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16/10/2012 | CEDH | N°001-113835

CEDH | CEDH, AFFAIRE NATSEV c. BULGARIE, 2012, 001-113835


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE NATSEV c. BULGARIE

(Requête no 27079/04)

ARRÊT

STRASBOURG

16 octobre 2012

DÉFINITIF

16/01/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Natsev c. Bulgarie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Lech Garlicki, président,
David Thór Björgvinsson,
Päivi Hirvelä,
George Nicolaou,
Zdravka Kalayd

jieva,
Nebojša Vučinić,
Vincent A. De Gaetano, juges,
et de Lawrence Early, greffier de section,

Vu la décision partielle du 2 décembre 2008,

Après ...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE NATSEV c. BULGARIE

(Requête no 27079/04)

ARRÊT

STRASBOURG

16 octobre 2012

DÉFINITIF

16/01/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Natsev c. Bulgarie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Lech Garlicki, président,
David Thór Björgvinsson,
Päivi Hirvelä,
George Nicolaou,
Zdravka Kalaydjieva,
Nebojša Vučinić,
Vincent A. De Gaetano, juges,
et de Lawrence Early, greffier de section,

Vu la décision partielle du 2 décembre 2008,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 25 septembre 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 27079/04) dirigée contre la République de Bulgarie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Rosen Hristov Natsev (« le requérant »), a saisi la Cour le 20 juillet 2004 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme R. Nikolova, du ministère de la Justice.

3. Le requérant se plaignait en particulier de la loi de 1997 sur les moyens spéciaux de renseignement, dans son existence même.

4. Le 2 décembre 2008, la requête a été déclarée partiellement irrecevable et les griefs tirés des articles 8 et 13 ont été communiqués au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l’affaire.

5. Le 1er février 2011, la Cour a modifié la composition de ses sections. L’affaire a été attribuée à la quatrième section ainsi remaniée.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Le requérant est né en 1955 et réside à Sofia.

7. Le 30 août 2004, il demanda au parquet de cassation si des moyens spéciaux de renseignement, tels que des écoutes téléphoniques ou autres, avaient été utilisés à son égard et, dans l’affirmative, pour quels motifs.

8. Par une lettre du 27 septembre 2004, un procureur du parquet de cassation répondit que les informations demandées étaient confidentielles et qu’aucun renseignement ne pouvait être fourni à ce sujet.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

9. Les éléments pertinents de la Constitution bulgare, de la loi du 21 octobre 1997 sur les moyens spéciaux de renseignement (Закон за специалните разузнавателни средства), de la loi de 2002 sur les informations classées (Закон за класифицираната информация), des codes de procédure pénale de 1974 et de 2005, de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle et de la Cour administrative suprême, ainsi que d’autres sources ont été présentées dans l’arrêt de la Cour Association pour l’intégration européenne et les droits de l’homme et Ekimdjiev c. Bulgarie, no 62540/00, §§ 7-50, 28 juin 2007.

10. Il convient de noter qu’à la suite de l’arrêt Association pour l’intégration européenne et les droits de l’homme et Ekimdjiev précité, des amendements à la loi de 1997 sur les moyens spéciaux de renseignements furent adoptés et entrèrent en vigueur à partir du 27 décembre 2008. La note explicative relative aux amendements renvoyait à l’arrêt en question et à la nécessité de mettre la loi en conformité avec les exigences de la Convention. Parmi les modifications, un amendement prévit l’institution d’un Bureau national pour le contrôle des moyens spéciaux de renseignement (Национално бюро за контрол на специалните разузнавателни средства), organe indépendant composé de cinq membres élus par le Parlement dont le rôle était de surveiller les services autorisés à utiliser de tels moyens, ainsi que la conservation et la destruction des informations obtenues par ces moyens, et de protéger les individus contre l’utilisation illégale de ces moyens (nouveaux articles 34б, alinéa 1, 34в et 34г). Le Bureau devait être un organe permanent disposant de sa propre administration (nouvel article 34б, alinéa 3). Dans l’accomplissement de ses fonctions, il pouvait a) demander aux autorités compétentes de lui fournir des informations sur l’utilisation des moyens spéciaux de renseignement ; b) vérifier si ces autorités tenaient des registres exacts ; c) accéder aux lieux contenant de tels registres ou des informations obtenues par le renseignement ; d) émettre des instructions obligatoires pour l’amélioration de l’utilisation des moyens spéciaux de renseignement, ainsi que pour la conservation et la destruction des informations obtenues par le biais de tels moyens ; et e) informer les autorités de poursuite et les responsables des autorités compétentes des cas d’utilisation illégale de tels moyens ou d’irrégularités dans la conservation ou la destruction des informations obtenues par le biais de tels moyens (nouvel article 34ж). Le Bureau devait remettre un rapport annuel au Parlement (nouvel article 34б, alinéa 5). Il devait également informer, de sa propre initiative, les personnes ayant fait l’objet d’une surveillance illégale, sauf dans les cas où une telle notification pouvait mettre en péril les objectifs de la surveillance (article 34з). La décision sur l’élection des membres de ce Bureau fut adoptée par le Parlement le 30 mai 2009 et publiée dans le journal officiel le 5 juin 2009.

11. Le 22 octobre 2009, avant même que le Bureau ait commencé à fonctionner, le Parlement adopta des amendements supplémentaires à la loi, en supprimant le Bureau et en le remplaçant par une commission parlementaire spéciale ayant les mêmes pouvoirs et obligations, à l’exception du pouvoir de donner des instructions obligatoires (point d) du paragraphe précédent) ; elle peut seulement faire des suggestions d’amélioration (article 34ж, tel qu’amendé en 2009) . Ces amendements entrèrent en vigueur le 10 novembre 2009. Par la voie d’un amendement au règlement du Parlement entré en vigueur le 19 décembre 2009, cette commission a été mise en place sous la forme d’une nouvelle sous‑commission au sein de la commission des questions juridiques (nouvel article 24a, alinéa 1, du règlement). Elle est constituée d’un membre de chaque groupe parlementaire et dispose de son propre règlement approuvé par le Parlement (nouvel article 24a, alinéa 2, du règlement). Ce règlement a été adopté le 11 février 2010. La commission, dont les cinq membres actuels ont été élus par le Parlement le 22 décembre 2009, est assistée par quinze experts du Parlement (article 24a, alinéa 3, du règlement du Parlement et article 14 du règlement de la commission). La commission délibère à huis clos et dans le respect des règles sur le traitement des informations confidentielles, au moins une fois par semaine (articles 9 et 13 du règlement de la commission).

12. Aux termes de l’article 34з de la loi de 1997, tel que modifié, la commission doit informer, de sa propre initiative, les personnes ayant fait l’objet d’une surveillance secrète, sauf si la notification risque de compromette les buts de la surveillance, de divulguer des méthodes d’opération ou des appareils techniques, ou de mettre la vie ou la santé d’un agent secret ou de ses proches ou amis en péril.

13. Depuis sa création, la commission a remis trois rapports annuels : le premier fut présenté en mai 2010 et accepté par le Parlement le 16 juin 2010, le second fut remis en mai 2011 et accepté par le Parlement le 18 mai 2011, et le troisième a été présenté le 4 juillet 2012 et doit encore être accepté par le Parlement. Dans ce dernier rapport, la commission indique notamment avoir reçu un certain nombre de doléances individuelles et pris des mesures pour les examiner. Elle a effectué un contrôle dans sept villes et noté un nombre d’irrégularités, telle que des demandes insuffisamment motivées d’autorisation judiciaire en matière de surveillance secrète , le défaut de destruction, dans le délai légal, des informations obtenues par le biais d’une telle surveillance, et le défaut de rendre des comptes au tribunal ayant autorisé la surveillance. La commission précise que l’absence de bonne tenue des registres rend difficile le travail d’évaluation du système dans son ensemble. Elle note également que seul un faible pourcentage des demandes d’autorisation judiciaire en matière de surveillance secrète a été rejeté. Le nombre global des demandes formulées en 2011 était de 13 846. Seulement 116 ont été rejetées, principalement pour des raisons purement techniques. 7 881 personnes ont fait l’objet d’une surveillance secrète. Pour 747 demandes, les informations recueillies ont été utilisées dans le cadre d’investigations pénales. Le rapport indique que l’analyse des éléments disponibles démontrait que les autorités n’utilisent pas la surveillance secrète comme moyen de dernier recours, mais de manière routinière, essentiellement parce qu’il s’agit de la méthode la plus facile pour obtenir des preuves. Il apparaît dès lors nécessaire de renforcer la législation applicable et le contrôle juridictionnel. Le rapport formule un certain nombre de propositions concrètes à cet égard.

EN DROIT

I. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DES ARTICLES 8 ET 13 DE LA CONVENTION

14. Le requérant se plaint de l’existence même de la loi de 1997 sur les moyens spéciaux de renseignement dès lors qu’à tout moment il pouvait faire l’objet de mesures de surveillance sans en être averti par les autorités et ne disposait d’aucun moyen de savoir si de telles mesures avaient été prises à son égard. Il ajoute qu’aucun recours interne n’est susceptible de remédier à cela. Il invoque les articles 8 et 13 de la Convention, ainsi libellés :

Article 8

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée [...], de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A. Thèses des parties

15. S’appuyant sur les conclusions de la Cour dans l’arrêt Association pour l’intégration européenne et les droits de l’homme et Ekimdjiev, précité, le requérant s’estime victime d’une violation de l’article 8, dans la mesure où, en vertu de la loi de 1997 sur les moyens spéciaux de renseignement, il a pu faire l’objet, à tout moment, de mesures de surveillance sans avertissement. Il expose par ailleurs que les autorités ont refusé de lui faire savoir si de telles mesures avaient été prises à son égard.

16. Il soutient que la réglementation pertinente n’offrait pas de garanties suffisantes contre l’usage arbitraire de mesures de surveillance secrète. En particulier, la loi ne déterminait pas les circonstances dans lesquelles de tels moyens pouvaient être utilisés, la durée des surveillances non autorisées par un juge ou le sort des éléments recueillis. Aucun contrôle indépendant sur le respect des procédures n’avait été prévu, ni aucune garantie relative à l’information des personnes concernées par une telle surveillance. Le requérant en conclut que la réglementation en question ne présentait pas les qualités requises par la jurisprudence de la Cour en la matière.

17. L’intéressé ajoute que ces allégations sont relatives à la période antérieure aux amendements de 2008 et 2009 à la loi de 1997 sur les moyens spéciaux de renseignement et que la création d’un Bureau national pour le contrôle des moyens spéciaux de renseignement, fin 2008, n’a pas constitué pour lui un recours effectif pour remédier à ses griefs. En effet, cet organe n’aurait pas été compétent pour se prononcer sur des situations antérieures à sa création. De plus, il n’était pas encore opérationnel lors de l’envoi des observations du requérant à la Cour.

18. Le Gouvernement met en avant que même si en l’espèce le requérant a subi une ingérence dans sa vie privée, elle était justifiée par la Constitution de 1991 et avait pour but la protection de la sécurité nationale et la prévention des infractions pénales. Selon la loi en cause, les moyens spéciaux de renseignements ne pouvaient être utilisés que dans des cas limités. De plus, des garanties procédurales judiciaires contre d’éventuels actes arbitraires étaient prévues. Le Gouvernement précise que le fait que la loi ne prévoyait pas de notification à la personne concernée est compatible avec les principes posés par la jurisprudence de la Cour dans l’arrêt Klass et autres c. Allemagne (arrêt du 6 septembre 1978, § 58, série Ano 28).

19. Par ailleurs, le Gouvernement estime que le requérant disposait, après les amendements de la loi apportés à la loi en 2008, d’un recours efficace, avec la création du Bureau national pour le contrôle des moyens spéciaux de renseignement. Ce Bureau était tenu d’informer d’office les personnes à l’égard desquelles des moyens spéciaux de renseignement avaient été utilisés de manière illégale. Le requérant aurait pu s’adresser à cet organe afin de demander des informations et une protection s’il estimait avoir subi une ingérence injustifiée dans ses droits.

20. Enfin, le Gouvernement expose que le requérant n’indique pas de circonstances de son passé personnel et politique qui pourraient donner lieu de croire qu’il ait fait l’objet d’une surveillance secrète. Le fait que le parquet ait refusé de donner l’information demandée par l’intéressé ne signifiait pas nécessairement que celui-ci avait été victime d’une surveillance illégale.

21. Le Gouvernement estime que la loi en cause ne peut être vue comme rompant l’équilibre à respecter entre ses propres buts et le respect des droits du requérant protégés par les articles 8 et 13 de la Convention.

B. Appréciation de la Cour

1. Sur la portée de l’examen en l’espèce

22. La Cour observe qu’à l’instar des requérants dans l’affaire Association pour l’intégration européenne et les droits de l’homme et Ekimdjiev précitée, l’intéressé se plaint de manière générale de l’existence de la législation permettant des mesures de surveillance secrète. La requête a été introduite le 20 juillet 2004 et les observations des parties ont été déposées à la Cour entre le mois d’avril et le mois d’octobre 2009. La Cour relève que la loi contestée a été modifiée à plusieurs reprises entre le mois de décembre 2008 et le mois de novembre 2009, à la suite notamment de l’arrêt Association pour l’intégration européenne et les droits de l’homme et Ekimdjiev précité. Elle note à cet égard que compte tenu du fait que les allégations du requérant concernent une période bien antérieure à cette réforme législative, à savoir celle d’avant le dépôt de sa requête, elle ne s’estime pas appelée à analyser dans la présente espèce la conformité des effets de cette réforme avec les exigences des articles 8 et 13 de la Convention. Par conséquent, la portée de l’examen de la Cour est limitée par les circonstances relatives aux griefs du requérant avant le 20 juillet 2004 (voir aussi Dumitru Popescu c. Roumanie (no 2), no 71525/01, § 84 in limine, 26 avril 2007, et Calmanovici c. Roumanie, no 42250/02, § 125 in fine, 1er juillet 2008).

2. Sur le grief tiré de l’article 8

23. La Cour note que le Gouvernement ne conteste pas la qualité de victime du requérant et qu’il admet la possibilité que celui-ci ait fait l’objet d’une mesure de surveillance secrète. La Cour estime dès lors que le requérant a bien la qualité de victime au sens de l’article 34 de la Convention.

24. Dans la mesure où la référence du Gouvernement à la création en 2008 du Bureau national pour le contrôle des moyens spéciaux de renseignement peut être vue comme une exception de non-épuisement des voies de recours, la Cour note que la question de savoir si le requérant a épuisé les voies de droit internes pour son grief tiré de l’article 8 est étroitement liée au bien-fondé du grief tiré de l’article 13 concernant l’absence de telles voies (Calogero Diana c. Italie, 15 novembre 1996, § 25, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V, Kirov c. Bulgarie, no 5182/02, § 34, 22 mai 2008, et Goranova-Karaeneva c. Bulgarie, no 12739/05, § 41, 8 mars 2011). Il convient dès lors de joindre l’examen de cette question à l’analyse au fond du respect de l’article 13.

25. La Cour constate par ailleurs que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. Elle relève de plus qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

26. La Cour rappelle ensuite que dans l’affaire Association pour l’intégration européenne et les droits de l’homme et Ekimdjiev invoquée, elle a appliqué sa jurisprudence constante selon laquelle une législation autorisant la surveillance secrète est, par sa simple existence, constitutive d’une ingérence dans les droits protégés par l’article 8. Après avoir examiné la législation et le droit interne applicables, la Cour a conclu que la loi bulgare ne prévoyait pas de garanties suffisantes contre le risque d’abus inhérent à tout système de surveillance secrète. Par ailleurs, elle a constaté que le droit bulgare interdit explicitement la communication d’informations sur le point de savoir si une personne fait l’objet d’une surveillance secrète ou si des mandats ont été donnés à cette fin, de sorte que les personnes concernées n’apprennent qu’elles ont été surveillées que si elles font, par la suite, l’objet de poursuites sur la base des éléments obtenus dans le cadre de cette surveillance, ou à la faveur d’une fuite d’informations. La Cour a donc conclu que l’ingérence en question n’était pas prévue par la loi au sens de l’article 8 § 2 (Association pour l’intégration européenne et les droits de l’homme et Ekimdjiev, précité, §§ 9-94).

27. La législation applicable étant la même en l’espèce, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu pour elle de s’écarter de ses précédentes conclusions. Elle considère dès lors que le requérant a subi une ingérence qui n’était pas fondée sur une base légale conforme aux exigences de l’article 8 de la Convention, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de rechercher si cette ingérence était justifiée au regard des buts énumérés dans le deuxième paragraphe de cette disposition (ibid., § 93, ainsi que les autres références qui s’y trouvent).

28. Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

3. Sur le grief tiré de l’article 13, combiné avec l’article 8

29. Le requérant dénonce une violation de l’article 13 combiné avec l’article 8, en prétendant que faute de pouvoir obtenir des informations sur l’éventuelle application de mesures de surveillance, il ne peut ni introduire un recours ni demander une indemnisation pour la période en cause.

30. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

31. La Cour rappelle que l’article 13 garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu’ils peuvent s’y trouver consacrés. Il a donc pour conséquence d’exiger un recours interne habilitant l’instance nationale compétente à connaître du contenu du grief fondé sur la Convention et, de plus, à offrir le redressement approprié. Il ne va pas cependant jusqu’à exiger une forme particulière de recours, les Etats contractants jouissant d’une marge d’appréciation pour honorer les obligations qu’il leur impose. (Smith et Grady c. Royaume-Uni, nos 33985/96 et 33986/96, § 135, CEDH 1999‑VI, et Goranova-Karaeneva, précité, § 57). Dans le domaine de la surveillance secrète, un « recours effectif » selon l’article 13 doit s’entendre d’un recours aussi effectif qu’il peut l’être eu égard à sa portée limitée, inhérente à tout système de surveillance (Klass et autres, précité, § 69). De plus, un tel recours est exigé seulement pour ce qui est des griefs qui peuvent être considérés comme défendables (voir entre autres, Iliya Stefanov c. Bulgarie, no 65755/01, § 56, 22 mai 2008).

32. La Cour a déjà constaté qu’il n’existait avant 2007 en Bulgarie aucune voie de droit permettant aux personnes faisant l’objet ou soupçonnant de faire l’objet d’une surveillance secrète de faire protéger leurs droits (Association pour l’intégration européenne et les droits de l’homme et Ekimdjiev, précité, § 102, et Goranova-Karaeneva, précité, § 60).

33. Dans la présente affaire, la seule possibilité suggérée par le Gouvernement est celle de s’adresser au Bureau national pour le contrôle des moyens spéciaux de renseignement prévu par les amendements législatifs de fin 2008 (paragraphe 19 ci-dessus). Toutefois, la Cour observe que la mise en place de ce Bureau – lui-même remplacé quelques mois plus tard par une sous-commission parlementaire – n’a eu lieu qu’en juin 2009 (paragraphes 10-11 ci-dessus), soit à une date postérieure d’environ cinq ans à l’introduction de la requête et, partant, à la période pour laquelle le requérant allègue une atteinte à ses droits. Le Gouvernement n’a pas démontré qu’il existait des recours effectifs à cet égard à la suite de ce changement. De plus, la Cour observe que la législation ne prévoit pas d’obligation de notification, ni d’enquête à la demande de la personne concernée. Le Gouvernement ne présente aucun exemple de notification individuelle ou de décision judiciaire à l’appui de ses arguments. La Cour note qu’il n’a pas invoqué d’autres voies de recours possibles.

34. Au vu de ce qui précède, la Cour ne peut que s’aligner sur ses conclusions dans l’affaire Association pour l’intégration européenne et les droits de l’homme et Ekimdjiev précitée selon lesquelles la loi applicable à l’époque des faits n’offrait pas de recours effectif contre l’utilisation de moyens spéciaux de surveillance. Il convient dès lors de rejeter l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement et de conclure à la violation de l’article 13 de la Convention, combiné avec l’article 8.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

35. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

36. Le requérant réclame 15 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

37. Le Gouvernement conteste ces prétentions, estimant que le constat de violation serait en principe une satisfaction suffisante pour l’intéressé.

38. A la lumière de la jurisprudence établie dans des affaires similaires et compte tenu de ses conclusions dans la présente affaire, la Cour estime que, dans les circonstances de l’espèce, le constat de violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour les violations constatées des articles 8 et 13 de la Convention (Kruslin c. France, 24 avril 1990, § 39, série A no 176‑A, Association pour l’intégration européenne et les droits de l’homme et Ekimdjiev, précité, § 111, et Goranova-Karaeneva, précité, § 81, ainsi que les autres références qui s’y trouvent citées).

B. Frais et dépens

39. Le requérant demande également 650 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. Il réclame en particulier 80 EUR pour frais de poste et de téléphone, 50 EUR pour frais de transport, 120 EUR pour frais de traduction et 400 EUR pour les honoraires qui auraient été réglés à deux avocats différents. Il fournit une note de frais de traduction de 132 BGN (environ 66 EUR), un récépissé de 6,83 BGN (environ 4 EUR) pour frais de poste et un reçu de la part d’un avocat à hauteur de 1 000 BGN (environ 500 EUR).

40. Le Gouvernement conteste ces prétentions, estimant que le requérant n’a pas fourni les justificatifs nécessaires.

41. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Il convient de noter qu’en l’espèce, le requérant n’a pas été représenté par un avocat dans la procédure devant la Cour et qu’une partie de ses prétentions n’a pas été appuyée par les pièces requises. En revanche, elle tient pour établi que le requérant a supporté des frais de traduction et de poste à hauteur de 70 EUR. Compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 70 EUR tout frais confondus au titre des frais et dépens pour la procédure devant elle et l’accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

42. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Joint au fond l’objection de non-épuisement des voies de recours internes ;

2. Déclare le restant de la requête recevable ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13, combiné avec l’article 8 de la Convention ;

5. Dit que le constat de violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;

6. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 70 EUR, à convertir en BGN, au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

7. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 octobre 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Lawrence EarlyLech Garlicki
GreffierPrésident


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