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15/05/2012 | CEDH | N°001-110915

CEDH | CEDH, AFFAIRE FERNÁNDEZ MARTÍNEZ c. ESPAGNE, 2012, 001-110915


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE FERNÁNDEZ MARTÍNEZ c. ESPAGNE

(Requête no 56030/07)

ARRÊT

STRASBOURG

15 mai 2012

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 12/06/2014

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Fernández Martínez c. Espagne,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Corneliu Bîrsan,
Alvina Gyulumyan,
Egbert Myjer,
Ineta Zie

mele,
Mihai Poalelungi, juges,
Alejandro Saiz Arnaiz, juge ad hoc,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en cham...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE FERNÁNDEZ MARTÍNEZ c. ESPAGNE

(Requête no 56030/07)

ARRÊT

STRASBOURG

15 mai 2012

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 12/06/2014

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Fernández Martínez c. Espagne,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Corneliu Bîrsan,
Alvina Gyulumyan,
Egbert Myjer,
Ineta Ziemele,
Mihai Poalelungi, juges,
Alejandro Saiz Arnaiz, juge ad hoc,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 avril 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 56030/07) dirigée contre le Royaume d’Espagne et dont un ressortissant de cet État, M. José Antonio Fernández Martínez (« le requérant »), a saisi la Cour le 11 décembre 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me J.L. Mazón Costa, avocat à Murcie. Le gouvernement espagnol (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agents, M. I. Blasco Lozano et M. F. Irurzun Montoro, avocats de l’État.

3. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint du manque d’impartialité de deux des magistrats qui ont rendu l’arrêt du Tribunal constitutionnel, en raison de leurs croyances religieuses favorables à l’Église catholique. Par ailleurs, s’appuyant sur l’article 8 combiné avec l’article 14, il considère que le non-renouvellement de son contrat constitue une ingérence non justifiée dans son droit à la vie privée. Finalement, le requérant affirme que la manifestation publique de ses croyances concernant le célibat des prêtres est à l’origine du non-renouvellement de son contrat, ce qui irait à l’encontre de ses droits à la liberté idéologique et à la liberté d’expression protégés par les articles 9 et 10 de la Convention.

4. Le 13 octobre 2009, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

5. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites. Des observations ont également été reçues de l’European Centre for Law and Justice ainsi que de la Conférence épiscopale espagnole, que le président avait autorisés à participer en tant que tiers intervenants (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 2 du règlement).

6. A la suite du déport de M. L. López Guerra, le juge élu au titre de l’Espagne, le Gouvernement a désigné M. A. Saiz Arnaiz pour siéger à sa place en qualité de juge ad hoc (articles 27 § 2 de la Convention et 29 § 1 du règlement de la Cour).

7. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 22 novembre 2011 (article 59 § 3 du règlement).

Ont comparu :

– pour le Gouvernement
M.F. Irurzun Montoro, agent,
MmeMa L. García Blanco, agent,

M. I. Salama Salama,agent,

Me J. de Fuentes Bardají, avocat général de l’État.

– pour le requérant
MeJ.L. Mazón Costa,conseil,
Me E. Espinosa,conseil.

Le requérant était aussi présent à l’audience.

La Cour a entendu M. Irurzun et Me Mazón en leurs déclarations ainsi qu’en leurs réponses aux questions posées par les juges I. Ziemele, J. Šikuta, A. Saiz Arnaiz et E. Myjer.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

8. Le requérant est né en 1937 et réside à Cieza. Il est marié et père de cinq enfants.

9. Le requérant fut ordonné prêtre en 1961. En 1984, il demanda au Vatican à être dispensé de l’obligation de célibat. Un an plus tard il épousa civilement celle qui est toujours sa femme, avec qui il eut cinq enfants.

10. A partir d’octobre 1991, le requérant exerça en tant que professeur de religion et de morale catholiques dans un lycée public de Murcie sur la base d’un contrat de travail annuel renouvelable. Conformément aux dispositions de l’Accord existant depuis 1979 entre l’Espagne et le Saint-Siège, il appartenait à l’évêque du diocèse de confirmer annuellement le requérant dans son poste, le ministère de l’Éducation étant lié par la décision de l’évêque.

11. En novembre 1996 le journal La Verdad de Murcie publia un article sur le « Mouvement pro-célibat optionnel » des prêtres. Sur une photographie, le requérant, dont l’article disait qu’il avait exercé les fonctions de recteur du séminaire, apparaissait avec son épouse et ses cinq enfants lors d’une des rencontres du mouvement dont il était membre. L’article reproduisait les propos de plusieurs participants et donnait les noms de quatre d’entre eux, dont celui du requérant. Les intéressés réclamaient aux autorités ecclésiastiques le célibat optionnel ainsi qu’une Église démocratique et non pas théocratique, au sein de laquelle les laïcs puissent élire eux-mêmes leurs curés et évêques. Ils exposaient en outre leur désaccord avec les positions de l’Église relatives à l’avortement, au divorce, à la sexualité ou au contrôle de la natalité. L’article expliquait que la publicité de l’événement dans la presse avait dissuadé un grand nombre de membres du « Mouvement » d’assister au rassemblement. D’autres s’étaient approchés de l’endroit convenu mais, au vu de la présence des médias, s’étaient limités à saluer leurs collègues sans descendre de voiture, pour repartir tout de suite après. Seules une dizaine de prêtres sécularisés, dont le requérant, étaient restés sur place avec leurs familles.

12. Le 15 septembre 1997, le Vatican notifia au requérant son accord pour la dispense de célibat. Le document précisait que les individus bénéficiant de cette dispense étaient empêchés d’enseigner la religion catholique dans les centres publics, à moins que l’évêque, « en fonction de ses critères et sous réserve qu’il n’y ait pas de scandale », n’en décide autrement.

13. Le 29 septembre 1997 l’Évêché de Carthagène communiqua au ministère de l’Éducation son intention de ne pas approuver le renouvellement du contrat du requérant pour l’année scolaire 1997/1998. Le ministère notifia au requérant cette décision, qui prit effet à compter du 29 septembre 1997.

14. Dans une note officielle du 11 novembre 1997, l’Évêché rappela que, conformément aux dispositions applicables, le requérant était tenu de dispenser ses cours « sans risquer le scandale ». L’Évêché expliqua à cet égard que la publicité donnée par le requérant à sa situation personnelle avait entraîné un manquement à ce devoir, ce qui empêchait les autorités ecclésiastiques de continuer à le proposer pour l’année scolaire suivante pour protéger la sensibilité des parents des enfants fréquentant le centre scolaire où le requérant était professeur.

15. Après avoir contesté cette décision sans succès par la voie administrative, le requérant saisit le juge social no 3 de Murcie, qui rendit son jugement le 28 septembre 2000. Le juge y rappelait d’emblée les arguments utilisés par l’Évêché pour justifier le non-renouvellement du contrat du requérant, à savoir le fait que celui-ci avait rendu publique sa condition de « prêtre marié » (l’intéressé n’avait reçu la dispense du Vatican qu’en 1997) et de père de famille, ainsi que la nécessité d’éviter des scandales et de protéger la sensibilité des parents des élèves du lycée, laquelle pourrait être heurtée si le requérant continuait à dispenser des cours de religion et de morale catholiques. A cet égard, le juge considérait que :

« (...) à la lumière des faits exposés, M. Fernández Martínez a subi une discrimination en raison de son état civil et de son appartenance à l’association Mouvement pro-célibat optionnel, son apparition dans la presse ayant été le motif à l’origine de son licenciement. »

16. Le juge rappelait également que :

« Le principe de non-discrimination au travail intègre l’interdiction de discrimination en raison de l’affiliation et de l’activité syndicales, comparables à l’affiliation à toute autre association. »

17. Finalement, le juge relevait que la situation de « prêtre marié » et père de famille du requérant était connue tant des élèves que de leurs parents et des directeurs des centres scolaires où il avait travaillé. Par conséquent, le juge accueillit le recours du requérant, annula son licenciement et ordonna sa réintégration dans ses fonctions.

18. Le ministère de l’Éducation, le département de l’Éducation de la région de Murcie et l’Évêché de Carthagène firent appel (suplicación). Par un arrêt du 26 février 2001, le Tribunal supérieur de justice de Murcie accueillit le recours, précisant que :

« (...) L’enseignement [de la religion et de la morale catholique] s’inscrit dans la doctrine de la religion catholique (...). Dès lors, le lien créé [entre le professeur et l’évêque] est basé sur une relation de confiance. [De ce fait,] il ne s’agit pas d’une relation juridique neutre, comme celle qui existe entre les citoyens en général et les pouvoirs publics. Il convient de la placer à la frontière entre la pure dimension ecclésiastique et le début d’une relation de travail. »

19. Par ailleurs, le Tribunal se référait aux prérogatives de l’évêque en la matière et considérait qu’il n’y avait pas eu en l’espèce violation des articles 14 (interdiction de la discrimination), 18 (droit au respect de la vie privée) ou 20 (droit à la liberté d’expression) de la Constitution espagnole, dans la mesure où le requérant avait dispensé le cours de religion depuis 1991, l’évêque l’ayant renouvelé chaque année dans son poste alors que sa situation personnelle était identique. Le Tribunal concluait que, lorsque le requérant avait décidé de révéler publiquement cette dernière, l’évêque s’était borné à s’acquitter de ses obligations conformément au code de droit canonique, c’est-à-dire à veiller à ce que l’intéressé, comme toute personne dans cette situation, exerçât ses fonctions dans la discrétion, en évitant que sa condition personnelle ne donnât prise au scandale. Selon le Tribunal, en cas de publicité l’évêque se devait de ne plus proposer la personne concernée pour un poste de cette nature, conformément aux exigences prévues dans le rescrit de dispense du célibat.

20. De plus, s’agissant particulièrement de l’article 20 de la Constitution, le Tribunal observait qu’à la lumière de l’article 10 § 2 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales les restrictions aux droits du requérant devaient être considérées comme légitimes et proportionnées au but recherché, à savoir éviter le scandale.

21. En outre, le Tribunal analysait la question de la relation de confiance et concluait ainsi :

« (...) Lorsque cette relation de confiance se brise (et en l’espèce, des circonstances se sont produites qui font penser raisonnablement à une telle conclusion), l’évêque n’est plus tenu de proposer [le requérant] pour le poste de professeur de religion catholique. »

22. Finalement, quant à la nature du contrat, le Tribunal estimait que, dans la mesure où son renouvellement était soumis à l’approbation annuelle par l’évêque pour l’année scolaire suivante, il s’agissait d’un contrat temporaire qui, en l’espèce, avait simplement pris fin. De ce fait, il n’était pas possible de considérer que le requérant avait fait l’objet d’un licenciement.

23. Invoquant les articles 14 (interdiction de la discrimination), 18 (droit à la vie privée et familiale) et 20 (liberté d’expression) de la Constitution, le requérant forma un recours d’amparo auprès du Tribunal constitutionnel. Par une décision du 30 janvier 2003, la chambre à laquelle l’affaire fut attribuée déclara le recours recevable et, conformément aux articles 50 à 52 de la loi organique sur le Tribunal constitutionnel, notifia la décision aux parties et demanda une copie du dossier aux tribunaux a quo.

24. Par un arrêt rendu le 4 juin 2007 et notifié le 18 juin 2007, la haute juridiction rejeta le recours.

25. Dans sa décision, le Tribunal constitutionnel considérait que les arguments soulevés relevaient plutôt du domaine des articles 16 (liberté idéologique et religieuse) et 20. A cet égard, il relevait tout d’abord que la situation du requérant en tant que « prêtre marié » était connue de l’Évêché et que ce dernier n’avait mis fin au renouvellement du contrat que lors de la parution de l’article dans la presse, dont le requérant lui-même était à l’origine. La haute juridiction attirait également l’attention sur le statut spécifique des professeurs de religion en Espagne, qui différait de celui des autres enseignants et justifiait que le choix des professeurs de religions fût fondé sur des critères exclusivement religieux, étrangers à ceux contenus dans l’ordre juridique interne de l’État.

26. Le Tribunal constitutionnel estimait par ailleurs que la question centrale du recours d’amparo consistait à déterminer si les faits litigieux pouvaient se justifier par la liberté religieuse de l’Église catholique en relation avec le devoir de neutralité religieuse de l’État (article 16 § 3 de la Constitution) ou si, au contraire, ils constituaient une atteinte au droit du requérant à la liberté idéologique et religieuse en relation avec son droit à la liberté d’expression (article 20 § 1 a) de la Constitution). Pour ce faire, la haute juridiction commençait par relever que le motif à l’origine du non-renouvellement avait été l’article paru dans un journal régional, considéré comme constitutif d’un scandale selon les arguments exposés par l’Évêché de Carthagène dans sa note officielle du 11 novembre 1997. A ce sujet, elle estimait que le devoir de neutralité l’empêchait de se prononcer sur la notion de « scandale » utilisée par l’Évêché et sur le bien-fondé du « célibat optionnel des prêtres » prôné par le requérant. Elle constatait par ailleurs que l’arrêt du Tribunal supérieur de justice prévoyait un contrôle juridictionnel de la décision de l’évêque, notamment de l’impossibilité pour celui-ci de proposer des candidats n’ayant pas les qualifications professionnelles requises pour le poste, et de l’obligation de respecter les droits fondamentaux et libertés publiques.

27. Notant que la décision de l’évêque n’échappait pas complètement au contrôle des tribunaux internes, le Tribunal constitutionnel concluait que :

« (...) les ingérences dans les droits du requérant ne sont ni disproportionnées ni inconstitutionnelles (...). Elles se justifient par le respect de l’exercice licite du droit fondamental de l’Église catholique à la liberté religieuse dans sa dimension collective ou communautaire (article 16 § 1 de la Constitution), en relation avec le droit des parents de choisir l’éducation religieuse de leurs enfants (article 27 § 3 de la Constitution). [En effet], les raisons du non-renouvellement du contrat du requérant (...) sont de nature exclusivement religieuses, en rapport avec les règles de la confession à laquelle le requérant appartient librement et dont il prétendait enseigner les préceptes dans un centre d’enseignement public. »

28. Par ailleurs, le Tribunal se référait à son arrêt no 38/2007 du 15 février 2007 et rappelait que :

« (...) il serait tout simplement déraisonnable que, s’agissant de l’enseignement religieux dans les centres scolaires, on ne prît pas en compte comme critère de sélection des professeurs les convictions religieuses de ceux qui décident librement de postuler à ces postes de travail, à titre de garantie du droit à la liberté religieuse dans sa dimension collective et communautaire. »

29. Deux magistrats formulèrent une opinion dissidente à l’arrêt rendu par la majorité.

30. Par la suite, le requérant demanda que soit prononcée la nullité de l’arrêt du Tribunal constitutionnel, au motif que deux des magistrats de la chambre ayant rendu l’arrêt étaient connus pour leurs affinités avec l’Église catholique, l’un d’entre eux étant membre du Secrétariat international des juristes catholiques.

31. Par une décision du 23 juillet 2007, le Tribunal constitutionnel rejeta la demande de nullité, au motif que l’article 93 § 1 de la loi organique sur le Tribunal constitutionnel disposait que le seul recours possible contre un arrêt de la haute juridiction était la demande de clarification.

II. LE DROIT INTERNE ET COMMUNAUTAIRE PERTINENT ET LA PRATIQUE INTERNE PERTINENTE

A. La Constitution

32. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la Constitution espagnole se lisent ainsi :

Article 14

« Les Espagnols sont égaux devant la loi ; ils ne peuvent faire l’objet d’aucune discrimination fondée sur la naissance, la race, le sexe, la religion, les opinions, ou toute autre condition ou circonstance personnelle ou sociale. »

Article 16

« 1. La liberté idéologique, religieuse et de culte des individus et des communautés est garantie sans autres restrictions, quant à ses manifestations, que celles qui sont nécessaires au maintien de l’ordre public protégé par la loi.

2. Nul ne pourra être obligé de déclarer son idéologie, sa religion ou ses croyances.

3. Aucune confession n’aura le caractère de religion d’État. Les pouvoirs publics tiendront compte de toutes les croyances religieuses au sein de la société espagnole et maintiendront de ce fait des relations de coopération avec l’Église catholique et les autres confessions. »

Article 18

« 1. Le droit à l’honneur, à la vie privée et familiale et à l’image est garanti.

(...). »

Article 20

« 1. Sont reconnus et protégés les droits suivants :

a) le droit d’exprimer et de diffuser librement les pensées, idées et opinions par la parole, l’écrit ou par tout autre moyen de reproduction ;

(...)

2. L’exercice de ces droits ne peut être restreint par aucune forme de censure préalable.

(...)

4. Ces libertés trouvent leur limite dans le respect des droits reconnus au présent titre, dans les dispositions des lois d’application et, plus particulièrement, dans le droit à l’honneur, à la vie privée, à l’image et à la protection de la jeunesse et de l’enfance.

(...). »

B. La loi organique sur le Tribunal constitutionnel

33. Les dispositions pertinentes de cette loi au moment de la recevabilité du recours d’amparo du requérant sont ainsi libellées :

Article 50 § 1

Le recours d’amparo doit faire l’objet d’une décision d’admission. La section prononce à l’unanimité, par une ordonnance non motivée (providencia), l’admission en tout ou partie du recours (...)

Article 51 § 1

Une fois admise la demande d’amparo, la chambre demande d’urgence à l’organe ou à l’autorité dont émane la décision, l’acte ou le fait, ou au juge ou au tribunal qui a connu de la procédure antérieure de lui remettre, dans un délai qui ne peut dépasser dix jours, les dossiers judiciaires ou pièces justificatives relatifs à l’affaire.

Article 52

1. Après réception des dossiers judiciaires et écoulement du délai d’assignation, la chambre les communique à la personne ayant présenté la demande d’amparo, à celles qui ont comparu durant le procès, à l’avocat de l’État, si l’administration publique était impliquée, et au ministère public. L’audience a lieu dans un délai commun [à toutes les parties] qui ne pourra pas dépasser vingt jours et pendant lequel les observations peuvent être présentées.

2. La Chambre pourra, d’office ou à la demande des parties, décider de tenir une audience au lieu d’attendre le délai de présentation d’allégations.

3. Après la présentation des allégations ou l’écoulement du délai imparti pour ce faire, la chambre ou, s’il y a lieu, la section, rend l’arrêt qui convient dans le délai de dix jours.

Article 80

« Les dispositions de la loi organique sur le pouvoir judiciaire seront appliquées avec caractère supplétif à la présente loi en matière de (...) récusation et abstention ».

C. La loi organique sur le pouvoir judiciaire

34. Les dispositions applicables en l’espèce de cette loi sont les suivantes :

Article 223

« 1. La demande en récusation doit être présentée par la partie dès qu’elle a connaissance de la cause de récusation. Si la partie avait connaissance de la cause de récusation avant le litige, elle doit, sous peine d’irrecevabilité, la proposer au début de la procédure.

En particulier, une demande de récusation est déclarée irrecevable dans les cas suivants :

1. lorsqu’elle n’est pas proposée dans un délai de dix jours à compter de la notification de la première décision dans laquelle apparaît l’identité du juge ou magistrat (...) ;

2. lorsqu’elle est proposée alors que la procédure est pendante, si la cause de récusation était déjà connue au préalable.

(...) ».

D. L’Accord du 3 janvier 1979 entre le Saint-Siège et l’Espagne relatif à l’enseignement et aux affaires culturelles

35. Les dispositions pertinentes de cet instrument sont ainsi libellées :

Article III

« (...) L’enseignement religieux est dispensé par les personnes qui, chaque année scolaire, sont désignées par l’autorité administrative parmi celles proposées par l’ordinaire du diocèse. Celui-ci notifie suffisamment à l’avance les noms des personnes considérées comme compétentes (...).

E. La loi organique no 7/1980 du 5 juillet 1980 sur la liberté religieuse

36. Aux termes de l’article 6 § 1 de cette loi :

« Les églises, confessions et communautés religieuses enregistrées sont pleinement autonomes et peuvent établir leurs propres normes d’organisation, leurs règles internes et le statut de leur personnel. Dans ces normes (...), elles peuvent inclure des clauses de sauvegarde de leur identité religieuse (...) et de respect de leurs croyances, sans préjudice du respect des droits et libertés reconnus par la Constitution, en particulier [les droits à] la liberté, à l’égalité et à la non-discrimination ».

F. La loi organique 1/1990 du 3 octobre 1990 relative à l’organisation générale du système éducatif, en vigueur au moment des faits

37. Dans sa deuxième disposition additionnelle, cette loi prévoyait :

« L’enseignement de la religion s’adaptera à ce qui est prévu dans l’Accord sur l’enseignement et les affaires culturelles souscrit entre le Saint Siège et l’État espagnol (...). La religion sera proposée obligatoirement par les centres [éducatifs] et possèdera un caractère volontaire pour les élèves ».

G. La loi organique no 2/2006 du 3 mai 2006 sur l’éducation

38. La troisième disposition additionnelle de cette loi se lit comme suit :

« (...) 2. Les professeurs qui, sans avoir le statut de fonctionnaires, dispensent des cours de religion dans les établissements d’enseignement public exercent leurs fonctions dans un cadre contractuel, conformément au code du travail. (...) Ils reçoivent les rémunérations prévues pour les professeurs intérimaires.

3. Il appartient en tout cas aux entités religieuses de proposer le candidat qui sera chargé de cet enseignement religieux ; cette proposition est renouvelée automatiquement tous les ans (...). »

H. Le statut des professeurs de religion en Espagne

39. A l’époque des faits de l’espèce, l’enseignement de la religion catholique dans les centres d’enseignement publics était dispensé conformément à la loi organique 1/1990 du 3 octobre 1990 relative à l’organisation générale du système éducatif qui, dans sa deuxième disposition additionnelle, renvoyait à l’Accord du 3 janvier 1979 entre le Saint-Siège et l’Espagne relatif à l’enseignement et aux affaires culturelles.

40. La religion catholique en Espagne a le même statut que les autres confessions qui ont aussi conclu des accords de coopération avec l’État, à savoir les communautés évangélique, israélienne et musulmane.

41. Les parents ont le droit à ce que leurs enfants reçoivent un enseignement religieux à l’école et de choisir le cas échéant la confession. Dans tous les cas, l’État assume les frais de cet enseignement, comme prévu dans les accords pertinents, qui disposent également que la nomination des professeurs se fait après délivrance du certificat d’aptitude émis par l’autorité ecclésiastique compétente. Ce principe a été développé par l’arrêt 38/2007 du 15 février du Tribunal constitutionnel (voir point K du droit interne pertinent ci-dessous).

I. Le code de droit canonique

42. Les canons pertinents du code de droit canoniques disposent que :

Canon 804 § 2

« L’ordinaire [du diocèse] veille à ce que les professeurs chargés de l’enseignement de la religion dans les écoles, y compris les non-catholiques, se distinguent par leur moralité, leur vie chrétienne exemplaire et leurs aptitudes pédagogiques ».

Canon 805

« L’ordinaire [du diocèse] a le droit, au sein de son diocèse, de nommer les personnes qui enseignent la religion ou d’approuver leur nomination, et de même, si une raison tenant à la religion ou aux bonnes mœurs le requiert, de les révoquer ou d’exiger leur révocation ».

J. L’arrêt du Tribunal suprême du 19 juin 1996 relatif à la nature des contrats des professeurs de religion

43. Dans cet arrêt, le Tribunal suprême formule les considérations suivantes :

« (...) L’espèce présente les caractéristiques prévues à l’article 1 § 1 du code du travail permettant de qualifier la relation juridique entre les parties de « contractuelle »: [activité] exercée de manière volontaire pour le compte d’autrui, rémunérée et relevant d’une organisation patronale. Aucune règle n’attribue à ces professeurs [de religion] le statut de fonctionnaires. [En outre], la relation n’a pas un caractère administratif, ce qui est une condition impérative [pour être considéré comme fonctionnaire]. »

K. L’arrêt no 38/2007 du Tribunal constitutionnel du 15 février 2007

44. Cet arrêt, en ses passages pertinents, énonce que :

« (...) Le fait que les personnes désignées comme professeurs de religion doivent impérativement avoir été préalablement proposées par l’évêque et que cette proposition requiert un certificat d’aptitude préalable basé sur des considérations d’ordre moral et religieux, n’implique pas qu’il soit impossible pour les organes judiciaires de l’État de vérifier la légalité de cette désignation, de la même façon que [sont contrôlés] l’ensemble des actes discrétionnaires des autorités lors qu’ils produisent des effets sur des tiers (...)

En premier lieu, les organes judiciaires doivent contrôler si la décision administrative [de recrutement] a été prise conformément aux prescriptions légales, c’est-à-dire si la désignation a été effectuée parmi les personnes proposées par l’évêque pour dispenser cet enseignement (...) dans des conditions d’égalité et dans le respect des principes de mérite et de capacité. Ou, en cas de non-désignation d’une personne déterminée (...), [les organes judiciaires] doivent en analyser les raisons et, concrètement, si [la non-désignation] découle de la non-inclusion de la personne concernée dans la liste de propositions de l’autorité ecclésiastique ou d’autres motifs qui peuvent également faire l’objet de contrôle.

(...)

Les organes judiciaires compétents doivent examiner aussi si la non-désignation par l’évêque répond à des critères à caractère religieux ou moral essentiels qui justifient la non-adéquation de la personne en question pour dispenser les cours de religion. La définition de ces critères appartient aux autorités religieuses en raison du droit à la liberté religieuse et au principe de neutralité religieuse de l’État. [Il appartient aussi aux organes judiciaires] d’examiner si la non-désignation est fondée sur des motifs étrangers au droit fondamental à la liberté religieuse et non protégés par celui-ci.

Enfin, une fois que la motivation strictement « religieuse » de la décision est garantie, l’organe judiciaire devra peser les droits fondamentaux en conflit afin de déterminer dans quelle mesure le droit à la liberté religieuse exercé dans le cadre de l’enseignement religieux dans les établissements scolaires peut entraîner un changement des droits fondamentaux des employés dans leurs relations de travail.

(...)

La faculté reconnue aux autorités ecclésiastiques de déterminer quelles sont les personnes qualifiées pour enseigner leur credo religieux constitue une garantie de la liberté des églises quant à l’enseignement de leur doctrine sans ingérence des pouvoirs publics. (...) La collaboration [exigée par la Constitution] à ce sujet se fait dans le cadre du recrutement des professeurs, qui est à la charge de l’administration publique (article 16 § 3 de la Constitution).

En conclusion, le certificat d’aptitude constitue une des conditions nécessaires pour être recruté. Son exigence est en accord avec le droit à l’égalité de traitement et le principe de non-discrimination (article 14 de la Constitution) ».

L. L’arrêt no 51/2011 du Tribunal constitutionnel du 14 avril 2011 relatif au non-renouvellement du contrat de la requérante, professeure de religion, en raison de son mariage civil avec un divorcé

45. Dans cet arrêt, la haute juridiction parvient aux conclusions suivantes :

« (...) Les griefs [de la requérante] doivent être examinés à la lumière des principes établis dans l’arrêt no 38/2007 du 15 février 2007.

(...) Contrairement aux arguments des tribunaux a quo, la décision de l’évêque [de proposer l’un ou l’autre candidat] n’échappe pas entièrement au contrôle juridictionnel. Ainsi, (...) une fois garantie la motivation strictement religieuse de la décision de non-renouvellement, (...) il appartient au Tribunal [constitutionnel] de vérifier si les organes judiciaires ont effectué une mise en balance appropriée des droits fondamentaux en jeu en l’espèce et de concilier les exigences de la liberté religieuse (individuelle et collective) et le principe de neutralité religieuse de l’État avec la protection juridictionnelle des droits fondamentaux et des relations de travail des professeurs.

(...) En l’espèce, il ne ressort pas que dans l’exercice de ses fonctions de professeure de religion et morale catholiques la requérante ait remis en question la doctrine de l’Église catholique sur le mariage ou ait fait l’apologie du mariage civil, sa situation personnelle se trouvant par conséquent complètement séparée de son activité professionnelle.

[Après avoir effectué la mise en balance des droits fondamentaux en jeu], il convient de constater que la motivation religieuse de l’évêque est contraire aux droits de la requérante à ne pas subir de discrimination, à sa liberté idéologique concernant le droit au mariage et à son intimité personnelle et familiale ».

M. La directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail

46. Les dispositions pertinentes de cette directive sont les suivantes.

Considérant (24)

« L’Union européenne a reconnu explicitement dans sa déclaration no 11 relative au statut des églises et des organisations non confessionnelles, annexé à l’acte final du traité d’Amsterdam, qu’elle respecte et ne préjuge pas le statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les églises et les associations ou communautés religieuses dans les États membres et qu’elle respecte également le statut des organisations philosophiques et non confessionnelles. Dans cette perspective, les États membres peuvent maintenir ou prévoir des dispositions spécifiques sur les exigences professionnelles essentielles, légitimes et justifiées, susceptibles d’être requises pour y exercer une activité professionnelle. »

Article 4
Exigences professionnelles

« 1. (...) Les États membres peuvent prévoir qu’une différence de traitement fondée sur [la religion ou les convictions] ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée.

2. Les États membres peuvent maintenir dans leur législation nationale en vigueur (...) ou prévoir dans une législation future reprenant des pratiques nationales existant à la date d’adoption de la présente directive des dispositions en vertu desquelles, dans le cas des activités professionnelles d’églises et d’autres organisations publiques ou privées dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions, une différence de traitement fondée sur la religion ou les convictions d’une personne ne constitue pas une discrimination lorsque, par la nature de ces activités ou par le contexte dans lequel elles sont exercées, la religion ou les convictions constituent une exigence professionnelle essentielle, légitime et justifiée eu égard à l’éthique de l’organisation. (...)

Pourvu que ses dispositions soient par ailleurs respectées, la présente directive est donc sans préjudice du droit des églises et des autres organisations publiques ou privées dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions, agissant en conformité avec les dispositions constitutionnelles et législatives nationales, de requérir des personnes travaillant pour elles une attitude de bonne foi et de loyauté envers l’éthique de l’organisation. »

EN DROIT

I. OBSERVATIONS LIMINAIRES SUR L’OBJET DU LITIGE

47. Dans sa requête, sous la rubrique « exposé des violations alléguées », le requérant estime avoir été licencié pour avoir rendu publiques ses idées relatives au célibat catholique et soutient que les circonstances de l’espèce sont comparables à celles de l’affaire Lombardi Vallauri c. Italie (no 39128/05, 20 octobre 2009). A cet égard, il dénonce une violation de son droit au respect de la vie privée combiné avec l’interdiction de la discrimination, et se plaint du non-renouvellement de son contrat en raison de son appartenance au « Mouvement pro-célibat optionnel », après la publication dans un journal régional d’un article sur ce sujet.

48. Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (Gatt c. Malte, no 28221/08, § 19, 27 juillet 2010 ; Jusic c. Suisse, no 4691/06, § 99, 2 décembre 2010), la Cour, à l’instar du juge social no 3 de Murcie, estime que le non-renouvellement du contrat de l’intéressé est intervenu en raison de la publicité donnée à l’état civil du requérant et à son mode de vie familiale. En effet, sa situation de prêtre marié et père de plusieurs enfants était déjà connue des autorités ecclésiastiques depuis 1991, à l’époque où le requérant commença à dispenser les cours de religion et de morale catholiques. Ce n’est qu’à la suite de la publication par le quotidien La Verdad de l’article litigieux, illustré par une photo dans laquelle apparaissait le requérant avec sa famille, que l’Évêché décida de ne pas proposer le renouvellement du contrat du requérant pour l’année scolaire suivante, au motif que la publicité donnée à sa situation personnelle constituait un « scandale » vis-à-vis des parents et des élèves.

49. Partant, la Cour estime plus approprié d’examiner ce grief sous l’angle de l’article 8 pris isolément et de l’article 14 pris isolément ou combiné avec les articles 8 et 10 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

50. Le requérant soutient que le non-renouvellement de son contrat en raison de sa situation personnelle et familiale a porté atteinte à son droit à la vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

51. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A. Sur la recevabilité

52. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 (a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Sur l’applicabilité de l’article 8

a) Thèses des parties et observations des tiers intervenants

i. Le Gouvernement

53. Le Gouvernement considère que l’article 8 n’entre pas en jeu en l’espèce. A cet égard, il estime que les faits doivent être examinés sous l’angle des obligations positives de l’État vis-à-vis du droit du requérant à exprimer ses opinions et convictions personnelles protégées par l’article 9 de la Convention, dans la mesure où c’est la participation du requérant au rassemblement du Mouvement pro-célibat ainsi que la publicité donnée à sa position concernant plusieurs sujets relatifs à la doctrine catholique qui se trouvent à l’origine du non-renouvellement de son contrat. Il renvoie à cet égard à l’analyse effectuée par la Cour dans l’affaire Siebenhaar c. Allemagne (no 18136/02, § 40, 3 février 2011). En tout état de cause, il rappelle que dans les affaires Obst c. Allemagne (no 425/03, § 43, 23 septembre 2010) et Schüth c. Allemagne, (no 1620/03, § 57, CEDH-2010), la Cour a examiné les obligations positives de l’État allemand découlant de l’article 8 en relation avec les droits reconnus à l’Église par les articles 9 et 11 de la Convention. De ce fait, il estime que, si la Cour devait analyser la présente affaire sous l’angle de l’article 8 de la Convention, les arguments utilisés pour soutenir la non-violation de l’article 9 peuvent être également pertinents en ce qui concerne le droit du requérant à sa vie privée et familiale.

ii. Le requérant

54. De son côté, le requérant est d’avis que l’ingérence litigieuse touche aux obligations positives de l’État à l’égard de son droit à la vie privée, dans la mesure où, à ses yeux, le non-renouvellement de son contrat a été motivé par sa condition de prêtre marié.

iii. Les tiers intervenants

55. Les tiers intervenants rappellent que la responsabilité de la diffusion d’informations relatives à la vie privée du requérant incombe exclusivement à celui-ci, qui a pris publiquement position contre les enseignements d’une religion qu’il avait accepté d’enseigner. Dès lors, c’est seulement sur la base de cette prise de position publique du requérant qu’il convient d’examiner si l’article 8 a été respecté.

b) Appréciation de la Cour

56. La Cour a déjà eu l’occasion de se pencher sur la question de l’applicabilité de l’article 8 à la sphère du droit du travail. Ainsi, la Cour a rappelé que la « vie privée » est une notion large qui ne se prête pas à une définition exhaustive (Schüth c. Allemagne, no 1620/03, § 53 CEDH 2010, Sidabras et Džiautas c. Lituanie, nos 55480/00 et 59330/00, § 43, CEDH 2004‑VIII). En effet, l’article 8 de la Convention protège le droit à l’épanouissement personnel (K.A. et A.D. c. Belgique, no 42758/98 et 45558/99, § 83, 17 février 2005), que ce soit sous la forme du développement personnel (Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC], no 28957/95, § 90, CEDH 2002‑VI) ou sous l’aspect de l’autonomie personnelle, qui reflète un principe important sous-jacent dans l’interprétation des garanties de l’article 8 (Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 61, CEDH 2002‑III). Si, d’une part, la Cour admet que chacun a le droit de vivre en privé, loin de toute attention non voulue (Smirnova c. Russie, nos 46133/99 et 48183/99, § 95, CEDH 2003‑IX (extraits), il serait d’autre part trop restrictif de limiter la notion de « vie privée » à un « cercle intime » où chacun peut mener sa vie personnelle à sa guise et d’écarter entièrement le monde extérieur à ce cercle (Niemietz c. Allemagne, 16 décembre 1992, § 29, série A no 251‑B). L’article 8 garantit ainsi la « vie privée » au sens large de l’expression, qui comprend le droit de mener une « vie privée sociale », à savoir la possibilité pour l’individu de développer son identité sociale. Sous cet aspect, ledit droit consacre la possibilité d’aller vers les autres afin de nouer et de développer des relations avec ses semblables (voir, en ce sens, Campagnano c. Italie, no 77955/01, § 53, CEDH 2006‑V).

57. Au vu de ce qui précède, la Cour réaffirme qu’il n’y a aucune raison de principe de considérer que la « vie privée » exclut les activités professionnelles (Bigaeva c. Grèce, no 26713/05, § 23, 28 mai 2009). Des restrictions apportées à la vie professionnelle peuvent tomber sous le coup de l’article 8, lorsqu’elles se répercutent dans la façon dont l’individu forge son identité sociale par le développement des relations avec ses semblables. Il convient sur ce point de noter que c’est dans le cadre de leur travail que la majorité des personnes ont l’occasion de resserrer leurs liens avec le monde extérieur (Niemietz c. Allemagne, précité, § 29). En outre, la vie professionnelle chevauche très souvent la vie privée au sens strict du terme, de telle sorte qu’il n’est pas toujours aisé de distinguer en quelle qualité l’individu agit à un moment donné. Bref, la vie professionnelle fait partie de cette zone d’interaction entre l’individu et autrui qui, même dans un contexte public, peut relever de la « vie privée » (Mółka c. Pologne (déc.), no 56550/00, CEDH 2006‑IV).

58. En l’espèce, la Cour relève tout d’abord que le statut des professeurs de religion en Espagne a fait l’objet d’importants débats au niveau interne. Il convient de noter à cet égard que les tribunaux espagnols ont pris soin de préciser que les professeurs de religion dans les établissements d’enseignement public ne peuvent être considérés comme des fonctionnaires, mais qu’il s’agit de personnel à caractère contractuel, par opposition aux fonctionnaires (voir, à ce sujet, l’arrêt du Tribunal suprême du 19 juin 1996, dans la partie « droit interne » ci-dessus, § 43). Il en résulte que la juridiction compétente pour connaître des litiges concernant ces professeurs est la juridiction du travail et non pas la juridiction administrative.

59. En l’espèce, le requérant exerçait les fonctions de professeur de religion depuis 1991 sur la base de contrats à durée déterminée étaient renouvelés au début de chaque année scolaire après approbation de l’évêque (sous la forme d’un certificat d’aptitude) (voir, mutatis mutandis, Lombardi Vallauri c. Italie, no 39128/05, § 38, 20 octobre 2009).

60. Dans ces conditions, la Cour considère que le non-renouvellement du contrat du requérant a affecté la possibilité pour celui-ci d’exercer une activité professionnelle et a entraîné des conséquences sur la jouissance de son droit au respect de la « vie privée » au sens de l’article 8. Il s’ensuit que, dans les circonstances de la cause, l’article 8 de la Convention est applicable.

2. Sur l’observation de l’article 8

a) Thèses des parties et observations des tiers intervenants

i. Le Gouvernement

61. Le Gouvernement rappelle tout d’abord que, conformément aux accords souscrits entre l’État espagnol et l’Église catholique, la proposition des professeurs de religion et de morale catholiques en Espagne appartient à l’évêque sur la base de critères purement religieux et moraux, l’État se devant d’adopter une position de neutralité (article 16 § 3 de la Constitution espagnole) afin de respecter le droit à la liberté religieuse sous son volet collectif (article 16 § 1 de la Constitution espagnole). Celui-ci est étroitement lié au droit des parents à ce que leurs enfants reçoivent une formation religieuse et morale en conformité avec leurs propres convictions. Le Gouvernement rappelle que l’État peut cependant intervenir dans cette décision lorsqu’elle porte atteinte à l’ordre public constitutionnel ou à l’essence des droits reconnus dans la Convention. Il affirme qu’il ne s’agit pas d’un contrôle à caractère purement formel et mentionne à cet égard le jugement no 38/2007 du Tribunal constitutionnel, dans lequel ce système de fonctionnement est défini comme un mécanisme de coopération entre l’Etat et les différentes confessions en application des accords signés. Ce jugement aurait souligné qu’il appartenait exclusivement aux autorités ecclésiastiques de délivrer le certificat d’aptitude des candidats. Le Gouvernement se rallie au raisonnement du Tribunal constitutionnel en l’espèce et considère qu’il ne serait pas raisonnable, lors de la proposition des candidats qui postulent librement aux postes de professeurs de religion, de ne pas prendre en compte leurs croyances religieuses. Il estime que cela constitue une garantie du droit à la liberté religieuse lui-même. Il s’agirait donc en l’espèce d’un conflit intra-ecclésiastique, dans lequel l’intervention de l’État devrait se limiter à vérifier le respect des droits fondamentaux. De l’avis du Gouvernement, le devoir de neutralité de l’État au moment de la proposition doit s’appliquer également lorsque l’Église, en application de critères d’ordre strictement religieux, décide, comme en l’espèce, de ne pas renouveler le contrat d’une personne pour l’année scolaire suivante.

62. Le Gouvernement rappelle en outre que l’appréciation de la capacité d’un candidat à occuper un poste de professeur de religion et de morale catholiques ne se limite pas à l’appréciation de ses connaissances dogmatiques ou de ses aptitudes pédagogiques, ni à l’obligation du professeur de s’abstenir d’agir à l’encontre de l’Église catholique. En effet, son exemple personnel constitue un composant essentiel de ses croyances, qui est déterminant quant à son aptitude à l’enseignement. Le Gouvernement souligne à ce propos qu’il s’agit d’une relation de confiance entre l’évêque et le candidat proposé, ce qui n’exclurait pas, en soi, le contrôle juridictionnel de la décision de l’autorité ecclésiastique ni la mise en balance des droits fondamentaux concurrents. A cet égard, le requérant aurait eu la possibilité de contester la décision des autorités ecclésiastiques auprès de plusieurs instances juridictionnelles internes.

63. En l’espèce, les raisons du non-renouvellement seraient claires et tiendraient à la divulgation volontaire par le requérant, dans le cadre d’une manifestation publique en présence de la presse, de ses circonstances personnelles, à savoir, d’une part, le fait d’être un prêtre marié et père de cinq enfants et, d’autre part, son appartenance au Mouvement pro-célibat optionnel des prêtres, contraire aux principes de l’Église catholique. L’appréciation de ces éléments, et en particulier de la notion de « scandale » évoquée par l’évêque, revêtirait un caractère religieux et moral indubitable. Ni les tribunaux nationaux ni la Cour de Strasbourg ne seraient en mesure de s’y opposer avec des critères de droit civil.

64. Quant au contenu des propos litigieux, le Gouvernement souligne qu’ils furent rapportés dans un article de journal où figurait une photo du requérant avec son épouse et ses cinq enfants. Aux yeux du Gouvernement, la question qui se pose en l’espèce n’est pas celle de décider si ces propos sont légitimes et peuvent être exprimés en public. Ce qui est en jeu, c’est de savoir dans quelle mesure une organisation religieuse est obligée de recruter en tant que professeur de religion une personne qui a tenu publiquement des propos contraires à sa doctrine.

65. Pour le Gouvernement, il convient d’examiner si l’État espagnol a rempli ses obligations positives en matière de protection du droit du requérant au respect de sa vie privée. Il rappelle à cet égard que le non-renouvellement du contrat du requérant est fondé sur le refus de l’évêque de délivrer un certificat d’aptitude à l’intéressé.

66. Dans la mesure où les restrictions dont a fait l’objet le requérant sont fondées sur des critères religieux et moraux, le devoir de neutralité de l’État à cet égard empêche le Gouvernement de se prononcer sur leur proportionnalité. Il estime que ces mesures sont justifiées par le droit de l’Église catholique à la liberté religieuse collective et le droit des parents à l’éducation religieuse de leurs enfants.

67. Finalement, le Gouvernement fait référence au jugement rendu par le Tribunal constitutionnel espagnol le 14 avril 2011 (STC 51/2011), dans lequel la haute juridiction considérait que le non-renouvellement du contrat d’une professeure de religion catholique dans un lycée public en raison de son mariage civil avec un divorcé avait porté atteinte à ses droits à l’intimité personnelle et familiale. Affirmant que ce jugement n’implique pas un revirement de la jurisprudence précédente à ce sujet, et en particulier de celle établie dans l’affaire no 38/2007 susmentionnée, le Gouvernement souligne que, contrairement au requérant, la professeure en question n’avait à aucun moment rendue publique sa situation ni fait du prosélytisme en faveur du divorce.

ii. Le requérant

68. Le requérant considère que son licenciement après qu’il eut rendu publique sa condition de prêtre marié et père de cinq enfants ainsi que son appartenance au Mouvement pro-célibat optionnel constitue une ingérence dans son droit au respect de sa vie privée et familiale. A cet égard, il estime que l’adhésion à ce Mouvement constitue une activité légitime qui appartient à la sphère de sa vie privée.

69. A l’instar du Gouvernement le requérant estime que la question doit être examinée sous l’angle du respect des obligations positives de la part de l’État. En effet, l’ingérence trouverait son origine dans une mesure adoptée par un tiers, en l’occurrence les autorités ecclésiastiques. Plus particulièrement, le requérant estime que l’ingérence en cause n’est pas justifiée dans la mesure où son appartenance à ce mouvement ne porte pas atteinte aux principes du dogme catholique ni n’entre en contradiction avec son engagement en tant que professeur de religion. Ainsi, il n’a pas, par exemple, nié l’existence de Dieu, ni contesté la divinité du Christ ou la virginité de Marie, ni attaqué la figure du Pape, ce qui aurait pu justifier son licenciement.

70. Quant à la notion de « scandale » évoquée par l’évêque dans la note du 11 novembre 1997, le requérant souligne que sa situation personnelle et familiale était connue par l’évêque depuis 1991, lorsqu’il fut recruté pour la première fois en tant que professeur de religion, sans que cela n’ait empêché les autorités ecclésiastiques de lui délivrer le certificat d’aptitude pendant six années scolaires consécutives. Il aurait en effet continué de s’acquitter de ses obligations professionnelles d’une manière exemplaire. En outre, les parents des enfants fréquentant l’établissement scolaire où il enseignait étaient également au courant de son statut de prêtre marié, ce qui a été constaté par le juge social no 3 de Murcie dans son jugement du 28 septembre 2000, sans que cela ait entraîné des réclamations au sein de l’établissement. Au contraire, tant les parents que les professeurs de l’établissement lui auraient manifesté leur soutien sous la forme de communiqués et de diverses manifestations. Dans la mesure où les circonstances entourant sa vie familiale n’étaient pas secrètes ni inconnues des principaux intéressés (l’évêque et les parents de ses élèves), il estime que le « scandale » en tant que tel n’a pas eu lieu.

71. Le requérant conteste la position du Gouvernement relative au devoir de neutralité et à la préservation de la liberté religieuse de l’Église, qui cache selon lui un manquement grave des obligations positives de l’État au regard de l’article 8 de la Convention.

72. Enfin, quant au jugement du Tribunal constitutionnel espagnol du 14 avril 2011 (STC 51/2011), il estime que ce jugement a abrogé la jurisprudence constitutionnelle précédente et est applicable aux faits de l’espèce.

73. En conclusion, le requérant considère que l’ingérence dans sa vie privée et familiale n’était ni justifiée ni nécessaire dans une société démocratique.

iii. Les tiers intervenants

74. La Conférence épiscopale espagnole (CEE) rappelle que, conformément à l’article 3 de l’accord entre le Saint-Siège et l’État espagnol et à la deuxième disposition additionnelle de la loi organique no 1/1990 du 3 octobre 1990 relative à l’organisation générale du système éducatif, en vigueur à l’époque des faits, tout candidat au poste de professeur de religion devait posséder le titre universitaire adéquat, être en possession du certificat ecclésiastique d’aptitude délivrée par la CEE, être proposé par l’évêque du diocèse et signer le contrat avec l’administration éducative de l’État ou de la communauté autonome.

75. Quant à la deuxième condition, la CEE souligne que les critères d’aptitude sont de nature religieuse et confessionnelle, définis par le droit canonique : outre appartenir à l’Église catholique, le candidat doit également faire preuve de moralité et mener une vie chrétienne exemplaire (voir le canon 804, paragraphe 42 ci-dessus). L’examen de ces critères est l’affaire exclusive des autorités de l’Église. Le pouvoir des autorités ecclésiastiques de délivrer la déclaration d’aptitude permet de garantir l’autonomie religieuse et garantit la qualité de l’enseignement. Quant à la proposition effectuée par l’évêque, la CEE fait remarquer qu’elle relève du jugement de l’Église et non du droit de l’État.

76. Pour sa part, l’European Centre for Law and Justice souligne d’emblée la spécificité des postes pour lesquels l’employeur a un caractère religieux, l’employé étant lié par une obligation de loyauté accrue par rapport à une relation de travail fondée exclusivement sur un lien contractuel neutre. Il rappelle à cet égard que la Directive 2000/78/CE du Conseil de l’Union européenne a prévu un régime spécifique concernant les limites des ingérences de l’État dans le cadre de cette obligation de loyauté. En effet, elle établit que les différences de traitement pour des raisons religieuses sont admissibles sous réserve de ne pas être contraires aux « principes constitutionnels » des États membres, ainsi qu’aux « principes généraux du droit communautaire ».

77. Finalement, les tiers intervenants rappellent que la Cour a déjà considéré qu’un État respectait ses obligations positives découlant de l’article 8 de la Convention lorsqu’il avait mis en place un système de juridictions du travail et une juridiction constitutionnelle afin que tout intéressé ait la possibilité de porter son affaire devant le juge du travail pour examiner la mesure litigieuse (Siebenhaar c. Allemagne précité § 42 et Obst c. Allemagne précité §§ 43-45 et 69). En outre, ils considèrent que la liberté interne à l’Église empêche la Cour de se prononcer sur la proportionnalité de la décision de l’évêque.

b) Appréciation de la Cour

78. La Cour réaffirme premièrement que, si l’article 8 tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l’État de s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes au respect effectif de la vie privée. Celles-ci peuvent nécessiter l’adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux. Si la frontière entre les obligations positives et négatives de l’État au regard de l’article 8 ne se prête pas à une définition précise, les principes applicables sont néanmoins comparables. En particulier, dans les deux cas, il faut prendre en compte le juste équilibre à ménager entre l’intérêt général et les intérêts de l’individu, l’État jouissant en toute hypothèse d’une marge d’appréciation (Evans c. Royaume-Uni [GC], no 6339/05, §§ 75-76, CEDH 2007‑IV, Rommelfanger c. Allemagne, no 12242/86, décision de la Commission du 6 septembre 1989, Décisions et rapports no 62 et Fuentes Bobo c. Espagne, no 39293/98, § 38, 29 février 2000). Cette marge d’appréciation est plus ample lorsque l’État doit ménager un équilibre entre des intérêts privés et publics concurrents ou entre différents droits protégés par la Convention (Evans, précité, § 77).

79. La question principale qui se pose en l’espèce est donc de savoir si l’État était tenu, dans le cadre de ses obligations positives découlant de l’article 8, de faire prévaloir le droit du requérant au respect de sa vie privée sur le droit de l’Église catholique de refuser de renouveler le contrat de l’intéressé. Dès lors, c’est en examinant la mise en balance effectuée par les juridictions espagnoles de ce droit du requérant avec le droit de l’Église catholique découlant des articles 9 et 11 que la Cour devra apprécier si la protection offerte au requérant a atteint ou non un degré suffisant (voir, mutatis mutandis, Schüth c. Allemagne précité, § 57).

80. A cet égard, la Cour rappelle que les communautés religieuses existent traditionnellement et universellement sous la forme de structures organisées et que, lorsque l’organisation d’une telle communauté est en cause, l’article 9 doit s’interpréter à la lumière de l’article 11 de la Convention qui protège la vie associative contre toute ingérence injustifiée de l’État. En effet, leur autonomie, indispensable au pluralisme dans une société démocratique, se trouve au cœur même de la protection offerte par l’article 9. La Cour rappelle en outre que, sauf dans des cas très exceptionnels, le droit à la liberté de religion tel que l’entend la Convention exclut toute appréciation de la part de l’État sur la légitimité des croyances religieuses ou sur les modalités d’expression de celles-ci (Hassan et Tchaouch c. Bulgarie [GC], no 30985/96, §§ 62 et 78, CEDH 2000‑XI). Par ailleurs, le principe d’autonomie religieuse interdit à l’État d’obliger une communauté religieuse à admettre ou exclure un individu ou à lui confier une responsabilité religieuse quelconque (voir, mutatis mutandis, Sviato-Mykhaïlivska Parafiya c. Ukraine, no 77703/01, § 146, 14 juin 2007). Enfin, lorsque se trouvent en jeu des questions sur les rapports entre l’État et les religions, sur lesquelles de profondes divergences peuvent raisonnablement exister dans une société démocratique, il y a lieu d’accorder une importance particulière au rôle du décideur national (Leyla Şahin c. Turquie [GC], no 44774/98, § 108, CEDH 2005‑XI).

81. La Cour relève qu’en droit espagnol la notion d’autonomie des communautés religieuses est complétée par le principe de neutralité religieuse de l’État reconnu à l’article 16 § 3 de la Constitution. Ce principe empêche l’État de se prononcer sur des notions telles que le scandale ou le célibat des prêtres. Certes, cette obligation de neutralité n’est pas illimitée : le Tribunal constitutionnel a confirmé dans son arrêt du 4 juin 2007 (voir §§ 25 à 28 ci-dessus) que cette limitation prenait la forme du contrôle juridictionnel dont la décision de l’évêque peut faire l’objet. En effet, ce dernier ne peut proposer des candidats qui n’auraient pas les qualifications professionnelles requises pour le poste et est tenu de respecter les droits fondamentaux et les libertés publiques. L’arrêt rappelle en outre que la définition des critères religieux ou moraux à l’origine d’un non-renouvellement appartient exclusivement aux autorités religieuses. Les juridictions internes peuvent cependant effectuer une mise en balance des droits fondamentaux en conflit et sont également compétentes pour examiner si des motifs autres que ceux à caractère strictement religieux sont intervenus dans la décision de ne pas désigner le candidat, car seuls ces derniers sont protégés par le principe de la liberté religieuse.

82. En l’espèce, la Cour constate que le requérant a eu la possibilité de porter son affaire devant le juge du travail puis devant le Tribunal supérieur de justice de Murcie, qui ont été appelés à examiner la licéité de la mesure litigieuse à la lumière du droit du travail en tenant compte du droit ecclésiastique, et à mettre en balance les intérêts divergents du requérant et de l’Église (voir, mutatis mutandis, Siebenhaar, précité, Schüth c. Allemagne précité, § 59 et Obst c. Allemagne, précité, § 45). En dernière instance, le requérant a bénéficié de la possibilité de former un recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel.

83. Concernant plus particulièrement les circonstances à l’origine du non‑renouvellement du contrat, la Cour signale que celles-ci permettent de distinguer l’espèce des affaires Siebenhaar, Schüth et Obst précités. En effet, il s’agissait dans ces affaires de mesures prises par les autorités ecclésiastiques à l’encontre de laïcs alors que le requérant en l’espèce est un prêtre sécularisé. En particulier, la note de l’évêque du 11 novembre 1997 précisait que la décision litigieuse avait été prise sur la base du rescrit du 20 août 1997 et notifié au requérant le 15 septembre 1997, qui lui avait accordé la dispense du célibat. Ce rescrit disposait que, conformément au droit canonique, les personnes bénéficiant de la dispense ne pouvaient enseigner la religion catholique dans les établissements publics à moins que l’évêque, « en fonction de ses critères et sous réserve qu’il n’y ait pas de scandale », n’en décide autrement.

84. A l’instar des arguments du Tribunal constitutionnel dans son arrêt du 4 juin 2007, la Cour considère que les circonstances qui ont motivé le non-renouvellement du contrat du requérant en l’espèce sont de nature strictement religieuse. Elle est d’avis que les exigences des principes de liberté religieuse et de neutralité l’empêchent d’aller plus loin dans l’examen relatif à la nécessité et à la proportionnalité de la décision de non-renouvellement, son rôle devant se limiter à vérifier que les principes fondamentaux de l’ordre juridique interne ou la dignité du requérant n’ont pas été remis en cause. En effet, la décision fut prise après la publication d’un article dans le journal La Verdad où le requérant apparaissait avec son épouse et ses cinq enfants et qui rapportait certains propos des membres du Mouvement pro-célibat optionnel, dont le requérant, ancien recteur du séminaire. En particulier, ces personnes se déclaraient en faveur du célibat optionnel des prêtres et critiquaient également la position de l’Église sur plusieurs sujets, tels que l’avortement, le divorce, la sexualité ou le contrôle de natalité. Ces événements amenèrent l’évêque à considérer que le lien de confiance requis s’était brisé et à ne plus renouveler le contrat.

85. C’est précisément ce lien de confiance spécial qu’il convient, de l’avis de la Cour, de mettre en avant en l’espèce. Ce lien implique nécessairement certaines spécificités qui différencient les professeurs de religion et de morale catholiques des autres enseignants qui, eux, s’inscrivent dans une relation juridique neutre entre l’administration et les particuliers. Ainsi, il n’est pas déraisonnable d’exiger un devoir de loyauté accru de ces enseignants. Lorsque, comme en l’espèce, le lien de confiance se brise, l’évêque se doit, en application des dispositions du code de droit canonique, de ne plus proposer le candidat pour le poste. A l’instar du Tribunal supérieur de justice de Murcie, la Cour considère qu’en ne renouvelant pas le contrat du requérant, les autorités ecclésiastiques se sont bornées à s’acquitter des obligations qui leur incombent en application du principe d’autonomie religieuse.

86. De même, les conclusions en ce sens du Tribunal supérieur de justice et du Tribunal constitutionnel ne paraissent pas déraisonnables à la Cour. En particulier, la haute juridiction constitutionnelle s’est amplement référée aux principes établis dans son arrêt no 38/2007 du 15 février 2007 et a notamment rappelé que, dans la mesure où les candidats aux postes de professeurs de religion postulent librement, il serait déraisonnable de ne pas prendre en compte leurs convictions religieuses comme critère de sélection, afin de protéger le droit à la liberté religieuse dans sa dimension collective. En l’espèce, l’intéressé était ou devait être conscient, lors de la signature de son contrat de travail, des particularités des relations de travail pour ce type de postes et du droit de l’Évêché de proposer ou de ne pas proposer les candidats, conformément au canon 805 du code de droit canonique (voir § 42 dans la partie « Droit interne pertinent » ci-dessus et, mutatis mutandis, Ahtinen c. Finlande, no 48907/99, § 41, 23 septembre 2008), d’autant qu’au moment où le requérant commença à enseigner il n’avait pas encore reçu la dispense du Vatican, ce qui faisait de lui un « prêtre marié » aux yeux de l’Église catholique. De ce fait, la Cour considère que le requérant était soumis à des obligations de loyauté accrues (voir Obst, précité, § 50 et a contrario Schüth précité, § 71). Elle note à cet égard que l’intéressé ne s’est pas caché de la presse, mais qu’il faisait bien partie des quelques membres du « Mouvement » qui sont restés au rassemblement même après s’être aperçus de la présence des médias sur place, et que ceux-ci ont exprimé ouvertement leur désaccord avec les politiques de l’Église dans plusieurs domaines (voir, a contrario, Schüth précité § 72).

87. La Cour note par ailleurs que la nature particulière des exigences professionnelles imposées au requérant résulte du fait qu’elles ont été établies par un employeur dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions (Directive 78/2000/CE, Schüth, précité, § 40, Obst, précité, § 27, et aussi Lombardi Vallauri, précité, § 41). A cet égard, elle observe que les juridictions compétentes ont suffisamment démontré que les obligations de loyauté étaient acceptables en ce qu’elles avaient pour but de préserver la sensibilité du public et des parents des élèves du lycée (voir, mutatis mutandis, Obst, précité, § 51). La Cour ne voit pas de raison de s’écarter de ces raisonnements, qu’elle juge suffisamment détaillés (voir a contrario Schüth précité, § 66). En outre, elle considère que l’exigence de réserve et de discrétion est d’autant plus importante que les destinataires directs des enseignements du requérant sont des enfants mineurs, vulnérables et influençables par nature (Dahlab c. Suisse (déc.), no 42393/98, CEDH 2001‑V).

88. Au demeurant, la Cour note qu’après le non-renouvellement de son contrat, le requérant bénéficia de prestations de chômage puis trouva un emploi dans un musée où il travailla jusqu’à sa retraite en 2003 (voir, a contrario, Schüth précité, § 73).

89. En conclusion, eu égard à la marge d’appréciation de l’État en l’espèce et notamment au fait que les juridictions compétentes ont ménagé un juste équilibre entre plusieurs intérêts privés, la Cour estime qu’en l’espèce il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

III. sur la violation alléguée de l’article 14, PRIS ISOLÉMENT OU COMBINÉ AVEC Les ARTICLEs 8 et 10 de la convention

90. Le requérant se plaint d’avoir subi une discrimination du fait d’avoir rendu publique sa situation familiale et estime que l’extériorisation de sa condition de prêtre marié et père de plusieurs enfants fait partie de son droit à la liberté d’expression.

91. Le Gouvernement conteste cette thèse.

A. Sur la recevabilité

92. La Cour constate que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.

B. Sur le fond

93. La Cour estime qu’aucune question distincte ne se pose sous l’angle de l’article 14, pris isolément ou combiné avec les articles 8 et 10 de la Convention. Dès lors, il n’y a pas lieu d’examiner plus avant ces griefs.

IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

94. Le requérant estime que les croyances religieuses favorables à l’Église catholique de deux des magistrats du Tribunal constitutionnel qui rendirent l’arrêt du 4 juin 2007 auraient dû les amener à se récuser. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, il y voit un manque d’impartialité. A cet égard, il affirme n’avoir soupçonné un problème tenant au manque d’impartialité de ces juges qu’après avoir lu l’arrêt.

95. Dans sa partie pertinente, la disposition invoquée se lit ainsi :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

Sur la recevabilité

1. Thèses des parties

a) Le Gouvernement

96. Le Gouvernement doute que le requérant n’ait pas été informé de la composition de la chambre du Tribunal constitutionnel saisie de l’affaire avant qu’elle ne rende son arrêt. Il note à cet égard qu’il s’agit d’une information disponible sur Internet et constate que le requérant avait donc la possibilité de solliciter la récusation des juges. Il sollicite le rejet de ce grief pour non-épuisement des voies de recours internes.

97. Quoi qu’il en soit, le Gouvernement considère que les croyances religieuses des magistrats du Tribunal constitutionnel font partie de leur droit à la liberté religieuse et ne peuvent constituer un motif objectif de craindre leur manque d’impartialité. Dans le cas contraire, leur liberté idéologique se verrait restreinte de façon injustifiée. En outre, le Gouvernement relève que le requérant ne précise pas quels sont les préjudices réels provoqués par les magistrats.

b) Le requérant

98. Pour sa part, le requérant estime qu’un juge ayant des liens avec l’Église catholique ne devrait pas trancher une affaire où celle-ci est partie. Il précise qu’il ne s’agit pas de remettre en cause les croyances des juges qui, elles, sont certainement protégées par le droit de ces derniers à la liberté religieuse, mais plutôt d’examiner leurs répercussions sur l’objet du procès. De l’avis du requérant, ces répercussions en l’espèce sont incompatibles avec l’obligation d’impartialité. En effet, il est convaincu que les magistrats ont un devoir d’obéissance vis-à-vis de la discipline catholique, ce qui les empêche systématiquement de faire droit à toute prétention qui, comme en l’espèce, porterait préjudice aux intérêts de l’Église.

99. Le requérant affirme par ailleurs n’avoir douté de l’impartialité des magistrats en cause que lorsque l’arrêt a été rendu et soutient que ceux-ci ont caché leurs liens avec l’Église catholique.

2. Appréciation de la Cour

100. La Cour constate qu’en ce qui concerne la procédure de récusation des magistrats du Tribunal constitutionnel l’article 80 de la loi organique sur le Tribunal constitutionnel renvoie aux dispositions de la loi organique sur le pouvoir judiciaire. L’article 223 de cette dernière loi prévoit que la demande de récusation doit être présentée par la partie dès qu’elle a connaissance de la cause de récusation, faute de quoi la demande sera déclarée irrecevable (paragraphe 34 ci‑dessus).

101. La Cour relève que le requérant a pris connaissance de la composition de la chambre à laquelle son recours d’amparo avait été assigné le 30 janvier 2003 au plus tard, date à laquelle son recours a été déclaré recevable (articles 50 et suivants de la loi organique sur le Tribunal constitutionnel ci-dessus). Par conséquent, à partir de cette date, le requérant a eu la possibilité de contester le prétendu manque d’impartialité des magistrats. Cependant, il n’a présenté aucune demande de récusation. Il est vrai que le requérant soutient ne pas avoir eu connaissance des croyances religieuses des deux magistrats qu’après que le Tribunal constitutionnel ait rendu son arrêt. Cela étant, la Cour constate qu’il n’apporte aucun élément à l’appui de ses allégations.

102. A la lumière de ce qui précède, la Cour constate que le requérant n’a pas utilisé tous les moyens dont il disposait en droit interne pour contester le manque d’impartialité des magistrats en cause. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 8, 10 et 14 et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit, par six voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention ;

3. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’examiner les griefs tirés de l’article 14, pris isolément ou combiné avec les articles 8 et 10 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 mai 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Saiz Arnaiz.

J.C.M.
S.Q.

Opinion PARTIELLEMENT dissidente
du juge SAIZ ARNAIZ

(Traduction)

Mon désaccord avec la majorité de la Cour se limite au point 2 du dispositif de l’arrêt. J’estime qu’il existe des arguments permettant de considérer que le non-renouvellement du contrat du requérant en octobre 1997 emporte violation de l’article 8 de la Convention, conformément au sens donné à cette disposition aux paragraphes 56 et 57 de l’arrêt, auquel je souscris par ailleurs. Mon désaccord se fonde principalement sur deux motifs :

1. Au paragraphe 83 de l’arrêt, il est souligné que la présente affaire diffère de celles examinées dans les arrêts Siebenhaar c. Allemagne, (no 18136/02, 3 février 2011), Schüth c. Allemagne, (no 1620/03, CEDH 2010) et Obst c. Allemagne, (no 425/03, 23 septembre 2010) en ce qu’ « il s’agissait dans ces affaires de mesures prises par les autorités ecclésiastiques à l’encontre de laïcs alors que le requérant en l’espèce est un prêtre sécularisé ». Certes, cette différence existe, mais j’estime qu’il en existe une autre plus importante encore : en l’espèce, la décision de non-renouvellement a été prise par l’administration publique en charge de l’éducation et non par l’autorité ecclésiastique. Certes, elle a été adoptée sur proposition de l’évêché, mais non par lui. Ce point constitue une nouveauté et, en cela, la présente affaire diffère également de l’affaire Lombardi Vallauri c. Italie (no 39128/05, 20 octobre 2009), dont, à mon avis, la Cour n’a pas suffisamment tenu compte, semblant au contraire l’ignorer lorsque, au paragraphe 87 de l’arrêt, elle fait allusion implicitement à l’évêché dans les termes suivants : « un employeur dont l’éthique est fondée sur la religion [...] ». Or l’évêché n’a jamais été, en tout cas formellement, l’employeur du requérant.

Si l’on se reporte aux faits déclarés prouvés dans le jugement du juge du travail no 3 de Murcie, on constate que, pendant les six ans durant lesquels le requérant a exercé en tant que professeur de religion et de morale catholiques, il l’a fait « sur désignation par le directeur provincial du ministère de l’Éducation, en tant que fonctionnaire intérimaire ». L’ordre ministériel du 11 octobre 1982 relatif aux professeurs de religion et de morale catholiques dans les établissements d’enseignement secondaire, applicable à l’époque des faits, disposait en son article 5 que ces professeurs seraient « engagés par l’administration ». Le fait que, depuis son arrêt du 19 juin 1996, le Tribunal suprême (paragraphe 43, supra) ait affirmé que la relation de services de ces professeurs revêt un caractère contractuel et que « la juridiction compétente pour connaître des litiges [les] concernant est la juridiction du travail et non la juridiction administrative » (paragraphe 58, supra) ne change point cette réalité : le requérant a été nommé, sur proposition de l’évêché, par l’autorité ministérielle en charge de l’éducation.

Il y a quelques années, le Tribunal constitutionnel espagnol, dans son arrêt 38/2007 (paragraphe 44 supra), insistait sur le fait que jusqu’à 1996, les professeurs de religion étaient des « fonctionnaires intérimaires », l’arrêt du Tribunal suprême de 1996 et une réforme législative de 1998 ayant établi que ce corps enseignant devait être assimilé à du « personnel contractuel engagé par l’administration sur proposition de l’église et pour une durée limitée ». Le Tribunal constitutionnel précisait alors que les professeurs de religion étaient « des employés de l’administration publique chargée de l’éducation ». Dans le même arrêt, il déclarait que « l’article III de l’Accord de 1979 (paragraphe 35, supra) n’attribu[ait] pas à l’autorité ecclésiastique la faculté de ‘désigner’ les personnes devant dispenser l’enseignement religieux, mais se born[ait] à indiquer que ces personnes ser[aie]nt désignées par l’autorité académique ’parmi celles proposées par l’Ordinaire du diocèse’ ». Il précisait que cela permettrait, dans les cas où l’exigence de capacité serait remplie et après la déclaration ecclésiastique d’aptitude préalable ainsi que la proposition [du candidat] faite en conséquence par l’église, que « continue de prévaloir pleinement dans la procédure de désignation le droit des citoyens à l’égalité dans l’accès à l’emploi public sur la base des critères de mérite et de capacité » (italiques ajoutés).

Voilà la nouveauté de la présente affaire à laquelle je faisais référence précédemment : le rôle de l’État et de son administration publique de l’éducation dans la désignation des professeurs de religion. Dans toutes les affaires précédentes mentionnées par la Cour, le recrutement de personnel par les communautés religieuses était effectué directement par les églises ou les organisations religieuses elles-mêmes, sans intervention de l’administration publique dans la procédure d’embauche. Par ailleurs, contrairement au cas d’espèce, ce n’était pas non plus l’administration qui avait à sa charge la rémunération des employés. C’est précisément en raison de cette participation directe d’une autorité publique qu’est valable et, a fortiori, justifiée l’affirmation selon laquelle l’embauche et, le cas échéant, la reconduite ou non dans ses fonctions du professeur de religion doivent se faire « dans le respect des droits fondamentaux et du système de valeurs et principes constitutionnels », comme le rappelle le Tribunal constitutionnel espagnol dans son arrêt 38/2007.

Dans le cas présent, je crois que tant les organes juridictionnels espagnols que la Cour ont privilégié l’autonomie doctrinale et institutionnelle de l’Église au détriment du droit fondamental du requérant. Lorsqu’il a rejeté le recours d’amparo (paragraphes 25 à 29 supra), le Tribunal constitutionnel a considéré que la proposition de non-renouvellement était fondée sur des motifs à caractère strictement religieux. Après avoir constaté cette circonstance, il a semblé ne pas prendre en considération les droits fondamentaux du requérant. Ce fut d’ailleurs l’avis des deux magistrats dissidents (parmi les six membres de la chambre) et du ministère public, qui ont estimé que la violation alléguée était effectivement constituée. A présent, la Cour de Strasbourg adopte le même critère que le Tribunal constitutionnel quand elle dit que « lorsque se trouvent en jeu des questions sur les rapports entre l’État et les religions, [...], il y a lieu d’accorder une importance particulière au rôle du décideur national » (paragraphe 80).

2. Le décideur national, puis la Cour, ont admis que « le non-renouvellement du contrat de l’intéressé [était] intervenu en raison de la publicité donnée à l’état civil du requérant et à son mode de vie familial » (paragraphe 48). Le terme « publicité » renvoie ici à l’article illustré d’une photographie publié dans un journal. De l’avis de l’évêché, cet article aurait provoqué un scandale. Comme le Tribunal supérieur de justice de Murcie et le Tribunal constitutionnel, la Cour a accepté l’argument du scandale, qui trouverait sa justification dans l’application du code de droit canonique et où il faudrait voir le résultat de la violation de l’indéniable devoir de loyauté accru de ces professeurs de religion. En raisonnant ainsi, il me semble qu’elle méconnaît, ou tout du moins ne met pas suffisamment en valeur, le contexte ou les circonstances concrètes de la relation entre le requérant et l’Église. En définitive, elle agit de la même façon que les organes juridictionnels nationaux, privilégiant le fondement religieux du non-renouvellement sans le mettre en balance, dans le cas d’espèce, avec le droit du requérant à la vie privée.

Au risque de répéter ce qui a déjà été dit par la Cour, je me permettrai juste de rappeler que lorsque le requérant a été embauché par l’administration publique chargée de l’éducation en 1991, sur proposition de l’évêque, il était marié depuis six ans, ayant demandé un an avant son mariage une dispense de l’obligation de célibat, et avait plusieurs enfants issus de cette union. Aucun de ces éléments, bien connus de l’autorité ecclésiastique chargée de la proposition, ne constitua un obstacle à son embauche ni ne fut considéré comme potentiellement scandaleux. Il ressort des faits déclarés prouvés dans le jugement du juge du travail no 3 de Murcie que tant la direction des deux centres où le requérant dispensa les cours que les professeurs, les élèves et leurs parents connaissaient sa condition de prêtre marié, « sans qu’il n’y ait eu de plaintes à ce sujet ». A aucun moment il n’a été avancé que le requérant faisait du prosélytisme ou qu’il s’était prononcé lors de ses cours contre les postulats de son église, y compris le célibat des prêtres. C’est dans ce contexte que son contrat était renouvelé chaque année sur proposition de l’Église catholique. Il a ainsi dispensé des cours dans deux villes moyennes (Caravaca de la Cruz comptait alors 21 000 habitants et Mula 13 000) qui ne disposaient l’une comme l’autre que de deux Instituts d’Enseignement Secondaire, et où il est par conséquent aisé d’imaginer que sa condition de prêtre marié était bien connue de tous.

La parution dans le Journal La Verdad d’un article sur les prêtres mariés et le « Mouvement pro-célibat optionnel », dont le contenu est décrit au paragraphe 84 de l’arrêt, a mené l’évêché à ne pas proposer le renouvellement du contrat de travail du requérant, alléguant un possible scandale. L’article mentionnait une réunion à laquelle avaient participé « une dizaine de prêtres sécularisés » et leurs familles et citait cinq d’entre eux, dont le requérant. L’information journalistique était accompagnée d’une photo de la réunion, où apparaissaient le requérant et sa famille, dont les noms n’étaient cependant pas mentionnés au pied de la photo. La médiatisation, bien qu’évidente, est relative : nulle part dans l’article il n’est attribué personnellement au requérant des jugements critiques vis-à-vis de la doctrine de l’Église (voir, a contrario, Rommelfanger c. Allemagne, nº 12242/86, décision de la Commission du 6 septembre 1989). De plus, l’article permettait de constater que le requérant n’était pas un dirigeant (coordinateur) du Mouvement.

Ainsi, une situation que l’évêché avait à l’origine considérée comme compatible avec l’enseignement de la religion cessa de l’être au moment où elle devint publique ou, plus précisément, lorsqu’elle fit l’objet d’une information journalistique. En effet, elle était déjà connue de l’entourage professionnel du requérant avant la publication de l’article. C’est dans ce contexte que, à mon avis, il est inadmissible de recourir à la notion de « scandale », fondée sur l’application du droit canonique et motivant uniquement le non-renouvellement par le rescrit accordant au requérant la dispense de célibat. Une telle justification aurait été possible si l’Église ou l’entourage professionnel du requérant avaient ignoré sa situation personnelle et familiale jusqu’à la publication de l’article. Or il est avéré que l’information était connue de l’évêché, des professeurs, des parents et des élèves. Il conviendrait également de se demander pourquoi le scandale n’a pas éclaté entre le 11 novembre 1996, date de parution de l’article, et le 29 septembre 1997, date à laquelle l’évêché proposa le non-renouvellement, soit presque onze mois plus tard.

La Cour « considère que les circonstances qui ont motivé le non-renouvellement du contrat du requérant en l’espèce sont de nature strictement religieuse », et ajoute que « les exigences des principes de liberté religieuse [de l’Église catholique] et de neutralité [de l’État] l’empêchent d’aller plus loin dans l’examen relatif à la nécessité et à la proportionnalité de la décision de non-renouvellement, son rôle devant se limiter à vérifier que les principes fondamentaux de l’ordre juridique interne ou la dignité du requérant n’ont pas été remis en cause » (paragraphe 84). En réalité, elle ne met pas en balance les droits du requérant avec ces principes, car cela l’obligerait à expliquer les raisons pour lesquelles la condition publique de prêtre marié et de père de famille, également connue de l’évêché, est devenue un motif d’inaptitude à l’enseignement. L’absence de mise en balance implique que la Cour admet, à l’instar de l’évêché, que la publication de la situation personnelle du requérant constitue une raison suffisante pour faire d’un professeur apte à l’enseignement un individu qui ne l’est plus, sans qu’il soit nullement nécessaire de justifier la thèse du scandale devant l’administration chargée de l’éducation, laquelle était d’ailleurs seule compétente pour engager et rémunérer ce professeur. Cette thèse a d’ailleurs été démentie de manière anticipée par la note qu’a envoyée à l’évêque de Murcie le directeur de l’établissement d’enseignement secondaire où le requérant dispensait des cours : « le conseil des professeurs [...] veut déclarer [...] que le professeur susmentionné a dispensé ses cours pendant l’année scolaire 1996/1997 de façon entièrement satisfaisante de l’avis des professeurs, des élèves et de leurs parents ainsi que de la Direction de cet établissement [...] » (faits déclarés prouvés dans le jugement du juge du travail no 3 de Murcie).

En définitive, la décision de non-renouvellement, adoptée par l’autorité publique chargée de l’éducation sur proposition de l’évêché, a privé le requérant de son emploi et octroyé aux droits de l’Église catholique découlant des articles 9 et 11 de la Convention une priorité absolue sur le droit de l’intéressé au respect de sa vie privée, qui a tout simplement été ignoré dans cette décision clairement disproportionnée. Les conséquences pour la vie professionnelle du requérant ont été évidentes : pendant les six années qui le séparaient encore de la retraite au moment de la perte de son emploi de professeur, il a été tantôt au chômage tantôt employé dans un musée, situations très éloignées de l’activité professionnelle qu’il avait exercée toute sa vie, toujours aux côtés de l’Église catholique, en tant que prêtre en Amérique Latine, recteur du Séminaire de Murcie, vicaire épiscopal et, finalement, professeur de religion.


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-110915
Date de la décision : 15/05/2012
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Partiellement irrecevable;Non-violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8-1 - Respect de la vie privée)

Parties
Demandeurs : FERNÁNDEZ MARTÍNEZ
Défendeurs : ESPAGNE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : MAZON COSTA J.L.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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