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25/09/2012 | CEDH | N°001-113413

CEDH | CEDH, AFFAIRE BYGYLASHVILI c. GRÈCE, 2012, 001-113413


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE BYGYLASHVILI c. GRÈCE

(Requête no 58164/10)

ARRÊT

STRASBOURG

25 septembre 2012

DÉFINITIF

25/12/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Bygylashvili c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Nina Vajić, présidente,
Peer Lorenzen,
Elisabeth Steiner,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia

Laffranque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil l...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE BYGYLASHVILI c. GRÈCE

(Requête no 58164/10)

ARRÊT

STRASBOURG

25 septembre 2012

DÉFINITIF

25/12/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Bygylashvili c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Nina Vajić, présidente,
Peer Lorenzen,
Elisabeth Steiner,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 septembre 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 58164/10) dirigée contre la République hellénique et dont une ressortissante géorgienne, Mme Gannet Bygylashvili (« la requérante »), a saisi la Cour le 4 octobre 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante est représentée par Me Th. Tsiatsios, avocat à Thessalonique. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, Mme F. Dedousi, assesseure auprès du Conseil juridique d’Etat, et M. D. Kalogiros, auditeur auprès du Conseil juridique d’Etat. Le gouvernement géorgien, qui a reçu communication de la requête (articles 36 § 1 de la Convention et 44 § 1 a) du règlement), a exprimé son souhait d’exercer son droit d’intervenir dans la procédure. Toutefois, il n’a pas présenté d’observations dans le délai qui lui était imparti.

3. La requérante se plaint d’une violation des articles 3 (conditions de détention), 5 § 1 et 5 § 4 de la Convention.

4. Le 17 mars 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond de l’affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. La requérante est née en 1972 et réside à Athènes.

A. La mise en détention de la requérante en vue de son expulsion et le recours y relatif

6. A une date non précisée, la requérante entra sur le territoire grec sans documents d’identité.

7. Le 6 juillet 2010, elle fut arrêtée dans la région de Chalkidiki et mise en détention dans les locaux de la police des frontières de Panaya pour entrée illégale sur le territoire grec.

8. Le 8 juillet 2010, elle fut transférée au commissariat de police d’Arnaia (Chalkidiki).

9. Le 9 juillet 2010, le directeur de la police de Chalkidiki ordonna l’expulsion de la requérante sur le fondement de l’article 76 § 3 de la loi no 3386/2005, au motif qu’elle était entrée clandestinement sur le territoire grec et qu’elle y séjournait sans posséder les documents administratifs nécessaires. De plus, ladite autorité décida son maintien en détention « jusqu’à ce que la décision d’expulsion soit exécutée et pour une période qui ne [pouvait] pas aller au total au-delà de six mois maximum à partir de sa mise en détention, car, étant donné les circonstances de l’espèce, [la requérante] était susceptible de se soustraire à son expulsion » (décision no 04/001158504). Le 16 juillet 2010, le chef de la police de la Macédoine centrale rejeta le recours formé par la requérante contre la décision no 04/001158504. L’intéressée n’introduisit pas de recours en annulation contre la décision du 16 juillet 2010.

10. Entre-temps, le 9 juillet 2010, la requérante, par l’intermédiaire de son avocat, avait soumis à la présidente du tribunal administratif de Thessalonique ses objections à son maintien en détention. Elle alléguait notamment que son casier judiciaire était vierge, qu’elle ne constituait pas une menace pour l’ordre public et qu’elle ne présentait pas de risque de fuite. Elle affirmait en outre qu’elle était hébergée à Thessalonique par des compatriotes, So. M. et Sa. M., en possession de passeports grecs. Elle produisit, afin d’étayer cette allégation, une copie du contrat de location de So. M.

11. Le 21 juillet 2010, la présidente du tribunal administratif de Thessalonique rejeta les objections de la requérante. Elle constata que la requérante n’avait aucun document prouvant son identité et considéra que la seule intention d’une compatriote de l’héberger chez elle n’était pas suffisante pour lui faire établir une résidence permanente et stable. Elle estima que la requérante, qui n’avait aucun lien familial ou professionnel avec la Grèce, risquait de fuir si elle était remise en liberté, et qu’il ne serait pas aisé de la retrouver aux fins de l’exécution de la décision d’expulsion (décision no 888/2010).

12. Le 26 juillet 2010, la requérante fut transférée à la Direction des étrangers d’Attique afin de faire établir les documents nécessaires à son expulsion.

13. Le 27 juillet 2010, elle fut placée en détention dans les locaux de la sous-direction d’Attique chargée des étrangers (Petrou Ralli).

14. Le 9 août 2010, la requérante saisit le président du tribunal administratif d’Athènes de nouvelles objections à sa mise en détention. Le 10 août 2010, le président du tribunal rejeta celles-ci : il considéra notamment que la requérante « essayait, de manière contraire à la loi, de se soustraire aux mesures préparatoires à son éloignement ». Il conclut que la remise en liberté de l’intéressée pouvait mettre en péril l’exécution de la mesure d’expulsion (décision no 1087/2010).

15. Le 12 août 2010, la requérante déposa une demande d’asile, dont elle se désista le 13 septembre 2010.

16. Le 29 octobre 2010, elle déposa une nouvelle demande d’asile. Le 11 novembre 2010, la Commission des recours, instituée par l’article 3 du décret no 81/2009, proposa le rejet de la demande au motif que la requérante avait déclaré devant elle avoir quitté son pays pour rechercher une vie meilleure et de meilleures conditions de travail, et que ces mobiles ne démontraient pas l’existence d’un risque de persécution de la part des autorités de son pays à son égard. La commission estima la demande d’asile de la requérante infondée et abusive, considérant qu’elle avait à l’évidence utilisé cette voie pour faciliter son séjour en Grèce.

17. Le 6 janvier 2011, la Direction des étrangers d’Attique ordonna la remise en liberté de la requérante et lui accorda un délai de trente jours pour quitter le territoire, la durée maximale de la détention prévue par la loi (six mois) ayant été atteinte sans que la procédure d’asile eût été terminée.

18. Le 2 mai 2011, la Direction des étrangers d’Attique rejeta la demande d’asile.

B. Les conditions de détention avant expulsion dans les locaux de la sous-direction d’Attique chargée des étrangers (Petrou Ralli)

1. La version de la requérante

19. Dans sa requête devant la Cour, la requérante affirme que sa cellule dans les locaux de Petrou Ralli n’était pas suffisamment aérée et lumineuse, qu’elle était d’une superficie de 12 m2 et qu’elle la partageait avec quinze à vingt autres détenues. L’air y aurait été humide et fétide, surtout en raison de la promiscuité avec des fumeurs. De plus, la requérante dénonce l’absence d’espace pour se promener et faire de l’exercice physique. Les détenues n’auraient eu aucune activité récréative. Elle affirme enfin que les locaux étaient insalubres et que les douches et les toilettes étaient en nombre insuffisant.

20. Le 31 août 2010, la requérante se plaignit par écrit auprès de la sous‑direction d’Attique chargée des étrangers de ses conditions de détention ainsi que de son maintien en détention et reprocha aux autorités de rester passives en ce qui concernait les mesures préparatoires à son éloignement du territoire grec. A ses dires, à la date de l’introduction de la requête, elle n’avait pas reçu de réponse à ses doléances.

21. Dans ses observations en réponse à celles du Gouvernement (annexe 13), la requérante fournit des précisions supplémentaires concernant ses conditions de détention. Elle prétend que, pendant dix jours, elle avait dû dormir à même le sol en béton, faute de matelas disponible. Les matelas auraient eu une odeur repoussante. En raison de la saleté ambiante, les cheveux des détenues auraient été envahis par les poux. Il n’y aurait pas eu d’eau chaude pour la douche. Il n’y aurait eu pour deux cents détenues que six toilettes et six douches, dont seules une toilette et une douche auraient fonctionné. Les détenues se seraient battues pour avoir accès aux sanitaires. De plus, elles auraient été obligées de taper sur les barreaux des cellules pour obtenir des gardiens l’autorisation d’aller aux toilettes.

22. La nourriture aurait été toujours froide, parfois la date limite de consommation des aliments aurait été dépassée. L’eau courante aurait été impropre à la consommation.

23. Les détenues auraient été autorisées à sortir dans le couloir vingt minutes par jour. Pendant toute la durée de la détention de la requérante, les détenues n’auraient été emmenées qu’une seule fois dans un stade couvert situé à proximité.

2. La version du Gouvernement

24. D’après le Gouvernement, pendant toute la durée de sa détention (du 27 juillet 2010 au 6 janvier 2011), la requérante était détenue, avec quatre autres compatriotes, dans une cellule prévue pour cinq femmes, d’une superficie de 12 m², équipée d’une toilette et d’une douche, bénéficiant d’une aération et d’un éclairage corrects et d’un système central de climatisation produisant de l’air frais et de l’air chaud. La capacité totale de l’espace de détention pour les femmes serait de cent cinquante personnes, mais, pendant la détention de la requérante, le nombre des détenues n’aurait pas dépassé cent vingt.

25. De manière générale, les conditions d’hygiène et la propreté des lieux seraient très satisfaisantes. Les toilettes et les lavabos, en nombre suffisant, seraient accessibles une fois toutes les heures, voire plus souvent en cas de nécessité. Une entreprise privée assurerait le nettoyage et la désinfection quotidienne des lieux.

26. Par ailleurs, les détenues auraient droit à du linge de lit propre, à des produits pour l’hygiène corporelle ainsi qu’à des cartes téléphoniques pour communiquer avec leurs famille ou leur avocat.

27. A leur admission, toutes les détenues seraient soumises à un examen médical par des médecins collaborant avec l’organisation non gouvernementale « Intervention médicale ». Les détenues souffrant de problèmes ne pouvant être traités à l’infirmerie seraient transférées à l’hôpital public. Il y aurait aussi une prise en charge des détenues par des psychologues de cette même organisation.

28. L’alimentation des détenues serait assurée par les autorités et comprendrait petit déjeuner, déjeuner et dîner. Les repas seraient préparés dans les locaux de la Direction générale de la police d’Attique.

29. Des visites aux détenues seraient permises quatre fois par semaine et celles-ci seraient autorisées à recevoir de la part de visiteurs de l’argent ou d’autres objets. Quant à la communication avec les avocats, elle serait permise toute la journée. Enfin, les détenues auraient droit à une promenade quotidienne de 16 à 18 heures.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

A. Le droit et la pratique internes

1. La loi no 3386/2005

30. Les articles pertinents en l’espèce de la loi no 3386/2005 relative à l’entrée, au séjour et à l’insertion des ressortissants de pays tiers dans le territoire grec, tels qu’ils étaient en vigueur à l’époque des faits, disposaient :

Article 2

« 1. Les dispositions de cette loi ne s’appliquent pas

(...)

c) aux réfugiés et aux personnes qui ont déposé une demande visant à la reconnaissance de leur statut de réfugié, au sens de la Convention de Genève de 1951 (...) »

Article 76

« 1. L’expulsion administrative d’un étranger est permise lorsque :

(...)

c) sa présence sur le territoire grec représente une menace pour l’ordre public ou la sécurité du pays.

2. L’expulsion est ordonnée par décision du directeur de la police et (...) après que l’étranger a bénéficié d’un délai d’au moins quarante-huit heures pour déposer ses objections.

3. Lorsque l’étranger est considéré comme susceptible de fuir ou de représenter une menace pour l’ordre public, les organes mentionnés au paragraphe précédent ordonnent sa détention provisoire jusqu’à l’adoption, dans un délai de trois jours, de la décision d’expulsion (...). L’étranger détenu peut (...) former des objections devant le président (...) du tribunal administratif à l’encontre de la décision ordonnant la détention (...)

4. Lorsque l’étranger sous écrou en vue de son expulsion n’est pas considéré comme susceptible de fuir ou de représenter une menace pour l’ordre public ou lorsque le président du tribunal administratif s’oppose à la détention de l’intéressé, il est fixé à celui-ci un délai pour quitter le territoire, qui ne peut dépasser trente jours.

5. La décision mentionnée aux paragraphes 3 et 4 de cet article peut être annulée à la requête des parties si la demande est fondée sur des faits nouveaux (...) »

Article 77

« L’étranger a le droit d’exercer un recours contre la décision d’expulsion auprès du ministre de l’Ordre public dans un délai de cinq jours à compter de sa notification (...) La décision est rendue dans un délai de trois jours ouvrables à compter de l’introduction du recours. L’exercice du recours entraîne la suspension de l’exécution de la décision. Dans le cas où la détention est ordonnée en même temps que la décision d’expulsion, la suspension concerne seulement l’expulsion. »

Article 78

« Si l’expulsion immédiate de l’étranger n’est pas possible pour des motifs de force majeure, le ministre de l’Ordre public (...) peut décider de suspendre l’exécution de la décision d’expulsion. Par une autre décision, il impose à l’étranger des mesures restrictives. »

31. L’article 55 de la loi no 3900/2010, entrée en vigueur le 1er janvier 2011, a amendé l’article 76 de la loi no 3386/2005. Cette disposition se lit désormais ainsi :

Article 76

« 1. L’expulsion administrative d’un étranger est permise lorsque :

(...)

c) sa présence sur le territoire grec représente une menace pour l’ordre public ou la sécurité du pays.

(...)

2. L’expulsion est ordonnée par décision du directeur de la police et (...) après que l’étranger a bénéficié d’un délai d’au moins quarante-huit heures pour déposer ses objections.

3. Lorsque l’étranger est considéré, en raison des circonstances, comme susceptible de fuir ou de représenter une menace pour l’ordre public, lorsqu’il fait obstacle à ou empêche la préparation de son éloignement, les organes mentionnés au paragraphe précédent ordonnent sa détention provisoire jusqu’à l’adoption, dans un délai de trois jours, de la décision d’expulsion (...) Lorsque la décision d’expulsion est adoptée, la détention est maintenue jusqu’à l’exécution de l’expulsion mais elle ne peut en aucun cas dépasser six mois. Dans le cas où l’expulsion est repoussée parce que l’intéressé refuse de coopérer ou que les documents nécessaires à l’exécution de la mesure, devant être établis dans le pays d’origine ou le pays de transit, n’ont pas été réceptionnés, la détention peut être prolongée pour une durée maximum de douze mois (...) »

4. Lorsque l’étranger sous écrou en vue de son expulsion n’est pas considéré comme susceptible de fuir ou de représenter une menace pour l’ordre public, ou lorsque le président du tribunal administratif s’oppose à sa détention, il est fixé à l’intéressé un délai pour quitter le territoire, qui ne peut dépasser trente jours (...)

5. La décision mentionnée aux paragraphes 3 et 4 du présent article peut être annulée à la requête des parties, si leur demande est fondée sur des faits nouveaux (...) »

2. Le décret no 90/2008 adaptant la législation grecque aux dispositions de la Directive 2005/85/CE du Conseil, du 1er décembre 2005, sur les normes minimales relatives à la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié (abrogé par le décret no 114/2010)

32. Les dispositions pertinentes de l’article 13 du décret étaient ainsi libellées :

« 1. Un ressortissant d’un Etat tiers ou un non-national qui demande à bénéficier du statut de réfugié ne peut être détenu pour le seul motif qu’il est entré et qu’il séjourne illégalement sur le territoire. La personne qui dépose une demande d’asile alors qu’elle est détenue et qu’une procédure d’expulsion à son encontre est pendante reste en détention et sa demande est examinée avec une priorité absolue. Elle ne peut pas être expulsée tant que la procédure d’asile n’est pas achevée.

2. Le directeur de la police (...) peut (...) détenir les demandeurs d’asile dans un espace approprié, et ce pendant toute la durée nécessaire, lorsque cela s’impose pour déterminer les conditions d’entrée, l’identité et la provenance de clandestins entrés en masse ou lorsqu’il y a des motifs d’intérêt général ou de sécurité publique ou lorsque la détention est nécessaire pour le déroulement rapide et efficace de la procédure précitée. La durée de la détention ne peut en aucun cas dépasser soixante jours. »

3. Le décret no 114/2010 relatif au statut de réfugié et à la procédure unique applicable aux étrangers et aux non-nationaux

33. Les articles pertinents en l’espèce de ce décret, entré en vigueur le 22 novembre 2010, prévoient :

Article 5 § 1

« Les demandeurs [d’asile] sont autorisés à rester sur le territoire jusqu’à la fin de la procédure administrative d’examen de leur demande et ne peuvent être éloignés en aucun cas. »

Article 6

« 1. Les demandes ne peuvent être rejetées et leur examen ne peut être exclu du seul fait qu’elles n’ont pas été déposées aussitôt que possible.

2. Les décisions concernant les demandes sont prises sur une base individuelle, après un examen circonstancié, objectif et impartial (...) »

Article 13

« 1. Un ressortissant d’un pays tiers ou un non-national qui demande la protection internationale ne peut être détenu au seul motif qu’il est entré illégalement sur le territoire et qu’il y réside. La personne qui, pendant sa détention, dépose une demande de protection internationale reste en détention si les conditions du paragraphe 2 sont réunies.

2. La détention des demandeurs dans un espace approprié est permise exceptionnellement et lorsque des mesures alternatives ne peuvent pas être appliquées pour l’une des raisons suivantes :

a) le demandeur ne dispose pas de documents de voyage ou les a détruits et il est nécessaire de vérifier son identité, les conditions de son entrée sur le territoire et les données relatives à ses véritables origines (...) ;

b) il représente une menace pour la sécurité nationale ou l’ordre public pour des motifs qui doivent être exposés en détail dans la décision de détention ;

c) la détention est jugée nécessaire pour un examen rapide et efficace de la demande.

(...)

4. La détention est imposée pour la durée strictement nécessaire et ne peut en aucun cas dépasser quatre-vingt-dix jours. Si le demandeur a été détenu auparavant en vue d’une expulsion administrative, la durée totale de sa détention ne pourra pas dépasser cent quatre-vingts jours.

5. Les demandeurs détenus en vertu des paragraphes précédents ont le droit d’exercer les recours et de formuler les objections prévus au paragraphe 3 de l’article 76 de la loi no 3386/2005 telle qu’en vigueur.

6. Si des demandeurs sont en détention, les autorités compétentes chargées de recevoir et d’examiner les demandes (...) s’engagent à :

(...)

d) fournir aux détenus les soins médicaux requis ;

e) garantir le droit des détenus à une représentation juridique ;

f) veiller à ce que les détenus soient informés des motifs et de la durée de leur détention. »

4. Le décret présidentiel no 18/1989

34. L’article 52 du décret présidentiel no 18/1989, tel qu’il a été modifié par l’article 34 § 3 de la loi no 3772/2009, se lit ainsi :

« (...)

5. Le Président du Conseil d’Etat ou de la Section compétente peut délivrer un ordre provisoire de sursis à exécution de l’acte administratif attaqué qui est enregistré sur la demande y relative. Dans ce cas, le rapporteur est immédiatement désigné et la date d’audience du recours en annulation immédiatement fixée. Les notifications nécessaires selon le paragraphe 3 de cet article sont faites à l’initiative du demandeur.

Le Président statue sur la demande d’ordre provisoire dans le délai le plus bref possible après la production du récépissé de notification (...). Le ministre ou la personne morale de droit public peuvent soumettre leurs observations dans les cinq jours ouvrables suivant la notification. En cas d’extrême urgence, le Président prend sa décision en l’absence de notification. S’il fait droit à la demande d’ordre provisoire, les notifications sont faites sans retard par le demandeur. (...) »

5. Le décret no 141/1991 relatif à la compétence des organes du ministère de l’Ordre public

35. L’article 66 § 6 de ce décret se lit ainsi :

« Il n’est pas permis de détenir des prévenus et des condamnés dans les commissariats de police excepté pendant le temps absolument nécessaire à leur transfert en prison ou lorsque le transfert immédiat vers une prison n’est pas possible. »

6. Le décret législatif no 53/1974 et la force juridique de la Convention en droit interne

36. La Convention européenne des droits de l’homme a été incorporée à l’ordre juridique grec en vertu du décret législatif no 53/1974 (suite au rétablissement de la démocratie en Grèce). De plus, selon l’article 28 § 1 de la Constitution, « Les règles du droit international généralement acceptées, ainsi que les traités internationaux après leur ratification par voie législative et leur entrée en vigueur conformément aux dispositions de chacun d’eux, font partie intégrante du droit hellénique interne et ont une valeur supérieure à toute disposition contraire de la loi (...) ». Par conséquent, la Convention forme partie intégrante du système juridique grec et prime sur toute disposition contraire du droit interne.

B. Les rapports internationaux

1. Les constats du Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT)

37. A la suite de sa visite en Grèce du 23 au 29 septembre 2008, le CPT constatait dans son rapport publié le 30 juin 2009 que, à la date de sa visite, le Centre de détention pour étrangers d’Attique (Petrou Ralli) hébergeait 173 hommes, 65 femmes et 19 mineurs pour une capacité opérationnelle de 208 hommes, 150 femmes et 19 mineurs. Selon le rapport, les détenus étaient confinés dans leurs cellules vingt-quatre heures sur vingt-quatre du fait que l’espace réservé à la promenade ne remplissait pas les conditions de sécurité. Le CPT observait qu’il n’y avait ni espace de détente ni espace destiné aux activités, que la plus grande partie de la literie était sale, que les nouveaux arrivés n’avaient pas de draps et de couvertures propres et qu’il n’y avait pas de WC dans les cellules. De nombreux détenus auraient déclaré que l’accès aux toilettes pendant la nuit était problématique.

38. A la suite de sa visite en Grèce du 17 au 29 septembre 2009, le CPT, dans son rapport publié le 17 novembre 2010, relatait ce qui suit :

« (...)

68. Le centre de Petrou Ralli demeure un établissement non approprié pour la rétention de migrants se trouvant en situation irrégulière pour des périodes longues, comme le CPT l’avait relevé même avant son ouverture officielle en 2005. En 2009, (...) certains des détenus de sexe masculin dormaient sur des matelas posés sur le sol. Cela dit, l’état général du point de vue de l’hygiène était nettement meilleur que dans le passé et l’accès aux toilettes, même pendant la nuit, ne posait pas problème grâce à la présence constante de policiers dans les couloirs.

La délégation du CPT a aussi noté que la cour extérieure pour la promenade était maintenant praticable, même si les détenus n’y avaient pas accès tous les jours.

(...)

70. Un problème commun à tous les centres spéciaux pour migrants clandestins et les centres de rétention de la police qui ont été visités était la difficulté pour les détenus de maintenir la propreté en raison de la quantité insuffisante des détergents et des produits destinés à l’hygiène personnelle. Dans certains centres, de petites quantités de savon, de la lessive en poudre et quelque fois du shampoing étaient donnés aux détenus, dans certains autres seulement du savon. De même, le papier toilette n’était pas fourni régulièrement. D’autres produits d’hygiène, tels que des brosses à dent ou du dentifrice, devaient être achetés par les détenus eux-mêmes. Des kits de rasage n’étaient pas autorisés et, lorsqu’ils pouvaient les obtenir du personnel, les détenus devaient les partager à plusieurs.

Au vu de la situation médicale précaire de plusieurs personnes concernées, le CPT réitère la nécessité pour les autorités grecques de considérer l’hygiène personnelle comme une question prioritaire. »

39. Dans sa déclaration publique du 15 mars 2011, faite en vertu de l’article 10 § 2 de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants, le CPT relevait notamment ce qui suit :

« Les autorités grecques ont continué de répéter que des mesures étaient en cours pour améliorer la situation. Ainsi, dans une lettre en date du 23 novembre 2009, elles ont informé le CPT qu’elles mettraient fin au placement en rétention administrative des étrangers en situation irrégulière dans les commissariats de police et postes de surveillance des gardes-frontière et qu’à l’avenir, ces personnes seraient placées dans des centres de rétention spécifiquement conçus à cet effet. (...)

Malheureusement, les constatations faites pendant la récente visite du CPT en Grèce, en janvier 2011, ont montré que les informations fournies par les autorités n’étaient pas fiables. Les commissariats de police et des gardes-frontière abritaient un nombre sans cesse plus important d’étrangers en situation irrégulière dans des conditions bien pires encore. (...) »

2. Le rapport de Human Rights Watch de novembre 2008

40. En 2008, l’organisation non gouvernementale Human Rights Watch a été autorisée à visiter le centre de Petrou Ralli. Même s’ils n’ont pas eu la possibilité de s’entretenir en privé avec les détenus, ses représentants ont été en mesure de discuter brièvement avec un grand nombre d’entre eux dans leurs cellules et de constater les conditions qui y régnaient.

41. Le rapport de l’ONG affirmait qu’on ne pouvait pas se méprendre : le centre de Petrou Ralli était bien une prison. Toujours selon ce rapport, les détenus étaient placés dans des cellules qui se succédaient le long d’un couloir, chaque cellule avait cinq lits en béton, le quatrième mur de chaque cellule était fait de barres de fer, avec une porte qui donnait sur le couloir, ce qui excluait toute intimité pour les occupants des cellules. Le rapport indiquait en outre que les détenus devaient demander l’autorisation d’aller aux toilettes. Un homme aurait affirmé qu’il devait uriner dans une bouteille car les gardiens ne répondaient pas à ses demandes d’aller aux toilettes. Les gardiens auraient laissé les détenus sortir dans le couloir deux heures par jour, mais seulement une heure par semaine sur le toit du centre. D’après les représentants de Human Rights Watch, le centre semblait avoir été nettoyé avant la visite, mais de nombreux détenus s’étaient plaints des conditions d’hygiène.

42. Quant aux femmes, elles se seraient plaintes de l’obligation d’acheter leur savon et de la difficulté de se maintenir propres.

3. Le rapport du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés

43. Dans son rapport de novembre 2010 concernant la Grèce, le Haut Commissaire des Nations Unies pour les Réfugiés notait que la surpopulation et les mauvaises conditions de vie dans les centres de rétention pour étrangers et les stations de police frontaliers avaient empiré à partir de l’entrée en vigueur en 2009 de la nouvelle loi sur la rétention des clandestins. Cette loi étendait la période maximale de détention à six voire à douze mois, ce qui avait entraîné une augmentation des détenus. Cette détérioration est particulièrement visible dans les centres situés à la frontière (notamment à Evros), mais des conditions similaires étaient observées en milieu urbain, notamment à Athènes (Direction des étrangers (Petrou Ralli), Aéroport international d’Athènes et plusieurs commissariats de police).

EN DROIT

I. SUR L’EXCEPTION PRÉLIMINAIRE DU GOUVERNEMENT

44. En premier lieu, le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes, tant en ce qui concerne la question des conditions de détention de la requérante qu’en ce qui concerne la légalité de sa détention. Plus particulièrement, il soutient que la requérante a omis d’introduire un recours en annulation contre la décision du 16 juillet 2010, par laquelle le chef de la police de la Macédoine centrale a rejeté le recours formé par l’intéressée contre la décision ordonnant son expulsion et son maintien en détention. La requérante aurait aussi omis de demander en même temps le sursis à exécution de la décision d’expulsion et la délivrance d’un ordre provisoire de sursis. Le Gouvernement soutient que, si elle avait exercé ces recours et obtenu un ordre provisoire de sursis, elle aurait eu la possibilité de faire valoir ce fait dans les objections déposées et de contester la légalité de sa détention. La requérante aurait saisi à deux reprises le président du tribunal administratif de Thessalonique d’objections ayant un contenu identique, soutenant qu’elle avait une résidence connue et stable chez une amie à Thessalonique, mais elle n’aurait fait aucune référence ni à la question de la légalité de la décision d’expulsion ni à ses conditions de détention. Après le rejet de ses objections par le président du tribunal administratif, elle aurait déposé une demande d’asile dont elle se serait désistée pour la réintroduire peu après.

45. D’après la requérante, un ordre provisoire de sursis entraîne le sursis à exécution de la mesure d’expulsion. Cela ne signifierait toutefois pas qu’il entraîne l’annulation automatique de la détention, mais que l’étranger ne peut être détenu au-delà de la limite légale de six mois prévue par l’article 76 § 3 de la loi no 3386/2005.

46. La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée dans l’article 35 § 1 de la Convention veut qu’avant de saisir un tribunal international, le requérant doit avoir donné à l’Etat responsable la faculté de remédier aux violations alléguées par des moyens internes, en utilisant les ressources judiciaires offertes par la législation nationale pourvu qu’elles se révèlent efficaces et suffisantes (voir, entre autres, Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 37, CEDH 1999–I). En effet, l’article 35 § 1 de la Convention ne prescrit l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues ; il incombe à l’Etat défendeur de démontrer que ces exigences se trouvent réunies (voir, parmi beaucoup d’autres, Dalia c. France, 19 février 1998, § 38, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I).

47. S’agissant des conditions de détention, et de manière générale, la Cour observe d’abord qu’il ressort du dossier, et notamment des constats du CPT et de Human Rights Watch, que les conditions de détention dans les locaux de la sous-direction d’Attique chargée des étrangers (Petrou Ralli) prêtent à critique, et que, de surcroît, elles s’apparentent à un phénomène structurel et ne concernent pas exclusivement le cas particulier de la requérante (voir, notamment, Mamedova c. Russie, no 7064/05, § 56, 1er juin 2006). La Cour considère qu’il n’a pas été démontré que les recours indiqués par le Gouvernement suffisent à eux seuls à remédier à la situation se trouvant à l’origine du grief de la requérante, tiré de l’article 3 de la Convention.

48. Plus particulièrement, la Cour note que, le 31 août 2010, la requérante s’est plainte par écrit auprès de la sous‑direction d’Attique chargée des étrangers de ses conditions de détention sans obtenir de réponse à ses doléances.

49. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que la requête ne saurait être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, en ce qui concerne les conditions de sa détention. Partant, il convient d’écarter l’exception soulevée par le Gouvernement à ce titre.

50. Reste la question de savoir si la requérante a épuisé les voies de recours internes en ce qui concerne la légalité de la décision d’expulsion et de détention que la Cour examinera ultérieurement.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

51. La requérante allègue que les conditions de sa détention dans les locaux de la sous-direction d’Attique chargée des étrangers (Petrou Ralli) ont constitué un traitement inhumain et dégradant. Elle se plaint à cet égard d’une violation de l’article 3 de la Convention, qui se lit ainsi :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

52. La Cour constate que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

53. Le Gouvernement affirme que, pendant toute la durée de sa détention dans les locaux de la sous-direction d’Attique chargée des étrangers, la requérante était placée dans une cellule prévue pour cinq personnes, d’une superficie de 12 m², qu’elle était nourrie et soignée de manière satisfaisante, qu’elle avait la possibilité de communiquer soit par téléphone soit par le moyen de visites et qu’elle bénéficiait de bonnes conditions d’hygiène. Compte tenu de ces conditions et de la durée du séjour de l’intéressée dans ces locaux, le Gouvernement est d’avis que le seuil permettant de qualifier des conditions de détention d’inhumaines et de dégradantes n’a pas été atteint en l’espèce.

54. Pour étayer ses allégations, la requérante se prévaut de la jurisprudence de la Cour en matière de détention d’étrangers en vue de leur expulsion, notamment des arrêts S.D. c. Grèce (no 53541/07, 11 juin 2009) et R.U. c. Grèce (précité), ainsi que des rapports établis par diverses organisations internationales telles que Human Rights Watch, le Haut Commissaire des Nations unies pour les réfugiés et le rapporteur spécial de l’ONU sur la torture (mission en 2010), et des articles des journaux grecs (en 2009 et 2010) concernant les conditions de détention à Petrou Ralli.

55. La Cour réaffirme d’emblée que l’article 3 de la Convention consacre l’une des valeurs les plus fondamentales des sociétés démocratiques et qu’il prohibe en termes absolus la torture et les traitements ou peines inhumains ou dégradants, quels que soient les circonstances et les agissements de la victime (voir, par exemple, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 119, CEDH 2000‑IV).

56. Elle rappelle ensuite que, si les Etats sont autorisés à placer en détention des immigrés potentiels en vertu de leur « droit indéniable de contrôler (...) l’entrée et le séjour des étrangers sur leur territoire » (Amuur c. France, 25 juin 1996, § 41, Recueil 1996‑III), ce droit doit s’exercer en conformité avec les dispositions de la Convention (Mahdid et Haddar c. Autriche (déc.), no 74762/01, 8 décembre 2005). Elle rappelle également qu’elle doit avoir égard à la situation particulière de ces personnes lorsqu’elle est amenée à contrôler les modalités d’exécution de la mesure de détention à l’aune des dispositions conventionnelles (Riad et Idiab c. Belgique, nos 29787/03 et 29810/03, § 100, CEDH 2008‑...).

57. En l’espèce, la Cour note tout d’abord que la requérante a été détenue dans le centre de Petrou Ralli du 27 juillet 2010 au 6 janvier 2011 mais que les parties présentent des versions qui ne coïncident pas quant aux conditions de détention prévalant dans le lieu de détention en cause.

58. En ce qui concerne l’espace attribué à chaque détenu, la Cour a, à maintes reprises, souligné que si une superficie de 4 m² constitue un standard souhaité, le fait pour chaque détenu de disposer d’une superficie au sol inférieure à 3 m² provoque une surpopulation telle qui peut conduire à elle seule à une violation de l’article 3 de la Convention (Ananyev et autres c. Russie, no 42525/07 et 60800/08, § 145, 10 janvier 2012). Dans cette affaire la Cour a conclu à la violation de cet article en raison notamment du fait que les requérants disposaient moins de trois mètres carrés d’espace personnel tout en étant obligés de rester tout le temps dans leur cellule sauf pendant une période quotidienne d’une heure où ils pouvaient effectuer un peu d’exercice à l’extérieur (ibid. § 166).

59. A cet égard, la Cour note qu’en l’espèce, la requérante prétend que sa cellule, qu’elle partageait avec quinze à vingt autres détenues, avait une superficie de 12 m². De son côté, le Gouvernement, affirme que la requérante était placée avec quatre autres détenues dans une cellule de 12 m². Or, quelle que soit la superficie exacte de la cellule où la requérante passait l’essentiel de ses journées, l’espace qui, selon le Gouvernement, était attribué à la requérante était inférieure à celui qui, selon la jurisprudence rappelée dans l’arrêt Ananyev et autres précité, suffit à conclure à la violation de l’article 3, sur cette seule base.

60. Le Gouvernement ne fournit pas non plus d’informations quant à la possibilité des détenues de se promener ou d’avoir une quelconque activité physique à l’air libre. En revanche, la requérante fait état de sérieux problèmes à cet égard en soulignant que les détenues étaient autorisées à sortir dans le couloir vingt minutes par jour et que, pendant toute la durée de sa détention, elles ont été emmenées une seule fois dans un stade couvert voisin. La Cour relève que le Gouvernement ne réfute non plus ces affirmations. Dans son rapport du 17 novembre 2010 faisant suite à sa visite de septembre 2009, le CPT affirmait que même si la cour extérieure pour la promenade était « maintenant praticable », les détenus n’y avaient pas accès tous les jours (paragraphe 38 ci-dessus).

61. La Cour constate, en outre, que dans ce rapport, le CPT a encore fait le constat que le centre de Petrou Ralli, où la requérante a séjourné plus de cinq mois, demeurait en 2009 un établissement non approprié à une détention de longue durée de migrants en situation irrégulière. A cela s’ajoute le fait que la requérante, avant d’être transférée dans ce centre, a été détenue à partir du 8 juillet 2010 et pendant une période assez longue – dix-huit jours – dans le commissariat de police d’Arnaia. Or la Cour observe que, d’une part, le droit interne lui-même interdit la détention des personnes pendant de longues périodes dans les commissariats (article 66 § 6 du décret 141/1991 – paragraphe 35 ci-dessus) et que, d’autre part, le CPT a dénoncé dans sa déclaration publique du 15 mars 2011 (paragraphe 39 ci-dessus) la pratique des autorités consistant à utiliser les commissariats pour la détention des clandestins.

62. Dans ces conditions, la Cour estime que la requérante a été soumise à un traitement dégradant incompatible avec l’article 3 de la Convention. Il y a donc eu violation de cette disposition.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 DE LA CONVENTION

63. La requérante se plaint également de l’illégalité de sa mise en détention provisoire en vue de son expulsion. De plus, elle reproche aux autorités internes de ne pas avoir examiné suffisamment et en temps utile ses doléances portant sur une illégalité de sa détention, notamment en raison de son maintien en détention malgré la passivité dont auraient fait preuve les autorités internes quant aux mesures à prendre en vue de son expulsion, ainsi qu’après le dépôt de sa seconde demande d’asile. Elle invoque l’article 5 §§ 1 et 4 de la Convention, disposition dont les parties pertinentes en l’espèce sont ainsi libellées :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(...)

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.

(...)

4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

A. Sur le grief tiré de l’article 5 § 4 relatif à l’ineffectivité du contrôle juridictionnel de la détention

64. Le Gouvernement soutient que la possibilité pour un étranger de formuler des objections contre sa détention en vertu de l’article 76 de la loi no 3386/2005 est un recours effectif au sens de l’article 5 § 4 de la Convention. Il ajoute que, en vertu de la loi no 3900/2010 qui a modifié l’article 76 § 3 de la loi no 3386/2005, le président du tribunal administratif examine désormais la légalité de la détention de l’intéressé et qu’il peut ordonner la remise en liberté lorsque la décision d’expulsion n’est pas légale.

65. La requérante se prévaut des conclusions de la Cour dans l’arrêt Tabesh c. Grèce (no 8256/07, 26 novembre 2009) et, notamment, dans les paragraphes 62 et 63 de celui-ci.

66. La Cour rappelle que le concept de « lawfulness » (« régularité », « légalité ») doit avoir le même sens au paragraphe 4 de l’article 5 de la Convention qu’au paragraphe 1, de sorte qu’une personne détenue a le droit de faire contrôler sa détention sous l’angle non seulement du droit interne, mais aussi de la Convention, des principes généraux qu’elle consacre et du but des restrictions qu’autorise le paragraphe 1. L’article 5 § 4 ne garantit pas le droit à un contrôle juridictionnel d’une ampleur telle qu’il habiliterait le tribunal à substituer sur l’ensemble des aspects de la cause, y compris des considérations de pure opportunité, sa propre appréciation à celle de l’autorité dont émane la décision. Il n’en veut pas moins un contrôle assez ample pour s’étendre à chacune des conditions indispensables à la régularité de la détention d’un individu au regard du paragraphe 1 (Chahal c. Royaume-Uni, arrêt du 15 novembre 1996, § 127, Recueil des arrêts et décisions 1996-V ; Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 61, CEDH 2001‑II).

67. La Cour note d’abord que la loi no 3900/2010, invoquée par le Gouvernement, est entrée en vigueur le 1er janvier 2011. Or, à cette date, les tribunaux administratifs de Thessalonique et d’Athènes s’étaient déjà prononcés sur les objections de la requérante, et ce en vertu de l’article 76 de la loi no 3386/2005 dans sa version originale non amendée.

68. La Cour rappelle aussi qu’elle s’est déjà prononcée sur la question de l’effectivité du contrôle juridictionnel selon le droit grec de la détention des personnes en vue de leur expulsion administrative.

69. En particulier, en ce qui concerne le troisième paragraphe de l’article 76 de la loi no 3386/2005, la Cour a déjà constaté que les objections qu’un étranger détenu peut former à l’encontre de la décision ordonnant sa détention n’accorde pas expressément au juge le pouvoir d’examiner la légalité de l’expulsion, laquelle constitue, en droit grec, le fondement juridique de la détention. L’article 76 § 4, tel qu’il était rédigé, permettait aux tribunaux d’examiner la décision de détention seulement sur le terrain du risque de fuite ou de la menace pour l’ordre public (S.D. c. Grèce, § 73, Tabesh, § 62, précités et A.A. c. Grèce, no 12186/08, § 73, 22 juillet 2010).

70. La Cour note qu’en l’espèce, dans ses objections devant le tribunal administratif de Thessalonique, la requérante n’a jamais mis en cause la question des limites de l’examen de la légalité de la détention, tel que prévu par l’ancienne rédaction de l’article 76 § 4, en s’appuyant au besoin sur les arrêts S.D. c. Grèce, Tabesh et A.A. c. Grèce, précités. La Cour constate à cet égard que la Convention est directement applicable en droit grec et prime sur toute disposition contraire du droit interne (article 28 § 1 de la Constitution). La requérante présentait comme motifs susceptibles de justifier la levée de sa détention le fait qu’elle résidait chez des compatriotes en possession de passeports grecs, que son casier judiciaire était vierge et que sa présence sur le territoire ne constituait pas une menace pour l’ordre public et la sécurité nationale. Par sa décision no 888/2010 du 21 juillet 2010 dûment motivée, la présidente du tribunal a rejeté les objections.

71. A la différence d’affaires grecques antérieures, dans lesquelles la Cour a conclu à la violation de l’article 5 § 4, et dans lesquelles les requérants faisaient valoir l’impossibilité d’effectuer l’expulsion, les conditions dégradantes de détention ou l’examen pendant d’une demande d’asile (voir, à titre d’exemple, R.U. c. Grèce, précité, § 103, et Efraimidze c. Grèce, no 33225/08, § 64, 21 juin 2011), en l’espèce, la requérante n’a soulevé aucun autre motif d’illégalité que ceux indiqués au paragraphe précédent.

72. Quant aux autres possibilités qui s’offraient à la requérante, telle l’introduction d’un recours en annulation, d’un recours en suspension contre la décision d’expulsion ou d’une demande visant à l’obtention d’un ordre provisoire de sursis à l’exécution de cette mesure, la Cour note que l’intéressée ne les a pas utilisées non plus.

73. Par conséquent, la Cour considère que les insuffisances du droit interne quant à l’effectivité du contrôle juridictionnel de la mise en détention en vue d’une expulsion, qui l’avaient conduite à conclure à la violation de l’article 5 § 4 de la Convention, ne sont pas pertinentes en l’espèce et qu’elles ne peuvent pas conduire au même constat.

74. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

B. Sur le grief tiré de l’article 5 § 1 relatif à l’irrégularité de la détention

75. La Cour rappelle qu’elle a conclu à plusieurs reprises à la violation de cet article dans des affaires grecques du même type que la présente. Pour ce faire, elle s’est toujours fondée sur les circonstances particulières de chaque cas d’espèce et sur la manière dont les tribunaux et les autorités ont agi, mais n’a pas exclu que le système institué par la loi no 3386/2005 ne puisse jamais aboutir à sauvegarder les droits des étrangers au regard des exigences de l’article 5 § 1 f).

76. La Cour rappelle que si la règle de l’épuisement des voies de recours internes doit s’appliquer avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif, en même temps, elle oblige, en principe, à soulever devant les juridictions nationales appropriées, au moins en substance, dans les formes et délais prescrits par le droit interne, les griefs que l’on entend formuler par la suite au niveau international (voir, parmi beaucoup d’autres, Fressoz et Roire § 37, précité, et Azinas, c. Chypre [GC], no 56679/00, § 38, CEDH 2004-III).

77. Examinant l’exception soulevée à cet égard par le Gouvernement, la Cour relève que la requérante a saisi à deux reprises – les 9 juillet et 9 août 2010 – respectivement le tribunal administratif de Thessalonique et celui d’Athènes des objections contre son maintien en détention. Elle alléguait notamment que son casier judiciaire était vierge, qu’elle ne constituait pas une menace pour l’ordre public, qu’elle ne présentait pas de risque de fuite et qu’elle avait une résidence connue.

78. Toutefois, la requérante n’a jamais soulevé, dans ses objections devant les deux tribunaux administratifs précités ou dans un autre recours, la question de l’illégalité de sa détention, grief qu’elle présente maintenant devant la Cour en arguant notamment que les autorités n’avaient rien entrepris pour lui faire établir des documents de voyage qui faisaient défaut et qu’elles n’avaient pris aucun contact avec le consulat de Géorgie à Thessalonique ou à Athènes à ce sujet. Elle n’a pas non plus formulé de nouvelles objections, ni d’autre recours, pour mettre en cause le fait qu’elle aurait été détenue illégalement à partir du 29 octobre 2010, la date de sa deuxième demande d’asile.

79. Il s’ensuit qu’il convient d’accueillir l’exception invoquée par le Gouvernement quant à ce grief qui doit donc être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

80. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

81. La requérante réclame 20 000 euros (EUR) pour préjudice moral.

82. Le Gouvernement considère que cette somme est excessive et que le constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante.

83. La Cour estime qu’il y a lieu d’octroyer à la requérante 8 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

84. La Cour note que la requérante ne présente aucune demande de remboursement des frais et dépens. Elle ne lui accorde donc aucune somme à ce titre.

C. Intérêts moratoires

85. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 3 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention du fait des conditions de sa détention ;

3. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 8 000 EUR (huit mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 25 septembre 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren NielsenNina Vajić
GreffierPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-113413
Date de la décision : 25/09/2012
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant) (Volet matériel)

Parties
Demandeurs : BYGYLASHVILI
Défendeurs : GRÈCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : TSIATSIOS Th.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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