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23/10/2012 | CEDH | N°001-113828

CEDH | CEDH, AFFAIRE SÜZER ET EKSEN HOLDİNG A.Ş. c. TURQUIE, 2012, 001-113828


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE SÜZER ET EKSEN HOLDİNG A.Ş. c. TURQUIE

(Requête no 6334/05)

ARRÊT

(fond)

STRASBOURG

23 octobre 2012

DÉFINITIF

23/01/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Süzer et Eksen Holding A.Ş. c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Ineta Ziemele, présidente,
Danutė Jočienė,
Dragoljub

Popović,
Isabelle Berro-Lefèvre,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
Guido Raimondi, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délib...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE SÜZER ET EKSEN HOLDİNG A.Ş. c. TURQUIE

(Requête no 6334/05)

ARRÊT

(fond)

STRASBOURG

23 octobre 2012

DÉFINITIF

23/01/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Süzer et Eksen Holding A.Ş. c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Ineta Ziemele, présidente,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
Isabelle Berro-Lefèvre,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
Guido Raimondi, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 25 septembre 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 6334/05), dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Mustafa Süzer, et une société anonyme de droit turc, Eksen Holding S.A. (« les requérants »), ont saisi la Cour le 7 janvier 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants sont, depuis le 25 août 2010, représentés par Mes S. Soybay et C. Erkut, avocats à Istanbul.

Les autres représentants ayant auparavant participé à la procédure sont Mes N. Doğan, du barreau d’Istanbul (mandaté depuis le 6 janvier 2005), A. Surkultay, du barreau d’Izmir et associée du cabinet Postacıoğlu Hukuk Bürosu (mandatée le 6 janvier 2005 et destituée le 31 août 2010), A. Tchekhoff, D. Léger et G. Lascault (avocats à Paris, mandatés le 3 mars 2005 et s’étant retirés le 8 septembre 2010), ainsi que O. Uğural (du barreau d’Istanbul, mandaté le 9 octobre 2006 et ayant démissionné de ses fonctions le 16 août 2010).

Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

3. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1, les requérants dénoncent notamment le refus des autorités nationales d’exécuter les jugements définitifs portant annulation ex tunc de toutes les mesures administratives ayant entraîné la dissolution de leur banque Kentbank S.A.

4. Le 30 août 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le premier requérant, M. Mustafa Süzer, est un ressortissant turc né en 1949 et résidant à Istanbul.

A l’époque des faits, le requérant et Süzer Holding S.A. contrôlaient à plus de 99 % le capital de Kentbank (« Kentbank »), une banque privée créée en 1992.

Ultérieurement, Süzer Holding S.A. devint Eksen Holding S.A., à savoir la société requérante, dont M. Süzer est toujours l’actionnaire majoritaire et le président. Même si une grande partie des évènements exposés ci-dessous ont concerné Süzer Holding S.A., il ne sera désormais fait mention que de la société requérante, son successeur.

A. La genèse de l’affaire

6. Le 1er février 2001, deux auditeurs assermentés près l’Agence de réglementation et de supervision des banques (« l’ARSB ») déposèrent un premier rapport d’audit no R-1/R-1 (« le rapport R-1), intitulé « Direction générale de Kentbank - Rapport de situation financière » ; ce document traçait un tableau économique déficitaire de la banque dans son état au 30 septembre 2000.

Le 15 février suivant, les mêmes auditeurs déposèrent un second rapport no R-4/R-4 (« rapport no R-4 »), intitulé « Kentbank – Rapport relatif aux infractions à la loi no 4389 sur les banques », en vigueur à l’époque des faits (paragraphe 66 ci-dessous).

7. Le 15 mars 2001, se fondant sur le rapport R-1, l’ARSB notifia à Kentbank (injonction no 1877) une série de mesures qu’elle estimait devoir être prises en application de l’article 14 § 2 la loi no 4389 (ibidem) pour améliorer la situation financière de l’établissement. Il l’exhortait notamment à reconstituer ses capitaux propres et à ne plus consentir de nouveaux crédits aux sociétés filiales contrôlées par les requérants.

8. Le 21 mars suivant, l’ARSB demanda à Kentbank de ne pas distribuer de dividendes sur l’éventuel bénéfice réalisé en l’an 2000.

9. Par une lettre du 13 avril 2001, Kentbank communiqua ses objections et remarques concernant les deux injonctions susmentionnées de l’ARSB.

10. Le 16 avril 2001, l’ARSB invita Kentbank à soumettre, dans les dix jours qui suivent, un plan de redressement réaliste et faisable.

Le 4 mai suivant, Kentbank présenta son plan d’action. Par une lettre du 14 mai 2001, l’ARSB exhorta Kentbank à renforcer ce plan sur nombre de points et à prendre des engagements plus concrets.

Les 3 et 5 juin 2001, Kentbank écrivit à l’ARSB pour la persuader que la situation était très bien maîtrisée au niveau des finances et lui fit part de la décision de doubler le capital propre de la société, prise le 9 mai précédent par son conseil d’administration.

11. Le 20 juin 2001, l’ARSB convoqua les dirigeants et actionnaires majoritaires de Kentbank afin d’évaluer le plan de redressement. Après deux réunions, une évaluation provisoire sur Kentbank fut rédigée le 3 juillet 2001.

Le 9 juillet 2001, quatre auditeurs assermentés de l’ARSB déposèrent un troisième rapport no R-2/R-2/R-12 (« rapport R-12 »), intitulé « Kentbank - Rapport de monitorage de la situation financière », relativement à sa situation au 31 mars 2001. Ce rapport contenait un projet de balance de cession de l’actif et du passif en vue d’appuyer une éventuelle décision de transfert de Kentbank au Fonds d’assurance des dépôts d’épargne (le « FADE » – paragraphe 67 ci-dessous).

12. Toujours le 9 juillet 2001, par un arrêté no 382 et sans attendre que Kentbank mène à terme le plan de redressement imposé (paragraphes 7, 10 et 11 ci-dessus), l’ARSB prononça son transfert forcé au FADE, en vertu de l’article 14 §§ 3 et 4 de la loi no 4389, et ce, en même temps que quatre autres banques privées, dont Bayındırbank S.A.

A cette date, Kentbank disposait de 93 succursales et employait environ 2000 personnes. D’après les requérants, sur les 79 banques alors actives en Turquie, Kentbank occupait la 22e place avec son actif d’environ 390 millions d’euros (« EUR »), et l’agence de notation Fitch IBCA lui avait attribué comme notes à court et à long terme respectivement C/D et B+.

La cession couvrait tous les droits d’actionnariat (à l’exception des agios), de gestion et de contrôle de Kentbank (paragraphe 67 ci-dessous), ainsi que toutes ses créances, ses biens immobiliers et ses parts dans d’autres sociétés.

13. Les requérants tentèrent d’obtenir l’annulation du rapport d’audit du 9 juillet 2001 (paragraphe 11 in fine, ci-dessus) qui s’était avéré décisif. La 10e chambre du Conseil d’Etat (« la 10e chambre ») débouta les requérants, au motif qu’il s’agissait là d’un simple outil de travail, et pas d’un acte administratif susceptible d’annulation.

B. Les principales procédures autour de l’affaire

1. Les premiers épisodes

a) L’enquête parlementaire

14. La procédure de transfert forcé des cinq banques déclenchée le 9 juillet 2001 (paragraphe 12 in limine, ci-dessus) fit l’objet d’une enquête parlementaire.

Dans un rapport no 252 du 22 septembre 2003, la commission d’enquête conclut que cette opération n’était pas légitime car elle avait été réalisée sous la pression du gouvernement alors au pouvoir, au mépris des intérêts du Trésor public.

15. Selon la commission, des investigations poussées étaient nécessaires pour répondre notamment aux questions suivantes :

– pourquoi les banques visées ne s’étaient-elles pas vu accorder le temps nécessaire pour appliquer les mesures imposées par l’ARSB ?

– pour quelle raison le rapport d’audit R-12 concernant Kentbank avait-il été établi [le jour même] de son transfert au FADE, alors qu’il aurait légalement dû l’être avant cette décision (paragraphes 11 et 12 ci-dessus) ?

– quelle était la teneur des pourparlers secrets entre le Fonds monétaire international (FMI), le Gouvernement, le Trésor public et l’ARSB quant au sort de ces cinq banques ?

– pourquoi certaines autres banques, bien plus déficitaires que celles cédées au FADE, n’avaient-elles jamais été inquiétées ?

– le FMI et son président avaient-ils laissé entendre au Gouvernement que la mise à la disposition de la Turquie d’une aide économique, dite de stand-by, dépendrait entre autres de la liquidation accélérée de ces cinq banques ?

16. Les investigations recommandées par la commission parlementaire furent confiées à un comité d’experts présidé par l’inspecteur en chef près le Premier ministre (paragraphes 42 à 44 ci-dessous).

b) Les procédures administratives et autres mesures imposées par l’ARSB

17. Le 7 septembre 2001, les requérants saisirent la 10e chambre d’une action en annulation de l’arrêté no 382 (paragraphe 12 ci-dessus).

18. Le 13 décembre 2001, par l’arrêté no 552, l’ARSB interdit à Kentbank d’effectuer des opérations bancaires et de recevoir des dépôts, avec effet au 28 décembre 2001 (paragraphe 67 in limine, ci-dessous).

19. Le 30 janvier 2002, les requérants saisirent à nouveau la 10e chambre, demandant cette fois-ci l’annulation de l’arrêté no 552.

20. Alors que ces deux procédures étaient encore pendantes, l’ARSB (arrêté no 653 du 20 février 2002) et le FADE (en particulier l’arrêté no 177 du 20 mars 2002) décidèrent conjointement d’interrompre la liquidation de Kentbank et de la fusionner avec Bayındırbank S.A., l’une des autres banques transférées au FADE en vertu de la loi no 4389 (paragraphe 12 in limine, ci-dessus).

21. Le 4 avril 2002, la fusion fut achevée. En conséquence, Kentbank fut radiée du registre de commerce et perdit ipso jure la personnalité morale.

Dans l’intervalle, l’ensemble de ses succursales et de ses biens meubles avaient été vendus.

A une date non précisée, les requérants introduisirent une action en annulation des arrêtés nos 177 et 653 susmentionnés (paragraphe 20 ci‑dessus) devant la 13e chambre du Conseil d’Etat (« la 13e chambre »).

22. Le 15 avril 2002, par l’arrêté no 6083, le FADE imposa en outre au requérant, M. Süzer, une interdiction de quitter le territoire turc, qui demeura en vigueur jusqu’en avril 2005.

23. Par un jugement (no 2003/2566) du 23 juin 2003 (dossier no 2001/2705), la 10e chambre rejeta la demande en annulation concernant l’arrêté no 382 (paragraphe 17 ci-dessus).

Les requérants firent appel de cette décision devant l’Assemblée plénière des chambres administratives du Conseil d’État (« l’Assemblée plénière »).

24. Par un arrêt (no 2003/897) du 11 décembre 2003 (dossier no 2003/710), l’Assemblée plénière infirma le jugement attaqué.

Elle observa d’emblée qu’avant son transfert au FADE le 9 juillet 2001, Kentbank avait déjà entrepris des démarches pour doubler son capital propre et renforcer sa situation conformément aux instructions du 15 mars 2001 (paragraphes 7 et 10 ci-dessus). Soulignant que l’ARSB avait d’ailleurs fait savoir qu’il reverrait sa position une fois l’apport de capital comptabilisé, l’Assemblée plénière considéra que la banque était dès lors en droit de se voir accorder un certain temps pour concrétiser son plan d’action.

Jugeant le transfert au FADE précipité, elle conclut que la légitimité du but que devaient viser les mesures prévues par l’article 14 de la loi no 4389 s’en voyait entachée.

25. L’Assemblée plénière considéra par ailleurs que les arguments tirés du caractère supposément abusif de décisions accordant des crédits à des filiales de la société requérante étaient mal fondés, car après l’injonction du 15 mars 2001 (paragraphe 7 ci-dessus), Kentbank n’avait enregistré aucune opération de ce type. Elle estima du reste que rien dans le dossier n’étayait les autres allégations selon lesquelles les dirigeants de la banque s’étaient rendus coupables de détournement de fonds ou malversations.

26. A une date non précisée, l’ARSB introduisit un recours en rectification de l’arrêt du 11 décembre 2003 (paragraphe 24 ci-dessus).

Le 29 avril 2004, l’Assemblée plénière écarta ce recours et l’affaire fut renvoyée devant la 10e chambre pour réexamen.

27. Par un premier jugement (no 2004/5575) du 21 juin 2004 (dossier no 2004/7935), la 10e chambre prononça, à l’unanimité, l’annulation pure et simple de l’arrêté no 382 portant cession de Kentbank au FADE (paragraphe 12 ci-dessus).

28. Par un second jugement (no 2004/5576) rendu le même jour, elle statua également sur la seconde action des requérants (dossier no 2002/666) et déclara l’arrêté no 552 nul et non avenu, la nullité de l’arrêté no 382 lui ôtant toute base légale (paragraphes 18 et 27 ci-dessus).

29. Le 30 juillet 2004, l’ARSB recourut devant l’Assemblée plénière contre les deux jugements du 21 juin 2004 (paragraphes 27, 28 ci-dessus et 48 ci-dessous).

c) Les procédures pénales pertinentes

30. Parmi les différentes démarches de droit pénal entreprises dans cette affaire, les plus significatives sont décrites ci-après.

31. Le 13 février 2002, se fondant sur le rapport R-1 (paragraphe 6 ci‑dessus), l’ARSB déposa une première plainte auprès du parquet de Şişli (« le parquet ») contre les dirigeants de Kentbank, dont le requérant. Ils étaient accusés de fraude et d’abus de confiance concernant, entre autres, l’utilisation irrégulière de la plus-value dégagée de la cession de parts sociales d’une société tierce.

Le 18 février 2002, le parquet rendit une ordonnance de non-lieu (dossier no 2002/7308).

Le 9 avril 2002, l’ARSB forma opposition devant la 1re chambre de la cour d’assises de Beyoğlu, laquelle rejeta ce recours le 24 avril 2002. Le non-lieu devint ainsi définitif.

32. Le 3 avril 2002, l’ARSB déposa une seconde plainte, élargissant la portée de la première (paragraphe 31 ci-dessus), en exposant qu’au vu des informations obtenues ultérieurement, les faits dénoncés précédemment constituaient par ailleurs le délit de détournement de fonds.

Le 3 octobre 2003, le parquet rendit également un non-lieu quant à ce chef (dossier no 2003/35753).

L’ARSB attaqua cette ordonnance devant la 3e chambre de la cour d’assises de Beyoğlu. Le 5 mars 2004, celle-ci écarta l’opposition et le non‑lieu devint définitif.

33. L’examen du dossier permet d’identifier une troisième plainte déposée, sans doute, le 26 février 2002 et dans laquelle l’ARSB reprochait aux dirigeants de Kentbank, dont M. Süzer, d’avoir consenti plusieurs crédits à deux filiales du holding, au mépris de l’interdiction posée par l’injonction no 1877 du 15 mars 2001 (paragraphe 7 ci-dessus).

Le non-lieu rendu dans cette affaire le 3 octobre 2002 fut confirmé le 20 novembre 2002.

34. Concernant ces trois plaintes définitivement écartées (paragraphes 31‑33 ci-dessus), l’ARSB saisit le ministre de la Justice pour qu’il intervienne dans l’intérêt de la loi.

35. Le 23 juillet 2004, alors que ce recours extraordinaire était encore en cours d’examen devant le ministre, l’ARSB déposa une quatrième plainte devant le parquet de Şişli ; elle y reprenait ses accusations de détournement de fonds (paragraphe 32 in limine ci-dessus), mais présentait de nouveaux éléments à l’appui.

Un dossier d’instruction fut ouvert à cet égard, apparemment sous le numéro 2004/39422 (première instruction).

36. Le 24 septembre 2004, le ministre fit droit à la demande précédente de l’ARSB (paragraphe 34 ci-dessus) et enjoignit au procureur général de la Cour de cassation d’engager des poursuites pour les accusations ayant fait l’objet des deux plaintes définitivement classées les 18 février 2002 et 3 octobre 2003 respectivement (paragraphes 31 et 32 ci-dessus).

37. Alors que cette procédure était en cours, le 29 septembre 2004, l’ARSB déposa une cinquième plainte ; elle reprochait derechef aux dirigeants de Kentbank d’avoir commis nombre de fraudes, en utilisant l’entité juridique et économique de la banque comme écran.[1]

Cette cinquième plainte fut enregistrée, semble-t-il, sous le numéro de dossier 2004/39402 (seconde instruction).

38. Le 1er octobre 2004, le ministre fit également droit à la demande d’intervention dans l’intérêt de la loi concernant la troisième plainte (paragraphes 33 et 34 ci-dessus) et transmit le dossier au procureur général.

A une date non précisée, la 7e chambre pénale de la Cour de cassation accueillit ce recours et infirma la décision du 20 novembre 2002 de la cour d’assises (paragraphe 33 in fine ci-dessus).

Le dossier d’instruction afférent fut ainsi rouvert.

39. Le 14 décembre 2004, la 11e chambre pénale de la Cour de cassation rejeta le premier recours ministériel dans l’intérêt de la loi (paragraphe 36 ci-dessus), en tant qu’il portait sur les chefs de fraude et d’abus de confiance (paragraphe 31 ci-dessus).

40. Toutefois, par un arrêt du 4 mai 2005, elle infirma le jugement du 5 mars 2004 (paragraphe 32 in fine ci-dessus) quant au chef de détournement de fonds. Cela entraîna ipso jure l’ouverture d’une nouvelle instruction pénale, dont le dossier fut joint à celui de la première instruction (no 2004/39422) en cours pour le même chef (paragraphe 35 in fine ci‑dessus).

41. A l’issue de ces deux instructions nos 2004/39422 et 2004/39402 (paragraphe 37 in fine ci-dessus), deux réquisitoires furent préparés, respectivement pour détournement de fonds (réquisitoire no 804 portant sur dix-neuf délits) et pour fraude (réquisitoire no 805 portant sur dix délits).

Ces réquisitoires furent communiqués pour action au bureau de la contrebande et des fraudes financières près le parquet d’Istanbul (paragraphe 45-47 ci-dessous)[2].

2. Les derniers épisodes

a) L’enquête parlementaire

42. Le comité d’experts désigné en l’espèce (paragraphe 16 ci-dessus) remit son rapport le 24 juin 2004. Dans ses parties concernant la cession de Kentbank, ce rapport contenait les éléments suivants :

– le premier rapport (no R-1) faisant état de la situation déficitaire de Kentbank datait du 1er février 2001 et était celui sur lequel se fondait l’injonction du 15 mars 2001 (paragraphes 6 in limine et 7 ci-dessus) ; cela étant, l’arrêté no 382 du 9 juillet 2001 (paragraphe 12 ci-dessus) trouvait son origine dans le second rapport (no R-4), présenté lui aussi le « 1er février 2001 (comparer, paragraphe 6 in fine, ci-dessus) » et concluant à la nécessité de transférer Kentbank au FADE ;

– concernant les ententes obscures supposées entre les instances compétentes et le FMI, si celui-ci avait bien exercé une certaine influence, les cessions critiquées relevaient plutôt de l’engagement du Gouvernement de « résoudre impérativement les problèmes liés aux banques économiquement faibles, ayant épuisé leurs capitaux et contrevenant à la discipline financière » ; Kentbank répondait à ces critères car, au 30 septembre 2000 (paragraphe 6 in limine ci-dessus), elle ne disposait plus de capitaux propres.

43. En conséquence, le comité émit l’avis que, si les requérants avaient pu obtenir gain de cause devant la 10e chambre et éviter jusqu’alors des poursuites pénales, cela n’était dû qu’à des atermoiements administratifs et des erreurs de manœuvre de l’ARSB.

Il estimait toutefois qu’il était encore possible de remédier à ce problème par l’intermédiaire du ministre de la Justice, habilité à se pourvoir dans l’intérêt de la loi ; ce recours invoqué fut justement celui emprunté par l’ARSB (paragraphe 34 ci-dessus).

b) Les procédures pénales pertinentes

44. Par un acte du 30 juin 2005, le bureau de la contrebande et de la fraude financière (paragraphe 41 ci-dessus) mit le requérant et les 34 dirigeants de Kentbank en accusation devant la 8e chambre de la cour d’assises d’Istanbul.

L’affaire fut inscrite sous le numéro de dossier 2005/89.

45. Cette action fut suivie par une seconde, introduite devant la 11e chambre de la cour d’assises de Şişli, relativement aux actes présumés d’accord frauduleux de crédits ayant fait l’objet de la troisième plainte (paragraphes 33 et 38 ci-dessus).

46. Cette affaire, initialement enregistrée sous le dossier no 2005/254, fut par la suite jointe avec l’affaire no 2005/89 (paragraphe 44 ci-dessus) déjà pendante devant la 8e chambre de la cour d’assises d’Istanbul.

c) Les procédures juridictionnelles administratives

i. Quant au fond

47. Par deux arrêts du 17 février 2005 (nos 2005/31 et 2005/32 respectivement), l’Assemblée plénière écarta les deux derniers pourvois de l’ARSB (paragraphe 29 ci-dessus) concernant la nullité respectivement des arrêtés nos 382 et 552 (paragraphes 27 et 28 ci-dessus).

48. Celui-ci introduisit alors un recours en rectification contre les arrêts nos 2005/31 et 2005/32 précités.

L’avocat général et le juge référendaire près l’Assemblée plénière émirent l’avis qu’il convenait de suspendre l’examen de ces recours jusqu’à l’aboutissement de la procédure pénale jointe susmentionnée, alors pendante (paragraphe 46 ci-dessus).

49. Toutefois, par deux arrêts rendus les 2 février 2006 et 21 mars 2007 respectivement, l’Assemblée plénière débouta l’ARSB de ses deux recours en rectification, au motif que rien ne justifiait en l’espèce de surseoir à statuer.

Ainsi, tous les moyens de droit susceptibles d’être exercés contre l’annulation des arrêtés nos 382 et 552 furent épuisés.

50. Dans l’intervalle, par un arrêt du 16 septembre 2005, la 13e chambre annula ex tunc les arrêtés nos 177 et 653 (paragraphes 20 et 21 ci-dessus), au motif que par suite de l’annulation définitive de l’arrêté no 382 (paragraphe 49 ci-dessus), ces deux actes se trouvaient vidés de leur fondement légal.

Par un arrêt du 21 mars 2007, l’Assemblée plénière rejeta le pourvoi de l’ARSB. Celle-ci introduisit alors un recours en rectification d’arrêt, lequel fut également écarté le 26 juin 2008, en tant qu’il concernait l’ARSB, relativement à l’arrêté no 653.

Cependant, le recours fut admis dans le chef du FADE pour ce qui est de l’arrêté no 177.

Plus tard, la 13e chambre fut appelée à trancher ce second volet du litige, laissé jusqu’alors en suspens. Par un jugement du 22 octobre 2008, elle conclut qu’il n’y avait pas lieu de trancher, compte tenu d’un protocole signé le 1er mars 2007 entre les requérants, le FADE, et le successeur de Bayındırbank S.A. (paragraphe 57 ci-dessous).

51. En effet, aux termes de ce protocole, les requérants renonçaient à toute prétention ou action judiciaire à l’encontre du FADE, de son personnel ainsi que des banques sous sa tutelle. Par ailleurs, ils se portaient garants des dettes des filiales du holding envers Kentbank, dont la créance totale de 229 359 534 USD, échue à ce titre, se trouvait déjà transférée au FADE. En contrepartie, le FADE acceptait de réduire la dette totale à rembourser à 188 156 327 USD et d’établir un plan de remboursement clément.

ii. Quant à l’exécution des jugements nos 2004/5575 et 2004/5576

52. Le 19 juillet 2004, les requérants, invoquant l’article 28 de la loi no 2577 et l’article 138 de la Constitution (paragraphe 68 ci-dessous), invitèrent l’ARSB à exécuter les jugements nos 2004/5575 et 2004/5576 de la 10e chambre portant annulation respectivement des arrêtés nos 382 et 552 (paragraphes 27 et 28 ci-dessus), démarche qui n’était pas prématurée, car le pourvoi exercé contre ces jugements par l’ARSB (paragraphe 29 ci-dessus) n’avait aucun effet suspensif.

Se prévalant du principe de la restitutio in integrum, les requérants demandèrent que les actifs et passifs confondus de Bayındırbank S.A. et de Kentbank soient distingués, que le patrimoine de celle-ci leur soit restitué, et que l’interdiction d’effectuer des opérations bancaires imposée à leur banque soit levée.

Parallèlement, les requérants répétèrent la même invitation à s’exécuter auprès du FADE[3].

53. En ce qui concerne le volet relatif à l’arrêté no 382, l’ARSB répondit le 11 août 2004 par une décision no 1369. Dans cette décision, fondée sur un avis juridique de trois professeurs de droit administratif, l’ARSB arguait de l’impossibilité, tant juridique que matérielle (paragraphe 72 ci-dessous), d’exécuter le jugement no 2004/5575 (paragraphe 27 ci-dessus), pour les motifs suivants :

« (...) la personnalité morale de Kentbank a pris fin avec sa radiation du Registre du commerce ; (...) parmi les actes ayant entraîné cette dissolution, seul celui concernant la fusion avec Bayındırbank S.A. émanait de l’ARSB ; (...) les autres actes à l’origine de la dissolution relevaient du FADE et de l’assemblée générale liquidatrice de Kentbank ; (...) enfin, les modifications portées par la loi no 5020 à la loi sur les banques[4] faisaient obstacle à l’exécution en fait et en droit [de ce jugement]. »

54. En ce qui concerne le volet relatif à l’arrêté no 552, l’ARSB réagit par une décision no 1400 du 24 septembre 2004. En s’appuyant sur les mêmes motifs qui avaient déjà fondé sa décision no 1369 précitée (paragraphe 53 ci-dessus), l’ARSB argua derechef de l’impossibilité d’exécuter le jugement no 2004/5576 (paragraphe 28 ci-dessus).

55. Le 6 octobre 2004, les requérants invitèrent l’ARSB à revenir sur sa position et se conformer aux jugements en cause en l’espèce.

60 jours s’écoulèrent sans réponse de la part de l’ARSB, dont le silence valait refus tacite.

Aussi les requérants engagèrent-ils devant la 13e chambre deux actions en annulation contre les refus opposés à leurs demandes.

56. Par deux arrêts du 29 novembre 2005 (nos 2009/32 et 2005/5545), la 13e chambre débouta les requérants de leurs demandes, formulées au titre des arrêtés nos 382 (jugement no 2004/5575) et 552 (jugement no 2004/5576) respectivement (paragraphes 27 et 28 ci-dessus).

Rappelant les principes fondamentaux posés par l’article 138 de la Constitution et l’article 28 § 1 de la loi no 2577 (paragraphe 68 ci-dessous), la 13e chambre réaffirma le devoir strict de l’administration de se conformer au jugement en cause et de rétablir sans tarder la situation antérieure à l’acte annulé.

Cependant, elle reconnut qu’il pouvait y avoir des cas où l’exécution d’un jugement puisse s’avérer impossible, comme dans le cas d’espèce, où il n’y avait aucun moyen réaliste de restaurer la situation juridique et financière de Kentbank, telle qu’elle était avant son transfert au FADE.

Par conséquent, le refus de l’ARSB de s’exécuter n’était pas contraire à la loi.

57. Entre-temps, le 19 octobre 2005, fut promulguée la nouvelle loi no 5411 sur les banques.

Par la suite, en vertu d’un arrêté du 7 décembre 2005, Bayındırbank S.A. (paragraphe 20 ci-dessus) devint Birleşik Fon Bankası S.A., qui est toujours active sous la tutelle du FADE.

58. Les requérants se pourvurent devant l’Assemblée plénière contre les deux jugements du 29 novembre 2005 (paragraphe 56 in limine, ci-dessus).

Par deux arrêts du 21 mars 2007, l’Assemblée plénière débouta les requérants qui introduisirent alors, parallèlement, deux recours en rectification d’arrêt.

59. Le 26 juin 2008, l’Assemblée plénière (composée de 27 juges), à la majorité, rendit deux arrêts, faisant droit aux demandes des requérants. Dans leurs considérants, les juges, après avoir rappelé les grands principes du droit administratif, concluaient comme suit :

« (...) l’exécution par l’administration des jugements rendus par le Conseil d’Etat, les tribunaux administratifs ordinaires, régionaux ou du contentieux des impôts, est une règle primordiale.

En l’occurrence, au vu de l’ensemble des informations et documents du dossier, on constate que, malgré l’annulation de l’arrêté portant cession de Kentbank (...) au FADE, il n’est pas possible de restaurer la situation juridique et financière de cette banque antérieure à la date dudit arrêté, et de restituer celle-ci aux intéressés dans l’état où elle se trouvait à la date en question.

Cependant, conformément à ce que le jugement d’annulation exige et à moins qu’il y ait un autre obstacle juridique quelconque, l’administration est tenue d’assurer les conditions nécessaires pour que les intéressés puissent à nouveau exercer des activités bancaires et d’autoriser ces derniers à fonder une banque qui sera habilitée à effectuer des opérations bancaires ainsi qu’à accepter des dépôts, dans le cadre des dispositions de la loi sur les banques. »

60. A ces deux arrêts se trouvaient jointes des opinions dissidentes de douze juges qui firent les observations suivantes :

– compte tenu du déficit de capital propre de Kentbank à la date de son transfert au FADE, celui-ci a dû verser 154 trillions d’anciennes livres turques (« ATRL ») pour consolider les comptes et constituer une réserve facultative d’un montant de 1 605 244 500 nouvelles livres turques (« TRL »), étant entendu qu’avant cette date, la seule dette des actionnaires principaux envers Kentbank s’élevait déjà à 527 540 082 TRL ;

– on ne saurait escompter que les intéressés – qui, par le passé, n’avaient pas été en mesure d’assumer leurs obligations – puissent être à même de cautionner l’apport des fonds nécessaires pour combler le déficit en capital de Kentbank, si celle-ci devait leur être restituée ;

– il y a bien une impossibilité juridique et matérielle de restituer Kentbank en son état antérieur à son transfert au FADE, sachant qu’au demeurant, les intéressés ont eux-mêmes renoncé à l’action en annulation engagée devant la 13e chambre contre l’arrêté no 177 du 20 mars 2002 concernant la fusion de Kentbank avec Bayındırbank S.A. (comparer, paragraphes 20, 21 et 50 in fine, ci-dessus) ;

– par ailleurs, à l’époque pertinente, les intéressés étaient les actionnaires majoritaires d’une autre banque, à savoir Atlas Yatırım Bankası S.A.[5] ; par un arrêté no 378 du 9 juillet 2001, celle-ci avait été interdite d’activités bancaires, en vertu de l’article 14 de l’ancienne loi no 4389 ; or, contrairement à ce qui est souhaité par la majorité, selon cette loi, tout comme la loi no 5411 du 19 octobre 2005 qui l’a remplacée (paragraphes 57 ci-dessus et 67 ci-dessous), les anciens actionnaires d’une banque frappée d’une telle interdiction, tels que les requérants, sont interdits de fonder une nouvelle banque.

61. Par la suite, en juillet 2008, pour une raison non précisée, les requérants introduisirent, toujours devant la 13e chambre, une seconde série d’actions en annulation, dont les objets étaient identiques à ceux des deux actions précédentes, à savoir la levée des refus exprimés par l’ARSB dans ses décisions no 1369 du 11 août 2004 et no 1400 du 24 septembre 2004 (paragraphes 53 et 54 ci-dessus).

62. Par deux jugements du 6 janvier 2009, la 13e chambre donna gain de cause aux requérants. Rappelant les attendus des deux arrêts du 26 juin 2008 de l’Assemblée plénière (paragraphe 59 ci-dessus), elle conclut à l’illégalité des refus opposés par l’ARSB.

L’ARSB se pourvut alors devant l’Assemblée plénière qui, par un arrêt du 10 décembre 2009 rendu à l’unanimité, écarta le pourvoi, précisant que les jugements attaqués s’alignaient parfaitement avec ceux du 26 juin 2008 (ibidem).

Le 10 juin 2010, l’ultime recours en rectification d’arrêt diligenté par l’ARSB fut également rejeté.

3. Conclusion

63. A cette dernière date, toutes les procédures administratives relatives aux mesures prises à l’endroit de Kentbank se trouvaient clôturées en faveur des requérants et la nullité ex tunc de tous les actes administratifs litigieux, tant principaux qu’accessoires, était définitivement confirmée.

64. Il semble que la seule procédure encore pendante est l’action publique devant la 8e chambre de la cour d’assises d’Istanbul sous le dossier no 2005/89 (paragraphe 46 ci-dessus). Le FADE s’était constitué partie intervenante dans ce procès, mais il s’est rétracté après avoir signé le protocole du 1er mars 2007 (paragraphe 51 ci-dessus). Quoi qu’il en soit, ce procès n’a assurément pas fait obstacle à la solution définitive du litige principal dans le cadre du contentieux administratif (paragraphe 49 ci‑dessus).

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Les mesures préventives visant les banques en difficulté selon l’ancienne loi no 4389 sur les banques

65. Le régime établi par l’article 14 de la loi no 4389 sur les banques, dans sa version en vigueur à l’époque des faits et postérieure aux modifications apportées par la loi no 5020 du 26 décembre 2003, prévoyait une série de mesures en direction des établissements en difficulté, l’autorité de droit public régulatrice de ce secteur étant l’ARSB. Pour exercer ses pouvoirs, celle-ci se fondait sur les informations financières et les rapports qui lui étaient adressés par des auditeurs assermentés. Lorsque la liquidité et la solvabilité d’une banque ne répondaient plus aux exigences légales, elle pouvait lui imposer un plan d’action propre à redresser la situation (article 14 § 2, alinéa a). Dans la même optique, si les fonds propres d’une banque se révélaient insuffisants pour satisfaire au seuil minimal, l’ARSB pouvait ordonner que le capital de l’entreprise soit renforcé, selon un plan qu’elle aurait approuvé (article 14 § 2, alinéa b).

66. Si la banque visée ne pouvait ou ne voulait s’exécuter ou si elle présentait un déficit tel qu’aucune des mesures préventives ne puisse y remédier, l’ARSB prononçait son transfert au FADE (article 14 § 3), une autre entité de droit public, chargée en vertu de l’article 15 de la loi no 4389 du redressement des banques en difficulté. L’ARSB pouvait aussi interdire à la banque visée d’accepter des dépôts et de procéder à toute autre forme d’opération bancaire.

Le transfert comprenait tous les droits d’actionnariat (à l’exception des agios), de gestion et de contrôle de la banque en question, étant entendu que le FADE était habilité à effectuer toutes sortes d’opérations, y compris la cession à des tiers des actions, biens et succursales des banques dont il avait la tutelle.

De telles mesures pouvaient aussi intervenir lorsque l’ARSB constatait que les responsables de la direction et du contrôle d’une banque abusaient des fonds propres de l’entreprise de manière à mettre en péril son bon fonctionnement et les intérêts des tiers (article 14 § 4).

67. La loi no 4389 fut remplacée par la nouvelle loi no 5411 sur les banques du 19 octobre 2005, laquelle prévoit un régime comparable à celui décrit ci-dessus. Dans le contexte de la présente affaire, il convient de rappeler que selon l’article 8 b) de cette loi, les anciens actionnaires majoritaires ou les personnes ayant disposé du contrôle d’une banque transférée au FADE avant le 19 octobre 2005, ne sont pas habilités à fonder une nouvelle banque.

B. L’exécution des décisions judiciaires rendues à l’encontre de l’administration

68. En vertu de l’article 138 § 4 de la Constitution et de l’article 28 § 1 de la loi no 2577 sur la procédure administrative, les pouvoirs législatif et exécutif ainsi que toutes les autorités administratives sont tenus de respecter les décisions de justice rendues à leur encontre. Ces dispositions se lisent comme suit :

Article 138 § 4 de la Constitution

« Les organes des pouvoirs exécutif et législatif ainsi que l’administration sont tenus de se conformer aux décisions judiciaires ; lesdits organes et l’administration ne peuvent, en aucun cas, modifier les décisions judiciaires ni en différer l’exécution. »

Article 28 § 1 de la loi no 2577

« 1. L’administration est tenue d’adopter sans tarder l’acte ou l’action requis par les décisions (...) rendues au fond par le Conseil d’État ou les tribunaux administratifs (...) Le délai [pour ce faire] ne peut en aucun cas dépasser les trente jours qui suivent la notification de la décision à l’administration. »

69. Selon les principes du droit turc et la jurisprudence bien établie du Conseil d’État, une action en annulation intentée contre un acte administratif a pour but d’établir si cet acte est contraire à la loi, et non pas de constater la violation d’un droit individuel ni de réparer le dommage qui pourrait en résulter.

En particulier, l’office du juge, s’il constate le bien-fondé d’une action de ce type, se limite à prononcer l’annulation de l’acte attaqué, sans substituer lui-même aucune décision nouvelle à l’acte annulé. C’est à l’administration que revient le soin de prendre, de sa propre initiative, toute nouvelle décision ou mesure appelée par le jugement.

70. Par ailleurs, un acte administratif annulé est réputé nul et non avenu dès sa date d’adoption, de même que toutes les autres mesures et décisions prises sur le fondement de cet acte. La nullité a donc un effet ex tunc extensif. Pour exécuter un jugement d’annulation, l’administration doit s’employer d’office à restaurer la situation antérieure à l’acte annulé, en veillant à en effacer les conséquences.

A cet égard, il importe de noter que, vis-à-vis de l’administration mise en cause, une décision d’annulation est contraignante, non seulement par son dispositif, mais également par les motifs qui le sous-tendent. Il s’ensuit que, pour se conformer à un tel jugement, l’entité visée doit prendre toutes les décisions ou mesures nécessaires pour aboutir au but inhérent au dispositif de ce jugement, et ce, en s’alignant sur les motifs et les considérants retenus par le tribunal.

71. L’administration ne peut, en aucun cas, altérer les jugements rendus à son endroit ni en retarder ou en refuser l’exécution. Elle ne peut non plus contourner ou entraver l’exécution d’un jugement, par exemple, en faisant intervenir de nouvelles décisions ou mesures administratives à cet effet, ou en assujettissant son exécution à une forme quelconque d’autorisation d’une entité administrative.

72. L’administration concernée doit impérativement s’exécuter dans les 30 jours suivant la notification de la décision de justice, en prenant toutes les mesures pertinentes, qu’il s’agisse de décisions formelles ou d’actes matériels. Dans ce contexte, une déclaration de l’administration selon laquelle elle se trouverait dans l’impossibilité matérielle d’exécuter une décision ne lui permet nullement de se soustraire à ses obligations.

En pratique, même dans les cas exceptionnels où il serait effectivement impossible en fait ou en droit de mettre en œuvre un jugement d’annulation (notamment s’agissant des décisions impliquant une exécution en nature), l’obligation pour l’administration de s’exécuter ne s’éteint point. En présence avérée de tels obstacles, on parlera plutôt d’un changement dans la modalité d’exécution, et il s’agit alors de déterminer la solution de rechange la plus satisfaisante, sans que l’intéressé ait à nouveau à ester en justice. Par exemple, pour faire valoir un obstacle de nature « juridique », l’administration doit établir que celui-ci est « incontournable » (voir par exemple l’arrêt du 10 février 1987 de la 5e chambre du Conseil d’Etat, no 1986/951E. – 1987/179K).

Qu’il s’agisse d’un cas d’impossibilité juridique ou matérielle, l’administration visée doit en tout état de cause démontrer qu’elle a fait tout ce qui était en son pouvoir pour exécuter le jugement, et que les obstacles étaient insurmontables ; ensuite, elle doit donner des signes clairs de sa volonté de se conformer à la décision en question, en proposant à l’intéressé la solution de rechange la plus adéquate et pertinente, ce qui, dans nombre de cas, peut correspondre à un dédommagement intégral (restitutio in integrum).

73. Cette question de la « modalité d’exécution » d’un jugement n’est pas à confondre avec la question de la « réparation » du préjudice matériel ou moral subi par l’intéressé.

En ce qui concerne la question générale de la réparation du fait des actes et décisions de l’administration, le principe est posé par l’article 125 §§ 1 et 7 de la Constitution :

« Tout acte ou décision de l’administration est susceptible d’un contrôle juridictionnel (...)

L’administration est tenue de réparer tout dommage résultant de ses actes et mesures. »

Le corollaire de ce principe est défini dans les articles 11 à 13 de la loi no 2577 sur la procédure administrative. En effet, en vertu de ces dispositions, toute victime d’un dommage résultant d’un acte de l’administration peut demander réparation à cette dernière dans le délai d’un an à compter de la date de l’acte allégué. En cas de rejet de tout ou partie de la demande ou si aucune réponse n’a été obtenue dans un délai de soixante jours, la victime peut engager une procédure devant la juridiction administrative.

74. Les règles ci-dessus, qui forment un socle de lex generalis, sont concurrencées par d’autres dispositions dans le contexte spécifique des préjudices résultant de l’inexécution d’un jugement administratif. En ce domaine particulier, le principe posé par l’article 138 de la Constitution et l’article 28 § 1 de la loi no 2577 (paragraphe 68 ci-dessus) trouve un corollaire dans les dispositions de l’article 28 §§ 3 et 4 de la loi no 2577 sur la responsabilité pécuniaire de l’administration. Ces dernières dispositions – qui se présentent comme une lex specialis par rapport à celles décrites au paragraphe précédent – se lisent ainsi :

« 3. Lorsque l’administration n’a pas adopté un acte ou n’a pas réagi conformément à une décision du Conseil d’Etat ou des tribunaux administratifs (...), une action en réparation du dommage moral ou matériel peut être engagée contre l’administration devant le Conseil d’Etat et les tribunaux compétents. »

« 4. En cas de non-exécution délibérée des décisions des tribunaux par les fonctionnaires dans les trente jours [qui suivent la décision], une action en indemnisation peut être engagée tant contre l’administration que contre le fonctionnaire qui refuse d’exécuter la décision en question. »

75. D’après la jurisprudence du Conseil d’État, l’administration doit s’exécuter d’office, sans que les intéressés aient à la solliciter à cette fin. Si elle omet de le faire dans le délai légal de 30 jours (paragraphe 55 ci‑dessus), l’intéressé dispose d’un délai de dix ans pour saisir l’entité visée et réclamer l’exécution de la décision d’annulation.

Il s’agit là d’une démarche préalable à l’introduction d’une éventuelle action en indemnisation (action de pleine juridiction) afin d’obtenir réparation du dommage matériel et/ou moral. Si l’administration rejette cette réclamation préalable – explicitement ou implicitement (60 jours écoulés sans réponse valant rejet) –, l’intéressé peut alors, dans les 60 jours qui suivent, engager une action en réparation contre l’autorité visée par la décision (article 28 § 3 susmentionné) et/ou contre le fonctionnaire qui a sciemment refusé d’exécuter celle-ci (article 28 § 4).

S’il est vrai que, compte tenu des principes régissant un État de droit, la non-exécution d’une décision judiciaire est généralement considérée comme constitutive d’une « faute de service », cela ne suffit pas pour obtenir réparation du préjudice qui en résulte. En effet, l’indemnisation d’une personne selon la voie sus-décrite dépend de l’établissement, d’abord, du dommage actuellement subi. Notamment, pour ce qui est des préjudices matériels, seul un dommage réel et précis peut être dénoncé, tel un amoindrissement d’actifs dans le patrimoine ou la perte d’une augmentation certaine du patrimoine. En revanche, les prétentions spéculatives fondées sur des gains futurs seront irrecevables (ainsi qu’il a été jugé, par exemple, dans un arrêt du 21 mai 1985 de la 6e chambre du Conseil d’Etat, no 1985/880E. – 1985/143K.). Le justiciable doit ensuite établir un lien de causalité avec, soit une « faute de service lourde » (tel est le cas, par exemple, lorsqu’il est établi que l’administration refuse sciemment de s’exécuter), soit d’une « faute personnelle », selon qu’on met en cause une entité administrative ou un fonctionnaire. Dans cette dernière hypothèse, l’affaire peut également relever du contentieux civil.

Pour autant, selon la jurisprudence constante du Conseil d’Etat, le versement d’une indemnité pour l’inexécution d’un jugement d’annulation n’affranchit point l’administration de son obligation constitutionnelle d’exécuter ledit jugement (voir par exemple l’arrêt du 19 mai 1992 de la 6e chambre du Conseil d’Etat, no 1990/848E. ve 1992/632 K.).

76. Outre la responsabilité pécuniaire, deux autres types de responsabilité peuvent également être engagés.

Il s’agit, en premier lieu, de la responsabilité pénale du fonctionnaire fautif. En effet, celui-ci peut être poursuivi pour « abus de fonctions » ou « négligence dans l’exercice de ses fonctions ». Pour cela, il suffit de démontrer qu’il a entravé – fût-ce même involontairement – l’exécution d’une décision de justice.

En dernier lieu, il convient de mentionner également pour mémoire la responsabilité politique, laquelle touche à la question de la légitimité de l’entité politique (en particulier, le gouvernement, le premier ministre, un ministre etc.), dans la mesure où il y a eu méconnaissance de l’article 138 de la Constitution.

EN DROIT

I. L’OBJET DU LITIGE

77. Dans leur requête originelle, introduite le 7 janvier 2005, les requérants alléguaient une violation de leur droit à un procès équitable en raison de l’inexécution par l’administration de la première série de jugements, par lesquels la 10e chambre du Conseil d’État leur avait donné gain de cause. Ils invoquaient l’article 6 § 1 de la Convention, dont le passage pertinent se lit ainsi :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

78. Toujours dans leur requête, les requérants soutenaient que, la cession de Kentbank au FADE étant dépourvue de base légale depuis l’annulation ex tunc des mesures prises à cet effet, la situation actuelle emportait aussi violation continue de l’article 1 § 1 du Protocole no 1 qui se lit ainsi :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. »

79. Par la suite, après la communication de la présente affaire au Gouvernement et grâce aux observations que celui-ci a fait parvenir, la Cour a pris connaissance du fait que la seconde série de jugements, rendus par la 13e chambre du Conseil d’État, était devenue définitive le 10 juin 2010 (paragraphe 62 ci-dessus). En parallèle, dans leurs derniers mémoires complémentaires, notamment celui du 5 décembre 2010, les requérants ont, en substance, étendu la portée de leurs griefs sur le fond à cette seconde série de jugements (paragraphes 112 et 134 ci-dessus) ; de son côté, dans ses observations complémentaires du 6 janvier 2011, le Gouvernement a combattu les nouveaux arguments formulés à ce titre (paragraphes 103, 104, 106 et 141 ci-dessus).

Compétente pour traiter toute question de fait ou de droit qui surgit pendant l’instance engagée devant elle (Cruz Varas et autres c. Suède, 20 mars 1991, § 76, série A no 201), la Cour observe que la seconde série de jugements en cause en l’espèce est la continuation évidente de la première et est indissociable de celle-ci ; le différend à l’origine de la requête introductive d’instance devant la Cour n’a donc pas changé de nature de ce fait, la question principale soumise pour décision étant toujours de savoir si la non-exécution par l’administration desdits jugements est ou non contraire à la Convention. Ainsi, la Cour estime pouvoir effectivement se placer sur le terrain des articles 6 § 1 de la Convention et 1 du Protocole no 1 également dans le contexte de cette seconde série de jugements administratifs, à la lumière des nouveaux arguments des parties (mutatis mutandis, Müslim c. Turquie, no 53566/99, § 57, 26 avril 2005).

II. SUR LA RECEVABILITÉ

A. Thèses des parties

1. Le Gouvernement

80. Le Gouvernement affirme que les requérants n’ont pas la qualité de victime d’une violation de la Convention, au sens de son article 34, pour les motifs qui suivent.

D’abord, ayant eux-mêmes mis Kentbank en péril, par leurs agissements irresponsables et illégaux, les requérants ne sauraient être autorisés à tirer profit de leurs propres méfaits, ni se prévaloir de leur ancien statut d’actionnaires de Kentbank, dès lors que cette entité et, du même coup, ledit statut ont depuis longtemps cessé d’exister sur le plan juridique.

81. Deuxièmement, en signant le protocole du 1er mars 2007 (paragraphe 51 ci-dessus), les requérants auraient renoncé à leur droit d’ester en justice contre le FADE ainsi qu’à leur action en annulation contre l’arrêté no 177 portant fusion de Kentbank avec Bayındırbank S.A. (paragraphes 20 et 50 ci-dessus). Ayant ainsi affranchi le FADE de toute responsabilité juridique, les requérants ne sauraient se prévaloir d’un droit matériel de caractère civil qui puisse avoir une base légale en Turquie, étant entendu que dans ces circonstances, la Cour ne peut non plus, par voie d’interprétation de l’article 6 § 1, créer un tel droit opposable au FADE, faute d’une « base légale dans l’État concerné » (Fayed c. Royaume-Uni, 21 septembre 1994, § 65, série A no 294‑B).

Selon le Gouvernement, cette considération vaut a fortiori pour le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1, car la renonciation stipulée dans le protocole du 1er mars 2007 serait encore davantage décisive à cet égard : en l’espèce, l’unique mesure prise par l’ARSB et annulée par la suite portait simplement sur le « transfert » de Kentbank ; toutes les autres mesures (c’est-à-dire les opérations de liquidation et de fusion), qui ont finalement entraîné la disparition de la personnalité morale de la banque, avaient été prises soit par l’assemblée générale liquidatrice soit par le FADE. Or, comme il a été déjà dit, la responsabilité du FADE ne peut plus être engagée sur le plan de droit interne.

82. Le Gouvernement excipe également du non-épuisement des voies de recours internes, au mépris de l’article 35 de la Convention, lequel n’exige pas seulement la saisine des juridictions nationales compétentes, mais commande en outre l’emploi des moyens de procédure propres à empêcher la violation alléguée de la Convention (Cardot c. France, 19 mars 1991, § 34, série A no 200).

A ce sujet, il rappelle qu’en l’occurrence, les juridictions administratives se sont cantonnées à annuler les décisions attaquées par les requérants, sans allouer aucune indemnité en connexion avec ce dispositif et sans condamner l’administration visée à restaurer un droit de propriété quelconque. Car, en droit administratif turc, un jugement portant annulation d’un acte ne peut pas contenir de dispositif indemnitaire. Aussi, il appartenait aux requérants d’emprunter d’autres recours disponibles et adéquats s’ils estimaient réellement avoir subi un préjudice.

83. Plus précisément, d’après le Gouvernement, les requérants auraient dû intenter contre l’administration récalcitrante une action en indemnisation pour réclamer la réparation de leur préjudice qu’ils estimaient né du fait de l’inexécution des jugements rendus en leur faveur, comme le leur permettait l’article 28 §§ 3 et 4 de la loi no 2577 (paragraphe 74 ci-dessus). A cet égard, il cite deux précédents de la 10e chambre (arrêts nos 1994/5161 et 2007/739 du 25 octobre 1994 et du 27 février 2007 respectivement), où les administrés se sont vu accorder des sommes au titre du dommage matériel et/ou moral subi en raison du refus de l’administration de s’exécuter.

84.Dans les observations qu’il a communiquées le 6 janvier 2011 sur la question de l’application de l’article 41 de la Convention, le Gouvernement ajoute d’autres arguments concernant la recevabilité de la requête.

En effet, il y excipe à nouveau du non-épuisement des voies administratives de réparation, mais en invoquant cette fois-ci les dispositions à caractère de lex generalis des articles 11 à 13 de la loi no 2577 susmentionnés (paragraphe 73 ci-dessus). Celles-ci permettraient à quiconque ayant subi un tort du fait d’un acte administratif ou de l’exécution d’une décision administrative d’introduire une action de pleine juridiction – accompagnée ou non d’une demande en annulation de la mesure contestée – afin d’obtenir réparation de son préjudice.

85. Toujours dans ses observations précitées du 6 janvier 2011, le Gouvernement arguë du « caractère prématuré » de la requête, en ce que les requérants n’ont jamais sollicité l’ARSB en vue d’obtenir une nouvelle licence bancaire, comme l’Assemblée plénière l’aurait indiqué dans ses arrêts du 26 juin 2008 (paragraphe 59 ci-dessus).

86. Le Gouvernement développe davantage cet argument sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1.

Il fait remarquer que la « demande de restitution » des requérants puise dans des jugements administratifs, faute de quoi ils n’auraient eu aucune prétention valable. Il s’ensuit que le grief qu’ils formulent au titre d’un droit au respect des biens se caractérise par une « demande » de restitution, et non pas par un « bien actuel » au sens de la jurisprudence de la Cour.

Pour qu’une telle « demande » puisse passer pour un « bien », il faudrait qu’elle ait une base légale en droit turc et s’inscrive dans le contexte d’une « espérance légitime ».

Or, invitant la Cour à comparer – a contrario – la présente affaire avec les arrêts Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce (9 décembre 1994, § 59, série A no 301‑B), et Bourdov c. Russie (no 59498/00, § 40, CEDH 2002‑III), le Gouvernement estime qu’en l’absence d’une créance susceptible d’être « exécutée », les requérants ne sauraient arguer de l’existence d’une espérance légitime. En effet, dans leur dispositif, les jugements en question ne reconnaissent aux requérants que le droit « de saisir l’ARSB afin d’obtenir les autorisations » nécessaires, ce qu’ils n’ont jamais fait.

Aussi les requérants ne peuvent-ils passer pour avoir respecté les consignes des juges administratifs ni, par conséquent, prétendre avoir une espérance légitime.

Selon le Gouvernement, la Cour est donc incompétente ratione materiae pour connaître de ce grief précis.

2. Les requérants

87. Les requérants déplorent les refus consécutifs de l’ARSB d’exécuter les jugements définitifs nos 2004/5575 et 2004/5576 du 21 juin 2004 (paragraphes 27 et 28 ci-dessus), portant annulation ex tunc des arrêtés nos 382 et 552, à l’origine de toutes les mesures imposées à Kentbank (paragraphe 12 ci-dessus). D’après eux, cette situation s’analyse en une violation continue de l’article 6 § 1 de la Convention, tel qu’interprété, entre autres, dans l’arrêt Hornsby c. Grèce du 19 mars 1997 (Recueil des arrêts et décisions 1997‑II).

88. A la lumière de la jurisprudence de la Cour (Dragne et autres c. Roumanie, no 78047/01, § 27, 7 avril 2005, et Sabin Popescu c. Roumanie, no 48102/99, § 59, 2 mars 2004), les requérants estiment que leur réclamation du 19 juillet 2004 auprès de l’ARSB afin qu’elle s’exécute, ainsi que les procédures administratives menées à terme avec succès pour finalement obtenir l’annulation des refus opposés à cet égard par l’ARSB, constituaient le seul type de recours à emprunter, étant entendu qu’en droit turc, il est impossible de recourir à des voies d’exécution forcée contre une entité administrative.

89. S’agissant des voies de réparation invoquées par le Gouvernement (paragraphes 83 et 84 ci-dessus), les requérants soulignent que, contrairement à ce que celui-ci laisse entendre, leur grief principal porte sur la circonstance, pour eux, de continuer à être illégalement dépossédés du patrimoine que représentait Kentbank avant qu’elle ne soit transférée, et non pas de l’absence d’une voie de dédommagement à raison de la non‑exécution des décisions judiciaires internes.

B. L’appréciation de la Cour

1. Observations liminaires

90. La Cour note d’emblée que la deuxième branche de la seconde exception tirée de la règle d’épuisement des voies de recours internes (paragraphe 84 ci-dessus), tout comme les deux exceptions fondées sur la non-saisine de l’ARSB (paragraphes 85 et 86 ci-dessus), n’ont été invoquées pour la première fois par le Gouvernement que dans ses observations du 6 janvier 2011 (paragraphe 79 ci-dessus), qui devaient normalement porter sur la question de l’application de l’article 41 de la Convention. Or, aux termes de l’article 55 du règlement, toutes exceptions de cette nature auraient dû être soulevées dans les observations sur la recevabilité de la requête (Tănase c. Moldova [GC], no 7/08, § 121, CEDH 2010 (extraits)). Les requérants auraient alors été invités à répliquer à ces exceptions. Cela dit, il n’y a pas lieu de s’attarder sur la question de la forclusion (Prokopovitch c. Russie, no 58255/00, § 29, CEDH 2004-XI, Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 41, CEDH 2006‑II, et Brumărescu c. Roumanie [GC], no 28342/95, § 53, CEDH 1999‑VII), car de toute façon ces exceptions ne résistent pas à l’examen, pour les motifs qui seront exposés ci-dessous.

2. Examen

91. En ce qui concerne la première branche de la première exception, relative aux fautes qui auraient été commises par les requérants dans la gestion de Kentbank (paragraphe 80 ci-dessus), la Cour rappelle que par le mot « victime » l’article 34 de la Convention désigne la personne directement concernée par l’acte ou l’omission litigieux (Brumărescu, précité, § 50).

A cet égard, il est à relever qu’il n’y a guère de controverse entre les parties sur la nature du différend porté devant la Cour par M. Mustafa Süzer et la société requérante en leur qualité d’actionnaires qui, à l’origine des faits, contrôlaient à plus de 99 % le capital de Kentbank. Ce litige porte de façon essentielle sur l’omission de l’administration de se conformer à diverses décisions de justice, à savoir : d’abord, aux jugements du 21 juin 2004 (paragraphes 27 et 28 ci-dessus) annulant toutes les mesures relatives à Kentbank et qui sont devenus définitifs par les arrêts du 2 février 2006 et du 21 mars 2007 respectivement (paragraphe 49 ci-dessus) ; puis aux arrêts du 26 juin 2008 (paragraphe 59 ci-dessus) sanctionnant l’inexécution desdits jugements par l’administration visée ; et enfin, à la seconde série de jugements, rendus par la 13e chambre, par référence à ces derniers arrêts (paragraphe 62 ci-dessus).

Que les requérants aient été fautifs ou non en tant que gestionnaires de Kentbank peut sans doute jouer sur le plan interne ; mais, contrairement à ce que le Gouvernement pense, cet élément ne saurait en aucune manière entrer en ligne de compte pour le droit à se prétendre victime d’une violation dans le cas présent, où l’examen de la Cour doit porter sur les évènements postérieurs à l’annulation ex tunc des décisions prises par l’ARSB et non pas sur les raisons qui par le passé avaient pu être retenues par celle-ci pour asseoir ces décisions qui, comme il a déjà été dit, ne font plus partie de l’ordre juridique turc.

92. La Cour marque également son désaccord avec le second argument du Gouvernement, selon lequel les requérants ne seraient pas en droit d’agir en tant qu’anciens actionnaires d’une banque qui a cessé d’exister sur le plan juridique.

En effet, outre le fait que les conditions régissant les requêtes individuelles introduites au titre de la Convention ne coïncident pas nécessairement avec les critères nationaux relatifs au locus standi (voir, parmi d’autres, Norris c. Irlande, 26 octobre 1988, § 31, série A no 142), force est d’observer qu’en l’espèce, la dissolution de Kentbank ne change rien à la circonstance que les requérants, qui en détenaient le contrôle, furent longtemps actifs dans le secteur bancaire, de sorte qu’ils étaient forcément en possession, entre autres, de licences d’exploitation, de biens mobiliers et immobiliers et d’une certaine clientèle. Au demeurant, c’est bien eux qui ont introduit avec succès les instances administratives dans cette affaire, alors que leur banque se trouvait déjà dissoute (pour une situation comparable, voir Pine Valley Developments Ltd et autres c. Irlande, 29 novembre 1991, § 42, série A no 222), et avait ainsi perdu la possibilité d’ester en justice par l’intermédiaire de ses organes statutaires ou par ses liquidateurs (Agrotexim et autres c. Grèce, 24 octobre 1995, § 66, série A no 330‑A, Vatan c. Russie, no 47978/99, § 48, 7 octobre 2004, et Union des Cliniques Privées de Grèce et autres c. Grèce, no 6036/07, § 35, 15 octobre 2009), ces derniers ayant décidé d’interrompre le processus de liquidation (paragraphe 20 ci-dessus).

Accepter que les requérants n’aient pas qualité pour agir dans de telles circonstances saperait la substance même du droit de recours individuel des personnes morales ou de leurs sociétaires, dans la mesure où cela serait de nature à encourager les gouvernements à dépouiller de leur personnalité juridique celles qui pourraient déposer une requête devant la Cour (voir, mutatis mutandis, Capital Bank AD c. Bulgarie, no 49429/99, § 80, CEDH 2005‑XII (extraits)), pour ensuite dénier aux ex-sociétaires le droit de saisir la Cour en leur propre nom.

93. Pour ce qui est des moyens tirés des engagements synallagmatiques découlant du protocole du 1er mars 2007 et, plus particulièrement, de la renonciation des requérants à certains droits de nature procédurale vis-à-vis du FADE (paragraphe 51 ci-dessus), la Cour estime qu’aucune des deux questions soulevées à ce titre – relativement à l’absence d’un droit civil opposable au FADE sur le terrain de l’article 6 § 1 et/ou à la prétendue immunité dont le FADE bénéficierait par rapport aux mesures privatives de propriété prises par lui-même (paragraphe 81 ci-dessus) – ne tire à conséquence.

En effet, sans avoir à examiner si cette renonciation répondait aux conditions nécessaires pour entrer en ligne de compte sous l’angle de la Convention (voir, par exemple, Pfeifer et Plankl c. Autriche, 25 février 1992, § 37, série A no 227, et Neumeister c. Autriche (article 50), 7 mai 1974, §§ 33 et 36, série A no 17), la Cour observe que l’entité visée par les jugements à exécuter était l’ARSB, pas le FADE. A cet égard, il suffit d’ailleurs de rappeler qu’au regard de la Convention, seule se trouve en cause la responsabilité internationale de l’Etat, quelle que soit l’autorité nationale à qui le manquement à la Convention pourrait être imputable dans le système interne (voir Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01, § 146, CEDH 2004 II, et les références qui y figurent, et Chuykina c. Ukraine, no 28924/04, § 51, 13 janvier 2011).

94. Aussi les requérants sont-ils en droit de se prévaloir de l’article 6 § 1 de la Convention et/ou de l’article 1 du Protocole no 1, étant entendu qu’en l’absence d’une mesure quelconque susceptible de leur retirer la qualité de « victime » (Brumărescu, précité, ibidem), ils se trouvent à l’heure actuelle dans la même situation qu’au 21 juin 2004 et continuent à pâtir du refus des autorités nationales de s’exécuter.

Aussi la Cour rejette-t-elle, en toutes ses branches, la première exception du Gouvernement concernant l’absence de qualité de victime des requérants.

95. Pour ce qui est du premier volet de la seconde exception du Gouvernement, tirée du non-épuisement de la voie administrative d’indemnisation prévue par l’article 28 §§ 3 et 4 de la loi no 2577 (paragraphes 74, 82 et 83 ci-dessus), la Cour rappelle d’emblée que l’article 35 de la Convention n’exige que l’épuisement des recours accessibles, adéquats et relatifs aux violations incriminées (voir, parmi beaucoup d’autres, Tsomtsos et autres c. Grèce, 15 novembre 1996, § 32, Recueil 1996‑V).

S’il est vrai qu’une action en réparation peut parfois être considérée comme un recours suffisant, lorsque c’est effectivement le seul moyen de redresser le tort subi par l’individu (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 47, CEDH 1999‑II), ce n’est toutefois pas le cas en l’occurrence. En effet, la Cour a déjà jugé que l’octroi d’une indemnité au titre des dispositions à caractère de lex specialis de la loi no 2577 ne pouvait constituer un redressement adéquat des griefs tirés de la non-exécution des jugements administratifs, tels que ceux en cause en l’espèce (Ahmet Okyay et autres c. Turquie (déc.), no 36220/97, 17 janvier 2002).

La Cour ne voit aucune raison de se départir de ce constat, étant donné que, dans la présente affaire également, les requérants ne se plaignent ni de l’absence d’une indemnisation du tort subi du fait de l’inexécution desdits jugements ni, plus généralement, de l’absence de recours effectifs en la matière, au sens de l’article 13 (par exemple, Eltari c. Albanie, no 16530/06, § 68, 8 mars 2011).

La Cour ajoute qu’une indemnisation du préjudice matériel et/ou moral fondée sur l’article 28 §§ 3 et 4 de la loi no 2577 n’aurait concrètement pas constitué une solution de rechange aux mesures que l’ordre juridique interne aurait pu offrir aux requérants pour parer à la prétendue impossibilité pour eux d’être remis en possession de Kentbank ou de reprendre leur activité dans le secteur bancaire, en dépit des jugements rendus dans ce sens (mutatis mutandis, Hornsby, précité, § 37) ; encore faut-il observer que, selon le droit turc, même s’il y avait eu un dédommagement, cela n’aurait jamais permis à l’administration de se soustraire à son obligation constitutionnelle d’exécuter lesdits jugements (paragraphe 75 ci-dessus), ce qui ne fait que confirmer le caractère subsidiaire de la voie invoquée par le Gouvernement.

96. Le deuxième volet de cette exception (paragraphes 84 et 90 ci‑dessus) est fondé sur le non-exercice d’une action de pleine juridiction selon les articles 11 à 13 de la loi no 2577. A supposer que ces dispositions ayant valeur de lex generalis puissent trouver application en matière d’inexécution des jugements par l’administration, le Gouvernement n’a néanmoins pas démontré que les exigences d’effectivité et d’accessibilité – tant en théorie qu’en pratique – se trouvent réunies concernant ce type d’actions (parmi beaucoup d’autres, Aquilina c. Malte [GC], no 25642/94, § 39, CEDH 1999‑III) ; il n’a pas non plus étayé en quoi cette voie aurait pu présenter plus de chances de succès que le recours en réparation prévu par l’article 28 de la même loi, examiné précédemment (paragraphe 95 ci‑dessus).

N’ayant pas à suppléer d’office aux lacunes de la thèse du Gouvernement (Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis, précité, § 35), la Cour peut tout au plus présumer – de manière strictement provisoire et comme une pure hypothèse de travail – qu’une telle action de pleine juridiction aurait pu porter remède aux griefs des intéressés (Van Oosterwijck c. Belgique, 6 novembre 1980, § 27, série A no 40, et De Jong, Baljet et Van den Brink c. Pays-Bas, 22 mai 1984, § 39, série A no 77), en ce qu’elle aurait pu aboutir à une restitutio in integrum.

Dans ce contexte, il faut rappeler que selon le droit turc, au cas où l’existence d’un obstacle insurmontable empêchant l’exécution en nature des jugements en cause serait établie, l’administration se verrait alors obligée de proposer d’office aux requérants la solution de rechange la plus adéquate qui, de par les spécificités du cas présent, correspondrait à une restitutio in integrum (paragraphe 72 in fine, ci-dessus).

Il s’ensuit qu’une action de pleine juridiction, à supposer qu’elle ait eu une quelconque issue favorable aux requérants, n’aurait pas abouti à un résultat différent de celui qu’ils ont obtenu en vertu de leurs actions administratives en annulation (pour une situation comparable, voir Iatridis, précité, § 47), d’autant qu’une possibilité subsidiaire d’indemnisation intégrale se trouve déjà inhérente audit résultat.

97. En complément à ces constatations, la Cour observe que, selon la pratique judiciaire interne, si l’inexécution d’une décision administrative est certes généralement constitutive en soi d’une « faute de service », l’octroi d’une indemnité quelconque à ce titre est subordonné à une condition plus stricte puisqu’il suppose que soit établie une faute de service « lourde », exigence propre au droit administratif turc et qui, à tout le moins, pèche par manque de clarté. Indépendamment de cet aspect, la Cour estime qu’un recours exigeant l’établissement d’une « faute lourde » de l’administration est inadéquat dans les cas d’inexécution de jugements par l’Etat (voir, mutatis mutandis, Moroko c. Russie, no 20937/07, §§ 28 et 29, 12 juin 2008, et Bourdov c. Russie (no 2), no 33509/04, §§ 106 et 110, CEDH 2009), car, dans pareils cas, l’omission que les justiciables pourraient reprocher à l’administration récalcitrante ne sera pas forcément le fait d’irrégularités commises par celle-ci, mais pourra parfois être imputable à des déficiences du système à l’échelon national et/ou local ainsi qu’aux excès de complexité et de formalisme qui pourraient affecter les procédures y afférentes (mutatis mutandis, Bourdov (no 2), précité, § 111).

98. En somme, et sous réserve de la question de savoir dans quelle mesure ces deux types de procédure administrative pourraient être déterminants pour l’application de l’article 41 de la Convention (Iatridis, précité, ibidem, et Metaxas c. Grèce, no 8415/02, § 22, 27 mai 2004), la Cour conclut, à l’instar des requérants (paragraphe 89 ci-dessus), que les actions en réparation offertes par la loi no 2577 ne sauraient, en l’espèce, passer pour suffisantes aux fins du redressement des griefs que les intéressés tirent de l’inexécution des jugements en cause, sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 (Hornsby, précité, ibidem).

La Cour rejette donc également les exceptions soulevées à ce titre.

99. Reste les deux arguments fondés sur la prétendue nécessité pour les requérants de saisir d’abord l’ARSB afin d’obtenir les licences d’établissement et d’exploitation bancaires (paragraphes 80, 85 et 86 ci‑dessus), avant de porter quelque grief que ce soit devant la Cour.

Premièrement, sous l’angle de l’article 6, le Gouvernement estime qu’à défaut d’une telle démarche, sans laquelle l’ARSB ne peut statuer, la présente requête s’avère « prématurée ».

Deuxièmement, sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1, les requérants, ayant omis de saisir l’ARSB, ne seraient pas en droit de faire valoir une espérance légitime, constitutive d’un « bien » et, partant, la Cour devrait décliner sa compétence ratione materiae quant à ce grief.

La Cour considère que le bien-fondé éventuel de ces thèses dépend étroitement de la portée des jugements administratifs rendus en l’espèce et, du même coup, de leurs modalités d’exécution. Cette dernière question étant elle-même inséparable du bien-fondé des doléances des requérants, la Cour estime donc qu’il y a lieu de joindre ces deux exceptions au fond des griefs tirés de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 respectivement.

100. Par ailleurs, la Cour constate que la requête ne se heurte à aucun motif d’irrecevabilité inscrit à l’article 35 de la Convention. Partant, il convient de la déclarer recevable.

III. SUR LE FOND

A. Quant à la violation alléguée de l’article 6 § 1 de la Convention

1. Thèses des parties

a) Le Gouvernement

101. La première partie des observations sur le fond du Gouvernement est articulée en trois chapitres, portant respectivement sur la période antérieure au placement de Kentbank sous le contrôle de l’ARSB, sur la période de monitorage subséquente et, enfin, sur la période post-monitorage qui, notamment, couvre l’ensemble des mesures administratives imposées à Kentbank.

Dans ce contexte, le Gouvernement présente d’abord les modalités du programme gouvernemental de désinflation mis en place en début de l’année 2000 et relate les impacts des crises économiques subséquentes qui ont frappé le secteur bancaire turc en novembre 2000 et février 2001.

Ensuite, il récapitule les données économiques et factuelles ayant entraîné Kentbank dans l’escalade des défaillances de gestion qui a finalement nécessité son transfert au FADE, en tant que mesure de dernier ressort afin de sauvegarder les droits et intérêts des tierces personnes concernées. A cet égard, le Gouvernement argumente notamment à partir des éléments qui ressortent des rapports d’audit (paragraphes 6 et 11 ci‑dessus) ayant permis à l’ARSB d’asseoir ses décisions à l’encontre de Kentbank.

La deuxième partie des observations est consacrée au déroulement des procédures administratives.

102. Dans la troisième partie concernant le fond de l’affaire, le Gouvernement soutient qu’à la lumière des explications qui précèdent, aucune faute ni omission n’est attribuable à l’ARSB du fait de ne pas avoir été en mesure d’exécuter les jugements nos 2004/5575 et 2004/5576 du 21 juin 2004.

D’après lui, à l’époque pertinente, aucune des mesures prises et exécutées à l’encontre de Kentbank ne pouvait passer pour contraire à la loi ; si cela avait été le cas, les juridictions administratives n’auraient pas écarté les demandes de sursis à l’exécution de ces mesures formulées en leur temps par les requérants sur le terrain de l’article 27 § 2 de la loi no 2577.

103. Au demeurant, comme déjà souligné dans l’arrêt du 26 juin 2008 de l’Assemblée plénière et les jugements de la 13e chambre qui s’ensuivirent, il s’avérait impossible de rétablir la situation juridique et financière qui était celle de Kentbank antérieurement à la date de son transfert au FADE, et de restituer la banque aux requérants dans l’état où elle se trouvait à ladite date (paragraphes 59 et 62 ci-dessus).

104. A cet égard, le Gouvernement rappelle que, si, dans ses attendus, l’Assemblée plénière avait considéré que l’administration était « tenue d’assurer les conditions nécessaires pour que les intéressés puissent à nouveau exercer des activités bancaires », il n’en demeure pas moins qu’elle avait assujetti cette obligation à « l’absence d’un autre obstacle juridique quelconque » (paragraphe 59 in fine ci-dessus).

Or, juste avant cette considération, l’Assemblée plénière avait justement confirmé l’existence d’un tel obstacle juridique, lorsqu’elle avait énoncé : « il n’est pas possible de restaurer la situation juridique (...) de cette banque (...) » (paragraphe 59 in limine ci-dessus).

105. Par ailleurs, le Gouvernement attire l’attention sur le fait qu’en l’espèce la personnalité morale de Kentbank avait cessé avec sa radiation du registre de commerce (paragraphe 21 ci-dessus) ; or l’ARSB n’est pas une entité habilitée à restaurer d’office et unilatéralement la personnalité morale d’une société disparue de l’ordre juridique.

106. L’ARSB ne peut pas non plus délivrer d’office une licence d’opérations bancaires au nom d’une entité commerciale inexistante, ni restituer à ses anciens titulaires un pouvoir de gestion ou de contrôle quelconque sur une banque qui n’est plus.

Le Gouvernement répète (paragraphe 85 ci-dessus) que, dans ces circonstances, les requérants auraient dû saisir l’ARSB afin d’« obtenir la permission de fonder une banque », selon la procédure prévue aux articles 6 à 8 de la loi no 5411 sur les banques ; s’ils y étaient parvenus, ils auraient pu alors prétendre à une autorisation d’« opérer » dans le secteur bancaire, au sens de l’article 10 de ladite loi, nonobstant le fait que, naturellement, ces permissions ne sont pas délivrées automatiquement, la loi no 5411 imposant à l’ARSB d’évaluer chaque demande au cas par cas.

Faute d’une telle démarche de la part des requérants, le Gouvernement considère que l’ARSB ne saurait se voir reprocher quoi que ce soit.

107. Indépendamment de cet aspect, le Gouvernement précise qu’à la date de sa cession au FADE, le ratio actif/capital de Kentbank était de ‑56,67 %. Pour ramener ce taux au ratio légal minimum de +8 %, il aurait fallu assurer un apport de 410 trillions d’ATRL (environ 180 millions d’EUR) pour que Kentbank puisse continuer à œuvrer dans le secteur bancaire. Il s’ensuit que, dans l’hypothèse où Kentbank serait restaurée dans sa situation déficitaire antérieure à son transfert, elle n’aurait aucune possibilité de fonctionner et causerait des dégâts irrémédiables dans le secteur.

108. Dans ce même contexte, le Gouvernement fait remarquer qu’en l’espèce seule une partie des mesures litigieuses visaient la personnalité morale de Kentbank ; d’autres touchaient aux droits et intérêts de tierces personnes, telles que celles prises pour transférer les créances et les dettes échues de Kentbank au FADE lors de l’opération de liquidation/fusion. Toute tentative de renverser la situation actuelle créerait donc un chaos juridique, au mépris des principes de « stabilité de l’administration » et de « sécurité juridique administrative ».

109. En conclusion, la situation constatée dans la présente affaire n’aurait aucune commune mesure avec celle examinée dans l’arrêt Hornsby c. Grèce (paragraphe 77 ci-dessus), tout simplement parce que dans l’affaire de M. et Mme Hornsby, il y avait bel et bien une décision judiciaire susceptible d’être exécutée.

Toute comparaison avec des affaires telles que Bourdov (no 2) (précitée), Sergey Timofeyev c. Russie (no 12111/04, 2 septembre 2010) ou Zhovner c. Ukraine (no 56848/00, 29 juin 2004) serait également inadéquate, ces affaires étant toutes axées sur l’inexécution de jugements visant le versement par l’administration d’une somme précise d’argent, élément étranger au cas présent.

b) Les requérants

110. Les requérants rétorquent que des extrapolations relatives aux crises économiques qui ont touché la Turquie par le passé (paragraphe 91 ci‑dessus) ne sauraient légitimer la mainmise illégale sur Kentbank et n’ont aucun poids face au principe de prééminence du droit. Il s’agirait là au demeurant d’éléments de fait maintes fois invoqués, en vain, devant les juges administratifs, qui les ont dûment évalués puis écartés.

111. Les requérants affirment que l’argument selon lequel il serait impossible pour l’administration, en fait et en droit, de s’exécuter n’est ni plausible ni sincère, d’autant moins que les prétendus obstacles par lesquels l’ARSB a tenté de justifier sa position récalcitrante n’étaient rien d’autre que les conséquences de ses propres décisions indûment prises après la mainmise sur Kentbank.

112. A cet égard, les requérants déplorent également la lecture que le Gouvernement fait des jugements décisifs rendus en l’espèce, notamment lorsqu’il met en avant le second paragraphe de la motivation des arrêts du 26 juin 2008 de l’Assemblée plénière (paragraphes 103 et 104 ci-dessus), en faisant fi du paragraphe suivant (paragraphe 59 ci-dessus), lequel énumère justement les mesures que l’administration avait à prendre pour s’exécuter dans le respect des lois et la Constitution (paragraphe 68 ci-dessus).

113. Selon les requérants, bien que Kentbank ait fait l’objet d’une fusion avec Bayındırbank S.A. – entre-temps devenue Birleşik Fon Bankası S.A. (paragraphe 57 ci-dessus) –, il serait toujours possible de leur restituer leur patrimoine, au moyen d’une opération d’identification et de chiffrage, suivie d’une opération de scission.

Même à supposer qu’il y eût un obstacle réel, l’administration aurait dû alors proposer d’office une solution de rechange équitable, telle l’attribution de l’une des autres banques transférées au FADE ou la création d’une toute nouvelle société anonyme, en consentant, dans les deux cas, une licence pour effectuer des opérations bancaires. A défaut, les requérants estiment que l’administration aurait pu, en dernier lieu, proposer la réparation intégrale du préjudice causé en l’occurrence.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

114. La Cour réaffirme que le droit à un tribunal garanti par l’article 6 serait illusoire si l’ordre juridique interne d’un Etat contractant permettait qu’une décision judiciaire définitive et obligatoire reste inopérante au détriment d’une partie. L’exécution d’un jugement ou arrêt, de quelque juridiction que ce soit, doit donc être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l’article 6 (Hornsby, précité, § 40, Bourdov (no 2), précité, § 65, Okyay et autres c. Turquie, no 36220/97, § 72, CEDH 2005‑VII, Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, § 63, CEDH 1999‑V, et Costin c. Roumanie, no 57810/00, § 26, 26 mai 2005).

115. Ce principe revêt encore plus d’importance dans le contexte du contentieux administratif, à l’occasion d’un différend dont l’issue est déterminante pour les droits civils de l’administré. En introduisant un recours en annulation – devant, qui plus est, la plus haute juridiction administrative de l’Etat, en l’espèce –, celui-ci vise à obtenir non seulement la disparition de l’acte litigieux, mais aussi et surtout la levée de ses effets. Or la protection effective du justiciable et le rétablissement de la légalité impliquent l’obligation pour l’administration de se plier au jugement ou à l’arrêt qui sera éventuellement rendu contre elle en dernier ressort. Si l’administration refuse ou omet de s’exécuter, ou encore tarde à le faire, les garanties de l’article 6 dont a bénéficié le justiciable pendant la phase judiciaire de la procédure perdent toute raison d’être (Hornsby, précité, § 41, Okyay et autres, précité, ibidem, Niţescu c. Roumanie, no 26004/03, § 32, 24 mars 2009, Iera Moni Profitou Iliou Thiras c. Grèce, no 32259/02, § 34, 22 décembre 2005, et Costin, précité, § 27).

116. Quelle que soit la complexité de ses procédures d’exécution ou de son système administratif, l’Etat demeure tenu par la Convention de garantir à toute personne le droit à ce que les jugements obligatoires et exécutoires rendus en sa faveur soient exécutés dans un délai raisonnable. Une autorité de l’Etat ne peut pas non plus prétexter du manque de fonds ou d’autres ressources pour ne pas honorer, par exemple, une dette fondée sur une décision de justice (Bourdov (no 2), précité, § 70, et les références qui y figurent ; Société de gestion du port de Campoloro et Société fermière de Campoloro c. France, no 57516/00, § 62, 26 septembre 2006).

117. Certes, les intéressés peuvent devoir effectuer certaines démarches procédurales de manière à permettre ou à accélérer l’exécution d’un jugement. L’obligation faite aux individus de coopérer ne doit toutefois pas excéder ce qui est strictement nécessaire et, quoi qu’il en soit, elle n’exonère pas l’administration de l’obligation que fait peser sur elle la Convention d’agir de sa propre initiative et dans les délais prévus, en se fondant sur les informations à sa disposition, afin d’honorer le jugement rendu contre elle (Akachev c. Russie, no 30616/05, § 22, 12 juin 2008, Bourdov (no 2), précité, § 69, Chvedov c. Russie, no 69306/01, §§ 29-37, 20 octobre 2005, et Kosmidis et Kosmidou c. Grèce, no 32141/04, § 24, 8 novembre 2007).

118. En tout état de cause, une personne qui a obtenu un jugement contre l’Etat n’a pas à ouvrir une procédure distincte pour en obtenir l’exécution forcée : c’est au premier chef aux autorités de l’Etat qu’il incombe de garantir l’exécution d’une décision de justice rendue contre celui-ci, et ce dès la date à laquelle cette décision devient obligatoire et exécutoire. Pareil jugement doit être signifié en bonne et due forme à l’autorité concernée de l’Etat défendeur, laquelle est alors à même de faire toutes les démarches nécessaires pour s’y conformer ou pour le communiquer à une autre autorité de l’État compétente pour les questions d’exécution des décisions de justice. Il s’agit là d’un élément particulièrement important dans une situation où, du fait des complexités et du chevauchement possible des procédures de mise en œuvre volontaire ou d’exécution forcée, le justiciable peut raisonnablement être dans le doute quant au point de savoir quelle autorité est responsable en la matière (Metaxas, précité, § 19, Akachev, précité, § 21, Bourdov (no 2), précité, § 68, et Gjyli c. Albanie, no 32907/07, § 44, 29 septembre 2009).

b) Application des principes susmentionnés à la présente affaire

119. Contrairement à ce que le Gouvernement suggère (paragraphe 109 ci-dessus), la Cour doit examiner la situation dénoncée en l’espèce à la lumière des principes exposés ci-dessus, et qui, par ailleurs – il faut le préciser – cadrent parfaitement avec les principes du droit turc (paragraphes 68-72 ci-dessus).

En l’espèce, il ne prête pas à controverse que les deux jugements rendus le 21 juin 2004 par la 10e chambre du Conseil d’Etat et portant annulation des arrêtés nos 382 et 552 (paragraphes 27 et 28 ci-dessus) étaient obligatoires et exécutoires (paragraphe 116 ci-dessus), et indiquaient sans équivoque le motif des annulations prononcées, à savoir essentiellement le fait que les mesures administratives en cause n’avaient pas été prises dans un but légitime (paragraphe 24 ci-dessus).

Partant, l’argument selon lequel les actes litigieux, au moment où ils avaient été décidés, n’étaient pas contraires à la loi (paragraphe 102 in fine ci-dessus), n’a pas de poids, d’autant que ceux-ci ont été annulés ex tunc, comme étant illégitimes.

120. En outre, la Cour observe que les questions soulevées devant elle relativement aux crises économiques ayant par le passé fait rage en Turquie (paragraphe 101 ci-dessus), à l’incapacité financière d’une Kentbank ressuscitée à survivre dans le secteur bancaire actuel (paragraphe 107 ci‑dessus) et au prétendu « chaos juridique » qui pourrait survenir si l’on tentait d’inverser les opérations de fusion effectuées jusqu’à ce jour (paragraphe 108 ci-dessus) sont des éléments qui – comme les requérants le font valoir (paragraphe 110 ci-dessus) – ont déjà été discutés, sans succès, devant les juridictions administratives.

La Cour ne se penchera donc pas sur ces questions, qui ne relèvent pas du fond de l’affaire et ne peuvent être examinées, s’il y a lieu, que dans le cadre de la satisfaction équitable.

121. Face aux jugements rendus à son encontre, l’ARSB était constitutionnellement tenue de prendre toutes les mesures requises pour rétablir la situation de fait et de droit qui aurait vraisemblablement existé si Kentbank n’avait pas été illicitement transférée au FADE (paragraphe 115 ci-dessus). Or, l’ARSB n’a nullement réagi.

A cet égard, que cette entité n’ait pas sciemment cherché à entraver l’exécution desdits jugements (paragraphe 102 in limine, ci-dessus) ou qu’elle ne soit pas habilitée par la loi à « ressusciter d’office et unilatéralement une banque dissoute » (paragraphe 105 ci-dessus) n’est pas déterminant.

Même à supposer qu’en sa qualité de détenteur de la puissance publique en la matière et de débiteur de l’obligation faite par lesdits jugements, l’ARSB ne pût s’exécuter seule, rien ne l’empêchait d’honorer ses obligations en coopération avec d’autres entités habilitées à cet effet (paragraphe 118 ci-dessus), sachant qu’en tout état de cause, c’est à l’Etat turc qu’il incombait d’organiser son système interne de telle sorte que ses diverses autorités puissent s’acquitter de leurs obligations (mutatis mutandis, Bourdov (no 2), précité, § 70, Comingersoll S.A. c. Portugal [GC], no 35382/97, § 24, CEDH 2000‑IV, et Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 45, CEDH 2000‑VII).

122. Or, devant la passivité totale de l’administration, les requérants durent rappeler par écrit à l’ARSB son obligation de s’exécuter conformément aux règles de droit dont le non-respect avait entraîné les annulations en cause. Dans un premier temps, l’ARSB a prétexté de l’impossibilité tant matérielle que juridique de restaurer Kentbank dans son état antérieur à son transfert (paragraphes 53 et 54 ci-dessus) ; par la suite, saisie à nouveau par les requérants, elle demeura silencieuse et ces derniers durent introduire contre ce refus tacite une nouvelle série d’actions en annulation administratives devant la 13e chambre du Conseil d’Etat (paragraphe 55 ci-dessus).

Pour la Cour, il s’agit là d’un élément décisif au regard de l’article 6 § 1 de la Convention, dès lors qu’il n’est pas acceptable qu’un requérant ayant obtenu une décision judiciaire définitive contre l’État se voie obligé d’intenter à nouveau des actions contre l’autorité en vue d’obtenir l’exécution de l’obligation initiale (paragraphe 118 ci-dessus ; voir également S.C. Ruxandra Trading SRL c. Roumanie, no 28333/02, § 58, 12 juillet 2007).

123. La Cour ne saurait toutefois asseoir son appréciation uniquement sur cet élément, eu égard à l’argument de l’impossibilité d’exécuter tels quels ces jugements – thèse défendue par l’ARSB et que le Gouvernement reprend devant la Cour, en s’appuyant pour sa part sur les jugements de la 13e chambre du Conseil d’État (paragraphes 62 et 103 ci-dessus).

Effectivement, la Cour a déjà admis qu’il pouvait exister des circonstances qui justifient l’échec de l’exécution en nature d’une obligation imposée par une décision judiciaire définitive (voir Costin, précité, § 28, et Niţescu, précité, § 35 ; voir aussi Sabin Popescu, précité, § 72, et Ştefanescu c. Roumanie, no 9555/03, §§ 25 et 26, 11 octobre 2007). A cet égard, force est d’observer que, dans ses arrêts formels du 26 juin 2008, sur lesquels reposent les jugements de la 13e chambre (paragraphe 59 ci-dessus), l’Assemblée plénière a reconnu qu’il n’était « pas possible de restaurer la situation juridique et financière de [Kentbank] antérieure à la date [de l’arrêté portant sa cession] et de restituer celle-ci aux intéressés dans l’état où elle se trouvait à la date en question ».

En l’absence de données convaincantes qui puissent l’amener à s’écarter des constatations de fait des juges administratifs sur ce point précis (parmi d’autres, Klaas c. Allemagne, 22 septembre 1993, §§ 29 et 30, série A no 269), la Cour estime que la situation de fait ainsi décrite révèle l’existence d’une « impossibilité objective » (mutatis mutandis, S.C. Ruxandra Trading SRL, précité, § 57) ou, en d’autres termes, d’un « obstacle insurmontable » (paragraphe 72 ci-dessus) à l’exécution en nature des jugements en cause.

Le Gouvernement est donc recevable à se prévaloir d’une justification à ce titre.

124. Pour apprécier le bien-fondé de cette justification, la Cour doit donc se pencher maintenant sur l’épisode subséquent aux arrêts formels susmentionnés.

A cet égard, la Cour rappelle à titre liminaire que l’obligation d’exécuter un arrêt de justice ne se limite pas au dispositif de celui-ci : c’est simultanément le fond de l’arrêt qui doit être respecté et appliqué (Niţescu, précité, § 34, et Zazanis et autres c. Grèce, no 68138/01, § 36, 18 novembre 2004) ; en d’autres termes, il convient d’avoir égard aux motifs qui en sous‑tendent le dispositif. Dans ce contexte, si elle reconnaît qu’il ne lui appartient pas de confirmer ou d’infirmer le contenu d’une décision de justice interne, la Cour ne peut cependant se dispenser de constater la situation juridique établie entre les parties, en l’occurrence par les arrêts du 26 juin 2008 et les jugements du 6 janvier 2009 qui s’ensuivirent (par exemple, S.C. Ruxandra Trading SRL, précité, § 56, et Niţescu, précité, §§ 37 et 38).

De par la motivation sur laquelle elles sont appuyées, ces décisions de justice s’analysent en de véritables correctifs du manquement de l’administration à proposer aux requérants une solution de rechange équitable. En effet, après avoir évalué toutes les preuves présentées par les parties, les juges administratifs ont conclu qu’à défaut d’une exécution en nature, les requérants devaient pouvoir fonder une nouvelle banque opérationnelle et que les autorisations d’exploitation nécessaires à cette fin devaient leur être délivrées (paragraphe 59 ci-dessus) :

« (...) conformément à ce que le jugement d’annulation exige et à moins qu’il y ait un autre obstacle juridique quelconque, l’administration est tenue d’assurer les conditions nécessaires pour que les intéressés puissent à nouveau exercer des activités bancaires et d’autoriser ces derniers à fonder une banque qui sera habilitée à effectuer des opérations bancaires ainsi qu’à accepter des dépôts, dans le cadre des dispositions de la loi sur les banques. »

125. La Cour marque son désaccord avec l’interprétation que le Gouvernement fait de ce texte, selon laquelle la modalité d’exécution qui y est définie serait conditionnelle et ne jouerait qu’en l’absence d’obstacle juridique – le Gouvernement estimant à ce titre qu’en admettant l’impossibilité de réhabiliter Kentbank, l’Assemblée plénière aurait elle‑même confirmé l’existence d’un tel obstacle (paragraphe 104 ci‑dessus). En effet, l’impossibilité établie par l’Assemblée plénière est uniquement celle d’une restitution en nature de Kentbank (paragraphe 123 ci-dessus), et non pas celle de la solution de rechange qu’elle a elle-même retenue à la charge de l’administration.

126. Concernant justement la portée de cette solution, s’il est vrai que les juges n’ont pas ordonné expressis verbis à l’administration de créer une banque pour le compte des requérants, il n’en demeure pas moins qu’ils l’ont exhorté à « assurer » les conditions et les autorisations nécessaires pour que les intéressés puissent exercer à nouveau dans le secteur bancaire, en conformité avec les lois qui régissent la matière.

Aux yeux de la Cour, en vertu de ces jugements, les requérants étaient devenus titulaires d’une créance exigible et non d’un simple droit général à recevoir une « assistance » de l’Etat (mutatis mutandis, Bourdov, précité, § 40).

127. La Cour peut comprendre qu’une divergence d’interprétation ait pu exister jusqu’à ce jour au niveau interne quant aux possibilités et mesures à envisager dans le cadre de la règlementation bancaire pour que l’administration puisse s’exécuter dans ce sens ; il lui paraît également normal que les autorités aient pu avoir besoin d’un délai raisonnable, pour choisir les moyens les plus adéquats pour donner effet à ces derniers jugements (mutatis mutandis, Hornsby, précité, § 43).

Cependant, rien ne saurait expliquer l’absence totale d’initiative de la part de l’administration pour mettre en œuvre cette solution de rechange, l’administration n’ayant jusqu’à ce jour fait preuve d’aucune volonté ni entrepris une démarche quelconque à ce titre (paragraphe 72 in fine, ci‑dessus).

128. Il s’agit là d’un second élément, encore davantage décisif (paragraphe 122 ci-dessus).

A ce sujet, le Gouvernement avance que l’ARSB n’est pas compétente pour délivrer d’office une licence d’opérations bancaires au nom d’une entité commerciale inexistante ; par conséquent, selon lui, les requérants doivent, d’abord, saisir l’ARSB pour obtenir la permission de fonder une banque et, s’ils y parviennent, demander par la suite d’être admis au bénéfice d’une licence d’opération bancaire, étant entendu que l’octroi de ces deux permissions relève du pouvoir discrétionnaire de l’ARSB (paragraphes 99 et 106 ci-dessus).

129. La Cour en disconvient, pour les motifs suivants.

Outre la question récurrente de l’incompétence de l’ARSB à laquelle elle a déjà répondu (paragraphe 121 in fine ci-dessus), la Cour fait remarquer, en premier lieu, que les juges administratifs n’ont posé aucune condition de démarche préalable semblable à la charge des requérants, ce qui, de toute façon, serait allé bien au-delà du devoir de coopération qu’on peut faire peser sur les justiciables pour mener à bien l’exécution d’un jugement (paragraphe 117 ci-dessus).

Deuxièmement, la Cour précise que cette thèse va également à l’encontre, d’abord, des principes du droit administratif turc qui a priori prohibe toute entrave à l’exécution d’un jugement par l’assujettissement de celle-ci à une forme quelconque d’autorisation d’une entité administrative (paragraphe 71 ci-dessus) ; elle contrevient aussi à la jurisprudence établie de la Cour, selon laquelle, les actes ou omissions de l’administration qui viennent à la suite d’une décision de justice ne peuvent avoir comme conséquence ni d’empêcher l’exécution ni, encore moins, de remettre en question le fond de cette décision (voir, parmi d’autres, Niţescu, précité, § 31, et Immobiliare Saffi, précité, § 74).

Or, rendre l’exécution des jugements en question – qui puisent dans un constat d’illégalité, par manque de justification, des mesures prises par l’ARSB – tributaire de la discrétion de cette même entité est bel et bien susceptible d’entraîner une telle conséquence, au mépris de l’état de droit, fondé sur la prééminence du droit et la sécurité des rapports juridiques (mutatis mutandis, Okyay et autres, précité, § 73, et Taşkın et autres c. Turquie, no 46117/99, § 136, CEDH 2004‑X). Cela équivaudrait à priver ces jugements de tout effet utile, l’ARSB devenant, dans cette hypothèse, à même d’en apprécier la pertinence et de remettre ainsi en question le fond de la chose jugée.

130. A ces considérations objectives s’ajoute une observation subjective par rapport à la conduite antérieure de l’ARSB. Il faut se rappeler la position récalcitrante de cette entité face à son obligation d’honorer les deux séries de jugements rendus à son encontre (paragraphes 27, 28 et 59-62 ci-dessus) ainsi que de sa persistance à ne pas répondre aux demandes répétées des requérants (paragraphes 52 et 55 ci-dessus). Partant, la Cour ne voit pas comment les requérants peuvent raisonnablement escompter qu’une démarche officielle auprès de cette entité puisse par elle-même prospérer (mutatis mutandis, Hornsby, précité, ibidem), sans une volonté franche de l’Etat défendeur d’user de toutes les voies ouvertes en droit national pour assurer l’exécution des jugements rendus et ainsi empêcher que la Convention ne soit méconnue (voir, mutatis mutandis, Bourdov (no 2), précité, § 98, et Metaxas, précité, §§ 21-22).

Or, une telle volonté ne transparaît guère de la position adoptée jusqu’à ce jour par l’administration au niveau national ni de l’argumentation ferme du Gouvernement devant la Cour.

131. En bref, les requérants n’avaient pas à faire d’autres diligences, notamment auprès de l’ARSB, afin de bénéficier de la solution de rechange que la justice administrative a dû imposer à l’administration qui n’avait pas été en mesure de le faire d’office.

Aussi la Cour écarte-t-elle l’exception y afférente du Gouvernement, en tant qu’elle porte sur l’article 6 § 1 (paragraphe 99 ci-dessus).

132. Reste l’ultime question de savoir quel impact pourrait avoir la remarque de l’Assemblée plénière selon laquelle il n’était pas exclu qu’un autre « obstacle juridique » puisse entraver l’exécution de ses arrêts (paragraphe 124 in fine, ci-dessus). Aussi importante soit-elle, la Cour n’a pas à spéculer sur cette question, qui n’entrerait en compte que si l’État défendeur avait décidé de mettre en branle ses procédures pour s’exécuter. Toutefois, une chose demeure certaine : en vertu de la Convention et du droit turc, l’administration ne peut avoir une totale latitude pour exciper d’un tel « obstacle juridique » sans prouver qu’il est objectif et réellement insurmontable (paragraphe 123 ci-dessus).

Pour la Cour, en l’état actuel des choses, cette question ne relève donc pas non plus du fond de la présente affaire et ne saurait être considérée, le cas échéant, que dans le cadre de l’article 41.

133. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut qu’en s’abstenant jusqu’à ce jour de prendre les mesures nécessaires pour assurer l’exécution des jugements administratifs définitifs et exécutoires rendus à son encontre, l’Etat défendeur a méconnu le droit des requérants à un tribunal et a ainsi privé les dispositions l’article 6 § 1 de la Convention de tout effet utile.

Par conséquent, il y a eu violation de cet article.

B. Quant à la violation alléguée de l’article 1 du Protocole no 1

1. Thèses des parties

a) Les requérants

134. Les requérants réitèrent leur argumentation sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention (paragraphes 110-113 ci-dessus), laquelle vaudrait également pour cette partie de la requête, et rappellent que la cession litigieuse leur a fait perdre leurs parts sociales dans Kentbank et, de ce fait, les a privé de la jouissance des droits correspondants. Selon eux, le droit patrimonial en jeu en l’espèce correspond toujours à l’ensemble des « biens » dont ils devaient continuer à jouir en vertu de leurs droits d’actionnariat, si ceux-ci n’avaient pas été illégalement cédés au FADE (paragraphes 12 et 66 ci-dessous).

135. A ce sujet, les requérants font remarquer que d’après une expertise qu’ils ont obtenue de la 3e chambre du tribunal d’instance de Şişli, à l’issue de l’action en constatation introduite le 19 juillet 2004, la valeur des fonds propres de Kentbank, à la date de la mainmise par le FADE, était évaluée à 480 000 000 dollars américains (USD), somme qui attendrait environ 2 000 000 000 USD si l’on tenait compte des intérêts à échoir et des créances à recouvrer.

L’objet de leur grief tiré d’une méconnaissance de leur droit au respect des biens serait donc la restitution intégrale de ce patrimoine.

b) Le Gouvernement

136. Le Gouvernement, se référant à l’arrêt Družstevní záložna Pria et autres c. République tchèque (no 72034/01, 31 juillet 2008), réaffirme que la procédure de cession de Kentbank au FADE, comme celle d’autres banques, s’était déroulée en toute conformité avec les lois et les règlementations régissant à l’époque des faits le secteur bancaire (paragraphe 92 ci-dessus).

Il fait remarquer qu’après la cession, le FADE a dû financer 1 088 823 521 USD pour sauvegarder les droits des épargnants et maintenir la stabilité financière de la banque.

L’État ayant ainsi tout fait pour couvrir les pertes et les responsabilités de Kentbank, aucune violation d’un droit quelconque au respect des biens ne saurait donc être alléguée en l’espèce.

137. Outre cet aspect, l’estimation selon laquelle, à la date de son transfert, Kentbank aurait représenté une valeur patrimoniale de 480 000 000 USD, serait fallacieuse.

A cette date en effet, le ratio actif/capital de Kentbank était de –56,67 % et son déficit s’élevait à plus de 784 trillions d’ATRL, alors que ses fonds propres se chiffraient à environ 79 trillions d’ATRL, soit dix fois moins que ses dettes. A la suite de son transfert au FADE, il s’est avéré que la perte globale de la banque atteignait les 905 trillions d’ATRL (soit environ 680 750 000 USD), dette que le FADE a dû intégralement endosser.

A cet égard, le Gouvernement précise que les indications et chiffres qu’il présente sont réels et n’ont jamais été remis en cause par les tribunaux administratifs. En revanche, l’expertise que les requérants font valoir aurait été obtenue à l’issue d’une action en constatation de preuve introduite ex parte devant la 3e chambre du tribunal d’instance de Şişli (paragraphe 103 ci-dessus) et à laquelle l’ARSB n’a jamais été associée. Pareille expertise, obtenue à l’insu de l’administration et effectuée par des personnes et pour des motivations qu’on ignore, n’aurait aucune valeur probante pour l’examen du cas présent.

138. Selon le Gouvernement, les requérants n’auraient en réalité subi aucune perte, en particulier s’agissant de l’aliénation gratuite de leur part sociale au FADE. A cet égard, il explique que pour revendiquer une compensation en raison de la cession de telles actions, il faudrait avant tout que les actions en question eussent possédé une valeur nette positive.

En effet, d’après l’article 14 de l’ancienne loi no 4389, lorsqu’une banque était transférée au FADE, celui-ci était habilité – dans certaines conditions – à en endosser la perte en capital propre et, ensuite, à racheter les parts de société des actionnaires, après déduction du montant de la perte endossée. En d’autres termes, si après ces opérations les actions de la banque transférée présentaient toujours une valeur positive, le FADE devait alors acheter ces actions moyennant leur prix réel. En revanche, si la valeur était égale à zéro ou négative, les actions étaient cédées au FADE sans aucune contrepartie.

139. En l’espèce, le FADE avait versé 50 trillions d’ATRL pour combler le déficit en capital propre de Kentbank et, par conséquent, les parts de société avaient été automatiquement réinscrites à son nom, à titre gratuit. Cette mutation de propriété étant totalement régulière, aucun droit de propriété des requérants ne peut avoir été violé de ce fait ; autrement dit, compte tenu de l’interdiction de l’enrichissement sans cause, les requérants n’avaient aucun droit à une compensation, car la valeur de leurs parts sociales était négative.

En bref, c’est ce financement de 50 trillions d’ATRL effectué après le transfert de Kentbank qui est à l’origine de l’aliénation des actions des requérants au FADE, pas l’arrêté no 382 du 9 juillet 2001 qui, en soi, ne concernait que la décision de transférer.

En conséquence, nulle « privation de propriété » au sens de la deuxième phrase de l’article 1 § 1 du Protocole no 1 n’entrerait en jeu dans la présente affaire à raison de l’arrêté no 382.

140. Selon le Gouvernement, si la Cour venait à considérer que l’affaire la met essentiellement en présence d’une question de « règlementation de l’usage des biens », au sens du second paragraphe de cette disposition, force serait alors d’admettre que l’ingérence subie par les requérants était légale, légitime et proportionnée, pour les motifs suivants :

– toutes les mesures prises par l’ARSB cadraient avec l’article 14 de la loi no 4389 en vigueur à l’époque et dont les tenants et aboutissants étaient parfaitement accessibles, précis et prévisibles pour les dirigeants de Kentbank, ce qui ressort d’ailleurs des écrits qu’ils avaient échangés justement à ce sujet avec l’administration ;

– ces mesures avaient pour but, entre autres, de protéger les droits des épargnants contre la menace engendrée par l’escalade des crises bancaires survenues en 2001 et 2002 (paragraphe 91 ci-dessus) ;

– comme il a été déjà expliqué précédemment (paragraphe 108 ci‑dessus), les requérants n’ont, de fait, subi aucune perte réelle, et bénéficié de conditions avantageuses pour rembourser les dettes de filiales du holding (paragraphe 51 ci-dessus), de sorte qu’ils ne peuvent prétendre avoir subi une charge excessive ou disproportionnée.

141. En ce qui concerne les arguments tirés de l’inexécution des jugements de la 13e chambre, le Gouvernement affirme que les requérants versent dans l’erreur lorsqu’ils interprètent ces décisions comme si elles enjoignaient à l’administration de restaurer leurs droits de propriété. En fait, ce à quoi l’ARSB était tenue en vertu de ces jugements se résumait à permettre aux requérants de fonder une banque, conformément à la loi no 5411, à moins qu’il y ait un obstacle à cela. Or, les requérants n’ayant entrepris aucune démarche à cette fin, l’ARSB n’a jamais été mise à même d’apprécier s’il y avait ou non un tel obstacle légal (paragraphes 85 et 107 ci-dessus).

Les intéressés ne sauraient se retrancher derrière leur propre omission pour justifier un dommage quelconque à ce titre.

2. Appréciation de la Cour

142. L’article 1 du Protocole no 1 protège des « biens », notion qui peut recouvrir tant des « biens actuels » que des valeurs patrimoniales, y compris des créances, en vertu desquelles le requérant peut prétendre avoir au moins une « espérance légitime » d’obtenir la jouissance effective d’un droit de propriété. Par contre, il ne garantit pas un droit à acquérir des biens (Kopecký c. Slovaquie [GC], no 44912/98, § 35, CEDH 2004-IX).

Dans ce contexte, la Cour estime devoir distinguer deux épisodes de fait.

a) La situation à la suite de l’intervention de l’ARSB

143. En l’espèce, quelles que soient les difficultés financières ou les irrégularités de gestion qui ont pu l’entourer avant son transfert au FADE, nul ne conteste que Kentbank avait exercé jusqu’alors dans le secteur bancaire, par le truchement de 93 succursales et d’un personnel d’environ 2000 personnes (paragraphe 12 ci-dessus) ; outre le fait qu’elle était sans guère de doute possible devenue propriétaire de biens meubles et immeubles, Kentbank disposait forcément des licences d’établissement et d’exploitation bancaires (voir, par exemple, Capital Bank AD, précité, § 130, Megadat.com SRL c. Moldova, no 21151/04, §§ 62-63, CEDH 2008, Bimer S.A. c. Moldova, no 15084/03, § 49, 10 juillet 2007, Rosenzweig et Bonded Warehouses Ltd c. Pologne, no 51728/99, § 49, 28 juillet 2005, et Tre Traktörer AB c. Suède, 7 juillet 1989, § 53, série A no 159) et d’une certaine clientèle (voir, par exemple, Buzescu c. Roumanie, no 61302/00, § 81, 24 mai 2005, Wendenburg et autres c. Allemagne (déc.), no 71630/01, CEDH 2003‑II (extraits), et Van Marle et autres c. Pays-Bas, 26 juin 1986, § 41, série A no 101), également constitutifs d’actifs, donc de « biens », au sens de l’article 1 du Protocole no 1.

144. Les mesures prises par l’ARSB ont eu pour conséquence de priver les requérants des droits patrimoniaux, tant corporels qu’incorporels, liés à l’exploitation de leur ancienne banque. A cet égard, la Cour considère que la perte des licences en cause se trouve au cœur du problème, étant entendu que celles-ci sont la condition sine qua non pour œuvrer dans le secteur bancaire et que leur retrait a ipso jure justifié la liquidation de l’établissement, puis la disparition de sa personnalité morale (pour une situation comparable, Capital Bank AD précité, § 131 et les références qui y sont faites).

Il s’ensuit que les mesures litigieuses ont constitué une ingérence dans la jouissance du droit au respect des biens des requérants et que, par conséquent, l’article 1 du Protocole no 1 s’applique.

145. Quant à savoir par quelle norme cette situation est couverte, la Cour rappelle que l’article 1 du Protocole no 1 contient trois normes distinctes : « la première, qui s’exprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux Etats le pouvoir, entre autres, de réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général. Il ne s’agit pas pour autant de règles dépourvues de rapport entre elles. La deuxième et la troisième ont trait à des exemples particuliers d’atteintes au droit de propriété ; dès lors, elles doivent s’interpréter à la lumière du principe consacré par la première » (voir, entre autres, Jahn et autres c. Allemagne [GC], nos 46720/99, 72203/01 et 72552/01, § 78, CEDH 2005‑VI, et les références qui y figurent, et Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie, no 31524/96, § 51, CEDH 2000‑VI)

146. A la lumière de ce qui précède et se devant de regarder au-delà des apparences et d’analyser la réalité de la situation litigieuse (parmi d’autres, Belvedere Alberghiera S.r.l., précité, § 53), la Cour ne saurait nier qu’à l’origine, les mesures prises par l’ARSB relevaient bien de son pouvoir de contrôle sur le secteur bancaire turc et de sa mission d’assurer le bon fonctionnement de celui-ci.

Aussi la Cour estime-t-elle pouvoir conclure que, dans les circonstances très particulières du cas présent, la situation incriminée relevait de la réglementation de l’usage des biens, au sens du second paragraphe de l’article 1 du Protocole no 1 (Capital Bank AD, précité, ibidem, Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi c. Irlande [GC], no 45036/98, § 142, CEDH 2005‑VI, et AGOSI c. Royaume-Uni, 24 octobre 1986, § 108, série A no 108).

147. Ce faisant, la Cour ne vise aucunement à faire abstraction de la dépossession de biens subie par les requérants, car, contrairement à ce que le Gouvernement affirme (paragraphe 139 in fine, ci-dessus), il y a bien eu en l’espèce « privation de propriété » au sens de la seconde phrase du premier alinéa, ne serait-ce que du fait de la mainmise sur les biens immeubles de Kentbank. Cependant, il n’est pas opportun de se placer sous cet angle précis, car, même dans cette hypothèse, l’examen déterminant resterait toujours axé sur le deuxième paragraphe de l’article 1 du Protocole no 1 (Frizen c. Russie, no 58254/00, § 31, 24 mars 2005, et Sud Fondi srl et autres c. Italie, no 75909/01, § 129, 20 janvier 2009).

148. La Cour doit maintenant se pencher sur la position du Gouvernement, qui soutient que cette l’ingérence était légale, légitime et proportionnée, et réitère son argument selon lequel les actes litigieux, au moment où ils avaient été décidés, étaient conformes à la loi (paragraphes 136 et 140 ci-dessus).

Pour répondre à cette objection, il suffit de rappeler derechef les jugements par lesquels la 10e chambre du Conseil d’Etat a annulé, pour cause d’illégalité, les mesures adoptées par l’ARSB, et de noter que cette annulation avait effet ex tunc (paragraphes 24 et 119 ci-dessus).

Que cette illégalité existât dès le début de l’opération menée par l’ARSB ou qu’elle soit survenue par la suite n’a aucune incidence, l’ingérence dont il s’agit étant réputée illégale avec effet rétroactif et, du même coup, non conforme à l’article 1 du Protocole no 1, sachant que cette disposition exige, avant tout et surtout, qu’une ingérence de l’autorité publique dans la jouissance du droit en jeu soit légale (Iatridis, précité, § 58).

149. Parvenue à cette conclusion, la Cour n’a pas à examiner l’ensemble des arguments du Gouvernement concernant la valeur patrimoniale dépréciée de Kentbank et/ou l’absence de perte réelle subie par les requérants (paragraphes 136 in fine, 137 et 138 in limine, ci-dessus) : à supposer même qu’il y ait eu absence de préjudice – ce que la Cour trouve loin d’être établi –, il convient de rappeler qu’une violation de la Convention se conçoit même en l’absence de préjudice, question qui n’entre en jeu – le cas échéant – que sur le terrain de l’article 41 (Ilhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 52, CEDH 2000-VII, Jorge Nina Jorge et autres c. Portugal, no 52662/99, § 39, 19 février 2004, et Guerrera et Fusco c. Italie, no 40601/98, § 53, 3 avril 2003).

150. Cette même conclusion dispense également la Cour de rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits individuels (Belvedere Alberghiera S.r.l., précité, § 62, Sud Fondi srl et autres, précité, §§ 137 et 138, Iatridis, précité, § 62, et Carbonara et Ventura c. Italie, no 24638/94, § 62, CEDH 2000-VI).

151. En bref, il y a eu violation de cette disposition, à raison des mesures prises par l’administration à l’encontre de Kentbank.

b) La situation à la suite des jugements administratifs rendus en l’espèce

152. La Cour a déjà précisé que la seconde série de jugements administratifs rendus en faveur des requérants imposaient à l’administration l’obligation d’« assurer » les conditions et les autorisations nécessaires pour qu’ils puissent à nouveau exploiter une banque, et que, dans ce contexte, les intéressés étaient devenus titulaires, non pas d’un simple droit général à recevoir une « assistance » de l’Etat, mais d’une forme de créance suffisamment établie pour être exigible et constituer un « bien », au sens de l’article 1 du Protocole no 1 (paragraphe 126 in fine, ci-dessus).

153. Or, la persistance de l’administration à ne pas se conformer auxdits jugements a ruiné, jusqu’à ce jour, les espérances légitimes des requérants d’opérer à nouveau dans le secteur bancaire et a ainsi porté atteinte à leur droit au respect de leurs biens.

154. Par ailleurs, pour les mêmes motifs qu’elle a retenus précédemment au regard de l’article 6 § 1 de la Convention (paragraphes 119-133 ci-dessus), la Cour estime que l’exception et les arguments du Gouvernement tirés de l’absence d’un recours préalable devant l’ARSB doivent être écartés également au regard de l’article 1 du Protocole no 1 (paragraphes 99, 131 et 141 ci-dessus).

155. Au regard des considérations qui précèdent, et ayant toujours à l’esprit le principe de la prééminence du droit dans une société démocratique, la Cour conclut qu’il y a également eu violation de cette dernière disposition du fait de l’inexécution des jugements en cause en l’espèce.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

156. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

1. Dommage matériel

a) Les requérants

157. Dans leur mémoire du 29 juin 2011, concernant l’application de l’article 41 de la Convention, les requérants ont fait valoir des prétentions qui se sont substituées à celles, en partie différentes, qui figuraient dans leur mémoire ampliatif du 13 mai 2005.

158. Les requérants, renvoyant à la jurisprudence de la Cour (Fener Rum Patrikliği (Patriarcat œcuménique) c. Turquie (satisfaction équitable), no 14340/05, §§ 26 et 27, 15 juin 2010, Brumărescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 20, CEDH 2001‑I, et Papamichalopoulos et autres c. Grèce (article 50), 31 octobre 1995, § 34, série A no 330‑B), demandent à être replacés dans la situation juridique antérieure à l’arrêté no 382 annulé par les juridictions internes.

159. A cette fin, à titre principal, ils prient la Cour de dire que leur rétablissement effectif dans leurs droits suppose que :

– Kentbank, dont l’existence juridique continue depuis le 7 décembre 2005 au sein de Birleşik Fon Bankası S.A., qui a succédé à Bayındırbank S.A. (paragraphe 57 ci-dessus), leur soit restituée aux termes d’un bilan à dresser par rapport à la situation existant au 31 mars 2011 ;

– une licence permettant d’exercer de nouveau une activité bancaire en Turquie leur soit délivrée ;

– un montant de 1 898 591 000 USD leur soit versé au titre du dommage matériel (cette prétention n’est pas détaillée).

160. A défaut d’une restitutio in integrum dans les termes ci-dessus, les intéressés demandent, à titre subsidiaire, un dédommagement intégral du préjudice matériel subi en l’espèce par la société requérante (autrefois Süzer Holding S.A. – paragraphe 5 ci-dessus), à travers ses filiales, en raison de la perte de Kentbank par le holding.

A cet égard, ils se réfèrent au rapport d’expertise délivré par la 3e chambre du tribunal d’instance de Şişli (paragraphe 103 ci-dessus). Selon ce rapport, la cession de Kentbank aurait été à l’origine de pertes considérables pour les treize autres filiales du holding[6].

Toujours dans ce rapport, la valeur vénale de Kentbank, au 31 décembre 2003, était estimée à une somme variant – selon le critère retenu – entre 629 908 269 USD et 870 999 493 USD. Et le manque à gagner total des filiales du holding, pour la période 2001-2003, s’élevait à 628 906 358 USD, y compris les intérêts.

Les requérants affirment que, si on actualisait ces chiffres par rapport au 31 décembre 2010, la perte totale des filiales du groupe se chiffrerait à 1 081 255 484 USD et la valeur vénale présumée de Kentbank, à 1 192 782 657 USD.

161. Pour les requérants, il faudrait réviser encore à la hausse cette dernière somme, en prenant pour comparatif les capitaux propres, les bilans et le nombre de succursales des banques actuellement actives dans le secteur. Dans ce cas, la valeur de Kentbank approcherait les 2 747 254 000 USD.

Enfin, si on se réfère au prix de vente des trois banques (Denizbank, Finansbank et ING Bank) qui étaient actives à la même époque que Kentbank, force serait d’admettre que cette dernière aurait pu trouver acheteur au prix de 3 051 498 000 USD.

162. A partir de leurs propres calculs, les requérants concluent donc qu’une indemnisation intégrale au titre de l’article 41 devrait comprendre :

– 3 051 498 000 USD, correspondant à la valeur vénale estimée de Kentbank, plus

– 1 081 255 484 USD, correspondant au manque à gagner subi par la société requérante (paragraphe 160 in fine, ci-dessus),

soit 4 132 753 484 USD au total.

b) Le Gouvernement

163. Le Gouvernement renvoie à ses explications concernant le tableau financier que Kentbank présentait à l’époque des faits et répète que ce tableau n’a jamais été remis en question par les tribunaux administratifs qui n’auraient d’ailleurs sanctionné que le caractère précipité des démarches de l’ARSB dans le processus de transfert, mais aucunement la nécessité de cette mesure, laquelle aurait tôt ou tard été inévitable.

Aux yeux du Gouvernement, il ressort de leurs décisions que les tribunaux ont acquiescé aux évaluations financières alarmantes de l’ARSB concernant Kentbank ; aussi les requérants sont-ils malvenus à arguer d’une solidité économique quelconque de leur ancienne banque.

164. En ce qui concerne les montants réclamés à titre de dédommagement intégral, le Gouvernement souligne encore une fois qu’à l’époque pertinente, Kentbank ne disposait pas de la structure financière requise pour opérer dans le secteur bancaire, sachant qu’alors sa perte en capital propre s’élevait à 832 milliards d’ATRL et qu’il lui fallait un apport de 410 trillions d’ATRL (paragraphe 107 ci-dessus) pour équilibrer sa balance.

165. Quant à l’expertise présentée à cet égard par les requérants, le Gouvernement en dénie la pertinence, étant donné qu’elle utilise comme critère de comparaison la situation de banques ayant eu un fonctionnement sain (dans les années 2001-2003), ce qui l’entacherait inévitablement d’erreurs et d’approximations grossières. Les chiffres qui ressortent de cette expertise ne reflètent ni la réalité ni l’extrême complexité inhérente à ce type de calculs.

Le Gouvernement en veut pour preuve le cas d’une autre banque fusionnée, à savoir Sümerbank S.A., dont les actifs se montaient initialement à 2 000 trillions d’ATRL : après avoir été réhabilitée par le FADE, cette banque a dû être vendue le 9 août 2001 pour la somme modique de 50 milliards d’ATRL.

Le Gouvernement réaffirme donc qu’au 30 juin 2001, Kentbank n’avait aucune valeur marchande et qu’aucune réparation au titre du dommage matériel ne s’impose en l’espèce.

c) Appréciation de la Cour

166. La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’Etat défendeur l’obligation juridique de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000‑XI, Metaxas, précité, § 35, Niţescu, précité, § 46, et Terazzi S.r.l. c. Italie (satisfaction équitable), no 27265/95, § 27, 26 octobre 2004).

Les Etats contractants parties à une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt de la Cour constatant une violation. Ce pouvoir d’appréciation quant aux modalités d’exécution d’un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l’obligation primordiale imposée par la Convention aux Etats contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis (article 1). Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l’Etat défendeur de la réaliser, la Cour n’ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l’accomplir elle-même (Guiso-Gallisay c. Italie [GC], no 58858/00, § 90, 22 décembre 2009, et Di Belmonte c. Italie (no 1), no 72638/01, § 54, 16 mars 2010) ; si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de la violation, l’article 41 habilite la Cour à accorder, s’il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée (Sud Fondi srl et autres c. Italie (satisfaction équitable), no 75909/01, § 53, 10 mai 2012, et Brumărescu (satisfaction équitable), précité, § 20).

167. Dans la présente affaire, la Cour a conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1, en raison de l’inexécution par l’administration de jugements définitifs en faveur des requérants (paragraphe 133 et 155 ci-dessus) ainsi qu’à une seconde violation de cette dernière disposition, parce que les mesures privatives de la propriété, imposées en l’espèce, ne satisfaisaient pas à la condition de légalité (paragraphe 151 ci-dessus).

A la lumière des motifs qui ont conduit à ces constats, la Cour répète qu’elle ne saurait retenir l’argument récurrent du Gouvernement concernant l’engagement indispensable de nouvelles démarches auprès de l’ARSB afin d’obtenir les autorisations d’établissement et d’exploitation bancaires (paragraphes 131, 154 et 164 ci-dessus).

168. Eu égard aux deux premières violations établies et compte tenu des circonstances très particulières de l’espèce, dont l’impossibilité avérée de restituer Kentbank dans son état antérieur à son transfert au FADE, la Cour estime que l’exécution intégrale des jugements de la 13e chambre du Conseil d’Etat, calqués sur les arrêts formels du 26 juin 2008 de l’Assemblée plénière (paragraphes 59, 62 et 123-127 ci-dessus), pourrait placer les requérants dans une situation équivalant en partie à celle où ces derniers se trouveraient si les exigences de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 n’avaient pas été méconnues (voir par exemple Niţescu, précité, § 48). Dans ce contexte, il incombe à l’Etat défendeur de s’employer, tout d’abord, pour faire en sorte que les requérants soient à nouveau admis au bénéfice des autorisations nécessaires pour opérer dans le secteur bancaire turc.

Mais l’appréciation de la Cour ne saurait s’arrêter à cette perspective, qui n’offrirait qu’un redressement partiel.

169. Pour ce qui est du second constat de violation de l’article 1 du Protocole no 1, la Cour rappelle que l’acte de l’Etat défendeur tenu pour contraire à la Convention n’était, en l’espèce, pas une forme d’expropriation formelle ou indirecte à laquelle n’aurait manqué, pour être légitime, que le paiement d’une indemnité adéquate (Belvedere Alberghiera S.r.l., précité, § 68 ; voir, a contrario, Ex-roi de Grèce et autres c. Grèce [GC] (satisfaction équitable), no 25701/94, § 78, 28 novembre 2002, Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, §§ 99-104, CEDH 2006-V, et Guiso‑Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, §§ 102 et 103, 22 décembre 2009).

Il s’agissait en l’occurrence d’une série de mesures, comprenant des mainmises illégales en leurs motifs, sinon arbitraires, ayant frappé Kentbank, donc les biens des requérants (Carbonara et Ventura c. Italie (satisfaction équitable), no 24638/94, § 36, 11 décembre 2003). Le caractère illégitime de cette situation se répercute par la force des choses sur les critères à employer pour déterminer la réparation due par l’État défendeur (Terazzi, précité, § 32, et Sovtransavto Holding c. Ukraine (satisfaction équitable), no 48553/99, § 55, 2 octobre 2003). Aussi la Cour estime-t-elle que la nature de la violation dont il s’agit lui permet de partir du principe d’une restitutio in integrum.

170. A cet égard, il y a lieu de rappeler les principes que la Cour a repris de la jurisprudence de la Cour permanente de justice internationale, notamment de son arrêt du 13 septembre 1928, rendu dans l’affaire relative à l’usine de Chorzów (Recueil des arrêts de la CPJI, série A no 17). Quoiqu’ils concernent spécialement l’expropriation d’entreprises industrielles et commerciales, ces principes restent valables pour le domaine bancaire (mutatis mutandis, Sud Fondi srl et autres (satisfaction équitable), précité, § 54) et sont les suivants :

« (...) la réparation doit, autant que possible, effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis. Restitution en nature, ou, si elle n’est pas possible, paiement d’une somme correspondant à la valeur qu’aurait la restitution en nature; allocation, s’il y a lieu, de dommages-intérêts pour les pertes subies et qui ne seraient pas couvertes par la restitution en nature ou le paiement qui en prend la place; tels sont les principes desquels doit s’inspirer la détermination du montant de l’indemnité due à cause d’un fait contraire au droit international. »

171. Il s’ensuit qu’à défaut d’une restitution en nature de Kentbank, l’indemnisation à fixer en l’espèce doit refléter l’idée d’un effacement total des conséquences de la mesure litigieuse (Belvedere Alberghiera S.r.l. c. Italie (satisfaction équitable), no 31524/96, §§ 34-36, 30 octobre 2003, et Scordino c. Italie (no 1), précité, § 250).

A cet égard, la valeur à retenir devrait naturellement correspondre à celle qu’aurait eu la restitution en nature de Kentbank, en incluant le cas échéant la valeur des licences et autorisations bancaires litigieuses si d’aventure l’État omettait ou se trouvait dans l’impossibilité de les délivrer de nouveau en raison d’un « obstacle juridique » insurmontable (paragraphes 132 et 168 ci-dessus).

172. En revanche, la Cour est d’un avis différent quant à l’octroi de dommages-intérêts au titre du manque à gagner (paragraphes 160 et 162 ci‑dessus). A ce sujet, la Cour souligne que si la règle de l’épuisement des voies de recours internes ne vaut pas dans le domaine de l’article 41 (Bozano c. France, 18 décembre 1986, § 66, série A no 111, et Guzzardi c. Italie, 6 novembre 1980, § 113, série A no 39), il n’en demeure pas moins que les prétentions en question n’ont pas été constatées et liquidées par une décision judiciaire ayant force de chose jugée, alors qu’il n’est pas exclu que le droit turc permette d’effacer, en partie, les conséquences matérielles des violations constatées ; à défaut d’avoir revendiqué ces sommes devant les juridictions administratives – en vertu, entre autres, des voies offertes par la loi no 2577 –, les requérants ne peuvent les réclamer pour la première fois devant la Cour, au titre du dommage matériel (pour une situation comparable, voir Union des cliniques privées de Grèce et autres c. Grèce, no 6036/07, § 58, 15 octobre 2009, et, mutatis mutandis, Lo Tufo c. Italie, no 64663/01, §§ 67-69, CEDH 2005‑III).

Dès lors cette partie de la demande doit être écartée.

173. Revenant sur la valeur pécuniaire qui pourrait être substituée à une restitution en nature, la Cour reconnaît que, de par leur complexité, les éléments de la présente affaire ne permettent guère une évaluation précise du préjudice engendré par l’absence d’une telle restitution. Dès lors qu’il faudrait tenir compte de la conjoncture économique ayant régné à l’époque des faits, de la balance des comptes (à ce sujet, voir Société Anonyme Thaleia Karydi Axte c. Grèce (satisfaction équitable), no 44769/07, § 17 et 18, 10 février 2011) et du patrimoine existant de Kentbank au moment de son transfert au FADE (paragraphes 120, 132, 149, 163 et 164 ci-dessus), le type de préjudice dont il est question présente un caractère intrinsèquement aléatoire, ce qui rend presque impossible un calcul précis des sommes nécessaires à sa réparation (Terazzi, précité, § 35, Smith et Grady c. Royaume-Uni (satisfaction équitable), nos 33985/96 et 33986/96, § 18, CEDH 2000‑IX, Lallement c. France (satisfaction équitable), no 46044/99, § 16, 12 juin 2003, et Sporrong et Lönnroth c. Suède (article 50), 18 décembre 1984, § 32, série A no 88).

174. En l’état actuel du dossier, la Cour n’est pas en mesure de procéder à l’évaluation requise en l’espèce, laquelle serait forcément faite, le moment venu, en prenant comme point de départ la valeur probable des anciens biens corporels et incorporels de Kentbank et du reliquat qui pourrait être identifié après la clôture et l’arrêté des derniers comptes, en l’occurrence du compte de tutelle de Kentbank, et ce, le cas échéant, à la lumière des expertises que les parties pourraient être appelées à lui présenter.

175. Au vu de ces éléments, la Cour considère que la question de la satisfaction équitable ne se trouve pas suffisamment en état ; encore convient-il par ailleurs d’envisager l’éventualité que l’État défendeur et les requérants trouvent une forme de réparation au niveau national. A ce sujet, il est vrai que celui-ci demeure libre de choisir les moyens dont il usera pour se conformer au présent arrêt, la Cour n’ayant pas à rendre de directive ni d’arrêt « déclaratoire » en la matière (Akdivar et autres c. Turquie (article 50), 1er avril 1998, § 47, Recueil 1998‑II). Il est néanmoins clair que la meilleure forme de réparation dans cette affaire consisterait en définitive dans l’octroi aux requérants des autorisations bancaires requises (paragraphe 169 ci-dessus) et, le cas échéant, d’une indemnité pour le préjudice éventuellement subi du fait de la mainmise opérée sur les biens de Kentbank, abstraction faite de la question du manque à gagner (paragraphes 173 et 174 ci-dessus).

176. Persuadée qu’il s’agit là d’une situation – aussi complexe soit-elle – qui se prête parfaitement à un règlement amiable et prenant en compte l’éventualité d’un accord entre les parties à cet effet (article 75 §§ 1 et 4 du règlement), la Cour décide de réserver en partie (paragraphe 172 ci-dessus) la question de l’application de l’article 41 quant à la réparation du dommage matériel et de fixer la procédure ultérieure.

2. Dommage moral

a) Les requérants

177. Dans leur mémoire susmentionné du 29 juin 2011 (paragraphe 112 ci-dessus), les requérants dénoncent des atteintes graves à leur personnalité – respectivement morale et physique – causées par l’intransigeance continue des autorités, accompagnée d’un harcèlement procédural et d’une campagne de dénigrement par voie de presse durant depuis dix ans et appuyée par des déclarations hostiles des plus hauts responsables du Gouvernement.

A cet égard, ils déclarent qu’aux fins de la réparation du préjudice moral subi par le requérant M. Mustafa Süzer, il suffirait que le Gouvernement « présente une excuse officielle à l’endroit de sa famille » et « mette un terme au mauvais traitement qui transparaît des plaintes et reproches mal fondés qu’il instrumentalise à travers le procès pénal [en cours en l’espèce], afin de maintenir M. Süzer sous pression morale. »

b) Le Gouvernement

178. Le Gouvernement conteste vivement cette demande qui, selon lui, insinue l’existence d’une volonté de sa part d’abuser de la justice pénale pour faire pression sur un requérant. Il souligne qu’aucune corrélation de ce genre ne saurait être suggérée ni permise entre les questions de contentieux administratif actuellement en cours d’examen devant la Cour et ce procès pénal qui, au demeurant, repose sur des accusations graves et dûment étudiées par le parquet compétent, et qui mettent en cause, non seulement le requérant, mais une trentaine d’autres individus impliqués dans la gestion et les opérations de Kentbank.

c) Appréciation de la Cour

179. La Cour rappelle que la Convention ne l’habilite pas à accueillir de telles demandes (paragraphe 166 ci-dessus), ni à donner à l’Etat défendeur des directives dans le sens souhaité par les requérants (voir, mutatis mutandis, Oberschlick c. Autriche (no 1), 23 mai 1991, § 65, série A no 204 ; Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 74, Recueil 1998‑I ; Gökçeli c. Turquie, nos 27215/95 et 36194/97, § 55, 4 mars 2003).

180. Partant, la Cour rejette la demande formulée à ce titre.

B. Frais et dépens

1. Les requérants

181. Les requérants demandent 722 711 EUR pour les frais et dépens engagés jusqu’au 31 mai 2011 devant les juridictions internes et pour ceux engagés devant la Cour. Les détails concernant cette prétention, justificatifs à l’appui, se présentent comme suit :

a) Honoraires d’avocat

182. A ce titre, les requérants demandent le remboursement d’un montant de 643 622,60 EUR au total, somme qu’ils ventilent comme suit :

A. 133 182,87 EUR pour les honoraires versés aux avocats du Cabinet d’Avocats Associés (à Paris), à savoir Mes D. Bollecker, J. Paillot, H.C. Krüger, D. Froessel, D. Hoeffel, G. Becht, T. Daniel et E. Schwab ;

B. 200 050,44 EUR au titre des honoraires versés au cabinet Foucault, Tchekhoff, Pochet et Associés, pour le travail de Mes A. Tchekhoff (associé), D. Léger et G. Lascault (anciens associés), dûment mandatés (paragraphe 2 ci-dessus) ;

C. 46 342,80 EUR en vertu d’un contrat de consultation signé avec le cabinet Meines & Partners, Lobbying, Public Affairs, Strategic Communication ;

D. 160 000 EUR pour les honoraires, plus 20 175,79 EUR pour les frais de voyage, de Me O. Uğural (cabinet Uğural Consulting), ayant agi comme conseil jusqu’au 16 août 2010 ;

E. 23 507,01 EUR pour les notes présentées par Me Etem Postacıoğlu du cabinet Postacıoğlu Hukuk Bürosu.

F. 58 263,70 EUR pour Me Aylin Surkultay, représentante jusqu’au 31 août 2010 (paragraphe 2 ci-dessus).

b) Frais d’hébergement en Turquie des conseils pendant la période novembre 2005 - mai 2011

183. Les requérants demandent 32 518,46 EUR, pour les frais d’hébergement à Istanbul, facturés par Me O. Uğural.

184. Ils demandent également 3 892,71 EUR, pour l’hébergement à Istanbul de Me D. Bollecker, du Cabinet d’Avocats Associés susmentionné.

c) Frais de traduction

185. Les requérants réclament pour les frais de traduction 44 778,10 EUR, dont 42 678,10 EUR auraient été déboursés en Turquie et 2 100 EUR en France.

2. Le Gouvernement

186. Le Gouvernement se borne à dénoncer le caractère excessif et saugrenu des prétentions des requérants à ce titre.

3. Appréciation de la Cour

187. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux. En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (Ex-roi de Grèce et autres, précité, § 105, Iatridis (satisfaction équitable), précité, § 54, Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002, et Observer et Guardian c. Royaume-Uni, 26 novembre 1991, § 80, série A no 216).

188. En ce qui concerne les honoraires, la Cour rappelle avoir déjà jugé que l’emploi de plus d’un avocat peut parfois se justifier par l’importance des questions soulevées par une affaire (Iatridis (satisfaction équitable), précité, § 56, et les références qui y sont faites) et, en l’occurrence, elle ne doute pas que les honoraires réclamés aient été effectivement engagés, au regard de l’exigence de leur « réalité » (Ex-roi de Grèce et autres, précité, § 106).

Cela étant, la Cour observe que, concernant une partie des frais dont ils demandent le remboursement, les requérants n’ont pas été en mesure d’étayer en quoi ceux-ci se rapportaient aux violations constatées en l’espèce.

189. Ainsi, pour ce qui est du premier poste de demande (paragraphe 182 A, ci-dessus), on constate d’emblée qu’aucun des conseils cités en l’occurrence n’a été mandaté aux fins de la procédure devant la Cour (paragraphe 2 ci-dessus) ; d’autre part, dans le total réclamé, un montant de 18 163,93 EUR correspond à une consultation relative à un dossier du CIRDI (Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements) et un autre, de 3 300 EUR, à des paiements effectués à un certain H. Doyduk, apparemment un employé de la société requérante. Par ailleurs, dans la somme restante de 111 718,94 EUR, une portion de 81 717,75 EUR se fonde sur des notes facturées pour une assistance dans le cadre d’affaires pénales. Enfin, la destination du reliquat de 30 001,19 EUR demeure non identifiable.

La Cour n’est pas convaincue que ces frais aient été engagés en relation avec l’affaire portée devant elle.

190. Il en va de même pour le troisième poste de 46 342,80 EUR (paragraphe 182 C ci-dessus), les honoraires afférents n’ayant aucun lien apparent avec la présente requête, ainsi que pour le cinquième poste relatif aux notes facturées par Me Postacıoğlu (paragraphe 182 E ci-dessus) ; en effet, outre le fait que la somme totale de ces notes s’élève à 22 295,12 EUR (au lieu de 23 507,01 EUR), il s’agit là de prestations fournies par un conseil n’ayant jamais été mandaté par les requérants (paragraphe 2 ci‑dessus).

191. Quant aux sommes réclamées pour le travail effectivement fourni par Me Uğural (paragraphe 182 D, ci-dessus), la Cour observe qu’une fraction s’élevant à 16 000 EUR d’honoraires et 2 920 EUR de dépens a été facturée durant une période où Me Uğural ne représentait plus les requérants (paragraphe 2 ci-dessus).

La même observation vaut également pour le sixième poste de 58 263,70 EUR (paragraphe 182 F ci-dessus), dont une portion de 14 101,75 EUR correspond à des services rendus entre le 2 septembre 2010 et le 5 mai 2011, à savoir après que Me Surkultay ait cessé de représenter les requérants (paragraphe 2 ci-dessus).

192. S’agissant ensuite des frais d’hébergement des avocats, la Cour note que, dans le total de 32 518,46 EUR réclamé pour les déplacements professionnels de Me Uğural (paragraphe 183 ci-dessus), une partie de 1 189,80 EUR se rapporte à une période postérieure à la démission de celui‑ci (paragraphe 2 ci-dessus).

D’autre part, aucune somme ne saurait être due pour l’hébergement de Me D. Bollecker à Istanbul (paragraphe 183 ci-dessus), celui-ci n’ayant pas représenté les requérants devant la Cour (ibidem).

193. Par conséquent, la Cour estime que sur le montant total de 722 711 EUR réclamé au titre des frais et dépens, une fraction de 241 136,94 EUR ne se rapporte pas directement aux violations constatées en l’espèce.

Elle rejette donc cette partie de la demande et réserve son examen pour le surplus, en ayant à l’esprit la question de savoir si et dans quelle mesure le restant des frais peut passer pour avoir été « nécessairement » exposé et « raisonnable ».

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Joint au fond, à l’unanimité, l’exception tirée de la non-saisine au préalable de l’ARSB par les requérants (paragraphe 99 ci-dessus) et la rejette, en toutes ses branches ;

2. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;

3. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention du fait, pour l’État défendeur, d’avoir méconnu le droit des requérants à un tribunal ;

4. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1, d’une part, en raison des mesures privatives de propriété prises par l’État à l’encontre de Kentbank et, d’autre part, en raison de la non-exécution des jugements administratifs rendus par la 13e chambre du Conseil d’État ;

5. Dit que la question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouve pas pleinement en état et, en conséquence,

a) la réserve, par six voix contre une, en tant qu’elle porte sur les points soulevés aux paragraphes 168 et 169-171 du présent arrêt ;

b) invite, à l’unanimité, le Gouvernement et les requérants à lui adresser par écrit, dans les six mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir, au sens de l’article 75 § 4 du règlement de la Cour ;

c) réserve, à l’unanimité, la procédure ultérieure et délègue à la présidente le soin de la fixer au besoin ;

6. Rejette, par six voix contre une, la demande de satisfaction équitable pour le surplus, tel que défini aux paragraphes 172, 180 et 189-193 ci‑dessus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 octobre 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stanley NaismithIneta Ziemele
GreffierPrésidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Sajó.

I.Z.
S.H.N.

OPINION partiellement dissidente du juge SajÓ

(Traduction)

Si je partage l’avis de la majorité de la Cour sur la plupart des aspects de l’arrêt, j’ai le regret de ne pouvoir y souscrire en ce qui concerne l’étendue du dommage indemnisable.

Observant que l’article 28 §§ 3 et 4 de la loi no 2577 offre une voie de recours en cas de non-exécution délibérée d’une décision de justice, la Cour rejette la demande d’octroi de dommages-intérêts au titre du manque à gagner en raison de l’absence d’une décision ayant force de chose jugée. En d’autres termes, elle estime que les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes. Elle considère que le recours en indemnisation prévu par l’article en question permet de remédier de manière effective au manque à gagner invoqué par les requérants sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1, mais qu’il ne revêt pas un caractère effectif et ne relève donc pas de la règle de l’épuisement des voies de recours en ce qui concerne l’article 6 § 1 de la Convention (non-exécution d’un jugement ordonnant la restitution d’un bien). A mes yeux, il n’y ici aucune différence, d’autant que la Cour ajoute, au paragraphe 95 de l’arrêt, qu’une « indemnisation du préjudice matériel et/ou moral fondée sur l’article 28 §§ 3 et 4 de la loi no 2577 n’aurait concrètement pas constitué une solution de rechange aux mesures que l’ordre juridique interne aurait pu offrir aux requérants pour parer à la prétendue impossibilité pour eux d’être remis en possession de Kentbank ou de reprendre leur activité dans le secteur bancaire, en dépit des jugements rendus dans ce sens (mutatis mutandis, Hornsby, précité, § 37) ».

J’ajouterai que, en matière indemnitaire, selon l’article 28 §§ 1 de la loi no 2577, « 1. L’administration est tenue d’adopter sans tarder l’acte ou l’action requis par les décisions (...) rendues au fond par le Conseil d’État ou les tribunaux administratifs (...). Le délai [pour ce faire] ne peut en aucun cas dépasser les trente jours qui suivent la notification de la décision à l’administration. » Cette exigence me semble particulièrement rigoureuse voire saugrenue dans la mesure où la banque requérante a cessé d’exister en tant que personne morale, et qu’elle ne peut se reconstituer, du moins pas dans un délai de trente jours. En outre, il n’est pas certain que le manque à gagner découle du retrait initial illégal des licences plutôt que de l’inexécution de décisions de justice.

Il va sans dire que, comme le laisse entendre le paragraphe 171 de l’arrêt, rien n’empêche la Cour de remédier à cette lacune dans l’estimation de la valeur des licences et autorisations bancaires.

* * *

[1]. Il ressort du dossier que cette dernière plainte était la continuation d’une plainte antérieure déposée – en vain – le 4 septembre 2003 et selon laquelle l’augmentation de capital opérée par Kentbank le 24 décembre 1998 était irrégulière.

[2]. Il existait encore une autre plainte, déposée par l’ARSB le 17 décembre 2002 et qui visait à faire constater une violation de la loi n° 4389, en ce que la banque avait supposément accordé plusieurs garanties bancaires sans les comptabiliser. Le 25 décembre 2002, le parquet avait classé cette plainte sans suite et l’opposition formée à ce sujet par l’ARSB avait été écartée le 9 janvier 2004. Dans ce dossier également, l’ARSB avait saisi le ministre de la Justice qui, le 24 septembre 2004, avait émis un avis favorable et transmis le dossier au procureur général pour action ; or, le 14 février 2005, celui-ci avait rejeté le recours, clôturant ainsi l’affaire.

[3]. En fait, FADE repoussa cette demande par une décision n° 498 du 1er décembre 2005, laquelle fit l’objet d’une action en annulation séparée devant la 13e chambre. Celle-ci déclina sa compétence ratione materiae et transmit le dossier devant la 6e chambre de la même juridiction. Toutefois, à la suite de la signature du protocole du 1er juillet 2007 entre les requérants et le FADE (paragraphe 51 ci-dessus), la 6e chambre décida qu’il n’y avait plus lieu de trancher, en s’alignant sur le jugement de la 13e chambre rendu dans le même sens quant à l’arrêté n° 177 du FADE (paragraphe 50 in fine, ci-dessus).

[4]. La loi n° 5020, promulguée le 26 décembre 2003, a apporté certaines modifications à la loi n° 4389 sur les banques, notamment sur le régime applicable aux banques transférées au FADE et/ou ayant fait l’objet d’une interdiction d’opérer.

[5]. Il s’agit d’une autre banque qui faisait également partie des filiales de la société requérante.

[6]. Il s’agit, sans doute, des sociétés anonymes Atlas Yatırım Bankası (entre-temps liquidée - paragraphe 60 in fine, ci-dessus), Kent Yatırım Menkul Değerler, Kent Gayrımenkul Yatırım Ortaklığı, Generali-Kent Sigorta, Kent Faktoring, Kent Finansal Kiralama, Süzer Faktoring, Süzer Finansal Kiralama, Dolmabahçe Turizm, Zer Taahhüt ve İnşaat, Kervan Turizm ve Ticaret, HSF Gayrımenkul Yönetim, et Kent Turizm İnşaat Yatırım ve Ticaret.


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