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16/10/2012 | CEDH | N°001-113837

CEDH | CEDH, AFFAIRE BANCA INTERNATIONALA DE INVESTITII SI DEZVOLTARE MB S.A. c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA, 2012, 001-113837


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE BANCA INTERNAŢIONALĂ DE INVESTIŢII ŞI DEZVOLTARE MB S.A. c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

(Requête no 28648/05)

ARRÊT

STRASBOURG

16 octobre 2012

DÉFINITIF

16/01/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Banca Internaţională de Investiţii şi Dezvoltare MB S.A. c. République de Moldova,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en un chambre composée

de :

Josep Casadevall, président,
Egbert Myjer,
Corneliu Bîrsan,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,
Nona Tsotsoria,...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE BANCA INTERNAŢIONALĂ DE INVESTIŢII ŞI DEZVOLTARE MB S.A. c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

(Requête no 28648/05)

ARRÊT

STRASBOURG

16 octobre 2012

DÉFINITIF

16/01/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Banca Internaţională de Investiţii şi Dezvoltare MB S.A. c. République de Moldova,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en un chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Egbert Myjer,
Corneliu Bîrsan,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,
Nona Tsotsoria, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 25 septembre 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 28648/05) dirigée contre la République de Moldova par une société de droit moldave, Banca Internațională de Investiţii şi Dezvoltare Mb S.A. (« la requérante »), qui a saisi la Cour le 28 juillet 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante a été représentée par Me V. Postolache, avocat à Chişinău. Le gouvernement moldave (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. V. Grosu.

3. Le 1er décembre 2008, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l’ancien article 29 § 3 de la Convention, elle a en outre informé le Gouvernement que la requête se prêtait à un examen conjoint de la recevabilité et du fond.

4. A la suite de la démission de M. Mihai Poalelungi, juge élu au titre de la République de Moldova (article 6 du règlement de la Cour), le président de la chambre a désigné M. Ján Šikuta pour siéger en qualité de juge ad hoc (article 26 § 4 de la Convention et article 29 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. La requérante est une société anonyme de droit moldave et a son siège à Chişinău.

A. Contexte de l’affaire

6. Le 31 mars et le 11 juin 1998, la société requérante accorda deux crédits, d’un montant global de 139 000 dollars américains (USD), à la société N.

7. Le 27 avril 1998, dans le cadre des investigations pénales qu’il menait sur l’activité de à la société N., le Centre de lutte contre les crimes économiques et la corruption (CCCEC) saisit des biens meubles appartenant celle-ci. Le 27 mai 1998, le CCCEC vendit les biens en question à une tierce société.

8. Le 21 janvier 2000, les poursuites pénales contre la société N. furent abandonnées. Le 28 janvier 2000, cette dernière demanda au ministère des Affaires intérieures (MAI) de la dédommager à hauteur de la valeur des biens saisis.

9. Le 31 janvier 2000, le MAI, estimant illégales la saisie et la vente des biens de la société N., accéda à cette demande. Il demanda au ministère des Finances de verser 2 857 207 lei moldaves (MDL) sur le compte de la société N. Le ministère des Finances procéda au paiement partiel de cette somme, mais refusa de verser le solde avant que le résultat des investigations concernant la vente des avoirs saisis de la société N. fût connu.

10. La société N. se trouva dès lors dans l’incapacité de rembourser ses dettes.

11. Le 26 avril 2001, l’inspection des finances de Cahul demanda l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité contre la société N. Dans le cadre de cette procédure, la société requérante fut reconnue en tant que créancier et le ministère des Finances en tant que codébiteur.

12. Par un arrêt du 7 novembre 2002, la cour économique de la République de Moldova déclara la faillite de la société N. et enjoignit au ministère des Finances de payer à la société requérante 1 352 854 MDL. Le 26 février 2003, la Cour suprême de justice confirma cet arrêt, qui devint ainsi définitif et exécutoire.

13. Les tentatives de la société requérante pour obtenir l’exécution de l’arrêt en question restèrent vaines.

B. Reprise des poursuites pénales contre la société N.

14. Le 23 juillet 2004, le parquet général annula la décision du 21 janvier 2000 en vertu de laquelle les poursuites pénales dirigées contre la société N. avaient été abandonnées. Il annula également l’ordre que le MAI avait donné, le 31 janvier 2000, au ministère des Finances de verser à la société N. la somme de 2 857 207 MDL.

15. Le 18 juin 2006, la société requérante contesta la décision du parquet général. Elle affirme ne pas avoir eu connaissance de l’existence de celle-ci avant le 9 juin 2006.

16. Par un jugement définitif du 12 juillet 2006, le juge d’instruction du tribunal de Râşcani accueillit le recours de l’intéressée et annula la décision du 23 juillet 2004 dans la mesure où elle concernait les poursuites pénales contre la société N.

17. Le 23 octobre 2006, le même juge d’instruction émit, à la demande de la société requérante, un jugement supplémentaire précisant que la décision du 23 juillet 2004 était également annulée pour ce qui concernait l’ordre de paiement du 31 janvier 2000.

18. A des dates différentes, le procureur général forma devant la Cour suprême de justice des recours en annulation des jugements rendus par le juge d’instruction.

19. Par une décision du 26 décembre 2006, la haute juridiction accueillit les recours et annula les jugements du 12 juillet 2006 et du 23 octobre 2006. La Cour suprême de justice nota que le juge d’instruction n’avait pas motivé suffisamment son premier jugement et qu’il avait illégalement adopté le second. En outre, elle releva que le juge d’instruction n’avait pas tranché la question de savoir si les intérêts de la société requérante avaient été affectés par la décision du parquet général du 23 juillet 2004. Elle indiqua qu’elle ne pouvait pas, en tant qu’instance de cassation, corriger les erreurs commises et ordonna le réexamen de l’affaire par un autre juge d’instruction.

20. Le 7 mars 2007, le juge d’instruction du tribunal de Râşcani rejeta, par un jugement définitif, la plainte de la société requérante dirigée contre la décision du 23 juillet 2004. Il souligna que la société requérante n’avait jamais été partie à la procédure pénale engagée contre la société N. En outre, il précisa que la plainte de la société requérante était tardive et qu’aucune preuve n’avait été présentée pour fonder le relevé de forclusion.

21. Le 12 avril 2007, la société requérante déposa un recours en annulation du jugement du 7 mars 2007. Par une décision du 17 juillet 2007, la Cour suprême de justice rejeta ce recours.

C. Révision de la décision définitive de la Cour suprême de justice du 26 février 2003 (réouverture de la procédure d’insolvabilité de la société N.)

22. Entre-temps, le 16 mai 2006, le ministère des Finances avait demandé la réouverture de la procédure d’insolvabilité contre la société N. dans le cadre de laquelle il s’était vu enjoint de verser à la société requérante 1 352 854 MDL (paragraphe 12 ci-dessus). Il avait motivé sa demande par la survenance de nouvelles circonstances importantes pour le dénouement de l’affaire. Il s’était notamment appuyé sur une lettre du CCCEC du 13 février 2006, selon laquelle la décision du MAI du 31 janvier 2000 relative au dédommagement de la société N. à hauteur de la valeur des biens saisis avait été annulée le 23 juillet 2004. Le ministère avait également fait observer qu’il n’avait pas été convoqué au procès et que les décisions avaient été adoptées en son absence.

23. Dans son mémoire en réponse, la société requérante opposa, entre autres, une fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la demande en révision. Elle soutint que le délai légal de trois mois n’avait pas été respecté par le ministère.

24. Le 27 juillet 2006, la Cour suprême de justice accueillit la demande en révision du ministère des Finances. Elle fonda sa décision sur le fait que le parquet général avait, le 23 juillet 2004, annulé l’ordre du MAI du 31 janvier 2000 concernant le dédommagement de la société N. à hauteur de la valeur des biens saisis (paragraphe 14 ci-dessus). La haute juridiction estima également que, lors du procès, les dispositions de la loi sur l’insolvabilité n’avaient pas été respectées et que les intérêts des autres créanciers n’avaient pas été pris en compte. La Cour suprême annula dès lors sa décision définitive du 26 février 2003 et renvoya l’affaire devant les juges du fond. Elle ne se prononça pas sur la question du respect ou non par le ministère des Finances du délai de recours.

D. Evolution de l’affaire après la réouverture de la procédure d’insolvabilité de la société N.

25. A une date non précisée, la société requérante demanda que la qualité de codéfendeur fût reconnue au ministère des Finances dans le cadre de la procédure d’insolvabilité de la société N.

26. Le 16 juillet 2008, la cour d’appel économique rejeta la demande au motif que la procédure en cause n’était pas contentieuse et qu’il ne pouvait pas y avoir de défendeurs ou de codéfendeurs. Le 14 août 2008, la Cour suprême de justice confirma le jugement avant dire droit de la cour d’appel.

27. Le 3 décembre 2008, la cour d’appel économique constata que la société N. ne se trouvait pas en situation d’insolvabilité et rejeta la demande initiale de l’inspection des finances de Cahul relative à l’ouverture de la procédure d’insolvabilité. En revanche, elle prononça l’ouverture d’une procédure de liquidation de la société en cause.

28. Par un arrêt du 18 mai 2009, la cour d’appel économique approuva le bilan de liquidation de la société N., prononça la liquidation de celle-ci et l’extinction du passif.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

29. Concernant la révision des décisions définitives, le droit interne pertinent en l’espèce est résumé dans les affaires Popov c. République de Moldova (no 2) (no 19960/04, §§ 27-29, 6 décembre 2005) et Jomiru et Creţu c. République de Moldova (no 28430/06, §§ 26-27, 17 avril 2012).

30. Quant au nouveau recours interne introduit par la loi no 87, les dispositions pertinentes en l’espèce sont résumées dans la décision Manascurta c. République de Moldova ((déc.), no 31856/07, §§ 11-12, 14 février 2012).

EN DROIT

I. SUR VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION ET DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 EN RAISON DE L’ANNULATION DE LA DÉCISION DÉFINITIVE DU 26 FÉVRIER 2003

31. La société requérante soutient que la remise en cause de la décision définitive de la Cour suprême de justice du 26 février 2003 a porté atteinte au principe de la sécurité des rapports juridiques. Elle se plaint de ce fait d’une violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1. Les dispositions invoquées sont ainsi libellées :

Article 6

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

Article 1 du Protocole no 1

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. »

A. Sur la recevabilité

32. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

33. La requérante se plaint de l’admission par les tribunaux internes de la demande en révision du ministère des Finances et de l’annulation de la décision définitive rendue en sa faveur. Elle affirme que la demande en question a été introduite après l’échéance du délai légal de recours de trois mois.

34. Le Gouvernement combat cette thèse. Il soutient notamment que la lettre du CCCEC du 13 février 2006, contenant de nouvelles informations importantes pour l’issue de l’affaire, est parvenue au ministère des Finances le 16 février 2006. Ce dernier ayant introduit sa demande en révision le 16 mai 2006, le délai légal de recours de trois mois aurait dès lors été observé.

35. La Cour rappelle que le respect du droit à un procès équitable et du principe de la sécurité des rapports juridiques requiert qu’aucune partie ne soit habilitée à solliciter la supervision d’une décision définitive et exécutoire à la seule fin d’obtenir un réexamen de l’affaire et une nouvelle décision à son sujet. En particulier, la supervision ne doit pas devenir un appel déguisé et le simple fait qu’il puisse exister deux points de vue sur le sujet n’est pas un motif suffisant pour rejuger une affaire. Il ne peut être dérogé à ce principe que lorsque des motifs substantiels et impérieux l’exigent (Riabykh c. Russie, no 52854/99, § 52, CEDH 2003-IX, et Roşca c. République de Moldova, no 6267/02, § 25, 22 mars 2005).

36. La Cour rappelle également que les décisions de réouverture d’un procès doivent être conformes aux dispositions internes pertinentes et que l’usage abusif d’une telle procédure peut être contraire à la Convention. Le principe de la sécurité des rapports juridiques et la prééminence du droit exigent que la Cour soit vigilante dans ce domaine (Eugenia et Doina Duca c. République de Moldova, no 75/07, § 33, 3 mars 2009). La tâche de la Cour est de déterminer si la procédure de révision a été appliquée d’une manière compatible avec l’article 6 de la Convention, permettant ainsi d’assurer le respect du principe de la sécurité des rapports juridiques. Cela étant, la Cour doit garder à l’esprit que c’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne (Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, § 54, CEDH 1999‑I).

37. Dans la présente affaire, la Cour observe que la société requérante disposait, en date du 26 février 2003, d’une décision définitive en vertu de laquelle le ministère des Finances devait lui verser 1 352 854 MDL. Elle estime que cette décision avait fait naître dans le chef de la requérante un intérêt économique substantiel constituant un « bien » au sens de la norme exprimée dans la première phrase de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

38. Le 27 juillet 2006, la décision définitive favorable à la requérante a été annulée par la Cour suprême de justice à la suite de l’admission de la demande en révision du procès déposée par le ministère des Finances. Ce dernier a fondé sa demande principalement sur le fait que le parquet général avait, le 23 juillet 2004, adopté une nouvelle décision qui revêtait, selon le ministère, une certaine importance pour l’issue de l’affaire. Le ministère des Finances a de plus soutenu qu’il avait eu connaissance de cette décision par une lettre du CCCEC du 13 février 2006.

39. La Cour note que le ministère des Finances a signé sa demande en révision le 16 mai 2006 et qu’il n’y mentionne que la date de l’envoi de la lettre du CCCEC, à savoir le 13 février 2006. Le ministère des Finances ne fait référence à aucune autre date différente à laquelle il aurait reçu ladite lettre et il ne demande pas non plus à être relevé de forclusion. Quant à la Cour suprême de justice, elle est restée muette sur la question et n’a aucunement répondu à la fin de non-recevoir de la société requérante tirée de la tardiveté de la demande.

40. Dans ses observations, le Gouvernement a soumis un nouvel argument selon lequel la lettre du CCCEC serait parvenue au ministère des Finances le 16 février 2006. La Cour rappelle qu’il ne lui appartient pas de se prononcer à la place des instances nationales qui ont eu connaissance de l’affaire. Il incombe à ces dernières d’examiner les faits de la cause et de les mentionner dans leurs décisions. Par conséquent, le nouvel argument du Gouvernement, qui a été formulé pour la première fois dans le cadre de la procédure devant la Cour, ne saurait être pris en compte (voir, mutatis mutandis, Sarban c. République de Moldova, no 3456/05, § 102, 4 octobre 2005).

41. Au demeurant, la Cour constate que le ministère des Finances a introduit sa demande en révision trois jours après l’échéance du délai légal de recours de trois mois. Elle souligne également que la Cour suprême de justice n’a aucunement réfuté la thèse de la société requérante selon laquelle cette demande en révision était tardive.

42. La Cour rappelle avoir conclu, dans maintes affaires soulevant des questions semblables à celles de la présente espèce, à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (Popov c. République de Moldova (no 2), no 19960/04, §§ 52-58, 6 décembre 2005 ; Oferta Plus SRL c. République de Moldova, no 14385/04, §§ 104-107 et 112-115, 19 décembre 2006 ; Eugenia et Doina Duca, précité, §§ 35-45 ; Melnic c. République de Moldova, no 6923/03, §§ 38-44, 14 novembre 2006, et Istrate c. République de Moldova, no 53773/00, §§ 46-61, 13 juin 2006).

43. A la lumière des circonstances de l’espèce et des arguments avancés par les parties, la Cour ne voit aucune raison d’arriver à une conclusion différente dans le cas présent. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, elle estime qu’en l’espèce la procédure de révision a été utilisée par la Cour suprême de justice d’une manière incompatible avec le principe de la sécurité des rapports juridiques. De surcroît, le fait que la Cour suprême de justice a omis de se prononcer sur la question de l’observation ou non par la partie adverse des délais de procédure relatifs au dépôt de la demande en révision a porté atteinte au droit de la requérante à un procès équitable (voir, mutatis mutandis, Ruiz Torija c. Espagne, 9 décembre 1994, § 30, série A no 303‑A).

44. Partant, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à raison de l’annulation de la décision définitive du 26 février 2003.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 ET 13 DE LA CONVENTION ET DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 EN RAISON DE LA NON-EXÉCUTION DE LA DÉCISION DU 26 FÉVRIER 2003

45. Invoquant les articles 6 § 1 et 13 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1, la requérante dénonce aussi la non-exécution de la décision du 26 février 2003 durant la période qui a précédé son annulation. L’article 13 de la Convention se lit comme suit :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

46. La Cour note que ladite décision est restée inexécutée plus de trois ans avant d’être finalement annulée. Aux yeux de la Cour, cela peut soulever des questions sous l’angle des articles invoqués (Oferta Plus SRL, précité, §§ 82-85 et 113-115).

47. La Cour prend acte toutefois de l’intention de la société requérante d’épuiser le nouveau recours introduit par la loi no 87 du 1er juillet 2011 relative à la réparation par l’Etat du préjudice causé par la non-exécution d’une décision de justice ou par la durée excessive du procès. La Cour rappelle s’être déjà prononcée sur ce nouveau remède et avoir conclu qu’il était effectif (Balan c. République de Moldova (déc.), no 44746/08, 24 janvier 2012, et Manascurta c. République de Moldova (déc.), no 31856/07, 14 février 2012).

48. Il s’ensuit que les griefs de la requérante tirés de la non-exécution de la décision du 26 février 2003 sont prématurés et qu’ils doivent être rejetés, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

49. La société requérante se plaint également que, le 26 décembre 2006, la Cour suprême de justice ait accueilli le recours en annulation du procureur général et qu’elle ait annulé les décisions définitives du juge d’instruction du 12 juillet 2006 et du 23 octobre 2006 qui étaient favorables à la société N., sa débitrice. La société requérante se plaint enfin du rejet de sa demande par le juge d’instruction le 7 mars 2007 et du rejet de son recours en annulation par la Cour suprême de justice le 17 juillet 2007. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention.

50. Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits garantis par la Convention. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

51. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

52. La société requérante demande la somme globale de 313 589 EUR pour préjudice matériel. Cette demande est ventilée comme suit :

. la créance de base de 1 352 854 MDL allouée par le jugement prononcé le 7 novembre 2002 et confirmée par la décision définitive du 26 février 2003 ;

. 1 339 326 MDL en compensation de l’érosion monétaire au cours de la période allant du 1er décembre 2002 au 1er juin 2009 à raison d’un taux d’inflation de 99 %. La société requérante fournit un justificatif délivré par le bureau national des statistiques de la République de Moldova confirmant le taux d’inflation pour la période concernée ;

. 129 036,81 EUR au titre des intérêts moratoires calculés jusqu’au 17 juin 2009, date à laquelle la société requérante a présenté ses observations. L’intéressée demande également un intérêt de 45 EUR pour chaque jour de retard ultérieur à cette date.

La société requérante réclame également 75 000 EUR pour préjudice moral.

53. Le Gouvernement s’oppose à cette demande. D’un côté, il met en cause la méthode de calcul des intérêts moratoires et, de l’autre, il estime qu’il n’y a pas de lien de causalité entre les violations alléguées et le prétendu dommage moral.

54. La Cour réitère qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’Etat défendeur l’obligation juridique de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Ex-roi de Grèce et autres c. Grèce [GC] (satisfaction équitable), no 25701/94, § 72, 28 novembre 2002). Dans la présente affaire, la réparation devrait avoir comme but de mettre la requérante dans la position dans laquelle elle se serait trouvée si la violation n’avait pas eu lieu, c’est-à-dire avant l’annulation de la décision du 26 février 2003. La Cour alloue donc la somme de 1 352 854 MDL au titre de la créance établie par ladite décision.

55. Quant aux intérêts moratoires réclamés en raison de l’impossibilité d’utiliser la somme allouée par la décision du 26 février 2003, la Cour considère qu’il y a lieu de distinguer entre la période de trois ans et cinq mois qui a précédé l’annulation, le 27 juillet 2006, de ladite décision et celle qui suivi l’annulation en question. S’agissant du premier laps de temps, la Cour observe que l’impossibilité d’utiliser la créance a résulté de la non-exécution de la décision du 26 février 2003. Compte tenu du fait que les griefs tirés de l’inexécution ont été déclarés prématurés, la Cour considère qu’il n’y a pas lieu d’allouer des intérêts moratoires pour cette première période. S’agissant du second laps de temps, la Cour relève que l’impossibilité d’utiliser la créance est le résultat de l’annulation de la décision en cause, annulation qui a été jugée contraire à l’article 6 § 1 de la Convention et à l’article 1 du Protocole no 1. Dès lors, la Cour considère que la société requérante a droit à une compensation à ce titre pour la période en cause (Oferta Plus SRL c. République de Moldova (satisfaction équitable), no 14385/04, § 71, 12 février 2008). Se livrant à sa propre appréciation sur la base des dispositions internes pertinentes relatives aux retards de paiement (Mizernaia c. Moldova, no 31790/03, §§ 14 et 28, 25 septembre 2007), elle alloue 1 580 000 MDL à la requérante au titre des intérêts moratoires calculés pour la période postérieure au 27 juillet 2006, date de l’annulation de la décision du 26 février 2003.

56. S’agissant de la compensation de l’érosion monétaire, la Cour constate que, au cours de la période prise en compte, les taux des intérêts moratoires étaient supérieurs aux taux d’inflation. Elle considère dès lors qu’il n’y pas lieu d’allouer de compensation de ce chef (voir, a contrario, Aka c. Turquie, 23 septembre 1998, § 56, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VI).

57. Au vu de ce qui précède, la Cour accorde à la société requérante la somme totale de 195 000 EUR tous préjudices confondus.

B. Frais et dépens

58. La société requérante demande également 15 000 EUR pour les frais de représentation devant les instances nationales et devant la Cour, correspondant aux honoraires de l’avocat pour 215,40 heures de travail. Elle réclame enfin 607 EUR pour les autres frais et dépens.

59. De l’avis du Gouvernement, les montants réclamés de ce chef sont excessifs et en partie injustifiés, et le nombre d’heures indiqué est trop élevé.

60. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’allocation de frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (voir, parmi beaucoup d’autres, Konstantin Markin c. Russie [GC], no 30078/06, § 171, 22 mars 2012).

61. Compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 1 250 EUR tous frais confondus et l’alloue à la société requérante.

C. Intérêts moratoires

62. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1, relativement à l’annulation de la décision du 26 février 2003, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 ;

3. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement :

i. 195 000 EUR (cent quatre-vingt-quinze mille euros) tous préjudices confondus,

ii. 1 250 EUR (mille deux cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être

dû à titre d’impôt par la requérante, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 octobre 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident


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