La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/11/2012 | CEDH | N°001-114756

CEDH | CEDH, AFFAIRE MARGUŠ c. CROATIE, 2012, 001-114756


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE MARGUŠ c. CROATIE

(Requête no 4455/10)

ARRÊT

STRASBOURG

13 novembre 2012

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 27/05/2014

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Marguš c. Croatie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Anatoli Kovler, président,
Nina Vajić,
Peer Lorenzen,
Elisabeth Steiner,
Khanlar Hajiyev,
Linos-Alexandre

Sicilianos,
Erik Mose, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 octobre 2012,

Rend l’...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE MARGUŠ c. CROATIE

(Requête no 4455/10)

ARRÊT

STRASBOURG

13 novembre 2012

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 27/05/2014

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Marguš c. Croatie,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Anatoli Kovler, président,
Nina Vajić,
Peer Lorenzen,
Elisabeth Steiner,
Khanlar Hajiyev,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Mose, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 octobre 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 4455/10) dirigée contre la République de Croatie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Fred Marguš (« le requérant »), a saisi la Cour le 31 décembre 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me P. Sabolić, avocat à Osijek. Le gouvernement croate (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme Š. Stažnik.

3. Le requérant alléguait en particulier une violation de son droit à être jugé par un tribunal impartial, à se défendre lui-même et à ne pas être jugé ou puni deux fois. Le 5 septembre 2011, la chambre a décidé de communiquer la requête au Gouvernement et, comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, de se prononcer en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I. Les circonstances de l’espèce

4. Le requérant est né en 1961 et purge actuellement une peine d’emprisonnement à la prison d’Etat de Lepoglava.

A. La première procédure pénale dirigée contre le requérant (no K4/97)

5. Le 19 décembre 1991, les services de police d’Osijek saisirent le tribunal de comté d’Osijek d’une plainte pénale contre le requérant et cinq autres personnes, soutenant que le requérant, membre de l’armée croate, avaient tué plusieurs civils.

6. Le 25 septembre 1992 entra en vigueur la loi d’amnistie pour les poursuites et procédures pénales relatives à des infractions pénales commises pendant les conflits armés et la guerre dirigés contre la République de Croatie (Zakon o oprostu od krivičnog progona i postupka za krivična djela počinjena u oružanim sukobima i u ratu protiv Republike Hrvatske).

7. Le 20 avril 1993, le procureur militaire d’Osijek décida d’attraire le requérant devant le tribunal de comté d’Osijek pour des accusations de meurtre, de coups et blessures volontaires, de mise en danger de la vie et des biens d’autrui, et de vol. Les passages pertinents de l’acte d’accusation se lisent ainsi :

« le premier accusé, Marguš Fred

1. le 20 novembre 1991, vers 7 heures à Čepin (...) a tiré quatre fois avec une arme automatique sur S.B. (...), causant ainsi la mort de celui-ci ;

(...)

2. au même moment et au même endroit que ceux indiqués au point 1) (...) a tiré plusieurs fois avec une arme automatique sur V.B. (...) causant ainsi la mort de celui‑ci ;

(...)

3. le 10 décembre 1991, a emmené N.V. dans la forêt de « Vrbik » entre Čepin et Ivanovac (...) et a tiré à deux reprises avec une arme automatique sur N.V. (...), causant ainsi la mort de celui-ci ;

(...)

4. au même endroit et au même moment que ceux indiqués au point 3), a tiré avec une arme automatique sur Ne. V. (...) causant ainsi la mort de celui-ci ;

(...)

6. le 28 août 1991 vers 3 heures, a jeté un engin explosif dans des locaux commerciaux à Čepinski Martinovec (...), causant ainsi des dommages matériels ;

(...)

7. le 18 novembre 1991 à 00 h 35 à Čepin, a placé un engin explosif dans une maison (...) causant ainsi des dommages matériels (...) ;

8. Le 1er août 1991 à 15 h 30 à Čepin (...) a tiré sur R.C., le blessant légèrement, puis (...) a donné des coups de pieds à V.Ž. (...), le blessant grièvement (...) et a infligé le même traitement à R.C. (...), lui causant d’autres blessures légères (...) ;

(...)

9. Entre le 26 septembre et le 5 octobre 1991 à Čepin (...) a volé plusieurs armes et cartouches (...) ;

(...) »

Le requérant fut également inculpé pour s’être approprié plusieurs tracteurs et d’autres machines appartenant à autrui.

8. Le 25 janvier 1996, le procureur militaire adjoint d’Osijek abandonna les charges relatives aux chefs d’accusation 3), 4), 6), 7) et 9) de l’acte d’accusation, ainsi que les charges d’appropriation de biens d’autrui. Un nouveau chef d’accusation fut ajouté, par lequel le requérant fut inculpé pour avoir tiré sur un enfant, Sl.B., le 20 novembre 1991 vers 7 heures, et lui avoir ainsi causé des lésions corporelles graves.

9. Le 27 septembre 1996 fut promulguée la loi d’amnistie générale, qui disposait qu’une amnistie générale devait s’appliquer à toutes les infractions pénales commises en rapport avec la guerre en Croatie entre le 17 août 1990 et le 23 août 1996, sauf en ce qui concernait les actes constitutifs de violations très graves du droit humanitaire ou de crimes de guerre, notamment du crime de génocide (paragraphe 22 ci-dessous).

10. Le 24 juin 1997, le tribunal de comté d’Osijek, siégeant en un collège présidé par le juge M.K., décida en vertu de la loi d’amnistie générale de mettre fin à la procédure contre le requérant. Le passage pertinent de cette décision se lit ainsi :

« Le tribunal de comté d’Osijek (...) a pris le 24 juin 1997 la décision suivante : il est mis fin en vertu de l’article 1 §§ 1 et 3 et de l’article 2 § 2 de la loi d’amnistie générale à la procédure pénale engagée le 10 février 1997 à la suite de l’acte d’accusation émis par le parquet près le tribunal de comté (...) contre l’accusé Fred Marguš pour deux chefs de meurtre (...), coups et blessures volontaires (...) et mise en danger de la vie et de biens d’autrui (...).

(...)

Raisonnement

Dans son acte d’accusation no Kt-1/93 émis le 20 avril 1993, le parquet militaire d’Osijek a inculpé Fred Marguš de trois chefs de meurtre aggravé en vertu de l’article 35 § 1 du code pénal ; d’un chef de meurtre aggravé en vertu de l’article 35 § 2, alinéa 2, du code pénal ; de deux chefs de mise en danger de la vie et des biens d’autrui (...) en vertu de l’article 153 § 1 du code pénal ; d’un chef de coups et blessures volontaires en vertu de l’article 41 du code pénal ; d’un chef de vol d’armes et d’autres équipements de combat en vertu de l’article 223 §§ 1 et 2 du code pénal, et d’un chef de vol aggravé en vertu de l’article 131 § 2 du code pénal (...)

L’acte d’accusation ci-dessus a subi des modifications importantes à l’audience tenue le 25 janvier 1996 devant le tribunal militaire d’Osijek, à l’occasion de laquelle le procureur militaire adjoint a retiré certaines des accusations et a modifié la description des faits et du droit ainsi que la qualification juridique de certaines des infractions.

Ainsi, l’accusé Fred Marguš a été inculpé de deux chefs de meurtre en vertu de l’article 34 § 1 du code pénal, d’un chef de coups et blessures volontaires en vertu de l’article 41 § 1 du code pénal et d’un chef de mise en danger de la vie et des biens d’autrui (...) en vertu de l’article 146 § 1 du code pénal (...)

Après l’abolition des tribunaux militaires, le dossier a été transmis au parquet près le tribunal de comté d’Osijek, qui a repris les poursuites pour les mêmes charges et a sollicité la poursuite de la procédure devant le tribunal de comté d’Osijek. Celui-ci a transmis le dossier à un collège de trois juges dans le cadre de l’application de la loi d’amnistie générale.

Après examen du dossier, ce collège a conclu que les conditions de l’article 1 §§ 1 et 3 et de l’article 2 § 2 de la loi d’amnistie générale étaient remplies, et que l’accusé n’était pas exclu du bénéfice de l’amnistie.

La loi susmentionnée prévoit une amnistie générale pour les infractions pénales commises pendant l’agression, la rébellion armée ou le conflit armé (...) en République de Croatie. L’amnistie générale concerne les infractions pénales commises entre le 17 août 1990 et le 23 août 1996.

Sont exclus du bénéfice de l’amnistie générale uniquement les auteurs des violations les plus graves du droit humanitaire qui constituent des crimes de guerre, et de certaines infractions pénales énumérées à l’article 3 de la loi d’amnistie générale. Sont aussi exclus les auteurs d’autres infractions pénales visées par le code pénal (...) qui n’ont pas été commises pendant l’agression, la rébellion armée ou le conflit armé en Croatie et qui ne sont pas en rapport avec ces événements.

L’accusé, Fred Marguš est inculpé de trois infractions pénales commises à Čepin le 20 novembre 1991 et d’une infraction pénale commise à Čepin le 1er août 1991.

Les trois premières infractions concernent la période la plus difficile, lorsque eurent lieu les attaques les plus graves sur Osijek et l’est de la Croatie immédiatement après la chute de Vukovar, et les plus rudes combats pour la prise de Laslovo. Au cours de ces batailles, l’accusé s’est distingué en tant que combattant, faisant preuve d’un courage exceptionnel, et a été recommandé pour une promotion au rang de lieutenant par son officier supérieur à cette époque, le commandant du troisième bataillon de la 106e brigade de l’armée croate.

Dans la période critique concernant les trois premières infractions, l’accusé a agi en tant que membre de l’armée croate ; dans cette période très difficile, en sa qualité de commandant d’une unité, il a tenté d’empêcher qu’’un village en situation de danger immédiat ne tombe aux mains de l’ennemi. La quatrième infraction a été commise le 1er août 1993, alors que l’accusé était de service en tant que membre des forces réservistes à Čepin et était vêtu d’un uniforme militaire de camouflage et muni d’armes militaires. L’accusé avait rejoint les forces réservistes en juillet 1993, après les événements bien connus et le début de la rébellion armée dans le village de Tenja, près d’Osijek.

Eu égard au moment et à l’endroit des événements en cause, les actes de l’accusé étaient en rapport étroit avec l’agression, la rébellion armée et le conflit armé qui se sont déroulés en Croatie, et ont été commis pendant la période visée par la loi d’amnistie générale.

(...)

Dans ces conditions, le tribunal de céans estime que toutes les conditions légales pour l’application de la loi d’amnistie générale sont remplies (...) »

11. A une date non précisée, le procureur général présenta un pourvoi dans l’intérêt de la loi (zahtjev za zaštitu zakonitosti) à la Cour suprême, demandant à celle-ci de déclarer que l’article 3 § 2 de la loi d’amnistie générale avait été violé.

12. Le 19 septembre 2007, la Cour suprême, statuant sur le pourvoi susmentionné, conclut que la décision susmentionnée prise le 24 juin 1997 par le tribunal de comté d’Osijek violait l’article 3 § 2 de la loi d’amnistie générale. Le passage pertinent de cette décision se lit ainsi :

« (...)

L’article 1 § 1 de la loi d’amnistie générale prévoit une amnistie générale pour les poursuites pénales et les procédures pénales dirigées contre les auteurs d’infractions pénales commises en rapport avec l’agression, la rébellion armée et le conflit armé (...) en Croatie. En vertu du paragraphe 3 du même article, l’amnistie porte sur les infractions pénales commises entre le 17 août 1990 et le 23 août 1996. (...)

Pour que ces dispositions soient correctement interprétées (hormis la condition générale selon laquelle l’infraction pénale en question doit avoir été commise dans la période entre le 17 août 1990 et le 23 août 1996, qui a été remplie en l’espèce), il doit exister un lien direct et tangible entre l’infraction en question et l’agression, la rébellion armée ou le conflit armé. Cette interprétation est conforme au principe général selon lequel quiconque commet une infraction doit répondre de ses actes. Dès lors, les dispositions ci-dessus doivent être interprétées de manière raisonnable, avec la prudence nécessaire, de sorte que l’amnistie ne se contredise pas elle-même et ne remette pas en question le but même pour lequel la loi en cause a été édictée. Dès lors, l’expression « en rapport avec l’agression, la rébellion armée ou le conflit armé » figurant dans la loi d’amnistie générale, qui ne définit pas spécifiquement la nature de ce lien, doit être interprétée comme signifiant que le lien doit être direct et tangible.

(...)

Une partie de la description factuelle des infractions reprochées à l’accusé Fred Marguš aux points 1), 2) et 3) de l’acte d’accusation, qui suggère un certain rapport avec l’agression contre la République de Croatie ou la rébellion armée et les conflits armés en Croatie, se rapporte à l’arrivée des victimes de ces infractions (S.B., V.B. et le mineur Sl.B.) à Čepin, en compagnie de leurs voisins, après leur fuite du village d’Ivanovasc en raison de l’attaque par « l’A[rmée du] P[euple] Y[ougoslave] ». Il convient de souligner que nul ne conteste que l’accusé Fred Marguš était membre de l’armée croate. Toutefois, ces circonstances ne sont pas de nature à prouver l’établissement d’un lien direct avec l’agression, la rébellion armée ou les conflits armés en Croatie, qui représente une condition requise pour l’application de la loi d’amnistie générale.

Selon la description factuelle des infractions pénales exposées au point 4) de l’acte d’accusation, l’accusé a commis ces actes en qualité de membre des forces réservistes à Četin, après la fin de son service. Cette circonstance seule n’établit pas un lien tangible entre les infractions et la guerre car, si tel était le cas, l’amnistie s’étendrait à toutes les infractions pénales commises entre le 27 août 1990 et le 23 août 1996 par des membres de l’armée croate ou par les unités ennemies (à l’exception des infractions spécifiquement énumérées à l’article 3 § 1 de la loi d’amnistie générale) ; or, telle n’était certainement pas l’intention du législateur.

Enfin, la carrière militaire de l’accusé, décrite en détail dans la décision litigieuse, ne saurait constituer un critère d’application de la loi d’amnistie générale (...)

Il ne ressort pas de la description factuelle des infractions pénales dans l’acte d’accusation (...) que les actes en question ont été commis pendant l’agression, la rébellion armée ou le conflit armé en Croatie, ou qu’elles ont été commises en rapport avec ces événements.

(...) »

B. La seconde procédure pénale dirigée contre le requérant (no K 33/06)

13. Le 26 avril 2006, le parquet près le tribunal de comté d’Osijek inculpa le requérant de plusieurs chefs de crimes de guerre contre la population civile. La procédure fut menée par un collège de trois juges du tribunal de comté d’Osijek, qui comprenait le juge M.K. Pendant toute la procédure, le requérant fut représenté par un avocat.

14. Une audience de clôture fut tenue le 19 mars 2007 en présence, notamment, du requérant et de son avocat. Le requérant fut renvoyé de la salle d’audience pendant les conclusions finales des parties. Son avocat resta dans la salle d’audience et présenta ses conclusions finales. Le passage pertinent du procès-verbal écrit de l’audience se lit ainsi :

« Le président du collège relève que l’accusé Fred Marguš a interrompu le procureur adjoint près le tribunal de comté d’Osijek (« le procureur adjoint ») alors que celui-ci présentait ses conclusions finales et a été sommé par le collège de se calmer ; lorsqu’il a interrompu le procureur adjoint pour la seconde fois, l’intéressé a reçu un avertissement verbal.

Après que le président du collège eut averti oralement l’accusé Fred Marguš, celui-ci a continué à commenter les conclusions finales du procureur adjoint. En conséquence, le collège décide, et le président du collège ordonne, que l’accusé Fred Marguš soit renvoyé de la salle d’audience jusqu’au prononcé du jugement.

(...) »

15. Le requérant fut ensuite renvoyé de la salle d’audience et le procureur adjoint, les avocats des victimes, les avocats de la défense et celui de l’accusé présentèrent leurs conclusions finales.

16. Le prononcé du jugement fut fixé au 21 mars 2007 et l’audience fut close. Le requérant était présent au prononcé du jugement. Il fut déclaré coupable des faits qui lui étaient reprochés et condamné à quatorze ans d’emprisonnement. La partie pertinente du jugement se lit ainsi :

« (...)

L’accusé Fred Marguš (...)

et

l’accusé T.D. (...)

sont coupables [en ce que]

Dans la période entre le 20 et le 25 novembre 1991 à Čepin et aux alentours, en violation de l’article 3 § 1 de la Convention de Genève du 12 août 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, et de l’article 4 §§ 1 et 2 a) et l’article 13 du Protocole additionnel du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II), alors qu’il défendait ce territoire contre les attaques armées des rebelles serbes locaux et de « l’Armée du Peuple yougoslave » dans le cadre de l’agression conjointe menée par ceux-ci contre l’ordre juridique constitutionnel et l’intégrité territoriale de la République de Croatie, Fred Marguš, en sa qualité de commandant de la 2ème l’unité du troisième corps de la 130e brigade de l’armée croate, et l’accusé T.D., membre de la même unité sous le commandement de Fred Marguš, dans l’intention de tuer des civils serbes [commirent les actes suivants] ;

l’accusé Fred Marguš

a) le 20 novembre 1991 vers 8 heures à Čepin, reconnut V.B. et S.B. qui se tenaient (...) devant la caserne des pompiers à Ivanovac et fuyaient leur village en raison des attaques de l’Armée du Peuple yougoslave, (...) tira sur eux avec une arme automatique (...) touchant S.B. à la tête (...) et au cou, causant ainsi la mort immédiate de celui-ci, alors que V.B., blessé, tomba à terre. L’accusé partit alors mais revint peu de temps après et, voyant que V.B. était toujours en vie, avec à ses côtés son fils de neuf ans, Sl.B. (...) et sa femme M.B., tira de nouveau sur eux à l’arme automatique, atteignant V.B. par deux fois à la tête (...) et deux fois au bras (...), causant ainsi le décès immédiat de celui-ci, alors que Sl.B. recevait une balle dans la jambe (...) ce qui est constitutif de l’infraction de coups et blessures volontaires ;

b) dans la période entre le 22 et le 24 novembre 1991 à Čepin, arrêta N.V. et Ne.V., les menaça avec des armes à feu, s’appropria leur véhicule de marque Golf (...) les emmena dans le sous-sol d’une maison (...) où il les attacha avec des cordes à des chaises et les laissa enfermés sans eau ni nourriture puis, avec les membres de son unité (...) les battit et les insulta, les interrogea sur leurs activités prétendument hostiles et sur la possession d’une radio, et, pendant ce temps, empêcha les autres membres de l’unité de les aider (...) après quoi il les emmena hors de Čepin dans une forêt (...) où ils furent abattus de plusieurs balles (...) ce qui causa le décès de N.V. et Ne.V. ;

c) le 23 novembre 1991 vers 13 h 30 au terminal de voitures à Čepin, arrêta S.G. et D.G. ainsi que leur parent Lj. G., et les emmena en voiture jusqu’à une maison (...) les attacha avec les mains dans le dos et, avec le défunt T.B., les interrogea sur leurs activités prétendument hostiles et, le soir venu, alors qu’ils étaient toujours attachés, les emmena en voiture hors de Čepin (...) où il les abattit (...), causant ainsi leur décès ;

les accusés Fred Marguš et T.D., [agissant] de concert

d) le 25 novembre 1991 vers 13 heures à Čepin, voyant S.P. au volant de sa voiture de marque Golf (...) l’arrêtèrent à la demande de Fred Marguš (...) l’emmenèrent en voiture dans un champ (...) où (...) Fred Marguš ordonna à T.D. d’abattre S.P., [un ordre] auquel T.D. obéit, tira une fois sur S.D. (...) après quoi Fred Marguš tira sur l’intéressé à plusieurs reprises avec une arme automatique (...) causant ainsi le décès de S.P. (...) dont Fred Marguš s’appropria le véhicule.

(...) »

17. Le 19 septembre 2007, la Cour suprême confirma la condamnation du requérant et alourdit sa peine à quinze ans d’emprisonnement. Le passage pertinent de l’arrêt de la haute juridiction est ainsi libellé :

« En vertu de l’article 36 § 1, alinéa 5, du code de procédure pénale (CPP) un juge est dispensé d’accomplir ses fonctions juridictionnelles si, dans le cadre de la même affaire, il a participé à l’adoption d’une décision d’une juridiction inférieure ou s’il a participé à l’adoption de la décision litigieuse.

Certes, le juge M.K. a participé à la procédure dans le cadre de laquelle le jugement litigieux a été adopté. Il présidait le collège du tribunal de comté d’Osijek qui a adopté la décision (...) du 24 juin 1997 par laquelle il a été mis fin à la procédure contre l’accusé Fred Marguš en vertu de l’article 1 §§ 1 et 3 et de l’article 2 § 2 de la loi d’amnistie générale (...)

Même si les deux procédures ont été engagées contre le même accusé, il ne s’agit pas de la même affaire. Le juge en question a participé aux deux affaires différentes dont le tribunal de comté d’Osijek a été saisi contre le même accusé. Quant à l’affaire qui fait l’objet du présent appel, le juge M.K. n’a pas participé à l’adoption d’une décision d’une juridiction inférieure ou d’une décision qui fait l’objet d’un appel ou d’un recours extraordinaire.

(...)

C’est à tort que l’accusé allègue que le tribunal de première instance a agi en violation de l’article 346 § 4 et de l’article 347 §§ 1 et 4 du CPP lorsqu’il a tenu l’audience de clôture en son absence et en l’absence de son avocat car il l’avait renvoyé de la salle d’audience alors que les parties présentaient leurs conclusions finales. Selon l’accusé, il a ainsi été empêché de formuler ses conclusions finales. En outre, il n’aurait pas été informé de la conduite de l’audience en son absence, et la décision de le renvoyer de la salle d’audience n’aurait pas été adoptée par le collège chargé de l’affaire.

Contrairement aux allégations de l’accusé, il ressort du procès-verbal écrit de l’audience tenue le 19 mars 2007 que l’accusé Fred Marguš a interrompu le procureur adjoint près le tribunal de comté d’Osijek alors que celui-ci présentait ses conclusions finales, et a été averti à deux reprises par le président du collège. Etant donné qu’il a persisté dans le même comportement, le collège a décidé de le renvoyer de la salle d’audience (...)

Pareille mesure prise par le tribunal de première instance est conforme à l’article 300 § 2 du CPP. L’accusé Fred Marguš a commencé à troubler l’ordre public dans la salle d’audience alors que le procureur adjoint près le tribunal de comté d’Osijek présentait ses conclusions finales, et a persisté dans ce comportement, à la suite de quoi il a été renvoyé de la salle d’audience par une décision du collège. Il était de nouveau présent dans la salle d’audience lorsque le jugement a été prononcé le 21 mars 2007.

Etant donné que le tribunal du fond s’est pleinement conformé à l’article 300 § 2 du CPP, l’appel de l’accusé est dénué de fondement. Dans l’affaire en cause, il n’y a pas eu violation des droits de la défense et le renvoi de l’accusé de la salle d’audience pendant les conclusions finales des parties n’a eu aucune incidence sur le jugement.

(...)

L’accusé Fred Marguš soutient en outre (...) que le jugement litigieux a violé le principe « ne bis in idem » (...) car il avait déjà été mis un terme à la procédure relativement à certaines des accusations ayant donné lieu au jugement litigieux (...)

(...)

Certes, une procédure pénale a bien été menée devant le tribunal de comté d’Osijek sous le numéro K-4/97 contre l’accusé Fred Marguš concernant, notamment, quatre infractions (...) de meurtre (...) dont ont été victimes S.B., V.B., N.V. et Ne.V., ainsi que l’infraction (...) de mise en danger de la vie et des biens d’autrui (...) Le tribunal de comté d’Osijek a mis fin à cette procédure par la décision définitive no Kv 99/97 (K-4/97) du 24 juin 1997 sur la base de la loi d’amnistie générale (...)

Bien que les conséquences des infractions qui faisaient l’objet de la procédure menée devant le tribunal de comté d’Osijek sous le numéro K-4/97, à savoir les homicides de S.B., V.B., N.V. et Ne.V., ainsi que les coups et blessures volontaires commis sur la personne de Sl.B., fassent également partie du contexte factuel [des infractions en cause qui font l’objet] de la procédure dans laquelle le jugement litigieux a été adopté, les infractions [jugées dans les deux procédures pénales en cause] ne sont pas les mêmes.

La comparaison entre les contextes factuels [des infractions pénales examinées dans le cadre] des deux procédures montre que celles-ci ne sont pas identiques. Le contexte factuel [des infractions en cause] dans le jugement litigieux contient un élément criminel supplémentaire, d’une portée beaucoup plus large que celui qui forme la base de la procédure menée devant le tribunal de comté d’Osijek sous le numéro K-4/97. [En l’espèce], il est reproché à l’accusé Fred Marguš d’avoir violé les règles de la Convention de Genève du 12 août 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre et du Protocole additionnel du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II), en ce que, dans la période entre le 20 et le 25 novembre 1991, alors qu’il défendait ce territoire contre les attaques armées des rebelles serbes locaux et de « l’Armée du Peuple yougoslave » dans le cadre de l’agression conjointe menée par ceux-ci contre l’ordre juridique constitutionnel et l’intégrité territoriale de la République de Croatie, et en violation des règles du droit international, il a tué et torturé des civils, les a traités de manière inhumaine, les a arrêtés illégalement, a ordonné le meurtre d’un civil et a volé des biens appartenant à des civils. Les actes décrits ci-dessus sont constitutifs d’infractions contraires aux valeurs protégées par le droit international, à savoir de crimes de guerre contre la population civile au sens de l’article 120 § 1 du code pénal.

Etant donné que le contexte factuel de l’infraction en cause et sa qualification juridique diffèrent de ceux de l’infraction qui faisait l’objet de la procédure antérieure, de sorte que la portée des charges contre l’accusé Fred Marguš est notablement plus large et différente de l’affaire précédente (dossier numéro K-4/97), il n’y a pas autorité de la chose jugée (...) »

18. Un recours constitutionnel présenté ultérieurement par le requérant fut rejeté par la Cour constitutionnelle le 30 septembre 2009. La haute juridiction souscrivit au raisonnement de la Cour suprême.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

19. Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale (Zakon o kaznenom postupku – Journal officiel nos 110/1997, 27/1998, 58/1999, 112/1999, 58/2002 et 62/2003, 178/2004 et 115/2006) sont ainsi libellées :

Article 300

« 1) Lorsque l’accusé (...) trouble l’ordre lors d’une audience ou ne se conforme pas aux ordres du président du tribunal, celui-ci avertit l’accusé (...) Le collège peut ordonner que l’accusé soit renvoyé de la salle d’audience (...)

2) Le collège peut ordonner que l’accusé soit renvoyé de la salle d’audience pour un temps limité. Si l’accusé trouble de nouveau l’ordre [il peut être renvoyé de la salle d’audience] jusqu’à la fin de l’administration des preuves. Avant la clôture de l’administration des preuves, le président convoque l’accusé et l’informe de la conduite de l’instance. Si l’accusé continue de troubler l’ordre et d’outrager le tribunal, le collège peut de nouveau ordonner qu’il soit renvoyé de la salle d’audience. Dans ce cas, le procès se conclut en l’absence de l’accusé et le président ou un autre membre du collège l’informe du jugement adopté, en présence d’un greffier.

(...) »

Article 367

1. Un vice de procédure grave sera constaté lorsque

(...)

3. une audience est tenue en l’absence d’une personne dont la présence est obligatoire en vertu de la loi (...)

(...) »

20. Le passage pertinent de la loi d’amnistie pour les poursuites et procédures pénales concernant les infractions pénales commises pendant les conflits armés et la guerre contre la République de Croatie, adoptée le 25 septembre 1992 (Journal officiel no 58/1992, Zakon o oprostu od krivičnog progona i postupka za krivična djela počinjena u oružanim sukobima i u ratu protiv Republike Hrvatske), se lit ainsi :

Article 1

« Il sera mis un terme aux poursuites pénales contre les auteurs d’infractions [commises] pendant les conflits armés ou la guerre en République de Croatie, ou en rapport avec ces événements, entre le 17 août 1990 et la date d’entrée en vigueur de la présente loi. Aucune poursuite ou procédure pénale ne sera engagée relativement à ces infractions. Toute procédure pénale déjà engagée sera close d’office par un tribunal. Toute personne en détention relevant de l’amnistie (...) sera libérée.

Article 2

« Les auteurs d’infractions pénales pour lesquelles la République de Croatie est tenue d’ouvrir des poursuites en vertu du droit international ne bénéficieront d’aucune amnistie au sens de l’article 1 de la présente loi. »

Article 3

Un procureur peut introduire un appel dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la signification d’une décision rendue en application de l’article 1 (...) de la présente loi, lorsqu’il estime que cette décision contrevient à l’article 2 de la présente loi. »

21. Les modifications pertinentes apportées à la loi susmentionnée du 6 juin 1995 sont ainsi libellées :

Les mots « la date d’entrée en vigueur de la présente loi » figurant à l’article 1 § 1 de la loi d’amnistie pour les poursuites et procédures pénales concernant les infractions pénales commises pendant les conflits armés et la guerre contre la République de Croatie, adoptée le 25 septembre 1992, sont remplacés par les mots « 10 mai 1995 ».

22. La loi d’amnistie générale du 24 septembre 1996 (Journal officiel no 80/1996, Zakon o općem oprostu), en ses passages pertinents, se lit ainsi :

Article 1

« Les auteurs d’infractions pénales commises durant l’agression, la rébellion armée ou les conflits armés en République de Croatie, et en rapport avec ces événements, bénéficient d’une amnistie générale en vertu de la présente loi pour toutes poursuites ou procédures pénales.

Aucune amnistie ne sera accordée quant à l’exécution de jugements définitifs concernant les auteurs d’infractions pénales visées au paragraphe 1 du présent article.

L’amnistie pour les poursuites et procédures pénales s’applique aux infractions commises entre le 17 août 1990 et le 23 août 1996. »

Article 2

« Aucune poursuite ou procédure pénale ne sera instituée contre les auteurs d’infractions visées à l’article 1 de la présente loi.

Toute poursuite pénale déjà ouverte sera abandonnée et toute procédure pénale déjà engagée sera close d’office par un tribunal.

Toute personne en détention relevant de l’amnistie (...) sera libérée. »

Article 3

« Aucune amnistie ne sera accordée en vertu de l’article 1 de la présente loi aux auteurs des violations les plus graves du droit humanitaire, qui ont le caractère de crimes de guerre, à savoir : le crime de génocide au sens de l’article 119 du code pénal fondamental de la République de Croatie (Journal officiel no 31/1993, texte consolidé, nos 35/1993, 108/1995, 16/1996 et 28/1996) ; les crimes de guerre contre la population civile au sens de l’article 120 du même code ; les crimes de guerre contre les personnes blessées ou malades au sens de l’article 121 ; les crimes de guerre contre les prisonniers de guerre au sens de l’article 122 ; l’organisation de groupes [dans le but] d’aider à commettre un génocide ou des crimes de guerre au sens de l’article 123 ; l’homicide ou les coups et blessures illégaux contre des combattants ennemis au sens de l’article 124 ; l’appropriation illégale des biens appartenant à des morts ou des blessés sur le champ de bataille au sens de l’article 125 ; l’utilisation d’équipements de combat illégaux au sens de l’article 126 ; les infractions commises contre les négociateurs au sens de l’article 127 ; le traitement cruel des blessés, des malades et des prisonniers de guerre au sens de l’article 128 ; les retards injustifiés dans le rapatriement de prisonniers de guerre au sens de l’article 129 ; la destruction d’un patrimoine culturel et historique au sens de l’article 130 ; l’incitation à la guerre ou à l’agression au sens de l’article 131 ; l’usage abusif de symboles internationaux au sens de l’article 132 ; la discrimination raciale ou autre au sens de l’article 133 ; l’établissement de l’esclavage et le transfert d’esclaves au sens de l’article 134 ; le terrorisme international au sens de l’article 135 ; la mise en danger de personnes sous protection internationale au sens de l’article 136 ; la prise d’otages au sens de l’article 137 ; et l’infraction pénale de terrorisme en vertu des dispositions du droit international.

Aucune amnistie ne sera accordée aux auteurs d’autres infractions pénales prévues par le code pénal fondamental de la République de Croatie (Journal officiel no 31/1993, texte consolidé, nos 35/1993, 108/1995, 16/1996 et 28/1996) et par le code pénal de la République de Croatie (Journal officiel no 32/1993, texte consolidé, nos 38/1993, 28/1996 et 30/1996) qui n’ont pas été commises pendant l’agression, la rébellion armée ou les conflits armés en République de Croatie ou qui ne sont pas en rapport avec ces événements.

(...) »

Article 4

« Un procureur peut faire appel d’une décision d’un tribunal rendue en vertu de l’article 2 de la présente loi lorsqu’un tribunal a accordé une amnistie aux auteurs d’infractions pénales pour lesquelles la présente loi accorde une amnistie relevant de la classification juridique d’une infraction pénale par un procureur. »

III. Textes et documents internationaux pertinents

A. Les Conventions de Genève de 1949 relatives à la protection des victimes des conflits armés et leurs protocoles additionnels

23. Le passage pertinent de l’article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 se lit ainsi :

Article 3

« En cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international et surgissant sur le territoire de l’une des Hautes Parties contractantes, chacune des Parties au conflit sera tenue d’appliquer au moins les dispositions suivantes:

1) Les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres de forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention, ou pour toute autre cause, seront, en toutes circonstances, traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable basée sur la race, la couleur, la religion ou la croyance, le sexe, la naissance ou la fortune, ou tout autre critère analogue.

A cet effet, sont et demeurent prohibés, en tout temps et en tout lieu, à l’égard des personnes mentionnées ci-dessus :

a) les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices ;

b) les prises d’otages ;

c) les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants ;

d) les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable, rendu par un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires reconnues comme indispensables par les peuples civilisés.

(...) »

24. Les parties pertinentes de la Convention (I) de Genève de 1949 pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne (ci-après « la première Convention de Genève ») sont ainsi libellées :

Chapitre IX : De la répression des abus et des infractions

Article 49

« Les Hautes Parties contractantes s’engagent à prendre toute mesure législative nécessaire pour fixer les sanctions pénales adéquates à appliquer aux personnes ayant commis, ou donné l’ordre de commettre, l’une ou l’autre des infractions graves à la présente Convention définies à l’article suivant.

Chaque Partie contractante aura l’obligation de rechercher les personnes prévenues d’avoir commis, ou d’avoir ordonné de commettre, l’une ou l’autre de ces infractions graves, et elle devra les déférer à ses propres tribunaux, quelle que soit leur nationalité. Elle pourra aussi, si elle le préfère, et selon les conditions prévues par sa propre législation, les remettre pour jugement à une autre Partie contractante intéressée à la poursuite, pour autant que cette Partie contractante ait retenu contre lesdites personnes des charges suffisantes.

(...) »

Article 50

« Les infractions graves visées à l’article précédent sont celles qui comportent l’un ou l’autre des actes suivants, s’ils sont commis contre des personnes ou des biens protégés par la Convention : l’homicide intentionnel, la torture ou les traitements inhumains, y compris les expériences biologiques, le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé, la destruction et l’appropriation de biens, non justifiées par des nécessités militaires et exécutées sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire. »

25. Les articles 50 et 51 de la Convention (II) de Genève pour l’amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer (Genève, 12 août 1949, ci-après la « deuxième Convention de Genève ») ont le même libellé que les articles 49 et 50 de la première Convention de Genève.

26. Les articles 129 et 130 de la Convention (III) de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre (Genève, 12 août 1949, ci-après « la troisième Convention de Genève) reprennent également le libellé des articles 49 et 50 de la première Convention de Genève.

27. Le libellé des articles 49 et 50 de la première Convention de Genève se retrouve aussi aux articles 146 et 147 de la Convention (IV) de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre (Genève, 12 août 1949, ci-après « la quatrième Convention de Genève »).

28. Le passage pertinent du Protocole additionnel (II) aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Genève, 8 juin 1977) se lit ainsi :

Article 4

« 1. Toutes les personnes qui ne participent pas directement ou ne participent plus aux hostilités, qu’elles soient ou non privées de liberté, ont droit au respect de leur personne, de leur honneur, de leurs convictions et de leurs pratiques religieuses. Elles seront en toutes circonstances traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable. Il est interdit d’ordonner qu’il n’y ait pas de survivants.

2. Sans préjudice du caractère général des dispositions qui précèdent, sont et demeurent prohibés en tout temps et en tout lieu à l’égard des personnes visées au paragraphe 1 :

a) les atteintes portées à la vie, à la santé et au bien-être physique ou mental des personnes, en particulier le meurtre, de même que les traitements cruels tels que la torture, les mutilations ou toutes formes de peines corporelles ; (...) »

Article 13

1. La population civile et les personnes civiles jouissent d’une protection générale contre les dangers résultant d’opérations militaires. En vue de rendre cette protection effective, les règles suivantes seront observées en toutes circonstances.

2. Ni la population civile en tant que telle ni les personnes civiles ne devront être l’objet l’attaques. Sont interdits les actes ou menaces de violence dont le but principal est de répandre la terreur parmi la population civile.

3. Les personnes civiles jouissent de la protection accordée par le présent Titre, sauf si elles participent directement aux hostilités et pendant la durée de cette participation.

B. Les règles coutumières du droit humanitaire international

29. Mandaté par les Etats convoqués à la 26ème Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) présenta en 2005 une étude en deux volumes sur le droit international humanitaire coutumier (éditions J.-M. Henckaerts et L. Doswald-Beck, Droit international humanitaire coutumier, Cambridge University Press et CICR, 2005). Cette étude expose une liste de règles coutumières du droit international humanitaire. La règle 159, qui a trait aux conflits armés non-internationaux, se lit ainsi :

« A la cessation des hostilités, les autorités au pouvoir doivent s’efforcer d’accorder la plus large amnistie possible aux personnes qui auront pris part à un conflit armé non international ou qui auront été privées de liberté pour des motifs en relation avec le conflit armé, à l’exception des personnes soupçonnées ou accusées de crimes de guerre ou condamnées pour crimes de guerre. »

C. Le Conseil de sécurité des Nations unies

Résolution sur la situation en Croatie, 1120 (1997), 14 juillet 1997

« Le Conseil de sécurité

(...)

7. Demande instamment au Gouvernement de la République de Croatie de lever les ambiguïtés concernant la mise en œuvre de la loi d’amnistie et de l’appliquer de manière juste et objective conformément aux normes internationales, en particulier en menant à bien toutes les enquêtes sur les crimes faisant l’objet de l’amnistie et en entreprenant immédiatement, avec la participation de l’Organisation des Nations Unies et de la population serbe locale, un examen complet de tous les chefs d’accusation contre des personnes ayant commis des violations graves du droit international humanitaire qui ne font pas l’objet de l’amnistie, afin de mettre un terme aux procédures engagées contre toutes les personnes pour lesquelles les éléments de preuve sont insuffisants ;

(...) »

D. Le Parlement européen

Résolution A3-0056/93, 12 mars 1993

30. Le passage pertinent de la Résolution sur les droits de l’homme dans le monde et la politique communautaire en la matière pendant la période 1991-1992 est ainsi libellé :

« Le Parlement européen

(...)

7. estime que le problème de l’impunité (...) peut revêtir la forme d’amnisties, d’immunités ainsi que de juridictions spéciales et entrave la démocratie en excusant, dans les faits, les atteintes aux droits de l’homme par les personnes responsables et en perturbant leurs victimes ;

8. déclare qu’il ne saurait être question d’impunité pour les personnes responsables de crimes de guerre dans l’ex-Yougoslavie (...) »

IV. La pratique internationale pertinente

A. Le Comité des droits de l’homme des Nations unies

1. Observation générale 20, article 7 (quarante-quatrième session, 1992)

31. Le Comité des droits de l’homme des Nations unies a relevé en 1994 dans son Observation générale no 20 que certains Etats avaient accordé une amnistie pour des actes de torture. Il a ajouté que l’« amnistie est généralement incompatible avec le devoir qu’ont les Etats d’enquêter sur de tels actes, de garantir la protection contre de tels actes dans leur juridiction et de veiller à ce qu’ils ne se reproduisent pas à l’avenir. Les Etats ne peuvent priver les particuliers du droit à un recours utile, y compris le droit à une indemnisation et à la réadaptation la plus complète possible. »

2. Observation générale No 31 [80], La nature de l’obligation juridique générale imposée aux Etats parties au Pacte, 26 mai 2004

« 18. Lorsque les enquêtes mentionnées au paragraphe 15 révèlent la violation de certains droits reconnus dans le Pacte, les Etats parties doivent veiller à ce que les responsables soient traduits en justice. Comme dans le cas où un Etat partie s’abstient de mener une enquête, le fait de ne pas traduire en justice les auteurs de telles violations pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. Ces obligations se rapportent notamment aux violations assimilées à des crimes au regard du droit national ou international, comme la torture et les traitements cruels, inhumains ou dégradants analogues (article 7), les exécutions sommaires et arbitraires (article 6) et les disparitions forcées (articles 7 et 9 et, souvent, article 6). D’ailleurs, le problème de l’impunité des auteurs de ces violations, question qui ne cesse de préoccuper le Comité, peut bien être un facteur important qui contribue à la répétition des violations. Lorsqu’elles sont commises dans le cadre d’une attaque à grande échelle ou systématique contre une population civile, ces violations du Pacte constituent des crimes contre l’humanité (voir le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, article 7).

Par conséquent, lorsqu’il apparaît que des fonctionnaires ou des agents de l’État ont violé les droits énoncés dans le Pacte qui sont mentionnés dans le présent paragraphe, les États parties concernés ne sauraient exonérer les auteurs de leur responsabilité personnelle, comme cela s’est produit dans le cas de certaines amnisties (voir l’Observation générale no 20 (44)), et immunités préalables. En outre, aucun statut officiel ne justifie que des personnes accusées d’être responsables de telles violations soient exonérées de leur responsabilité juridique. (...) »

B. La Commission des droits de l’homme des Nations unies – Résolutions sur l’impunité

1. Résolution 2002/79, 25 avril 2002 et la résolution 2003/72, 25 avril 2003

« La Commission des droits de l’homme

(...)

2. Souligne également qu’il importe de prendre toutes les mesures nécessaires et possibles pour que les auteurs de violations du droit international relatif aux droits de l’homme et du droit international humanitaire, ainsi que leurs complices, aient à rendre compte de leurs actes, reconnaît qu’il ne devrait pas y avoir d’amnistie en faveur des auteurs de violations du droit international relatif aux droits de l’homme et du droit international humanitaire qui constituent de graves infractions et invite instamment les États à agir conformément à leurs obligations en vertu du droit international ;

(...) »

2. Résolution 2004/72, 21 avril 2004

La Commission des droits de l’homme

(...)

3. Estime également que les auteurs de violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire qui constituent des crimes ne devraient pas bénéficier d’une amnistie, invite instamment les États à agir conformément à leurs obligations en vertu du droit international, et accueille avec satisfaction la levée et l’annulation des amnisties et autres immunités ou la renonciation aux unes et aux autres.

(...) »

3. Résolution 2005/81, 21 avril 2005

La Commission des droits de l’homme

(...)

3. Estime également que les auteurs de violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire qui constituent des crimes ne devraient pas bénéficier d’une amnistie, invite instamment les États à agir conformément à leurs obligations en vertu du droit international, et accueille avec satisfaction la levée et l’annulation des amnisties et autres immunités ou la renonciation aux unes et aux autres, et prend note en outre de la conclusion du Secrétaire général selon laquelle des accords de paix entérinés par l’ONU ne peuvent en aucun cas promettre l’amnistie pour les actes de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, ou les atteintes graves aux droits de l’homme ;

(...) »

C. Le Rapporteur spécial des Nations unies sur la Torture

Cinquième rapport, UN Doc. E/CN.4/1998/38, 24 décembre 1997

32. En 1998, dans les conclusions et recommandations de son cinquième rapport sur la question des droits de l’homme de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement, en particulier de tortures et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme des Nations unies déclara à propos du projet de statut d’une cour criminelle internationale :

« 228. A ce propos, le Rapporteur spécial sait qu’il a été insinué que le fait d’accorder l’amnistie au niveau national pourrait faire obstacle à l’exercice de la compétence de la cour envisagée. Il estime qu’une telle initiative ne bouleverserait pas simplement le projet considéré, mais qu’elle subvertirait la légalité de l’ordre juridique international en général. Cela compromettrait gravement le but même de la cour en permettant aux Etats, par le biais de leurs lois, de soustraire les ressortissants à sa compétence. Cela saperait la légalité de l’ordre juridique international car, c’est un principe absolu, les Etats ne peuvent pas invoquer leur droit interne pour échapper à leurs obligations en droit international. Comme le droit international impose aux Etats de punir les types de crimes envisagés dans le projet de statut de la cour en général, et la torture en particulier, et de traduire leurs auteurs en justice, l’amnistie de ces crimes constitue ipso facto une violation de l’obligation de l’Etat intéressé de traduire les auteurs en justice. (...) »

D. Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY)

33. Le passage pertinent de l’affaire Furundzija (arrêt du 10 décembre 1998) se lit ainsi :

« 155. Le fait que la torture est prohibée par une norme impérative du droit international a d’autres effets aux échelons interétatique et individuel. A l’échelon interétatique, elle sert à priver internationalement de légitimité tout acte législatif, administratif ou judiciaire autorisant la torture. Il serait absurde d’affirmer d’une part que vu la valeur de jus cogens de l’interdiction de la torture, les traités ou règles coutumières prévoyant la torture sont nuls et non avenus, ab initio, et de laisser faire d’autre part les Etats qui, par exemple, prennent des mesures nationales autorisant ou tolérant la pratique de la torture ou amnistiant les tortionnaires. Si pareille situation devait se présenter, les mesures nationales violant le principe général et toutes dispositions conventionnelles pertinentes auraient les effets juridiques évoqués ci-dessus et ne seraient, au surplus, pas reconnues par la communauté internationale. Les victimes potentielles pourraient, si elles en ont la capacité juridique, engager une action devant une instance judiciaire nationale ou internationale compétente afin d’obtenir que la mesure nationale soit déclarée contraire au droit international ; elles pourraient encore engager une action en réparation auprès d’une juridiction étrangère, qui serait invitée de la sorte, notamment, à ne tenir aucun compte de la valeur juridique de l’acte national autorisant la torture. Plus important encore, les tortionnaires exécutants ou bénéficiaires de ces mesures nationales peuvent néanmoins être tenus pour responsables de la torture, que ce soit dans un Etat étranger ou dans leur propre Etat, sous un régime ultérieur. En résumé, les individus sont tenus de respecter le principe de l’interdiction de la torture, même si les instances législatives ou judiciaires nationales en autorisent la violation. Comme le faisait observer le Tribunal militaire international de Nuremberg, « les obligations internationales qui s’imposent aux individus priment leur devoir d’obéissance envers l’Etat dont ils sont ressortissants. »

E. Commission interaméricaine des droits de l’homme

1. Affaire 10.287 (El Salvador), rapport du 24 septembre 1992

34. En 1992, dans son rapport sur une affaire touchant aux massacres de Las Hojas au Salvador en 1983, à l’occasion desquels quelque 74 personnes auraient été tuées par des membres des forces armées salvadoriennes avec la participation de membres de la défense civile, affaire qui avait donné lieu à une requête devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme, celle-ci formula les considérations suivantes :

« (...) l’application [de la loi d’amnistie adoptée en 1987 par le Savador en vue de la réconciliation nationale] constitue une violation flagrante de l’obligation du gouvernement salvadorien d’enquêter et de sanctionner les violations des droits des victimes de Las Hojas, et d’indemniser les dommages résultant des violations (...). L’application de cette loi d’amnistie dans ces affaires, en fermant toute possibilité de réparation judiciaire dans les cas de meurtre, de traitement inhumain et de non-respect des garanties judiciaires, nie la nature fondamentale des droits de l’homme les plus basiques. Elle élimine peut-être les moyens les plus effectifs de mettre en œuvre de tels droits, à savoir le procès et la sanction des délinquants. »

2. Rapport sur la situation des droits de l’homme au Salvador, doc. OEA/Ser.L/II.85 Doc 28 rév. (1er juin 1994)

35. En 1994, dans un rapport sur la situation en matière de droits de l’homme au Salvador, la Commission interaméricaine des droits de l’homme formula les considérations suivantes concernant la loi salvadorienne d’amnistie générale pour la consolidation de la paix :

« (...) indépendamment de toute nécessité que les négociations de paix puissent susciter et indépendamment de considération purement politiques , la très radicale loi d’amnistie générale [pour la consolidation de la paix] adoptée par l’Assemblée législative du Salvador viole les obligations internationales qui incombent à cet Etat depuis sa ratification de la Convention américaine des droits de l’homme, parce qu’elle a rendu possible une « amnistie réciproque » sans aucune reconnaissance préalable des responsabilités (...), parce qu’elle s’applique à des crimes contre l’humanité, et parce qu’elle élimine toute possibilité d’obtenir une réparation pécuniaire adéquate, essentiellement pour les victimes. »

3. Affaire 10.480 (El Salvador), rapport du 27 janvier 1999

36. En 1999, dans un rapport concernant la loi salvadorienne d’amnistie générale pour la consolidation de la paix de 1993, la Commission interaméricaine des droits de l’homme formula les considérations suivantes :

112. La Commission doit souligner que [cette loi] a été appliquée à des violations graves des droits de l’homme au Salvador entre le 1er janvier 1980 et le 1er janvier 1992, y compris celles qui ont été examinées et établies par la Commission de la Vérité. En particulier, son application a été étendue, notamment, à des crimes comme les exécutions sommaires, la torture et les disparitions forcées de personnes. Certains de ces crimes sont considérés comme revêtant une gravité telle qu’ils ont justifié l’adoption de conventions spécifiques et l’introduction de mesures spéciales pour empêcher toute impunité en la matière, notamment la compétence universelle et l’inapplicabilité de la loi sur les limitations (...)

(...)

115. La Commission relève également qu’il semble que l’article 2 de [la présente loi] a été appliqué à toutes les violations de l’article 3 commun [aux Conventions de Genève] et au [Protocole additionnel II de 1997] commises par des agents de l’Etat pendant le conflit armé dont le Salvador a été le théâtre.

(...)

123. (...) en approuvant et en mettant en œuvre la loi d’amnistie générale, l’Etat salvadorien a violé le droit de bénéficier de garanties judiciaires consacré par l’article 8 § 1 de la [Convention américaine des droits de l’homme de 1969], au détriment des victimes ayant survécu à la torture et aux proches de (...) ceux qui n’ont pas pu obtenir réparation devant les tribunaux civils ; tout cela devant être replacé dans le contexte de l’article 1 § 1 de la Convention (...)

129. (...) en promulguant et en mettant en œuvre la loi d’amnistie, le Salvador a violé le droit à la protection judiciaire consacré par l’article 25 de la [Convention américaine des droits de l’homme de 1969], au détriment des victimes qui ont survécu (...) »

Dans ses conclusions, la Commission interaméricaine des droits de l’homme déclara que le Salvador « avait également violé, quant aux mêmes personnes, l’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève de 1949 et l’article 4 du [Protocole additionnel II de 1997] ». De plus, afin de préserver les droits des victimes, la Commission recommanda que le Salvador « annule, si besoin était, cette loi ex tunc ».

F. Cour interaméricaine des droits de l’homme

37. Dans son arrêt en l’affaire des Barrios Altos en 2001, qui soulevait la question de la légalité des lois d’amnistie péruviennes, la Cour interaméricaine des droits de l’homme formula les considérations suivantes :

« 41. Cette Cour considère inadmissibles les dispositions d’amnistie, les dispositions de prescription et l’établissement de dispositions visant l’exclusion de responsabilité ayant pour objet d’empêcher l’enquête et la sanction des responsables des violations graves des droits de l’homme telles que la torture, les exécutions sommaires, extrajudiciaires ou arbitraires ainsi que les disparitions forcées, qui sont toutes interdites car elles contreviennent des droits indérogeables reconnus par le droit international des droits humains.

42. Vu la plaidoirie de la Commission et l’absence de contestation de l’État, la Cour considère que les lois d’amnistie adoptées par le Pérou ont empêché que les familles des victimes et les victimes survivantes dans la présente affaire soient entendues par un juge, conformément à l’article 8.1 de la Convention ; ces lois ont violé le droit à la protection judiciaire consacré à l’article 25 de la Convention, empêché ‘investigation, la poursuite, la capture, la mise en accusation et la sanction des responsables des faits survenus à Barrios Altos, contrevenant ainsi à l’article 1.1 de la Convention, et ont empêché l’éclaircissement des faits en l’espèce. Enfin, l’adoption des lois d’autoamnistie incompatibles avec la Convention constitue un manquement à l’obligation d’adopter des mesures de droit interne prévue à l’article 2 de cet instrument.

43. La Cour juge nécessaire de souligner que, à la lumière des obligations générales consacrées aux articles 1.1 et 2 de la Convention américaine, les États parties ont le devoir de prendre des mesures, de quelque nature que ce soit, pour que personne ne soit privé de protection judiciaire et de l’exercice du droit à une voie de recours simple et efficace, conformément aux termes des articles 8 et 25 de la Convention. C’est pour cette raison que les États parties à la Convention qui adoptent des lois porteuses de cet effet, comme les lois d’autoamnistie, violent les articles 8 et 25 en relation avec les articles 1.1 et 2 de la Convention. Les lois d’autoamnistie impliquent, pour les victimes, un déni de justice et à la perpétuation de l’impunité ; elles sont donc manifestement incompatibles avec l’esprit et la lettre de la Convention américaine. Ce type de lois empêche toute identification des individus responsables de violations des droits de l’homme, car elles entravent l’enquête, l’accès à la justice et elles empêchent les victimes et leurs familles de connaître la vérité et d’obtenir la réparation correspondante.

44. En raison de l’incompatibilité manifeste existant entre les lois d’autoamnistie et la Convention américaine relative aux droits de l’homme, ces lois n’ont aucun effet juridique et ne sauraient demeurer un obstacle aux investigations des faits de cette affaire, à l’identification et à la sanction des responsables, pas plus qu’elles ne sauraient avoir des incidences égales ou similaires, sur d’autres affaires de violations aux droits consacrés dans la Convention américaine et qui auraient eu lieu au Pérou. »

Dans son vote concordant, le juge Antônio Cançado Trinidade ajouta :

« 13. La responsabilité internationale de l’Etat pour des violations des droits de la personne consacrés sur le plan international, y compris les violations résultant de l’adoption et de l’application de lois d’autoamnistie, et la responsabilité pénale individuelle des agents qui sont les auteurs de violations graves des droits de la personne et du droit international humanitaire, constituent deux faces de la même médaille dans la lutte contre les atrocités, l’impunité et l’injustice. Il a fallu attendre de nombreuses années pour parvenir à cette constatation, laquelle, si elle est possible aujourd’hui, est aussi attribuable, et je me permets d’insister sur quelque chose qui m’est très cher, au réveil de la conscience juridique universelle en tant que source matérielle par excellence du droit international même. »

EN DROIT

I. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

38. Le requérant allègue que le même juge a participé à la procédure qui s’est terminée en 1997 et à celle à l’issue de laquelle il a été déclaré coupable en 2007. Il se plaint également d’avoir été privé de son droit à formuler des conclusions finales. Il se fonde sur l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention, dont les passages pertinents se lisent ainsi :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, (...) par un tribunal indépendant et impartial, (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)

(...)

3. Tout accusé a droit notamment à :

(...)

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

(...) »

A. Recevabilité

39. Constatant que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B. Fond

1. Arguments des parties

40. Le requérant allègue que son droit à un procès équitable a été enfreint. Il explique tout d’abord que le juge M.K. n’a pas été un membre impartial du collège du tribunal qui l’a reconnu coupable de crimes de guerre contre la population civile et l’a condamné à quatorze ans d’emprisonnement, car le même juge a présidé la procédure pénale menée devant le tribunal de comté d’Osijek sous le numéro d’affaire K-4/97, dans le cadre de laquelle le requérant avait eu à répondre de charges qui, pour certaines, étaient les mêmes. L’intéressé estime en outre qu’en le renvoyant de la salle d’audience pendant l’audience de clôture du 19 mars 2007 le tribunal de comté d’Osijek a violé les règles de procédure.

41. En ce qui concerne le manque allégué d’impartialité du juge M.K., le Gouvernement soutient que la Cour suprême a examiné le même grief et a estimé que les deux procédures en cause concernaient deux affaires pénales différentes dirigées contre le requérant. Dans le cadre de la première procédure, le juge M.K. n’aurait pas statué sur le fond de l’affaire et n’aurait pas apprécié les preuves ni les accusations contre le requérant, mais aurait simplement appliqué la loi d’amnistie générale et mis fin à la procédure.

42. Quant au renvoi du requérant de la salle d’audience pendant l’audience de clôture du 19 mars 2007, le Gouvernement explique que le requérant avait troublé l’ordre dans la salle. Il ajoute qu’après le renvoi de son client de la salle, l’avocat du requérant a bien présenté ses conclusions finales.

2. Appréciation de la Cour

a. Impartialité du juge M.K.

43. La Cour rappelle que l’impartialité d’un tribunal au sens de l’article 6 § 1 s’apprécie selon une double démarche : la première consiste à essayer de déterminer la conviction personnelle de tel ou tel juge en telle occasion ; la seconde amène à s’assurer qu’il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (voir, parmi d’autres, Gautrin et autres c. France, 20 mai 1998, § 58, Recueil des arrêts et décisions 1998‑III).

44. Dans le cadre de la démarche subjective, la Cour considère que l’impartialité personnelle d’un magistrat se présume jusqu’à la preuve du contraire (Wettstein c. Suisse, no 33958/96, § 43, CEDH 2000‑XII). En l’espèce, la Cour n’est pas convaincue qu’il existe des preuves suffisantes permettant d’établir que le juge M.K. ait fait montre de partialité personnelle lorsqu’il a siégé au sein du tribunal de comté d’Osijek qui a reconnu le requérant coupable de crimes de guerre contre la population civile et l’a condamné à quatorze ans d’emprisonnement.

45. Pour ce qui est de l’appréciation objective, elle consiste à se demander si, indépendamment de la conduite personnelle du juge, certains faits vérifiables autorisent à mettre en doute l’impartialité de ce dernier. Il en résulte que, pour se prononcer sur l’existence, dans une affaire donnée, d’une raison légitime de redouter d’un juge un défaut d’impartialité, l’optique de la personne concernée entre en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif. L’élément déterminant consiste à savoir si l’on peut considérer les appréhensions de l’intéressé comme objectivement justifiées (Ferrantelli et Santangelo c. Italie, 7 août 1996, § 58, Recueil 1996-III ; Wettstein, précité, § 44, et Micallef c. Malte, no 17056/06, § 74, 15 janvier 2008). En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance ou, comme le dit un adage anglais « justice must not only be done, it must also be seen to be done » (il faut non seulement que justice soit faite, mais aussi qu’elle le soit au vu et au su de tous) (De Cubber c. Belgique, 26 octobre 1984, § 26, série A no 86 ; Mežnarić c. Croatie, no 71615/01, § 32, 15 juillet 2005, et Micallef, précité, § 75).

46. En l’espèce, la Cour constate que le juge M.K. a bien participé tant à la procédure pénale menée devant le tribunal de comté d’Osijek sous le numéro d’affaire K-4/97 qu’à la procédure pénale dirigée contre le requérant devant le même tribunal sous le numéro d’affaire K-33/06. Les charges reprochées au requérant dans ces deux procédures coïncident dans une certaine mesure (paragraphe 66 ci-dessous).

47. La Cour relève en outre que les deux procédures ont été menées en première instance, c’est-à-dire au stade du fond. La première procédure a pris fin en application de la loi d’amnistie générale, puisque le tribunal du fond a estimé que les charges contre le requérant relevaient de cette amnistie générale. Dans cette procédure, les faits de l’affaire n’ont pas été appréciés et la question de la culpabilité du requérant n’a pas examinée. Ainsi, le juge M.K. n’a exprimé d’opinion sur aucun aspect du fond de l’affaire.

48. La Cour estime que, dans ces circonstances, il n’y a aucun fait établi pouvant donner lieu à des doutes justifiés sur l’impartialité du juge M.K., et considère que le requérant n’a donné aucune raison légitime justifiant des craintes à cet égard.

49. Les considérations qui précèdent suffisent à la Cour pour conclure à la non-violation de l’article 6 § 1 de la Convention

b. Renvoi du requérant de la salle d’audience

50. La Cour observe tout d’abord qu’elle n’a point pour tâche de résoudre le conflit entre les parties sur la question de savoir si le tribunal de comté d’Osijek a agi conformément aux dispositions pertinentes du code croate de procédure pénale lorsqu’il a renvoyé le requérant de la salle d’audience pendant les conclusions finales des parties. Son rôle consiste plutôt à apprécier si, du point de vue de la Convention, les droits de la défense du requérant ont été respectés à un degré qui satisfait les garanties du procès équitable au regard de l’article 6 de la Convention. A cet égard, la Cour rappelle d’emblée que les exigences du paragraphe 3 de l’article 6 représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1 (voir, parmi d’autres, Balliu c. Albanie, no 74727/01, § 25, 16 juin 2005). Globalement, la Cour est appelée à examiner si la procédure pénale dirigée contre le requérant, dans son intégralité, était équitable (voir, parmi d’autres, Imbrioscia c. Suisse, 24 novembre 1993, § 38, série A no 275 ; S.N. c. Suède, no 34209/96, § 43, CEDH 2002‑V ; et Vanyan c. Russie, no 53203/99, §§ 63-68, 15 décembre 2005).

51. La Cour admet que les conclusions finales des parties représentent une étape importante du procès, puisqu’il s’agit de la seule occasion qu’ont les parties de présenter oralement leur point de vue sur l’intégralité de l’affaire et sur l’ensemble des preuves présentées au procès, et de donner leur appréciation de l’issue de l’affaire. Cependant, lorsque l’accusé trouble l’ordre dans la salle d’audience, on ne saurait attendre du tribunal qu’il demeure passif et autorise un tel comportement. Il relève du devoir normal du collège du tribunal de maintenir l’ordre dans la salle d’audience et les règles envisagées à cet égard s’appliquent de manière égale à tous les présents, y compris à l’accusé.

52. En l’espèce, le requérant a été averti à deux reprises de ne pas interrompre les conclusions finales du procureur adjoint près le tribunal de comté d’Osijek. Ce n’est qu’ensuite, parce qu’il ne se conformait pas à cet avertissement, qu’il a été renvoyé de la salle d’audience. Toutefois, l’avocat qui assurait sa défense est resté dans la salle et a présenté ses conclusions finales. Partant, le requérant ne s’est pas vu dénier la possibilité d’avoir le dernier mot sur l’affaire par la voix de son avocat. A cet égard, la Cour relève également que le requérant, qui a été légalement représenté tout au long de la procédure, a eu amplement l’occasion de développer sa stratégie de défense et de discuter avec son avocat des points à développer dans ses conclusions finales avant l’audience de clôture.

53. Dans ces conditions, et eu égard à la procédure dans son ensemble, la Cour estime que le renvoi du requérant de la salle d’audience pendant l’audience de clôture n’a porté aucun préjudice aux droits de la défense du requérant à un degré incompatible avec les exigences d’un procès équitable.

54. Dès lors, la Cour estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention à cet égard.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 4 DU PROTOCOLE No 7 A LA CONVENTION

55. Le requérant soutient que les infractions pénales qui ont fait l’objet de la procédure ayant pris fin en 1997 et celles pour lesquelles il a été jugé coupable en 2007 sont les mêmes. Il invoque l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention, ainsi libellé :

« 1. Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat.

2. Les dispositions du paragraphe précédent n’empêchent pas la réouverture du procès, conformément à la loi et à la procédure pénale de l’Etat concerné, si des faits nouveaux ou nouvellement révélés ou un vice fondamental dans la procédure précédente sont de nature à affecter le jugement intervenu.

3. Aucune dérogation n’est autorisée au présent article au titre de l’article 15 de la Convention. »

A. Recevabilité

56. Le Gouvernement argüe que la procédure menée contre le requérant pour des accusations de meurtre devant le tribunal de comté d’Osijek sous le numéro d’affaire K-4/97 a pris fin le 24 juin 1997, alors que la Convention est entrée en vigueur à l’égard de la Croatie le 6 novembre 1997. Dès lors, tout grief concernant cette procédure serait incompatible ratione temporis avec la Convention.

57. Le requérant n’a pas présenté d’observations sur ce point.

58. La Cour relève que la première procédure contre le requérant s’est en réalité terminée avant l’entrée en vigueur de la Convention à l’égard de la Croatie. Toutefois, la seconde procédure pénale, à l’issue de laquelle le requérant a été jugé coupable de crimes de guerre contre la population civile, a été menée et conclue après le 5 novembre 1997, date à laquelle la Croatie a ratifié la Convention. Le droit de ne pas être jugé ou puni deux fois ne peut être exclu à l’égard d’une procédure menée avant la ratification lorsque la personne concernée a été condamnée pour la même infraction après la ratification de la Convention. Le simple fait que la première procédure s’est terminée avant cette date ne peut donc empêcher la Cour d’être compétente ratione temporis en l’espèce.

59. Constatant que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B. Fond

1. Observations des parties

60. Le Gouvernement soutient que les deux procédures ne portaient pas sur les mêmes charges, étant donné que les accusations pénales contre le requérant dans le cadre de la seconde procédure étaient notablement plus larges, à tel point que les infractions en cause ont été qualifiées de crimes de guerre contre la population civile.

61. Le Gouvernement explique en outre que la seconde procédure représentait une exception au regard du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole no 7 et que cette procédure a été engagée aussi en raison d’un vice fondamental dans la procédure précédente. A cet égard, il explique que les Etats qui composaient l’ex-Yougoslavie étaient dans une certaine mesure réticents à l’idée de poursuivre leurs propres citoyens pour les violations du droit international et humanitaire qui ont conduit à l’établissement du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie à La Haye.

62. Selon le Gouvernement, en engageant la seconde procédure, les autorités nationales n’ont fait que se conformer à leur obligation de poursuivre et de sanctionner les auteurs de crimes de guerre.

63. Le requérant allègue que les accusations dirigées contre lui dans les deux procédures en cause coïncident partiellement, et qu’il a en conséquence été jugé deux fois pour les mêmes infractions.

2. Appréciation de la Cour

64. La Cour rappelle que dans l’affaire Zolotoukhine elle a conclu que l’article 4 du Protocole no 7 devait être compris comme interdisant de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde « infraction », pour autant que celle-ci avait pour origine des faits identiques ou des faits qui étaient en substance les mêmes (Sergueï Zolotoukhine c. Russie [GC], no 14939/03, § 82, CEDH 2009).

65. Ainsi, la première question à laquelle il faut répondre est celle de savoir si les infractions pour lesquelles le requérant a été poursuivi sont les mêmes. A cet égard, la Cour relève que les infractions décrites aux points 1), 2), 3) et 4) de l’acte d’accusation émis contre le requérant le 20 avril 1993 et le nouveau chef d’accusation rajouté le 25 janvier 1996 correspondent aux infractions décrites sous les points a) et b) du jugement du 21 mars 2007. Dès lors, de ce point de vue, les accusations contre le requérant étaient les mêmes dans les deux procédures pénales en cause.

66. La question suivante à laquelle il faut répondre en l’espèce est celle de savoir si la décision du 24 juin 1997 mettant fin à la procédure relative aux accusations portées par le procureur militaire adjoint d’Osijek le 25 janvier 1996 aux points 3) et 4) de l’acte d’accusation du 20 avril 1993 doit être comprise comme une décision finale d’acquittement ou de condamnation du requérant.

67. A cet égard, la Cour rappelle le libellé de l’article 4 du Protocole no 7, qui énonce que le principe ne bis in idem est violé lorsqu’une personne est « poursuivie ou punie pénalement en raison d’une infraction pour laquelle elle a déjà été acquittée ou condamnée par un jugement définitif ». Ce libellé peut se comprendre comme portant sur une situation dans laquelle la première procédure doit se terminer par la condamnation définitive ou l’acquittement de l’accusé. En l’espèce, la première procédure contre le requérant s’est terminée au motif que les conditions fixées par la loi d’amnistie générale étaient remplies (paragraphe 10 ci-dessus). Cette décision ne présupposait aucune investigation sur les charges portées contre le requérant et ne valait pas appréciation de la culpabilité du requérant. Pour la Cour, il est donc douteux qu’elle puisse être considérée comme un jugement définitif d’acquittement ou de condamnation au sens de l’article 4 du Protocole no 7.

68. Toutefois, la Cour préfère laisser cette question ouverte en l’espèce et poursuivre son analyse sous l’angle du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole no 7. Cette disposition prévoit expressément la possibilité qu’une personne puisse avoir à accepter des poursuites concernant les mêmes accusations, conformément au droit interne, lorsqu’un procès est rouvert à la suite de la révélation de faits nouveaux ou d’un vice fondamental dans la procédure précédente.

69. La Cour relève que la première procédure pénale a été engagée contre le requérant le 19 décembre 1991. Dans l’acte d’accusation du 20 avril 1993, il a été accusé de meurtre, de coups et blessures volontaires, de mise en danger de la vie et des biens d’autrui, et de vol. Il a été mis fin à la procédure en application de la loi d’amnistie générale de 1996.

70. Toutefois, dans le cadre de la procédure ouverte par l’acte d’accusation du 26 avril 2006, certains de ces faits ont été ultérieurement qualifiés de crimes de guerre contre la population civile, notamment ceux qui ont consisté à enlever des civils, à les attacher avec des cordes dans le sous-sol d’une maison sans eau ni nourriture, à les frapper, à les interroger, à empêcher d’autres personnes d’aider les otages, et à tuer délibérément plusieurs civils et à s’approprier leurs biens. Le requérant a été condamné pour ces crimes. Les juridictions nationales ont estimé qu’il avait violé l’article 3 § 1 de la quatrième Convention de Genève et l’article 4 §§ 1 et 2 a) et l’article 13 du Protocole additionnel du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II).

71. La Cour relève que dans sa décision du 19 septembre 2007 la Cour suprême a établi que la loi d’amnistie générale avait été appliquée à tort aux infractions commises par le requérant. A cet égard, celle-ci a observé que le requérant était à cette époque le commandant de la 2ème unité du 3e corps de la 130e brigade de l’armée croate. Après avoir décrit les crimes commis par le requérant, la haute juridiction a aussi constaté que la manière dont la loi d’amnistie générale avait été interprétée dans l’affaire de l’intéressé remettait en question le but même pour lequel la loi en question avait été édictée.

72. La Cour réaffirme que, lorsqu’un agent de l’Etat est accusé de crimes impliquant des actes de torture ou de mauvais traitements, il est de la plus haute importance que la procédure ou la condamnation ne soient pas rendues caduques par une prescription, et l’application de mesures telles que l’amnistie ou la grâce ne saurait être autorisée (Abdülsamet Yaman c. Turquie, no 32446/96, § 55, 2 novembre 2004 ; Okkalı c. Turquie, no 52067/99, § 76, CEDH 2006‑XII, et Yeşil et Sevim c. Turquie, no 34738/04, § 38, 5 juin 2007). Elle estime en particulier que les autorités ne doivent en aucun cas donner l’impression qu’elles sont disposées à laisser de tels traitements impunis (Egmez c. Chypre, no 30873/96, § 71, CEDH 2000‑XII, et Turan Cakir c. Belgique, no 44256/06, § 69, 10 mars 2009).

73. Dans sa décision en l’affaire Ould Dah c. France ((déc.), no 13113/03, CEDH 2009), la Cour, à l’instar du Comité des droits de l’homme des Nations unies et du TPIY, a considéré que l’amnistie était généralement incompatible avec le devoir qu’ont les Etats d’enquêter sur des actes de torture et qu’on ne saurait dès lors remettre en cause l’obligation de poursuivre des criminels en accordant l’impunité à l’auteur des faits par l’adoption d’une loi d’amnistie susceptible d’être qualifiée d’abusive au regard du droit international. L’obligation qu’ont les Etats de poursuivre des actes tels que la torture, qui s’applique également aux assassinats, est donc bien établie dans la jurisprudence de la Cour. La Cour est d’avis que cela vaut également pour les crimes de guerre.

74. L’octroi d’une amnistie relativement à des « crimes internationaux » – ce qui inclut les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et le génocide – est de plus en plus considéré comme interdit par le droit international. Cette interprétation ressort des règles coutumières du droit international humanitaire, des traités en matière de droits de l’homme, ainsi que des décisions de tribunaux internationaux et régionaux et de la pratique qui se développe dans les Etats, car on observe une tendance croissante des tribunaux internationaux, régionaux et nationaux à annuler les amnisties générales édictées par les gouvernements.

75. Eu égard à ces pratiques et aux recommandations de divers organes internationaux en vue de prévenir ou d’interdire le bénéfice d’une amnistie relativement à des crimes de guerre, la Cour accepte l’argument du Gouvernement selon lequel l’octroi d’une amnistie au requérant pour des actes qualifiés de crimes de guerre contre la population civile a constitué un vice fondamental dans la procédure (paragraphe 62 ci-dessus).

76. Au vu des considérations ci-dessus, la Cour souscrit aux conclusions de la Cour suprême croate selon lesquelles la loi d’amnistie a été appliquée à tort dans l’affaire du requérant (paragraphe 12 ci-dessus). Elle estime qu’il y a eu un vice fondamental dans la procédure dans le cadre de laquelle la loi d’amnistie générale a été appliquée aux crimes commis par le requérant, et donc que les conditions posées par le paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole no 7 pour la réouverture du procès ont été remplies en l’espèce. Dès lors, il n’y a pas eu violation de l’article 4 du Protocole no 7.

III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE LA CONVENTION

77. Enfin, le requérant se plaint également au regard de l’article 6 § 1 de l’appréciation des faits et des éléments de preuve par les juridictions nationales.

78. Eu égard à l’ensemble des éléments dont elle dispose, et pour autant que les questions litigieuses relèvent de sa compétence, la Cour estime que cette partie de la requête ne révèle aucune apparence de violation de la Convention. Il s’ensuit qu’elle est irrecevable en vertu de l’article 35 § 3 a) pour défaut manifeste de fondement et qu’elle doit être rejetée en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare recevables les griefs tirés de l’article 6 de la Convention relativement au défaut d’impartialité du juge M.K. et au renvoi du requérant de la salle d’audience, ainsi que le grief tiré de l’article 4 du Protocole no 7, et déclare la requête irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 de la Convention ;

3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention ;

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 13 novembre 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren NielsenAnatoly Kovler
GreffierPrésident


Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award