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02/10/2012 | CEDH | N°001-113546

CEDH | CEDH, AFFAIRE HULEA c. ROUMANIE, 2012, 001-113546


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE HULEA c. ROUMANIE

(Requête no 33411/05)

ARRÊT

STRASBOURG

2 octobre 2012

DÉFINITIF

02/01/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Hulea c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Egbert Myjer,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,
Nona

Tsotsoria,
Kristina Pardalos, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 septembre 2012,

R...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE HULEA c. ROUMANIE

(Requête no 33411/05)

ARRÊT

STRASBOURG

2 octobre 2012

DÉFINITIF

02/01/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Hulea c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Egbert Myjer,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,
Nona Tsotsoria,
Kristina Pardalos, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 septembre 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 33411/05) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Gabriel Hulea (« le requérant »), a saisi la Cour le 6 septembre 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me Minodora Cliveti, avocate à Bacău. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme Irina Cambrea, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant se plaint du refus des autorités nationales de lui accorder un congé parental en raison de son appartenance au sexe masculin, alors qu’il était employé par l’armée.

4. Le 5 mai 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

5. A la suite du déport de M. Corneliu Bîrsan, juge élu au titre de la Roumanie (article 28 du règlement), le président de la chambre a désigné Mme Kristina Pardalos pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 26 § 4 de la Convention et 29 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Le requérant est né en 1969 et réside à Bacău.

7. Il était électromécanicien dans l’armée roumaine, depuis le 27 juillet 1991.

8. Le 17 décembre 2001, le deuxième enfant du requérant naquit. Pendant ses dix premiers mois, l’épouse du requérant, enseignante de son état, bénéficia du congé parental. Selon la loi en vigueur, ce congé payé, pour élever son enfant, pouvait s’étendre jusqu’au deuxième anniversaire de l’enfant.

9. Le 9 septembre 2002, le requérant saisit son supérieur hiérarchique d’une demande de congé parental, motivée par le fait que son épouse devait reprendre son travail dans l’enseignement public pour ne pas perdre le bénéfice d’un poste d’enseignante titulaire. Cette demande fut réitérée à plusieurs reprises par la suite.

10. Le ministère de la Défense refusa d’accorder au requérant le bénéfice du congé parental, au motif que la loi définissant le statut des militaires ne prévoyait qu’au bénéfice des femmes, parmi le personnel travaillant pour l’armée, le droit de prendre un congé parental pour élever leurs enfants jusqu’à l’âge de deux ans.

11. Estimant ce refus discriminatoire, le 11 septembre 2003, le requérant saisit le tribunal départemental de Bacău d’une action en justice contre le ministère de la Défense. Entre autres, il demandait à être indemnisé pour le préjudice moral subi du fait de cette discrimination, y compris la pression et des menaces ressenties de la part de ses supérieurs mécontents d’avoir osé réclamer un droit au congé parental en contestant la loi même. Il faisait valoir, en outre, que cette situation lui avait causé du stress et que lui et sa famille, et particulièrement son enfant, avaient dû faire face à ce climat hostile.

12. Par une décision du 16 janvier 2004, le tribunal départemental de Bacău rejeta l’action du requérant, au motif que la loi spéciale s’appliquant au personnel de l’armée excluait les hommes du bénéfice du congé parental pour élever un enfant jusqu’à l’âge de deux ans.

13. Dans son pourvoi en recours contre cette décision auprès de la cour d’appel de Bacău, le requérant souleva l’exception d’inconstitutionnalité de la disposition légale régissant le statut des militaires.

14. Au cours de la procédure, se disant contraint par le choix qu’il avait dû faire entre son poste dans l’armée et le bénéfice des mesures prévues par la loi dans l’intérêt de son enfant, comme le congé parental, le requérant sollicita sa mise en réserve (trecerea în rezervă) de l’armée, qu’il obtint à compter du 31 mai 2004.

15. Saisie de la question préliminaire de constitutionnalité, la Cour constitutionnelle l’accueillit par une décision no 90 du 10 février 2005 et jugea que l’article 15 de la loi critiquée enfreignait le principe de l’égalité devant la loi et celui de la non-discrimination selon le sexe, tous deux inscrits dans la Constitution.

16. A la reprise de l’instance, après la décision de la Cour constitutionnelle communiquée le 16 mars 2005, la cour d’appel de Bacau rejeta le pourvoi du requérant par un arrêt définitif du 13 avril 2005. La cour d’appel estima que la disposition légale critiquée par la Cour constitutionnelle n’était de toute manière pas applicable, car le requérant n’avait pas fourni de justificatifs démontrant qu’il avait payé les cotisations nécessaires afin de bénéficier du congé parental. Ces justificatifs ne furent demandés au requérant à aucun stade de la procédure. Elle refusa également de l’indemniser du préjudice moral, considérant sa demande comme non étayée.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

17. A l’époque des faits, la législation roumaine de droit commun reconnaissait tant aux femmes qu’aux hommes, sans distinction, le droit au congé parental. Les parents de l’enfant avaient le droit de choisir lequel d’entre eux, la mère ou le père, demanderait le bénéfice de la loi (article 6 de la loi no 120/1997 sur le congé payé pour élever les enfants âgés de moins de deux ans, abrogée et remplacée par la loi no 19/2001 avec les modifications subséquentes, notamment par le règlement d’urgence du Gouvernement no 49/2001, publié le 30 mars 2001).

18. Jusqu’en 2006, le Statut des cadres militaires (loi no 80/1995) prévoyait que seules les femmes, parmi le personnel de l’armée, avaient droit au congé parental.

19. A la suite de la décision de la Cour constitutionnelle rendue sur la question préliminaire de constitutionnalité soulevée par le requérant dans son procès, qui a jugé cette loi incompatible avec le principe de non‑discrimination selon le sexe (décision no 90 du 10 février 2005), cette disposition a été modifiée par la loi no 18/2006, entrée en vigueur en janvier 2006. La nouvelle loi prévoit désormais que les femmes et les hommes ayant une activité dans le cadre de l’armée ont également droit au congé parental.

20. D’après une interpellation parlementaire de la députée socialiste ayant initié le projet qui a abouti à la loi no 18/2006, pendant l’année 2005, sur 103 800 bénéficiaires du congé parental pour élever un enfant âgé de moins de 2 ans, 18 990 (soit près de 20%) étaient des hommes.

21. A l’époque des faits, la loi no 164/2001 prévoyait un système séparé de sécurité sociale pour le personnel de l’Armée, de la Police et des juridictions nationales, différent du droit commun de la sécurité sociale qui était régi par la loi no 19/2000.

III. TEXTES INTERNATIONAUX ET ÉLÉMENTS DE DROIT COMPARÉ PERTINENTS

22. Les textes internationaux pertinents sont décrits dans l’arrêt Konstantin Markin c. Russie ([GC], no 30078/06, §§ 49-70, 22 mars 2012).

23. Les conclusions d’une étude de droit comparé menée sur trente-trois pays du Conseil de l’Europe sont également décrites dans l’arrêt Konstantin Markin (précité, §§ 71-75).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 8

24. Le requérant voit dans le refus de lui octroyer un congé parental une discrimination fondée sur le sexe. Il invoque l’article 14 de la Convention combiné avec les articles 6 et 8 de la Convention, en rapport avec la procédure qui a abouti au rejet de ses prétentions à cet égard.

25. Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, la Cour estime approprié d’examiner le grief soulevé par le requérant sous l’angle de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8, lequel exige également que le processus décisionnel portant sur la vie privée ou familiale soit équitable et respecte, comme il se doit, les intérêts protégés par cette disposition (Saleck Bardi c. Espagne, no 66167/09, § 31, 24 mai 2011).

26. Les dispositions invoquées se lisent comme suit :

Article 8

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Article 14

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

A. Sur la recevabilité

1. Sur le défaut de qualité de victime du requérant et sur la demande de radiation du rôle formulée par le Gouvernement

27. Le Gouvernement soutient que le requérant ne peut pas se prétendre victime d’une violation de l’article 14 combiné avec l’article 8. A cet égard, il fait valoir que la Cour constitutionnelle a reconnu dans sa décision no 90 du 10 février 2005, rendue sur la question préliminaire de constitutionnalité soulevée par le requérant dans son procès, que la loi sur le Statut des cadres militaires en vigueur à l’époque et qui réservait aux femmes, parmi le personnel ayant une activité dans l’armée, le droit au congé parental, était incompatible avec le principe de non-discrimination selon le sexe. En outre, la cour d’appel de Bacău aurait elle aussi reconnu l’existence d’une discrimination, tout en fondant sa décision de rejet des prétentions du requérant non pas sur ladite loi, mais sur une autre disposition légale concernant les contributions aux assurances sociales.

Les mesures susmentionnées peuvent, selon le Gouvernement, passer pour une reconnaissance de la violation des droits de l’intéressé garantis par la Convention. Aussi le requérant ne pourrait-il plus se prétendre victime d’une violation de l’article 14 combiné avec l’article 8.

Il estime ainsi que la requête doit être rayée du rôle au titre de l’article 37 § 1 b) de la Convention au motif que le litige a été résolu par le constat de la Cour constitutionnelle quant au caractère discriminatoire de la loi sur le Statut des cadres militaires.

28. Le requérant fait valoir qu’en dépit de ses demandes présentées auprès de ses supérieurs et du ministère de la Défense à partir du 9 septembre 2002, il ne s’est pas vu octroyer le congé parental.

En outre, il soutient qu’en dépit de la décision de la Cour constitutionnelle sur le caractère discriminatoire du Statut des cadres militaires en matière de congé parental, les autorités nationales ne lui ont pas fourni une réparation appropriée.

29. La Cour rappelle qu’une décision ou une mesure favorable au requérant ne peut en principe lui ôter la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (voir, par exemple, Amuur c. France, 25 juin 1996, § 36, Recueil des arrêts et décisions 1996‑III, Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 44, CEDH 1999‑VI, et Sakhnovski c. Russie [GC], no 21272/03, § 67, 2 novembre 2010).

30. En l’espèce la Cour note qu’à la suite d’une question préliminaire de constitutionnalité, la Cour constitutionnelle a énoncé que la disposition légale critiquée par le requérant était incompatible avec le principe de non-discrimination inscrit dans la Constitution. Toutefois, l’action en dédommagement formée par le requérant en raison de la discrimination subie a par la suite été rejetée par la cour d’appel de Bacău.

31. La première condition qui ressort de la jurisprudence précitée, à savoir la reconnaissance par les autorités nationales de la violation alléguée, ne prête pas à controverse, le requérant ayant bien obtenu le constat d’une discrimination par la voie de la question préliminaire de constitutionnalité. En revanche, la demande en réparation, fondée sur le fait qu’il n’avait pas bénéficié d’un congé parental et n’avait donc pas pu s’occuper de son enfant, a été rejetée par la décision de la cour d’appel de Bacău du 13 avril 2005.

32. Il s’ensuit qu’à défaut de réparation, par les autorités nationales, de la violation constatée par elles des droits du requérant au titre de la Convention, ce dernier peut se prétendre encore victime du traitement dont il dénonce le caractère discriminatoire au sens de l’article 34 de la Convention.

33. En outre, la Cour considère que les conséquences d’une éventuelle violation de la Convention n’ont pas été suffisamment effacées pour lui permettre de conclure que le litige a été résolu au sens de l’article 37 § 1 b) de la Convention (Konstantin Markin, précité, § 88).

2. Conclusion sur la recevabilité

34. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

35. Le requérant fait valoir que le congé parental est un bénéfice qui devrait profiter avant tout à l’enfant et non de façon spécifique à la mère en tant que telle, de sorte que les parents devraient jouir d’un traitement égal de la part des autorités à cet égard ; faute d’une telle symétrie de traitement en matière de congé parental, le résultat en l’occurrence est que l’enfant n’a pu tirer profit du congé d’un de ses parents que jusqu’à ses dix mois, en méconnaissance de son intérêt.

36. Pour ce qui est de la procédure civile qu’il a entamée pour faire valoir son droit au congé parental, le requérant allègue que la cour d’appel de Bacău a arbitrairement rejeté sa demande, comme non étayée, alors qu’il avait fait la preuve tant du préjudice moral subi que de sa couverture sociale au même titre que ses collègues femmes, employées de l’armée.

37. Invoquant l’affaire Petrovic c. Autriche (27 mars 1998, Recueil 1998‑II), le Gouvernement se réfère à la marge d’appréciation des États dans le secteur économique et social et à l’absence de consensus européen quant aux allocations sociales.

38. A cet égard, il relève que la cour d’appel de Bacău, dans sa décision du 13 avril 2005, n’a avancé aucun motif de nature discriminatoire, lorsqu’elle a rejeté les prétentions du requérant. En effet, ses prétentions ont été rejetées en raison de son défaut de payement des contributions sociales et non sur la base des dispositions excluant les hommes du congé parental dans le Statut des cadres militaires.

39. Le Gouvernement admet toutefois que la présente affaire concerne, pour l’essentiel, la différence alléguée de traitement entre les hommes et les femmes militaires quant au congé parental et non l’application des exigences légales en matière de sécurité sociale pour l’obtention de certaines allocations.

2. Appréciation de la Cour

40. La Cour rappelle les principes découlant de sa jurisprudence exposés dans l’arrêt Konstantin Markin (précité, §§ 124-127).

41. En l’espèce, il découle de ce qui précède que, aux fins du congé parental, le requérant, militaire de sexe masculin, se trouvait dans une situation analogue à celle des militaires de sexe féminin (Konstantin Markin, précité, § 133). Cette situation a conduit, d’ailleurs, la Cour constitutionnelle à estimer, à la demande du requérant, que l’absence de possibilité pour les militaires hommes d’accéder au congé parental, selon le Statut des cadres militaires, constituait une discrimination fondée sur le sexe.

42. Par ailleurs, depuis 2006, en Roumanie, comme du reste dans un nombre important d’États membres, la législation prévoit que les militaires de sexe masculin ont droit au même congé parental que les militaires de sexe féminin.

43. La Cour note cependant que le requérant s’est vu refuser le bénéfice d’un congé parental.

44. En outre, l’action en dédommagement formée par lui en raison de la discrimination subie du fait du refus du congé parental a été rejetée par la cour d’appel de Bacău au motif qu’il n’aurait pas justifié avoir payé ses contributions au système d’assurance sociale et qu’il n’avait pas démontré avoir subi un préjudice moral.

45. La Cour considère trop formaliste le constat de la cour d’appel selon lequel le requérant n’aurait pas démontré avoir subi un préjudice moral du fait du refus d’un congé parental opposé par son employeur et fondé sur la loi établissant le Statut des cadres militaires. A cet égard, elle rappelle qu’elle a déjà constaté que l’approche formaliste des tribunaux nationaux, qui avaient fait peser sur le requérant l’obligation d’établir l’existence d’un préjudice moral par le biais de preuves susceptibles d’attester des manifestations externes de ses souffrances physiques ou psychologiques, avait eu pour résultat de priver le requérant de la réparation qu’il aurait dû obtenir (mutatis mutandis, Danev c. Bulgarie, no 9411/05, §§ 32-37, 2 septembre 2010).

46. Pour ce qui est du raisonnement de la cour d’appel quant au rejet des prétentions du requérant au motif qu’il n’aurait pas payé les contributions sociales, la Cour note que la question du congé parental, dont le bénéfice était octroyé par la loi sur le Statut des cadres militaires de manière discriminatoire à l’égard des hommes engagés dans l’armée, est distincte de celle des éventuelles allocations. A supposer même que le requérant n’ait pas payé ses contributions sociales, la cour d’appel n’a nullement examiné son droit à un congé parental, éventuellement sans traitement. En outre, la cour d’appel n’a pas donné au requérant la possibilité de prouver le payement de ces cotisations aux assurances sociales et médicales d’autant plus qu’en tant que militaire, il faisait partie d’un système de sécurité sociale séparé du système public de droit commun (paragraphe 21 ci‑dessus).

Au demeurant, la Cour observe que ni le ministère de la Défense, en tant qu’employeur du requérant et partie adverse dans la procédure, ni la caisse d’assurances de l’armée ne semblent avoir jamais opposé au requérant une quelconque défaillance dans le versement de ses contributions sociales obligatoires, depuis son entrée dans l’armée, en 1991.

47. Compte tenu de ce qui précède, le refus de la cour d’appel de Bacău d’octroyer une réparation au requérant pour la violation de son droit à ne pas être discriminé dans l’exercice des droits touchant à sa vie de famille n’apparaît pas reposer sur des raisons suffisantes. A cet égard, il importe peu que la cour d’appel n’ait pas avancé de motifs de nature discriminatoire, dans sa décision, si elle a refusé, sans raisons suffisantes, de réparer le préjudice moral causé par la discrimination subie par le requérant du fait du refus du congé parental.

48. Partant, il y a eu violation de l’article 14 combiné avec l’article 8.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE No 7 À LA CONVENTION

49. Le requérant dénonce une violation de l’égalité entre les époux. Il invoque l’article 5 du Protocole no 7 à la Convention, qui se lit comme suit :

« Les époux jouissent de l’égalité de droits et de responsabilités de caractère civil entre eux et dans leurs relations avec leurs enfants au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution. Le présent article n’empêche pas les États de prendre les mesures nécessaires dans l’intérêt des enfants. »

50. Conformément au Rapport explicatif sur le Protocole no 7, l’égalité visée à l’article 5 ne doit être assurée que dans les relations entre les époux eux-mêmes, quant à leurs personnes ou leurs biens, et dans leurs relations avec leurs enfants. Il s’agit donc de droits et de responsabilités de caractère civil. Cet article ne s’applique pas à d’autres domaines du droit tels que le droit administratif, fiscal, pénal, social, ecclésiastique ou le droit du travail (Klöpper c. Suisse, no 25053/94, décision de la Commission du 18 janvier 1996, Décisions et rapports 84, p. 101). Le droit au congé parental relève sans aucun doute du droit du travail et s’inscrit dans le cadre des relations de travail, autrement dit des relations entre le travailleur et son employeur, plutôt que dans celui des relations entre époux. L’affaire porte donc sur l’inégalité entre les sexes et non sur l’inégalité entre les époux (Konstantin Markin, précité, § 62).

Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 (a) et doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

51. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

1. Dommage moral

52. Le requérant réclame 50 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi en raison du refus discriminatoire de congé parental, des tracas administratifs qu’il a dû affronter pour essayer en vain d’obtenir un redressement et qui l’ont finalement conduit à quitter l’armée de son propre gré, après quatorze ans de service et du fait que l’impossibilité d’être près de son enfant l’a empêché de prendre soin de lui correctement, alors que la Roumanie serait pauvre en nombre de crèches, haltes-garderies ou jardins d’enfants. Il allègue avoir été ainsi empêché de faire établir plus tôt le diagnostic de déficit d’attention et hyperactivité posé chez son enfant à partir de 2005.

53. Le Gouvernement trouve cette demande excessive et estime qu’un éventuel constat de violation pourrait constituer en soi une satisfaction équitable suffisante pour tout dommage moral qu’il aurait subi.

54. Statuant en équité, comme le veut l’article 41, la Cour alloue au requérant 8 000 EUR pour préjudice moral.

2. Dommage matériel

55. Le requérant demande également 1 120 EUR au titre du préjudice matériel, à savoir le montant des salaires payés pendant seize mois, à raison de 70 EUR par mois, à la personne qu’il a dû embaucher pour garder l’enfant. Il allègue ne pas être en mesure de produire de justificatifs à cet égard.

56. La Cour note que le requérant n’a pas joint les justificatifs nécessaires correspondant aux prétentions exposées. La Cour conclut en conséquence au rejet de sa demande.

B. Frais et dépens

57. Le requérant demande également 305 EUR pour les frais et dépens, sans préciser s’il s’agit de ceux engagés devant les juridictions internes ou de ceux engagés devant la Cour.

58. Le Gouvernement fait observer que le requérant n’a pas présenté de justificatifs à l’appui.

59. La Cour note que le requérant n’a pas joint les justificatifs nécessaires correspondant aux prétentions exposées. La Cour conclut en conséquence au rejet de sa demande.

C. Intérêts moratoires

60. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 14 combiné avec l’article 8 et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention ;

3. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 8 000 EUR (huit mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à convertir en la monnaie nationale de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 octobre 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-113546
Date de la décision : 02/10/2012
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 14+8 - Interdiction de la discrimination (Article 14 - Discrimination) (Article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale;Article 8-1 - Respect de la vie familiale);Dommage matériel - demande rejetée;Préjudice moral - réparation

Parties
Demandeurs : HULEA
Défendeurs : ROUMANIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : CLIVETI M.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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