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24/04/2012 | CEDH | N°001-110673

CEDH | CEDH, AFFAIRE S.C. GRANITUL S.A. c. ROUMANIE, 2012, 001-110673


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE S.C. GRANITUL S.A. c. ROUMANIE

(Requête no 22022/03)

ARRÊT

(satisfaction équitable)

STRASBOURG

24 avril 2012

DÉFINITIF

24/07/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire S.C. Granitul S.A. c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Egbert My

jer,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,
Nona Tsotsoria,
Mihai Poalelungi, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière adjointe de section,

Après en a...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE S.C. GRANITUL S.A. c. ROUMANIE

(Requête no 22022/03)

ARRÊT

(satisfaction équitable)

STRASBOURG

24 avril 2012

DÉFINITIF

24/07/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire S.C. Granitul S.A. c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Egbert Myjer,
Ján Šikuta,
Luis López Guerra,
Nona Tsotsoria,
Mihai Poalelungi, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 avril 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 22022/03) dirigée contre la Roumanie et dont une société commerciale de cet État, Granitul S.A. (« la requérante »), a saisi la Cour le 5 juin 2003 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Par un arrêt du 22 mars 2011 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1, en raison du transfert dans le domaine public, sans aucune indemnisation, d’un terrain appartenant à la société requérante.

3. En s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, la société requérante réclamait une satisfaction équitable totale de 1 114 500 euros (EUR).

4. La question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l’a réservée et a invité le Gouvernement et la requérante à lui soumettre par écrit, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt serait devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 57 et point 4 du dispositif).

5. Une demande du Gouvernement visant au renvoi de la présente affaire devant la Grande Chambre a été rejetée par le collège de celle-ci le 15 septembre 2011. En vertu de l’article 44 § 2 c), l’arrêt rendu le 22 mars 2011, est devenu définitif à cette date.

6. Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations.

7. A la suite du déport de M. Corneliu Bîrsan, juge élu au titre de la Roumanie (article 28 du Règlement de la Cour), le président de la chambre a désigné M. Mihai Poalelungi pour siéger en qualité de juge ad hoc (articles 26 § 4 de la Convention et 29 § 1 du règlement).

EN DROIT

8. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage matériel

9. Dans ses observations du 17 avril 2009, la requérante réclamait, au titre de dommage matériel, l’octroi de la somme de 1 064 500 euros (EUR), représentant la valeur du bien litigieux, telle qu’établie par une expertise technique immobilière, datée du 20 mars 2009. Dans ses observations complémentaires du 17 octobre 2011, la requérante réitère sa demande formulée au titre de dommage matériel et fait valoir que le refus de la Cour de prendre en considération le rapport d’expertise établi en 2009 s’analyserait en une méconnaissance du principe de non-rétroactivité et de celui de la sécurité des rapports juridiques, puisqu’on méconnaîtrait ainsi toute la procédure qui a abouti à l’arrêt du 22 mars 2011. Elle produit néanmoins un nouveau rapport d’expertise établi le 19 juillet 2011, selon lequel la valeur du terrain variait à cette date de 630 000 à 700 000 EUR, en fonction des différentes méthodes de calcul utilisées (méthode de la comparaison des prix, méthode de la capitalisation des loyers et méthode par composants).

10. Dans ses observations du 26 mais 2009, le Gouvernement indiquait que la valeur vénale du bien en cause était de 665 303 EUR, telle qu’elle ressortait d’un rapport d’expertise établi le 25 mai 2009. Dans ses observations du 12 décembre 2011, le Gouvernement mentionne que la valeur du terrain litigieux a considérablement baissé en raison de la crise économique qui a conduit à l’effondrement du marché immobilier. Il transmet à la Cour un nouveau rapport d’expertise établi le 9 novembre 2011 qui fixe à 399 182 EUR la valeur actuelle du terrain. Il produit également une lettre de la chambre des notaires publics de Bucarest du 18 octobre 2011 comportant en annexe les guides des prix estimatifs des biens immobiliers sis dans le département de Giurgiu pour les années 2009 et 2011 desquels il ressort que la valeur marchande des terrains a diminué au fil du temps.

11. La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’Etat défendeur l’obligation juridique de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000‑XI). Les Etats contractants parties à une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt de la Cour constatant une violation. Ce pouvoir d’appréciation quant aux modalités d’exécution d’un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l’obligation primordiale imposée par la Convention aux Etats contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis (article 1). Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l’Etat défendeur de la réaliser, la Cour n’ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l’accomplir elle-même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de la violation, l’article 41 habilite la Cour à accorder, s’il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée (Brumarescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 20, CEDH 2000‑I).

12. En l’espèce, la Cour rappelle que l’acte de l’Etat qu’elle a estimé incompatible avec l’article 1 du Protocole no 1 n’était pas la mainmise illicite sur le bien de la société requérante, le transfert ayant eu une base légale et ayant poursuivi un but d’utilité publique (voir paragraphe 47 de l’arrêt au principal), mais l’absence totale d’indemnisation de la requérante. Dans ces conditions, elle estime que la nature de la violation constatée ne lui permet pas de partir du principe d’une restitutio in integrum (voir, mutatis mutandis, Papamichalopoulos et autres c. Grèce (article 50), 31 octobre 1995, série A no 330‑B, Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 249, CEDH 2006‑V, et Kozacıoğlu c. Turquie [GC], no 2334/03, § 81, 19 février 2009). Force est de constater d’ailleurs, que la requérante ne demande pas non plus dans ses observations la restitution du terrain (voir paragraphe 9 ci-dessus).

13. Pour déterminer le montant de la réparation adéquate, la Cour doit s’inspirer des critères généraux énoncés dans sa jurisprudence relative à l’article 1 du Protocole no 1 et selon lesquels, sans le versement d’une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, une privation de propriété constitue d’ordinaire une atteinte excessive qui ne saurait se justifier sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1 (voir, entre autres, James et autres c. Royaume-Uni, 21 février 1986, § 54, série A no 98). La Cour réitère que dans de nombreux cas d’expropriation licite, comme l’expropriation isolée d’un terrain en vue de la construction d’une route ou pour d’autres fins « d’utilité publique », seule une indemnisation intégrale peut être considérée comme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien. Toutefois, cette règle n’est pas sans exception (Ex-roi de Grèce et autres c. Grèce [GC] (satisfaction équitable), no 25701/94, § 78, 28 novembre 2002). En effet, des objectifs légitimes « d’utilité publique », tels qu’en poursuivent des mesures de réforme économique ou de justice sociale, peuvent militer pour un remboursement inférieur à la pleine valeur marchande (voir Scordino (no 1) précité, § 256).

14. Dans la présente affaire, la Cour note que le transfert du bien a été réalisé en vue de la création d’une zone franche (voir paragraphe 47 de l’arrêt au principal) et donc d’une « expropriation isolée ». Il ne s’inscrit pas dans le contexte d’une politique plus large tendant à une réforme économique et sociale. Dans ces conditions, elle conclut que l’indemnisation adéquate en l’espèce est celle qui correspond à la valeur marchande du bien (voir, mutatis mutandis, Scordino (no 1) précité, § 257).

15. A la lumière de ce qui précède, la Cour observe, d’une part, que les parties ne l’ont pas informée de la valeur marchande du terrain au moment du transfert litigieux en janvier 1997 et, d’autre part, que les tribunaux nationaux n’ont pas non plus ordonné des expertises (voir, a contrario, Scordino (no 1) précité, § 258, Kozacıoğlu, précité, § 85). Dans ces conditions, elle ne peut que prendre en compte les renseignements fournis par les parties quant à la valeur marchande actuelle du bien. Ainsi, elle note que la société requérante demande 1 064 500 EUR, sur la base d’un rapport établi en 2009, tout en fournissant un nouveau rapport d’expertise établi après l’adoption de l’arrêt au principal, dont il ressort qu’en juillet 2011, la valeur du terrain avait baissé à un montant variant entre 630 000 et 700 000 EUR, en fonction des méthodes de calcul utilisées. Le Gouvernement produit également deux rapports d’expertise, l’un de 2009 estimant la valeur du terrain à 665 303 EUR, et l’autre de décembre 2011 estimant la valeur du terrain à 399 182 EUR. La Cour estime en conséquence que la valeur marchande actuelle du bien ne se prête pas à une évaluation précise, vu l’écart important séparant les estimations fournies à cette fin par les parties (Anonymos Touristiki Etairia Xenodocheia Kritis c. Grèce (satisfaction équitable), no 35332/05, § 19, 2 décembre 2010). Compte tenu de ces éléments – y compris l’objectif légitime d’utilité publique poursuivi par le transfert litigieux – et statuant en équité, elle juge raisonnable d’accorder à la requérante la somme de 500 000 EUR, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.

B. Dommage moral

16. La requérante demande également 50 000 EUR à titre de dommage moral pour les souffrances subies en raison de la privation de propriété qui a conduit à sa réorganisation, au licenciement d’une grande partie de son personnel et à la diminution du profit, ainsi que du stress provoqué par les nombreuses procédures judicaires engagées.

17. Le Gouvernement estime en premier lieu qu’il n’y a pas de lien de causalité entre le dommage moral allégué et la prétendue violation de la Convention. Il argue également du fait qu’un éventuel dommage moral serait suffisamment compensé par un constat de violation. A titre subsidiaire, le Gouvernement considère que les prétentions de la requérante sont excessives.

18. La Cour estime que, dans les circonstances de l’espèce, le constat d’une violation de l’article 1 du Protocole no 1 constitue en soi une satisfaction équitable suffisante au titre du dommage moral.

C. Frais et dépens

19. La requérante n’a formulé aucune demande à ce titre.

D. Intérêts moratoires

20. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 500 000 EUR (cinq cent mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, à convertir en nouveaux lei roumains, pour dommage matériel, au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

2. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 avril 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Marialena TsirliJosep Casadevall
Greffière adjointePrésident


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-110673
Date de la décision : 24/04/2012
Type d'affaire : satisfaction équitable
Type de recours : Dommage matériel - réparation

Parties
Demandeurs : S.C. GRANITUL S.A.
Défendeurs : ROUMANIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : MANDRILA N.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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