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27/11/2012 | CEDH | N°001-115163

CEDH | CEDH, AFFAIRE STAMOSE c. BULGARIE, 2012, 001-115163


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE STAMOSE c. BULGARIE

(Requête no 29713/05)

ARRÊT

STRASBOURG

27 novembre 2012

DÉFINITIF

27/02/2013

Cet arrêt est devenu définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention.




En l’affaire Stamose c. Bulgarie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Ineta Ziemele, présidente,
Davíd Thór Björgvinsson,
Päivi Hirvelä,
George Nicolaou,
Ledi Bianku,
Zdravka

Kalaydjieva,
Vincent A. De Gaetano, juges,
et de Lawrence Early, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 novembre 2012,

Rend...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE STAMOSE c. BULGARIE

(Requête no 29713/05)

ARRÊT

STRASBOURG

27 novembre 2012

DÉFINITIF

27/02/2013

Cet arrêt est devenu définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention.

En l’affaire Stamose c. Bulgarie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Ineta Ziemele, présidente,
Davíd Thór Björgvinsson,
Päivi Hirvelä,
George Nicolaou,
Ledi Bianku,
Zdravka Kalaydjieva,
Vincent A. De Gaetano, juges,
et de Lawrence Early, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 novembre 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 29713/05) dirigée contre la République de Bulgarie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Teodor Vasilious Stamose (« le requérant »), a saisi la Cour le 22 juillet 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me B. Tsanov, avocat à Sofia. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme M. Dimova, du ministère de la Justice.

3. Le requérant alléguait en particulier que l’interdiction qui lui avait été faite de quitter le territoire de la Bulgarie pendant une période de deux ans en raison d’infractions à la législation des Etats-Unis d’Amérique sur l’immigration était injustifiée, que cette interdiction, qui l’avait empêché de se rendre aux Etats-Unis, où résidaient sa mère et son frère, s’analysait en une ingérence injustifiée dans sa vie familiale, et qu’en examinant son recours judiciaire contre ladite interdiction les tribunaux ne s’étaient pas penchés sur la proportionnalité de cette mesure.

4. Le 28 septembre 2009, la Cour (cinquième section) a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

5. Le 1er février 2011, les sections de la Cour ont été remaniées. La requête a été attribuée à la quatrième section.

6. Le 2 août 2011, ayant constaté que le requérant n’avait soumis ni observations sur la recevabilité ou le fond de l’affaire ni demande de satisfaction équitable dans le délai fixé par le président de la cinquième section, le greffe de la Cour lui a adressé une lettre recommandée l’informant de la teneur de l’article 37 § 1 a) de la Convention. Par un fax du 4 novembre 2011, suivi d’une lettre sur laquelle le cachet de la poste indiquait la date du 4 novembre 2011, le requérant a répondu qu’il souhaitait maintenir sa requête et que s’il n’avait pas soumis d’observations ni de demande de satisfaction équitable c’était en raison d’un problème de communication entre son représentant et lui.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

7. Le requérant est né en 1974 et réside à Sheffield, au Royaume-Uni, où il s’est installé en février 2010.

8. En 1998, après s’être inscrit auprès d’une université de l’Etat du Missouri, il arriva aux Etats-Unis muni d’un visa d’étudiant. Par la suite, il abandonna toutefois ses études pour occuper un emploi rémunéré. En janvier 2000, les autorités, estimant qu’il avait ce faisant enfreint les conditions attachées à son visa, engagèrent contre lui une procédure d’expulsion. L’intéressé fut expulsé vers la Bulgarie le 29 octobre 2003.

9. Dans l’intervalle, en avril 2000, la mère du requérant avait épousé un ressortissant américain. En mai 2000, elle était devenue résidente permanente des Etats-Unis et, plus tard, ressortissante des Etats-Unis. Par ailleurs, le frère du requérant résidait dans ce pays à titre permanent.

10. Par un arrêté du 29 octobre 2003, le chef du service de la police des frontières du ministère bulgare de l’Intérieur, agissant en application de l’article 76 § 6 de la loi de 1998 sur les pièces d’identité (paragraphe 17 ci‑dessous) et tenant compte d’une lettre du service de coopération internationale du ministère – à laquelle était jointe une lettre de l’ambassade des Etats-Unis –, infligea au requérant une interdiction de voyager d’une durée de deux ans prenant effet le 20 octobre 2003 et pria les autorités compétentes de saisir son passeport. Le 4 novembre 2003, la police de Bourgas ordonna donc à l’intéressé de rendre son passeport.

11. Le requérant demanda un contrôle juridictionnel de l’arrêté, plaidant en particulier que les autorités administratives avaient commis une erreur en négligeant de prendre en considération sa situation personnelle et en choisissant d’exercer contre lui leur pouvoir discrétionnaire.

12. Le 11 mai 2004, le tribunal de Sofia rejeta cette demande, estimant notamment qu’en prenant l’arrêté litigieux les autorités avaient tenu compte de l’ensemble des éléments pertinents, à savoir que le requérant avait été expulsé et que les autorités bulgares en avaient été informées. Selon le tribunal, les raisons de l’expulsion de l’intéressé et la situation personnelle de celui-ci étaient dénuées de pertinence, de même que la possibilité pour lui d’obtenir un nouveau visa qui lui permettrait de retourner aux Etats-Unis. L’arrêté était compatible avec l’objet de la loi, qui était d’empêcher des citoyens bulgares ayant enfreint la législation d’un pays étranger sur l’immigration de voyager librement.

13. Le requérant se pourvut en cassation, réitérant son argument selon lequel les autorités auraient dû tenir compte de sa situation personnelle.

14. Par un arrêt définitif du 30 mars 2005 (реш. № 2952 от 30 март 2005 г. по адм. д. № 6206/2004 г., ВАС, V о.), la Cour administrative suprême confirma le jugement de la juridiction inférieure. Elle estima en particulier que l’article 76 § 6 de la loi de 1998 sur les pièces d’identité conférait aux autorités le pouvoir d’imposer ou non la mesure litigieuse, et que leur choix en la matière ne pouvait pas être soumis au contrôle des tribunaux. Dans le cas du requérant, les autorités avaient tenu compte de l’ensemble des éléments pertinents et avaient établi que la mesure en question était nécessaire.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

15. L’article 35 § 1 de la Constitution de 1991 énonce notamment que toute personne a le droit de quitter le pays et que ce droit ne peut être restreint qu’en vertu de la loi, aux fins de la protection de la sécurité nationale, de la santé publique ou des droits et libertés d’autrui.

16. L’article 33 § 1 de la loi de 1998 sur les pièces d’identité (Закон за българските документи за самоличност) (en octobre 2009, la loi fut renommée « loi sur les documents d’identification personnels – Закон за българските лични документи) (« la loi de 1998 ») dispose que tout ressortissant bulgare a le droit de quitter le pays et d’y revenir, muni d’un passeport ou d’un document équivalent. Selon l’article 33 § 3, ces droits ne peuvent faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, sont nécessaires à la protection de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou des droits et libertés d’autrui.

17. L’article 76 § 6 de la loi, telle qu’adoptée à l’origine, disposait qu’un ressortissant bulgare qui avait été expulsé d’un pays étranger pour infraction à la législation de celui-ci sur l’immigration pouvait être frappé de l’interdiction de quitter la Bulgarie et se voir refuser un passeport pendant une période d’un an. Ce paragraphe a cependant fait l’objet d’un amendement qui est entré en vigueur le 31 mars 2003 et a porté à deux ans la durée de l’interdiction.

18. Selon la jurisprudence constante de la Cour administrative suprême relative à cette disposition, les tribunaux ne sont pas compétents pour rechercher si les autorités ont correctement exercé leur pouvoir d’apprécier la nécessité d’une telle mesure ; le seul point qu’ils doivent vérifier, c’est si l’expulsion en question a eu lieu, indépendamment des motifs de cette mesure (реш. № 10917 от 3 декември 2002 г. по адм. д. № 7044/2002 г., ВАС, V о. ; реш. № 2365 от 14 март 2003 г. по адм. д. № 10736/2002 г., ВАС, V о. ; реш. № 9652 от 22 ноември 2004 г. по адм. д. № 4636/2004 г., ВАС, V о. ; реш. № 9653 от 22 ноември 2004 г. по адм. д. № 4637/2004 г., ВАС, V о. ; реш. № 9654 от 22 ноември 2004 г. по адм. д. № 4635/2004 г., ВАС, V о. ; реш. № 3497 от 18 април 2005 г. по адм. д. № 542/2005 г., ВАС, V о. ; реш. № 94 от 5 януари 2006 г. по адм. д. № 5672/2005 г., ВАС, V о. ; реш. № 5034 от 11 май 2006 г. по адм. д. № 9710/2005 г., ВАС, V о. ; реш. № 5229 от 17 май 2006 г. по адм. д. № 535/2006 г., ВАС, V о. ; реш. № 5966 от 2 юни 2006 г. по адм. д. № 829/2006 г., ВАС, V о. ; реш. № 7176 от 28 юни 2006 г. по адм. д. № 3700/2006 г., ВАС, V о. ; реш. № 10919 от 6 ноември 2006 г. по адм. д. № 4522/2006 г., ВАС, V о. ; реш. № 12533 от 13 декември 2006 г. по адм. д. № 6522/2006 г., ВАС, V о. ; реш. № 12551 от 13 декември 2006 г. по адм. д. № 7065/2006 г., ВАС, V о., et реш. № 1869 от 22 февруари 2007 г. по адм. д. № 9680/2006 г., ВАС, V о.).

19. Le 21 août 2009, le gouvernement déposa devant le Parlement un projet de loi visant à la modification de la loi de 1998, aux fins notamment de l’abrogation de l’article 76 § 6. Le Parlement adopta ce projet le 1er octobre 2009 et la loi modificative entra en vigueur le 20 octobre 2009. Dans les affaires qu’elle traita ultérieurement, la Cour administrative suprême estima que l’abrogation n’avait pas pour effet d’annuler automatiquement les interdictions de voyager prononcées avant son entrée en vigueur sur le fondement de l’article 76 (реш. № 13819 от 17 ноември 2009 г. по адм. д. № 6999/2007 г., ВАС, ІІІ о. ; реш. № 15106 от 10 декември 2009 г. по адм. д. № 7052/2009 г., ВАС, V о., et реш. № 10449 от 13 август 2010 г. по адм. д. № 1609/2010 г., ВАС, VІІ о.). La question fut résolue par l’adoption du paragraphe 5 des dispositions transitoires et finales d’une nouvelle loi portant modification de la loi de 1998. Entré en vigueur le 10 avril 2010, ce texte précisa que, dans le délai de trois mois à compter de cette date, toute mesure imposée en vertu de l’article 76 § 6 cesserait de produire ses effets.

III. INFORMATIONS STATISTIQUES PERTINENTES

20. D’après un rapport publié par le Bureau international du travail dans la série International Migration Papers (August Gächter, The Ambiguities of Emigration: Bulgaria since 1988, disponible à l’adresse http://www.ilo.org/public/english/protection/migrant/download/imp/imp39.pdf – consulté le 6 novembre 2012), de 1989 à 1998 l’émigration brute à partir de la Bulgarie a concerné un total de 747 000 personnes, dont 2 253 ont émigré en Suisse, 124 383 en Allemagne, 32 978 en Grèce, 344 849 en Turquie et 6 307 aux Etats-Unis.

IV. AUTRES DOCUMENTS PERTINENTS

21. L’article 1 § 1 et l’annexe du Règlement (CE) no 2317/95 du Conseil du 25 septembre 1995 indiquaient que les ressortissants bulgares devaient être munis d’un visa lors du franchissement des frontières extérieures des Etats membres de l’Union européenne. Cette situation a toutefois changé en vertu de l’article 1 § 2 et de l’annexe II du Règlement (CE) no 539/2001 du Conseil du 15 mars 2001 qui ont exempté les ressortissants bulgares de l’obligation de visa pour les séjours dont la durée totale n’excède pas trois mois.

22. Une étude publiée par le Centre for European Policy Studies (What about the Neighbours? The Impact of Schengen along the EU’s External Borders, document de travail du CEPS no 210/octobre 2004, disponible à l’adresse http://aei.pitt.edu/6641/1/1171_210.pdf – consulté le 6 novembre 2012), a fait observer :

« En l’espace de six ans, l’Union européenne a adopté une position consistant à imposer d’importantes concessions sur un large éventail de questions touchant aux frontières et à la circulation des personnes, en tant que prix à payer pour la suppression de l’obligation de visa. Pendant la même période, le gouvernement et la société bulgares dans leur ensemble ont commencé à travailler sur [une] stratégie globale dont l’objectif ultime est l’exemption de l’obligation de visa pour les ressortissants bulgares. » [Traduction du greffe]

23. L’étude se référait ensuite à un rapport de la Commission des communautés européennes de 2001 qui avait conduit à l’abolition de l’obligation de visa pour les ressortissants bulgares (Rapport de la Commission et du Conseil sur la Bulgarie dans la perspective de l’adoption du règlement fixant la liste des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l’obligation de visa pour franchir les frontières extérieures et la liste de ceux dont les ressortissants sont exemptés de cette obligation, COM(2001) 61 final, 2 février 2001, Bruxelles). Sous le titre « Sanctions applicables à l’émigration illégale vers les Etats membres », le rapport relevait que, « en vertu de l’article 76 [de la loi de 1998] dans sa version [de l’époque], une interdiction de quitter le territoire pendant une période d’un an [était] prononcée à l’encontre des ressortissants bulgares qui [avaient] enfreint la législation sur l’immigration d’un pays tiers ou [avaient] été expulsés par un pays tiers ». Passant en revue les mesures législatives en cours d’adoption par les autorités bulgares, le rapport indiquait qu’ « un projet de modification de l’article 76 prévo[yait] d’étendre à deux ans la durée de l’interdiction de quitter le territoire prononcée à l’encontre de ressortissants bulgares ». Ayant examiné l’ensemble des dispositions législatives pertinentes, le rapport concluait qu’ « [i]l ressort[ait] clairement des informations que les autorités bulgares [avaient] transmises aux services de la Commission et de la mission que celle-ci [avait] effectuée sur place, que la Bulgarie dispos[ait] des instruments juridiques nécessaires pour lui permettre de lutter contre l’immigration clandestine en provenance (...) de son territoire (...) ».

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DU PROTOCOLE No 4 À LA CONVENTION

24. Sous l’angle de l’article 2 du Protocole no 4, le requérant allègue que l’interdiction qui lui a été faite de quitter le territoire bulgare était injustifiée et disproportionnée.

25. L’article 2 du Protocole no 4 se lit ainsi :

« (...)

2. Toute personne est libre de quitter n’importe quel pays, y compris le sien.

3. L’exercice de [ce droit] ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l’ordre public, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

(...) »

26. Le Gouvernement soutient que les décisions adoptées par les autorités administratives et judiciaires au sujet du requérant étaient régulières et correctes. Les motifs présentés auraient répondu aux exigences découlant de l’article 76 § 6 de la loi de 1998. C’est une lettre de l’ambassade des Etats-Unis qui aurait conduit au prononcé de l’interdiction. Dès lors, les autorités, dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation, auraient estimé à juste titre que la mesure en cause était nécessaire à la réalisation des buts de la loi. Les tribunaux auraient été habilités à contrôler la régularité de la mesure mais non sa nécessité, et auraient convenablement appliqué la loi. Enfin, le Gouvernement souligne que l’article 76 § 6 a été abrogé en octobre 2009.

27. Le requérant n’a pas soumis d’observations.

28. La Cour estime que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

29. Sur le fond, la Cour observe tout d’abord que la présente affaire soulève une question assez nouvelle, puisqu’elle n’a pas encore eu l’occasion de se pencher sur les interdictions de voyager destinées à prévenir les infractions aux législations nationales ou étrangères sur l’immigration. Dans de précédentes affaires examinées sous l’angle de l’article 2 du Protocole no 4, la Cour ou l’ancienne Commission européenne des droits de l’homme se sont intéressées à de telles interdictions prononcées dans le contexte d’une procédure pénale pendante (Schmid c. Autriche, no 10670/83, décision de la Commission du 9 juillet 1985, Décisions et rapports (DR) 44, p. 195 ; Baumann c. France, no 33592/96, CEDH 2001‑V ; Földes et Földesné Hajlik c. Hongrie, no 41463/02, CEDH 2006‑XII ; Sissanis c. Roumanie, no 23468/02, 25 janvier 2007 ; Bessenyei c. Hongrie, no 37509/06, 21 octobre 2008 ; A.E. c. Pologne, no 14480/04, 31 mars 2009 ; Iordan Iordanov et autres c. Bulgarie, no 23530/02, 2 juillet 2009 ; Makedonski c. Bulgarie, no 36036/04, 20 janvier 2011 ; Pfeifer c. Bulgarie, no 24733/04, 17 février 2011 ; Prescher c. Bulgarie, no 6767/04, 7 juin 2011, et Miażdżyk c. Pologne, no 23592/07, 24 janvier 2012), de l’exécution d’une peine en matière pénale (M. c. République fédérale d’Allemagne, no 10307/83, décision de la Commission du 6 mars 1984, DR 37, p. 113), de l’absence de réhabilitation liée à une infraction pénale (Nalbantski c. Bulgarie, no 30943/04, 10 février 2011), d’une procédure de faillite pendante (Luordo c. Italie, no 32190/96, CEDH 2003‑IX), du refus de payer une amende douanière (Napijalo c. Croatie, no 66485/01, 13 novembre 2003), du manquement à acquitter un impôt (Riener c. Bulgarie, no 46343/99, 23 mai 2006), du manquement à rembourser à un créancier privé une dette établie par une décision judiciaire (Ignatov c. Bulgarie, no 50/02, 2 juillet 2009, et Gochev c. Bulgarie, no 34383/03, 26 novembre 2009), de la connaissance de « secrets d’Etat » (Bartik c. Russie, no 55565/00, CEDH 2006‑XV), du défaut d’accomplissement des obligations du service militaire (Peltonen c. Finlande, no 19583/92, décision de la Commission du 20 février 1995, DR 80‑B, p. 38, et Marangos c. Chypre, no 31106/96, décision de la Commission du 20 mai 1997, non publiée), de la maladie mentale associée au défaut de dispositif permettant une prise en charge adéquate dans l’Etat de destination (Nordblad c. Suède, no 19076/91, décision de la Commission du 13 octobre 1993, non publiée), ou d’une décision judiciaire interdisant d’emmener un enfant mineur à l’étranger (Roldan Texeira et autres c. Italie (déc.), no 40655/98, 26 octobre 2000, et Diamante et Pelliccioni c. Saint‑Marin, no 32250/08, 27 septembre 2011). La Cour considère que, malgré les différences entre ces affaires et l’espèce, les mêmes principes sont ici applicables.

30. L’article 2 § 2 du Protocole no 4 garantit à toute personne le droit de quitter n’importe quel pays pour se rendre dans n’importe quel autre pays de son choix où elle est susceptible d’être admise. L’interdiction faite au requérant de quitter la Bulgarie constitue à n’en pas douter une atteinte à ce droit. La saisie concomitante de son passeport s’analyse elle aussi en une atteinte à ce droit (voir la décision précitée Peltonen, p. 43, et les arrêts précités Baumann, §§ 62-63, Napijalo, §§ 69-73, et Nalbantski, § 61). Dès lors, il convient de déterminer si cette atteinte était « prévue par la loi », poursuivait un ou plusieurs des buts légitimes définis à l’article 2 § 3 du Protocole no 4, et si elle était « nécessaire dans une société démocratique » à la réalisation d’un tel but ou de tels buts.

31. L’ingérence reposait sur l’article 76 § 6 de la loi de 1998 sur les pièces d’identité (paragraphes 10 et 17 ci-dessus) et donc possédait clairement une base légale en droit interne. Le requérant n’a pas soutenu que l’ingérence n’était pas, pour d’autres motifs, « prévue par la loi », et la Cour ne voit aucune raison de juger qu’elle ne respectait pas cette exigence.

32. En outre, le contexte dans lequel les dispositions légales ayant servi de base à la mesure prise contre le requérant ont été adoptées puis renforcées (paragraphes 21-23 ci-dessus) fait apparaître que cette ingérence visait à dissuader et prévenir les infractions aux législations d’autres Etats en matière d’immigration, et ainsi à réduire la probabilité que ces Etats refusent à d’autres ressortissants bulgares l’entrée sur leur territoire, ou bien qu’ils durcissent ou refusent d’assouplir leurs régimes de visa à l’égard desdits ressortissants. Même si la Cour était disposée à admettre que l’ingérence poursuivait les buts légitimes que sont le maintien de l’ordre public ou la protection des droits d’autrui, il n’y a pas lieu en l’espèce de poursuivre l’examen de cette question, car en tout état de cause, comme cela a été expliqué ci-dessus, les restrictions en matière de voyage ne répondaient pas au critère de la « nécess[ité] dans une société démocratique » et à son exigence implicite de proportionnalité.

33. La Cour observe que l’interdiction de voyager infligée à l’intéressé n’a pas été très longue, la loi ayant prévu précisément une durée de deux ans (paragraphe 17 ci-dessus). Là n’est pas toutefois la question essentielle (voir, en sens contraire, Nalbantski, précité, § 56) : le point fondamental est de savoir si c’était une mesure proportionnée que de frapper le requérant d’une interdiction automatique de se rendre dans tout Etat étranger au motif qu’il avait enfreint la législation sur l’immigration d’un pays particulier.

34. La Cour ne saurait tenir pour proportionnée une mesure aussi générale et dépourvue de discernement. Les suites normales d’une infraction grave à la législation d’un pays en matière d’immigration consisteraient à expulser l’intéressé du pays concerné et à lui interdire (en vertu des lois dudit pays) de revenir sur son territoire pendant une période donnée. Le requérant a de fait subi de telles conséquences après avoir enfreint les conditions associées à son visa d’étudiant, puisqu’il a été expulsé des Etats‑Unis (paragraphe 8 ci-dessus). Apparaît relativement radicale la mesure par laquelle l’Etat bulgare, que l’on ne peut considérer comme directement touché par l’infraction du requérant, lui a en outre interdit de se rendre dans tout autre pays étranger pendant une période de deux ans.

35. De surcroît, les autorités n’ont nullement justifié l’arrêté litigieux et n’ont semble-t-il pas jugé nécessaire d’examiner la situation personnelle de l’intéressé ; quant aux tribunaux, ils ont estimé par la suite qu’ils ne pouvaient pas contrôler l’exercice par les autorités de leur pouvoir d’appréciation en la matière (comparer, mutatis mutandis, avec Riener, § 126, Gochev, § 54, et Nalbantski, § 66, tous précités). Ainsi, même si la disposition pertinente leur conférait un pouvoir d’appréciation relativement à la décision d’imposer ou non la mesure litigieuse, rien n’indique que dans l’exercice de ce pouvoir les autorités aient tenu compte de facteurs propres au requérant, tels la gravité de l’infraction à l’origine de son expulsion des Etats-Unis, le risque qu’il enfreignît les règles d’un autre Etat en matière d’immigration, sa situation familiale, financière et personnelle, ou le point de savoir s’il avait un casier judiciaire. La Cour a considéré dans de précédentes affaires, même si les contextes étaient différents, que des restrictions générales et presque automatiques de ce type ne pouvaient passer pour justifiées au regard de l’article 2 du Protocole no 4 (Riener, §§ 127-128 ; Bartik, § 48 ; Gochev, §§ 53 et 57, et Nalbantski, §§ 66‑67, tous précités).

36. Il est vrai que pendant la période antérieure à l’adoption de la disposition légale sur laquelle reposait l’arrêté, la Bulgarie était devenue un pays source d’immigration (paragraphe 20 ci-dessus) et que dans ces conditions il est à tout le moins défendable d’affirmer que l’Etat bulgare a pu juger nécessaire, pour des motifs de courtoisie internationale et des raisons pratiques, d’aider les autres Etats à mettre en œuvre leurs règles et politiques en matière d’immigration (paragraphe 32 ci-dessus). Il apparaît également que la disposition légale en question a été adoptée et par la suite renforcée (paragraphe 17 ci-dessus) dans le cadre d’un ensemble de mesures destinées à apaiser les craintes que pouvaient avoir notamment les Etats membres d’alors de l’Union européenne quant à l’immigration illégale en provenance de Bulgarie, et que cette disposition a joué un rôle dans la décision de l’Union européenne, prise en mars 2001, d’exempter les ressortissants bulgares de l’obligation de visa pour les séjours de courte durée (paragraphes 21-23 ci-dessus). Huit ans plus tard, en 2009, lorsque le besoin d’une telle disposition avait apparemment diminué, celle-ci a été abrogée (paragraphe 19 ci-dessus). Cependant, le fait que la loi autorisant l’adoption de la mesure litigieuse ait été adoptée dans ce contexte n’exclut pas un contrôle de cette loi au regard de la Convention (voir, mutatis mutandis, Capital Bank AD c. Bulgarie, no 49429/99, §§ 110-111, 24 novembre 2005). Par ailleurs, la mesure elle-même telle qu’appliquée au requérant ne peut pas être justifiée par le simple fait qu’elle ait pu être provoquée par cette pression (paragraphe 10 ci-dessus), et l’Etat défendeur ne saurait valablement se limiter à invoquer de telles raisons pour la légitimer (voir, mutatis mutandis, Nada c. Suisse [GC], no 10593/08, § 196, CEDH 2012). La Cour serait disposée à admettre qu’une interdiction de quitter son propre pays, infligée pour une infraction à la législation sur l’immigration d’un autre Etat, peut passer pour justifiée dans certaines situations impérieuses, mais elle considère que l’imposition automatique d’une telle mesure, sans prise en compte des circonstances propres à l’intéressé, ne peut être qualifiée de nécessaire dans une société démocratique.

37. Il y a donc eu violation de l’article 2 du Protocole no 4 à la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

38. Sous l’angle de l’article 8 de la Convention, le requérant allègue que l’interdiction de voyager, qui l’a empêché de se rendre aux Etats-Unis, où résidaient sa mère et son frère, s’analyse en une ingérence injustifiée dans sa vie familiale.

39. L’article 8 de la Convention dispose, en ses parties pertinentes :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...)

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

40. Le Gouvernement soutient que l’interdiction de voyager était prévue par la loi et a été imposée à un adulte âgé de trente ans. Par ailleurs, la possibilité pour le requérant de rejoindre sa mère et son frère aux Etats-Unis n’aurait pas dépendu des autorités bulgares mais de la politique des Etats‑Unis en matière d’immigration. Enfin, rien n’aurait empêché les proches de l’intéressé de lui rendre visite en Bulgarie.

41. Le requérant n’a pas soumis d’observations.

42. La Cour estime que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

43. Toutefois, eu égard au constat de violation de l’article 2 du Protocole no 4, la Cour considère qu’il n’y a pas lieu d’examiner également sous l’angle de l’article 8 de la Convention l’interdiction faite au requérant de voyager (Riener, § 134 ; A.E. c. Pologne, §§ 53‑54, et Pfeifer, § 62, tous précités ; voir, en sens contraire, İletmiş c. Turquie, no 29871/96, §§ 42-50, CEDH 2005‑XII, et Paşaoğlu c. Turquie, no 8932/03, §§ 41‑48, 8 juillet 2008, affaires dans lesquelles la Cour a examiné l’interdiction de quitter le territoire national sous l’angle de l’article 8 de la Convention et non de l’article 2 du Protocole no 4, parce que ce dernier instrument avait été signé mais non ratifié par la Turquie).

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

44. Le requérant allègue que les tribunaux, en examinant son recours judiciaire contre l’interdiction de voyager, ne se sont pas penchés sur la proportionnalité de cette mesure.

45. La Cour estime qu’il convient d’examiner ce grief sous l’angle de l’article 13 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

46. Les observations du Gouvernement ne contiennent pas de commentaires sur ce grief.

47. Le requérant n’a pas soumis d’observations.

48. La Cour estime que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

49. Lorsqu’il existe un grief défendable selon lequel un acte des autorités risque de porter atteinte au droit d’un individu découlant de l’article 2 § 2 du Protocole no 4, l’article 13 de la Convention exige que l’ordre juridique national fournisse à la personne concernée une possibilité effective de contester la mesure litigieuse et d’obtenir un examen suffisamment approfondi et offrant des garanties procédurales adéquates des questions pertinentes, de manière à ce que l’intéressé puisse présenter tous les arguments qui ont des incidences sur la proportionnalité – au sens du mot que lui confère la Convention – de la mesure (Riener, §§ 138 et 142, et Pfeifer, § 67, tous deux précités).

50. Eu égard à ses conclusions concernant l’interdiction de voyager infligée au requérant, la Cour estime défendable le grief de l’intéressé tiré de l’article 2 § 2 du Protocole no 4. Dès lors, il y a lieu de déterminer si le requérant a disposé d’un recours répondant aux exigences précitées.

51. La question principale qui se pose ici est, semble-t-il, de savoir si les tribunaux ont examiné les demandes puis les recours du requérant de manière suffisamment approfondie et en se référant aux facteurs pertinents pour la justification de l’interdiction au regard de la Convention (Pfeifer, précité, § 71). Comme cela ressort de leurs décisions (paragraphes 12 et 14 ci-dessus), les tribunaux ont jugé non pertinents les arguments avancés par le requérant pour contester la justification de la mesure, se préoccupant uniquement de la validité formelle de l’interdiction et estimant en particulier qu’ils ne pouvaient pas contrôler l’appréciation discrétionnaire que les autorités avaient faite de la nécessité de l’interdiction, point principal soulevé par le requérant (paragraphes 11 et 13 ci-dessus) et aspect essentiel de la mise en balance requise par l’article 2 § 3 du Protocole no 4. Une procédure qui, en raison de la portée limitée du contrôle, n’offre pas la possibilité d’examiner le contenu d’un grief défendable fondé sur la Convention ne saurait satisfaire aux exigences de l’article 13 (Riener, précité, §§ 142-143 ; voir aussi, mutatis mutandis, Glas Nadejda EOOD et Anatoli Elenkov c. Bulgarie, no 14134/02, §§ 69-70, 11 octobre 2007, et C.G. et autres c. Bulgarie, no 1365/07, § 62, 24 avril 2008, avec d’autres références).

52. Il y a donc eu violation de l’article 13 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

53. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

54. Le requérant n’a pas soumis de demande de satisfaction équitable.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 2 du Protocole no 4 à la Convention ;

3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief sous l’angle de l’article 8 de la Convention ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention.

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 27 novembre 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Lawrence EarlyIneta Ziemele
GreffierPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (quatriÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-115163
Date de la décision : 27/11/2012
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 2 du Protocole n° 4 - Liberté de circulation-{général} (article 2 al. 2 du Protocole n° 4 - Liberté de quitter un pays);Violation de l'article 13 - Droit à un recours effectif (Article 13 - Recours effectif)

Parties
Demandeurs : STAMOSE
Défendeurs : BULGARIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : TSANOV B.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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