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06/11/2012 | CEDH | N°001-114649

CEDH | CEDH, AFFAIRE ALIŠIĆ ET AUTRES c. BOSNIE-HERZÉGOVINE, CROATIE, SERBIE, SLOVÉNIE ET « L'EX-RÉPUBLIQUE YOUGOSLAVE DE MACÉDOINE », 2012, 001-114649


Quatrième section

AFFAIRE ALIŠIĆ ET AUTRES c. BOSNIE-herzégovine, Croatie, Serbie, Slovénie et ex-République yougoslave de Macédoine

(Requête no 60642/08)

ARRÊT

STRASBOURG

6 novembre 2012

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 16/07/2014

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Ališić et autres c. Bosnie-Herzégovine, Croatie, Serbie, Slovénie et ex-République yougoslave de Macédoine

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième s

ection), siégeant en une chambre composée de :

Nicolas Bratza, président,

Lech Garlicki,

Nina Vajić,

Boštjan M. Zupančič,

Ljiljana ...

Quatrième section

AFFAIRE ALIŠIĆ ET AUTRES c. BOSNIE-herzégovine, Croatie, Serbie, Slovénie et ex-République yougoslave de Macédoine

(Requête no 60642/08)

ARRÊT

STRASBOURG

6 novembre 2012

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 16/07/2014

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Ališić et autres c. Bosnie-Herzégovine, Croatie, Serbie, Slovénie et ex-République yougoslave de Macédoine

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Nicolas Bratza, président,

Lech Garlicki,

Nina Vajić,

Boštjan M. Zupančič,

Ljiljana Mijović,

Dragoljub Popović,

Mirjana Lazarova Trajkovska, juges,

ainsi que de Lawrence Early, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 octobre 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 60642/08) dirigée contre la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Serbie, la Slovénie et l’ex‑République yougoslave de Macédoine, et dont trois ressortissants bosniens, Mme Emina Ališić, M. Aziz Sadžak et M. Sakib Šahdanović (« les requérants »), ont saisi la Cour le 30 juillet 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). La première requérante a également la nationalité allemande.

2. Devant la Cour, les requérants ont été représentés par Me B. Mujčin, avocat en Allemagne. Les gouvernements de la Bosnie-Herzégovine, de la Croatie, de la Serbie, de la Slovénie et de l’ex-République yougoslave de Macédoine (« les Gouvernements ») ont été représentés par leurs agents respectifs, Mme M. Mijić, Mme Š. Stažnik, M. S. Carić, Mme N. Pintar Gosenca et M. K. Bogdanov.

3. Dans leur requête, les requérants alléguaient qu’ils demeuraient dans l’incapacité de retirer les « anciens » fonds en devises qu’ils avaient déposés sur des comptes tenus par l’agence de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana et par l’agence d’Investbanka à Tuzla.

4. Par une décision du 17 octobre 2011, la Cour a résolu de joindre au fond la question du non-épuisement des voies de recours internes et a déclaré la requête recevable.

5. Les parties ont soumis à la Cour des observations complémentaires sur le fond (article 59 § du règlement de la Cour). La Cour ayant décidé, après avoir consulté les parties, qu’il ne s’imposait pas de tenir une audience consacrée au fond de l’affaire (article 59 § 3 du règlement de la Cour), les parties ont chacune soumis des commentaires écrits sur les observations de l’autre.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Les requérants sont nés en 1976, 1949 et 1952 respectivement. Ils résident en Allemagne.

7. Avant la dissolution de la République socialiste fédérative de Yougoslavie (« la RSFY »), Mme Ališić et M. Sadžak avaient déposé des fonds en devises sur des comptes tenus par ce qui était alors la Ljubljanska Banka Sarajevo. Pour sa part, M. Šahdanović avait déposé des fonds en devises sur des comptes tenus par l’agence d’Investbanka à Tuzla. Il semble que les comptes respectifs des parties présentent un solde créditeur de 4 715,56 marks allemands (DEM), 129 874,30 DEM et 63 880,44 DEM. M. Šahdanović détiendrait en outre 73 dollars américains (USD) et quatre schillings autrichiens sur ses comptes.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Le droit et la pratique internes de la RSFY

8. Avant les réformes économiques des années 1980/1990, le système bancaire privé se composait d’« établissements de base » et de « banques associées ». En règle générale, les établissements de base avaient pour fondateurs et propriétaires des sociétés collectives[1] implantées dans la même entité territoriale qu’eux (c’est-à-dire dans l’une des républiques – la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Macédoine, le Monténégro, la Serbie et la Slovénie – ou dans l’une des provinces autonomes, le Kosovo et la Voïvodine). La Ljubljanska Banka Sarajevo avait été fondée par seize sociétés collectives de Bosnie-Herzégovine (parmi lesquelles figuraient Energoinvest Sarajevo, Gorenje Bira Bihać, Šipad Sarajevo, Velepromet Visoko et Đuro Salaj Mostar) et Pamučni kombinat Vranje, une société serbe. Deux ou plusieurs établissements de base pouvaient se regrouper pour constituer une banque associée sans pour autant perdre leur personnalité juridique propre. En 1978, la Ljubljanska Banka Sarajevo, la Ljubljanska Banka Zagreb, la Ljubljanska Banka Skopje et d’autres établissements de base fondèrent une banque associée, la Ljubljanska Banka Ljubljana. De la même manière, Investbanka et plusieurs autres établissements de base fondèrent la même année la Beogradska udružena Banka Beograd. A l’époque, la RSFY comptait quelque 150 établissements de base et neuf banques associées (la Jugobanka Beograd, la Beogradska Udružena Banka, la Privredna Banka Sarajevo, la Vojvođanska Banka Novi Sad, la Kosovska Banka Priština, l’Udružena Banka Hrvatske Zagreb, la Ljubljanska Banka Ljubljana, la Stopanska Banka Skopje et l’Investiciona Banka Titograd).

9. Confrontée à un besoin urgent de devises fortes, la RSFY chercha à inciter ses ressortissants expatriés et les autres à déposer des devises dans ses banques en rémunérant ces dépôts par un taux d’intérêt élevé (souvent supérieur à 10 % par an) et en se portant garante de leur remboursement (voir l’article 14 § 3 de la loi de 1985 sur les opérations en devises[2] et l’article 76 § 1 de la loi de 1989 relative aux banques et aux autres établissements financiers[3]). Cette garantie de l’Etat pouvait être appelée par les banques se trouvant en situation d’« insolvabilité manifeste » (voir l’article 18 de la loi de 1989 sur l’insolvabilité des banques et des autres établissements financiers[4] et la réglementation y afférente[5]). Aucune des banques dont il est question en l’espèce n’a fait usage de cette faculté et les déposants n’étaient pas eux-mêmes habilités à appeler l’Etat en garantie. En revanche, ces derniers étaient autorisés à retirer des établissements de base leurs avoirs augmentés des intérêts échus à tout moment en vertu de la loi de 1978 sur les obligations civiles[6] (voir les articles 1035 et 1045 de la loi en question).

10. A partir du milieu des années 1970, les banques commerciales commencèrent à subir des pertes de change dues à la dépréciation du dinar. Pour faire face à cette situation, la RSFY instaura un système de « transfert » des devises autorisant les banques commerciales à transférer à la Banque nationale de Yougoslavie (« la BNY ») les fonds en devises déposés par les ressortissants yougoslaves, à charge pour la BNY d’assumer le risque de change (voir l’article 51 § 2 de la loi de 1977 sur les opérations en devises[7]). Bien que ce dispositif fût facultatif, les banques commerciales n’avaient pas d’autre choix que d’y recourir car elles n’étaient pas autorisées à détenir auprès de banques étrangères des comptes en devises requis pour effectuer des paiements à l’étranger et n’étaient pas non plus habilitées à accorder des prêts en devises. En conséquence, la quasi-totalité des devises étaient transférées à la BNY, mais seule une partie de ces fonds faisait l’objet d’un transfert physique (voir Kovačić et autres c. Slovénie [GC], nos 44574/98, 45133/98 et 48316/99, §§ 36 et 39, 3 octobre 2008; voir aussi l’arrêt AP 164/04 rendu par la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine le 1er avril 2006, § 53).

11. En vertu d’une série d’accords conclus entre la Ljubljanska Banka Ljubljana, la Banque nationale de Bosnie-Herzégovine, la Banque nationale de Slovénie et la Ljubljanska Banka Sarajevo, cette dernière s’était engagée à transférer tous les mois à la Banque nationale de Slovénie le solde entre les dépôts et les retraits de devises étrangères. Les devises ainsi transférées étaient comptabilisées à l’actif de la Ljubljanska Banka Sarajevo et au passif de la BNY. Le gouvernement slovène soutient sans le prouver que la Banque nationale de Slovénie a transmis l’intégralité de ces sommes à la BNY. Il a en revanche établi que, à la demande de la Ljubljanska Banka Sarajevo, une partie de ces sommes lui a été rétrocédée pour qu’elle puisse faire face à ses besoins de liquidités à une époque où les retraits de devises étaient plus importants que les dépôts. Les chiffres exacts sont les suivants : en 1984, 57 389 894 DEM furent transférés vers Ljubljana et 150 187 DEM renvoyés à Sarajevo; en 1985, 59 465 398 DEM furent transférés vers Ljubljana et 71 270 DEM renvoyés à Sarajevo, en 1986 19 794 416 DEM furent transférés vers Ljubljana et 1 564 823 DEM renvoyés à Sarajevo, etc. De 1984 à 1991, 244 665 082 DEM au total furent transférés vers Ljubljana et 41 469 528 DEM (soit moins de 17%) renvoyés à Sarajevo.

12. Il convient de préciser que les établissements de base se voyaient accorder par la BNY des prêts en dinars – initialement sans intérêts – correspondant à la contrevaleur en dinars des devises étrangères transférées. Les établissements de base s’en servaient pour accorder à leur tour des prêts – à un taux d’intérêt inférieur à celui de l’inflation – à des entreprises situées en règle générale dans la même unité territoriale. A ce titre, la Ljubljanska Banka Sarajevo a consenti des prêts aux sociétés Polietilenka Bihać, Gorenje Bira Bihać, Šipad Šator Glamoč, Bilećanka Bileća, UPI Sarajevo, Soko Komerc Mostar, Rudi Čajavec Banja Luka, Velepromet Visoko, et à d’autres encore.

13. Une modification apportée le 15 octobre 1988 à l’article 103 de la loi de 1985 sur les opérations en devises mit fin au système de transfert des devises. Les banques furent autorisées à ouvrir des comptes en devises auprès de banques étrangères. Comme d’autres banques, la Ljubljanska Banka Sarajevo mit à profit cette possibilité et déposa au total 13,5 millions de USD dans des banques étrangères d’octobre 1988 à décembre 1989.

14. Lors des réformes opérées en 1989-1990, la RSFY supprima le régime des établissements de base et des banques associées décrit ci‑dessous. Cette modification de la réglementation bancaire autorisa certains établissements de base à opter pour un statut indépendant, tandis que d’autres devinrent des agences – sans personnalité juridique propre – des anciennes banques associées auxquelles ils étaient auparavant rattachés. C’est ainsi que, le 1er janvier 1990, la Ljubljanska Banka Sarajevo se transforma en agence – dépourvue de personnalité juridique – de la Ljubljanska Banka Ljubljana, qui reprit l’ensemble de l’actif et du passif de cet établissement. A l’inverse, Investbanka devint une banque autonome ayant son siège en Serbie et des agences en Bosnie-Herzégovine (notamment une agence à Tuzla, dont M. Šahdanović était client). En outre, la convertibilité du dinar fut instaurée et la BNY fixa des taux de change très favorables, mesures qui provoquèrent des retraits massifs de devises étrangères auprès des banques commerciales. Pour faire face à cette situation, la RSFY eut recours à des mesures d’urgence restreignant de manière importante les retraits de devises. Une modification apportée à l’article 71 de la loi de 1985 sur les opérations en devises applicable à partir de décembre 1990 interdit aux titulaires de comptes en devises de disposer de leurs avoirs à des fins autres que le paiement de biens ou de services importés pour leurs propres besoins ou ceux de leurs proches, l’acquisition d’obligations convertibles libellées en devises, la réalisation de legs à des fins scientifiques ou humanitaires et le paiement de primes de contrats d’assurance-vie conclus avec des compagnies d’assurances locales, les privant de la possibilité d’utiliser leurs fonds pour le paiement de biens et services à l’étranger. En outre, le montant des retraits fut plafonné à 500 DEM par opération et à 1 000 DEM par mois en vertu de l’article 3 d’une décision applicable jusqu’au 8 février 1992 adoptée par le gouvernement de la RSFY en avril 1991[8] et de l’article 17c d’une décision prise par la BNY en janvier 1991[9], qui fut déclarée inconstitutionnelle le 22 avril 1992 par la Cour constitutionnelle de la RSFY.

15. L’année 1991-1992 fut celle de la dissolution de la RSFY. Dans les Etats issus de cette dissolution, les dépôts en devises étrangères effectués avant cet événement sont communément désignés par l’expression « anciens fonds d’épargne en devises » ou « fonds d’épargne en devises gelés ».

B. Bosnie-Herzégovine

1. Le droit et la pratique applicables aux « anciens » fonds d’épargne en devises

16. En 1992, la Bosnie-Herzégovine prit à sa charge la garantie à laquelle la RSFY était légalement tenue au titre des « anciens » fonds d’épargne en devises (voir l’article 6 de la loi de 1992 sur l’application de la législation de la RSFY[10]). En dépit du manque de clarté des dispositions législatives pertinentes, la Banque nationale de Bosnie-Herzégovine considéra que la garantie en question ne couvrait que les « anciens » fonds en devises déposés auprès de banques bosniennes (voir le rapport 63/94 de la Banque nationale de Bosnie-Herzégovine[11]).

17. Les « anciens » fonds d’épargne en devises étrangères demeurèrent gelés pendant la guerre, les retraits n’étant autorisés qu’à titre exceptionnel, pour des motifs humanitaires ou d’autres raisons particulières (voir la réglementation pertinente[12]).

18. Après la guerre de 1992-1995, chacune des entités constitutives de la Bosnie-Herzégovine – la Fédération de Bosnie-Herzégovine (« la FBH ») et la Republika Srpska – légiféra sur les « anciens » fonds d’épargne en devises étrangères. Les agences bancaires en cause dans la présente affaire étant implantées en FBH, seule la législation de cette entité est pertinente en l’espèce. En 1997, la FBH prit en charge la garantie accordée au titre des « anciens » fonds d’épargne en devises déposés sur des comptes tenus par les banques et agences bancaires sises sur son territoire (voir l’article 3 § 1 de la loi de 1997 sur le règlement des créances[13] et le décret de 1999 sur le règlement des créances des non-résidents[14]). Les fonds déposés sur ces comptes demeuraient gelés, mais ils pouvaient être utilisés pour l’acquisition de logements d’Etat et d’entreprises publiques, sous certaines conditions (article 18 de la loi de 1997 sur le règlement des créances, tel qu’amendé en août 2004).

19. En 2004, la FBH adopta une nouvelle législation par laquelle elle s’engagea à restituer à leurs détenteurs, quelle que fût leur nationalité, les « anciens » fonds d’épargne en devises étrangères placés sur des comptes ouverts auprès de banques sises sur son territoire. En revanche, elle exclut expressément de cette garantie les fonds déposés sur des comptes ouverts dans les agences de la Ljubljanska Banka Ljubljana et d’Investbanka (voir l’article 9 § 2 de la loi de 2004 sur l’apurement des dettes publiques[15]).

20. En 2006, l’Etat prit à sa charge les « anciens » fonds d’épargne en devises déposés sur des comptes tenus par ses banques, dont la responsabilité incombait auparavant aux entités. Il se dégagea de toute responsabilité quant aux fonds déposés auprès des agences locales de la Ljubljanska Banka Ljubljana et d’Investbanka, mais il s’engagea à aider les clients de ces agences à obtenir la restitution de leurs avoirs auprès de la Slovénie et de la Serbie (voir l’article 2 de la loi de 2006 sur les « anciens » fonds d’épargne en devises[16]). En outre, l’article 28 de cette loi – qui fut déclaré conforme à la Constitution par une décision U 13/06 adoptée le 28 mars 2008 par la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine (§ 35) – mit fin à toutes les procédures concernant les « anciens » fonds d’épargne en devises. La Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine fut saisie de nombreux recours individuels reprochant à la Bosnie-Herzégovine et à ses entités de ne pas avoir restitué les «anciens » fonds d’épargne en devises déposés sur des comptes tenus par les agences bosniennes de la Ljubljanska Banka Ljubljana et d’Investbanka. Elle jugea que la responsabilité de la Bosnie-Herzégovine et de ses entités n’était pas engagée et enjoignit à l’Etat d’aider les clients de ces agences à recouvrer leurs avoirs auprès de la Slovénie et de la Serbie (voir, par exemple, les décisions AP 164/04 du 1er avril 2006, AP 423/07 du 14 octobre 2008 et AP 14/08 du 21 décembre 2010).

2. Statut de l’agence de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana

21. En 1990, la Ljubljanska Banka Sarajevo devint une agence – dépourvue de personnalité juridique – de la Ljubljanska Banka Ljubljana, qui reprit l’ensemble de ses actifs et de son passif. Il ressort des mentions portées au registre des sociétés que l’agence de Sarajevo opérait au nom et pour le compte de sa maison-mère. Le montant des fonds d’épargne en devises détenus par l’agence de Sarajevo au 31 décembre 1991 s’élevait à 250 millions de DEM environ, mais il semble que le coffre de l’agence n’en contenait en réalité que moins de 350 000 à cette date. On ne sait pas précisément ce qu’il est advenu des fonds manquants, mais il est probable que la majeure partie de ceux-ci a été expédiée en Slovénie (voir paragraphe 11 ci‑dessus).

22. Une banque bosnienne fut fondée en 1993 sous le nom de Ljubljanska Banka Sarajevo. Elle reprit à son compte les dettes de la Ljubljanska Banka Ljubljana correspondant aux « anciens » fonds en devises étrangères qui avaient été déposés auprès de l’agence de Sarajevo de cet établissement. En 1994, elle fit l’objet d’une inspection de la Banque nationale de Bosnie-Herzégovine, qui découvrit de nombreuses irrégularités. Observant en premier lieu que les dirigeants de la Ljubljanska Banka Sarajevo n’avaient pas été régulièrement nommés et que l’on ne savait pas au juste qui étaient ses actionnaires, la Banque nationale de Bosnie-Herzégovine désigna un administrateur pour en prendre la direction. Jugeant en second lieu qu’une banque bosnienne telle que la Ljubljanska Banka Sarajevo ne pouvait pas reprendre les dettes d’une banque étrangère contractées au titre d’« anciens » fonds en devises, au motif que pareille opération aurait eu pour effet d’imposer à l’Etat de nouvelles obligations financières au titre de sa garantie légale couvrant les « anciens » fonds en devises déposés dans les banques bosniennes, la Banque nationale exigea de l’agence de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana la réalisation en urgence d’un bilan de clôture au 31 mars 1992 et la clarification des relations de celle-ci avec sa maison-mère. Toutefois, il ressort du registre des sociétés que la Ljubljanska Banka Sarajevo est demeurée responsable jusqu’en novembre 2004 des dettes correspondant aux « anciens » fonds en devises déposés auprès de l’agence de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana (paragraphe 24 ci-dessous). Elle a continué à gérer les avoirs des clients de l’agence de Sarajevo, fonds qui furent utilisés dans le cadre du processus de privatisation engagé par la FBH (paragraphe 18 ci-dessous). La Ljubljanska Banka Sarajevo a été condamnée par une juridiction nationale à restituer des fonds en une occasion (voir Višnjevac c. Bosnie-Herzégovine (déc.), no 2333/04, 24 octobre 2006).

23. En 2003, l’organisme de contrôle bancaire de la FBH plaça la Ljubljanska Banka Sarajevo sous son administration provisoire au motif qu’elle avait des relations non définies avec une banque étrangère, la Ljubljanska Banka Ljubljana.

24. La même année, le Parlement de la FBH approuva un amendement à la loi de 2000 sur le registre des sociétés[17] prorogeant au 10 avril 2004 la date d’expiration du délai légal de suppression des mentions apportées au registre des sociétés pendant la guerre. Peu après, en novembre 2004, le tribunal municipal de Sarajevo jugea que la Ljubljanska Banka Sarajevo n’avait pas absorbé l’agence de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana – une banque étrangère –, qu’elle n’avait pas succédé aux dettes contractées par celle-ci au titre des « anciens » fonds en devises reçues en dépôt, et qu’il convenait en conséquence de supprimer les mentions contraires portées en 1993 au registre des sociétés.

25. En 2006, la banque bosnienne Ljubljanska Banka Sarajevo céda ses actifs et loua des locaux et des équipements appartenant à l’agence de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana à une société croate, à charge pour cette dernière de régler ses dettes. Tout en se déclarant favorable à cet accord, le gouvernement de la FBH souligna que tous les locaux et archives de l’agence de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana demeureraient sous son contrôle tant que le statut définitif de cette agence ne serait pas clarifié.

26. En 2010, une juridiction ouvrit une procédure de faillite à l’encontre de la Ljubljanska Banka Sarajevo. Cette procédure est toujours pendante.

3. Statut de l’agence d’Investbanka à Tuzla

27. L’agence de Tuzla a toujours été une agence sans personnalité juridique propre. Le montant des « anciens » fonds d’épargne en devises étrangères qu’elle détenait au 31 décembre 1991 s’élevait à 67 millions de USD environ (soit 100 millions de DEM environ). Elle ferma le 1er juin 1992 et ne reprit jamais ses activités. On ne sait pas précisément ce qu’il est advenu de ces fonds, mais, compte tenu du fonctionnement du système de transfert, il est probable que majeure partie de ceux-ci a été expédiée en Serbie (paragraphe 11 ci-dessus).

28. En 2002, un tribunal serbe déclara Investbanka en faillite. Les autorités serbes vendirent les locaux des agences de cette banque implantées en FBH (les locaux des agences situées en Republika Srpska avaient été vendus en 1999). La procédure de faillite est toujours pendante.

29. En 2010, le gouvernement de la FBH indiqua que les locaux et archives des agences d’Investbanka situées en FBH se trouvaient sous son administration, mais il semble qu’Investbanka n’avait plus ni locaux ni archives en FBH.

30. En 2011, à la demande des autorités de la FBH, les autorités serbes ouvrirent une enquête pénale pour déterminer comment les archives de l’agence de Tuzla avaient transférées en Serbie en 2008.

C. Croatie

31. Le gouvernement croate affirme qu’il a restitué à leurs propriétaires, quelle que fût leur nationalité, les « anciens » fonds en devises qu’ils avaient déposés sur des comptes ouverts auprès des banques croates et de leurs agences implantées à l’étranger. Il est établi que la Croatie a remboursé à des ressortissants bosniens des avoirs déposés sur des comptes tenus par des agences de banques croates situées en Bosnie-Herzégovine. Toutefois, le gouvernement slovène a communiqué des décisions de la Cour suprême de Croatie (Rev 3015/1993-2 de 1994, Rev 3172/1995-2 de 1996 et Rev 1747 /1995-2 de 1996) précisant que le terme utilisé par la loi (građanin) signifiait « ressortissant croate » et n’excluant pas que les ressortissants bosniens concernés eussent aussi la nationalité croate ou qu’un accord ad hoc eût été conclu.

32. La Croatie a également restitué à ceux de ses ressortissants qui en avaient fait la demande les « anciens » fonds en devises qui avaient été transférés de l’agence de Zagreb de la Ljubljanska Banka Ljubljana vers des banques croates (voir la loi de 1993 sur les anciens fonds d’épargne en devises[18] et la réglementation y afférente[19]). Il semble que près des deux tiers des clients de cette agence aient effectué cette démarche. D’autres clients, dont les « anciens » fonds en devises s’élèveraient à 300 millions de DEM environ, ont exercé des actions civiles devant les juridictions croates. Soixante-trois d’entre eux ont obtenu le remboursement de leurs avoirs à l’issue d’une vente judiciaire d’actifs de cette agence situés sur le territoire croate (voir les décisions rendues le 8 avril 2005 et le 15 juin 2010 par le tribunal municipal d’Osijek[20]). D’autres encore ont engagé des actions civiles devant les juridictions slovènes (paragraphe 38 ci-dessous).

D. Serbie

33. Les « anciens » fonds en devises détenus par les banques serbes ont été gelés aussitôt après la dissolution de la RSFY, les retraits n’étant autorisés qu’à titre exceptionnel, pour des motifs humanitaires, quelle que fût la nationalité du déposant concerné (voir la réglementation pertinente[21]).

34. En 1998, puis en 2002, la Serbie accepta de restituer à ses ressortissants et aux déposants de toute nationalité – sauf ceux des Etats successeurs de la RSFY – les « anciens » fonds en devises déposés dans les agences serbes des banques serbes. Les fonds en devises appartenant aux ressortissants des Etats successeurs de la RSFY et ceux déposés sur des comptes tenus par des agences de banques serbes sises dans ces Etats demeurèrent gelés dans l’attente de l’issue des négociations sur la succession. En outre, les articles 21 et 22 de la loi de 1998 sur les « anciens » fonds en devises étrangères[22] et les articles 21 et 36 de la loi de 2002 sur les « anciens » fonds en devises étrangères[23] mirent fin à toutes les procédures relatives à ces fonds.

35. En janvier 2002, Investbanka fut déclarée en faillite par un tribunal serbe, ce qui déclencha l’appel de la garantie accordée par l’Etat au titre des « anciens » fonds d’épargne en devises (voir les articles 18 de la loi de 1989 sur l’insolvabilité des banques et des autres établissements financiers et 135 de la loi de 1995 sur les opérations en devises[24]). Trois cent vingt-deux clients d’agences bosniennes d’Investbanka tentèrent d’obtenir le remboursement de leurs avoirs dans le cadre de la procédure de faillite, en vain. Par la suite, vingt d’entre eux engagèrent des actions civiles, sans plus de succès. La procédure de faillite est toujours pendante.

E. Slovénie

36. En 1991, la Slovénie reprit à sa charge la garantie légale à laquelle la RSFY était tenue au titre « anciens » fonds en devises déposés sur des comptes tenus par les agences slovènes de toutes les banques, quelle que fût la nationalité des déposants concernés (voir l’article 19 § 3 de la loi constitutionnelle de 1991 relative à la Charte constitutionnelle fondamentale[25] et l’article 1 de la loi de 1993 sur les anciens comptes d’épargne en devises étrangères[26]). Bien qu’en principe quiconque justifiant d’un intérêt juridique pût solliciter l’ouverture d’un contrôle abstrait de constitutionnalité (voir l’article 24 de la loi de 2007 sur la Cour constitutionnelle[27]), la Cour constitutionnelle slovène jugea que la loi constitutionnelle de 1991 relative à la Charte constitutionnelle fondamentale échappait à ce contrôle (voir ses décisions nos U-I-332/94 du 11 avril 1996 et U-I-184/96 du 20 juin 1996).

37. Après avoir vainement tenté de faire immatriculer l’agence de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana sous le statut de banque autonome – il ressort de la correspondance échangée en octobre 1991 entre la BNY et la Banque nationale de Bosnie-Herzégovine[28] que cette démarche était illégale dès lors que la Slovénie avait accédé à l’indépendance et que la Ljubljanska Banka Ljubljana était devenue une banque étrangère – la Slovénie la nationalisa et, en 1994 restructura la Ljubljanska Banka Ljubljana elle-même[29]. Une nouvelle banque, la Nova Ljubljanska Banka, reprit les éléments de l’actif et du passif de la Ljubljanska Banka Ljubljana situés en Slovénie. L’ancienne banque demeura responsable des « anciens » fonds d’épargne en devises déposés sur des comptes tenus par ses agences implantées dans les autres Etats successeurs et titulaire des créances correspondantes sur la BNY.

38. En 1997, toutes les procédures relatives aux « anciens » fonds en devises déposés auprès des agences de l’ancienne Ljubljanska Banka sises dans les autres Etats successeurs furent suspendues dans l’attente de l’issue des négociations sur la succession[30]. Saisie par deux épargnants croates d’un recours constitutionnel, la Cour constitutionnelle slovène déclara en décembre 2009 que cette mesure de suspension n’était pas conforme à la Constitution[31]. Par la suite, le tribunal de district de Ljubljana rendit de nombreux jugements enjoignant à l’ancienne Ljubljanska Banka de rembourser les « anciens » fonds en devises déposés auprès de ses agences de Sarajevo et de Zagreb augmentés d’intérêts. Jugeant que les rapports entre l’ancienne Ljubljanska Banka et les clients de ces agences relevaient du droit privé, il estima que le transfert allégué de devises vers la BNY et les négociations en cours sur les questions de succession n’étaient pas pertinents, pas plus que ne l’étaient les décisions relatives au statut de l’agence de Sarajevo mentionnées aux paragraphes 22-24 ci-dessus. L’un au moins des jugements en question – qui portait sur l’agence de Sarajevo – est devenu définitif (décision P 119/1995-I du 16 novembre 2010). Certains des clients des agences de Sarajevo et de Zagreb ont introduit des actions civiles contre la République de Slovénie, en vain jusqu’à présent. Trois de ces actions ont été rejetées par le tribunal de district de Ljubljana, dont les décisions sont devenues définitives en l’absence d’appel. Une dizaine d’affaires similaires seraient toujours pendantes.

F. L’ex-République yougoslave de Macédoine

39. L’ex-république yougoslave de Macédoine a restitué à leurs propriétaires, quelle que fût leur nationalité, les « anciens » fonds en devises déposés sur des comptes tenus par ses banques et par les agences macédoniennes de banques étrangères[32] (notamment par l’agence de Skopje de la Ljubljanska Banka Ljubljana).

III. droit et pratique internationaux pertinents

A. Droit international pertinent en matière de succession d’Etats

40. La succession d’Etats est régie par des règles coutumières partiellement codifiées par la Convention de Vienne de 1978 sur la succession d’Etats en matière de traités et la Convention de Vienne de 1983 sur la succession d’Etats en matière de biens, archives et dettes d’Etats[33]. Bien que le dernier de ces instruments ne soit pas encore entré en vigueur et que seuls trois des Etats défendeurs à la présente affaire y soient parties (la Croatie, la Slovénie et l’ex-République yougoslave de Macédoine), il est bien établi en droit international que, même non ratifié, un traité peut avoir force contraignante s’il reflète le droit international coutumier, soit qu’il « codifie » ce dernier, soit qu’il donne naissance à de nouvelles règles coutumières (voir Cudak c. Lituanie [GC], no 15869/02, § 66, CEDH 2010, et l’arrêt rendu le 20 février 1969 par la Cour internationale de Justice sur les affaires du Plateau continental de la mer du Nord, § 71).

41. Selon l’avis no 9 délivré par la Commission d’arbitrage de la conférence internationale pour la paix en Yougoslavie[34] et l’article 6 des principes directeurs sur la succession d’Etats en matière de biens et de dettes adoptés par l’Institut de droit international, la règle fondamentale en la matière est que les Etats doivent régler par voie d’accord tous les aspects de la succession. Un Etat qui refuserait de coopérer manquerait à cette obligation et engagerait sa responsabilité internationale (avis no 12 de la Commission d’arbitrage). Si aucune règle n’impose que chaque élément d’actif ou de passif de l’Etat prédécesseur soit partagé équitablement, le résultat global du partage doit être équitable (article 41 de la Convention de Vienne de 1983, avis no 13 de la Commission d’arbitrage et articles 8, 9 et 23 des principes directeurs).

B. L’Accord sur les questions de succession

42. L’accord sur les questions de succession est issu de près de dix années de négociations menées sous les auspices de la Conférence internationale sur l’ex-Yougoslavie et d’un administrateur international désigné en vertu de l’annexe 10 de l’Accord-cadre général pour la paix en Bosnie-Herzégovine, le Haut Représentant. Signé le 29 juin 2001, il entra en vigueur à l’égard de la Bosnie-Herzégovine, de la Croatie, de la Serbie‑Monténégro (à laquelle succéda par la suite la Serbie), de la Slovénie et de l’ex-République yougoslave de Macédoine le 2 juin 2004.

43. La répartition des engagements pris au titre des « anciens » fonds d’épargne en devises étrangères prêtait à controverse entre les parties. Les vues des Etats successeurs divergeaient sur la question de savoir si ces engagements représentaient une dette de la RSFY au sens de l’annexe C (avoirs et engagements financiers) ou s’ils ressortissaient au droit privé et relevaient en conséquence du régime prévu à l’annexe G (biens privés et droits acquis[35]). Le point de savoir si les garanties accordées par la RSFY au titre des « anciens » fonds en devises devaient être reprises par l’Etat du siège social de la banque-mère concernée ou l’Etat dans lequel le dépôt avait été effectivement effectué faisait également débat entre les parties. En définitive, les dispositions suivantes furent insérées dans l’annexe C à l’Accord :

Article 2 § 3 a)

« Les autres engagements financiers [de la RSFY] comprennent :

a) Les garanties de la RSFY ou de la Banque nationale de Yougoslavie destinées à couvrir l’épargne en devises fortes déposée auprès de banques commerciales et de leurs agences situées sur le territoire de l’un quelconque des Etats successeurs avant la date à laquelle celui-ci a proclamé son indépendance ;

(...) »

Article 7

« Les garanties accordées de la RSFY ou de la Banque nationale de Yougoslavie destinées à couvrir l’épargne en devises étrangères déposée auprès d’une banque commerciale ou de l’une quelconque de ses agences sur le territoire d’un Etat successeur avant la date à laquelle celui-ci a proclamé son indépendance seront négociées sans délai, en tenant compte notamment de la nécessité de protéger l’épargne en devises étrangères des particuliers. Cette négociation se déroulera sous les auspices de la Banque des règlements internationaux. »

44. En 2001-2002 se tinrent quatre cycles de négociations consacrés à la répartition des garanties assumées par la RSFY au titre des « anciens » fonds d’épargne en devises. Les Etats successeurs n’étant pas parvenus à la conclusion d’un accord, la Banque des règlements internationaux (« la BRI ») les informa que son expert – M. Meyer – avait décidé de mettre fin à son mandat et qu’elle estimait ne plus avoir de rôle à jouer à cet égard, ajoutant cependant que :

« si les cinq Etats successeurs devaient à l’avenir décider de rouvrir les négociations relatives aux garanties couvrant les fonds en devises fortes avec l’aide de la BRI, celle-ci serait disposée à leur prêter assistance dans des conditions à convenir[36] ».

Il semble que tous les Etats successeurs, à l’exception de la Croatie, aient informé la BRI de leur intention de poursuivre les négociations peu de temps après. La Croatie en fit autant en octobre 2010 et reçut en novembre 2010 une réponse dont les passages pertinents se lisent ainsi :

« (...) La BRI a réexaminé cette question récemment. Elle estime que sa contribution à un nouveau cycle de négociations dans le cadre d’une mission de bons offices n’apporterait rien, et qu’elle doit aussi tenir compte à cet égard du laps de temps qui s’est écoulé depuis le dernier cycle de négociations ainsi que de ses priorités actuelles en matière de stabilité monétaire et financière. Toutefois, la BRI souhaite souligner que les réunions bimensuelles qui se tiennent dans ses locaux à Bâle offrent aux dirigeants des Etats successeurs l’occasion de discuter de cette question entre eux de manière informelle[37]. »

45. Une question analogue, celle des garanties données par la RSFY au titre des dépôts effectués auprès de la caisse d’épargne postale et les agences de celle-ci, a été réglée en dehors des négociations de l’Accord sur les questions de succession, chacun des Etats successeurs ayant accepté de prendre à sa charge ces garanties en ce qui concerne les agences situées sur son territoire.

46. Conformément à l’article 4 de l’Accord sur les questions de succession, un Comité mixte permanent composé de hauts représentants de chacun des Etats successeurs fut mis en place avec mission de contrôler l’exécution effective de l’Accord et de servir de cadre aux éventuels débats sur les questions que la mise en œuvre de celui-ci pourrait susciter. Ce comité s’est réuni trois fois, en 2005, 2007 et 2009.

47. Les dispositions suivantes de l’Accord sont également pertinentes en l’espèce :

Article 5

« 1) Les désaccords qui pourraient surgir au sujet de l’interprétation et de l’application du présent Accord seront résolus, en premier lieu, par des discussions entre les Etats concernés.

2) Si les désaccords ne peuvent être résolus par de telles discussions dans un délai d’un mois à compter de la première communication présentée dans le cadre de ces discussions, les Etats concernés devront :

a) soit saisir de la question une personnalité indépendante de leur choix, en vue d’obtenir sur cette question une décision rapide et faisant autorité, qui sera respectée, et dans laquelle pourraient, le cas échéant, être fixés des délais précis pour les mesures à prendre ;

b) soit saisir de la question, pour règlement, le Comité mixte permanent établi en vertu de l’article 4 du présent Accord.

3) Les désaccords qui pourraient surgir dans la pratique au sujet de l’interprétation des termes utilisés dans le présent Accord ou dans tout autre accord subséquent nécessaire à la mise en œuvre des annexes audit Accord pourront, en outre, à l’initiative de l’un quelconque des Etats concernés, être soumis à un expert unique (qui ne devra être ressortissant d’aucune des parties au présent Accord) nommé d’un commun accord par les parties au différend ou, faute d’un tel accord, par le Président de la Cour de conciliation et d’arbitrage au sein de l’OSCE, afin qu’il propose une solution autorisée qui aura force obligatoire. L’expert décidera de toutes les questions de procédure après avoir consulté, s’il le juge approprié, les parties qui l’ont saisi, avec la ferme intention de parvenir à un règlement rapide et efficace du désaccord.

4) La procédure prévue au paragraphe 3 du présent article sera strictement limitée à l’interprétation des termes utilisés dans les accords en question et n’autorisera en aucun cas l’expert à se prononcer sur l’application pratique de l’un quelconque de ces accords. En particulier, la procédure visée ne s’appliquera pas aux dispositions suivantes :

a) L’appendice au présent Accord ;

b) Les articles 1er, 3 et 4 de l’annexe B ;

c) Les articles 4 et le paragraphe 1 de l’article 5 de l’annexe C ;

d) L’article 6 de l’annexe D.

5) Les paragraphes précédents du présent article ne modifient en rien les droits et obligations des Parties au présent Accord découlant d’une quelconque disposition contraignante en vigueur entre eux en matière de règlement des différends.

Article 9

« Le présent Accord sera appliqué par les Etats successeurs de bonne foi conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unies et dans le respect du droit international ».

C. La pratique internationale en matière de pactum de negotiando interétatique

48. Un pactum de negotiando impose aux parties qu’il lie l’obligation de négocier en vue de conclure un accord. Le principe fondamental pacta sunt servanda les oblige à négocier de bonne foi.

49. Dans l’arrêt qu’elle a rendu le 20 février 1969 sur les affaires du Plateau continental de la mer du Nord, la Cour internationale de Justice s’est exprimée ainsi (§ 85) :

« (...) les parties sont tenues d’engager une négociation en vue de réaliser un accord et non pas simplement de procéder à une négociation formelle comme une sorte de condition préalable à l’application automatique d’une certaine méthode de délimitation faute d’accord ; les parties ont l’obligation de se comporter de telle manière que la négociation ait un sens, ce qui n’est pas le cas lorsque l’une d’elles insiste sur sa propre position sans envisager aucune modification (...) »

50. Les passages pertinents de la sentence rendue le 26 janvier 1972 par le Tribunal d’arbitrage de l’Accord sur les dettes extérieures allemandes dans l’affaire Grèce c. République fédérale d’Allemagne se lisent ainsi (§§ 62-65) :

[Traduction du greffe]

« Toutefois, la conclusion d’un pactum de negotiando n’est pas dépourvue d’effets juridiques. Elle implique que chacune des parties s’efforce de bonne foi de parvenir à une solution réciproquement satisfaisante par la recherche d’un compromis, même s’il lui faut pour cela renoncer à des positions auxquelles elle tenait fermement. Elle suppose que chacune des parties soit animée de la volonté de s’écarter de ses positions précédentes dans un esprit de négociation, et de se rallier partiellement à celles de l’autre. Le texte de l’accord exclut que l’une ou l’autre des parties puisse s’en tenir à sa position initiale et exiger la capitulation complète de son adversaire. Une telle approche serait incompatible avec la notion de « négociation » et diamétralement opposée à l’objectif déclaré. La partie qui s’engage à négocier doit avoir l’intention de traiter avec l’autre dans le but de parvenir à un arrangement. Si l’article 19 combiné avec le paragraphe II de l’annexe I ne peut être interprété comme imposant aux parties l’obligation absolue de conclure un accord, le Tribunal estime que les termes de ces dispositions obligent les parties à négocier et à transiger en s’efforçant de bonne foi de parvenir à une solution acceptable pour chacune d’entre elles, en vue de mettre un terme à ce long différend (...)

L’accord conclu en vue de la négociation des réclamations monétaires litigieuses postule que les parties soient disposées à envisager un arrangement. Et cela même si leur différend porte non seulement sur le montant des créances, mais aussi sur leur existence même, circonstances qui sont sans conséquence sur le principe de règlement des différends. L’article 19 n’exige pas nécessairement que les parties règlent les questions juridiques en litige. Il ne tient pas pour acquis que les parties se mettront d’accord sur certaines questions qui les opposent, en l’espèce celles de savoir si les créances litigieuses ont ou non une existence juridique et si elles revêtent un caractère public ou privé. Les parties s’accordent d’ailleurs à dire que ces questions prêtent à controverse entre elles. Toutefois, malgré le différend qui les oppose à cet égard, elles se sont engagées à négocier dans toute la mesure du possible en vue de parvenir à un accord de règlement (...)

Le Tribunal estime que le principe qui sous-tend la solution donnée aux affaires du Plateau continental de la mer du Nord est pertinent en l’espèce. Ce principe, énoncé par la Cour internationale de Justice, confirme le sens courant du terme « négociation » et le concrétise. Pour que la négociation ait un sens, il faut qu’elle ait été engagée en vue de la conclusion d’un accord. Si, comme le Tribunal l’a déjà indiqué, un accord de négociation n’impose pas aux parties l’obligation de conclure un accord de règlement, il les oblige à déployer de réels efforts pour y parvenir. »

EN DROIT

I. SUR LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES soulevées par les GOUVERNEMENTs

51. Au stade de l’examen de la recevabilité de la requête, les gouvernements serbe, slovène et macédonien ont soutenu que les requérants n’avaient pas épuisé toutes les voies de recours internes. La Cour a estimé que cette question se trouvait au cœur du grief des requérants tiré de l’article 13 et qu’il convenait de la joindre à l’examen du fond de la requête (paragraphe 4 ci-dessus). Les thèses des parties et l’appréciation de la Cour sur ce point seront exposées aux paragraphes 76-90 ci-dessous.

52. La Cour relève que les gouvernements bosnien et croate ont soumis de nouvelles observations à l’appui de l’exception d’incompatibilité ratione personae de la requête qu’ils ont soulevée au stade de l’examen de la recevabilité de celle-ci. Toutefois, après avoir examiné ces observations, la Cour estime qu’elles ne justifient en rien la remise en cause de sa conclusion selon laquelle les Etats défendeurs ont reconnu que les « anciens » fonds en devises relevaient des obligations financières de la RSFY qu’ils devaient se répartir (paragraphes 38 et 58 de la décision en question). La Cour ne tiendra compte de ces observations que dans la mesure où elles pourraient avoir des répercussions sur le fond des questions soulevées sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1.

53. La Cour se bornera à souligner que, au regard du droit international applicable, l’inclusion de cette question dans le cadre de la succession a pour seul effet d’imposer aux Etats successeurs l’obligation de parvenir à une répartition globalement équitable de l’actif et du passif de l’Etat prédécesseur. Sous cette réserve, les Etats peuvent décider librement des modalités concrètes d’un accord de règlement au moyen des mécanismes de leur choix, notamment en ce qui concerne la restitution des « anciens » fonds en devises. Cette tâche ne peut être menée à bien par la Cour de Strasbourg.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 à LA CONVENTION

54. L’article 1 du Protocole no 1 à la Convention se lit ainsi :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

A. Thèses des parties

1. Thèse des requérants

55. Les requérants soutiennent que, faute d’être parvenus à régler cette question dans le cadre de la succession, les Etats défendeurs, en leur qualité de successeurs de la RSFY, doivent leur restituer leurs « anciens » fonds en devises étrangères.

2. Thèse du gouvernement bosnien

56. Le Gouvernement marque son désaccord avec la conclusion de la Cour selon laquelle la question des « anciens » fonds en devises déposés auprès de l’agence de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana et de l’agence d’Investbanka à Tuzla s’inscrit dans le cadre de la succession (voir le paragraphe 58 de la décision sur la recevabilité rendue dans la présente affaire). A cet égard, il soutient que les garanties données par la RSFY au titre des « anciens » fonds en devises – réglementées par l’annexe C à l’Accord sur les questions de succession – doivent être distinguées du problème des « anciens » fonds en devises étrangères en tant que tel. Par ailleurs, tout en concédant que l’annexe G à l’Accord consacrée aux biens privés et aux droits acquis ne fait pas explicitement état des « anciens » fonds en devises, le Gouvernement attache davantage d’importance au fait que ce texte ne les exclut pas expressément. Il avance que, nonobstant les garanties données par la RSFY au titre des « anciens » fonds en devises, les banques ont avec leurs clients des rapports de droit privé et que les clients des agences susmentionnées étaient contractuellement liés non avec celles‑ci mais avec les maisons-mères (c’est-à-dire avec la Ljubljanska Banka Ljubljana et Investbanka). Observant que la Ljubljanska Banka Ljubljana et Investbanka ont leur siège en Slovénie et en Serbie respectivement, et surtout que la majeure partie des fonds détenus par leurs agences a très probablement été expédiée dans ces deux Etats (paragraphes 21 et 27 ci-dessus), il estime que leur responsabilité est engagée en l’espèce. A cet égard, il renvoie aux décisions des juridictions slovènes mentionnées au paragraphe 38 ci-dessus, à celles des tribunaux serbes mentionnées dans la décision Šekerović c. Serbie ((déc.), no 32472/03, 4 janvier 2007), et à l’arrêt AP 164/04 rendu par la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine le 1er avril 2006 (§ 68) exonérant la Bosnie-Herzégovine de toute responsabilité au titre des « anciens » fonds en devises déposés auprès des agences dont il est question dans la présente affaire.

57. En ce qui concerne l’obligation imposée aux Etats successeurs de négocier la question des garanties données par la RSFY au titre des « anciens » fonds en devises étrangères (voir l’article 7 de l’annexe C à l’Accord sur des questions de succession), le gouvernement bosnien indique avoir déployé de réels efforts en vue de parvenir à un accord et reproche à la Serbie ainsi qu’à la Slovénie d’avoir constamment insisté sur leurs positions respectives sans envisager de les infléchir. Il concède qu’il lui incombe depuis 2010 d’organiser à Sarajevo une réunion du Comité mixte permanent, mais allègue que les Etats successeurs n’ont pas encore arrêté l’ordre du jour de cette réunion et que l’article 5 du règlement de procédure de ce Comité dispose qu’une réunion ne peut être tenue en l’absence d’un ordre du jour convenu entre les parties. Il précise que la délégation bosnienne a soulevé la question des « anciens » fonds en devises déposés auprès de l’agence de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana à plusieurs occasions dans le cadre de réunions bilatérales avec son homologue slovène. Il indique que la Slovénie a refusé d’en débattre pour la seule raison que les négociations sur la succession étaient encore pendantes sur ce point.

3. Thèse du gouvernement croate

58. Pour des raisons analogues à celles exposées par le gouvernement bosnien (paragraphe 56 ci-dessus), le gouvernement croate estime que la responsabilité de la Serbie et de la Slovénie est engagée dans la présente affaire. Il soutient avoir négocié de bonne foi, comme il y était tenu par l’article 7 de l’annexe C à l’Accord sur les questions de succession, et reproche aux gouvernements serbe et slovène d’avoir manqué à cette obligation par leur refus de renoncer à leurs positions initiales.

4. Thèse du gouvernement serbe

59. Ayant longuement analysé la pratique internationale relative au pactum de negotiando, le gouvernement serbe affirme avoir négocié de bonne foi. En ce qui concerne le comportement des autres Etats successeurs, il reproche en particulier à la Croatie d’avoir attendu 2010 pour faire part à la BRI de sa volonté de poursuivre les négociations sur la question des « anciens » fonds en devises (paragraphe 44 ci-dessus). Il plaide que, si la Cour devait considérer que la Serbie a porté atteinte au droit de M. Šahdanović au respect de ses « biens » au sens de l’article 1 du Protocole no 1, force lui serait de constater que cette ingérence était justifiée en ce qu’elle se résumait à un gel des fonds déposés par ce requérant auprès de l’agence d’Investbanka à Tuzla dans l’attente de l’issue des négociations sur la succession (paragraphe 34 ci-dessus). Enfin, il soutient que la responsabilité de la Bosnie-Herzégovine est engagée en l’espèce en ce que cet Etat est celui qui a le plus profité des « anciens » fonds en devises déposés auprès de l’agence d’Investbanka à Tuzla. Il en veut pour preuve un contrat de prêt libellé en dinars accordé par cette agence à un dénommé E.M. résidant à Tuzla en contrepartie d’un dépôt de devises.

5. Thèse du gouvernement slovène

60. Le gouvernement slovène soutient que la question des « anciens » fonds en devises déposés auprès de l’agence de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana et de l’agence d’Investbanka à Tuzla s’inscrit dans le cadre de la succession. Il avance en outre que la Slovénie n’a eu de cesse de rechercher une solution à la question de la répartition des garanties données par la RSFY au titre des ces « anciens » fonds en devises, mais que ses efforts sont restés vains en raison du blocage des négociations par la Bosnie-Herzégovine et la Croatie. Il reproche en particulier à la Croatie d’avoir refusé en 1999 de régler cette question par la voie d’un arbitrage du FMI, d’avoir refusé d’en discuter dans le cadre des réunions du Comité mixte permanent, d’avoir attendu 2010 pour accepter – sous la pression de l’UE (paragraphe 44 ci-dessus) – de poursuivre les négociations sous les auspices de la BRI, d’être revenue sur cette démarche en 2011 à l’issue des négociations d’adhésion à l’UE, et d’avoir empêché l’agence de Zagreb de la Ljubljanska Banka Ljubljana de se livrer à des activités bancaires courantes qui lui auraient permis de dégager des profits supplémentaires. Il accuse la Bosnie-Herzégovine d’avoir pris une série de mesures unilatérales visant à améliorer sa position de négociation face à la Slovénie peu de temps après la conclusion des négociations conduites sous les auspices de la BRI. A cet égard, il précise que, le 15 juillet 2002, le gouvernement de la FBH a enjoint au ministère de la Justice de proposer un amendement à la loi de 2000 relative au registre des sociétés destiné à prolonger rétroactivement le délai de prescription applicable à la suppression des mentions portées dans ce registre en 1993 en ce qui concerne l’agence de Sarajevo de la Ljubljanska Banka et a ordonné au conseil d’administration de cette banque de demander la suppression de ces mentions (paragraphe 24 ci-dessus). Selon lui, la responsabilité de la Bosnie-Herzégovine et de la Croatie est engagée en l’espèce.

61. En ce qui concerne les transferts de devises de l’agence de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana vers la Banque nationale de Slovénie, le gouvernement slovène a démontré qu’une partie de ces fonds avaient été renvoyés à Sarajevo par la suite. Selon lui, le reliquat de ces fonds a été transféré à la BNY. Cela étant, s’il est constant que ces fonds ont été comptabilisés à l’actif de l’agence de Sarajevo et au passif de la BNY, le gouvernement slovène n’a pas établi qu’ils avaient fait l’objet d’un transfert physique vers la BNY (paragraphe 11 ci-dessus). A cet égard, le gouvernement slovène invite la Cour à rejeter la thèse selon laquelle les espèces ont davantage de valeur que les inscriptions en compte (c’est-à-dire la « monnaie scripturale »).

6. Thèse du gouvernement macédonien

62. Le gouvernement macédonien soutient qu’il a négocié de bonne foi la question des « anciens » fonds en devises et qu’il ne saurait donc se voir reprocher d’avoir porté atteinte au droit de propriété des requérants.

B. Appréciation de la Cour

1. Sur la norme de l’article 1 du Protocole no 1 à appliquer en l’espèce

63. La Cour a maintes fois souligné que l’article 1 du Protocole no 1 contient trois normes distinctes : la première, qui s’exprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux Etats contractants le pouvoir, entre autres, de réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général. La deuxième et la troisième, qui ont trait à des exemples particuliers d’atteintes au droit de propriété, doivent s’interpréter à la lumière du principe consacré par la première (voir, entre autres, Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 55, CEDH 1999-II).

64. Il ne prête pas à controverse que les créances des requérants ne se sont jamais éteintes, mais que ceux-ci ne s’en trouvent pas moins dans l’incapacité de disposer à leur gré de leurs « anciens » fonds en devises depuis de nombreuses années. En conséquence, comme elle l’a fait dans des affaires analogues (Trajkovski c. l’« ex-République yougoslave de Macédoine » (déc.), no 53320/99, CEDH 2002‑IV, et Suljagić c. Bosnie-Herzégovine, no 27912/02, 3 novembre 2009), la Cour examinera la présente affaire sur le terrain de la troisième règle énoncée par l’article 1 du Protocole no 1.

2. Principes généraux

65. Les principes généraux régissant l’interprétation de l’article 1 du Protocole no 1 (principes de légalité, de légitimité du but poursuivi et de juste équilibre à ménager) ont été réaffirmés dans l’arrêt Suljagić (précité, §§ 40-44).

3. Application en l’espèce des principes susmentionnés

66. La Cour est disposée à admettre qu’il n’a pas été porté atteinte aux principes de légalité et de légitimité du but poursuivi en l’espèce (voir Trajkovski et Suljagić, précités). En conséquence, elle examinera la question principale qui se pose dans la présente affaire, celle de savoir si un juste équilibre a été ménagé entre l’intérêt général et les droits des requérants tels que garantis par l’article 1 du Protocole no 1.

67. Le dépôt de devises sur des comptes bancaires a fait naître au profit des déposants le droit de se les voir restituer à tout moment augmentés des intérêts échus par les banques dépositaires. La dissolution de la RSFY n’a pas entraîné l’extinction des créances des déposants sur ces banques (voir la décision sur la recevabilité rendue dans la présente affaire, §§ 53-54). Si la garantie donnée par cet Etat couvrait tous les « anciens » fonds en devises étrangères, seules les banques pouvaient s’en prévaloir et aucune de celles en cause dans la présente affaire n’a exercé ce droit (paragraphe 9 ci-dessus). Dans ces conditions, il n’y a pas eu de transfert de la responsabilité assumée par ces banques vers la RSFY. Il convient en outre de relever que les agences de la Ljubljanska Banka Ljubljana et d’Investbanka étaient dépourvues de personnalité juridique propre au moment de la dissolution de la RSFY et que le registre des sociétés indique qu’elles agissaient au nom et pour le compte de leurs maisons-mères respectives.

Au vu de ce qui précède, la Cour estime que, jusqu’à la dissolution de la RSFY, la Ljubljanska Banka Ljubljana, dont le siège se trouve en Slovénie, et Investbanka, dont le siège se trouve en Serbie, étaient responsables des « anciens » fonds en devises étrangères déposés auprès de leurs agences respectives quel que fût le lieu où celles-ci exerçaient leurs activités. La Cour examinera ci-après l’état de la situation après la dissolution de la RSFY.

68. Le gouvernement slovène a nationalisé la Ljubljanska Banka Ljubljana avant de transférer la plupart de ses actifs dans une nouvelle banque. Cependant, il a garanti que les « anciens » fonds en devises déposés auprès des agences de l’ancienne Ljubljanska Banka implantées dans les autres Etats successeurs demeureraient à la charge de celle-ci et qu’elle resterait titulaire des créances correspondantes sur la BNY. La Cour a déjà jugé qu’un Etat pouvait être tenu d’honorer les dettes d’une société publique – même dotée d’une personnalité juridique propre – dès lors que celle-ci « [ne] jouissait [pas] d’une indépendance institutionnelle et opérationnelle suffisante vis-à-vis de l’Etat » (voir Mikhaïlenki et autres c. Ukraine, nos 35091/02 et al., § 43-45, CEDH 2004‑XII). Il est constant que la Slovénie est l’unique actionnaire de l’ancienne Ljubljanska Banka et que celle-ci est administrée par un organisme gouvernemental. En outre, la Slovénie ayant transféré en vertu d’une loi la plupart des actifs de l’ancienne Ljubljanska Banka vers une nouvelle banque, elle est dans une large mesure responsable de l’incapacité où se trouve l’ancienne Ljubljanska Banka d’honorer ses dettes. Enfin, la Cour relève que la majeure partie des fonds déposés auprès de l’agence de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana a très probablement été expédiée en Slovénie (paragraphe 21 ci-dessus). Au vu de l’ensemble de ces éléments et eu égard aux circonstances particulières de l’espèce, la Cour estime qu’il existe des motifs suffisants pour lui permettre de conclure que la Slovénie est responsable des dettes de cette banque à l’égard de Mme Ališić et de M. Sadžak.

69. La Cour observe que le gouvernement slovène avance que, au cours de la période 1992-2004, la situation des clients de l’agence de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana était loin d’être claire en raison de l’incohérence de la législation et des pratiques en vigueur en Bosnie-Herzégovine (paragraphes 16 et 22-24 ci-dessus). Toutefois, elle relève que la situation a changé entre-temps puisque l’on sait depuis 2004 que la Bosnie-Herzégovine n’a pas l’intention de rembourser les clients en question. En conséquence, elle souscrit à la conclusion des juridictions slovènes selon laquelle les incohérences constatées par le passé sont aujourd’hui dépourvues de pertinence (paragraphe 38 ci-dessus).

70. Par ailleurs, la Cour relève qu’Investbanka a été responsable jusqu’au 3 janvier 2002 des « anciens » fonds en devises déposés auprès de ses agences implantées dans les autres Etats successeurs. Le 3 janvier 2002, Investbanka fut déclarée en faillite par une juridiction serbe, ce qui déclencha l’appel de la garantie accordée par l’Etat au titre des « anciens » fonds en devises déposés auprès de cette banque et des agences de celle-ci (paragraphe 35 ci-dessus). La Cour relève en outre qu’Investbanka est majoritairement – voire entièrement – une société collective. Dans des affaires analogues dirigées contre la Serbie, la Cour a jugé que cet Etat était tenu d’honorer les dettes des entreprises collectives en raison du contrôle gouvernemental étroit exercé sur elles (voir, en particulier, R. Kačapor et autres c. Serbie, nos 2269/06 et al., §§ 97-98, 15 janvier 2008, en ce qui concerne une société à capitaux majoritairement collectifs, et Rašković et Milunović c. Serbie, nos 1789/07 et 28058/07, § 71, 31 mai 2011, en ce qui concerne une société à capitaux collectifs et à capitaux publics). La Cour ne voit aucune raison de s’écarter en l’espèce de cette jurisprudence. Observant en outre que la majeure partie des fonds détenus par l’agence d’Investbanka à Tuzla a très probablement été expédiée en Serbie (paragraphe 27 ci-dessus) et que cet Etat a vendu tous les locaux de cette agence situés en Bosnie-Herzégovine (paragraphe 28 ci-dessus), la Cour estime qu’il existe des motifs suffisants pour lui permettre de conclure que la Serbie est responsable des dettes de cette banque à l’égard de M. Šahdanović eu égard aux circonstances particulières de l’affaire.

71. La Cour note que, à l’instar du gouvernement slovène, le gouvernement serbe estime que la Bosnie-Herzégovine est l’Etat qui a le plus profité des « anciens » fonds en devises déposés auprès des agences de la Ljubljanska Banka Ljubljana et d’Investbanka situées sur son territoire, les sociétés sises en Bosnie-Herzégovine s’étant vu accorder des prêts en dinars à des conditions très avantageuses en contrepartie des devises transférées vers la Slovénie et la Serbie (paragraphe 12 ci-dessus). Toutefois, ces prêts en dinars ont rapidement perdu toute valeur en raison de l’hyperinflation qui a frappé la RSFY, puis la Bosnie-Herzégovine pendant la guerre, alors que les « anciens » fonds en devises étrangères n’en ont pas été affectés.

72. La responsabilité de la Slovénie au titre des « anciens » fonds en devises déposés auprès de l’agence de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana et la responsabilité de la Serbie au titre des « anciens » fonds en devises déposés auprès de l’agence d’Investbanka à Tuzla ayant été établies, il reste à la Cour à examiner si l’impossibilité où se trouvent les requérants depuis 1991/1992 de disposer à leur gré de leurs « anciens » fonds en devises s’analyse en une violation de l’article 1 du Protocole no 1 par ces Etats.

Pour tenter de justifier ce blocage, les gouvernements serbe et slovène se fondent principalement sur le devoir que leur impose le droit international de négocier de bonne foi avec les autres Etats successeurs la question des « anciens » fonds en devises étrangères. Ils plaident que toute solution unilatérale serait contraire à ce devoir.

73. La Cour ne saurait souscrire à cette thèse. Le devoir de négocier n’interdit pas aux Etats successeurs de prendre des mesures provisoires visant à protéger les intérêts des épargnants. Le gouvernement croate a restitué une grande partie des « anciens » fonds en devises déposés par ses ressortissants auprès de l’agence de Zagreb de la Ljubljanska Banka Ljubljana (paragraphe 32 ci-dessus) et le gouvernement macédonien a remboursé l’intégralité de ceux qui avaient été déposés auprès de l’agence de Skopje de cette même banque (paragraphe 39 ci-dessus). Pourtant, ces gouvernements n’ont jamais renoncé à leur position selon laquelle la responsabilité de la Slovénie est engagée en dernier ressort et ont toujours demandé – au niveau interétatique, notamment dans le cadre des négociations sur la succession – le remboursement des fonds restitués par eux. Si certains retards peuvent se justifier dans des circonstances exceptionnelles (voir, par analogie, Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, § 69, CEDH 1999‑V), il n’en reste pas moins que les droits des requérants au titre de l’article 1 du Protocole no 1 n’ont pas été respectés dès lors que ceux-ci demeurent dans l’impossibilité de disposer librement de leurs fonds malgré l’échec en 2002 des négociations menées sous les auspices de la BRI en application de l’Accord sur les questions de succession et l’absence de toute véritable négociation ultérieure sur les « anciens » fonds en devises.

74. En conséquence, la Cour devra conclure à la violation par la Slovénie de l’article 1 du Protocole no 1 à l’égard de Mme Ališić et de M. Sadžak, et à la violation de cette même disposition par la Serbie à l’égard de M. Šahdanović si elle établit que les requérants ont épuisé toutes les voies de recours internes (la conclusion définitive de la Cour en ce qui concerne cette disposition figure au paragraphe 91 ci-dessous). En ce qui concerne les autres Etats défendeurs, la Cour devra conclure à la non‑violation de cette disposition (ibidem).

III. SUR la violation alléguée de l’article 13 de la Convention

75. L’article 13 de la Convention se lit ainsi :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A. Thèse des parties

1. Thèse des requérants

76. Les requérants allèguent qu’aucun des Etats défendeurs ne leur a offert un recours effectif pour faire valoir leurs griefs fondés sur l’article 1 du Protocole no 1.

2. Thèses des gouvernements défendeurs

77. Le gouvernement slovène avance que les requérants disposaient de plusieurs voies de recours. A cet égard, il indique que les intéressés auraient pu assigner l’ancienne Ljubljanska Banka devant les juridictions slovènes. Sur ce point, il renvoie à un certain nombre de jugements internes devenus définitifs avant 1997, année où la suspension des procédures dirigées contre les agences de l’ancienne Ljubljanska Banka implantées dans les autres Etats successeurs a été décrétée, ainsi qu’à d’autres décisions rendues après que cette suspension eut été déclarée inconstitutionnelle par un arrêt de 2009 (paragraphe 38 ci-dessus). Il ajoute que les requérants auraient pu se retourner contre la République de Slovénie puis introduire un recours constitutionnel au cas où ils auraient été déboutés sur le fond ou en vertu d’une ordonnance de procédure prononçant la suspension des poursuites. Il précise que les intéressés auraient pu demander à la Cour constitutionnelle slovène de procéder à un contrôle abstrait de la constitutionnalité de la suspension des poursuites en vigueur de 1997 à 2009 et/ou du refus de l’Etat d’honorer les dettes afférentes aux « anciens » fonds en devises déposés auprès de l’agence de Sarajevo de l’ancienne Ljubljanska Banka. Il avance enfin que les requérants auraient pu poursuivre l’ancienne Ljubljanska Banka devant les juridictions croates, signalant que plus de 500 clients de l’agence de Zagreb de cette banque ont obtenu des décisions de ces juridictions et que 63 d’entre eux se sont vu rembourser leurs « anciens » fonds en devises à l’issue de la vente judiciaire d’actifs de cette agence localisés sur le territoire croate (paragraphe 32 ci-dessus).

78. Le gouvernement serbe estime lui aussi que les requérants disposaient de plusieurs voies de recours. Il avance que M. Šahdanović aurait dû déclarer ses créances contre l’agence d’Investbanka à Tuzla dans la cadre de la procédure de faillite, tout en concédant qu’aucun des clients des agences bosniennes d’Investbanka n’a obtenu le remboursement de ses « anciens » fonds en devises dans la procédure en question. Par ailleurs, il soutient que M. Šahdanović aurait dû exercer une action civile contre Investbanka devant les juridictions serbes et essayer de retirer ses avoirs en invoquant des motifs humanitaires (paragraphe 35 ci-dessus).

79. Le gouvernement macédonien soutient que les requérants auraient dû épuiser toutes les voies de recours internes disponibles en Serbie et en Slovénie, sans plus de précision.

80. Les gouvernements bosnien et croate considèrent au contraire que les requérants ne disposaient d’aucun recours effectif, toutes les procédures portant sur les « anciens » fonds en devises déposés auprès des agences de la Ljubljanska Banka Ljubljana et d’Investbanka situées sur les territoires des autres Etats successeurs ayant été suspendues (paragraphes 34 et 38 ci‑dessus). A supposer même que les intéressés eussent obtenu des décisions ordonnant à l’ancienne Ljubljanska Banka de leur restituer leurs fonds, celles-ci seraient certainement restées inexécutées en raison de la réduction des actifs de cette banque consécutive à la réforme législative opérée en 1994 (paragraphe 37 ci-dessus).

B. Appréciation de la Cour

81. La Cour l’a dit à de nombreuses reprises, l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de s’y prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu’ils peuvent s’y trouver consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d’exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié. Si la portée de l’obligation que l’article 13 fait peser sur les Etats contractants varie en fonction de la nature du grief du requérant, le recours exigé par l’article 13 doit être « effectif » en pratique comme en droit. L’« effectivité » d’un « recours » au sens de l’article 13 ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant. De même, l’« instance » dont parle cette disposition n’a pas besoin d’être une institution judiciaire, mais alors ses pouvoirs et les garanties qu’elle présente entrent en ligne de compte pour apprécier l’effectivité du recours s’exerçant devant elle. En outre, l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l’article 13, même si aucun d’eux n’y répond en entier à lui seul (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 157, CEDH 2000‑XI). La Cour rappelle que, sauf exceptions justifiées par les circonstances particulières d’une affaire, l’épuisement des voies de recours internes s’apprécie en principe à la date d’introduction de la requête devant elle (Baumann c. France, no 33592/96, § 47, CEDH 2001-V, et Babylonová c. Slovaquie, no 69146/01, § 44, CEDH 2006‑VIII). Enfin, des requérants qui résident hors de la juridiction d’un Etat contractant ne sont pas en principe relevés de l’obligation d’épuiser les voies de recours internes dans cet Etat (voir, par analogie, Demopoulos et autres c. Turquie (déc.) [GC], nos 46113/99, 3843/02, 13751/02, 13466/03, 10200/04, 14163/04, 19993/04 et 21819/04, § 98, CEDH 2010).

82. En l’espèce, la Cour recherchera d’abord si l’introduction devant les juridictions slovènes d’une action dirigée contre l’ancienne Ljubljanska Banka ou la République de Slovénie, la saisine de la Cour constitutionnelle slovène en vue d’un contrôle abstrait de constitutionnalité ou l’assignation de l’ancienne Ljubljanska Banka devant les juridictions croates, prises ensemble ou isolément, peuvent ou non passer pour des recours effectifs propres à permettre à Mme Ališić et à M. Sadžak de disposer librement de leurs « anciens » fonds en devises déposés auprès de l’agence de Sarajevo de l’ancienne Ljubljanska Banka. La Cour examinera ensuite si l’inscription d’une créance auprès du tribunal des faillites compétent en Serbie, l’assignation d’Investbanka devant les juridictions serbes et une demande de retrait fondée sur des motifs humanitaires, prises ensemble ou isolément, peuvent ou non passer pour des recours effectifs propre à permettre à M. Šahdanović de disposer librement de ses « anciens » fonds en devises déposés auprès de l’agence d’Investbanka à Tuzla.

1. En ce qui concerne l’agence de Sarajevo de l’ancienne Ljubljanska Banka

a) Introduction devant les juridictions slovènes d’une action civile dirigée contre l’ancienne Ljubljanska Banka

83. La Cour relève que le tribunal de district de Ljubljana a rendu de nombreuses décisions ordonnant à l’ancienne Ljubljanska Banka de restituer les « anciens » fonds en devises déposés auprès de ses agences de Sarajevo et de Zagreb augmentés des intérêts échus, et que l’une au moins de ces décisions est devenue définitive (paragraphe 38 ci-dessus). Toutefois, la législation adoptée en 1994 ayant réduit les actifs de cette banque, il n’est pas certain que ces décisions puissent recevoir exécution (paragraphe 37 ci‑dessus). D’ailleurs, le gouvernement slovène n’a pas établi que l’une au moins de ces décisions a été exécutée. Dans ces conditions, il n’est pas démontré en l’état actuel des choses que cette voie de recours soit de nature à remédier de manière adéquate et suffisante aux griefs des requérants.

b) Introduction devant les juridictions slovènes d’une action civile dirigée contre la République de Slovénie

84. Certains clients des agences de Sarajevo et de Zagreb de l’ancienne Ljubljanska Banka ont exercé des actions civiles à l’encontre de la République de Slovénie. Aucune de ces actions n’ayant abouti jusqu’à présent (paragraphe 38 ci-dessus), la Cour estime que cette voie de recours n’aurait pas offert des chances raisonnables de succès aux requérants (voir, par analogie, E.O. et V.P. c. Slovaquie, nos 56193/00 et 57581/00, § 97, 27 avril 2004).

c) Saisine de la Cour constitutionnelle slovène

85. La Cour relève que, selon l’article 24 de la loi de 2007 sur la Cour constitutionnelle, quiconque justifiant d’un intérêt juridique peut solliciter l’ouverture d’un contrôle abstrait de constitutionnalité. Il ne s’impose pas en l’espèce de statuer sur l’effectivité générale de cette voie de recours. A supposer que ce recours puisse être effectif dans un autre contexte, il n’est pas de nature à remédier de façon adéquate et suffisante aux griefs des requérants, pour les raisons exposées ci-après.

S’agissant de l’effectivité de la saisine de la Cour constitutionnelle slovène aux fins du contrôle de la constitutionnalité de la suspension des procédures instaurée de 1997 à 2009, force est de constater que les deux épargnants croates ayant exercé cette voie de droit ont obtenu gain de cause en ce sens que la haute juridiction a déclaré cette suspension inconstitutionnelle et autorisé la poursuite de toutes les procédures civiles portant sur les « anciens » fonds en devises (paragraphe 38 ci-dessus). Toutefois, ces épargnants n’ont pas obtenu d’indemnité et aucune autre forme de réparation ne leur a été accordée. En outre, la Cour ayant déjà établi qu’une action civile n’était pas de nature à remédier de manière adéquate et suffisante aux griefs des requérants et qu’elle ne leur offrait pas de chances raisonnables de succès (paragraphe 83 et 84 ci-dessus), la poursuite de la procédure civile engagée par ces deux épargnants ne suffit pas en soi à conférer un caractère effectif à la saisine de la Cour constitutionnelle.

S’agissant de l’effectivité de la saisine de la Cour constitutionnelle slovène en vue du contrôle de la constitutionnalité de la disposition limitant la responsabilité de l’Etat aux « anciens » fonds en devises déposés auprès des agences slovènes de l’ancienne Ljubljanska Banka, il convient de préciser que cette disposition figure dans loi constitutionnelle de 1991 relative à la Charte constitutionnelle fondamentale et que cette loi échappe à ce contrôle (paragraphe 36 ci-dessus).

d) Introduction devant les juridictions croates d’une action civile à l’encontre de l’ancienne Ljubljanska Banka

86. La Cour a déjà jugé, dans des affaires portant – comme en l’espèce – sur la question de la répartition entre les Etats successeurs de la RSFY des dettes afférentes aux « anciens » fonds en devises, que l’on pouvait raisonnablement attendre d’un créancier qu’il tentât d’obtenir le paiement de ce qui lui était dû en saisissant les juridictions de l’un des Etats successeurs devant lesquelles d’autres créanciers avaient eu gain de cause (Kovačić et autres, précité, § 265). Il est établi que certains clients de l’agence de Zagreb de l’ancienne Ljubljanska Banka ont obtenu la restitution de leurs « anciens » fonds en devises à l’issue de la vente judiciaire d’actifs de cette banque situés en Croatie (paragraphe 32 ci-dessus). Toutefois, en ce qui concerne l’agence de Sarajevo, le gouvernement slovène n’a fourni aucun exemple de décision d’une juridiction croate ayant donné gain de cause à un client de cet établissement. Dans ces conditions, la Cour estime que le recours en question ne peut être considéré comme offrant aux requérants des chances raisonnables de succès.

2. En ce qui concerne l’agence d’Investbanka à Tuzla

a) Introduction d’une demande d’inscription de créance devant le tribunal des faillites compétent en Serbie

87. Bien que des centaines de clients d’agences bosniennes d’Investbanka aient fait inscrire leurs créances auprès du tribunal des faillites compétent, aucun d’entre eux n’a obtenu gain de cause jusqu’à présent (paragraphe 35 ci-dessus). Aussi la Cour estime-t-elle que cette voie de recours ne peut être considérée comme offrant à M. Šahdanović des chances raisonnables de succès.

b) Introduction devant les juridictions serbes d’une action civile à l’encontre d’Investbanka

88. S’il est vrai que, au début des années 90, quelques clients d’agences étrangères de banques serbes ont obtenu des juridictions serbes des décisions enjoignant à ces agences de leur restituer leurs « anciens » fonds en devises (voir l’exposé des faits de l’affaire Šekerović c. Serbie (déc.), no 32472/03, 4 janvier 2006), le gouvernement serbe n’a pas démontré que l’une de ces décisions avait été effectivement exécutée avant l’entrée en vigueur, en 1998, de la disposition législative portant suspension de toutes les procédures d’exécution relatives aux « anciens » fonds en devises. Dans ces conditions, la Cour estime que cette voie de recours n’était pas de nature à remédier de manière adéquate et suffisante aux griefs de M. Šahdanović.

c) Retrait de devises pour des motifs humanitaires

89. La Cour relève que la législation en vigueur au début des années 1990 autorisait les propriétaires d’« anciens » fonds en devises à effectuer des retraits pour des raisons particulières, notamment pour le paiement de frais médicaux ou funéraires (paragraphe 33 ci-dessus). Rien ne donne à penser ni ne prouve que M. Šahdanović ait dû faire face à de tels frais à l’époque pertinente. Dans ces conditions, il ne pouvait faire usage de cette faculté.

3. Conclusion

90. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que les requérants n’ont disposé d’aucun recours effectif qui leur aurait permis de faire valoir leurs griefs tirés de l’article 1 du Protocole no 1. La responsabilité de la Slovénie au titre des « anciens » fonds en devises déposés auprès de l’agence de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana et la responsabilité de la Serbie au titre des « anciens » fonds en devises déposés auprès de l’agence d’Investbanka à Tuzla ayant été établies, la Cour conclut à la violation par la Slovénie de l’article 13 à l’égard de Mme Ališić et de M. Sadžak, et à la violation de cette même disposition par la Serbie à l’égard de M. Šahdanović. En conséquence, la Cour rejette les exceptions préliminaires soulevées par les gouvernements défendeurs au sujet du non-épuisement allégué des voies de recours internes par les requérants (paragraphe 51 ci‑dessus). La Cour conclut à la non-violation de l’article 13 en ce qui concerne les autres gouvernements défendeurs.

IV. conclusion définitive sur l’article 1 du Protocole no 1

91. Au vu de la conclusion préliminaire à laquelle elle est parvenue au paragraphe 74 ci-dessus en ce qui concerne l’article 1 du Protocole no 1, et de la conclusion qu’elle a adoptée au paragraphe 90 ci-dessus sur la question du non-épuisement allégué des voies de recours internes par les requérants, la Cour conclut à la violation de l’article 1 du Protocole no 1 par la Slovénie à l’égard de Mme Ališić et de M. Sadžak, et à la violation de cette même disposition par la Serbie à l’égard de M. Šahdanović. Elle conclut enfin à la non-violation de l’article 1 du Protocole no 1 par les autres Etats défendeurs.

V. SUR la violation alléguée DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION

92. L’article 14 de la Convention se lit ainsi :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

93. Renvoyant en substance aux considérations exposées à l’appui de leurs griefs tirés de l’article 13 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 pris isolément, les requérants se disent victimes d’une violation de l’article 14 combiné avec ces deux dispositions. Après examen des observations des gouvernements défendeurs, et eu égard aux conclusions auxquelles elle est parvenue sur le terrain de l’article 13 et de l’article 1 du Protocole no 1 aux paragraphes 90-91 ci-dessus, la Cour n’estime pas nécessaire d’examiner l’affaire sous l’angle de l’article 14 combiné avec ces dispositions en ce qui concerne la Serbie et la Slovénie, et conclut à la non-violation de l’article 14 par les autres Etats défendeurs.

VI. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 46 DE LA CONVENTION

94. Aux termes de l’article 46 de la Convention,

« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.

2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution.

3. Lorsque le Comité des Ministres estime que la surveillance de l’exécution d’un arrêt définitif est entravée par une difficulté d’interprétation de cet arrêt, il peut saisir la Cour afin qu’elle se prononce sur cette question d’interprétation. La décision de saisir la Cour est prise par un vote à la majorité des deux tiers des représentants ayant le droit de siéger au Comité.

4. Lorsque le Comité des Ministres estime qu’une Haute Partie contractante refuse de se conformer à un arrêt définitif dans un litige auquel elle est partie, il peut, après avoir mis en demeure cette partie et par décision prise par un vote à la majorité des deux tiers des représentants ayant le droit de siéger au Comité, saisir la Cour de la question du respect par cette partie de son obligation au regard du paragraphe 1.

5. Si la Cour constate une violation du paragraphe 1, elle renvoie l’affaire au Comité des Ministres afin qu’il examine les mesures à prendre. Si la Cour constate qu’il n’y a pas eu violation du paragraphe 1, elle renvoie l’affaire au Comité des Ministres, qui décide de clore son examen. »

A. Thèses des parties

95. Les gouvernements serbe, slovène et macédonien s’opposent à l’application de la procédure de l’arrêt pilote en l’espèce, de même que les requérants. Pour le gouvernement bosnien, la présente affaire se prête à l’application de cette procédure en ce qu’elle concerne quelque 130 000 clients de l’agence de Sarajevo de l’ancienne Ljubljanska Banka, les quelque 132 000 épargnants clients de l’agence de Zagreb de cette banque qui n’ont pas transféré leurs fonds vers des banques croates (paragraphe 32 ci-dessus) et le même nombre de clients des agences bosniennes d’Investbanka. Pour sa part, le gouvernement croate estime qu’il est difficile de savoir à ce stade si la présente affaire se prête ou non à l’application de la procédure de l’arrêt pilote.

B. Appréciation de la Cour

1. Principes généraux

96. La Cour rappelle que, tel qu’interprété à la lumière de l’article 1 de la Convention, l’article 46 impose aux Etats défendeurs de mettre en œuvre, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou individuelles nécessaires pour sauvegarder les droit des requérants dont la Cour a constaté la violation. Des mesures de ce type doivent aussi être prises à l’égard des autres personnes se trouvant dans la même situation que les requérants, les Etats étant censés mettre un terme aux problèmes à l’origine des constats opérés par la Cour (Lukenda c. Slovénie, no 23032/02, § 94, CEDH 2005‑X). Le Comité des Ministres n’a cessé de souligner cette obligation dans le cadre du contrôle qu’il exerce de l’exécution des arrêts de la Cour (ResDH(97)336, IntResDH(99)434, IntResDH(2001)65 et ResDH(2006)1).

97. Afin de faciliter la mise en œuvre effective de ses arrêts, la Cour peut adopter une procédure d’arrêt pilote lui permettant d’identifier précisément les problèmes structurels à l’origine des violations et d’indiquer les mesures ou actions particulières que les Etats défendeurs devront prendre pour y remédier (voir l’article 61 du règlement de la Cour et Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, §§ 189-94, CEDH 2004‑V). Cette procédure vise à faciliter la résolution la plus rapide et la plus effective d’un dysfonctionnement affectant la protection des droits conventionnels en cause dans l’ordre juridique interne (Wolkenberg et autres c. Pologne (déc.), no 50003/99, § 34, CEDH 2007‑XIV). Si l’action des Etats doit principalement tendre à la résolution des dysfonctionnements constatés et à l’introduction, le cas échéant, de recours internes effectifs permettant de dénoncer les violations commises, elle peut aussi inclure l’adoption de solutions ad hoc telles que des règlements amiables avec les requérants ou des offres unilatérales d’indemnisation, en conformité avec les exigences de la Convention. La Cour peut donc décider d’ajourner l’examen de toutes les affaires similaires, donnant ainsi aux Etats défendeurs une possibilité de les régler selon ces diverses modalités (voir, parmi beaucoup d’autres, Bourdov c. Russie (no 2), no 33509/04, § 127, CEDH 2009). Si toutefois les Etats défendeurs n’adoptent pas ces mesures à la suite de l’arrêt-pilote et persistent à méconnaître la Convention, la Cour n’aura d’autre choix que de reprendre l’examen de toutes les requêtes similaires portées devant elle et de statuer sur celles-ci afin de garantir le respect effectif de la Convention (E.G. c. Pologne (déc.), no 50425/99, § 28, CEDH 2008).

2. Application en l’espèce des principes susmentionnés

98. Les violations constatées par la Cour en l’espèce touchent un grand nombre de personnes. La Cour est actuellement saisie de plus de 1 650 requêtes similaires impliquant plus de 8 000 requérants. Dans ces conditions, la Cour estime qu’il y a lieu d’appliquer en l’espèce la procédure de l’arrêt pilote malgré les objections soulevées par certaines des parties à la présente affaire.

99. Bien qu’en principe il n’appartienne pas à la Cour de définir quelles peuvent être les mesures de redressement appropriées pour que les Etats défendeurs s’acquittent de leurs obligations au regard de l’article 46 de la Convention, eu égard à la situation à caractère structurel qu’elle constate, la Cour observe que des mesures générales au niveau national s’imposent sans aucun doute dans le cadre de l’exécution du présent arrêt.

En conséquence, la Slovénie doit prendre, dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle le présent arrêt sera devenu définitif, toutes les mesures nécessaires pour permettre à Mme Ališić, à M. Sadžak et à tous ceux qui se trouvent dans la même situation de recouvrer leurs « anciens » fonds en devises dans les mêmes conditions que les personnes ayant déposé des devises dans les agences slovènes de banques slovènes. La Serbie doit prendre dans le même délai toutes les mesures nécessaires pour permettre à M. Šahdanović et à tous ceux qui se trouvent dans la même situation de recouvrer leurs « anciens » fonds en devises dans les mêmes conditions que les ressortissants serbes ayant déposé des devises dans les agences serbes de banques serbes.

La Cour n’estime pas nécessaire de prescrire maintenant l’octroi d’une réparation adéquate à toutes les personnes affectées par les retards passés. Cependant, si la Serbie ou la Slovénie n’appliquaient pas les mesures générales qu’elle a indiquées ci-dessus, la Cour pourrait réexaminer sa position sur la question de la réparation dans une affaire future dirigée contre l’Etat concerné qui se prêterait à un tel réexamen (voir, par analogie, Suljagić, précité, § 64).

100. Il convient de souligner que les prescriptions énoncées ci-dessus ne s’étendent pas aux personnes dont la situation est identique à celle des requérants mais qui se sont vu restituer l’intégralité de leurs « anciens » fonds en devises par d’autres Etats successeurs, notamment celles qui ont pu les retirer pour des raisons humanitaires (paragraphes 17 et 33 ci-dessus) ou en disposer dans le cadre du processus de privatisation (paragraphe 22 ci‑dessus), ou qui ont obtenu des gouvernements croate et macédonien le remboursement des fonds qu’elles avaient déposés auprès des agences de Zagreb et de Skopje de la Ljubljanska Banka Ljubljana (paragraphes 32 et 39 ci-dessus). En conséquence, la Serbie et la Slovénie peuvent exclure ces personnes de leurs programmes de remboursement respectifs. Toutefois, en cas de remboursement seulement partiel des « anciens » fonds en devises, la Serbie et la Slovénie demeurent débitrices du reliquat (la Serbie pour les « anciens » fonds en devises déposés dans toutes les agences de banques serbes, la Slovénie pour les « anciens » fonds en devises déposés dans toutes les agences de banques slovènes, indépendamment de la situation géographique des agences concernées et de la nationalité des déposants créanciers).

101. Enfin, la Cour ajourne l’examen de toutes les affaires similaires pendant six mois à compter de la date à laquelle le présent arrêt sera devenu définitif (voir, par analogie, Suljagić, précité, § 65). Cependant, elle se réserve la possibilité de déclarer à tout moment irrecevable ou de rayer de son rôle toute requête analogue conformément à la Convention.

VII. APPLICATION de l’article 41 de la Convention

102. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

103. Au titre du dommage matériel, les requérants réclament le remboursement de leurs « anciens » fonds en devises augmentés d’intérêts. La Cour a déjà donné des directives sur ce point au paragraphe 99 ci-dessus.

104. En outre, les intéressés réclament chacun 4 000 euros (EUR) en réparation du préjudice moral qu’ils disent avoir subi. Les gouvernements bosnien, croate, serbe et macédonien jugent ces prétentions injustifiées. La Cour estime que les requérants ont subi un dommage moral résultant des violations de la Convention constatées dans la présente affaire. Statuant en équité comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour alloue aux requérants les sommes réclamées et dit que la Slovénie doit verser à Mme Ališić et M. Sadžak 4 000 EUR chacun et que la Serbie doit verser la même somme à M. Šahdanović.

B. Frais et dépens

105. Les requérants réclament 59 500 EUR au titre des frais et dépens exposés pour les besoins de la procédure suivie devant la Cour. Les gouvernements bosnien, croate, serbe et macédonien estiment que ces prétentions sont injustifiées et non étayées. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Autrement dit, le requérant doit les avoir réglés, ou être tenu de les régler, en vertu d’une obligation légale ou contractuelle pour empêcher la violation constatée ou y faire remédier. A cet égard, la Cour exige la production de notes d’honoraires et de factures suffisamment précises pour lui permettre de déterminer dans quelle mesure les conditions susmentionnées se trouvent remplies. Les requérants n’ayant pas produit de notes d’honoraires, la Cour rejette leur demande au titre des frais et dépens.

C. Intérêts moratoires

106. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Rejette, par six voix contre une, les exceptions préliminaires soulevées par les gouvernements défendeurs concernant le non-épuisement allégué des voies de recours internes par les requérants ;

2. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation par la Serbie de l’article 1 du Protocole no l à la Convention à l’égard de M. Šahdanović ;

3. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation par la Slovénie de l’article 1 du Protocole no l à la Convention à l’égard de Mme Ališić et de M. Sadžak ;

4. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation par les autres Etats défendeurs de l’article 1 du Protocole no1 à la Convention ;

5. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation par la Serbie de l’article 13 de la Convention à l’égard de M. Šahdanović ;

6. Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation par la Slovénie de l’article 13 de la Convention à l’égard de Mme Ališić et de M. Sadžak ;

7. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation par les autres Etats défendeurs de l’article 13 de la Convention ;

8. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief de violation par la Serbie et la Slovénie de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 13 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1, et qu’il n’y a pas eu violation par les autres Etats défendeurs de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 13 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 ;

9. Dit, à l’unanimité, que le refus des gouvernements serbe et slovène d’admettre les requérants et tous ceux qui se trouvent dans la même situation au bénéfice de leur programme de remboursement des « anciens » fonds en devises constitue un problème systémique ;

10. Dit, à l’unanimité, que la Serbie doit prendre, dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle le présent arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, toutes les mesures nécessaires pour permettre à M. Šahdanović et à tous ceux qui se trouvent dans la même situation de recouvrer leurs « anciens » fonds en devises dans les mêmes conditions que les ressortissants serbes ayant déposé des fonds en devises dans les agences serbes de banques serbes ;

11. Dit, par six voix contre une, que la Slovénie doit prendre, dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle le présent arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, toutes les mesures nécessaires pour permettre à Mme Ališić, à M. Sadžak et à tous ceux qui se trouvent dans la même situation de recouvrer leurs « anciens » fonds en devises dans les mêmes conditions que les personnes ayant déposé des fonds en devises dans les agences slovènes de banques slovènes ;

12. Décide, à l’unanimité, d’ajourner pendant six mois à compter de la date à laquelle le présent arrêt sera devenu définitif l’examen de toutes les affaires analogues à la présente affaire, tout en se réservant la possibilité de déclarer à tout moment irrecevable ou de rayer de son rôle toute affaire analogue conformément à la Convention ;

13. Dit, à l’unanimité,

a) que la Serbie doit verser à M. Šahdanović, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 4 000 EUR (quatre mille euros) plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

14. Dit, à l’unanimité,

a) que la Slovénie doit verser à Mme Ališić et à M. Sadžak, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 4 000 EUR (quatre mille euros) chacun plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

15. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 6 novembre 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Lawrence EarlyNicolas Bratza
GreffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Zupančič.

N.B.
T.L.E

OPINION DISSIDENTE DU JUGE Zupančič

(Traduction)

Je suis au regret de ne pouvoir souscrire à l’arrêt adopté par la majorité. Je suis convaincu, pour des raisons dont certaines sont exposées ci-après, que la solution à laquelle est parvenue la chambre constituée pour statuer sur la présente affaire sera certainement jugée non conforme à la lettre et à l’esprit de la Convention par la Grande Chambre.

J’observe d’abord que le premier paragraphe de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention vise à protéger les biens, les espérances légitimes, les prétentions défendables, etc., des requérants de bonne foi. Or la solution à laquelle la Cour est parvenue dans la présente affaire conduit en définitive à préserver les effets spéculatifs et les dérèglements d’un système pyramidal à l’échelle d’un pays géré par un Etat communiste. Ce système a été mis en place par le régime yougoslave – aujourd’hui disparu – qui se trouvait à l’époque confronté à un besoin urgent de devises fortes. Qui plus est, du point de vue moral, ni la Ljubljanska Banka Ljubljana ni la République de Slovénie ne sont à l’origine de cette pyramide de Ponzi, raison pour laquelle elles ne sauraient être considérées comme les Madoffs de cette affaire !

A supposer même, dans le pire des cas, que la Ljubljanska Banka Ljubljana – et par voie de conséquence la République de Slovénie – doivent être tenues pour responsables du « vol » (pour parler sans détour) de l’argent des déposants, il n’en demeure pas moins insensé de restituer aux épargnants leurs dépôts initiaux augmentés d’intérêts au taux absurde de 12 %. Du point de vue éthique, cette revendication des déposants est une illusion de personnes qui ont naïvement investi dans ce système de Ponzi à la mode communiste.

En matière bancaire, et dans d’autres domaines de la succession d’Etats, le principe de territorialité applicable au remboursement des dettes dues dans tel ou tel pays va de pair avec un processus économique bien connu, selon lequel l’argent provenant des dépôts effectués dans une banque est investi – sous forme de « monnaie scripturale » – dans le territoire même où cette banque est à la fois débitrice de ses déposants et créancière des diverses entreprises qu’elle finance en leur accordant des prêts. L’arrêt adopté par la majorité méconnaît le principe de territorialité.

D’après ce principe, les créanciers – c’est-à-dire les déposants clients d’une banque – doivent se voir rembourser leurs dépôts dans la région, la zone ou le territoire dans lequel l’ensemble des prêts commerciaux issus de leurs dépôts ont été effectivement accordés à diverses entreprises. Selon un célèbre article fréquemment cité portant sur la succession de la Yougoslavie, « (...) le principe de territorialité est sans conteste la règle générale de la succession d’Etats en matière de biens meubles corporels » (voir Carsten Stahn, « Agreement on Succession Issues of the Former Socialist Federal Republic of Yugoslavia », 96 Am. J. Int’l L. 379 (2002)). Nous allons voir immédiatement pourquoi cette solution est logique, et donc juste.

Il faut comprendre que le fonctionnement des banques repose depuis toujours sur une évaluation prospective de leurs risques futurs dont le résultat les conduisent à multiplier virtuellement les sommes déposées par les épargnants en accordant des prêts (sous forme de « monnaie scripturale ») pour une somme totale très supérieure à celle des dépôts effectués. La monnaie scripturale est de l’argent « virtuel » en ce sens qu’elle est littéralement un emprunt sur l’avenir.

Dans la présente affaire, les dépôts en devises fortes effectués auprès d’une banque étaient convertis en « monnaie scripturale » et offerts en prêt à des entreprises ou des particuliers sur un territoire déterminé qui en faisaient la demande et qui étaient capables de rembourser le capital emprunté augmenté d’un taux d’intérêt ordinaire. Il va sans dire que le taux des intérêts versés ne peut jamais atteindre 12 %, ce qui tend à prouver que le système en question n’était que cela, un système pyramidal.

Toutefois, ce mode classique de fonctionnement bancaire doit être apprécié au regard du régime alors en vigueur, dirigé par le gouvernement moribond de Marković, et de la situation d’un Etat et d’une organisation financière qui étaient au bord de l’effondrement, effondrement dont le système de Ponzi de spéculation sur les devises fortes mis en place par le pouvoir communiste était un signal précurseur évident, que chacun pouvait percevoir et prendre en compte.

Il est tout aussi évident qu’une banque devant faire face à un retrait massif de dépôts tombe immédiatement en faillite. Le fonctionnement des banques repose pour l’essentiel sur un mécanisme de décalage temporel à visée lucrative, et tous les systèmes pyramidaux – y compris le système de Ponzi – fonctionnent sur le même modèle. Mais dans un système bancaire sain, le cycle prêt-remboursement est réaliste. Le gouvernement dirigé par Tudjman a ordonné à l’improviste la fermeture de la Ljubljanska Banka Ljubljana sur le territoire croate, décision qui a entraîné la liquidation immédiate de cet établissement, comme elle aurait entraîné la liquidation de n’importe quelle autre banque. En pareille situation, les créances des déposants doivent être remboursées immédiatement, tandis que le remboursement des prêts demeure échelonné dans le temps. En d’autres termes, il suffit qu’un gouvernement décide de fermer une banque pour que celle-ci se trouve aussitôt empêchée d’honorer ses engagements, notamment à l’égard des créanciers que sont les particuliers déposants.

Le principe de territorialité reflète une conception dynamique du rôle des banques. Il est fondé sur l’idée selon laquelle toute banque a pour fonction essentielle d’accorder sans discontinuer des prêts dans un territoire déterminé. Il est donc logiquement justifié que le territoire soit considéré comme étant le principal critère à prendre en compte pour la question du remboursement, question qui ne peut être appréhendée sous le seul angle des rapports de droit privé couverts par le premier paragraphe de l’article 1 du Protocole no 1.

Lorsqu’une banque n’est pas en mesure de rembourser ses déposants, seuls ceux qui ont un lien avec le territoire où elle est implantée – indépendamment de leur nationalité, etc. – peuvent bénéficier de la garantie de l’Etat, pour la raison macroéconomique évidente que la monnaie scripturale issue des dépôts effectués par eux a été investie et est demeurée dans ce territoire, dont elle a stimulé l’activité économique, etc.

En matière de succession d’Etats, il est naturel que, dès lors que l’autorité centrale – en l’occurrence la Banque centrale de Belgrade – manque à ses obligations de garantie, les Etats successeurs se portent garants en ce qui concerne leurs territoires respectifs. Dans ces conditions, on comprend aisément qu’il ait paru logique aux six Etats successeurs de se porter garants, chacun pour ce qui concerne son territoire, des créances de leurs déposants.

C’est d’ailleurs ce qui s’est produit, au moins dans une certaine mesure puisque la Croatie a remboursé les clients de la Ljubljanska Banka sur son territoire. On peut se demander si cette décision de l’Etat croate procède d’une pure bonté envers ses ressortissants ou d’un souci spontané de justice macroéconomique dont il a fait preuve au moment de son avènement. En d’autres termes, pourquoi l’Etat croate aurait-il pris à sa charge une partie des dettes de la Ljubljanska Banka pour tous ses citoyens qui lui en avaient demandé le remboursement s’il n’avait d’abord pris en compte le principe de territorialité ?

En tout état de cause, la logique du principe de territorialité est évidente de part et d’autre. Je souhaite rappeler une idée simple : la justice individuelle garantie par le Protocole no 1 trouve son pendant dans la conception aristotélicienne de la justice distributive inhérente au principe de territorialité et se concilie parfaitement avec elle.

Je m’interroge depuis plusieurs années sur un autre travers de la présente affaire, qui provient de la mauvaise compréhension de la question telle qu’elle se pose dans le cadre contentieux actuel. Cette confusion tient à ce que la présente affaire n’est pas ce qu’elle devrait être, c’est-à-dire une affaire interétatique. Il est certain que, dans le cadre d’un différend interétatique, la question atypique de droit privé qui se pose ici se serait présentée de manière prévisible, naturelle et logique sous la forme d’un problème de succession. Il aurait été beaucoup plus clair d’aborder la question sous cet angle. Comment expliquer qu’aucun des Etats défendeurs n’ait attrait la République de Slovénie devant la Cour européenne des droits de l’homme par la voie d’une requête interétatique ? Pourquoi ces Etats se cachent-ils derrière les requérants individuels alors que tout indique que les questions qui se posent sont des questions de succession ? Je pense que la réponse est claire.

Une autre des principales critiques que suscite l’arrêt adopté par la majorité tient à la composition de la chambre à laquelle la présente affaire a été attribuée. Quatre de ses membres – soit la majorité simple de la chambre – sont ressortissants des Etats créanciers et un autre est citoyen d’un Etat débiteur voisin. Seuls les deux autres membres de la chambre ne sont pas, à un titre ou à un autre, des « juges nationaux » dans cette affaire. La règle de procédure posée par la Convention selon laquelle le juge élu au titre de l’Etat partie à une affaire doit systématiquement siéger dans la chambre appelée à en connaître pour en faciliter la compréhension se justifie pleinement en temps ordinaire. Toutefois, dans une situation mettant en cause sept Etats successeurs confrontés à ce qui est par essence un problème de succession, la présence obligatoire du « juge national » donne lieu à la composition d’une chambre ad hoc dans laquelle, comme en l’espèce, les « représentants » des demandeurs ont manifestement l’ascendant sur les « représentants » des défendeurs. Il s’agit là d’une situation absurde puisqu’il était manifeste dès le début que les intérêts des demandeurs détermineraient le résultat de l’arrêt adopté par la majorité ad hoc casu. Il est heureux que le principe sacro-saint de l’opinion séparée tel que le conçoit la Convention puisse nous tirer de cette ornière, car cette affaire doit manifestement être déférée à la Grande Chambre. Dans une Grande Chambre composée de 17 membres, l’influence des « juges nationaux » sera diluée et le poids des intérêts des demandeurs s’en trouvera atténué. Je tiens à souligner que je ne mets pas en cause l’impartialité de mes collègues, même si je suis convaincu que l’impartialité consciente a des limites objectives lorsque sont en cause des intérêts nationaux. Toutefois, même si aucun problème de prépondérance numérique ne se posait dans la composition de la chambre ad hoc, il est évident que, du point de vue des « apparences », la chambre ne pourrait passer pour objective et impartiale aux yeux du monde extérieur.

Cela fait des années que je maintiens que la meilleure analyse de la question qui se pose dans cette affaire figure dans le désormais célèbre rapport du professeur Jürgen intitulé « Restitution des dépôts en devises effectués dans les filiales de l’ancienne Ljubljanska Banka situées en dehors du territoire de la Slovénie, 1977-1991 » (Doc. 10135, 14 avril 2004, Rapport, Commission des affaires juridiques et des droits de l’homme, Rapporteur: M. Erik Jürgens, Pays-Bas). Il en ressort ce qui suit (§§ 20 et 21) :

« La conclusion, d’un point de vue économique, est sans doute que, dès 1991, les dépôts d’origine avaient en fait cessé d’exister. Les déposants, attirés par des taux d’intérêt élevés, avaient pris un risque en déposant leur argent auprès de banques situées à l’intérieur de la RSFY. Lorsqu’ils ont pris conscience de ce risque, ils ont été rassurés par le gouvernement de la RSFY qui a garanti que les dépôts seraient remboursés avec les intérêts cumulés. Mais cette garantie du gouvernement s’est évaporée au moment de la dissolution de la RSFY, sauf si les Etats successeurs étaient prêts à assumer, au moins dans une certaine mesure, cette garantie. C’est ce qui s’est effectivement produit mais les différents Etats successeurs ont assumé cette garantie de manières différentes. La Slovénie (...) a assumé la garantie pour les dépôts en devises effectués auprès des banques situées sur son territoire, pensant que les autres républiques feraient de même. »

L’adoption du présent arrêt intervient à un très mauvais moment car, au moins en ce qui concerne la Slovénie et la Croatie, les négociations progressent sous la conduite d’experts slovènes et croates spécialistes des questions bancaires et possédant une bonne compréhension de la situation. L’arrêt sera perçu – à tort – comme étant définitif et sera certainement mal interprété d’un point de vue politique par les deux parties.

Il ressort du paragraphe 60 de l’arrêt que le gouvernement slovène reproche à la Croatie d’avoir refusé en 1999 de régler le problème par la voie d’un arbitrage du FMI, d’avoir refusé d’en discuter dans le cadre des réunions du Comité mixte permanent, d’avoir attendu 2010 pour accepter – sous la pression de l’UE – de poursuivre les négociations sous les auspices de la BRI, d’être revenue sur cette démarche en 2011 à l’issue des négociations d’adhésion à l’UE, et enfin d’avoir empêché l’agence de Zagreb de la Ljubljanska Banka Ljubljana de se livrer à des activités bancaires courantes qui lui auraient permis de dégager des profits supplémentaires (paragraphe 60 de l’arrêt adopté par la majorité). Les reproches formulés par le gouvernement slovène n’ont pas reçu de réponse satisfaisante de la part du gouvernement croate, ce dont l’arrêt adopté par la majorité n’a pas tenu compte. Pourtant, il en ressort inéluctablement que la Slovénie n’est pas coupable dans cette affaire, car elle a essayé à cinq reprises au moins de négocier honnêtement avec la Croatie ce problème de succession, en vain. Il est bien entendu impossible de savoir si, cette fois-ci, les intentions du gouvernement croate sont malgré tout sincères. Les négociations étant désormais conduites par deux experts au fait de la situation, il est à espérer qu’elles pourront enfin progresser. De plus, l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne est subordonnée au succès de ces négociations. Je répète que le présent arrêt intervient à un mauvais moment parce qu’il donne à penser, alors même que l’affaire pourrait être déférée à la Grande Chambre, que l’un des protagonistes est en position de force sur le plan politique et qu’il ne lui est plus nécessaire de faire preuve de bonne volonté et d’une attitude constructive dans les négociations en cours.

A cet égard, il me faut souligner que l’élément fondamental de l’arrêt rendu dans l’affaire Kovačič, qui a été déférée à la Grande Chambre pour une raison de pure forme, est à rechercher dans l’opinion concordante qu’y a jointe le professeur George Ress, ancien juge de la Cour et spécialiste mondialement connu du droit international, notamment des questions de succession. Le message que le professeur Ress a fait passer dans son opinion concordante et qui n’apparaît pas dans l’arrêt en question est fondamentalement identique à celui que contient le rapport Jürgen et peut se résumer comme suit : il est impossible de trouver une véritable solution à ce problème par la voie d’un arrêt rendu entre des particuliers et un Etat. A moins qu’elle ne se pose dans le cadre d’une affaire interétatique, cette question ne pourra être résolue que par des négociations dans le contexte d’un futur accord de succession.

* * *

[1]. La « propriété collective », forme de propriété qui existe aussi dans d’autres pays, était particulièrement développée en RSFY (voir Medjad, « The fate of the Yugoslav model: A case against legal conformity », American Journal of Comparative Law 52/1 (2004), pp. 287-319).

[2]. Zakon o deviznom poslovanju, Journal Officiel de la RSFY nos 66/85, 13/86, 71/86, 2/87, 3/88, 59/88, 85/89, 27/90, 82/90 et 22/91.

[3]. Zakon o bankama i drugim finansijskim organizacijama, Journal Officiel de la RSFY nos 10/89, 40/89, 87/89, 18/90, 72/90 et 79/90.

[4] Zakon o sanaciji, stečaju i likvidaciji banaka i drugih finansijskih organizacija, Journal Officiel de la RSFY nos 84/89 et 63/90.

[5]. Odluka o načinu izvršavanja obaveza Federacije po osnovu jemstva za devize na deviznim računima i deviznim štednim ulozima građana, građanskih pravnih lica i stranih fizičkih lica, Journal Officiel de la RSFY no 27/90.

[6]. Zakon o obligacionim odnosima, Journal Officiel de la RSFY nos 29/78, 39/85, 45/89 et 57/89.

[7]. Zakon o deviznom poslovanju i kreditnim odnosima, Journal Officiel de la RSFY nos 15/77, 61/82, 77/82, 34/83, 70/83 et 71/84.

[8]. Odluka o načinu na koji ovlašćene banke izvršavaju naloge za plaćanje domaćih fizičkih lica devizama sa njihovih deviznih računa i deviznih štednih uloga, Journal Officiel de la RSFY nos 28/91, 34/91, 64/91 et 9/92.

[9]. Odluka o načinu vođenja deviznog računa i deviznog štednog uloga domaćeg i stranog fizičkog lica, Journal Officiel de la RSFY nos 6/91, 30/91, 36/91 et 25/92.

[10]. Uredba sa zakonskom snagom o preuzimanju i primjenjivanju saveznih zakona koji se u Bosni i Hercegovini primjenjuju kao republički zakoni, Journal Officiel de la République de Bosnie-Herzégovine n° 2/92.

[11]. Dont les autorités bosniennes ont fourni une copie à la Cour.

[12]. Odluka o uslovima i načinu isplata dinara po osnovu definitivne prodaje devizne štednje domaćih fizičkih lica i korišćenju deviza sa deviznih računa i deviznih štednih uloga domaćih fizičkih lica za potrebe liječenja i plaćanja školarine u inostranstvu, Journal Officiel de la République de Bosnie-Herzégovine n° 4/93; Odluka o uslovima i načinu davanja kratkoročnih kredita bankama na osnovu definitivne prodaje deponovane devizne štednje građana i efektivno prodatih deviza od strane građana, Journal Officiel de la République de Bosnie-Herzégovine nos 10/93 et 2/94; et Odluka o ciljevima i zadacima monetarno-kreditne politike u 1995, Journal Officiel de la République de Bosnie-Herzégovine nos 11/95 et 19/95.

[13]. Zakon o utvrđivanju i realizaciji potraživanja građana u postupku privatizacije, Journal Officiel de la FBH nos 27/97, 8/99, 45/00, 54/00, 32/01, 27/02, 57/03, 44/04, 79/07 et 65/09.

[14]. Uredba o ostvarivanju potraživanja lica koja su imala deviznu štednju u bankama na teritoriju Federacije, a nisu imala prebivalište na teritoriju Federacije, Journal Officiel de la FBH no 44/99.

[15]. Zakon o utvrđivanju i načinu izmirenja unutrašnjih obaveza Federacije, Journal Officiel de la FBH nos 66/04, 49/05, 35/06, 31/08, 32/09 et 65/09.

[16]. Zakon o izmirenju obaveza po osnovu računa stare devizne štednje, Journal Officiel de la Bosnie-Herzégovine nos 28/06, 76/06 and 72/07.

[17]. Zakon o postupku upisa pravnih lica u sudski registar, Journal Officiel de la République de Bosnie-Herzégovine nos 4/00, 49/00, 32/01, 19/03 et 50/03.

[18]. Zakon o pretvaranju deviznih depozita građana u javni dug Republike Hrvatske, Journal Officiel de la République de Croatie n° 106/93.

[19]. Pravilnik o utvrđivanju uvjeta i načina pod kojima građani mogu prenijeti svoju deviznu štednju s organizacijske jedinice banke čije je sjedište izvan Republike Hrvatske na banke u Republici Hrvatskoj, Journal Officiel de la République de Croatie n° 19/94.

[20]. Dont une copie a été communiquée à la Cour par le gouvernement slovène (annexes nos 273-74).

[21]. Odluka o uslovima i načinu davanja kratkoročnih kredita bankama na osnovu definitivne prodaje deponovane devizne štednje građana, Journal Officiel de la République fédérale de Yougoslavie nos 42/93, 49/93, 71/93 et 77/93; Odluka o uslovima i načinu isplate dela devizne štednje građana koja je deponovana kod NBJ, Journal Officiel nos 42/94, 44/94 et 50/94; Odluka o uslovima i načinu isplate dela devizne štednje građana koja je deponovana kod NBJ, Journal Officiel nos 10/95, 52/95, 58/95, 20/96, 24/96 et 30/96; et Odluka o privremenom obezbeđivanju i načinu i uslovima isplate sredstava ovlašćenim bankama na ime dinarske protivvrednosti dela devizne štednje deponovane kod NBJ isplaćene građanima za određene namene, Journal Officiel de la République fédérale de Yougoslavie nos 41/96, 21/98 et 4/99.

[22]. Zakon o izmirenju obaveza po osnovu devizne štednje građana, Journal Officiel de la République fédérale de Yougoslavie nos 59/98, 44/99 et 53/01.

[23]. Zakon o regulisanju javnog duga Savezne Republike Jugoslavije po osnovu devizne štednje građana, Journal Officiel de la République fédérale de Yougoslavie no 36/02.

[24]. Zakon o deviznom poslovanju, Journal Officiel de la République fédérale de Yougoslavie nos 12/95, 29/97, 44/99, 74/99 et 73/00.

[25]. Ustavni zakon za izvedbo Temeljne ustavne listine o samostojnosti in neodvisnosti RS, Journal Officiel de la République de Slovénie n° 1/91.

[26]. Zakon o poravnavanju obveznosti iz neizplačanih deviznih vlog, Journal Officiel de la République de Slovénie n° 7/93.

[27]. Zakon o ustavnem sodišču (uradno prečiščeno besedilo), Journal Officiel de la République de Slovénie n° 64/07.

[28]. Dont les autorités bosniennes ont fourni une copie à la Cour.

[29]. Ustavni zakon o dopolnitvah ustavnega zakona za izvedbo Temeljne ustavne listine o samostojnosti in neodvisnosti Republike Slovenije, Journal Officiel de la République de Slovénie n° 45/94.

[30]. Zakon o dopolnitvah zakona o Skladu Republike Slovenije za sukcesijo, Journal Officiel de la République de Slovénie n° 40/97.

[31]. Décision publiée au Journal Officiel de la République de Slovénie n° 105/09.

[32]. Закон за преземање на депонираните девизни влогови на граѓаните од страна на Република Македонија, « Journal Officiel de la République de Macédoine » n° 26/92; Закон за гаранција на Република Македонија за депонираните девизни влогови на граѓаните и за обезбедување на средства и начин за исплата на депонираните девизни влогови на граѓаните во 1993 и 1994, Journal Officiel nos 31/93, 70/94, 65/95 et 71/96; et Закон за начинот и постапката на исплатување на депонираните девизни влогови на граѓаните по кои гарант е Република Македонија, Journal Officiel nos 32/00, 108/00, 4/02 et 42/03.

[33]. La RSFY a signé ce traité en 1983. En 2001, la République fédérale de Yougoslavie a déposé un instrument par lequel elle a manifesté sa volonté de confirmer la signature apposée par la RSFY.

[34]. Etablie par la Communauté européenne et ses Etats membres en 1991, cette commission délivra quinze avis portant sur des questions juridiques posées par la dissolution de la RSFY (voir International Law Reports 92 (1993), pp. 162-208, et 96 (1994), pp. 719-37).

[35]. Voir les travaux préparatoires à l’Accord fournis par le gouvernement slovène (annexes nos 265-70).

[36]. Le gouvernement croate a fourni une copie de cette lettre à la Cour.

[37]. Le gouvernement croate a fourni une copie de cette lettre à la Cour.


Synthèse
Formation : Cour
Numéro d'arrêt : 001-114649
Date de la décision : 06/11/2012
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Exception préliminaire rejetée (Article 35-1 - Epuisement des voies de recours internes);Partiellement irrecevable;Violation de l'article 1 du Protocole n° 1 - Protection de la propriété (article 1 al. 1 du Protocole n° 1 - Respect des biens) (Serbie);Violation de l'article 1 du Protocole n° 1 - Protection de la propriété (article 1 al. 1 du Protocole n° 1 - Respect des biens) (Slovénie);Non-violation de l'article 1 du Protocole n° 1 - Protection de la propriété (article 1 al. 1 du Protocole n° 1 - Respect des biens) (Bosnie-Herzégovine) (Croatie) (l'ex-République yougoslave de Macédoine);Violation de l'article 13 - Droit à un recours effectif (Article 13 - Recours effectif) (Serbie);Violation de l'article 13 - Droit à un recours effectif (Article 13 - Recours effectif) (Slovénie);Non-violation de l'article 13 - Droit à un recours effectif (Article 13 - Recours effectif) (Bosnie-Herzégovine) (Croatie) (l'ex-République yougoslave de Macédoine);Etat défendeur tenu de prendre des mesures générales (Article 46 - Arrêt pilote;Problème structurel;Mesures générales);Etat défendeur tenu de prendre des mesures générales (Article 46 - Arrêt pilote;Problème structurel;Mesures générales);Préjudice moral - réparation

Parties
Demandeurs : ALIŠIĆ ET AUTRES
Défendeurs : BOSNIE-HERZÉGOVINE, CROATIE, SERBIE, SLOVÉNIE ET « L'EX-RÉPUBLIQUE YOUGOSLAVE DE MACÉDOINE »

Composition du Tribunal
Avocat(s) : MUJCIN B.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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