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27/11/2012 | CEDH | N°001-114774

CEDH | CEDH, AFFAIRE BİLAL DOĞAN c. TURQUIE, 2012, 001-114774


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE BİLAL DOĞAN c. TURQUIE

(Requête no 28053/10)

ARRÊT

STRASBOURG

27 novembre 2012

DÉFINITIF

27/02/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Bilal Doğan c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Işıl Kar

akaş,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du co...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE BİLAL DOĞAN c. TURQUIE

(Requête no 28053/10)

ARRÊT

STRASBOURG

27 novembre 2012

DÉFINITIF

27/02/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Bilal Doğan c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 novembre 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 28053/10) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Bilal Doğan (« le requérant »), a saisi la Cour le 20 avril 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Mes M. Danış Beştaş et M. Beştaş, avocats à Diyarbakır. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

3. Le requérant allègue une violation des articles 5, 6, 8, 10 et 13 de la Convention et de l’article 2 du Protocole no 1. En particulier, il se plaint de la durée de sa détention provisoire.

4. Le 27 septembre 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond de l’affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1992 et réside à Batman.

6. Le 7 octobre 2009 vers 7 heures, le requérant, mineur à l’époque des faits, fut arrêté au terme d’une perquisition conduite à son domicile. Il était soupçonné d’avoir participé à trois manifestions (le 26 avril 2009, le 14 juillet 2009 et le 28 août 2009) en faveur de l’organisation illégale armée PKK[1], d’avoir, au cours de celles-ci, scandé des slogans et porté le drapeau de ladite organisation ainsi que les portraits de son ancien chef. Lors de la manifestation du 26 avril 2009, il lui était reproché d’avoir attaqué les forces de l’ordre avec des jets de pierre et au cocktail Molotov. A partir des vêtements retrouvés chez lui, les policiers identifièrent le requérant sur les enregistrements vidéos et photos.

7. Le 9 octobre 2009, le requérant, assisté par un avocat, fut entendu par le procureur de la République de Batman, puis traduit devant le juge pour mineurs de cette ville. Lors de son audition par le juge, il reconnut être la personne sur la photo prise le 26 avril 2009 ; il expliqua qu’il se trouvait là pour participer à une conférence de presse. Lorsque ses amis avaient commencé à lancer des pierres aux forces de l’ordre, il avait voulu quitter les lieux mais avait été arrêté par elles. Il contesta être la personne montrée sur les photos prises le 14 juillet 2009 et le 28 août 2009. Au terme de son audition, le juge ordonna son placement en détention provisoire compte tenu de l’existence de forts soupçons quant à la commission de plusieurs infractions, en l’occurrence la propagande d’une organisation terroriste, la dégradation de biens publics et une infraction à la loi sur les manifestations. Il prit aussi en considération la nature et la qualité de l’infraction reprochée et le fait que les preuves n’étaient pas encore réunies.

8. Le 12 octobre 2009, l’avocat du requérant contesta le placement en détention provisoire du requérant et demanda son élargissement. Par une décision du 16 octobre 2009, la cour d’assises de Batman rejeta cette demande compte tenu de l’existence de forts soupçons quant à la commission de l’infraction reprochée et du quantum de la peine encourue.

9. Le 9 novembre 2009, le procureur de la République près la cour d’assises spéciale de Diyarbakır, reprocha au requérant d’avoir commis une infraction au nom de l’organisation illégale armée précitée, d’avoir fait la propagande de celle-ci et d’avoir enfreint la loi sur les manifestations. Il l’inculpa sur le fondement de l’article 314 § 2 de la loi pénale réprimant l’appartenance à une organisation armée, de l’article 7 de la loi sur la lutte contre le terrorisme réprimant la propagande séparatiste et enfin de la loi no 2911 sur les manifestations.

10. A la suite de l’entrée en vigueur de la loi no 6008 du 22 juillet 2010, les mineurs ne pouvaient plus être jugés par des cours d’assises spéciales. Le 27 juillet 2010, le dossier du requérant fut transmis de la cour d’assises spéciale de Diyarbakır à la cour d’assises de Batman. Le même jour, le requérant fut mis en liberté provisoire.

11. Le 25 août 2010, la cour d’assises de Batman se déclara à son tour incompétente et transmit l’affaire au tribunal pour mineurs de Batman.

12. Le 3 décembre 2010, le tribunal pour mineurs de Batman rendit une ordonnance d’incompétence et transmit le dossier devant la cour d’assises spéciale de Diyarbakır au motif que la modification législative fut intervenue postérieurement à l’infraction alléguée.

13. D’après les éléments contenus dans le dossier, la procédure pénale demeure pendante devant la cour d’assises spéciale de Diyarbakır.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

14. Selon l’article 314 § 1 du code pénal, la personne qui crée et dirige une organisation armée, dans le but de commettre des infractions contre la sûreté de l’État ainsi que des infractions contre l’ordre constitutionnel et le fonctionnement de cet ordre est punie de dix à quinze ans d’emprisonnement. L’appartenance à ce type d’organisation est punie de cinq à dix ans d’emprisonnement (article 314 § 2).

15. Selon l’article 100 du code de procédure pénale, la mise en détention provisoire d’une personne n’est possible que s’il existe de forts soupçons que la personne concernée ait commis l’infraction reprochée et s’il existe un motif de détention, à savoir le risque de fuite ou d’altération des preuves. Cela étant, pour certains délits particulièrement graves parmi lesquels figure celui reproché au requérant, l’article 100 § 3 de la loi indique que l’on peut présumer l’existence des motifs de détention (risque de fuite et/ou d’altération des preuves) lorsqu’il existe des raisons plausibles de soupçonner l’intéressé d’avoir commis l’infraction.

16. L’article 18 du règlement relatif aux arrestations, gardes à vue et interrogatoires prévoit un régime spécial pour les mineurs ; selon cette disposition, l’enquête préliminaire relative à des mineurs est conduite par le procureur de la République lui-même. Un mineur arrêté doit ainsi être transféré immédiatement devant le procureur et bénéficier d’office de l’assistance d’un avocat. Il ne peut pas être détenu avec des personnes majeures.

17. Selon l’article 91 § 1 du code de procédure pénale, la durée maximum de garde à vue est de vingt-quatre heures. Pour les infractions commises en réunion et pour les nécessités de l’enquête, cette durée peut être prolongée de vingt-quatre heures supplémentaires à chaque fois sur autorisation du procureur de la République, pour une prolongation totale de trois jours maximum (article 91 § 3 du code de procédure pénale).

18. Selon l’article 8 de la loi no 6008 modifiant l’article 250 de la loi pénale, les mineurs ne peuvent pas être jugés par des cours d’assises spéciales.

III. LES TEXTES INTERNATIONAUX PERTINENTS

19. La Convention des Nations unies de 1989 relative aux droits de l’enfant (ci-après « la Convention des Nations unies »), adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1989, est contraignante en droit international pour les Etats qui y sont parties – ce qui est le cas de tous les Etats membres du Conseil de l’Europe.

L’article premier de la Convention des Nations unies est ainsi libellé :

« Au sens de la présente Convention, un enfant s’entend de tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable : »

L’article 3 § 1 se lit ainsi :

« 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. »

L’article 37 prévoit ceci :

« Les Etats parties veillent à ce que :

(...)

b) Nul enfant ne soit privé de liberté de façon illégale ou arbitraire. L’arrestation, la détention ou l’emprisonnement d’un enfant doit être en conformité avec la loi, n’être qu’une mesure de dernier ressort, et être d’une durée aussi brève que possible ;

c) Tout enfant privé de liberté soit traité avec humanité et avec le respect dû à la dignité de la personne humaine, et d’une manière tenant compte des besoins des personnes de son âge. En particulier, tout enfant privé de liberté sera séparé des adultes, à moins que l’on estime préférable de ne pas le faire dans l’intérêt supérieur de l’enfant, et il a le droit de rester en contact avec sa famille par la correspondance et par les visites, sauf circonstances exceptionnelles ;

d) Les enfants privés de liberté aient le droit d’avoir rapidement accès à l’assistance juridique ou à toute autre assistance appropriée, ainsi que le droit de contester la légalité de leur privation de liberté devant un tribunal ou une autre autorité compétente, indépendante et impartiale, et à ce qu’une décision rapide soit prise en la matière. »

(...)

EN DROIT

I. SUR LA RECEVABILITÉ

A. Le grief tiré de la garde à vue du requérant

20. Le requérant, invoquant l’article 5 § 3 de la Convention, allègue qu’il a été gardé à vue pendant trois jours avant d’être entendu par le procureur de la République, alors qu’il aurait dû être conduit devant le procureur immédiatement après son arrestation. Il précise que sa garde à vue n’a pas respecté les prescriptions du droit interne.

21. La Cour observe que la garde à vue du requérant a pris fin le 9 octobre 2009 avec son placement en détention provisoire, alors que la requête a été introduite le 20 avril 2010. De plus, elle note que l’examen de l’affaire ne permet de discerner aucune circonstance particulière qui aurait pu interrompre ou suspendre le délai de six mois établi par l’article 35 § 1 de la Convention (voir, entre autres, Ersoy et Aslan c. Turquie, no 16087/03, § 28, 28 avril 2009).

22. Il s’ensuit que le grief tiré de la durée de la garde à vue du requérant est tardif et doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

B. Le grief tiré de l’article 6 de la Convention

23. Invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant se plaint d’être jugé devant une cour d’assises spéciale. Il remet en question l’indépendance et l’impartialité de pareilles cours et affirme que le jugement de mineurs devant elles se heurte aux règles de Beijing.

24. La Cour observe cependant que la procédure pénale initiée à l’encontre du requérant est pendante devant les juridictions nationales et estime nécessaire de connaître l’issue de la procédure en droit interne pour pouvoir statuer sur ces griefs.

25. Il s’ensuit que ce grief est prématuré et qu’il doit être déclaré irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes, conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

C. Le grief tiré de l’article 10 de la Convention

26. Invoquant l’article 10 de la Convention, le requérant se plaint d’une atteinte à son droit à la liberté d’expression ; selon lui, il a été arrêté et poursuivi pour avoir simplement participé à une manifestation.

27. La Cour observe qu’il ressort des pièces du dossier qu’au cours de la procédure diligentée à l’encontre du requérant, celui-ci n’a aucunement allégué devant les autorités nationales une quelconque atteinte à son droit à la liberté d’expression.

28. Partant, la Cour estime que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

D. Le grief tiré de l’article 2 du Protocole no 1

29. Le requérant soutient que son droit à l’instruction, prévu par l’article 2 du Protocole no 1, a été atteint dans la mesure où il était scolarisé à la date de son arrestation.

30. Au vu de l’ensemble des éléments en sa possession et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour relève que le requérant formule ses allégations de manière très générale, sans étayer son grief tiré de l’article 2 du Protocole no 1.

31. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée, en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

E. Sur le grief tiré de l’article 5 § 4 de la Convention

32. Invoquant l’article 13 de la Convention, le requérant se plaint de l’ineffectivité de la procédure d’examen d’office de la détention provisoire. Il convient d’examiner ce grief sous l’angle de l’article 5 § 4 de la Convention.

33. La Cour estime qu’il ne lui appartient pas de se prononcer, au regard de l’article 5 § 4, sur les décisions adoptées ex officio et relatives à la prolongation de la détention (voir Knebl c. République tchèque, no 20157/05, § 76, 28 octobre 2010, et Altınok c. Turquie, no 31610/08, § 40, 29 novembre 2011).

34. Il s’ensuit que cette partie de la requête est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 a) et doit être rejetée en application de l’article 35 § 4.

F. Sur le surplus de la requête

35. La Cour constate qu’aucun des griefs restant à examiner n’est manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention ni ne se heurte par ailleurs à un quelconque autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de déclarer le restant de la requête recevable.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION

36. Le requérant se plaint de la durée de sa détention provisoire et d’avoir été en détention en l’absence de raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis les infractions reprochées. Il se plaint aussi d’avoir été maintenu en détention malgré son jeune âge. Il invoque l’article 5 § 3 de la Convention à cet égard. Il dénonce aussi une violation de l’article 8 de la Convention en raison de sa détention. Il convient d’examiner ces griefs sous l’angle de l’article 5 § 3 de la Convention, dont les passages pertinents sont rédigés comme suit :

« 3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »

37. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse. Il soutient que la durée de la détention subie par le requérant était raisonnable compte tenu de la gravité, de la nature et de la qualification de l’infraction reprochée. Il fait observer que l’intéressé était accusé de s’être livré à des activités criminelles au nom d’une organisation terroriste.

38. Le requérant fait remarquer qu’il a été détenu pour une durée excessive alors qu’il était mineur et se plaint que les décisions relatives à son maintien en détention provisoire n’ont jamais pris en considération sa minorité.

39. La Cour rappelle qu’il incombe en premier lieu aux autorités judiciaires nationales de veiller à ce que, dans un cas donné, la durée de la détention provisoire d’un accusé ne dépasse pas la limite du raisonnable. A cette fin, il leur faut examiner toutes les circonstances de nature à révéler ou écarter l’existence d’une véritable exigence d’intérêt public justifiant, eu égard à la présomption d’innocence, une exception à la règle du respect de la liberté individuelle et en rendre compte dans leurs décisions rejetant les demandes d’élargissement. C’est essentiellement sur la base des motifs figurant dans lesdites décisions, ainsi que des faits non controversés indiqués par l’intéressé dans ses recours, que la Cour doit déterminer s’il y a eu ou non violation de l’article 5 § 3 de la Convention (Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 154, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VIII). La persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention. Cependant, au bout d’un certain temps, elle ne suffit plus. La Cour doit dans ce cas établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté. Quand ceux-ci se révèlent « pertinents » et « suffisants », elle cherche de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 153, CEDH 2000‑IV).

40. La Cour rappelle que dans plusieurs affaires contre la Turquie, elle a exprimé son inquiétude face à la pratique consistant à placer des enfants en détention provisoire et conclu à la violation de l’article 5 § 3 de la Convention (Selçuk c. Turquie, no 21768/02, §§ 26-37, 10 janvier 2006, Güveç c. Turquie, no 70337/01, §§ 106-110, 29 janvier 2009, Nart c. Turquie, no 20817/04, §§ 28-35, 6 mai 2008, Taşçı et Demir c. Turquie, no 23623/10, §§ 30-37, 3 mai 2012, et Fikri Yakar c. Turquie, no 23639/10, §§ 41-48, 22 mai 2012). Dans l’affaire Nart, prenant en considération la richesse des textes internationaux pertinents en matière de protection de l’enfance, la Cour a énoncé que la détention provisoire des mineurs devait être envisagée comme une solution de dernier ressort et qu’elle devait être la moins longue possible (Nart, précité, § 31).

41. En l’espèce, la période à considérer a débuté le 7 octobre 2009 avec l’arrestation du requérant pour s’achever le 27 juillet 2010 avec sa remise en liberté provisoire (paragraphes 6 et 10 ci-dessus). Elle a donc duré environ neuf mois et vingt jours. Pendant cette période, la question du maintien en détention provisoire du requérant a été examinée à plusieurs reprises. Les décisions des juges sur le maintien en détention ont été fondées sur la nature des infractions reprochées, l’état des preuves, l’existence de raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis des infractions.

42. A la lecture du dossier, il n’apparaît aucunement que les juges appelés à se prononcer sur la mise ou le maintien en détention du requérant aient envisagé la détention en dernier recours, conformément aux obligations de la Turquie tant en droit interne qu’en vertu de plusieurs conventions internationales (voir, par exemple, Nart, précité, § 22, ou, plus récemment, Güveç, précité, § 108). En outre, bien que l’avocat du requérant ait, lors de l’opposition, attiré l’attention du juge sur le fait que son client était mineur, rien dans le dossier ne permet de penser que les juges aient dûment pris en considération l’âge du requérant lors de leurs examens et de leurs décisions de placement ou de maintien en détention provisoire de l’intéressé. La Cour estime que l’absence de prise en considération de l’âge du requérant lors de la décision de le maintenir en détention provisoire pendant plus de neuf mois est en soi suffisante pour l’amener à conclure à la violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

43. A la lumière de ce qui précède, la Cour considère que la durée de la détention provisoire du requérant était excessive et a emporté violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

44. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

45. Le requérant réclame 40 000 livres turques (TRY) (environ 17 850 euros (EUR)) pour préjudice moral.

46. Le Gouvernement conteste ce montant.

47. Statuant en équité, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 1 000 EUR pour dommage moral.

B. Frais et dépens

48. Le requérant demande également 12 000 TRY (environ 5 350 EUR) pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour, dont 10 500 TRY au titre des honoraires d’avocat. A titre justificatif, le requérant fournit un décompte horaire.

49. Le Gouvernement conteste ces montants.

50. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Prenant en compte les documents en sa possession et les critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme de 500 EUR et l’accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

51. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de la durée de la détention provisoire et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;

3. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en livres turque au taux applicable à la date du règlement :

i) 1 000 EUR (mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii) 500 EUR (cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 novembre 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Françoise Elens-PassosGuido Raimondi
Greffière adjointePrésident

* * *

[1]. Parti des travailleurs du Kurdistan.


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-114774
Date de la décision : 27/11/2012
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-3 - Caractère raisonnable de la détention provisoire)

Parties
Demandeurs : BİLAL DOĞAN
Défendeurs : TURQUIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : DANIS BESTAS M. ; BESTAS M.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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