ou plusieurs suppléants. (...) »

Article 13

« Il est institué également une commission supérieure de défense sociale composée de trois membres : un magistrat effectif ou honoraire de la Cour de cassation ou d’une Cour d’appel, qui en est le président, un avocat et le médecin directeur du service d’anthropologie pénitentiaire. (...) »

35. Les CDS décident du lieu d’internement :

Article 14

« L’internement a lieu dans l’établissement désigné par la commission de défense sociale.

Celui-ci est choisi parmi les établissements organisés par le gouvernement. La commission peut toutefois, pour des raisons thérapeutiques et par décision spécialement motivée, ordonner le placement et le maintien dans un établissement approprié quant aux mesures de sécurité et aux soins à donner. (...) »

Article 15

« La commission peut d’office ou à la demande du Ministre de la Justice, du procureur du Roi, de l’interné ou de son avocat ordonner le transfèrement de l’interné dans un autre établissement.

La demande de l’interné ou de son avocat ne peut être représentée qu’après l’expiration d’un délai de six mois.

La commission peut admettre l’interné à un régime de semi-liberté dont les conditions et modalités sont fixées par le Ministre de la Justice. »

Article 17

« En cas d’urgence, le président de la commission peut ordonner à titre provisoire le transfèrement dans un autre établissement. Sa décision est soumise à la commission qui statue lors de sa plus prochaine séance.

Dans le même cas, et pour des raisons de sécurité, le Ministre de la Justice peut également ordonner, à titre provisoire, le transfèrement de l’intéressé dans un autre établissement. Il en informe immédiatement la commission. »

36. Les décisions des instances de défense sociale visées aux articles 14 à 17 de la loi de défense sociale ne sont pas susceptibles d’un pourvoi en cassation car elles sont considérées comme une modalité d’exécution de l’internement (parmi d’autres : Cass., 2 juin 2009, P.09.0586.N et P.09.0735.N).

37. La loi n’accorde pas aux CDS le pouvoir d’imposer l’acceptation des internés par l’établissement approprié qu’elles ont désigné. La Cour constitutionnelle, saisie d’une question préjudicielle sur la compatibilité de cette situation avec l’article 5 § 1 de la Convention, s’est prononcée en ces termes dans un arrêt no 142/2009 du 17 septembre 2009 :

« B.7.3. Lorsque la juridiction compétente a jugé qu’une personne internée doit être accueillie dans un établissement approprié, il appartient aux autorités compétentes de faire en sorte que cette personne puisse y être accueillie (CEDH, Johnson c. Royaume-Uni, 24 octobre 1997 ; Brand c. Pays-Bas, 11 mai 2004 ; Morsink c. Pays-Bas, 11 mai 2004). Si, lorsque l’établissement désigné par la commission de défense sociale ne peut accueillir la personne internée, un équilibre raisonnable doit être recherché entre les intérêts des autorités et ceux de l’intéressé, un tel équilibre est rompu lorsque celui-ci est laissé indéfiniment dans un établissement que la juridiction compétente a jugé inadapté pour permettre son reclassement.

B.7.4. Cette atteinte au droit [à la liberté et à la sûreté] ne provient cependant pas de la disposition législative sur laquelle la Cour est interrogée. Elle est due à l’insuffisance de places disponibles dans les établissements dans lesquels la mesure ordonnée par le juge a quo pourrait être exécutée.

B.8. Une telle situation concerne l’application de la loi. Sa sanction relève des cours et tribunaux et échappe par conséquent à la compétence de la Cour, de telle sorte que la question préjudicielle appelle une réponse négative. »

38. Sauf dans l’hypothèse, visée par l’article 21, où la peine n’a pas été purgée, les CDS sont compétentes pour ordonner la mise en liberté des internés :

Article 18

« La commission [de défense sociale] se tient informée de l’état de l’interné et peut à cet effet se rendre au lieu de son internement ou y déléguer un de ses membres. Elle peut, soit d’office, soit à la demande du procureur du Roi, de l’interné ou de son avocat, ordonner la mise en liberté définitive ou à l’essai de l’interné, lorsque l’état mental de celui-ci s’est suffisamment amélioré et que les conditions de sa réadaptation sociale sont réunies. Si la demande de l’interné ou de son avocat est rejetée, elle ne peut être renouvelée avant l’expiration d’un délai de six mois prenant cours à la date du rejet définitif.

(...) »

Article 19bis

« La décision de rejet de la demande de mise en liberté est notifiée à l’interné par le directeur de l’établissement au plus tard le surlendemain du prononcé.

L’avocat de l’interné peut interjeter appel de cette décision auprès de la commission supérieure de défense sociale dans un délai de (quinze) jours à dater de la notification. »

Article 19ter

« Le pourvoi en cassation contre la décision de la Commission supérieure de défense sociale confirmant la décision de rejet de la demande de mise en liberté de l’interné ou déclarant fondée l’opposition du procureur du Roi contre la décision de mise en liberté de l’interné ne peut être formé que par l’avocat de l’interné. »

39. Dans un arrêt du 2 juin 2009 (P.09.0586.N), la Cour de cassation précisa ce qui suit :

« La visite visée à l’article 18, alinéa 1er, de la loi de défense sociale tend à permettre à la commission de se tenir informée de l’état de l’interné en vue d’une éventuelle mise en liberté. Cette disposition ne vise point le contrôle quant aux conditions de détention de l’interné. La loi n’accorde pas davantage le droit à l’interné ou à son conseil de requérir une visite du lieu de l’internement. »

40. La procédure devant les CDS se présente comme suit :

Article 16

« La commission peut, avant de statuer par application des articles 14 et 15, prendre l’avis d’un médecin de son choix appartenant ou non à l’administration.

L’interné peut aussi se faire examiner par un médecin de son choix, et produire l’avis de celui-ci. Ce médecin peut prendre connaissance du dossier de l’interné.

Le procureur du Roi de l’arrondissement, le directeur ou le médecin de l’établissement de défense sociale ou de l’établissement approprié quant aux mesures de sécurité et aux soins à donner, l’interné et son avocat sont entendus. Le dossier est mis pendant quatre jours à la disposition de l’avocat de l’interné.

Les débats ont lieu à huis clos.

L’interné est représenté par son avocat dans le cas où il est préjudiciable d’examiner en sa présence des questions médico-psychiatriques concernant son état.

Les services de reclassement et de tutelle peuvent se faire représenter aux débats par des délégués agréés à cette fin par le Ministre de la Justice.

Les trois membres de la commission et le secrétaire sont seuls présents lors du délibéré. »

C. Lieux d’internement

41. L’internement peut avoir lieu dans trois types d’établissements :

1. Les établissements de défense sociale

42. Ces établissements, également appelés « centres de psychiatrie légale », sont des hôpitaux psychiatriques présentant un haut degré de sécurisation.

43. Il existe en Belgique quatre établissements de ce type, gérés par l’administration pénitentiaire ou dépendant du ministère de la Justice. Trois sont situés en Wallonie : l’établissement de Paifve, susceptible d’accueillir 208 internés ; l’hôpital de soins psychiatriques sécurisé « Les Marronniers », à Tournai, dont la capacité d’accueil est de 376 internés ; et la section de défense sociale du centre hospitalier psychiatrique du « Chêne aux Haies », à Mons, dont la capacité d’accueil est de trente lits réservés aux femmes internées. En 2009, la prison de Merksplas, en Flandre, a ouvert une section de soins sécurisée « De Haven », d’une capacité de soixante personnes, pour les internés présentant un handicap mental.

44. Il a été décidé en 2006, en exécution du « Plan pluriannuel justice 2005 de la ministre de la Justice », de développer le circuit de psychiatrie légale en Flandre en construisant, à Gand et Anvers, deux centres de psychiatrie légale hautement sécurisés d’une capacité totale de 390 places. Ces établissements devraient être opérationnels en 2015.

2. Les établissements psychiatriques classiques

45. Il s’agit soit d’hôpitaux psychiatriques privés subventionnés, soit de structures dépendant des pouvoirs publics.

46. Certaines institutions sont agréées de « sécurité moyenne » et peuvent accueillir des internés qui, en raison du danger qu’ils présentent pour la société, peuvent être considérés comme des patients ayant un sérieux trouble de comportement et/ou étant très agressifs et pour lesquels des mesures particulières de sécurité sont nécessaires. D’autres institutions sont agréées de « faible sécurité » et peuvent accueillir des internés qui ne présentent pas de danger particulier pour la société et dont la problématique psychiatrique présente les mêmes caractéristiques que la moyenne de la population d’un hôpital général psychiatrique.

3. Les annexes psychiatriques de prison

47. Douze prisons disposent d’annexes psychiatriques – également appelées sections de défense sociale – conçues à l’origine pour la mise en observation et l’internement provisoire dans l’attente d’un transfert vers un établissement de défense sociale.

48. Selon un document publié par le ministre de la Justice en mars 2010 intitulé « Politique pénale et d’exécution des peines – aperçu et développement », le nombre d’internés séjournant dans une annexe psychiatrique s’élevait en 2010 à 1 094, soit environ 10 % de la population carcérale, comparé à 790 internés en 1992. Selon le rapport d’activités 2010 de la direction générale de l’administration pénitentiaire, 625 personnes étaient internées à la prison de Merksplas.

D. Encadrement thérapeutique dans les annexes psychiatriques

49. Chaque établissement pénitentiaire et de défense sociale dispose d’un service psycho-social qui apporte « une assistance professionnelle aux autorités compétentes par les avis qu’il formule, et contribue par une approche scientifique à la réintégration psychosociale des détenus afin de limiter la récidive tout en contribuant à l’exécution sûre et humaine de la peine » (administration des établissements pénitentiaires, rapport annuel d’activités, 1999). Le service est composé d’un directeur (qui est en principe le directeur d’établissement), un psychiatre, un psychologue, un assistant social et un assistant administratif.

50. La circulaire no 1800, adoptée par le ministre de la Justice le 7 juin 2007, prévoit que dans les établissements pénitentiaires disposant d’une annexe psychiatrique, l’équipe soignante se complète d’infirmiers psychiatriques, d’ergothérapeutes, de kinésithérapeutes et d’éducateurs (article 1er). En fonction de la taille de l’annexe, et donc du nombre d’internés, il s’agit d’effectifs à temps plein ou à temps partiel.

51. Cette même circulaire prévoit que l’interné a droit à des soins de santé équivalents à ceux dispensés dans la société libre et adaptés à ses besoins spécifiques ainsi qu’aux services de dispensateurs de soin possédant les qualifications requises en fonction de ses besoins spécifiques (article 3).

52. En 2011, selon les informations données par le ministre de la Justice en réponse à une question parlementaire, les douze prisons disposant d’une annexe psychiatrique comptaient au total 19,79 psychologues et 27,38 psychiatres équivalent temps plein (question écrite no 5-2172 du 21 avril 2011, Sénat).

53. Selon le rapport d’activités 2010 de la direction générale de l’administration pénitentiaire, l’équipe soignante en soins psychiatriques de la prison de Merksplas comptait trois psychiatres, quatre psychologues, dix infirmiers psychiatriques, trois ergothérapeutes, quatre éducateurs, des assistants sociaux et des musico-thérapeutes.

III. DOCUMENTS PERTINENTS RELATIFS À LA SITUATION EN MATIÈRE D’INTERNEMENT EN BELGIQUE

54. Le maintien des personnes atteintes d’un trouble mental en institutions pénitentiaires est une problématique reconnue par les instances officielles belges. Dans un document de 2010 (paragraphe 48), le ministre de la Justice s’exprimait en ces termes :

« (...) Les internés n’appartiennent pas à une catégorie carcérale classique. Ce sont des personnes souffrant de graves problèmes psychiques qui nécessitent un traitement adéquat. Un traitement adapté aux internés est d’ailleurs la meilleure prévention de la rechute.

Le manque permanent de capacités d’accueil dans le circuit psychiatrique externe conduit à l’admission des internés dans les établissements pénitentiaires, même si l’internement n’est pas une peine d’emprisonnement mais une mesure de sûreté. En dépit des circuits alternatifs (unités légales etc.) qui existent actuellement pour les internés, il y a une augmentation significative du nombre des internés dans les établissements pénitentiaires.

Malgré la constitution d’équipes de soins dans les établissements pénitentiaires, les internés restent, dans une mesure importante, privés des soins thérapeutiques qui doivent contribuer à une réintégration fructueuse dans la vie sociale.

En raison de la problématique de la surpopulation, la détention a en outre un effet contre-productif sur le processus de traitement des internés. »

55. Le Conseil central de surveillance pénitentiaire (« CCSP »), institué au sein du Service public fédéral Justice et ayant pour mandat de contrôler de manière indépendante les conditions de traitement des détenus, fit état dans son rapport 2008-2010 de ce qui suit :

« Selon la base, les soins médicaux en prison doivent être comparables aux soins apportés en dehors de la prison. Cet objectif n’est pas encore réalisé, certainement pas en ce qui concerne les soins de santé mentale. (...) L’offre de soins psychiatriques fait l’objet d’un manque criant, compte tenu des besoins de soins, tant en ce qui concerne les personnes internées que les prisonniers ordinaires. Les rapports annuels du CCSP de 2006 et 2007 ont déjà signalé cette situation et nous devons constater qu’au cours des trois dernières années, la situation s’est constamment aggravée. Plus de 1 000 personnes internées traitées de manière inadéquate attendent dans des annexes psychiatriques surpeuplées ou dans des cellules de prisons ordinaires. Le temps d’attente pour un transfert vers une institution de soins adaptée peut grimper jusqu’à 2 ou 3 ans. La morbidité psychiatrique de la population pénitentiaire augmente au fil des ans et 5 à 10 % des prisonniers présentent un trouble psychiatrique majeur. Ces chiffres ne tiennent pas compte du fait que presque 47 % des détenus répondent aux critères du diagnostic de trouble antisocial de la personnalité.

(...)

Même si les soins fournis répondent aux règles de l’art, ils ne sont pas à la hauteur au niveau relationnel. La satisfaction relative à un traitement médical dépend dans une grande mesure de la qualité de la relation entre le médecin et le patient. Cet aspect peut très certainement faire l’objet d’une plus grande attention. En raison de la pénurie de personnel médical qualifié, surtout pendant les weekends et les gardes, l’on mobilise souvent du personnel pénitentiaire sans qualification médicale pour certaines tâches de soins, ce qui constitue une source de mécontentement qu’il convient d’éviter ».

56. La situation est par ailleurs critiquée depuis longtemps (voir arrêt Aerts c. Belgique (30 juillet 1998, § 28, Recueil des arrêts et décisions 1998-V) par plusieurs instances internationales et organisations non gouvernementales :

. le Commissaire des Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe releva au cours de sa visite en Belgique des 15-19 décembre 2008, (CommDH(2009)14) ce qui suit :

« 51. Le Commissaire a relevé que l’organisation et la pratique des soins de santé en milieu pénitentiaire en Belgique sont lacunaires. Le principe du droit à la protection de la santé et aux soins de santé en milieu carcéral est consacré par la loi Dupont. Le Commissaire s’appuie sur les constatations faites lors de sa visite et se réfère au rapport de l’Observatoire international des prisons pour 2008. Le Comité contre la torture s’est déclaré préoccupé par les conditions de détention, en particulier en ce qui concerne l’insuffisance de personnel qualifié, une vétusté des installations, une qualité insuffisante de soins, une absence de continuité des traitements.

52. Le Commissaire se félicite de la mise en place en 2007 d’équipes de soins multidisciplinaires au sein des annexes psychiatriques. Pourtant, le personnel qualifié est en nombre insuffisant par rapport au nombre de détenus, les délais d’attente pour rencontrer le médecin ou l’infirmier sont longs et le temps de consultation est insuffisant, ce qui porte atteinte à la qualité des soins. Par ailleurs, le manque de personnel surveillant pour assurer les transferts médicaux pose des problèmes d’organisation et limite l’accès aux soins.

53. S’agissant des infrastructures, les locaux médicaux de certains établissements pénitentiaires sont tout aussi vétustes et insalubres que les autres parties des établissements. Ainsi, l’annexe psychiatrique de la maison d’arrêt de Forest est ancienne et manque d’infrastructures adéquates. Les conditions de détention des internés dans le système carcéral belge sont particulièrement problématiques. Les annexes psychiatriques sont occupées par des internés psychiatriques en attente prolongée d’un transfert vers un établissement de défense sociale, par des détenus présentant des troubles mentaux, par des détenus toxicomanes ou des détenus suicidaires. Les annexes psychiatriques sont souvent surpeuplées et certains internés sont par conséquent détenus dans les cellules « normales ». Ainsi, lors de sa visite de la maison d’arrêt d’Anvers, le Commissaire a constaté que l’aile psychiatrique avait une capacité de 51 places, alors que 100 personnes avec des troubles psychiatriques étaient détenues. Le Commissaire relève qu’une telle situation prive les internés de l’accès au personnel hospitalier et aux soins thérapeutiques dont ils ont besoin. Le Commissaire prend note du plan du Gouvernement pour la construction de deux établissements de défense sociale. »

. le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« CPT ») – qui a accordé une attention particulière, depuis sa première visite en Belgique en 1993, à la situation des détenus et des internés placés dans les annexes psychiatriques des établissements pénitentiaires – commenta la mise en œuvre de la circulaire no 1800 à la prison de Lantin dans son rapport relatif à la visite effectuée du 28 septembre au 7 octobre 2009, comme suit :

« Le projet visé par la circulaire no 1800 susmentionnée était de mettre en place au sein des annexes psychiatriques pénitentiaires (et dans les sections et établissements [de défense sociale] du pays) des équipes de soins multidisciplinaires, constituées de personnels médical, infirmier et paramédical qualifiés, en nombre suffisant pour assurer aux internés « des soins de santé équivalents à ceux dispensés dans la société libre ». L’APL [annexe psychiatrique de la prison de Lantin] avait été doté, à cette fin, d’ ½ poste équivalent temps plein (ETP) de psychiatre. Bien que ceci constitue une réelle avancée par rapport à la situation antérieure, un tel niveau de présence est loin d’être satisfaisant au regard des soins exigés par les internés placés à l’APL et ne permet guère d’assurer un suivi régulier suffisant des patients. Le CPT rappelle à cet égard sa recommandation, déjà formulée en 1993 et 1997, selon laquelle l’APL doit bénéficier d’au moins un poste de psychiatre. »

. le Comité contre la torture des Nations Unies fit état de ses préoccupations dans ses Observations finales relatives à la Belgique (CAT/C/BEL/CO/2, 21 novembre 2008) :

« 23. Le Comité se déclare préoccupé par la problématique des conditions de détention des internés psychiatriques dans le système carcéral belge, déjà déploré dans ses dernières recommandations (CAT/C/CR/30/6, § 7, g)), en particulier en ce qui concerne l’insuffisance de personnel qualifié, une vétusté des installations, une qualité insuffisante de soins, une absence de continuité des traitements, des examens médicaux, problématique sensiblement aggravée lors des grèves des agents pénitentiaires. Par ailleurs, le Comité s’inquiète par la longue période d’attente subie par de nombreux détenus figurant dans les annexes psychiatriques vers un transfert à un établissement de défense sociale (EDS). En raison de la surpopulation dans les EDS, l’attente peut durer de huit à quinze mois (Articles 11 et 16).

Le Comité recommande à l’Etat partie de prendre des mesures concrètes afin de contrer les problèmes du manque de qualité des soins de santé des internés, de la surpopulation des annexes, du placement de certains internés dans les ailes de la prison en raison du manque de place dans les annexes, de la vétusté des locaux, du manque d’activité et de prise en charge spécifiques des internés se trouvant dans les ailes de la prison. En outre, le Comité recommande à l’Etat partie d’assurer l’encadrement thérapeutique spécialisé suffisant. »

. le Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies s’exprima dans ces termes en octobre 2010 dans le cadre de l’examen du rapport soumis par la Belgique conformément au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (projet d’observations finales, CCPR/C/BEL/CO/5) :

« Le Comité est préoccupé par la pratique de détention des malades mentaux dans les prisons et annexes psychiatriques des prisons belges, ainsi que par la longue période d’attente qu’ils doivent subir avant un transfert dans les établissements de défense sociale (EDS) (art. 7, 9, 10).

L’Etat partie devrait veiller, ainsi que le Comité l’a recommandé dans ses précédentes observations finales, à mettre fin à la pratique de détention des malades mentaux dans les prisons et les annexes psychiatriques. Il devrait également accroître les places d’internement dans les établissements de défense sociale et les conditions de vie des malades. »

. l’Observatoire international des prisons, section belge, dans sa note de 2010, fit part de sa préoccupation en ces termes :

« Sur la dernière décennie, la population des internés a augmenté de 85 % (Justice en chiffres 2010, SPF Justice) ! Sans compter les internés placés dans les établissements de défense sociale de Mons et de Tournai, on compte 1038 internés en Belgique en 2009 et 1089 internés en 2010, soit 1/10ème de la population carcérale (...)

A l’heure actuelle, les internés sont placés dans des annexes psychiatriques d’établissements pénitentiaires en attente d’être transférés vers un établissement de défense sociale. Le délai est de trois à quatre ans. Cette situation a déjà valu la condamnation de la Belgique par la Cour européenne des Droits de l’Homme. Les annexes psychiatriques sont surpeuplées et ne sont pas équipées pour recevoir des internés. Le mélange des pathologies aggrave l’état de santé des détenus qui sont souvent parqués à trois 23h/24h dans une même cellule prévue pour 1 ou 2 détenus ou dans un dortoir comme à Jamioulx.

Depuis 2007 des équipes multidisciplinaires ont été mises en place au sein des annexes psychiatriques (circulaire no1800 du 7 juin 2007). Cependant, le Ministre reconnaît lui-même que « malgré la présence des équipes de soins, les internés restent privés de soins dont ils ont besoin » (Politique pénale et d’exécution des peines – aperçu et développements, Ministre de la Justice, mars 2010, p. 34).

Certains établissements de défense sociale pour leur part disposent d’un personnel soignant insuffisant et la qualité des soins suscite également de nombreuses critiques. »

. dans sa note de 2006, la section belge de l’Observatoire international des prisons observait également que :

« Un des principaux problèmes résulte du manque manifeste de personnel médical. Le personnel étant en nombre totalement insuffisant, il ne peut consacrer que quelques minutes à chaque consultation. Une association de médecins travaillant dans les établissements pénitentiaires (AMEP) s’est constituée afin de dénoncer cette situation et de proposer des réformes aux autorités politiques. Le 28 avril 2003, l’AMEP indiquait qu’un médecin devait examiner entre 20 et 50 détenus en 2 heures, soit entre 2,5 et 6 minutes par détenu. Des plaintes récurrentes sont régulièrement émises quant à la disponibilité des médecins et à la manière dont sont organisées les consultations (...) En réalité, le médecin n’est présent que quelques heures par semaine et il n’y a pas toujours de véritable permanence médicale, la nuit et le week-end. Cette situation d’ores et déjà dangereuse pour les détenus « ordinaires » est totalement inacceptable pour des internés. »

. dans sa note de 2008, elle soulignait en outre :

« le problème de la « double casquette » des membres du personnel d’encadrement thérapeutique. La mission de celui-ci est en effet double : fournir le traitement et les soins nécessaires aux internés d’une part, et rendre des avis et rapports à la CDS d’autre part. Cette « double casquette » constitue indéniablement un obstacle à la mise en œuvre d’une relation de confiance entre l’interné et le personnel (comment l’interné peut-il se confier en toute liberté à un psychiatre, psychologue, etc., en sachant que ses propos risquent d’être rapportés à la CDS qui les prendra, le cas échant, en considération pour statuer sur son éventuelle demande de libération ?).

En pratique, la plupart de ces annexes accueillent non seulement des internés en attente de transfert vers un EDS, mais également des détenus qui présentent des troubles mentaux, des toxicomanes, des détenus « suicidaires » ou encore parfois des détenus ayant commis des faits de mœurs.

Les annexes sont les lieux les plus surpeuplés des prisons belges à tel point que dans plusieurs prisons, on crée des « annexes bis » au sein même du cellulaire « normal » (...), ou on relègue des internés vers le cellulaire « normal ».

Le mélange des pathologies aggrave l’état de santé des détenus qui sont souvent parqués à trois 23h/24h dans une même cellule prévue pour 1 ou 2 détenus ; Le troisième dort dès lors sur un fin matelas placé à même le sol et qu’il faut relever la journée pour pouvoir circuler dans la cellule et ouvrir la porte. Les détenus mangent à tour de rôle ou, ensemble mais alors chacun assis sur son lit : il n’y a qu’une petite table et une ou deux chaises par cellule. Les annexes ne disposent pas toujours d’infirmiers de manière continue (il est difficile de trouver du personnel travaillant dans de mauvaises conditions...) ; ce sont souvent des agents sans formation qui sont chargés d’une série de soins. Les agents n’ont pas toujours la possibilité d’effectuer une formation en psychiatrie et quand ils le peuvent ce ne sera qu’après de nombreux mois voire des années de travail sans formation. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

57. Le requérant se plaint d’être privé de sa liberté en violation de l’article 5 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(...)

e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond. »

58. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A. Sur la recevabilité

59. Le Gouvernement est d’avis que cette partie de la requête doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement du fait que le requérant a omis d’apporter des preuves concrètes étayant l’absence alléguée de soins et les effets sur sa situation personnelle.

60. Le requérant fait valoir qu’il se plaint précisément de l’absence de soins adaptés à sa pathologie telle qu’elle a été diagnostiquée. Il soutient avoir fait valoir de manière étayée l’absence de soins et le caractère inapproprié de ses lieux de détention devant les juridictions internes et avoir demandé en vain à ce que ces carences soient constatées sur place.

61. La Cour estime que les griefs formulés par le requérant sous l’angle de l’article 5 du fait du caractère inapproprié de son lieu de détention posent des questions de fait et de droit complexes qui ne peuvent être tranchées qu’après un examen au fond de cette partie de la requête ; il s’ensuit qu’elle n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’ayant été relevé, il y a lieu en conséquence de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

62. Se référant à plusieurs rapports internationaux, le requérant soutient qu’il est notoire que les annexes psychiatriques de prison sont des établissements inappropriés au sens de l’article 5 § 1 de la Convention à la détention des malades mentaux. Il ne s’agit ni d’hôpitaux ni de cliniques tels que régis par les normes de santé publique en matière d’internement. Alors que celles-ci prévoient notamment un neuropsychiatre pour trente malades et un psychologue pour soixante malades et que, selon la circulaire no 1800 du ministre de la Justice du 7 juin 2007, les internés ont droit à des soins de santé équivalents à ceux dispensés dans la société libre et adaptés à leurs besoins spécifiques, il n’en est rien en pratique. L’équipe soignante de l’annexe psychiatrique de Merksplas est tellement réduite par rapport au nombre d’internés qu’elle ne suffit à l’évidence pas à assurer une prise en charge thérapeutique individualisée répondant aux besoins spécifiques des internés. La situation dont est victime le requérant résulte de l’absence d’établissement de défense sociale en Flandre et de ce qu’en cas de refus opposé par les établissements extérieurs, les institutions de défense sociale n’ont en fait pas d’autres alternatives que de maintenir les internés dans les annexes psychiatriques des prisons.

63. Le requérant rappelle que dans l’arrêt De Schepper c. Belgique (no 27428/07, 13 octobre 2009), la Cour avait lancé un avertissement au Gouvernement belge en lui rappelant son obligation de prendre toutes les initiatives appropriées pour trouver « dans un avenir proche » un établissement public ou privé susceptible de prendre en charge une personne présentant un profil dangereux. Or, de tels établissements n’existent toujours pas en Flandre, raison pour laquelle le requérant est maintenu indéfiniment à Merksplas.

64. A titre général, le Gouvernement estime que la présente affaire se distingue des affaires Aerts précitée et Morsink c. Pays-Bas (no 48865/99, 11 mai 2004). A la différence de M. Aerts, le requérant a toujours été interné dans des établissements désignés par la CDS. Contrairement à ce que soutient le requérant, la CDS n’a jamais indiqué que le requérant devait être intégré dans un établissement spécialisé. Au contraire, la CDS a toujours favorisé le maintien du requérant à Merksplas lui laissant cependant l’occasion d’être hospitalisé dans un établissement spécialisé pour le traitement des délinquants sexuels. De plus, il a toujours bénéficié à Merksplas de soins alors que, dans l’affaire Aerts, les autorités avaient admis un manque de soins. Dans l’affaire Morsink, le requérant était maintenu en prison. Du reste, la détention du requérant dans cette dernière affaire manquait de base légale. Enfin, en l’espèce, contrairement à ces deux affaires, la coopération minimale du requérant, son comportement difficile et son opposition aux traitements font obstacle à toute alternative.

65. Le Gouvernement soutient que le requérant fait l’objet de soins appropriés et que l’encadrement médical et psychiatrique à la prison de Merksplas est adéquat. Il insiste sur les efforts incessants qui ont été déployés jusqu’en 2009 par les autorités pour trouver un établissement spécialisé dans le traitement des délinquants sexuels. Ces démarches n’ont pas été poursuivies après 2009 puisque le requérant avait obtenu un accord de principe quant à son admission au centre psychiatrique de Munsterbilzen.

66. Selon le Gouvernement, l’échec de la prise en charge extérieure à la prison doit être attribuée au requérant. De l’avis des professionnels qui l’ont suivi, le requérant est un pédophile dangereux qui doit demeurer dans un environnement sécurisé en raison du risque élevé de récidive. A cela s’ajoute une personnalité manipulatrice, peu fiable et antisociale. Aucune amélioration notable de son état n’a été constatée. Cette situation résulte du peu de motivation manifestée par le requérant en vue d’une médication ou d’une thérapie. Il a refusé un traitement médical pour diminuer sa libido, il a abandonné sa pré-thérapie sans raison, ne sollicite que très rarement les services psycho-sociaux de la prison et, quand il y a recours, se comporte de manière agressive. Dans ces conditions, toute tentative de reclassement est devenue presque impossible. Dès lors, le Gouvernement est convaincu que la présente espèce est comparable à l’affaire Dhoest c. Belgique (no 10448/83, rapport de la Commission du 14 mai 1987, Décisions et rapports 55, p. 5) et à l’affaire De Schepper précitée et appelle la même solution.

2. Appréciation de la Cour

67. La Cour observe qu’en l’espèce, la privation de liberté litigieuse du requérant est fondée sur la décision prise par le ministre de la Justice le 28 juin 1999. La décision fut adoptée quelques mois avant la fin de la peine de huit ans d’emprisonnement à laquelle avait été condamné le requérant par la cour d’assises du Limbourg le 29 avril 1992 et qu’il purgeait à la prison de d’Anvers. Comme le précise la décision ministérielle, l’internement du requérant en établissement de défense sociale devait permettre dans un premier temps seulement la mise en œuvre du reliquat de la peine d’emprisonnement. Par conséquent, à partir de la fin de la peine d’emprisonnement en 1999, la détention subie par le requérant relevait de l’alinéa e) de l’article 5 § 1 de la Convention.

68. La Cour note qu’il n’est pas contesté, en l’espèce, que l’internement du requérant a été décidé « selon les voies légales » au sens de l’article 5 § 1 de la Convention.

69. Aux fins de l’article 5 de la Convention toutefois, la conformité au droit interne de la privation de liberté du requérant n’est pas en soi décisive. Encore faut-il établir que la détention de l’intéressé est conforme au but de l’article 5 § 1 de la Convention, qui est de prémunir les personnes contre toute privation arbitraire de leur liberté (voir, parmi beaucoup d’autres, Witold Litwa c. Pologne, no 26629/95, §§ 72-73, CEDH 2000-III). La privation de liberté est en effet une mesure si grave qu’elle ne se justifie que lorsque d’autres mesures, moins sévères, ont été considérées et jugées insuffisantes pour sauvegarder l’intérêt personnel ou public exigeant la détention (idem, § 78 et Cristian Teodorescu c. Roumanie, no 22883/05, § 61, 19 juin 2012).

70. En ce qui concerne la privation de liberté des personnes atteintes de troubles mentaux, un individu ne peut passer pour « aliéné » et subir une privation de liberté que si les trois conditions suivantes au moins se trouvent réunies : premièrement, son aliénation doit avoir été établie de manière probante ; deuxièmement, le trouble doit revêtir un caractère ou une ampleur légitimant l’internement ; troisièmement, l’internement ne peut se prolonger valablement sans la persistance de pareil trouble (voir parmi d’autres, Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 39, série A no 33, Varbanov c. Bulgarie, no 31365/96, § 45, CEDH 2000‑X et Chtoukatourov c. Russie, no 44009/05, § 114, CEDH 2008).

71. Rien ne permet à la Cour de douter que ces conditions sont remplies en l’espèce, ce qui ne fait d’ailleurs pas l’objet de controverse entre les parties à la différence de l’affaire Dhoest citée par le Gouvernement (§§ 84 à 86). Le requérant souffre de troubles sexuels et de la personnalité, attestés médicalement depuis 1999. La CDS a refusé la mise en liberté du requérant conformément à l’article 18 de la loi de défense sociale qui conditionne la mise en liberté des internés à l’amélioration suffisante de l’état mental de l’interné et à la réalisation des conditions de sa réadaptation sociale.

72. La Cour a également jugé qu’il devait exister un lien entre le motif censé justifier la privation de liberté et le lieu et les conditions de la détention. Elle rappelle à ce sujet qu’en principe, la « détention » d’une personne souffrant de troubles mentaux ne peut être considérée comme « régulière » aux fins de l’article 5 § 1 e) que si elle s’effectue dans un hôpital, dans une clinique ou dans un autre établissement approprié (Ashingdane c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 44, série A no 93, Aerts, précité, § 46, Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 48, CEDH 2003-IV). La Cour a admis que le seul fait qu’un intéressé ne soit pas intégré dans un établissement approprié n’avait pas pour effet automatique de rendre sa détention irrégulière au regard de l’article 5 § 1 de la Convention et qu’un équilibre raisonnable devait être ménagé entre les intérêts opposés en cause étant entendu qu’un poids particulier devait être accordé au droit à la liberté (Morsink précité, §§ 66 à 68, Brand c. Pays-Bas, no 49902/99, §§ 62 à 65, 11 mai 2004).

73. La Cour convient avec le Gouvernement que le profil du requérant en l’espèce est comparable à celui du requérant dans l’affaire De Schepper précitée. Dans les deux affaires, les intéressés, considérés comme pénalement responsables de leurs actes, ont été condamnés. Dans les deux cas, ce sont des délinquants sexuels présentant un danger pour la société. La Cour rappelle toutefois que dans l’affaire De Schepper, la période de privation de liberté litigieuse correspondait à une peine supplémentaire (mise à disposition du Gouvernement) à la peine d’emprisonnement à laquelle avait été condamné le requérant et relevait de l’alinéa a) de l’article 5 § 1 (De Schepper précité, §§ 6 et 35). La question posée à la Cour dans cette affaire n’était pas celle des modalités de la peine mais du lien de causalité voulu par la notion de régularité figurant à l’article 5 § 1 a) entre la dangerosité du requérant et la peine supplémentaire (§§ 39 à 42). En l’espèce, la situation est différente : le requérant avait quasiment achevé de purger sa peine lorsque fut prise la décision de l’interner en 1999, avec pour conséquence que la période de privation de liberté litigieuse relève principalement de l’article 5 § 1 e) et que la question de savoir si le requérant est interné dans un établissement approprié est la question centrale que la Cour doit examiner.

74. Le Gouvernement estime qu’il faut tenir compte du fait que la CDS n’a pas désigné d’autre lieu que la prison de Merksplas pour l’internement du requérant et qu’il y a donc lieu de distinguer la présente affaire de l’affaire Aerts. La Cour rappelle que, dans cette affaire, elle avait conclu à une violation de l’article 5 § 1 e) au motif que l’annexe psychiatrique de Lantin où était détenu le requérant ne pouvait pas être considérée comme appropriée à la détention d’aliénés (Aerts précité, § 49). Pour parvenir à cette conclusion, elle avait tenu compte du fait que la CDS compétente avait désigné l’établissement de défense sociale de Paifve pour l’internement du requérant et que son transfert avait été retardé en raison du manque de place.

75. La Cour estime que l’approche proposée par le Gouvernement est trop formaliste. Elle observe qu’en l’espèce la prise en charge du requérant à l’extérieur de la prison dans un cadre adapté au traitement des délinquants sexuels est envisagée par la CDS depuis 2001 (paragraphe 9). De plus, il ressort des circonstances de la cause que, dès 2002, les autorités pénitentiaires prirent elles-mêmes contact avec plusieurs établissements psychiatriques, que de pareilles démarches furent poursuivies jusqu’en 2009 mais qu’elles furent toutes infructueuses. A cela s’ajoute que, à la différence de la situation qui se présentait dans l’affaire Aerts, il n’y a pas à ce jour d’établissement de défense sociale susceptible d’accueillir une personne au profil à haut risque comme le requérant. Il s’avère donc que l’internement du requérant s’est en réalité prolongé au sein de l’annexe psychiatrique de la prison de Merksplas à défaut pour les autorités belges d’alternative. Cela ressort d’ailleurs clairement du rapport du 8 août 2008 (paragraphe 17) qui recommandait le maintien du requérant dans un environnement sécurisé dans l’attente de la construction d’un établissement de haute sécurité.

76. La Cour prend note avec intérêt des démarches effectuées par les autorités internes en vue de trouver un établissement adapté pour la prise en charge thérapeutique du requérant. Elle accueille également positivement les efforts en cours pour augmenter le nombre de places en hôpital psychiatrique public à Anvers et à Gand (paragraphe 44). Toutefois, il s’agit de projets qui ne sont pas encore opérationnels. La Cour doit donc concentrer son examen sur le caractère approprié à la détention des aliénés de l’annexe psychiatrique de la prison de Merksplas où le requérant est placé depuis treize ans.

77. Le Gouvernement soutient que le requérant y est entouré des soins adéquats. Les éléments auxquels se réfère le Gouvernement pour étayer sa thèse sont l’accès du requérant aux professionnels de santé présents dans l’établissement, les rapports établis par des psychologues et psychiatres en vue d’évaluer sa dangerosité et la pré-thérapie entamée en 2008 sous la forme de cours par correspondance. D’après les informations versées au dossier, le requérant a bénéficié de douze consultations auprès du psychiatre de la prison entre 2005 et 2011.

78. La Cour considère que ce nombre de consultations, sur une période de sept ans, est particulièrement faible et constate qu’il n’est nulle part question d’une prise en charge thérapeutique ni d’un suivi médical individualisés au sein de la prison en vue de faire évoluer la situation particulière du requérant.

79. Le Gouvernement attribue l’absence d’amélioration de l’état du requérant et l’échec de la prise en charge extérieure à la prison à son attitude hostile et à son manque de motivation en vue d’une thérapie. Il souligne notamment l’absence d’évolution dans la compréhension de ses troubles, son refus de se faire administrer un traitement en vue de diminuer sa libido et le maintien, en dépit du bon sens, de son souhait d’intégrer une structure ambulatoire.

80. La Cour rappelle, à ce sujet, que si l’attitude persistante d’une personne privée de liberté peut contribuer à faire obstacle à une modification de son régime de détention, cela ne dispense pas les autorités de prendre les initiatives appropriées en vue d’assurer à cette personne un traitement adapté à son état et de nature à l’aider à retrouver sa liberté (De Schepper, précité, § 48). En l’espèce, la Cour n’est pas convaincue que le requérant ait fait preuve d’une attitude visant à empêcher toute évolution de sa situation. Au contraire, elle relève que, dans le cadre de la procédure en référé (paragraphe 16), il a clairement formulé ses desiderata en vue de faire évoluer sa situation. Il demandait que l’Etat soit condamné, dans l’attente de son transfert, à une prise en charge thérapeutique individualisée au sein de la prison à raison de deux heures deux fois par semaine. Il a également, à plusieurs reprises, spécifié que sa demande de traitement ambulatoire avait pour objet de consulter un sexologue (paragraphes 15 et 17). Ces demandes ne sont pas, aux yeux de la Cour, manifestement déraisonnables et apparaissent prima facie correspondre à des « soins adaptés » dans le cas d’un personne souffrant de troubles de la personnalité en plus d’être pédophile et d’avoir une conscience très faible de ses troubles.

81. Ce qui est préoccupant, selon la Cour, c’est qu’une telle prise en charge n’ait pas été disponible au sein de la prison et que le cas du requérant n’est pas isolé. D’après les documents versés au dossier par les parties et ceux qu’elle a consultés d’office (paragraphes 54 à 56), il est en effet notoire, en Belgique, que de nombreux internés sont dans l’attente d’un transfert dans un établissement de défense sociale ou un établissement privé et se trouvent dans une situation comparable au requérant, privés des soins thérapeutiques pouvant contribuer à une réintégration fructueuse dans la vie sociale. Cet état de fait est constaté par le ministre de la Justice lui-même (paragraphe 54). Le conseil central de surveillance pénitentiaire confirme que l’offre de soins psychiatriques fait l’objet d’un manque criant tant en ce qui concerne les personnes internées que les prisonniers ordinaires, et que la situation s’aggrave constamment notamment du fait de l’augmentation de la surpopulation carcérale (paragraphe 55). Le CPT, le Commissaire des Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, le Comité contre la torture et le Comité des droits de l’homme des Nations Unies ainsi que l’observatoire international des prisons expriment, de manière récurrente, les mêmes préoccupations (paragraphe 56).

82. Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que le maintien du requérant pendant treize ans dans un établissement pénitentiaire, où il ne bénéficiait pas de l’encadrement approprié à sa pathologie, a eu pour effet de rompre le lien entre le but de la détention et les conditions dans lesquelles elle a lieu.

83. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

84. Le requérant se plaint du rejet de sa demande d’aide judiciaire par le bureau d’assistance judiciaire de la Cour de cassation, qui s’est fondé sur l’avis négatif de l’avocat à la Cour de cassation désigné pour évaluer les chances d’un pourvoi. Il soutient que cette décision a porté atteinte au droit d’accès à un tribunal que l’article 6 § 1 de la Convention garantit en ces termes :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) ».

85. La Cour rappelle que dans l’arrêt Aerts précité (§ 60), elle a conclu à une violation de l’article 6 § 1 après avoir souligné qu’« en rejetant la demande [d’assistance judiciaire] au motif que la prétention ne paraissait pas actuellement juste, le bureau d’assistance judiciaire a porté atteinte à la substance même du droit [du requérant] à un tribunal ». Suite à cet arrêt, un nouveau système a été mis en place par le législateur belge que la Cour a considéré comme « [offrant] des garanties substantielles aux individus, de nature à les préserver de l’arbitraire » (Debeffe c. Belgique, déc., no 64612/01, 9 juillet 2002). Constatant que cette procédure a été appliquée dans le cas d’espèce, la Cour estime que le refus du bureau d’aide juridictionnelle d’accorder au requérant l’aide judiciaire pour saisir la Cour de cassation rendu notamment sur base de l’avis de l’avocat spécialisé, n’a pas atteint, dans sa substance même, le droit d’accès à un tribunal du requérant.

86. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et doit être rejetée conformément à l’article 35 § 4.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

87. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

88. Le requérant réclame 222 350 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi du fait de sa détention dans des conditions inappropriées. Pour parvenir à ce montant, il s’inspire du montant de l’indemnité journalière pour détention inopérante prévue par la loi du 13 mars 1973 relative à l’indemnité en cas de détention préventive inopérante rapportée à 4 447 jours de détention.

89. Le Gouvernement est d’avis que la comparaison avec la détention préventive inopérante n’est pas pertinente, le requérant ayant fait l’objet d’une détention régulière d’internement. Pour le reste, il s’en remet à la sagesse de la Cour.

90. La Cour estime que le requérant a subi un préjudice moral certain en raison de son maintien en détention dans un établissement inapproprié. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle lui octroie 15 000 EUR au titre du préjudice moral.

91. De plus, la Cour est d’avis qu’en l’espèce, le transfert du requérant dans un établissement approprié à ses besoins constitue la manière adéquate de redresser la violation constatée.

B. Intérêts moratoires

92. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare, la requête recevable quant au grief tiré de l’article 5 § 1 et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;

3. Dit,

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention 15 000 EUR (quinze mille euros) plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 janvier 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia WesterdiekMark Villiger
GreffièrePrésident


Synthèse
Formation : Cour (cinquiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-115859
Date de la décision : 10/01/2013
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Partiellement irrecevable;Violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-1 - Arrestation ou détention régulière;Article 5-1-e - Aliéné);Préjudice moral - réparation

Parties
Demandeurs : SWENNEN
Défendeurs : BELGIQUE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : VERPOORTEN P.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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