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22/05/2012 | CEDH | N°001-110972

CEDH | CEDH, AFFAIRE TURGUT ÖZKAN c. TURQUIE, 2012, 001-110972


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE TURGUT ÖZKAN c. TURQUIE

(Requête no 23601/10)

ARRÊT

STRASBOURG

22 mai 2012

DÉFINITIF

22/08/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Turgut Özkan c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Françoise Tulkens, présidente,
Danutė Jočienė,
Isabelle Berro-Lefèvre,
András Sajó,

l Karakaş,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE TURGUT ÖZKAN c. TURQUIE

(Requête no 23601/10)

ARRÊT

STRASBOURG

22 mai 2012

DÉFINITIF

22/08/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Turgut Özkan c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Françoise Tulkens, présidente,
Danutė Jočienė,
Isabelle Berro-Lefèvre,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 avril 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 23601/10) dirigée contre la République de Turquie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Turgut Özkan (« le requérant »), a saisi la Cour le 9 avril 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me M. Beştaş, avocat à Diyarbakır. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») est représenté par son agent.

3. Le requérant se plaint en particulier de la durée de sa détention provisoire et l’absence d’un recours pour contester cette mesure ainsi que de l’incompatibilité de ses conditions de détention avec son état de santé.

4. Le 26 août 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1993 et réside à Şırnak.

A. La procédure pénale engagée à l’encontre du requérant

6. Le 13 mars 2010, le requérant alors âgé de seize ans fut arrêté parce qu’il était soupçonné d’avoir mené des activités de piraterie informatique pour le compte de l’organisation armée illégale PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), activités constatées à partir d’une surveillance par des procédés technologiques.

7. Le même jour, il fut entendu par le procureur de la République de Diyarbakır puis traduit devant un juge de la cour d’assises spéciale de cette ville. Assisté par un avocat, il rejeta les accusations portées contre lui. Au terme de son audition, le juge le plaça en détention provisoire compte tenu de l’existence de forts soupçons à son encontre, de l’état des preuves, du fait que la recherche des preuves n’était pas terminée et enfin parce qu’il s’agissait d’une infraction visée par l’article 100 § 3 du code de procédure pénale. Le juge ordonna également le placement en détention provisoire de deux suspects et la libération de deux autres.

8. Le 16 mars 2010, l’avocat du requérant contesta la décision de placement en détention provisoire. Il soutint qu’il n’y avait aucune raison de soupçonner le requérant d’avoir commis l’infraction reprochée. Il ajouta que son client était mineur et souffrait d’une maladie dont la prise en charge n’était possible que dans l’hôpital universitaire Hacettepe. D’après lui, son maintien en détention n’était donc pas compatible avec son état de santé.

9. A une date non précisée, ce recours fut rejeté. Cette décision ne fut pas envoyée à la Cour par les parties.

10. A la suite de l’entrée en vigueur de la loi no 6008 du 22 juillet 2010, les mineurs ne pouvaient plus être jugés par des cours d’assises spéciales. A une date non précisée, le dossier du requérant fut transmis par la cour d’assises spéciale de Diyarbakır au tribunal pour mineurs de la même ville.

11. Le 23 août 2010, le tribunal pour mineurs de Diyarbakır rendit une ordonnance d’incompétence et renvoya l’affaire du requérant devant la cour d’assises pour mineurs de Diyarbakır. Il ordonna en outre le maintien en détention provisoire du requérant compte tenu de la nature et de la qualité des infractions reprochées, de l’existence de forts soupçons à l’encontre du requérant, de l’état des preuves et enfin parce qu’il s’agissait d’une infraction visée par l’article 100 § 3 du code de procédure pénale.

12. Le 21 septembre 2010, la cour d’assises pour mineurs de Diyarbakır rendit à son tour une ordonnance d’incompétence et renvoya l’affaire devant la Cour de cassation aux fins de déterminer la juridiction compétente. Dans son jugement, la cour d’assises pour mineurs de Diyarbakır ordonna en outre le maintien en détention provisoire du requérant compte tenu du quantum de la peine encourue et de l’existence de forts soupçons quant à la commission des infractions et enfin du fait qu’il s’agissait d’une infraction visée par l’article 100 § 3 du code de procédure pénale.

13. A une date inconnue, la Cour de cassation décida que le tribunal pour mineurs de Diyarbakır était compétent pour connaître de l’affaire et transmit le dossier à cette juridiction.

14. Par une lettre du 27 décembre 2011, l’avocat du requérant a informé la Cour que par une décision du 13 avril 2011, le tribunal pour mineurs de Diyarbakır avait ordonné la mise en liberté provisoire du requérant.

15. D’après les éléments contenus dans le dossier, la procédure pénale demeure pendante devant le tribunal pour mineurs de Diyarbakır.

B. Le suivi médical du requérant

16. Le requérant produit une ordonnance médicale délivrée le 23 novembre 2009 par l’hôpital de Hacettepe laquelle mentionne que le requérant est atteint du « phénomène de Raynaud ». Dans cette ordonnance, le médecin prescrit un traitement médicamenteux.

17. Il ressort des nombreux éléments médicaux versés au dossier, notamment des fiches de consultation et des ordonnances, que tout au long de sa détention dans les prisons de Diyarbakır puis d’Adıyaman, le requérant bénéficia régulièrement des soins médicaux pénitentiaires, et qu’il fut admis à plusieurs reprises dans différents établissements hospitaliers pour des examens médicaux.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

18. Selon l’article 100 du code de procédure pénale, la mise en détention provisoire d’une personne n’est possible que s’il existe de forts soupçons que la personne concernée ait commis l’infraction reprochée et s’il existe un motif de détention, à savoir un risque de fuite ou d’altération des preuves. Cela étant, pour certains délits particulièrement graves parmi lesquels figure celui reproché au requérant, l’article 100 § 3 du code indique que l’on peut présumer l’existence des motifs de détention (risque de fuite et/ou d’altération des preuves) lorsqu’il existe des raisons plausibles de soupçonner l’intéressé d’avoir commis l’infraction.

19. L’article 18 du règlement relatif aux arrestations, gardes à vue et interrogatoires prévoit un régime spécial pour les mineurs ; selon cette disposition, l’enquête préliminaire relative à des mineurs est conduite par le procureur de la République lui-même. Un mineur arrêté doit ainsi être transféré immédiatement devant le procureur et bénéficier d’office de l’assistance d’un avocat. Il ne peut pas être détenu avec des personnes majeures.

20. Selon l’article 8 de la loi no 6008 du 22 juillet 2010, modifiant l’article 250 de la loi pénale, les mineurs ne peuvent pas être jugés par des cours d’assises spéciales.

21. Selon l’article 4 § 1 j) de la loi relative à la protection de l’enfant no 5395 du 3 juillet 2005, la détention d’un enfant doit être une mesure de dernier ressort.

III. LES TEXTES INTERNATIONAUX PERTINENTS

22. La Convention des Nations unies de 1989 relative aux droits de l’enfant (ci-après « la Convention des Nations unies »), adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1989, est contraignante en droit international pour les Etats qui y sont parties – ce qui est le cas de tous les Etats membres du Conseil de l’Europe.

L’article premier de la Convention des Nations unies est ainsi libellé :

« Au sens de la présente Convention, un enfant s’entend de tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable : »

L’article 3 § 1 de cette convention se lit ainsi :

« 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. »

L’article 37 prévoit ceci :

« Les Etats parties veillent à ce que :

(...)

b) Nul enfant ne soit privé de liberté de façon illégale ou arbitraire. L’arrestation, la détention ou l’emprisonnement d’un enfant doit être en conformité avec la loi, n’être qu’une mesure de dernier ressort, et être d’une durée aussi brève que possible ;

c) Tout enfant privé de liberté soit traité avec humanité et avec le respect dû à la dignité de la personne humaine, et d’une manière tenant compte des besoins des personnes de son âge. En particulier, tout enfant privé de liberté sera séparé des adultes, à moins que l’on estime préférable de ne pas le faire dans l’intérêt supérieur de l’enfant, et il a le droit de rester en contact avec sa famille par la correspondance et par les visites, sauf circonstances exceptionnelles ;

d) Les enfants privés de liberté aient le droit d’avoir rapidement accès à l’assistance juridique ou à toute autre assistance appropriée, ainsi que le droit de contester la légalité de leur privation de liberté devant un tribunal ou une autre autorité compétente, indépendante et impartiale, et à ce qu’une décision rapide soit prise en la matière. »

(...)

EN DROIT

I. SUR LA RECEVABILITÉ

A. Sur le grief tiré de l’article 3 de la Convention

23. Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant allègue l’incompatibilité de son maintien en détention avec son état de santé, qui requiert, selon lui, une prise en charge dans un établissement hospitalier spécialisé.

24. La Cour note que le médecin spécialiste, qui a rédigé l’ordonnance médicale du 23 novembre 2009, a observé que le requérant était atteint du « phénomène de Raynaud » et il a prescrit un traitement de médicaments pendant deux ans.

25. Il ressort du contenu du dossier que durant sa détention provisoire au sein des prisons de Diyarbakır puis d’Adıyaman, le requérant, conformément à l’ordonnance médicale du 23 novembre 2009, a pu bénéficier régulièrement des soins médicaux pénitentiaires, et qu’il a été admis à plusieurs reprises dans différents établissements hospitaliers pour des examens médicaux. La Cour relève qu’aucun document contenu dans le dossier ne mentionne que le requérant n’a pas bénéficié d’une prise en charge appropriée ou que son état de santé s’est aggravé à cause des conditions pénitentiaires.

26. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

B. Sur le grief tiré de l’article 6 de la Convention

27. Invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant se plaint d’être jugé devant une cour d’assises spéciale. Il remet en question l’indépendance et l’impartialité de pareilles cours et affirme que le jugement de mineurs devant elles se heurte aux règles de Beijing concernant l’administration de la justice pour mineurs, adoptées le 29 novembre 1985 par l’Assemblée générale des Nations unies.

28. La Cour observe cependant que la procédure pénale initiée à l’encontre du requérant est pendante devant les juridictions nationales et estime nécessaire de connaître l’issue de cette dernière en droit interne pour pouvoir statuer sur ce grief.

29. Il s’ensuit que ce grief est prématuré et qu’il doit être déclaré irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes, conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

C. Sur le grief tiré de l’article 2 du Protocole no 1

30. Le requérant soutient que son droit à l’instruction, prévu par l’article 2 du Protocole no 1, a été atteint dans la mesure où il était scolarisé à la date de son arrestation.

31. Au vu de l’ensemble des éléments en sa possession et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour relève que le requérant formule ses allégations de manière très générale, sans étayer son grief tiré de l’article 2 du Protocole no 1. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée, en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

D. Sur le grief tiré de l’article 5 § 4 de la Convention

32. Invoquant l’article 13 de la Convention, le requérant se plaint de ne pas disposer d’un recours effectif qui lui permettrait de contester son placement et son maintien en détention provisoire. Il convient d’examiner ce grief sous l’angle de l’article 5 § 4 de la Convention.

33. La Cour observe que ni le requérant ni le Gouvernement n’ont produit de documents permettant la Cour d’examiner ce grief. En l’absence totale de tels documents, elle ne peut pas se prononcer.

34. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté conformément à l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

E. Sur le grief tiré de l’article 14 de la Convention

35. Le requérant allègue, d’une manière générale, une discrimination dans la mesure où certains suspects ont été libérés tandis que d’autres, dont lui, ont été placés en détention provisoire. Il y voit une violation de l’article 14 de la Convention.

36. Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, la Cour n’a relevé aucune apparence de violation. Ce grief est donc manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

F. Sur les autres griefs tirés des articles 5 § 3 et 8 de la Convention

37. La Cour constate qu’aucun des griefs restant à examiner n’est manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention ni ne se heurte par ailleurs à un quelconque autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de déclarer le restant de la requête recevable.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION

38. Le requérant se plaint d’avoir été mis en détention en l’absence de raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis les infractions reprochées et de la durée de cette détention. Il invoque l’article 5 § 3 de la Convention à cet égard. Il dénonce aussi une violation de l’article 8 de la Convention en raison de sa détention. Il convient d’examiner ces griefs sous l’angle de l’article 5 § 3 de la Convention, dont les passages pertinents sont rédigés comme suit :

« 3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience »

39. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse. Il soutient que la durée de la détention subie par le requérant était raisonnable compte tenu de la gravité, de la nature et de la qualification de l’infraction reprochée. Il fait observer que l’intéressé était accusé de s’être livré à des activités criminelles au nom d’une organisation terroriste.

40. Le requérant fait remarquer qu’il a été détenu pour une durée excessive alors qu’il était mineur et se plaint que les décisions relatives au maintien en détention provisoire n’ont jamais pris en considération sa minorité.

41. La Cour rappelle qu’il incombe en premier lieu aux autorités judiciaires nationales de veiller à ce que, dans un cas donné, la durée de la détention provisoire d’un accusé ne dépasse pas la limite du raisonnable. A cette fin, il leur faut examiner toutes les circonstances de nature à révéler ou écarter l’existence d’une véritable exigence d’intérêt public justifiant, eu égard à la présomption d’innocence, une exception à la règle du respect de la liberté individuelle et en rendre compte dans leurs décisions rejetant les demandes d’élargissement. C’est essentiellement sur la base des motifs figurant dans lesdites décisions, ainsi que des faits non controversés indiqués par les intéressés dans leurs recours, que la Cour doit déterminer s’il y a eu ou non-violation de l’article 5 § 3 de la Convention (Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 154, Recueil 1998‑VIII). La persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention. Cependant, au bout d’un certain temps, elle ne suffit plus. La Cour doit dans ce cas établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté. Quand ceux-ci se révèlent « pertinents » et « suffisants », elle cherche de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 153, CEDH 2000‑IV).

42. La Cour rappelle que dans plusieurs affaires contre la Turquie, elle a exprimé son inquiétude face à la pratique consistant à placer des enfants en détention provisoire et conclu à la violation de l’article 5 § 3 de la Convention (Selçuk c. Turquie, no 21768/02, §§ 26-37, 10 janvier 2006 ; Güveç c. Turquie, no 70337/01, §§ 106-110, 29 janvier 2009 ; et Nart c. Turquie, no 20817/04, §§ 28-35, 6 mai 2008). Dans l’affaire Nart, prenant en considération la richesse des textes internationaux pertinents en matière de protection de l’enfance, la Cour a énoncé que la détention provisoire des mineurs devait être envisagée comme une solution de dernier ressort et qu’elle devait être la moins longue possible (Nart, précité, § 31).

43. En l’espèce, la période à considérer a débuté le 13 mars 2010 avec l’arrestation du requérant et s’est terminée le 13 avril 2011 avec sa mise en liberté provisoire. Pendant cette période, la question du maintien en détention provisoire du requérant a été examinée à plusieurs reprises. Les décisions des juges sur le maintien en détention ont été fondées sur la nature des infractions reprochées, l’état des preuves, et l’existence de raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis des infractions.

44. A la lecture du dossier, il apparaît que ni la décision de placement en détention provisoire ni les décisions ultérieures de maintien en détention rendues par la cour d’assises spéciale de Diyarbakır ne mentionnent une prise en considération de la minorité du requérant lors de l’appréciation de la durée de la détention. De plus, compte tenu de la motivation presque toujours identique employée par les autorités judiciaires, les éléments du dossier ne permettent pas de penser que les juges ont ordonné le maintien en détention du requérant comme une mesure de dernier ressort et envisagé des mesures alternatives. La Cour estime que ces faits sont en soi suffisants pour conclure à la violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

45. A la lumière de ce qui précède, la Cour considère que la durée de la détention provisoire du requérant a été excessive et a emporté violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

46. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

47. Le requérant réclame 40 000 livres turques (TRY), (environ 16 300 euros (EUR)) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

48. Le Gouvernement conteste ce montant.

49. Statuant en équité, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 1 100 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

50. Le requérant demande également 12 000 TRY, (environ 4 890 EUR) pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour, dont 10 500 TRY au titre des honoraires d’avocat. A titre de justificatif, le requérant fournit un décompte horaire ainsi que le tarif horaire établi par le barreau de Diyarbakır.

51. Le Gouvernement conteste ces montants.

52. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable d’accorder au requérant la somme de 500 EUR et l’accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

53. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de la durée de la détention provisoire et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;

3. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en livres turques au taux applicable à la date du règlement :

i) 1 100 EUR (mille cent euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii) 500 EUR (cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 mai 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stanley NaismithFrançoise Tulkens
GreffierPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-110972
Date de la décision : 22/05/2012
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-3 - Durée de la détention provisoire)

Parties
Demandeurs : TURGUT ÖZKAN
Défendeurs : TURQUIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : BESTAS M.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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