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24/04/2012 | CEDH | N°001-110693

CEDH | CEDH, AFFAIRE HARALAMPIEV c. BULGARIE, 2012, 001-110693


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE HARALAMPIEV c. BULGARIE

(Requête no 29648/03)

ARRÊT

STRASBOURG

24 avril 2012

DÉFINITIF

24/09/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Haralampiev c. Bulgarie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Lech Garlicki, président,
David Thór Björgvinsson,
Päivi Hirvelä,
George Nicolaou,
Ledi B

ianku,
Zdravka Kalaydjieva,
Nebojša Vučinić, juges,
et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil l...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE HARALAMPIEV c. BULGARIE

(Requête no 29648/03)

ARRÊT

STRASBOURG

24 avril 2012

DÉFINITIF

24/09/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Haralampiev c. Bulgarie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Lech Garlicki, président,
David Thór Björgvinsson,
Päivi Hirvelä,
George Nicolaou,
Ledi Bianku,
Zdravka Kalaydjieva,
Nebojša Vučinić, juges,
et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 avril 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 29648/03) dirigée contre la République de Bulgarie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Kiril Tzonov Haralampiev (« le requérant »), a saisi la Cour le 8 août 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me A. Ivanova, avocate à Sofia. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») est représenté par ses agents, Mme S. Atanasova et M. V. Obretenov, du ministère de la Justice.

3. Le 25 février 2008, le président de la cinquième section a décidé de communiquer le grief tiré de l’article 6 § 1 au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 de la Convention, il a en outre été décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l’affaire.

4. Le 1er février 2011, la Cour a modifié la composition de ses sections. L’affaire a été attribuée à la quatrième section ainsi remaniée.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1970 et réside à Manastirichte, municipalité de Kozlodoui.

A. L’exécution de la peine d’emprisonnement du requérant imposée par le jugement du tribunal de district de Lovech de 1995

6. Par un jugement du tribunal de district (Районен съд) de Lovech, rendu en 1995, à une date non précisée, le requérant fut reconnu coupable de vol et condamné à une peine d’emprisonnement de trois ans. En application de ce jugement, il fut placé en détention à la prison de Vratza le 2 mai 1995. Il fut libéré le 11 novembre 1997.

B. La condamnation par défaut du requérant

7. Au début du mois de septembre 1998, une citation à comparaître en qualité de témoin fut adressée au requérant à son domicile à Manastirichte dans le cadre d’une instruction préliminaire dont le numéro était 1625/1997. Le 9 septembre 1998, cette citation fut retournée par le maire du village de Manastirichte aux services d’instruction avec l’indication « L’intéressé est absent du village. Ses parents ne connaissent pas son adresse et ils refusent de recevoir la citation ». Il ressort des éléments du dossier que, peu après, le requérant fut mis en examen dans le cadre de la même affaire et qu’un mandat de placement en détention provisoire fut émis. Le 23 septembre 1998, l’enquêteur demanda qu’en cas d’impossibilité de retrouver le requérant un avis de recherche national fût établi.

8. A une date non précisée en 1998, dans le cadre d’une procédure pénale dont le numéro était 780/98, le requérant fut à nouveau accusé de vols commis les 18 et 19 septembre 1997 en état de « récidive dangereuse » alors qu’il se trouvait à l’extérieur de la prison en vertu d’un régime qui lui permettait de travailler, ainsi que d’évasion de la prison, le 21 septembre 1997. Dans le cadre de cette procédure, le requérant fut cité à se présenter, le 13 octobre 1998, auprès des services d’instruction en sa qualité d’accusé. La citation fut retournée aux services d’instruction avec une mention de la part du maire du village indiquant « L’intéressé n’a pas d’adresse permanente. Il ne se rend au village de Manastirichte que de manière épisodique. Ses proches refusent de recevoir la citation ».

Il apparaît du dossier que le requérant fut interrogé les 22 et 28 janvier 1999, dans le cadre de la procédure no 780/98 en présence d’un avocat. Il se vit imposer le paiement d’une caution.

9. L’instruction préliminaire dans l’affaire pénale no 780/98 se termina en 2000, à une date non précisée. Les éléments du dossier ne permettent pas de déterminer si les autorités de poursuite ont tenté de notifier le dossier de l’instruction au requérant. Le 12 septembre 2000, la police émit un avis de recherche au niveau national concernant l’intéressé. Le 23 novembre 2000, le parquet établit un acte d’accusation contre l’intéressé et le transmit au tribunal de district. A une date non précisée à la fin de l’année 2000, l’affaire fut portée devant le tribunal de district de Montana.

10. Le dossier contient copie d’une citation à comparaître en date du 11 janvier 2001, émise par le tribunal de district à l’adresse du requérant en vu d’une audience prévue le 20 février 2001. Cette citation indique que l’acte d’accusation y était annexé. Le récépissé de ce document est vierge de signature et dépourvue de toute mention indiquant les motifs pour lesquels la citation n’avait pas été remise, et si quelqu’un avait fourni des informations dans ce sens (paragraphe 17 ci-dessous). Par ailleurs, le dossier ne contient pas d’indication que cette citation fut envoyée.

11. Le 25 janvier 2001, le juge rapporteur demanda aux organes de police si un avis de recherche au niveau national avait été émis au sujet du requérant et si ce dernier avait été localisé. Par une lettre du 1er février 2001, la police répondit que des recherches avaient été lancées en septembre 2000, qu’elles étaient toujours en cours, mais qu’elles n’avaient pas encore abouti et que, en cas d’arrestation de l’intéressé, le tribunal de district serait immédiatement informé. Le 20 février 2001, le tribunal de district tint l’audience prévue. Il constata d’abord que le requérant n’était pas présent et qu’il n’avait pas été cité de manière régulière dans la mesure où il n’avait pas reçu la citation à comparaître. Il nota ensuite que, à la date de l’audience, malgré les recherches de la police, le requérant n’avait pas été retrouvé. Sur proposition du procureur, le tribunal, considérant que les conditions légales étaient réunies, décida d’examiner l’affaire en l’absence de l’accusé. Un avocat d’office fut désigné pour représenter le requérant.

12. Par un jugement rendu par défaut le 21 février 2001, le requérant fut reconnu coupable des vols commis les 18 et 19 septembre 1997 en état de « récidive dangereuse » et condamné à une peine d’emprisonnement de trois ans et six mois. Par le même jugement, le tribunal reconnut l’intéressé également coupable de s’être évadé, le 21 septembre 1997, de la prison où il purgeait une peine et le condamna à une peine d’emprisonnement d’un an. N’ayant pas été contesté, ce jugement devint définitif.

C. La tentative faite par le requérant pour obtenir un nouvel examen de l’affaire

13. A une date non précisée, au plus tard fin 2002, le requérant fut arrêté et emprisonné pour purger la peine prononcée par le jugement du 21 février 2001. En 2003, à une date non précisée, il forma, en se fondant sur l’article 362a du code de procédure pénale, une demande en annulation de ce jugement et en réouverture de la procédure menée par défaut. Il soutint en particulier qu’il n’avait pas été cité à l’audience de manière régulière et que, dès lors, toute la procédure judiciaire était inéquitable.

14. Par un arrêt du 16 juin 2003, la Cour suprême de cassation rejeta la demande. Elle nota que :

« la demande ne contient pas de grief que le condamné Haralampiev n’a pas eu connaissance des poursuites pénales engagées à son encontre, au sens de l’article 362, alinéa 1 du CPP, ce qui constitue une des conditions de réouverture de la procédure pénale contre lui.

Le dossier contient suffisamment d’éléments indiquant le contraire.

Ainsi, le 22 janvier 1999, le condamné a été accusé du vol commis les 18 et 19 septembre 1997 à Montana et de l’évasion de la prison du 21 septembre 1997.

Le condamné fut interrogé sur ces accusations dans le cadre de l’instruction préliminaire, les 22 et 28 janvier 1999, soit il est établi de manière incontestable que le condamné Haralampiev a eu connaissance de la procédure pénale conduite contre lui, au sens de l’article 362, alinéa 1 du CPP. »

Quant à l’argument du requérant selon lequel il n’aurait pas été cité régulièrement, la Cour suprême de cassation constata que les recherches effectuées avaient été vaines et que, dans ces circonstances, le tribunal avait légitimement procédé à l’examen de l’affaire en l’absence de l’intéressé. Elle jugea que, dès lors, les conditions de réouverture prévues à l’article 362a du code de procédure pénale n’étaient pas réunies.

15. Par ailleurs, par une lettre du 23 février 2005, le requérant a indiqué à la Cour qu’en raison de son arrestation l’état de santé de sa mère s’était détérioré et qu’elle est décédée le 30 juin 2004. Il précise que, comme il purgeait une peine de prison, ses enfants étaient pris en charge entièrement par sa mère, et que le décès de celle-ci les a privés du foyer de parents proches.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Mesures coercitives garantissant la comparution de l’accusé dans la procédure pénale

16. Selon le code de procédure pénale (CPP) de 1974, en vigueur à l’époque des faits, les mesures visant à garantir la comparution de l’accusé dans la procédure pénale étaient : l’interdiction pour l’intéressé de quitter la localité de son domicile sans l’autorisation de l’autorité compétente, la caution, l’assignation à domicile et la détention provisoire (article 146). Aux termes de l’article 153, alinéa 1, lorsque l’accusé ne comparaissait pas, et ce sans fournir de raison valable à l’autorité compétente, ou qu’il changeait d’adresse sans en informer celle-ci, la mesure coercitive garantissant sa comparution était remplacée par une autre, plus contraignante.

B. Règles de citation dans la procédure pénale

17. Aux termes de l’article 158, alinéa 1 et l’article 160, alinéa 1, du CPP de 1974, tel qu’applicable à l’époque des faits, la citation était remise par un fonctionnaire auprès du tribunal, de l’organe de l’instruction préliminaire, de la municipalité ou de la mairie respectifs, contre un récépissé, signé par la personne à laquelle elle s’adressait. Selon l’alinéa 2 de cette disposition, en cas d’absence de la personne concernée, la citation était remise à un membre majeur de sa famille, ou, lorsqu’il n’y avait pas de membre majeur dans le foyer, elle était remise au préposé de l’immeuble, au concierge, au colocataire ou à un voisin acceptant de remettre la citation à son destinataire. En apposant sa signature, cette personne s’engageait alors à remettre la citation à l’intéressé (article 160, alinéa 5). En cas de refus par l’intéressé ou par ou les personnes susmentionnées, l’officier chargé de remettre la citation apposait une mention dans ce sens sur le récépissé, en présence et avec la signature d’au moins un témoin (article 160, alinéa 3).

C. La remise de l’acte d’accusation à l’accusé

18. L’article 253, alinéa 1 du CPP de 1974 prévoit que copies de l’acte d’accusation sont remises à l’accusé sur ordonnance du juge rapporteur. Selon l’alinéa 3 de la même disposition, l’accusé peut, dans un délai d’une semaine, présenter ses objections et formuler de nouvelles demandes.

19. Ces dispositions ont été reprises par l’article 254 du nouveau CPP, en vigueur à partir du 29 avril 2006. Conformément à un nouvel alinéa 4 de cette disposition adopté en 2008, l’accusé est informé, lors de la remise de l’acte d’accusation, de la date de l’audience publique, ainsi que du fait que l’affaire peut être examinée et décidée par défaut dans les conditions de l’article 269 (paragraphe 20 ci-dessous).

D. Procédure pénale par défaut

20. En vertu de l’article 268, alinéa 3, du CPP de 1974, le tribunal pouvait procéder à l’examen d’une affaire en l’absence du prévenu sous certaines conditions, mentionnées comme suit :

« A condition que cela ne nuise à l’établissement de la vérité (...), et si :

1. [le prévenu] n’a pas été trouvé à l’adresse indiquée ou qu’il a changé d’adresse sans en informer l’autorité compétente ;

2. [l’]adresse [du prévenu] dans le pays n’est pas connue et qu’elle n’a pas pu être identifiée après des recherches dûment effectuées. »

Cette disposition a été reprise dans l’article 269 du CPP de 2006.

E. Réouverture de la procédure en cas de jugement par défaut

21. Un nouvel article du CPP de 1974, l’article 362a, entré en vigueur à compter du 1er janvier 2000, prévoit la possibilité pour une personne condamnée par défaut (задочно осъден) de demander l’annulation du jugement et la réouverture de la procédure, à la condition que l’intéressé n’ait pas eu connaissance des poursuites pénales menées contre lui.

22. La demande doit être faite auprès de la Cour suprême de cassation, dans un délai d’un an à compter de la date à laquelle l’intéressé a eu connaissance de la condamnation. Elle n’interrompt pas l’exécution de la peine, sauf si la juridiction en décide autrement.

23. Lorsqu’elle examine une demande de réouverture en application de l’article 362a du CPP, la Cour suprême de cassation vérifie si les recherches effectuées ont été suffisantes. Si elle constate que les efforts déployés pour assurer la présence du prévenu devant la juridiction de jugement ont été insuffisants, elle considère que la procédure par défaut a été appliquée à tort et que l’intéressé a droit à un nouveau procès (реш. no 723 от 23.01.2004 по н.д. 582/2003, I н.о. (Cour suprême de cassation)). En revanche, lorsqu’un individu a été personnellement avisé de sa mise en examen mais qu’il n’a pas comparu au procès et que les autorités ont effectué en vain les démarches nécessaires pour le localiser, la Cour suprême de cassation considère que l’absence de l’intéressé était le résultat de son propre comportement fautif et elle rejette la demande de réouverture de la procédure (реш. no 549 от 11.11.2002 по н.д. 455/2002, II н.о. (Cour suprême de cassation)).

F. Réouverture de la procédure suite à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme

24. Aux termes de l’article 422, alinéa 1, point 4 du CPP de 2006, la réouverture de la procédure pénale est ordonnée suite à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme constatant une violation de la Convention, laquelle représente une importance particulière pour le cas d’espèce. Le procureur général doit présenter la demande de réouverture dans un délai d’un mois à partir de la date à laquelle il a pris connaissance de l’arrêt (article 421, alinéa 2 du CPP de 2006). La demande est examinée par la Cour suprême de cassation (article 424 du CPP de 2006).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION EN RELATION AVEC LA CONDAMNATION PAR DÉFAUT

25. Le requérant se plaint d’une méconnaissance de son droit à un procès équitable, tel que garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, en ce qu’il a été jugé par défaut.

L’article 6 § 1 se lit comme suit en ses parties pertinentes en l’espèce :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

A. Sur la recevabilité

26. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

27. Le requérant expose qu’il a été privé de la possibilité de prendre part à l’audience du 20 février 2001 et d’assurer sa défense dans le cadre de la procédure pénale ayant commencé par l’instruction préliminaire no 780/98 et abouti au jugement du 21 février 2001. Il soutient qu’il pouvait être retrouvé à son adresse à tout moment, qu’il n’en a jamais changé et qu’il n’a pas été cité régulièrement à l’audience en question. Dans ces circonstances, il estime que ses droits de la défense ont été violés, même si les autorités ont désigné un avocat commis d’office pour le représenter, et que le refus de la Cour suprême de cassation de rouvrir la procédure a méconnu l’article 6 de la Convention.

28. Le Gouvernement combat la thèse du requérant. Il indique que le requérant a été interrogé à deux reprises dans la procédure en question et que, dès lors, il pouvait s’attendre à ce que l’affaire fût renvoyée devant les juridictions, ainsi que les autorités ont engagé tous les moyens nécessaires pour le rechercher afin qu’il comparaisse devant les tribunaux. Se référant à l’affaire Demeboukov c. Bulgarie (no 68020/01, 28 février 2008), il indique que le requérant avait donc été informé de la procédure pénale engagée à son encontre et qu’il s’est vu imposer le versement d’une caution dans le cadre de celle-ci. Par ailleurs, il estime que c’est dans le but de se soustraire à la justice que l’intéressé a changé de domicile sans en informer les autorités, alors que celles-ci ont, selon le Gouvernement, déployé tous les moyens nécessaires visant à le retrouver. Il précise enfin que le requérant a été représenté par un avocat commis d’office, que la procédure judiciaire a été conduite conformément à la loi et qu’il n’y avait dès lors pas lieu d’accueillir la demande de l’intéressé visant à la réouverture de la procédure.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

29. Les principes généraux de la jurisprudence de la Cour applicables en matière de condamnation par défaut se trouvent développés dans les affaires Sejdovic c. Italie ([GC], no 56581/00, §§ 81-95, CEDH 2006‑II), Kounov c. Bulgarie (no 24379/02, §§ 41-43, 23 mai 2006) et Demeboukov (précité, §§ 44-52).

30. La Cour rappelle en particulier que quoique non mentionnée en termes exprès au paragraphe 1 de l’article 6, la faculté pour l’« accusé » de prendre part à l’audience découle de l’objet et du but de l’ensemble de l’article. Du reste, les alinéas c), d) et e) du paragraphe 3 reconnaissent à « tout accusé » le droit à « se défendre lui-même », « interroger ou faire interroger les témoins » et « se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience », ce qui ne se conçoit guère sans sa présence (Colozza c. Italie, 12 février 1985, § 27, série A no 89, et Sejdovic, précité, § 81).

31. De plus, la Cour a estimé que l’obligation de garantir à l’accusé le droit d’être présent dans la salle d’audience – soit pendant la première procédure à son encontre, soit au cours d’un nouveau procès – est l’un des éléments essentiels de l’article 6 (Stoichkov c. Bulgarie, no 9808/02, § 56, 24 mars 2005). Dès lors, le refus de rouvrir une procédure qui s’est déroulée par contumace en l’absence de toute indication que l’accusé avait renoncé à son droit de comparaître a été considéré comme un « flagrant déni de justice », ce qui correspond à la notion de procédure « manifestement contraire aux dispositions de l’article 6 ou aux principes qui y sont consacrés » (Stoichkov précité, §§ 54-58, Sejdovic, précité, § 84).

32. Ni la lettre ni l’esprit de l’article 6 de la Convention n’empêchent une personne de renoncer de son plein gré aux garanties d’un procès équitable de manière expresse ou tacite (Kwiatkowska c. Italie (déc.), no 52868/99, 30 novembre 2000). Cependant, pour entrer en ligne de compte sous l’angle de la Convention, la renonciation au droit de prendre part à l’audience doit se trouver établie de manière non équivoque et s’entourer d’un minimum de garanties correspondant à sa gravité (Poitrimol c. France, 23 novembre 1993, § 31, série A no 277‑A). De plus, elle ne doit se heurter à aucun intérêt public important (Håkansson et Sturesson c. Suède, 21 février 1990, § 66, série A no 171-A, Sejdovic, précité, § 86).

33. La Cour a estimé que, lorsqu’il ne s’agissait pas d’un inculpé atteint par une notification à personne, la renonciation à comparaître et à se défendre ne pouvait pas être inférée de la simple qualité de « latitante », fondée sur une présomption dépourvue de base factuelle suffisante (Colozza précité, § 28). Elle a également eu l’occasion de souligner qu’avant qu’un accusé puisse être considéré comme ayant implicitement renoncé, par son comportement, à un droit important sous l’angle de l’article 6 de la Convention, il doit être établi qu’il aurait pu raisonnablement prévoir les conséquences du comportement en question (Sejdovic, précité, § 87).

34. Par ailleurs, il faut qu’il n’incombe pas à l’accusé de prouver qu’il n’entendait pas se dérober à la justice, ni que son absence s’expliquait par un cas de force majeure (Colozza précité, § 30). En même temps, il est loisible aux autorités nationales d’évaluer si les excuses fournies par l’accusé pour justifier son absence étaient valables ou si les éléments versés au dossier permettaient de conclure que son absence était indépendante de sa volonté (Medenica c. Suisse, no 20491/92, § 57, CEDH 2001‑VI, et Sejdovic, précité, § 88).

35. Aux termes de l’alinéa a) du troisième paragraphe de l’article 6 de la Convention, tout accusé a droit à « être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ». Cette disposition montre la nécessité de mettre un soin extrême à notifier l’« accusation » à l’intéressé. L’acte d’accusation joue un rôle déterminant dans les poursuites pénales : à compter de sa signification, la personne mise en cause est officiellement avisée de la base juridique et factuelle des reproches formulés contre elle (Kamasinski c. Autriche, 19 décembre 1989, § 79, série A no 168, Sejdovic, précité, § 89).

36. La portée de cette disposition doit notamment s’apprécier à la lumière du droit plus général à un procès équitable que garantit le paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention. En matière pénale, une information précise et complète des charges pesant contre un accusé, et donc la qualification juridique que la juridiction pourrait retenir à son encontre, est une condition essentielle de l’équité de la procédure (Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 52, CEDH 1999-II, Sejdovic, précité, § 90).

37. La Cour ne saurait pour autant exclure que certains faits avérés puissent démontrer sans équivoque que l’accusé sait qu’une procédure pénale est dirigée contre lui et connaît la nature et la cause de l’accusation et qu’il n’a pas l’intention de prendre part au procès ou entend se soustraire aux poursuites (Sejdovic, précité, § 99, et Shkalla c. Albanie, no 26866/05, § 70, 10 mai 2011).

b) Appréciation de la Cour

38. En l’espèce, la Cour note que le requérant a été interrogé en tant qu’accusé et en présence d’un avocat les 22 et 28 janvier 1999. Elle estime dès lors qu’il avait une connaissance suffisante des poursuites et des accusations à son encontre pour savoir que le dossier serait probablement renvoyé devant le parquet et que lui-même serait par la suite cité à comparaître et traduit devant les juridictions. Elle constate qu’en tout état de cause l’intéressé ne le conteste pas.

39. Elle relève de plus qu’une mesure coercitive garantissant la comparution du requérant dans la procédure, à savoir le versement d’une caution, a été prise à son égard.

40. Dans ces circonstances, il convient de vérifier si selon les éléments du dossier, il peut être considéré que les autorités ont déployé des efforts suffisants pour informer le requérant de l’évolution de la procédure ou que ce dernier a décidé de se soustraire à la justice (Sejdovic, précité, § 101).

41. A cet égard, la Cour doit analyser si le requérant avait eu une connaissance exacte des accusations portées contre lui. La Cour note, d’une part, que le Gouvernement, ainsi que la Cour suprême de cassation accordent une importance particulière au fait que le requérant a été interrogé au cours de l’instruction préliminaire au sujet des accusations contre lui. La Cour constate que bien qu’il soit établi avant les dates des interrogatoires en question que le requérant se manifestait au village de manière épisodique (paragraphes 7 et 8 ci-dessus), soit la localité où il avait indiqué son adresse, il a visiblement été retrouvé plus tard pour les buts des interrogatoires en questions. La Cour ne dispose pas d’éléments démontrant que le requérant avait été cherché à cette adresse afin de lui remettre le dossier de l’instruction préliminaire ou l’acte d’accusation. Elle note que, conformément au droit interne, ces actes ont été nécessaires pour donner la possibilité à l’accusé ou à l’inculpé de prendre connaissance des accusations concrètes engagées à son encontre, ainsi que des preuves à sa charge, et s’il le souhaite, de formuler d’éventuelles objections et de demandes dans la préparation de sa défense.

42. D’autre part, il ne peut être établi à partir des pièces du dossier si, dans la période après les interrogatoires, le requérant a quitté l’adresse indiquée et s’est ainsi mis dans l’impossibilité de recevoir l’acte d’accusation ou la citation à comparaître devant le tribunal de district. A cet égard, le tribunal s’est contenté de recueillir l’information qu’un avis de recherche national à l’encontre de l’intéressé avait été émis. Dans ces circonstances, la Cour n’est pas convaincue que les autorités ont déployé les efforts suffisants pour mettre le requérant au courant des accusations et de la perspective de leur examen à venir par les tribunaux.

43. Les affirmations du Gouvernement que les autorités ont pris toutes les mesures de retrouver le requérant sont relatives à la demande d’avis de recherches et d’arrestation au niveau national formulée dans le cadre d’une autre procédure pénale dirigée contre le requérant. Ces affirmations ne sont appuyées par aucun acte concret de la part de la police et le seul fait que le requérant a été retrouvé pour deux interrogatoires après cette demande contredit la thèse que celui-ci cherchait à se soustraire aux poursuites.

44. Dans ces circonstances, l’on ne peut conclure qu’avant de procéder à l’examen de l’affaire par défaut, le tribunal compétent a forgé la conviction que les efforts raisonnables prévus pas la loi ont été réalisés pour informer le requérant des actes de procédure, selon les exigences du procès équitable (Sejdovic, § 81 et les suivants), ou que celui-ci a tenté à se soustraire à la justice ou qu’il a manifesté de manière non équivoque son refus de comparaître devant les tribunaux. Sur ce point, il convient de distinguer la présente affaire de l’affaire Demeboukov à laquelle fait référence le Gouvernement. Il a été établi, dans cette dernière, que les autorités avaient cherché le requérant afin de lui remettre l’acte d’accusation selon les dispositions du droit interne et qu’elles ne l’avaient pas retrouvé car celui-ci avait changé son domicile sans les informer, ceci malgré l’obligation imposée par la mesure coercitive garantissant sa comparution (Demeboukov précité, §§ 54-58).

45. Il s’ensuit qu’en l’espèce l’article 6 de la Convention exigeait que l’intéressé eût la possibilité d’obtenir un nouvel examen au fond de son affaire.

46. La Cour observe à cet égard que l’article 362a du code de procédure pénale, entré en vigueur à compter du 1er janvier 2000, prévoit une telle possibilité mais conditionne le recours en réouverture à l’absence de connaissance par l’intéressé des poursuites qui ont abouti à sa condamnation par défaut. Or, en l’espèce, il apparaît des motifs de l’arrêt de la Cour suprême de cassation que le fait que le requérant avait été interrogé au cours de l’instruction était suffisant pour procéder à un examen de l’affaire en son absence. La Cour a déjà constaté que cette circonstance est contraire à l’article 6 (paragraphes 40-44 ci-dessus, voir aussi Sejdovic précité, §§ 84, 86 et 87).

47. Il en résulte que le requérant, qui avait été condamné par défaut, s’est vu dénier le droit à la réouverture de son procès sans que les autorités eussent établi qu’il avait renoncé, de manière non équivoque à son droit à comparaître (Sejdovic, précité, § 105). Par ailleurs, la Cour note qu’il n’a pas été soutenu dans le cadre de la présente affaire que l’intéressé disposait d’autres possibilités pour obtenir qu’un tribunal statuât de nouveau, en sa présence, sur les accusations portées contre lui (Kounov, précité, §§ 52-53).

48. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

49. Toujours sur le terrain de l’article 6, le requérant conteste l’interprétation des faits et l’application du droit interne dans le jugement du tribunal de district rendu le 21 février 2001. Invoquant également l’article 5, il allègue que sa détention à la prison de Vratza a dépassé de trois mois et sept jours la peine d’emprisonnement de trois ans à laquelle il aurait été condamné par le jugement de 1995. Par ailleurs, il soutient, sur le terrain de l’article 8, que son emprisonnement, en exécution du jugement du 21 février 2001 rendu par défaut, a provoqué la dégradation de l’état de santé et le décès de sa mère, à la suite duquel ses enfants se seraient trouvés privés d’un foyer et des soins prodigués par la parente proche qu’était leur grand‑mère.

50. En ce qui concerne cette partie de la requête, compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles. Il s’ensuit que ces griefs sont manifestement mal fondés et qu’ils doivent être rejetés, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DES ARTICLES 41 ET 46 DE LA CONVENTION

51. Les articles 41 et 46 de la Convention disposent ce qui suit :

Article 41

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

Article 46

« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.

2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution. »

A. Dommage

52. Le requérant demande 500 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi à raison de l’impossibilité d’obtenir un nouvel examen de son affaire, de sa détention prétendument irrégulière, de la dégradation de l’état de santé de sa mère et des difficultés à élever ses enfants.

53. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

54. La Cour, observant que les prétentions du requérant au regard du préjudice moral en relation avec sa détention, l’état de santé de sa mère et l’éducation de ses enfants sont relatives aux griefs déclarés irrecevables, les rejette.

55. Concernant le grief tiré de l’article 6, la Cour rappelle qu’en cas de violation de cette disposition il convient de placer le requérant, autant que possible, dans une situation équivalant à celle dans laquelle il se trouverait s’il n’y avait pas eu manquement aux exigences de cette disposition et qu’un nouveau procès ou une réouverture de la procédure représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée, si le requérant le souhaite (Kounov, précité, §§ 58-59, et autres références citées). Elle note à cet égard que le Procureur général a le pouvoir de demander la réouverture de la procédure suite à l’arrêt de la Cour (paragraphe 24 ci-dessus).

56. S’agissant du préjudice moral allégué par le requérant, la Cour estime que, dans les circonstances de l’espèce, le constat de violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante (Kounov, précité, § 60 ; R.R. c. Italie, précité, § 75 ; T. c. Italie, précité, § 32, et Sejdovic, précité, § 134).

B. Frais et dépens

57. Le requérant n’a pas présenté de demande de remboursement de frais et dépens.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 concernant la condamnation du requérant par défaut et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

3. Dit que le constat de violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 avril 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Fatoş AracıLech Garlicki
Greffière adjointePrésident


Synthèse
Formation : Cour (quatriÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-110693
Date de la décision : 24/04/2012
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Partiellement irrecevable;Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale;Article 6-1 - Procès équitable);Préjudice moral - constat de violation suffisant

Parties
Demandeurs : HARALAMPIEV
Défendeurs : BULGARIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : IVANOVA A.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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