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30/10/2012 | CEDH | N°001-114089

CEDH | CEDH, AFFAIRE ARDELEAN c. ROUMANIE, 2012, 001-114089


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE ARDELEAN c. ROUMANIE

(Requête no 28766/04)

ARRÊT

STRASBOURG

30 octobre 2012

DÉFINITIF

30/01/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Ardelean c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Egbert Myjer,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra, <

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Kristina Pardalos, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 octobre 2012...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE ARDELEAN c. ROUMANIE

(Requête no 28766/04)

ARRÊT

STRASBOURG

30 octobre 2012

DÉFINITIF

30/01/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Ardelean c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Egbert Myjer,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,
Nona Tsotsoria,
Kristina Pardalos, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 octobre 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 28766/04) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Ioan Ardelean (« le requérant »), a saisi la Cour le 12 juillet 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme Irina Cambrea, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant se plaignait en particulier des mauvaises conditions de détention subies par lui dans la prison d’Oradea, de la durée de sa détention provisoire et de l’absence de recours pour contester cette mesure, ainsi que de la durée de la procédure pénale engagée contre lui.

4. Le 16 décembre 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement en ce qui concerne les griefs tirés des articles 3, 5 §§ 3, 4 et 5 et 6 § 1 de la Convention. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

5. A la suite du déport de M. Corneliu Bîrsan, juge élu au titre de la Roumanie (article 28 du Règlement de la Cour), le président de la chambre a désigné Mme Kristina Pardalos pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 26 § 4 de la Convention et 29 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Le requérant est né en 1968 et réside à Oradea.

7. En 2001, le requérant travaillait comme juriste pour la société L., ayant son siège à Oradea. A une date non précisée en 2001, il vendit son appartement et quitta la ville d’Oradea pour s’installer à Bucarest, où il continua de travailler, dans un premier temps pour la société L., et à partir du 1er avril 2003, pour le conseil local du deuxième arrondissement de Bucarest.

A. L’arrestation du requérant

8. En mars 2004, le requérant fit une demande auprès de la police de Bucarest pour se voir délivrer un passeport. En vérifiant ses fichiers, la police constata que, le 7 novembre 2001, un avis de recherche avait été lancé au nom du requérant.

9. Le 12 mars 2004, la police informa le requérant qu’un avis de recherche avait été émis à son nom et qu’il était accusé de tromperie. Le requérant se déplaça au siège de la police où il fut arrêté, sur le fondement dudit avis de recherche.

10. Le 13 mars 2004, le requérant fut transféré au parquet près le tribunal de première instance d’Oradea (« le parquet »). En présence de son avocat, il fut informé par le procureur de ce que, le 30 août 2001, deux plaintes pénales pour tromperie avaient été déposées contre lui par T.V. et T.R. Le requérant était accusé de s’être présenté comme étant avocat, alors qu’il ne l’était pas, et d’avoir demandé de l’argent pour intervenir en faveur des parties lésées, soit auprès du barreau de Bucarest soit auprès des juges de la Haute Cour de cassation et de justice, pour leur procurer certains avantages liés à une procédure pénale. Le procureur l’informa également qu’à la suite de ces plaintes, une enquête pénale avait été ouverte à son encontre et que sur réquisitoire du 5 juin 2003, il avait été renvoyé en jugement pour tromperie, un mandat de placement en détention provisoire ayant également été émis à son nom.

B. La détention provisoire du requérant

1. Le placement en détention provisoire

11. Le 13 mars 2004, le parquet demanda au tribunal de première instance d’Oradea (« le tribunal de première instance ») d’ordonner le placement en détention provisoire du requérant.

12. Après avoir interrogé l’intéressé, par un jugement avant dire droit rendu le même jour, le tribunal de première instance ordonna son placement en détention provisoire pour une durée de trente jours, en en déduisant le temps de sa détention du 12 au 13 mars 2004. Se fondant sur l’article 148 lettres c) et h) du code de procédure pénale (« CPP »), le tribunal jugea que la détention provisoire était justifiée, au motif que le requérant s’était soustrait aux poursuites pénales et que sa remise en liberté représenterait un danger pour l’ordre public, la peine prévue par la loi pour tromperie étant supérieure à quatre ans de prison. Le tribunal de première instance exposa, entre autres, qu’en septembre 2003, ses parents avaient mandaté un avocat pour le représenter dans la procédure mais que le requérant ne s’était jamais présenté devant le tribunal et que lors de son déménagement à Bucarest, il n’avait pas informé les autorités d’Oradea de sa nouvelle adresse.

13. Sur pourvoi en recours du requérant, par un arrêt du 17 mars 2004, le tribunal départemental de Bihor (« le tribunal départemental ») confirma le jugement du 13 mars 2004 du tribunal de première instance.

2. La prolongation de la détention provisoire du requérant

14. Par des jugements avant dire droit des 10 avril et 14 juillet 2004, le tribunal de première instance prolongea la détention provisoire du requérant, au motif que les raisons qui avaient fondé cette mesure subsistaient et qu’il y avait des preuves que sa remise en liberté représentait un danger pour l’ordre public, étant donné qu’il avait essayé de se soustraire aux poursuites. Sur pourvoi en recours du requérant, par des arrêts des 13 avril et 26 juillet 2004, le tribunal départemental confirma les jugements.

a) Les demandes du requérant de révocation de la mesure privative de liberté

15. Par des jugements avant dire droit des 23 mars, 7 mai et 4 juin 2004, le tribunal de première instance rejeta les demandes du requérant de révocation de la mesure de détention provisoire, au motif que celle-ci avait été ordonnée par un juge et qu’il y avait des preuves que sa remise en liberté représenterait un danger pour l’ordre public, étant donné qu’il s’était soustrait aux poursuites.

16. Le requérant forma une nouvelle demande de révocation de la mesure de détention provisoire, en faisant valoir, entre autres, que les juridictions nationales n’avaient pas fourni de raisons concrètes pour justifier cette mesure. Il souligna qu’il ne s’était pas soustrait aux poursuites, qu’il avait déménagé d’Oradea à Bucarest et que les autorités étaient informées de ce changement. Il contesta le fait que ses parents avaient mandaté un avocat pour le représenter et souligna qu’il n’avait jamais été cité à comparaître dans la procédure. A cet égard, il souligna qu’en décembre 2002, il avait fait une demande auprès de la police de Bucarest pour obtenir une nouvelle carte d’identité, document qui lui avait été délivré en février 2003. De plus, il travaillait dans une institution publique. Il ajouta enfin que l’avis de recherche du 7 novembre 2001 avait été annulé (revocat) le 5 juin 2002.

17. Par un jugement avant dire droit du 30 juillet 2004, le tribunal de première instance rejeta sa demande. Il jugea que le requérant s’était soustrait aux poursuites. Afin de fonder sa décision, il indiqua que le requérant avait vendu son appartement d’Oradea tout de suite après avoir commis le délit pour lequel il était poursuivi et avait déménagé à Bucarest. Il nota que les parents du requérant avaient mandaté un avocat pour le représenter dans la procédure, avocat qui avait été informé qu’un mandat d’arrêt avait été délivré au nom de l’intéressé en 2003, mais que ce dernier ne s’était jamais présenté devant le tribunal. Le tribunal ajouta que deux mandats d’arrêt avaient été délivrés au nom du requérant : l’avis de recherche du 7 novembre 2001, révoqué en juin 2002 et le mandat d’arrêt du 5 juin 2003. Or, le requérant avait renouvelé sa carte d’identité pendant la période où aucun mandat n’était valable, à savoir en février 2003, ce qui prouvait qu’il était informé de l’existence de la procédure. Le tribunal considéra également que, d’après les preuves du dossier, il y avait des indices suffisants que le requérant avait commis le délit. Sur pourvoi en recours du requérant, par un arrêt définitif du 6 août 2004, le tribunal départemental confirma le jugement rendu en première instance.

18. Par des jugements des 27 août 2004 et 21 mars 2005, le tribunal de première instance et le tribunal départemental rejetèrent de nouvelles demandes de révocation formées par le requérant, avec une motivation similaire à celle du jugement du 30 juillet 2004. Sur pourvoi en recours du requérant, les juridictions supérieures confirmèrent ces jugements.

b) Les demandes du requérant de remplacer la mesure de détention provisoire par une interdiction de quitter la ville

19. Le 11 août 2004, le tribunal de première instance prolongea la détention provisoire du requérant, au motif que les raisons qui avaient fondé cette mesure subsistaient, et rejeta sa demande de remplacer cette mesure par l’interdiction de quitter la ville, au motif que les conditions requises par la loi n’étaient pas remplies.

20. Le 15 septembre 2004, le tribunal de première instance soumit au débat des parties la nécessité de prolonger la détention provisoire du requérant. Ce dernier demanda que la mesure de détention provisoire soit remplacée par l’interdiction de ne pas quitter la ville. Le tribunal de première instance accueillit la demande du requérant, au motif qu’il ne pouvait pas être établi avec certitude que le requérant avait essayé de se soustraire aux poursuites et qu’il n’y avait pas de preuve que sa remise en liberté représentait un danger pour l’ordre public.

21. Le parquet se pourvut en recours contre ce jugement, sans présenter ses moyens de recours par écrit. Lors de l’audience du 17 septembre 2004 devant le tribunal départemental, le parquet présenta oralement ses motifs de recours. Il argua que les autorités avaient fait les démarches nécessaires pour rechercher le requérant et qu’il y avait des indices à charge contre lui. Le tribunal ajourna ensuite les débats pendant une heure, pour que le requérant, assisté par son avocat, puisse préparer sa défense. Le requérant contesta les arguments du parquet.

22. Par un arrêt rendu le même jour, le tribunal départemental fit droit au pourvoi en recours du parquet et prolongea la détention provisoire du requérant. Il jugea que, si les preuves ne prouvaient pas sans équivoque que le requérant s’était soustrait aux poursuites, il n’en restait pas moins que sa remise en liberté représentait un danger pour l’ordre public. Ce danger était constitué par la gravité des faits, par la réaction du public à la commission de l’infraction et par la possibilité que d’autres personnes commettent des faits similaires en l’absence d’une réaction ferme contre les personnes accusées de tels faits. Le tribunal ajouta que les faits reprochés au requérant pouvaient porter atteinte à l’image de la justice.

23. Le requérant forma par la suite deux nouvelles demandes de remplacement de la mesure de détention provisoire par une interdiction de quitter la ville. Par des jugements avant dire droit des 29 septembre et 11 octobre 2004, le tribunal de première instance fit droit à ses demandes avec une motivation similaire à celle du jugement du 15 septembre 2004 précité. Sur pourvoi en recours du parquet, par des arrêts des 1er et 18 octobre 2004, le tribunal départemental cassa les jugements contestés et prolongea la mesure de détention provisoire, avec une motivation similaire à celle de l’arrêt du 17 septembre 2004 susmentionné.

24. Par des jugements avant dire droit des 8 décembre 2004 et 14 janvier et 28 février 2005, le tribunal de première instance et respectivement le tribunal départemental (paragraphe 34 ci-dessous) maintinrent la détention provisoire du requérant, au motif qu’il était poursuivi pour un délit pour lequel la peine prévue par la loi était supérieure à quatre ans de prison, que sa remise en liberté représentait un danger pour l’ordre public compte tenu de la gravité des faits reprochés et que, par son attitude procédurière, l’intéressé avait retardé la procédure. Selon le tribunal, en l’absence d’une réaction ferme de la part des organes judiciaires, d’autres personnes pourraient commettre des faits similaires. Les pourvois en recours du requérant contre ces jugements furent rejetés par le tribunal départemental.

3. La remise en liberté du requérant

25. Par un jugement avant dire droit du 18 avril 2005, le tribunal départemental maintint la détention provisoire. Par un arrêt du 26 avril 2005, la cour d’appel d’Oradea fit droit au pourvoi en recours formé par le requérant contre ce jugement et ordonna sa remise en liberté, en remplaçant la mesure de détention provisoire par une interdiction de quitter le pays. L’arrêt se lisait ainsi :

« (...) à présent, il n’y a pas de motifs suffisants pour considérer que la remise en liberté [du requérant] représenterait un danger pour l’ordre public, compte tenu de la durée longue et injustifiée du procès, qui concerne des faits prétendument commis en 2001, la durée de la détention dépassant [déjà] un an (...) Afin d’apprécier le degré de danger concret pour l’ordre public, il faut tenir compte de l’ancienneté des faits et de l’impact réduit que l’inculpé, personne ayant fait des études et ayant un lieu de travail, sans antécédents pénaux, peut avoir sur la communauté. Étant donné que la détention provisoire doit constituer une mesure exceptionnelle (...), la cour d’appel la remplace par l’interdiction de quitter le pays, la procédure judiciaire pouvant continuer dans la présente affaire avec le requérant en liberté. »

26. Le requérant fut remis en liberté le même jour.

C. Les conditions de détention dans la prison d’Oradea

27. Le 30 mars 2004, le requérant avait été incarcéré à la prison d’Oradea.

28. Par une décision du 1er avril 2004, la commission compétente de la prison d’Oradea (« la commission ») décida, en application de l’arrêté no 383/2003 de la direction nationale des établissements pénitentiaires (« l’arrêté no 383/2003 »), de classer le requérant dans la catégorie des détenus dangereux, au motif qu’il s’était soustrait aux poursuites pénales.

29. Le requérant fut soumis au régime de détention prévu par l’arrêté no 383/2003 pour les détenus dangereux. Ainsi, il était fouillé à corps chaque fois qu’il entrait ou sortait de sa cellule. Lorsqu’il se trouvait à l’extérieur de sa cellule, des mesures de sécurité supplémentaires étaient prévues et il était menotté.

30. Par une décision du 10 novembre 2004, la commission décida que la classification du requérant dans la catégorie des détenus dangereux ne s’imposait plus, compte tenu de son comportement adéquat en prison.

31. Du 30 mars 2004 au 10 janvier 2005, le requérant fut placé successivement dans trois cellules de 16,60 m² dotées de huit lits. Le 10 janvier 2005, il fut transféré dans une cellule de 26,61 m² dotée de seize lits. Du 16 mars au 26 avril 2005, il fut logé dans une cellule de 41,47 m² dotée de seize lits.

D. La procédure pénale contre le requérant

32. Le 30 août 2001, plusieurs personnes déposèrent des plaintes pénales contre le requérant pour tromperie. Par un réquisitoire du 5 juin 2003, le parquet ordonna le renvoi du requérant en jugement du chef de tromperie.

33. Après son arrestation, le requérant récusa à plusieurs reprises les juges ou le procureur, mais ses demandes furent rejetées. Le procureur récusé fit par la suite une déclaration de déport (declaratie de abtinere).

34. Par un jugement du 9 février 2005, le tribunal de première instance requalifia en trafic d’influence les faits de tromperie reprochés au requérant et conclut à son incompétence ratione materiae au profit du tribunal départemental, lequel entreprit d’interroger l’intéressé le 21 mars 2005.

35. L’affaire fut ajournée à plusieurs reprises en raison de l’absence des témoins, parties lésées et/ou de l’avocat choisi du requérant, et de la citation incorrecte de certaines parties dans la procédure. Le 16 janvier 2006, le requérant souleva devant le tribunal départemental une exception d’inconstitutionnalité, qui fut rejetée par un arrêt définitif du 21 septembre 2006 de la Cour constitutionnelle. Le 14 janvier 2008, le tribunal ajourna l’affaire pour que le requérant puisse engager un avocat. Deux demandes de déport formées par les juges de la formation de jugement furent admises par le tribunal. L’affaire fut ajournée deux fois au motif que les témoins étaient absents et que la partie civile n’avait pas été correctement citée. Une nouvelle exception d’inconstitutionnalité soulevée par le requérant fut rejetée le 18 novembre 2008.

36. Par un jugement du 19 mars 2009, le tribunal départemental condamna le requérant à une peine de trois ans de prison pour trafic d’influence et tromperie, en concours.

37. Le requérant interjeta appel contre ce jugement. Le 10 novembre 2009, il souleva une nouvelle exception d’inconstitutionnalité qui fut rejetée par la Cour constitutionnelle le 22 juin 2010. Par un arrêt du 9 novembre 2010, la cour d’appel rejeta l’appel du requérant. Sur pourvoi en recours du requérant, par un arrêt définitif du 18 novembre 2011, la Haute Cour de cassation et de justice confirma le bien-fondé du jugement en première instance.

II. LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENT

A. Le droit interne pertinent

38. L’ordonnance d’urgence du Gouvernement no 56/2003 portant sur certains droits des détenus (« l’OUG no 56/2003 ») est présentée dans sa partie pertinente dans l’affaire Petrea c. Roumanie (no 4792/03, §§ 22 et 23, 29 avril 2008). Cette ordonnance a été abrogée et remplacée par la loi no 275/2006 sur l’exécution des peines, publiée au Moniteur officiel du 20 juillet 2006 et entrée en vigueur le 20 octobre 2006 (« la loi no 275/2006 »).

39. La partie pertinente de l’arrêté no 383/2003 de la direction nationale des établissements pénitentiaires portant réglementation sur les détenus présentant un degré accru (sporit) de dangerosité est citée dans l’arrêt Ciupercescu c. Roumanie (no 35555/03, § 82, 15 juin 2010).

B. Dispositions et rapports émanant du Conseil de l’Europe

40. Les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture (« CPT ») rendues à la suite des visites effectuées dans diverses prisons de Roumanie, tout comme ses observations à caractère général, sont résumées dans l’arrêt Bragadireanu c. Roumanie (no 22088/04, §§ 73-76, 6 décembre 2007).

41. Dans son dernier rapport publié le 11 décembre 2008 à la suite de sa visite en juin 2006 dans plusieurs établissements pénitentiaires de Roumanie, le CPT a indiqué :

« § 70 : (...) le Comité est très gravement préoccupé par le fait que le manque de lits demeure un problème constant non seulement dans les établissements visités mais également à l’échelon national, et ce, depuis la première visite en Roumanie en 1995. Il est grand temps que des mesures d’envergure soient prises afin de mettre un terme définitif à cette situation inacceptable. Le CPT en appelle aux autorités roumaines afin qu’une action prioritaire et décisive soit engagée afin que chaque détenu hébergé dans un établissement pénitentiaire dispose d’un lit.

En revanche, le Comité se félicite que, peu après la visite de juin 2006, la norme officielle d’espace de vie par détenu dans les cellules ait été amenée de 6 m3 (ce qui revenait à une surface de plus ou moins 2 m² par détenu) à 4 m² ou 8 m3. Le CPT recommande aux autorités roumaines de prendre les mesures nécessaires en vue de faire respecter la norme de 4 m² d’espace de vie par détenu dans les cellules collectives de tous les établissements pénitentiaires de Roumanie. »

42. Les extraits pertinents de la Recommandation no (2006)2 du Comité des Ministres aux États membres sur les règles pénitentiaires européennes, adoptée le 11 janvier 2006 sont décrites dans les arrêts Enea c. Italie ([GC], no 74912/01, § 48, CEDH 2009-... et Rupa c. Roumanie (no 1), no 58478/00, § 88, 16 décembre 2008).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

43. Le requérant dénonce le surpeuplement subi dans la prison d’Oradea et le régime imposé alors qu’il avait été classé dans la catégorie des détenus dangereux, en méconnaissance de l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

1. Sur l’exception du Gouvernement tiré du non-épuisement des voies de recours internes

44. Le Gouvernement excipe de l’irrecevabilité de ce grief pour non-épuisement des voies de recours internes. Il affirme que le requérant aurait pu adresser des plaintes aux autorités pénitentiaires et saisir les juridictions internes d’une action fondée sur la loi no 275/2006. Il ajoute que la Cour a déjà jugé que l’OUG no 56/2003 pouvait constituer un recours effectif pour contester certains aspects liés à la détention.

45. La Cour note que le requérant a été placé en détention du 13 avril 2004 au 26 avril 2005. Pendant sa détention, l’OUG no 56/2003 était en vigueur. Or, la Cour a déjà jugé que pour ce qui est des conditions matérielles de détention, cette ordonnance n’offrait pas un recours effectif à épuiser (voir, parmi d’autres, Petrea précité, § 37, et Eugen Gabriel Radu c. Roumanie, no 3036/04, § 23, 13 octobre 2009). Par ailleurs, cette ordonnance ne règlementait pas les régimes de détention régis par l’arrêté no 383/2003 et le Gouvernement n’a pas fourni d’exemples de jurisprudence pour prouver que les juridictions nationales saisies de plaintes fondées sur le fondement de l’OUG no 56/2003 étaient compétentes pour opérer des changements de régime. La Cour note que l’OUG no 56/2003 a été abrogée et remplacée par la loi no 275 entrée en vigueur le 20 octobre 2006. Toutefois, cette nouvelle norme est postérieure à la remise en liberté du requérant, le 26 avril 2005, de sorte qu’elle n’a pas eu d’effet sur la situation concrète de l’intéressé.

46. Partant, l’exception du Gouvernement ne peut être retenue.

2. Sur le bien-fondé du grief

47. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

48. Le requérant dénonce le surpeuplement subi pendant sa détention dans la prison d’Oradea et le régime imposé alors qu’il était classé dans la catégorie des détenus dangereux.

49. Le Gouvernement soutient que les conditions de détention du requérant étaient conformes aux exigences de l’article 3 de la Convention.

50. La Cour relève que les mesures privatives de liberté impliquent, par nature, certains inconvénients pour les personnes auxquelles elles sont appliquées. Toutefois, elle rappelle que l’incarcération ne fait pas perdre à un détenu le bénéfice des droits garantis par la Convention. Dans ce contexte, l’article 3 fait peser sur les autorités une obligation positive de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 93-94, CEDH 2000-XI et Norbert Sikorski c. Pologne, no 17599/05, § 131, 22 octobre 2009).

51. S’agissant des conditions de détention, la Cour rappelle que lorsque la surpopulation carcérale atteint un certain niveau, le manque d’espace dans un établissement pénitentiaire peut constituer l’élément central à prendre en compte dans l’appréciation de la conformité d’une situation donnée à l’article 3 (voir en ce sens, Karalevičius c. Lituanie, no 53254/99, § 39, 7 avril 2005). Ainsi, lorsqu’elle a été confrontée à des cas de surpopulation flagrante, la Cour a jugé que cet élément, à lui seul, pouvait suffire pour conclure à la violation de l’article 3 de la Convention. En règle générale étaient concernés des cas de figure où l’espace personnel accordé au requérant était inférieur à 3 m² (Colesnicov c. Roumanie, no 36479/03, §§ 78-82, 21 décembre 2010 et Budaca c. Roumanie, no 57260/10,
§§ 40-45, 17 juillet 2012).

52. Selon les données communiquées par le Gouvernement, le requérant a disposé dans les cellules où il fut détenu d’un espace personnel allant de 1,66 m² à 2,59 m² et ce sans prendre en compte le mobilier dont la présence réduisait encore cette superficie. La Cour en conclut que l’intéressé a vécu pendant environ un an et un mois, dans la prison d’Oradea, en disposant d’un espace individuel extrêmement réduit, en dessous de la norme recommandée par le CPT (paragraphe 41 ci-dessus).

53. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, la Cour estime qu’en l’espèce l’État, par le biais de ses organes spécialisés, n’a pas déployé tous les efforts nécessaires afin d’assurer au requérant des conditions de détention qui soient compatibles avec le respect de la dignité humaine et de faire en sorte que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention.

54. Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention en raison des conditions matérielles de détention subies par l’intéressé dans la prison d’Oradea. Compte tenu de ce constat, la Cour n’estime pas nécessaire d’examiner la compatibilité avec l’article 3 précité du régime subi par le requérant du fait de son classement dans la catégorie des détenus dangereux.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 §§ 3, 4 ET 5 DE LA CONVENTION

55. Le requérant dénonce plusieurs aspects liés à sa détention provisoire qu’il estime contraires à l’article 5 §§ 3, 4 et 5 de la Convention, ainsi libellé dans sa partie pertinente :

« 3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience.

4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.

5. Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »

Sur la recevabilité

1. Sur l’exception du Gouvernement tiré du non-respect du délai de six mois pour ce qui est du grief tiré de l’article 5 § 4 de la Convention

56. Dans son formulaire de requête daté du 4 février 2005, le requérant dénonce le fait qu’il n’a pas eu communication préalable des motifs de recours du parquet lors de l’audience du 17 septembre 2004 devant le tribunal départemental. Dans sa lettre du 30 mai 2005, il indique qu’il n’a pas bénéficié du temps et des facilités nécessaires pour préparer sa défense lors de la même audience.

57. Le Gouvernement excipe de la tardivité du grief, en indiquant que le requérant ne s’est plaint que dans sa lettre du 30 mai 2005.

58. Le requérant ne formule aucune observation particulière sur ce point.

59. La Cour note que ce grief comporte deux branches : d’une part, il vise l’absence de contradictoire en raison de la non-communication préalable au requérant des motifs de recours du parquet lors de l’audience du 17 septembre 2004 ; d’autre part, il concerne l’impossibilité pour le requérant de bénéficier du temps et des facilités nécessaires pour préparer sa défense.

60. Pour ce qui est de la première branche du grief, la Cour note d’abord que le requérant l’a soulevé le 4 février 2005, soit dans un délai de six mois à partir de la décision interne définitive prononcée le 17 septembre 2004. Elle rappelle ensuite que le droit à une procédure contradictoire implique en principe le droit pour les parties à un procès de se voir communiquer et de discuter toute pièce ou observation présentée au juge en vue d’influencer sa décision (Svipsta c. Lettonie, no 66820/01, § 129, CEDH 2006‑III (extraits). En l’espèce, les motifs de recours du parquet ont été présentés oralement à l’audience publique devant le tribunal départemental. Les juges ont eu connaissance de leur contenu à cette occasion. En conséquence, aucun manquement au principe du contradictoire ne se trouve établi, le requérant ne pouvant tirer de ce principe le droit de se voir communiquer, préalablement à l’audience, des motifs de recours (mutatis mutandis, K.A. et A.D. c. Belgique, no 42758/98 et 45558/99, §§ 43, 17 février 2005). Il s’ensuit que cette branche du grief est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 (a) et 4 de la Convention.

61. Pour ce qui est de la possibilité pour le requérant de répliquer aux motifs de recours du parquet, la Cour note que le requérant a soulevé ce grief pour la première fois dans sa lettre du 30 mai 2005, soit plus de six mois après la décision interne définitive du 17 septembre 2004 du tribunal départemental. Il s’ensuit que cette branche du grief est tardive et doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

2. Quant au bien-fondé du grief tiré de l’article 5 § 3 de la Convention

62. Le requérant dénonce la durée de sa détention provisoire, qu’il estime excessive, et allègue que les juridictions nationales n’ont pas fourni des motifs pertinents et suffisants pour justifier sa prolongation.

63. Le Gouvernement considère qu’en l’espèce, les juridictions internes ont fourni des motifs suffisants pour justifier la détention provisoire de l’intéressé.

64. La Cour relève d’emblée que, dans la présente affaire, la période visée par l’article 5 § 3 de la Convention a commencé le 12 mars 2004, date de l’arrestation du requérant, et a pris fin le 26 avril 2005, date de sa remise en liberté. Cette période a donc duré un an, un mois et deux semaines environ.

65. La Cour rappelle que l’article 5 § 3 de la Convention exige que la détention provisoire avant jugement ne dépasse pas un délai raisonnable et que les autorités judiciaires compétentes examinent de manière régulière la persistance de raisons « pertinentes » et « suffisantes » qui légitimeraient la privation de liberté (Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 154, Recueil des arrêts et décisions 1998-VIII).

66. Dans sa jurisprudence, la Cour a développé quatre raisons fondamentales acceptables pour la détention provisoire d’un accusé suspecté d’avoir commis une infraction : le danger de fuite de l’accusé, le risque que l’accusé, une fois remis en liberté, entrave l’administration de la justice ou commette de nouvelles infractions, ou le risque que sa remise en liberté trouble l’ordre public. Elle a également jugé que les juridictions statuant sur l’opportunité du maintien du requérant en détention provisoire doivent se livrer à l’examen d’un ensemble d’éléments pertinents concrets, propres à confirmer la nécessité de cette mesure (voir, entre autres, Georgiou c. Grèce (déc.), no 8710/08, 22 mars 2011).

67. Il incombe en premier lieu aux autorités judiciaires nationales de veiller à ce que dans une affaire donnée la détention provisoire subie par un accusé n’excède pas une durée raisonnable. A cet effet, il leur faut, en tenant dûment compte du principe de la présomption d’innocence, examiner toutes les circonstances de nature à attester ou à contredire l’existence d’une exigence d’intérêt public justifiant une dérogation à la règle fixée à l’article 5 et en rendre compte dans leurs décisions relatives aux demandes d’élargissement. C’est au vu des motifs figurant dans lesdites décisions et sur la base des faits non contestés indiqués par l’intéressé dans ses moyens que la Cour doit déterminer s’il y a eu ou non violation de l’article 5 § 3 (McKay c. Royaume-Uni [GC], no 543/03, § 43, CEDH 2006‑X et Erimescu c. Roumanie (déc.), no 33762/05, 18 janvier 2011).

68. En l’espèce, la Cour note d’abord que la décision de placer le requérant en détention provisoire a été prise par le tribunal, le 13 mars 2004, après un examen minutieux de la demande du parquet et des pièces du dossier (paragraphe 12 ci-dessus).

69. Force est de constater ensuite que les tribunaux internes ont procédé d’office et à des intervalles réguliers au contrôle de la légalité et de l’opportunité du maintien en détention de l’intéressé. Dans leurs décisions, ils ont justifié la nécessité de la mesure par des références aux textes de loi et ont indiqué les raisons factuelles qui justifiaient, selon eux, la nécessité de la mesure. Ainsi, ils se sont livrées à un examen concret de la situation et de la personnalité du requérant, dont en particulier l’impact sur l’ordre public et sur la bonne administration de la justice. Étant donné le laps de temps restreint entre lesdites décisions, il est raisonnable que les tribunaux aient utilisé pendant certaines périodes des raisonnements proches, en se fondant sur les mêmes motifs pour justifier le maintien du requérant en détention (Georgiou, (déc.), précitée et Ciogescu c. Roumanie (déc.), no 14608/11, 29 mai 2012).

70. Il convient de noter également que, avec le passage du temps, les tribunaux ont fourni des raisons différentes pour justifier le maintien de l’intéressé en détention, raisons qui ne peuvent pas être considérées comme stéréotypées. Par ailleurs, en vertu du droit interne, le requérant a eu la possibilité de demander soit le remplacement de la mesure privative de liberté par une mesure alternative moins stricte, soit la révocation pure et simple de cette mesure. En l’occurrence, les tribunaux nationaux ont examiné de manière approfondie l’opportunité de remplacer la mesure de détention provisoire par l’interdiction de ne pas quitter la ville et ont fourni une explication détaillée pour rejeter les demandes de révocation de la mesure de détention provisoire présentées par l’intéressé.

71. La Cour constate enfin que la cour d’appel d’Oradea, dans son arrêt du 26 avril 2005 mettant fin à la détention provisoire, a évalué à nouveau tous les éléments du dossier et a jugé que la mesure privative de liberté n’était plus opportune. La Cour estime que cette conclusion n’est pas en contradiction avec les précédentes décisions de maintien de la détention dès lors qu’à chaque moment de la procédure les autorités internes ont le droit d’évaluer librement les éléments justifiant la prolongation de la détention et le caractère pertinent et suffisant des motifs au fil du temps (paragraphe 25. ci-dessus).

72. Pour ce qui est de la diligence des autorités pour mener l’enquête, la Cour constate que pendant la période où le requérant a été placé en détention provisoire, les tribunaux ont dû répondre notamment à ses demandes répétées de récusation des juges et procureurs. Dès lors, il ne saurait être conclu qu’elles sont restées passives dans le traitement de l’affaire.

73. A la lumière de ce qui précède, la Cour estime qu’aucune apparence de violation de l’article 5 § 3 de la Convention ne peut être décelée dans la présente affaire. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 (a) et 4 de la Convention.

3. Quant au bien-fondé du grief tiré de l’article 5 § 5 de la Convention

74. Le requérant estime que, dans le mesure où sa détention était illégale faute de motivation, il est en droit d’obtenir une réparation.

75. Le Gouvernement conteste ces allégations.

76. La Cour rappelle que le droit à réparation énoncé par l’article 5 § 5 précité suppose qu’une violation de l’un de ses autres paragraphes ait été établie par une autorité nationale ou par les institutions de la Convention (N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 49, CEDH 2002-X). Or, en l’espèce, aucune violation n’a été constatée pour ce qui est de la durée de la détention provisoire du requérant. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

77. Le requérant se plaint de la durée de la procédure pénale engagée contre lui, qu’il estime déraisonnable. Il cite l’article 6 § 1 de la Convention, qui se lit ainsi dans sa partie pertinente :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

A. Sur la recevabilité

78. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Les arguments des parties

79. Le requérant soutient que la procédure pénale engagée contre lui, qui a duré dix ans et dix-huit jours pour trois degrés de juridiction, a été excessivement longue.

80. Renvoyant aux faits de l’espèce, le Gouvernement estime que l’affaire présentait une complexité particulière. Il fait valoir ensuite que les juridictions internes ont agi de manière diligente et ont veillé à ce que les parties impliquées soient informées et citées dans la procédure. Il considère que la durée de la procédure est imputable au requérant, qui s’était soustrait aux poursuites et qui a formé de nombreuses demandes de récusation des juges ainsi que des exceptions d’inconstitutionnalité.

2. L’appréciation de la Cour

a) La durée de la procédure à prendre en considération

81. En l’espèce, l’enquête pénale a débuté le 30 août 2001, lorsque des tiers ont déposé des plaintes pénales contre le requérant. Cependant, ce dernier affirme devant la Cour qu’il n’a eu connaissance de cette procédure qu’à partir du 12 mars 2004, date de son arrestation. A supposer même que la procédure a commencé pour le requérant le 12 mars 2004, elle a pris fin par l’arrêt définitif de la Haute Cour de cassation et de justice du 18 novembre 2011. Elle a donc duré pour le requérant sept ans et huit moins environ, pour trois degrés de juridiction.

b) Sur le caractère raisonnable de la procédure

82. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999-II). Elle rappelle aussi qu’en matière pénale, le droit à être jugé dans un délai raisonnable a notamment pour objet d’éviter qu’une personne inculpée ne demeure trop longtemps dans l’incertitude de son sort (Stögmüller c. Autriche, 10 novembre 1969, p. 40, § 5, série A no 9).

83. En l’occurrence, la première décision concernant le fond de l’affaire a été rendue le 19 mars 2009 par le tribunal départemental de Bihor, soit cinq après que le requérant eut été informé de l’existence de la procédure. S’il est vrai que, d’après le dossier, certains ajournements de la procédure en première instance sont imputables au requérant et aux parties lésées, il n’en reste pas moins que cette durée paraît excessive en matière de durée d’une procédure pénale, d’autant plus que l’affaire ne présentait pas de complexité particulière. A cet égard, il convient de relever que, par un jugement du 9 février 2005, le tribunal de première instance requalifia certains faits reprochés au requérant – de tromperie en trafic d’influence – et conclut à son incompétence ratione materiae au profit du tribunal départemental (paragraphe 34 ci-dessus). L’affaire fut ajournée plusieurs fois au motif que les parties ou les témoins n’avaient pas été régulièrement cités. De plus, les exceptions d’inconstitutionnalité soulevées par l’intéressé laissent entrevoir des périodes d’inactivités assez longues dans l’affaire.

84. Il est vrai que la durée de la phase judiciaire postérieure au jugement rendu en première instance ne paraît pas déraisonnable, dans la mesure où elle a duré deux ans et huit mois environ pour deux degrés de juridiction. Toutefois, la Cour estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse dans son ensemble est excessive et ne répond pas à l’exigence du « délai raisonnable ».

85. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1.

IV. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

86. Le requérant soulève des griefs tirés des articles 5 §§ 1, 2 et 4, 6 §§ 2 et 3, 11, 13, 14 et 17 de la Convention ainsi que des articles 1 du Protocole no 1 et 2 du Protocole no 4 à la Convention. Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par les articles de la Convention. Il s’ensuit que ces griefs sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

87. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

88. Le requérant demande à la Cour de lui octroyer une satisfaction équitable au titre du préjudice matériel et moral selon sa jurisprudence en la matière.

89. Le Gouvernement soutient que, dans la mesure où le requérant n’a pas chiffré et étayé sa demande de satisfaction équitable, aucune somme ne devrait lui être accordée à ce titre. Subsidiairement, il fait valoir qu’un éventuel constat de violation de la Convention pourrait constituer une réparation suffisante au titre du préjudice moral.

90. La Cour relève que la base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside en l’espèce dans la violation de l’article 3 de la Convention pour ce qui est des mauvaises conditions de détention et celle de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de la durée de la procédure pénale engagée contre l’intéressé. Étant donné que la demande de réparation concernant le préjudice matériel n’a été ni chiffrée ni étayée, la Cour la rejette. Cependant, elle estime que le requérant a subi un tort moral indéniable. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 4 100 euros au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

91. Le requérant ne demande pas le remboursement des frais et dépens.

C. Intérêts moratoires

92. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 3 de la Convention concernant les conditions et le régime de détention dans la prison d’Oradea et 6 § 1 de la Convention pour ce qui est de la durée de la procédure, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention pour ce qui est des conditions matérielles de détention ;

3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 3 de la Convention quant au régime de détention ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention pour ce qui est de la durée de la procédure ;

5. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 4 100 EUR (quatre mille cent euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 octobre 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-114089
Date de la décision : 30/10/2012
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant;Traitement inhumain) (Volet matériel);Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale;Article 6-1 - Délai raisonnable)

Parties
Demandeurs : ARDELEAN
Défendeurs : ROUMANIE

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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