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10/05/2012 | CEDH | N°001-110813

CEDH | CEDH, AFFAIRE ÖZGÜRLÜK VE DAYANIŞMA PARTİSİ (ÖDP) c. TURQUIE, 2012, 001-110813


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE ÖZGÜRLÜK VE DAYANIŞMA PARTİSİ (ÖDP) c. TURQUIE

(Requête no 7819/03)

ARRÊT

STRASBOURG

10 mai 2012

DÉFINITIF

22/10/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention.




En l’affaire Özgürlük ve Dayanışma Partisi (ÖDP) c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Françoise Tulkens, présidente,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
András Saj

ó,
Işıl Karakaş,
Guido Raimondi,
Paulo Pinto de Albuquerque, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil ...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE ÖZGÜRLÜK VE DAYANIŞMA PARTİSİ (ÖDP) c. TURQUIE

(Requête no 7819/03)

ARRÊT

STRASBOURG

10 mai 2012

DÉFINITIF

22/10/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention.

En l’affaire Özgürlük ve Dayanışma Partisi (ÖDP) c. Turquie,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Françoise Tulkens, présidente,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
Guido Raimondi,
Paulo Pinto de Albuquerque, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 4 octobre 2011 et 10 avril 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 7819/03) dirigée contre la République de Turquie et dont un parti politique turc, Özgürlük ve Dayanışma Partisi (Parti de la liberté et de la solidarité) (« le requérant »), a saisi la Cour le 1er octobre 2002 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Devant la Cour, le requérant a été représenté par Me M. Bektaş, avocat à Ankara. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.

3. Dans sa requête, le parti politique requérant, qui avait obtenu le droit de participer aux élections législatives, se plaignait d’avoir fait l’objet d’une discrimination en raison du rejet de sa demande d’octroi de l’aide financière aux partis politiques prévue par la Constitution.

4. Le 30 juillet 2007, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Elle a également décidé qu’elle se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond de l’affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant, Özgürlük ve Dayanışma Partisi (« l’ÖDP »), est un parti politique turc dont le siège se trouve à Ankara.

6. Par un décret du 28 novembre 1998, le Conseil électoral supérieur publia la liste des dix-huit partis politiques autorisés à participer aux élections législatives et municipales du 18 avril 1999, liste sur laquelle figurait l’ÖDP. Pour pouvoir participer aux élections en question, les partis politiques devaient être implantés, six mois au moins avant la date du scrutin, dans la moitié au moins des départements, et avoir déjà organisé leur grand congrès.

7. Le 23 septembre 1998, l’ÖDP sollicita auprès du ministère des Finances le bénéfice de l’aide financière accordée aux partis politiques par l’article 68 de la Constitution.

8. Par une décision du 23 novembre 1998, le ministère des Finances rejeta cette demande au motif que seuls les partis politiques remplissant les conditions posées par la loi no 2820 sur les partis politiques étaient éligibles à un financement public.

9. Le 29 décembre 1998, l’ÖDP intenta devant le tribunal administratif d’Ankara un recours en annulation de la décision du 23 novembre 1998. Il rappela d’abord que la Constitution elle-même prévoyait que « l’Etat accorde aux partis politiques une aide financière suffisante et équitable » et que « la loi définit les principes applicables à l’aide financière accordée aux partis ainsi qu’aux cotisations de leurs membres et aux libéralités qu’ils reçoivent ». Il observa notamment que les critères imposés par la loi sur les partis politiques excluaient du bénéfice des subventions de l’Etat ceux qui n’étaient pas représentés au Parlement. Faisant valoir qu’il était difficile de mener des activités et des campagnes politiques sans disposer des ressources économiques nécessaires, il soutint que l’exclusion opérée par la loi était inconstitutionnelle et contraire aux principes d’un Etat démocratique, au devoir de l’Etat de promouvoir les droits et libertés démocratiques et au principe de non-discrimination. Il ajouta que les dispositions en cause enfreignaient aussi les textes internationaux en matière de protection des droits de l’homme.

10. Par un jugement du 29 septembre 1999, le tribunal administratif d’Ankara rejeta le recours de l’ÖDP au motif que celui-ci ne remplissait pas les conditions prévues par la loi no 2820 sur les partis politiques. Le tribunal ne se prononça pas sur l’exception d’inconstitutionnalité soulevée par l’ÖDP.

11. L’ÖDP se pourvut en cassation contre le jugement du 29 septembre 1999, en reprenant les moyens qu’il avait exposés en première instance.

12. Par un arrêt rendu le 25 avril 2002 et notifié au requérant le 10 juillet 2002, le Conseil d’Etat confirma le jugement attaqué, qu’il jugea conforme à la loi et à la procédure.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS

A. Le contexte national

1. La Constitution

13. Le dernier alinéa de l’article 68 de la Constitution énonce que « l’Etat accorde aux partis politiques une aide financière suffisante et équitable » et que « la loi définit les principes applicables à l’aide financière accordée aux partis ainsi qu’aux cotisations de leurs membres et aux libéralités qu’ils reçoivent ».

2. La loi sur les partis politiques

14. Selon l’article additionnel 1 de la loi no 2820 sur les partis politiques, l’Etat fournit une aide financière (dont le montant global s’élève à 2/5000e de son budget) aux partis politiques représentés au Parlement, en fonction des suffrages exprimés en leur faveur lors des précédentes élections législatives. Les partis politiques non représentés au Parlement ont aussi droit à cette aide pourvu qu’ils aient obtenu 7 % au moins des suffrages exprimés lors des précédentes élections, de même que les partis représentés par au moins trois députés au Parlement, même s’ils n’ont pas participé aux précédentes élections.

15. L’aide financière accordée aux partis politiques est triplée dans l’année des élections législatives et doublée dans l’année des élections municipales.

3. La jurisprudence constitutionnelle

16. Par un arrêt du 20 novembre 2008, la Cour constitutionnelle turque rejeta, à la majorité, une exception d’inconstitutionnalité soulevée devant elle par le tribunal administratif d’Ankara, selon laquelle le seuil de 7 % imposé par la loi sur les partis politiques pour l’attribution de l’aide de l’Etat était discriminatoire, donc inconstitutionnel. Pour se prononcer ainsi, elle considéra que les partis politiques avaient notamment pour objectif d’obtenir le soutien des électeurs afin de participer au gouvernement et de contribuer ainsi à l’expression de l’opinion du peuple. Elle en déduisit que les partis n’ayant pas obtenu un soutien suffisant du corps électoral ne contribuaient à l’expression de l’opinion du peuple dans la même mesure que les partis politiques forts d’un soutien populaire plus large. Elle rejeta la thèse selon laquelle le critère du degré de contribution des partis à la vie politique démocratique employé aux fins de l’attribution de l’aide publique n’était pas objectif, équitable et proportionné.

17. Pour leur part, les juges minoritaires de la Cour constitutionnelle estimèrent notamment que le seuil de 7 % était trop élevé (il correspondait à près de trois millions de suffrages lors du référendum de 2007), qu’il favorisait injustement les partis politiques qui le dépassaient, que le critère de « la contribution à l’expression de l’opinion du peuple » était subjectif et qu’il enfreignait le principe de l’Etat de droit.

4. Financement direct des partis politiques et bref historique des élections législatives en cause dans la présente affaire

18. L’ÖDP obtint 0,8 % des suffrages exprimés valides aux élections législatives du 18 avril 1999, 0,34 % à celles du 3 novembre 2002 et 0,15 % à celles de 2007.

19. Les partis qui avaient bénéficié de l’aide avant les élections en question avaient obtenu des sièges à l’Assemblée nationale à l’issue des élections législatives précédentes ou plus de 7 % des suffrages exprimés valides lors de celles-ci.

Avant les élections générales de 1999, six partis politiques (dont un seul n’était pas représenté au Parlement) sur les vingt et un candidats à ces élections avaient reçu l’aide financière de l’Etat. Pour la période antérieure aux élections générales de 2002, six partis (dont un seul n’était pas représenté au Parlement) sur les quinze qui étaient candidats ont reçu une aide de l’Etat, et pour la période antérieure à celles de 2007, cette aide a été accordée à cinq des quinze partis candidats (trois des bénéficiaires n’étaient pas représentés au Parlement). L’ÖDP n’en a jamais bénéficié.

B. Les textes internationaux

20. Les passages pertinents des Lignes directrices sur la réglementation des partis politiques établies par l’OSCE/BIDDH et la Commission de Venise, et adoptées par cette dernière lors de sa 84e session plénière (Venise, 15-16 octobre 2010, CDL-AD(2010)024) se lisent comme suit :

« 3. Financement public

a) Importance du financement public

176. Au monde entier, le financement public et la réglementation connexe (y compris celle limitant le montant des dépenses, la divulgation et l’exécution impartiale) ont été conçus et adoptés comme un moyen potentiel d’empêcher la corruption, de consacrer le rôle important joué par les partis politiques et de mettre un terme à la dépendance excessive envers les donateurs privés. Ces systèmes de financement visent à s’assurer que tous les partis sont en mesure de se mesurer dans le cadre d’élections en vertu du principe de l’égalité des chances et, par conséquent, à renforcer le pluralisme politique et à contribuer au bon fonctionnement des institutions démocratiques. Généralement, le législateur doit s’efforcer d’atteindre un juste équilibre entre contributions publiques et privées en tant que sources du financement des partis politiques. L’allocation de fonds publics ne devrait en aucun cas limiter ou porter atteinte à l’indépendance d’un parti politique.

177. Le montant des fonds publics alloués aux parties doit être soigneusement calculé de manière à constituer une contribution utile, sans pour autant éliminer le besoin de contributions privées ou annuler l’impact des dons individuels. Même si les particularités des élections et des campagnes électorales dans les différents Etats empêchent l’identification d’un montant universellement applicable, la législation devrait mettre en place des mécanismes de surveillance conçus pour déterminer périodiquement l’impact des systèmes de financement public et le besoin éventuel de modifier le niveau des allocations. Généralement, les subventions devraient être suffisantes pour apporter un réel soutien, sans pour autant devenir la seule source de revenus ni créer les conditions d’une dépendance excessive à l’égard de l’Etat.

b) Soutien financier

178. La législation devrait explicitement autoriser l’Etat à soutenir financièrement les partis politiques. L’allocation de fonds publics aux partis est fréquemment considérée comme inhérente au respect du principe d’égalité des chances de tous les candidats, notamment dans le cas où le mécanisme de financement de l’Etat comprend des dispositions spéciales pour les femmes et les représentants des minorités. Lorsqu’une aide financière est accordée aux partis, la législation pertinente devrait énoncer des lignes directrices claires permettant de fixer le montant de ces subventions, lesquelles devraient être allouées aux bénéficiaires selon des modalités objectives et de façon impartiale.

c) Autres formes de soutien public

179. Outre un financement direct, l’Etat peut proposer aux partis un soutien revêtant d’autres formes, y compris des exemptions fiscales sur les activités, l’allocation d’un temps d’antenne gratuit ou l’utilisation à titre gracieux de salles de réunions publiques dans le cadre d’une campagne électorale. Dans tous ces cas, l’aide financière et en nature doit être accordée conformément aux principes de l’égalité des chances de tous les partis et de tous les candidats (y compris les femmes et les représentants des minorités). Même si cette aide ne saurait toujours revêtir un caractère absolument « égal », il convient de mettre en place un système permettant de vérifier que la répartition proportionnelle (ou équitable) de l’aide de l’Etat (qu’elle soit financière ou en nature) répond aux critères d’objectivité, d’équité et de bon sens.

(...)

4. Allocation de fonds

183. Les modalités de l’aide publique aux partis politiques devraient être définies dans la législation pertinente. Certains systèmes prévoient l’allocation de fonds avant une élection sur la base des résultats de l’élection précédente ou de la production de preuves d’un niveau minimum de soutien. D’autres systèmes prévoient un paiement intervenant uniquement après les élections sur la base des résultats définitifs. Généralement, l’allocation de tout ou partie des fonds avant les élections permet davantage de garantir la capacité des partis à rivaliser sur un pied d’égalité.

(...)

185. L’allocation de fonds peut être soit strictement égale (« égalité absolue »), soit proportionnelle aux résultats obtenus par les partis concernés lors des dernières élections ou du niveau prouvé de son soutien (« allocation équitable »). Il n’existe aucun système réglementaire applicable universel en la matière. D’aucuns font valoir que les lois prévoyant un financement public parviennent généralement mieux à instaurer un pluralisme politique et une égalité des chances lorsqu’elles prévoient un système d’allocations reposant à la fois sur le principe d’égalité absolue et sur celui de l’équité. Lorsqu’un niveau minimum de soutien est exigé pour obtenir un financement, il convient de veiller à ne pas fixer un seuil excessivement élevé sous peine de porter atteinte au pluralisme politique et aux petits partis. En outre, il est dans l’intérêt du pluralisme politique d’avoir un seuil inférieur pour le financement politique que celui requis pour l’attribution d’un mandat au parlement.

(...)

187. La législation devrait veiller à ce que la formule de l’attribution de fonds n’offre pas de monopole ou un montant disproportionné à l’un des partis. La formule d’attribution des fonds ne devrait pas non plus permettre que les deux plus grands partis politiques monopolisent la réception des fonds publics.

5. Exigence d’un financement public

188. Il conviendrait au minimum qu’un certain niveau de financement public soit consenti à tous les partis représentés au Parlement. Toutefois, afin de promouvoir le pluralisme politique, des fonds devraient être idéalement alloués également à tous les partis pouvant arguer d’un niveau minimum de soutien auprès des citoyens et présentant des candidats à une élection. Cette pratique revêt une importance particulière pour les nouveaux partis qui doivent se voir accorder une chance équitable de rivaliser avec les partis en place.

(...)

190. Le financement public, en fournissant des ressources accrues aux partis politiques, peut renforcer le pluralisme politique. Il est donc raisonnable que la loi exige des partis bénéficiaires qu’ils puissent apporter la preuve d’un niveau minimum de soutien de l’électorat avant de recevoir les fonds. Cependant, le refus d’accorder des subventions publiques aux autres partis risque d’affecter le pluralisme et les options politiques. Il est admis, à titre de bonne pratique, d’énoncer des lignes directrices indiquant clairement comment les nouveaux partis peuvent être autorisés dans certains cas à recevoir des fonds publics et comment étendre l’aide publique au-delà des partis représentés au Parlement. Un système généreux déterminant l’éligibilité des partis pouvant bénéficier de fonds publics, devrait être considéré pour assurer que les électeurs se verront proposer suffisamment d’options politiques pour opérer un choix réel. »

EN DROIT

I. SUR LA RECEVABILITé

21. La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION COMBINé AVEC L’ARTICLE 3 DU PROTOCOLE No 1

22. Invoquant les articles 9, 10, 11 et 14 de la Convention, le parti requérant allègue que, en lui refusant l’aide financière accordée à d’autres partis au motif qu’il avait obtenu moins de 7 % des suffrages exprimés lors des précédentes élections législatives, l’Etat lui a fait subir une discrimination qui l’a défavorisé pour les campagnes électorales de 1999, 2002 et 2007. Ce faisant, l’Etat aurait porté atteinte à la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif.

23. La Cour examinera d’abord ce grief sous l’angle de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 3 du Protocole no 1.

L’article 14 de la Convention est ainsi libellé :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

L’article 3 du Protocole no 1 dispose :

« Les Hautes Parties contractantes s’engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif. »

A. Thèses des parties

24. Le requérant soutient que le refus de financement public dont il se plaint a créé une inégalité entre les différents partis politiques candidats aux élections législatives en augmentant les chances de succès de ceux qui étaient déjà représentés au Parlement ou qui avaient obtenu plus de 7 % des suffrages lors des élections précédentes. Ces partis auraient bénéficié d’une source de financement importante qui leur aurait conféré un avantage indu (et contraire, notamment, aux dispositions constitutionnelles et conventionnelles prohibant la discrimination) par rapport aux nouveaux partis candidats aux élections, notamment quant à la diffusion de leurs opinions – l’aide renforçant leur capacité à accéder aux médias de masse – et quant à l’organisation de diverses réunions et activités socioculturelles à l’échelle nationale.

25. Le Gouvernement conteste la thèse de l’intéressé. Il fait observer que la distinction opérée entre les partis politiques en matière de financement public est basée sur les résultats des élections précédentes (en termes de suffrages exprimés ou de sièges obtenus au Parlement à l’issue de ces élections). Autrement dit, elle s’appuierait sur des motifs légitimes et objectifs. Un refus de financement public fondé sur les opinions politiques défendues par un parti aurait pu être considéré comme discriminatoire, mais tel ne serait pas le cas en l’espèce. Par ailleurs, les Etats disposeraient d’une large marge d’appréciation pour imposer aux partis politiques des conditions minimales d’éligibilité à l’aide de l’Etat, sous réserve que le droit de participation à la vie politique de ces partis ne soit pas entravé.

B. Critères employés par la Cour aux fins de l’application de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 3 du Protocole no 1

26. La Cour rappelle que la discrimination consiste à traiter de manière différente sans justification objective et raisonnable des personnes placées dans des situations comparables. Un traitement différencié est dépourvu de « justification objective et raisonnable » lorsqu’il ne poursuit pas un « but légitime » ou qu’il n’existe pas un « rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé » (voir, parmi beaucoup d’autres, Sejdić et Finci c. Bosnie-Herzégovine [GC], nos 27996/06 et 34836/06, § 42, CEDH 2009). L’étendue de la marge d’appréciation dont les Parties contractantes jouissent à cet égard varie selon les circonstances, les domaines et le contexte (Andrejeva c. Lettonie [GC], no 55707/00, § 82, CEDH 2009).

27. Par ailleurs, la Cour rappelle que l’article 3 du Protocole no 1 consacre un principe fondamental dans un régime politique véritablement démocratique et revêt donc dans le système de la Convention une importance capitale (Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, 2 mars 1987, § 47, série A no 113). Le rôle de l’Etat, en tant qu’ultime garant du pluralisme, implique l’adoption de mesures positives pour « organiser » des élections démocratiques dans des « conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif » (ibidem, § 54).

28. Des élections libres et la liberté d’expression, notamment la liberté du débat politique, constituent l’assise de tout régime démocratique (ibidem, § 47, et Lingens c. Autriche, 8 juillet 1986, §§ 41-42, série A no 103). La « libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif » concerne également l’article 11 de la Convention, qui garantit la liberté d’association et donc incidemment la liberté des partis politiques, lesquels représentent une forme d’association essentielle au bon fonctionnement de la démocratie. Pareille expression ne saurait se concevoir sans le concours d’une pluralité de partis politiques représentant les courants d’opinion qui traversent la population d’un pays. En répercutant ceux-ci non seulement dans les institutions politiques mais aussi, grâce aux médias, à tous les niveaux de la vie en société, les partis politiques apportent une contribution irremplaçable au débat politique, lequel se trouve au cœur même de la notion de société démocratique (Lingens, précité, § 42, Castells c. Espagne, 23 avril 1992, § 43, série A no 236, Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, 30 janvier 1998, § 44, Recueil des arrêts et décisions 1998-I, et Yumak et Sadak c. Turquie [GC], no 10226/03, § 107, CEDH 2008).

29. Comme la Commission européenne des droits de l’homme l’a précisé à plusieurs reprises, les mots « libre expression de l’opinion du peuple » signifient que les élections ne sauraient comporter une quelconque pression sur le choix d’un ou de plusieurs candidats et que, dans ce choix, l’électeur ne doit pas être indûment incité à voter pour un parti ou pour un autre (X. c. Royaume-Uni, no 7140/75, décision de la Commission du 6 octobre 1976, Décisions et rapports (DR) 7, pp. 97, 99). Le mot « choix » implique qu’il faut assurer aux différents partis politiques des possibilités raisonnables de présenter leurs candidats aux élections (ibidem ; voir aussi X. c. Islande, no 8941/80, décision de la Commission du 8 décembre 1981, DR 27, pp. 152, 156, et Yumak et Sadak, précité).

30. Cela étant, les droits garantis par l’article 3 du Protocole no 1 ne sont pas absolus. Il y a place pour des « limitations implicites » et les Etats contractants doivent se voir accorder une large marge d’appréciation en la matière (voir, parmi d’autres, Matthews c. Royaume-Uni [GC], no 24833/94, § 63, CEDH 1999-I, et Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 201, CEDH 2000-IV). Quant au droit de se présenter aux élections, c’est-à-dire l’aspect « passif » des droits garantis par l’article 3 du Protocole no 1, la Cour se montre encore plus prudente dans son appréciation des restrictions dans ce contexte que lorsqu’elle est appelée à examiner des restrictions au droit de vote, c’est-à-dire l’élément « actif » des droits garantis par l’article 3 du Protocole no 1.

31. Cependant, il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur l’observation des exigences de l’article 3 du Protocole no 1 ; il lui faut s’assurer que les conditions auxquelles sont subordonnés les droits de vote ou de se porter candidat à des élections ne réduisent pas les droits dont il s’agit au point de les atteindre dans leur substance même et de les priver de leur effectivité (Mathieu-Mohin et Clerfayt, précité, § 52).

C. Application en l’espèce des principes susmentionnés

1. Existence d’une différence de traitement

32. En l’espèce, la Cour relève que le parti politique requérant allègue que, lors des élections législatives de 1999, 2002 et 2007, il a été défavorisé par rapport aux partis bénéficiaires de l’aide financière de l’Etat, cette aide lui ayant été refusée au motif qu’il n’était pas représenté au Parlement (en raison du seuil de représentativité fixé à 10 % des suffrages exprimés au niveau national) et qu’il avait obtenu moins de 7 % des suffrages exprimés lors des précédentes élections législatives.

33. La Cour constate que l’ÖDP, fondé en 1996, n’a pu prétendre à une aide financière de l’Etat qu’après les élections de 1999. Inférieurs au seuil de 7 % fixé par la loi nationale, les résultats obtenus par l’ÖDP aux élections suivantes – 0,8 % des suffrages valides exprimés aux élections législatives du 18 avril 1999, 0,34 % à celles du 3 novembre 2002 et 0,15 % à celles de 2007 (paragraphes 18-19 ci-dessus) – ne lui ont pas permis de recevoir l’aide en question.

34. Toutefois, la Cour observe que, avant les élections générales de 1999, six partis politiques (dont un seul n’était pas représenté au Parlement) sur les vingt et un candidats à ces élections avaient reçu l’aide financière de l’Etat. Pour la période antérieure aux élections générales de 2002, six partis (dont un seul n’était pas représenté au Parlement) sur les quinze qui étaient candidats en ont bénéficié et, pour la période antérieure à celles de 2007, cette aide a été accordée à cinq des quinze partis candidats (trois bénéficiaires n’étaient pas représentés au Parlement).

35. De toute évidence, le système de financement public des partis politiques appliqué en l’espèce a défavorisé l’ÖDP, qui n’a reçu aucune aide, par rapport à ses concurrents qui en ont bénéficié et qui ont pu ainsi financer beaucoup plus facilement la diffusion de leurs opinions au niveau national. Partant, le parti requérant a fait l’objet d’une différence de traitement dans l’exercice de ses droits électoraux au titre de l’article 3 du Protocole no 1 du fait de l’application du système en question.

36. Il appartient à la Cour de rechercher, à la lumière des principes exposés ci-dessus, si le système mis en cause poursuit un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. L’application de ces deux critères lui permettra de répondre à la question de savoir si les mesures litigieuses sont constitutives d’une discrimination contraire à l’article 14 de la Convention « et/ou ont porté atteinte à la substance même du droit à la libre expression du peuple au sens de l’article 3 du Protocole no 1 ».

2. But légitime de la différence de traitement

37. En matière de financement des partis politiques, la Cour reconnaît que les cotisations des adhérents, source traditionnelle de financement, ne suffisent plus à faire face à des dépenses en augmentation constante dans un contexte marqué par la concurrence politique ainsi que par la complexité et le coût des moyens de communication modernes. Elle observe que, dans les pays européens, comme partout ailleurs dans le monde, le financement public des partis politiques est conçu comme un moyen d’empêcher la corruption et d’éviter une dépendance excessive des partis à l’égard des donateurs privés. Il s’ensuit que ce financement vise à renforcer le pluralisme politique et contribue au bon fonctionnement des institutions démocratiques.

38. Il ressort de l’examen des systèmes appliqués dans la majorité des Etats européens qu’il n’existe pas de réglementation uniforme en la matière. A cet égard, la Cour observe que les dotations accordées aux partis politiques à l’occasion d’une élection sont réparties entre eux d’une manière strictement égale ou selon le principe d’allocation équitable, c’est-à-dire en fonction de leurs résultats respectifs aux élections précédentes.

39. On peut également observer que les lois nationales des Etats contractants qui ont opté pour le système d’allocation équitable du financement public exigent presque toujours un niveau minimum de soutien électoral. En l’absence de ce seuil de représentativité, il est probable que le système en question aurait pour effet pervers d’inciter les milieux politiques à multiplier les candidatures pour bénéficier d’un revenu plus important, causant ainsi une « inflation de candidatures » puisque chaque voix obtenue rapporte tous les ans une certaine somme d’argent au titre du financement public.

40. Dans les Etats membres autres que la Turquie, le niveau minimum de représentativité qu’un parti politique doit atteindre pour pouvoir bénéficier de l’aide publique varie entre 0,5 % et 5 % des suffrages exprimés lors des précédentes élections et est souvent inférieur au seuil électoral requis pour l’attribution de sièges au Parlement. Il s’ensuit que, outre les partis représentés au Parlement, les nouveaux partis politiques bénéficiant d’un niveau minimum de soutien auprès des citoyens reçoivent une aide publique proportionnelle à leur représentativité électorale.

41. La Cour constate également qu’aucun des textes adoptés par les organes du Conseil de l’Europe sur la question des partis politiques dans un régime démocratique pluraliste ne qualifie de déraisonnable l’exigence imposée par les lois nationales aux partis bénéficiaires de fonds publics de disposer d’un niveau minimum de soutien de l’électorat, ni ne fixe un taux précis en la matière. A cet égard, elle renvoie aux observations de certaines institutions spécialisées d’où il ressort, d’une part, qu’il convient de veiller à ne pas fixer un seuil excessivement élevé sous peine de porter atteinte au pluralisme politique et aux petits partis (Lignes directrices sur la réglementation des partis politiques établies par l’OSCE/BIDDH et la Commission de Venise, adoptées les 15-16 octobre 2010, CDL‑AD(2010)024, § 185 – paragraphe 20 ci-dessus) et, d’autre part, que la formule d’attribution des fonds ne devrait pas non plus permettre que les deux plus grands partis politiques monopolisent la réception des fonds publics (ibidem, § 187).

42. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que le financement public des partis politiques selon un système d’allocation équitable exigeant un niveau minimum de soutien électoral poursuit le but légitime de conforter le pluralisme démocratique tout en évitant une fragmentation excessive et non fonctionnelle des candidatures, et donc de renforcer l’expression de l’opinion du peuple quant au choix du corps législatif (voir, dans le même sens, Fournier c. France, no 11406/85, décision de la Commission du 10 mars 1988, DR 55, p. 130, et, mutatis mutandis, Cheminade c. France (déc.), no 31599/96, CEDH 1999-II en ce qui concerne un système d’aide publique réservant le remboursement des frais de propagande et du cautionnement aux seuls candidats ou listes ayant obtenu un certain pourcentage des suffrages exprimés).

3. Proportionnalité de la différence de traitement

43. La Cour observe que le niveau minimum de représentativité exigé en Turquie des partis prétendant à un financement public, à savoir 7 % des suffrages exprimés lors des précédentes élections législatives, est le plus élevé d’Europe (paragraphe 40 ci-dessus). Afin de s’assurer que le seuil en question n’est pas disproportionné, la Cour entend d’abord en évaluer les effets. Elle examinera ensuite les correctifs dont il se trouve assorti.

44. La Cour observe en premier lieu que le seuil de 7 % est inférieur au seuil électoral minimum requis pour l’attribution de sièges au Parlement turc, à savoir 10 % des suffrages exprimés au niveau national. Lors des élections législatives en cause dans la présente affaire, les partis politiques non représentés au Parlement qui avaient atteint le seuil de 7 % des suffrages exprimés pouvaient recevoir l’aide de l’Etat jusqu’aux élections suivantes. Aux élections de 1999, l’un des six partis bénéficiaires de fonds publics n’était pas représenté au Parlement. A celles de 2002, cette proportion était identique, et à celles de 2007, trois partis non représentés au Parlement et deux partis qui l’étaient ont perçu des fonds publics. Autrement dit, pendant les périodes en cause dans la présente affaire, les partis politiques représentés au Parlement n’ont pas monopolisé l’aide publique, non plus d’ailleurs que le parti au pouvoir et le principal parti d’opposition.

45. La Cour doit également tenir compte des résultats de l’ÖDP aux élections législatives antérieures aux périodes d’attribution des aides publiques en cause. Les voix obtenues par le parti requérant représentaient entre 0,8 et 0,15 % des suffrages exprimés valides lors de ces élections. Largement inférieurs au seuil de représentativité exigé par la législation turque pour l’attribution de fonds publics, ces résultats auraient également été considérés comme insuffisants pour l’attribution d’un tel financement dans plusieurs autres Etats européens. Si le grief du parti requérant ne s’analyse pas en une actio popularis, puisque celui-ci a été touché de manière directe et immédiate par le seuil de représentativité litigieux, il n’en demeure pas moins que l’ÖDP n’est pas parvenu à démontrer devant la Cour qu’il bénéficiait auprès de l’électorat turc d’un soutien lui conférant une représentativité non négligeable.

46. Il convient également de tenir compte du fait que l’Etat fournit aux partis politiques d’autres formes de soutien public que le financement direct. Parmi les correctifs apportés au système de financement public en vigueur en Turquie, qui ne permet pas à tous les partis de percevoir des subventions directes, on peut citer les exemptions d’impôt qu’ils se voient accorder sur certains de leurs revenus ainsi que l’allocation d’un temps d’antenne lors des périodes de campagne électorale. Il n’est pas contesté devant la Cour que l’ÖDP a bénéficié de ces modalités alternatives d’aide publique.

47. Au vu des conclusions auxquelles elle est parvenue quant à l’échec de l’ÖDP à s’assurer un niveau minimum de soutien auprès des citoyens et à l’effet compensatoire des autres formes d’aide publique dont ce parti disposait, la Cour estime que la différence de traitement litigieuse est raisonnablement proportionnée au but visé.

48. La Cour conclut que, dans les circonstances de l’espèce, le refus de l’Etat d’accorder à l’ÖDP une aide financière directe au motif que ce parti n’avait pas atteint le niveau minimum de représentativité de 7 % requis par la loi reposait sur une justification objective et raisonnable, qu’il n’a pas porté atteinte à la substance même du droit à la libre expression du peuple et qu’il n’était donc pas contraire à l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 3 du Protocole no 1.

49. Partant, il n’y a pas eu violation de ces dispositions.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 9, 10 ET 11 DE LA CONVENTION

50. Le parti requérant se plaint également d’une violation des articles 9, 10 et 11 de la Convention. Ses griefs portant sur les mêmes faits que ceux étudiés sur le terrain de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 3 du Protocole no 1, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de les examiner séparément.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;

2. Dit, par cinq voix contre deux, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 3 du Protocole no 1 ;

3. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément les griefs tirés des articles 9, 10 et 11 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 mai 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stanley NaismithFrançoise Tulkens
GreffierPrésidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée des juges Tulkens et Sajó.

F.T.
S.H.N.

OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE
COMMUNE DESJUGES TULKENS ET SAJÓ

1. Nous ne partageons pas l’avis de la majorité selon laquelle il n’y a pas, dans cette affaire, violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 3 du Protocole no 1.

2. Nous voulons préciser d’emblée que nous n’entendons, en aucune manière, discuter la question de l’aide de l’Etat aux partis politiques, qui ne relève pas de notre compétence. Il n’y a pas, en effet, de droit garanti par la Convention à une telle aide. Mais, lorsqu’un système de financement public existe, lequel a nécessairement un impact sur les élections elles-mêmes, il doit être appliqué de manière non discriminatoire. Notre seule préoccupation concerne donc, au regard de l’article 14 de la Convention, la question de l’égalité dans le processus électoral et, partant, dans le droit à des élections libres et à la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif garanti par l’article 3 du Protocole no 1. A cet égard, l’arrêt rappelle à juste titre que cette disposition consacre un principe fondamental dans un régime politique véritablement démocratique et revêt donc, dans le système de la Convention, une « importance capitale » (paragraphe 27 de l’arrêt). Ces affirmations doivent être prises au sérieux.

3. En l’espèce, la Cour reconnaît que l’article additionnel 1 de la loi no 2820 sur les partis politiques, qui subordonne l’aide financière de l’Etat aux nouveaux partis politiques non encore représentés au Parlement à la condition qu’ils aient obtenu 7 % au moins des suffrages exprimés lors des précédentes élections, a défavorisé l’ÖDP par rapport aux autres partis politiques lors des campagnes électorales de 1999, 2002 et 2007. Il a donc fait l’objet d’une différence de traitement (paragraphe 35 de l’arrêt).

4. Conformément à la jurisprudence bien établie de la Cour, la discrimination consiste à traiter de manière différente, sans justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables. Il revient donc au Gouvernement d’apporter la preuve que la différence de traitement est justifiée et n’est pas discriminatoire dans ses effets.

5. La majorité rappelle à juste titre que, comme partout dans le monde, le financement public des partis politiques vise à empêcher la corruption et la dépendance excessive des partis à des donateurs privés. Ce système vise à renforcer le pluralisme politique et contribue au bon fonctionnement des institutions démocratiques (paragraphe 37 de l’arrêt). Il faut toutefois un minimum de soutien électoral. Dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, le niveau minimum de représentativité qu’un parti politique doit atteindre pour pouvoir bénéficier de l’aide publique varie entre 0,5 et 5 % des suffrages exprimés lors des précédentes élections.

6. Le seuil de 7 % en Turquie dans l’octroi de l’aide de l’Etat est donc particulièrement élevé et, en fait, le plus élevé d’Europe. Il en résulte inévitablement, d’une part, la création de quasi « monopoles » ou de positions dominantes pour certains partis et, d’autre part, l’impossibilité pour d’autres d’accéder à la visibilité et donc de se présenter sur un pied d’égalité. La présence des grands partis est ainsi (artificiellement) renforcée et multipliée au détriment des autres partis et le système de financement, tel qu’il existe, perpétue ce déséquilibre. Le Gouvernement ne conteste d’ailleurs pas cet effet qui, selon nous, porte atteinte aux petits partis et, partant, au pluralisme politique.

7. La Cour ne peut évidemment substituer sa propre appréciation à celle des autorités nationales quant à la détermination du soutien électoral minimum requis. Mais, en revanche, elle ne peut se satisfaire de critères qui n’ont que l’apparence de l’objectivité et qui ne prennent pas en considération cette exigence essentielle selon laquelle, dans une société pluraliste, les voix minoritaires doivent pouvoir bénéficier des mêmes opportunités. Certes, en l’espèce, la disposition légale litigieuse peut paraître neutre mais, dans le contexte du débat politique, le pluralisme est une valeur conventionnelle. A cet égard, l’importance quantitative du support minimum requis peut constituer une discrimination.

8. Alors que dans l’arrêt Yumak et Sadak c. Turquie ([GC], no 10226/03, CEDH 2008) du 8 juillet 2008 concernant le seuil électoral de 10 %, la raison acceptée par la Cour pour justifier la différence de traitement était la stabilité gouvernementale (§ 125), celle-ci ne pouvait évidemment pas être invoquée dans la présente affaire. En l’espèce, seules sont mises en avant des nécessités pratiques qui ne sont évidemment pas suffisantes pour justifier une discrimination.

9. Dans son examen de la proportionnalité de la différence de traitement litigieuse, la Cour se met à la place des autorités nationales et procède elle‑même à l’analyse de la situation du parti requérant. Elle estime en effet que l’ÖDP n’est pas parvenu à démontrer devant elle qu’il bénéficiait auprès de l’électorat turc d’un soutien lui conférant une représentativité non négligeable. Or, tel n’est pas le rôle de la Cour. Son rôle est de s’assurer et de garantir qu’une évaluation correcte et appropriée a été menée, par les autorités nationales, de la conformité avec la Convention de la mesure d’exclusion telle qu’elle est appliquée au requérant. Or, celle-ci fait défaut, ce qui nous amène à constater une violation de la Convention.


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-110813
Date de la décision : 10/05/2012
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Non-violation de l'article 14+P1-3 - Interdiction de la discrimination (Article 14 - Discrimination) (article 3 du Protocole n° 1 - Droit à des élections libres-{général};Libre expression de l'Opinion du peuple)

Parties
Demandeurs : ÖZGÜRLÜK VE DAYANIŞMA PARTİSİ (ÖDP)
Défendeurs : TURQUIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : BEKTAS M.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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