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25/09/2012 | CEDH | N°001-113434

CEDH | CEDH, AFFAIRE ARCHIDIOCESE CATHOLIQUE D'ALBA IULIA c. ROUMANIE, 2012, 001-113434


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE ARCHIDIOCÈSE CATHOLIQUE D’ALBA IULIA c. ROUMANIE

(Requête no 33003/03)

ARRÊT

STRASBOURG

25 septembre 2012

DÉFINITIF

25/12/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Archidiocèse catholique d’Alba Iulia c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Egbert Myjer,

Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Ineta Ziemele,
Luis López Guerra,
Kristina Pardalos, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après ...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE ARCHIDIOCÈSE CATHOLIQUE D’ALBA IULIA c. ROUMANIE

(Requête no 33003/03)

ARRÊT

STRASBOURG

25 septembre 2012

DÉFINITIF

25/12/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Archidiocèse catholique d’Alba Iulia c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Egbert Myjer,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Ineta Ziemele,
Luis López Guerra,
Kristina Pardalos, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 août 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 33003/03) dirigée contre la Roumanie et dont une communauté religieuse sise dans cet État, l’Archidiocèse catholique d’Alba Iulia (Arhiepiscopia Romano-Catolică Alba Iulia) (« le requérant »), a saisi la Cour le 14 octobre 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Mes Monica Macovei et Dan Mihai, avocats à Bucarest, puis, à partir de décembre 2004, uniquement par ce dernier. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme Irina Cambrea, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant invoque en particulier la violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

4. Le 5 avril 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

5. A la suite du déport de M. Corneliu Bîrsan, juge élu au titre de la Roumanie (article 28 du Règlement de la Cour), le président de la chambre a désigné Mme Kristina Pardalos pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 26 § 4 de la Convention et 29 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Le requérant, l’Archidiocèse Catholique d’Alba Iulia, est une communauté de l’Église catholique, établie en Roumanie et ayant son siège à Alba Iulia.

A. La situation juridique de la Bibliothèque Batthyaneum et de l’Institut d’astronomie de 1798 à 1998

7. Le 31 juillet 1798, le requérant s’est vu donner par l’évêque catholique de Transylvanie, Ignatius, Comte de Batthyan, sa bibliothèque dénommée par la suite « la Bibliothèque Batthyaneum », comportant une des plus riches collections de livres anciens de Roumanie et le bâtiment l’abritant, ainsi que l’Institut d’astronomie qu’il avait fondé, sis dans le même immeuble. Un des livres les plus précieux de la collection est un fragment d’un manuscrit carolingien enluminé, datant de 810, écrit en latin, à l’encre dorée et connu sous la dénomination de l’Évangéliaire de Lorsch (cf. Ingo F. Walther, Norbert Wolf, Chefs-d’œuvre de l’enluminure, Köln, 2005, p. 86-89 ; la bibliothèque d’Alba Iulia conserve le fragment contenant les évangiles selon saint Marc et saint Matthieu). Une autre dénomination de ce livre utilisée plus couramment en Roumanie est celle de Codex aureus. Conformément aux vœux du donateur, la bibliothèque et l’institut étaient ouverts au public, pas seulement aux croyants de confession catholique, et ne pouvaient pas être déplacés d’Alba Iulia.

8. L’acte de donation fait partie intégrante d’une charte rédigée en latin qui fait état des principales contributions de l’Évêque au profit de l’église, dont la rénovation et le financement de nouveaux ornements pour la cathédrale et les bâtiments ecclésiastiques et la création de l’institut d’astronomie. Dans sa partie concernant la donation de la Bibliothèque, la charte peut se lire ainsi :

« En raison du fait que c’est à Alba Iulia que se trouve le siège de l’Évêché et des disciplines théologiques et mathématiques, je donne, remets et confère à l’Église et à la Province de Transylvanie ma grande bibliothèque pour laquelle j’ai dépensé trente mille florins, à l’emplacement où elle se trouve, ainsi qu’une partie des livres qui lui appartiennent et qui se trouvent chez moi. (...) Je veux toutefois et je décide que ni l’Institut d’astronomie, ni la Bibliothèque, avec tous les accessoires énumérés, ne pourront être déplacés d’Alba Iulia, sauf nécessité impérieuse et seulement après l’accord unanime de l’Évêque et du chapitre, auquel devra s’ajouter l’assentiment du gouverneur royal, s’il est catholique, et celui du Status Catholici. »

9. De 1789 à 1947, l’archidiocèse requérant fut le seul propriétaire et possesseur de la Bibliothèque et de l’institut. Ni l’État roumain, ni d’autres personnes n’émirent de prétentions à l’égard de la propriété de ces biens.

10. En 1947, après l’instauration du régime communiste en Roumanie, la Bibliothèque Batthyaneum et l’institut, devenu musée d’astronomie, furent fermés et mis sous scellés par les autorités. Aucun acte d’expropriation ne fut notifié au requérant.

11. Par arrêt du 19 décembre 1961, sur demande du comité exécutif de la collectivité régionale (comitetul executiv al sfatului popular raional) formée contre le requérant, le tribunal régional de Hunedoara constata que l’État était devenu propriétaire de la bibliothèque et de l’institut pour avoir occupé les biens pendant plus de deux ans (bunurile în speţă fiind stăpânite de către Statul Român de peste doi ani).

12. Par décision no 142/1990, la mairie d’Alba Iulia ordonna que la Bibliothèque Batthyaneum soit placée sous l’administration de la Bibliothèque centrale d’État (Biblioteca centrală de Stat – filiala Alba Iulia).

B. Le règlement d’urgence no 13 du 7 juillet 1998 ordonnant la restitution des biens litigieux

13. Le règlement d’urgence (ordonanţă de urgenţă) du Gouvernement no 13/1998 du 7 juillet 1998 établit que dix-sept immeubles énumérés dans l’annexe dudit règlement devaient être restitués aux communautés –organisations ou églises – des minorités nationales auxquelles ces biens avaient été confisqués après 1940.

14. Parmi les dix-sept biens immobiliers énumérés dans l’annexe, la « Bibliothèque Batthyaneum et le musée et l’institut astrologique du diocèse romano-catholique » figuraient au no 13 de la liste. L’annexe mentionnait, outre l’adresse de l’immeuble et ses références du registre foncier, le titulaire actuel du droit de propriété, à savoir l’Académie roumaine. Il était aussi mentionné que c’était la minorité hongroise qui avait sollicité qu’il soit procédé à la restitution vers l’ancien propriétaire, l’église requérante.

15. Le règlement prévoyait la constitution d’une commission paritaire formée par des représentants du Gouvernement et des communautés qui avaient fait des demandes de restitution. Cette commission était chargée d’examiner ces demandes (paragraphe 47 ci-dessous). Le transfert de propriété devrait avoir lieu au moment de la remise de l’immeuble, par procès-verbal, des mains des détenteurs actuels à celles des successeurs établis.

16. La commission paritaire dont la mise en place était prévue par le règlement no 13/1998 ne s’est jamais constituée. Ainsi qu’il ressort de la lettre du 26 juillet 2011 de la commission administrative spéciale pour la restitution des immeubles ayant appartenu aux communautés religieuses, soumise par le Gouvernement, aucune trace de son existence, de son activité ou d’archives n’a pu être trouvée.

17. En vertu d’une loi entrée en vigueur en mars 2004, la commission administrative spéciale pour la restitution des immeubles ayant appartenu aux communautés religieuses reprit la compétence d’opérer le transfert de propriété des biens régis par le règlement d’urgence no 13 du 7 juillet 1998.

18. Jusqu’à ce jour, la commission spéciale n’a pas conclu les démarches administratives nécessaires à cet égard.

C. L’action en justice dirigée contre le requérant

19. Le 29 septembre 1998, la filiale départementale d’Alba du Parti de la Démocratie sociale de Roumanie (devenu ultérieurement le Parti Social Démocrate – « PSD » ci-après) assigna en justice le requérant, l’Académie roumaine et le Gouvernement, en demandant que l’immeuble Bibliothèque Batthyaneum soit conservé par l’administration de la Bibliothèque nationale de la Roumanie, en tant que propriété publique d’intérêt national et qu’il ne soit pas restitué au requérant.

1. Les voies de recours ordinaires

20. Dans son assignation en justice, le PSD souleva une exception d’inconstitutionnalité du règlement du 7 juillet 1998.

21. Dans leurs mémoires en défense, tant le requérant, que le Gouvernement et l’Académie roumaine demandèrent que l’action soit déclarée irrecevable, entre autres, pour absence de qualité processuelle active du PSD, au motif qu’elle n’avait aucun rapport avec le propriétaire du bien.

22. Par jugement du 9 novembre 1998, le tribunal de première instance d’Alba Iulia qualifia les prétentions du PSD d’action administrative en modification d’un acte émis par le Gouvernement et déclina sa compétence en faveur de la cour d’appel d’Alba Iulia.

23. Saisi de l’appel du PSD, le tribunal départemental d’Alba cassa ce jugement par une décision du 5 mai 1999. Le tribunal départemental établit que l’action devrait être qualifiée d’action civile en constatation de droit commun et non d’action en contentieux administratif et renvoya l’affaire devant le tribunal de première instance. Cette décision fut maintenue par un arrêt de la cour d’appel d’Alba Iulia, du 27 décembre 1999.

24. L’affaire fut réinscrite au rôle du tribunal de première instance. Le 24 février 2000 le tribunal saisit la Cour constitutionnelle de l’exception soulevée par le PSD d’Alba.

25. Par arrêt du 16 janvier 2001, la Cour Constitutionnelle déclara irrecevable l’exception d’inconstitutionnalité du règlement no 13/1998, au motif que l’exception ne visait pas la vérification de la conformité à la Constitution du règlement, mais la contestation de son fondement factuel, par exemple, entre autres, le fait que l’Académie roumaine figurait comme titulaire du droit de propriété, à la place de la Bibliothèque nationale de la Roumanie.

26. Le 15 juin 2001, le ministère de la Culture forma une demande d’intervention à titre principal dans la procédure, pour faire constater que la Bibliothèque Batthyaneum avait par erreur été mentionnée à l’annexe du règlement no 13/1998 et qu’elle était et devrait rester propriété publique.

27. Par un jugement du 7 mars 2002, le tribunal de première instance d’Alba Iulia rejeta l’action du PSD Alba, pour absence d’intérêt à agir, ainsi que la demande d’intervention du ministère de la Culture.

28. Ce jugement fut maintenu, sur appel et pourvoi en recours du PSD et du ministère, par arrêts du tribunal départemental et de la cour d’appel d’Alba Iulia, des 25 octobre 2002 et 24 janvier 2003, respectivement. En outre, la cour d’appel retint, dans son arrêt, qu’en vertu de la loi no 213/1998 régissant la propriété publique, il appartenait au ministère des Finances de participer aux procédures tendant à faire valoir un droit de propriété publique.

2. La première contestation en annulation et l’arrêt du 15 avril 2003

29. Le PSD d’Alba forma une contestation en annulation de l’arrêt définitif du 24 janvier 2003, par lequel ses prétentions pour que la Bibliothèque ne soit pas restituée au requérant avaient été rejetées. Le ministère de la Culture ne forma pas de contestation en annulation.

30. La cour d’appel tint une audience le 15 avril 2003 à laquelle le requérant ne fut pas cité à comparaître.

31. Par un arrêt du 15 avril 2003, la cour d’appel d’Alba Iulia fit droit à la contestation en annulation et estima que le PSD avait un intérêt pour agir en faveur de la protection du patrimoine culturel national, en raison des dispositions de l’article 2 de la loi no 27/1996 régissant les partis politiques, en vertu duquel ces derniers avaient « l’obligation de promouvoir les valeurs et les intérêts nationaux ».

32. La cour d’appel annula l’arrêt définitif du 24 janvier 2003 et, statuant sur le bien-fondé de l’action interjetée par le PSD d’Alba, l’accueillit en partie, en constatant que l’immeuble et la Bibliothèque Batthyaneum étaient la copropriété de l’État roumain et du requérant. La cour d’appel constata, à la lecture de l’acte de donation du 31 juillet 1798, que la copropriété découlait de la volonté du donateur qui avait donné sa bibliothèque « à l’église catholique et à la province de Transylvanie ». Or, d’après le traité de paix de Trianon, conclu en 1920, à l’issue de la Première Guerre mondiale, les possessions de l’État hongrois dans la province de Transylvanie étaient passées dans la propriété de l’État roumain.

33. L’arrêt du 15 avril 2003 indiquait également que c’était une erreur grossière de mentionner le bien litigieux à l’annexe du règlement no 13/1998, car ce dernier ne visait que les biens abusivement confisqués. L’arrêt est ainsi rédigé dans ses parties pertinentes :

« L’action en l’espèce a le caractère d’une action tendant à faire établir un constat par un tribunal (acţiune în constatare) car il est évident que le demandeur [à savoir la filiale d’Alba du parti social-démocrate] n’a pas un droit de propriété ou d’administration sur les biens qui constituent l’objet du litige et ne peut, de ce fait, entamer une action en réalisation du droit.

Le problème qui s’est posé en l’espèce est de savoir si le demandeur a ou non la qualité processuelle active dans une action tendant à faire établir un constat par le tribunal.

A cet égard, il faut observer que l’objet du litige est constitué de biens qui, par leur nature, font partie du patrimoine culturel national, tel que réglementé par (...) le règlement du Gouvernement no 27/1992 et par la loi no 182/2000 régissant le patrimoine culturel national contenant tant des biens en propriété publique, que des biens en propriété privée.

Il est à noter que l’inventaire de la bibliothèque en litige comprend des biens d’une valeur inestimable, uniques en Europe et probablement dans le monde, comme environ 600 incunables, l’évangéliaire Codex aureus, (...) des manuscrits et des livres imprimés datant des XVI - XVIII siècles.

Il s’ensuit que la protection des valeurs inestimables du patrimoine culturel national ne peut pas être laissée uniquement à ceux qui ont un droit d’administration, mais la sphère des personnes qui peuvent agir en justice pour la défense de ces valeurs doit être plus large et doit inclure les organisations civiques, les partis politiques, les fondations culturelles ou autres, à condition que les biens fassent partie du domaine public, qui, en vertu de l’article 1358 de la Constitution, est inaliénable.

Par ailleurs, en vertu de l’article 2 de la loi no 27/1996 régissant les partis politiques, ceux-ci ont, entre autres, l’obligation de promouvoir les valeurs et les intérêts nationaux.

(...)

En ce qui concerne le fond de l’affaire :

Il est évident que le règlement no 13/1998 a eu comme objectif, entre autres, la restitution (retrocedarea) des biens appartenant à l’ensemble des membres d’une même religion, abusivement confisqués par l’État (intrate abuziv în proprietatea statului).

Il s’agit bien évidement des biens abusivement confisqués pendant le régime communiste et non d’un renoncement de l’État à ses biens du patrimoine culturel acquis légalement en vertu des articles 644 et 645 du code civil.

En l’espèce, il est prouvé sans équivoque que, par l’acte de donation du 31 juillet 1798, qui n’est contesté par aucune des parties, l’évêque Ignatius Batthyany a fait don du bâtiment et de la bibliothèque en litige à la province de Transylvanie et à l’église catholique, dans un état d’indivision, aucune modalité de partage n’étant indiquée dans l’acte (în act nefiind indicate cotele părţi) (...).

Ultérieurement à cette donation, la province de Transylvanie a été incluse dans le royaume magyar, ce dernier est devenu copropriétaire avec l’église et, ensuite, conformément à l’article 45 du Traité de paix de Trianon, l’État roumain est devenu propriétaire des biens ayant appartenu à l’ancien royaume magyar.

(...)

Le moyen soulevé par l’église requérante tiré de l’article 17 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme en vertu duquel personne ne peut être arbitrairement privé de sa propriété [n’est pas fondé] compte tenu du fait que la propriété de l’église défenderesse n’est nullement affectée, car elle est reconnue copropriétaire avec l’État. Il n’y a pas de base législative pour qu’elle s’approprie le restant du droit de propriété que l’État a acquis en vertu du Traité de Trianon. »

3. La seconde contestation en annulation et l’arrêt du 22 octobre 2003

34. Le 5 mai 2003, le requérant forma une contestation en annulation de l’arrêt du 15 avril 2003 décrit ci-dessus.

35. Par un arrêt du 22 octobre 2003, cette contestation en annulation fut accueillie par la cour d’appel d’Alba Iulia, qui annula l’arrêt du 15 avril 2003 et confirma l’arrêt définitif du 24 janvier 2003.

36. La cour d’appel indiqua que la question de la qualité processuelle passive de la filiale du PSD avait été définitivement résolue par l’arrêt du 24 janvier 2003, arrêt qui était depuis investi de l’autorité de la chose jugée, de sorte qu’elle ne pouvait plus faire l’objet d’un nouvel examen à travers un recours extraordinaire, comme la contestation en annulation.

37. De même, la cour d’appel jugea que le règlement d’urgence du Gouvernement no 13/1998, qui avait ordonné la restitution au requérant de la Bibliothèque Batthyaneum, du Musée et de l’Institut d’astronomie ne pouvait pas être modifié par la voie d’une action civile. L’arrêt est ainsi rédigé dans ses parties pertinentes :

« L’arrêt contesté est frappé de nullité absolue aussi parce qu’il visait la modification du règlement no 13/1998 et de son annexe, règlement par lequel le Gouvernement avait décidé la restitution au profit de l’Archidiocèse romano‑catholique d’Alba Iulia de la Bibliothèque Battyaneum, du Musée et de l’Institut archéologique (sic) du diocèse romano-catholique d’Alba Iulia.

Il faut retenir que cet immeuble a été donné par l’évêque de la Transylvanie, Ignatius Batthyan à la province de Transylvanie et à l’église catholique (au profit de tous les ressortissants de la province sans distinction d’origine ethnique) et que, ultérieurement il est devenu la propriété exclusive de l’État roumain.

Or, dans ces conditions, le Gouvernement de la Roumanie a disposé de cet immeuble par le règlement no 13/1998 et son abrogation ne peut intervenir que par un autre règlement du Gouvernement ou par une loi du Parlement, et non par une décision de justice.

La cour note que ce règlement du Gouvernement a fait l’objet d’un recours devant la Cour constitutionnelle à la demande de la requérante, l’organisation départementale du P.S.D., mais l’exception d’inconstitutionnalité a été rejetée.

Compte tenu de ce qui précède, la cour fait droit à la contestation en annulation et annule l’arrêt contesté (...) »

D. Développements après l’arrêt du 22 octobre 2003

38. Par un mémoire du 16 mars 2005, le requérant saisit le ministère de la Culture, demandant à être mis en possession de « la Bibliothèque Batthyaneum, du Musée et de l’Institut astrologique », conformément au règlement d’urgence du 7 juillet 1998 et aux décisions de justices rendues en l’affaire. Il fit valoir que la commission chargée de préparer la restitution de ces biens n’avait pas accompli ses tâches, en opposant un refus fondé sur l’existence d’une action civile pendante.

39. En l’absence de réponse, le 5 mai 2005, le requérant saisit le Gouvernement d’un mémoire similaire qui est resté également sans suite.

40. A ce jour, le requérant attend toujours d’être mis en possession des biens décrits au point 13 de l’annexe du règlement du 7 juillet 1998.

41. Le requérant fait valoir que pendant cette période furent révélés des exemples de mauvaise administration de ce patrimoine, qu’il n’a pas pu empêcher. Ainsi, le Codex aureus, l’un des plus précieux ouvrages de la Bibliothèque Batthyaneum, aurait été sérieusement endommagé à l’occasion de son prêt consenti par l’administrateur actuel.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS

A. Accords entre le Saint-Siège et le Gouvernement roumain

42. L’accord concernant l’interprétation de l’art. IX du concordat du 10 mai 1927 entre le Saint-Siège et le Gouvernement roumain fut publié dans une version bilingue roumaine et française, au Journal officiel no 52 du 2 mars 1940. Dans son article V, il prévoit que « tous les biens se trouvant à la date du 1er janvier 1932 dans la possession et sous l’administration du Status Romano-Catholicus Transylvaniensis sont des biens à caractère ecclésiastique et seront utilisés conformément à leur destination initiale uniquement sur le territoire actuel du Diocèse Catholique de rite latin d’Alba Iulia ».

43. Le décret du ministre des Cultes no 151 du 17 juillet 1948 dénonça le concordat et les accords subséquents et abrogea leurs lois de ratification respectives.

44. Pendant la période du régime communiste, les relations diplomatiques entre le Saint‑Siège et le Gouvernement roumain furent interrompues.

45. Les relations diplomatiques entre le Saint‑Siège et le Gouvernement roumain furent rétablies le 15 mai 1990.

B. Dispositions législatives

1. Dispositions portant sur la bibliothèque et le musée

46. En vertu du règlement d’urgence (ordonanţă de urgenţă) no 13/1998 du 7 juillet 1998, publié au Journal Officiel no 255 du 8 juillet 1998, dix‑sept biens, identifiés à l’annexe du règlement, dont la « Bibliothèque Batthyaneum et le Musée et l’Institut astrologique du diocèse romano‑catholique » (Biblioteca „Batthyaneum”, Muzeul şi Institutul Astrologic al Episcopiei Romano-Catolice), qui figuraient au no 13 de la liste, devaient être restitués aux communautés des minorités nationales auxquelles ces biens avaient été confisqués après 1940.

A la différence d’autres biens individualisés par la liste annexe audit règlement, dans le cas de la bibliothèque et du musée, il est fait expressément mention de leur appartenance au diocèse romano-catholique d’Alba Iulia.

Bien que tous les documents antérieurs ou postérieurs utilisent la dénomination d’institut « astronomique », le règlement d’urgence utilise la dénomination d’« institut astrologique ».

L’article 1er dudit règlement est ainsi libellé :

« Sont restitués aux titulaires ou à leurs successeurs les immeubles, avec leur terrain afférent, compris dans l’annexe qui fait partie intégrante du présent règlement d’urgence, qui ont appartenu aux communautés (organisations, églises – en roumain culte religioase) des citoyens appartenant aux minorités nationales de Roumanie et qui sont passés, après 1940, dans le patrimoine de l’État roumain par des mesures de contrainte, confiscation, nationalisation ou manœuvres dolosives. »

47. Selon l’article 2 dudit règlement, la compétence pour répondre aux demandes de restitution revenait à une commission paritaire, qu’il instituait, formée par des représentants du Gouvernement et des communautés qui avaient fait des demandes de restitution.

L’article 2 est ainsi libellé :

« Afin de vérifier que les conditions prévues à l’article 1er sont remplies, une commission spéciale formée de manière paritaire par des représentants du Gouvernement et des communautés mentionnées dans l’annexe est mise en place dans un délai de trente jours à compter de l’entrée en vigueur du présent règlement d’urgence.

La commission devra établir, dans le cadre desdites communautés, les successeurs au profit desquels le droit de propriété sur les immeubles revendiqués sera rétabli et elle aura la charge d’établir, sur la base de documents justificatifs, le dossier (documentaţia) pour chaque immeuble de la liste. Le transfert de propriété sur les immeubles compris dans l’annexe aura lieu à la date de la signature du protocole rédigé par la commission.

La commission établie par cet article est compétente pour examiner, selon la même procédure, les demandes de restitutions pour d’autres immeubles de la même catégorie, qui ont appartenu aux communautés des minorités nationales de Roumanie. Après avoir identifié ces immeubles, la commission devra soumettre au Gouvernement des propositions à cet égard. »

48. Selon l’article 3 dudit règlement, le transfert de propriété devrait avoir lieu au moment de la remise de l’immeuble, par procès-verbal, (protocol de predare-primire) des mains des détenteurs actuels à celles des successeurs établis.

49. Le règlement d’urgence fut ratifié sans aucune modification par la loi no 458/2003. La loi no 458/2003 a été publiée au Journal Officiel no 817 du 19 novembre 2003.

2. Dispositions sur la restitution des immeubles ayant appartenu aux communautés des minorités nationales et aux communautés religieuses

50. Le règlement d’urgence du Gouvernement (ordonanţă de urgenţă, ci-après « l’OUG ») no 83/1999 sur la restitution de certains biens immeubles qui ont appartenu aux communautés des minorités nationales, publié au Journal Officiel no 266 du 10 juin 1999, établit une commission spéciale de restitution, composée d’un représentant du ministère de la Justice, d’un représentant du département gouvernemental pour la protection des minorités et d’un représentant de la minorité demanderesse. Cette commission était chargée de répondre aux demandes de restitution pour ce qui était de trente-six immeubles identifiés dans l’annexe à l’OUG no 83/1999 ainsi que d’autres immeubles ayant appartenu aux communautés des minorités nationales (article 4 de l’OUG no 83/1999).

51. Le règlement d’urgence no 83/1999 fut ratifié et modifié par la loi no 66/2004, publiée au Journal Officiel no 278 du 30 mars 2004. En vertu des nouvelles dispositions de cette loi, les demandes de restitution devraient désormais être déposées auprès d’une autre commission que celle établie initialement, à savoir auprès de la commission spéciale de restitution des immeubles ayant appartenu aux communautés religieuses. Cette commission était instaurée par le règlement d’urgence du Gouvernement no 94/2000 sur la restitution des immeubles ayant appartenu aux communautés religieuses.

52. L’article unique de la loi no 66/2004 prévoit que le règlement d’urgence no 83/1999 est complété par quatre nouveaux articles (articles de 6 à 9).

53. Le dernier alinéa de l’article 9 de la version refondue en 2004 du règlement d’urgence no 83/1999 prévoit que « dans le cas des immeubles qui ont fait l’objet des procédures selon le règlement d’urgence no 13/1998 (...) et selon le présent règlement d’urgence, si en raison de divers motifs, les procédures de restitution n’ont pas été achevées, la compétence pour décider sur les demandes est reprise par la commission spéciale de restitution ».

3. Autres dispositions législatives

54. La loi no 182/2000 sur la protection des biens meubles appartenant au patrimoine culturel national (Legea privind protejarea patrimoniului cultural naţional mobil) a été publiée au Journal officiel no 530 du 27 octobre 2000. Cette loi régit les mesures de conservation des biens meubles appartenant au patrimoine culturel national sans distinction quant à la nature privée ou publique du droit de propriété sur ces biens. Après plusieurs modifications, une version refondue de cette loi a été publiée au Journal Officiel no 828 du 9 décembre 2008.

55. La loi no 27/1996 régissant les partis politiques a été abrogée et remplacée par la loi no 14/2003, entrée en vigueur le 17 janvier 2003.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION

56. Le requérant se plaint de la mise en échec de son droit de propriété sur la Bibliothèque Batthyaneum et le musée d’astronomie, y compris des collections de livres et autres objets y conservés, faisant partie de la donation de 1798, en dépit de la confirmation de son droit de propriété par les accords du Gouvernement roumain avec le Saint‑Siège ainsi que du règlement d’urgence du 7 juillet 1998. Il se plaint notamment de l’impossibilité d’entrer en possession de ces biens au motif que la commission administrative n’a pas préparé leur remise, que le règlement du 7 juillet 1998 ordonnait, en dépit d’une décision de justice définitive favorable au requérant, datant du 22 octobre 2003.

57. Ces griefs sont formulés sous l’angle des articles 6 et 13 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1.

58. Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, la Cour estime approprié d’examiner les griefs soulevés par le requérant uniquement sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (cf. mutatis mutandis, Saleck Bardi c. Espagne, no 66167/09, § 31, 24 mai 2011), qui est ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

A. Observation préliminaire

59. Dans ses observations complémentaires du 22 novembre 2011, le Gouvernement invite la Cour à noter que, vu l’objet de la présente affaire, celle-ci est à rapprocher du groupe des affaires similaires à l’affaire Străin et autres c. Roumanie (no 57001/00, CEDH 2005‑VII) et, de ce fait, invite la Cour à analyser la possibilité de traitement de la requête citée en marge de la même manière que toutes les affaires portant sur la même problématique générale. Il rappelle, sur ce point, les conclusions de la Cour dans l’arrêt pilote Maria Atanasiu et autres c. Roumanie (nos 30767/05 et 33800/06, § 241, 12 octobre 2010) conformément auxquelles :

« Compte tenu du nombre très important de requêtes dirigées contre la Roumanie portant sur le même type de contentieux, la Cour décide d’ajourner pour une période de dix-huit mois à compter de la date à laquelle le présent arrêt deviendra définitif l’examen de toutes les requêtes résultant de la même problématique générale, en attendant l’adoption par les autorités roumaines de mesures aptes à offrir un redressement adéquat à l’ensemble des personnes concernées par les lois de réparation ».

60. Le requérant estime que la présente affaire a trait à des biens à caractère ecclésiastique et qu’il n’y a pas de véritable lien avec les lois générales en matière de restitution de propriétés. En outre, il argue que la procédure prévue par le règlement d’urgence no 13/1998 n’est pas similaire aux autres procédures de restitutions régies par la loi générale en matière de restitutions.

61. La Cour observe que la présente affaire porte sur la propriété de la Bibliothèque Batthyaneum et du musée d’astronomie sis à Alba Iulia, dans le même immeuble que la bibliothèque, y compris des collections de livres et autres objets y conservés.

Ce patrimoine, composé d’un immeuble et de biens meubles, est individualisé par le règlement d’urgence no 13 du 7 juillet 1998, qui régit également le sort de douze autres biens. En cela, il se différencie des lois générales qui régissent la restitution des immeubles confisqués mais non de biens meubles et qui s’appliquent à tous les immeubles ayant été confisqués abusivement pendant la période de 1945 à 1989.

62. La Cour note également que le règlement d’urgence du 7 juillet 1998 a été confirmé dans son intégralité et sans modifications, cinq ans après son adoption, par la loi no 458/2003.

63. Le règlement d’urgence du 7 juillet 1998, tout comme la loi de ratification no 458/2003 sont toujours en vigueur à présent. Ils n’ont pas été abrogés, ni modifiés, par le règlement d’urgence no 83/1999, ni par les autres lois et règlements invoqués par le Gouvernement comme généralement applicables dans le domaine de la restitution des biens ayant appartenu aux communautés des minorités nationales et aux communautés religieuses. Il s’ensuit qu’en l’espèce il s’agit de l’application de dispositions législatives spéciales, qui – à la différence des lois générales de restitution – portent sur des biens identifiés et individualisés par ces mêmes dispositions législatives.

A cet égard, la Cour note que la loi no 66/2004 a uniquement transféré la compétence à une autre commission spéciale de restitution, chargée également de trancher les demandes de restitutions formulées en vertu des dispositions législatives générales. Cette loi n’a en rien changé la disposition législative spéciale ordonnant expressément la restitution de la bibliothèque et de l’institut, prévue dans règlement d’urgence du 7 juillet 1998.

64. De surcroît, la Cour a déjà examiné de manière distincte, en dehors des questions juridiques comprises dans l’arrêt pilote Maria Atanasiu et autres, précité, des affaires ayant trait à la revendication de certaines catégories de biens confisqués avant 1989. Il s’agissait, d’une part, de certaines catégories de biens ecclésiastiques ayant appartenu à l’Église roumaine unie à Rome (gréco‑catholique) (Paroisse greco‑catholique Sâmbata Bihor c. Roumanie, no 48107/99, § 66, 12 janvier 2010, Paroisse gréco-catholique Sfântul Vasile Polonă c. Roumanie, no 65965/01, § 5, 7 avril 2009). Il en est allé de même pour des biens meubles de valeur historique, comme des pièces de monnaie anciennes en or (Piştireanu c. Roumanie, no 34860/02, § 7, 30 septembre 2008, et Vasilescu c. Roumanie, 22 mai 1998, § 8, Recueil des arrêts et décisions 1998‑III). Or, ces arrêts, bien que rendus avant l’arrêt pilote, ne font pas ressortir la même problématique d’ordre général que celle identifiée dans l’arrêt Maria Atanasiu et autres, précité. Au même titre que les biens dont il est question en l’espèce, ces biens ne faisaient pas l’objet des lois générales de restitution.

65. Il s’ensuit que la situation en l’espèce ne relève pas de la même problématique générale que celle de l’affaire Maria Atanasiu et autres (précitée, § 241) et que son ajournement en attendant l’adoption par les autorités roumaines de mesures aptes à offrir un redressement adéquat à l’ensemble des personnes concernées par les lois de réparation ne s’impose pas.

B. Sur la recevabilité

66. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. A cet égard, il indique que le requérant avait à sa disposition une action en contentieux administratif. Cette action visant l’obligation de faire aurait pu aboutir, selon le Gouvernement, à ce qu’un tribunal prononce une injonction à la commission spéciale de restitution de rendre une décision à la suite de la demande introduite par le requérant, sous peine d’une amende et de dommages et intérêts, en vertu de l’article 5803 du Code de procédure civile.

67. A cet égard, le Gouvernement fait référence à une série de jugements de différents tribunaux nationaux, rendus pendant la période comprise entre 2001 et 2007, par lesquels ont été admises les actions visant l’obligation de faire formulées par des requérants afin de contester le défaut de réponse, le retard dans la solution ou les décisions dressées par les mairies concernant les notifications introduites en vertu de la loi no 10/2001. Selon le Gouvernement, ces décisions révélaient le point de vue majoritaire dans la pratique judicaire. Vu les similitudes des procédures de restitution, le Gouvernement estime que ladite jurisprudence est également pertinente en l’espèce.

68. En outre, le Gouvernement soumet trois exemples de jugements, confirmés par la Haute Cour de Cassations et de Justice les 20 mars 2007, 6 mai et 2 décembre 2009, rendus à la suite des actions formées par une paroisse orthodoxe et par deux paroisses gréco-catholiques contre la commission spéciale chargée de la restitutions de certains biens qui avaient appartenu auxdites communautés religieuses. Par ces jugements, la commission spéciale fut obligée de rendre une décision administrative au sujet des demandes formulées par les paroisses et tendant à la restitution de plusieurs immeubles.

69. Le requérant considère qu’à la date de l’introduction de sa requête, il ne disposait pas d’une voie de recours efficace pour dénoncer la situation litigieuse parce qu’il ne pouvait pas agir en justice contre une commission qui ne s’est jamais constituée, donc qui n’avait pas d’existence institutionnelle. Il indique, à cet égard, qu’il ressort même de la lettre du 26 juillet 2011, soumise par le Gouvernement, que la commission paritaire dont l’établissement était prévu par le règlement d’urgence no 13/1998 ne s’est jamais constituée, aucune trace de son existence, de son activité ou de ses archives n’ayant été retrouvée.

70. Il indique, en outre, que pendant la période allant du 19 septembre 1998 au 23 octobre 2003, une action en justice contestant son droit de propriété sur la bibliothèque et le musée était pendante. Dès lors, toute autre démarche en justice n’aurait pu aboutir, car nécessitant l’ajournement jusqu’à la décision définitive dans ladite procédure.

71. Il considère, enfin, que la procédure prévue par le règlement d’urgence no 13/1998 n’est pas similaire à celle des autres procédures de restitutions d’immeubles nationalisés et que, dès lors, la pratique invoquée par le Gouvernement comme majoritaire, n’est pas pertinente, au delà du fait qu’elle n’était pas unanime et constante.

72. La Cour estime que l’exception du Gouvernement est étroitement liée à la substance du grief, de sorte qu’il y a lieu de la joindre au fond (voir Burghelea c. Roumanie, no 26985/03, § 31, 27 janvier 2009, et, mutatis mutandis, De Sciscio c. Italie, no 176/04, § 53, 20 avril 2006).

73. Par ailleurs, la Cour constate que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève en outre qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

C. Sur le fond

1. Les arguments des parties

a) Arguments du requérant

74. Le requérant allègue une violation de l’article 1 du Protocole no 1, en raison de l’impossibilité depuis maintenant treize ans d’utiliser ses biens au motif que ni la commission établie par le règlement du 7 juillet 1998, ni une autre commission lui ayant succédé dans ces fonctions, n’a préparé leur remise, que ledit règlement ordonnait. Il dénonce à cet égard le caractère lacunaire de la législation, du fait qu’aucun délai n’était fixé par ledit règlement pour le transfert effectif de la possession des biens, avec pour conséquence de le priver de l’usage de ses biens en méconnaissance des conditions prévues à l’article 1 du Protocole no 1.

75. D’après le requérant, l’impossibilité pour lui d’utiliser ces biens est contraire tant au règlement du 7 juillet 1998, qui a été confirmé par une loi, qu’aux accords conclus entre le Gouvernement roumain et le Saint‑Siège, notamment à celui publié au Journal officiel du 2 mars 1940. D’après lui, ces accords sont toujours en vigueur, le décret d’abrogation pris par le ministre des Cultes le 17 juillet 1948 étant caduque, car contraire au droit international, en matière de traités.

76. Enfin, le requérant estime qu’à l’ingérence dans son droit au respect de ses biens s’ajoute l’incertitude juridique qu’il a dû supporter en raison de l’annulation consécutive de deux arrêts définitifs rendus dans le même litige, les 24 janvier et 15 mars 2003.

b) Arguments du Gouvernement

77. Se référant à la notion d’ « espérance légitime » de voir concrétiser une créance, couverte par le concept de « bien », au sens de l’article 1 du Protocole no 1, et à l’ample marge d’appréciation de l’État quant au choix des mesures visant à garantir le respect des droits patrimoniaux et leur mise en œuvre, le Gouvernement renvoie aux arrêts Pine Valley Developments Ltd et autres c. Irlande (29 novembre 1991, § 31, série A no 222) et Broniowski c. Pologne ([GC], no 31443/96, § 166, CEDH 2004‑V).

78. Le Gouvernement souligne les aspects entourant l’adoption des règlements et lois successifs en matière de restitution des propriétés aux minorités nationales, ainsi que les divers facteurs sociaux, économiques et juridiques dont les autorités ont dû tenir compte dans la réglementation du régime juridique de cette catégorie de biens que l’État s’est appropriés de manière abusive pendant le régime communiste.

79. Selon le Gouvernement, il ressort de l’évolution du cadre normatif dans le domaine de la restitution des immeubles ayant appartenu aux minorités nationales de Roumanie que le règlement d’urgence no 13/1998 a constitué une phase préliminaire à l’adoption du cadre législatif régissant la restitution de tous les biens confisqués. Ce n’est que plus tard que les procédures ont été effectivement mises en place et la compétence attribuée à une « commission spéciale » pour décider sur les demandes de restitution des immeubles formulées par les communautés religieuses.

80. Conformément aux renseignements communiqués par la commission spéciale, le requérant a formulé une demande de restitution de l’immeuble en question, en déposant des justificatifs en ce sens. Ladite demande de restitution a été soumise aux débats de ladite commission, les aspects discutés visant, d’une part, le fait que l’ancien propriétaire de l’immeuble aurait été l’observatoire astronomique romano‑catholique d’Alba Iulia, et, d’autre part, l’intention de l’évêque de donner le bâtiment et la bibliothèque non seulement au requérant mais aussi à la province de Transylvanie. Vu ces aspects, la commission spéciale de restitution devrait procéder à une nouvelle analyse du dossier de restitution et devrait établir la qualité de personne en droit de bénéficier de la restitution en question.

81. Enfin, pour ce qui est de la question de la conformité de cette situation aux dispositions de l’accord concernant l’interprétation de l’article IX du concordat du 10 mai 1927 entre le Saint-Siège et le Gouvernement roumain, il fait observer que ledit accord a été dénoncé par le décret no 151 du 17 juillet 1948. Selon le Gouvernement, toutes les lois de ratification du concordat et des conventions et accords ultérieurs ont été également abrogées.

2. L’appréciation de la Cour

a) Sur l’existence dans le chef du requérant d’une valeur patrimoniale protégée par l’article 1 du Protocole no 1

82. La notion de « biens » peut recouvrir tant des « biens actuels » que des valeurs patrimoniales, y compris, dans certaines situations bien définies, des créances. Pour qu’une créance puisse être considérée comme une « valeur patrimoniale » tombant sous le coup de l’article 1 du Protocole no 1, il faut que le titulaire de la créance démontre que celle-ci a une base suffisante en droit interne. Dès lors que cela est acquis, peut entrer en jeu la notion d’« espérance légitime » (Maurice c. France [GC], n 11810/03, § 63, CEDH 2005‑IX, et Agrati et autres c. Italie, nos 43549/08, 6107/09 et 5087/09, §§ 73-74, 7 juin 2011).

83. En l’espèce, le Gouvernement n’a pas contesté le droit du requérant à ce que sa demande visant la propriété des biens litigieux soit tranchée à travers la procédure légale.

84. La Cour note que le règlement d’urgence du Gouvernement du 7 juillet 1998, ratifié par le Parlement en 2003, toujours en vigueur à ce jour, comporte la mention explicite de l’obligation de restitution de « la Bibliothèque Batthyaneum et du musée et de l’institut astrologique du diocèse romano catholique ». La Cour observe à cet égard qu’à la différence d’autres biens individualisés par la liste annexe audit règlement, dans le cas de la bibliothèque et du musée il est fait expressément mention de leur appartenance au diocèse romano-catholique d’Alba Iulia.

85. En outre, dans son arrêt définitif du 22 octobre 2003, la cour d’appel d’Alba Iulia se réfère au règlement no 13 « par lequel le Gouvernement avait décidé la restitution au profit de l’archidiocèse romano‑catholique d’Alba Iulia de la Bibliothèque Battyaneum, du Musée et de l’institut » que « son abrogation ne pouvait intervenir que par un autre règlement du Gouvernement ou par une loi du Parlement, et non par une décision de justice » (paragraphe 37 ci-dessus).

Par ailleurs, l’action engagée, en l’espèce, entre autres, par le ministère de la Culture, en tant que partie intervenante à titre principal, qui contestait la légalité de la restitution, a été rejetée.

86. La Cour note qu’outre le règlement de 1998, le requérant invoque à son profit les obligations assumées par la partie défenderesse dans les accords entre le Saint-Siège et le Gouvernement roumain de 1927 et 1940, à savoir le respect de la propriété du requérant sur « tous les biens se trouvant, à la date du 1er janvier 1932, dans la possession et sous l’administration du Status Romano-Catholicus Transylvaniensi ». D’une part, le Gouvernement affirme que le décret du ministre des Cultes no 151 du 17 juillet 1948 a dénoncé le concordat et les accords subséquents et a abrogé leurs lois de ratification respectives. En revanche, d’après le requérant, ces accords sont toujours en vigueur, le décret d’abrogation pris par le ministre des Cultes de 1948 étant caduque, car contraire au droit international public en matière de traités.

La Cour ne juge pas nécessaire de statuer sur cette divergence, mais elle prend note du fait que le règlement de 1998, actuellement en vigueur, s’inscrit dans la lignée des obligations assumées auparavant par l’État roumain envers le Saint-Siège.

87. En tout état de cause, la Cour relève l’exceptionnelle valeur culturelle et historique de ce patrimoine, notamment de la bibliothèque, non seulement pour la Roumanie, mais au-delà, pour le public, en général.

88. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que le requérant bénéficie à tout le moins d’une espérance légitime, fondée sur ledit règlement, pour que la question de la propriété de ces biens soit réglée rapidement, au vu de leur importance non seulement pour le requérant, mais aussi étant donné l’intérêt général en cause.

L’article 1 du Protocole nº 1 est donc applicable au cas d’espèce.

b) Sur le respect de l’article 1 du Protocole no 1

89. L’article 1 du Protocole no 1 exige qu’une ingérence de l’autorité publique dans la jouissance du droit au respect des biens soit légale (Ex-roi de Grèce et autres c. Grèce [GC], no 25701/94, § 79, CEDH 2000-XII). Le principe de légalité présuppose l’existence de normes de droit interne suffisamment accessibles, précises et prévisibles dans leur application (Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, §§ 109-110, CEDH 2000‑I et, pour des affaires concernant la propriété des minorités ethniques et religieuses, voir aussi Fener Rum Erkek Lisesi Vakfı c. Turquie, no 34478/97, §§ 50-60, 9 janvier 2007, et Samatya Surp Kevork Ermeni Kilisesi, Mektebi Ve Mezarlığı Vakfı Yönetim Kurulu c. Turquie, no 1480/03, § 31, 16 décembre 2008). En outre, toute ingérence dans la jouissance de ce droit doit poursuivre un but légitime. De même, dans les affaires impliquant une obligation positive, il doit y avoir une justification légitime à l’inaction de l’État. Tant une atteinte au respect des biens qu’une abstention d’agir doivent ménager un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu (James et autres c. Royaume-Uni, 21 février 1986, § 46, série A no 98, et Ex‑roi de Grèce et autres, précité, § 87).

90. Dans chaque affaire impliquant la violation alléguée de cette disposition, la Cour doit vérifier si, en raison de l’action ou de l’inaction de l’État, la personne concernée a dû supporter une charge disproportionnée et excessive (Sporrong et Lönnroth c. Suède, 23 septembre 1982, § 73, série A no 52). A cet égard, il faut souligner que l’incertitude – qu’elle soit législative, administrative, ou tenant aux pratiques appliquées par les autorités – est un facteur qu’il faut prendre en compte pour apprécier la conduite de l’État. En effet, lorsqu’une question d’intérêt général est en jeu, les pouvoirs publics sont tenus de réagir en temps utile, de façon correcte et avec la plus grande cohérence (Vasilescu c. Roumanie, 22 mai 1998, § 51, Recueil 1998‑III).

91. En l’espèce, le règlement d’urgence du Gouvernement du 7 juillet 1998, ratifié par la loi no 458/2003, toujours en vigueur à ce jour, impose que le statut juridique de « la Bibliothèque Batthyaneum et le musée et l’institut astrologique du diocèse romano‑catholique » soit réglé par une commission administrative chargée d’examiner les demandes de restitution.

92. Bien que le requérant ait suivi la procédure préalable prévue par ce règlement, à ce jour, près de quatorze ans après, le protocole de remise desdits biens, auquel fait référence l’article 3 dudit règlement, n’a pas été conclu, pas plus qu’aucune autre décision, soit-elle d’octroi, de rejet ou de sursis, n’a été portée à la connaissance du requérant. A cet égard, la Cour note que le règlement du 7 juillet 1998 ne prévoit ni de date limite, ni de procédure à suivre pour parvenir au transfert des biens. En outre, le règlement ne prévoit pas de recours juridictionnel pour ce qui est de l’application de ces dispositions législatives. Ces lacunes législatives ont favorisé une procédure préalable dilatoire qui, compte tenu de son caractère obligatoire, pouvait bloquer sine die l’espérance légitime du requérant à ce que la question du statut du patrimoine identifié à la position no 13 de l’annexe au règlement du 7 juillet 1998 (Paroisse greco‑catholique Sâmbata Bihor, précité, §§ 68-71) soit finalement résolue.

93. A cet égard, la Cour note qu’ainsi qu’il ressort des documents soumis par le Gouvernement, la commission qui devrait opérer la transmission des biens en vertu du règlement du 7 juillet 1998 ne fut jamais mise en place. De ce fait, une action en justice contre la commission prévue par le règlement du 7 juillet 1998 n’était pas envisageable, étant donné qu’elle ne s’est jamais constituée.

94. La Cour note également que ce n’est qu’en 2004, soit près de six ans après ledit règlement, qu’en vertu d’une nouvelle loi, la compétence pour opérer le transfert des biens fut transmise à une autre commission administrative déjà constituée. Il ne ressort pas des pièces du dossier que cette nouvelle commission ait jamais communiqué au requérant le résultat, même préliminaire, de ses débats au sujet de la demande qu’il lui avait soumise. En outre, il ne ressort pas de la lettre du 26 juillet 2011 adressée par cette commission spéciale à l’agent du Gouvernement auprès de la Cour qu’une date ait été fixée pour la reprise de l’examen de cette demande.

95. Enfin, la Cour note que les décisions de justice rendues en rapport avec les lois générales de restitution, auxquelles le Gouvernement fait référence, ne sont pas pertinentes dans la mesure où, en l’espèce, il s’agit d’une réglementation spéciale dérogeant du doit commun en la matière. Il en va de même pour les trois décisions rendues dans des litiges initiés par des paroisses orthodoxes et gréco-catholiques et fondés sur les lois générales de restitutions. En outre, datant de 2007 et 2009, ces décisions sont bien postérieures à la date d’introduction de la présente requête.

96. Il s’ensuit qu’en l’absence de voie de recours accessible au requérant, dont l’efficacité soit démontrée en pratique et non seulement en théorie, l’exception de non épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement doit être rejetée.

97. Compte tenu de ce qui précède, la Cour ne décèle pas de justification légitime pour l’inaction prolongée de l’État qui fait échec à la mise en œuvre du règlement de 1998, confirmé par une loi de novembre 2003. L’incertitude, qui affecte le requérant depuis maintenant quatorze ans, en ce qui concerne son intérêt à ce que le statut juridique du patrimoine réclamé soit établi, est d’autant plus difficile à comprendre si l’on considère l’importance culturelle et historique du patrimoine en question qui aurait dû appeler une action rapide afin d’assurer sa préservation et son usage approprié dans l’intérêt général.

98. Partant, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 ET 13 DE LA CONVENTION

99. Le requérant dénonce une violation des articles 6 et 13 de la Convention.

100. Le Gouvernement conteste cette thèse.

101. La Cour relève que ces griefs sont liés à celui examiné ci-dessus et doivent donc aussi être déclarés recevables.

102. Eu égard au constat relatif à l’article 1 du Protocole no 1 (paragraphe 98 ci-dessus), la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner s’il y a eu, en l’espèce, violation de ces dispositions (voir, mutatis mutandis et entre autres, Laino c. Italie [GC], no 33158/96, § 25, CEDH 1999-I, Zanghì c. Italie, 19 février 1991, § 23, série A no 194-C, et Église catholique de la Canée c. Grèce, 16 décembre 1997, § 50, Recueil 1997‑VIII).

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

103. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

104. Le requérant réclame la restitution en nature des biens litigieux au titre du préjudice matériel qu’il aurait subi. Il réclame également 30 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral, en raison de l’incertitude prolongée qu’il a dû supporter pendant une longue période et des annulations répétées de décisions de justice définitives rendues en sa faveur. Il fait valoir que les biens litigieux sont d’une valeur morale inestimable pour tous ses fidèles. En outre, se référant aux actes de mauvaise administration qui auraient conduit à endommager un des plus précieux ouvrages de la collection de la Bibliothèque Batthyaneum et au déclenchement subséquent d’un scandale médiatique entourant le nom de cette bibliothèque, il allègue un préjudice moral du fait qu’il a été dans l’impossibilité de protéger ses biens.

105. Le Gouvernement conteste les prétentions de la requérante au titre du préjudice matériel et considère qu’aucun lien de causalité n’a été établi entre le dommage moral allégué et la prétendue violation de la Convention.

106. La Cour relève que la seule base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside en l’espèce dans le fait que l’espérance légitime qu’a eue le requérant que le statut juridique du patrimoine réclamé soit établi a été et continue d’être mise en échec depuis maintenant quatorze ans.

A cet égard, pour ce qui est du préjudice matériel, la Cour considère qu’il revient aux autorités nationales de choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures de redressement appropriées afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour.

107. S’agissant de la réparation du préjudice moral, la Cour a déjà jugé que le préjudice autre que matériel peut comporter, pour une personne morale, des éléments plus ou moins « objectifs » et « subjectifs ». Parmi ces éléments, il faut reconnaître la réputation de l’entité juridique, mais également l’incertitude dans la planification des décisions à prendre, les troubles causés à la gestion de l’entité juridique elle-même, dont les conséquences ne se prêtent pas à un calcul exact, et enfin, quoique dans une moindre mesure, l’angoisse et les désagréments éprouvés par les membres des organes de direction (Paroisse gréco-catholique Sfântul Vasile Polonă, précité, § 117).

108. En l’espèce, l’incertitude subie par le requérant pendant de nombreuses années a dû causer, dans le chef de l’intéressé et de ses représentants, de forts désagréments, notamment étant donné l’importance culturelle et historique du patrimoine en question (paragraphe 41 ci‑dessus).

109. A la lumière de ce qui précède, statuant en équité, comme le veut l’article 41, la Cour alloue au requérant 15 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

110. Le requérant demande également 15 595 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour, dont 4 035 EUR pour les honoraires de Me M. Macovei, 11 460 EUR pour les honoraires de Me D. Mihai et 100 EUR pour les frais de courrier. La convention d’assistance judiciaire conclue entre le requérant et ses avocats prévoit que la somme accordée par la Cour au titre des honoraires sera payée directement à ces derniers, à l’exception de 1 500 EUR déjà payés par le requérant à ses avocats, à raison de 750 EUR pour chacun des deux avocats, dont il demande le remboursement.

111. Le Gouvernement estime ces prétentions excessives. Il fait valoir qu’aucun justificatif n’a été apporté pour la somme demandée pour les frais de photocopie et de poste.

112. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 10 000 EUR pour la procédure devant la Cour, dont 3 250 EUR à payer directement à Me M. Macovei, 5 250 EUR à payer directement à Me D. Mihai et 1 500 EUR à verser au requérant pour les frais qu’il a effectivement avancés.

C. Intérêts moratoires

113. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de joindre au fond l’exception soulevée par le Gouvernement et de la rejeter ;

2. Déclare la requête recevable ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

4. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner les griefs tirés des articles 6 et 13 de la Convention ;

5. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 15 000 EUR (quinze mille euros), à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement pour préjudice moral ;

b) que l’État défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens :

i) 1 500 EUR (mille cinq cents euros) au requérant ;

ii) 3 250 EUR (trois mille deux cent cinquante euros) à Me Monica Macovei ;

iii) 5 250 EUR (cinq mille deux cent cinquante euros) à Me Dan Mihai ;

c) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 25 septembre 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident


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