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10/04/2012 | CEDH | N°001-110268

CEDH | CEDH, AFFAIRE K.A.B. c. ESPAGNE, 2012, 001-110268


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE K.A.B. c. ESPAGNE

(Requête no 59819/08)

ARRÊT

STRASBOURG

10 avril 2012

DÉFINITIF

10/07/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire K.A.B. c. Espagne,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Corneliu Bîrsan,
Alvina Gyulumyan,
Egbert Myjer,
Ineta Ziemele,
Luis L

ópez Guerra,
Mihai Poalelungi, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 mars 2012,

Rend...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE K.A.B. c. ESPAGNE

(Requête no 59819/08)

ARRÊT

STRASBOURG

10 avril 2012

DÉFINITIF

10/07/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire K.A.B. c. Espagne,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Corneliu Bîrsan,
Alvina Gyulumyan,
Egbert Myjer,
Ineta Ziemele,
Luis López Guerra,
Mihai Poalelungi, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 mars 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 59819/08) dirigée contre le Royaume d’Espagne et dont un ressortissant nigérian, K.A.B. (« le requérant »), a saisi la Cour le 1er décembre 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me P. Ruiz Palacios, avocat à Murcie. Le gouvernement espagnol (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. I. Salama Salama, avocat de l’Etat.

3. Le président de la section a décidé d’accorder d’office la non-divulgation de l’identité du requérant (article 47 § 3 du règlement).

4. Le requérant se plaint d’avoir été privé de tout contact avec son fils, ainsi que du fait qu’il n’a été informé ni de la proposition d’adoption ni du non-financement du test de paternité par l’Administration. Il invoque les articles 6 et 8 de la Convention.

5. Le 27 avril 2010, la Cour a déclaré la requête partiellement irrecevable et a décidé de communiquer les griefs tirés des articles 6 § 1 et 8 au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Le requérant, K.A.B., est un ressortissant nigérian, né en 1976 et résidant à Barcelone.

7. A une date non précisée en 2001, le requérant immigra en Espagne avec sa compagne, C., ressortissante nigériane, et leur fils, O., né le 7 septembre 2000. Ils s’installèrent à Murcie.

8. Le fils du requérant, O., ne fut pas inscrit au registre d’état civil. Sa mère se trouvait en situation irrégulière. Il ressort du dossier que le requérant se rendit à Santa Coloma de Gramanet, ville située à environ 480 kilomètres de Murcie, pour chercher du travail, et que sa compagne resta à Murcie. A partir de mai 2001, l’enfant fut confié à un couple d’amis espagnols des parents résidant à Cartagène, qui l’accueillit et le garda de facto.

9. Le 15 mai 2001, le requérant se vit octroyer une carte de séjour. Le 13 septembre 2001, il obtint un permis de travail. Depuis le 15 mai 2006, le requérant dispose d’une carte de séjour de longue durée en Espagne.

A. La procédure d’expulsion de la mère

10. Le 11 octobre 2001, C. fut arrêtée par la police. Par une décision du 13 octobre 2001, le juge d’instruction no 3 de Murcie ordonna son placement dans un centre d’internement pour étrangers pendant le temps nécessaire à l’instruction du dossier d’expulsion, précisant que la durée de l’internement ne devait pas dépasser quarante jours.

11. Par une décision du 17 octobre 2001, la sous-délégation du gouvernement central à Murcie ordonna l’expulsion de C. hors du territoire espagnol et l’interdiction de son retour pour une durée de dix ans.

12. Le 20 octobre 2001, Me Ruiz Palacios, avocat qui représente le requérant dans la présente affaire et qui était alors l’avocat du couple d’amis à qui l’enfant avait été confié, porta à la connaissance du juge d’instruction no 3 de Murcie le fait que la personne qui allait être expulsée était la mère d’un enfant d’un an, afin d’éviter son expulsion et leur séparation. Il alléguait que C. avait un domicile connu et admit qu’elle n’avait pas de documents démontrant la filiation de l’enfant. Le seul document dont elle disposait, figurant déjà dans le dossier, était sa demande d’inscription dans le registre des étrangers dépourvus de pièce d’identité, effectuée le 18 juillet 2001. Ce document démontrait la bonne foi de C. et sa volonté de régulariser sa situation en Espagne.

13. Le 24 octobre 2001, l’ordre d’expulsion fut exécuté. Le mineur resta en Espagne.

14. Le requérant affirme que pendant ce temps il se trouvait à Barcelone pour des raisons de travail et que l’enfant avait été confié aux soins d’un couple d’amis résidant à Murcie.

B. La prise en charge de l’enfant par les services sociaux et son placement en famille d’accueil

15. Le 1er novembre 2001, le procureur chargé des mineurs ouvrit une enquête, à la suite, selon le requérant, de l’apparition dans les médias de plusieurs informations dénonçant « l’oubli » de deux enfants nigérians à Murcie après l’expulsion de leurs mères, dont C. Les 6 et 8 novembre, la Garde civile effectua des recherches et le 8 novembre, elle rédigea un rapport sur la situation d’O. Le 9 novembre, le procureur chargé des mineurs sollicita du Service de protection des mineurs d’effectuer les démarches pertinentes auprès des autorités diplomatiques nigérianes afin de parvenir au regroupement familial entre la mère et l’enfant.

Ces démarches furent accomplies entre le 22 novembre 2001 et le 1er juillet 2002 : Le 22 novembre 2001, le Service de protection des mineurs demanda à l’ambassade du Nigéria à Madrid sa collaboration en vue du regroupement familial, entre autres, d’O. avec sa mère. Début janvier 2002, le Service de protection des mineurs téléphona à l’ambassade du Nigéria à Madrid, qui précisa qu’aucun contact n’avait été établi avec la famille de C. au Nigéria, en raison des fêtes de fin d’année. Le 14 janvier 2002, le Service contacta à nouveau l’ambassade, qui indiqua que les mères (d’O. et de l’autre mineur abandonné) n’étant pas enregistrées, il était difficile de les localiser. A la suite de plusieurs conversations téléphoniques infructueuses, le 25 mars 2002, le Service de protection des mineurs remit à l’ambassade une nouvelle adresse de C. au Nigéria. Une nouvelle conversation téléphonique eut lieu le 17 avril 2002, et le responsable des affaires sociales de l’ambassade pria le Service de protection des mineurs de lui faire parvenir copie des demandes que ledit Service lui avait adressées à ce jour, ce que le Service fit le 17 mai 2002. Le 2 juillet 2002, le Service de protection des mineurs constata qu’il n’avait reçu aucune réponse de la part de l’ambassade. La mère d’O. ne fut pas retrouvée.

16. Le 14 novembre 2001, le couple espagnol auquel le mineur avait été confié de facto par ses parents demanda à être désigné comme famille d’accueil. Ils ne se présentèrent toutefois pas aux entretiens fixés les 31 janvier et 6 février 2002 à cet égard. Le 20 juin 2002, la possibilité d’être désignés comme famille d’accueil leur fut refusée.

17. Le 16 novembre 2001, le Service de protection des mineurs considéra O. en situation d’abandon, décida d’en assumer la tutelle et accorda la garde déléguée du mineur à la famille à laquelle il avait été confié.

18. Le 19 novembre 2001, le Service de protection des mineurs contacta Me Ruiz Palacios, alors avocat du couple qui avait accueilli de facto le mineur, l’informant que le requérant devait se présenter auprès dudit service de toute urgence. L’avocat nia représenter le requérant.

19. Le 29 novembre 2001, vu les difficultés pour reprendre le contact avec C. et procéder au regroupement familial, le Service de protection des mineurs décida de mettre fin à la délégation de la garde de l’enfant au couple espagnol auquel il avait été confié de facto et de placer l’enfant auprès de la Fondation Cardenal Belluga, centre d’accueil pour mineurs de la communauté autonome de Murcie. La décision de l’administration en question tenait compte des difficultés pour parvenir au regroupement familial, en raison du fait que l’enfant n’était pas inscrit au registre d’état civil et qu’il était difficile de démontrer sa filiation. A cet égard, le Service de protection des mineurs nota que plusieurs personnes s’étaient présentées en invoquant différents liens de parenté avec l’enfant, sans pouvoir toutefois les démontrer.

20. Le lendemain, le requérant se présenta auprès du Service de protection des mineurs, alléguant qu’il était le père biologique de l’enfant et exprimant son désaccord avec la décision de placer ce dernier dans un centre. Par ailleurs, il annonça son intention de réaliser un test de paternité pour démontrer que l’enfant était son fils et de solliciter auprès d’un juge la reconnaissance de sa paternité.

21. Le 4 décembre 2001, l’enfant fut accueilli à la Fondation Cardenal Belluga. Il était légèrement anémique et présentait un développement psychomoteur et du langage inférieur à celui d’un enfant de son âge. Il entama le calendrier de vaccinations puisqu’il ne ressortait pas des informations disponibles qu’il eût été vacciné précédemment. Le mineur fut considéré par la psychologue du centre comme se trouvant dans une situation d’abandon physique et émotionnel très grave.

22. Le 3 janvier 2002, le Service de protection des mineurs autorisa une prise de sang de l’enfant pour déterminer son ADN en vue d’effectuer les tests pertinents.

23. Le 4 janvier 2002, la directrice du centre d’accueil Cardenal Belluga se rendit avec l’enfant au laboratoire d’analyses indiqué mais les tests ne furent pas effectués, faute de paiement par le requérant du montant de 200 000 pesetas (1 202 euros) requis pour financer les tests.

24. Le rapport établi le 25 mars 2002 par l’administration compétente fit état d’une nouvelle adresse de la mère de l’enfant au Nigéria. Le nom du père (présumé) était aussi indiqué.

25. Le 27 juin 2002, le Service de protection des mineurs tenta de contacter le requérant à travers l’avocat qui le représente maintenant devant la Cour. Ce dernier maintint qu’il ne le représentait pas et qu’il ne connaissait donc pas ses coordonnées.

26. La mère de l’enfant étant introuvable au Nigéria et le requérant n’ayant pas démontré sa paternité et ne donnant plus de nouvelles, un rapport du 28 juin 2002 de la Fondation Cardenal Belluga fit état de la nécessité pour le mineur d’être placé en accueil préadoptif provisoire, sans visites, dans la mesure où il convenait selon elle « que la relation affective [fût] comblée aussi tôt que possible par des figures parentales de référence, afin d’éviter les risques de l’institutionnalisation en si bas âge ». Le nom du père (présumé), ainsi que son adresse à Barcelone, étaient mentionnés dans le rapport, qui indiquait que le requérant souhaitait passer des tests de paternité et notait que la famille à qui l’enfant avait été confiée lorsque le requérant et C. s’installèrent en Espagne avait déclaré avoir prêté de l’argent au requérant pour qu’il puisse faire les tests.

27. Le 1er juillet 2002, la commission de protection des mineurs décida de préparer l’accueil préadoptif provisoire de l’enfant par une famille d’accueil.

28. Le 5 décembre 2002, le mineur commença la cohabitation avec les parents d’accueil qui avaient été désignés.

29. Le 19 décembre 2002, la commission régionale de protection des mineurs décida que l’enfant devait être placé dans une famille d’accueil préalablement à son adoption, en attendant la décision judiciaire. Le 11 février 2003, la proposition d’accueil préadoptif fut remise au juge aux affaires familiales no 3 de Murcie. Par une décision du 6 mars 2003, ce juge déclara ouverte la procédure de constitution du régime d’accueil et cita la mère biologique du mineur à comparaître.

30. Par une décision du 26 mai 2003, et suite à la non-comparution de la mère biologique, le juge aux affaires familiales no 3 décida le placement de l’enfant dans une famille d’accueil.

31. Le 23 décembre 2003, le requérant comparut auprès de la Direction générale de la famille, alléguant qu’il était le père biologique de l’enfant et manifestant son intention de réaliser un test de paternité.

32. Le 29 janvier 2004, le requérant donna procuration à l’avocat qui le représente maintenant devant la Cour pour qu’il l’assiste.

C. La procédure no 1835/04, d’adoption

33. Le 27 février 2004, le Service de protection des mineurs proposa l’adoption de l’enfant par les parents d’accueil. Dans le rapport préparé par le Service figurait le nom du requérant, en tant que père présumé de l’enfant, ainsi que son adresse à Barcelone. Le 3 mars 2004, la commission régionale de protection des mineurs formula la proposition d’adoption de l’enfant.

34. Le 26 octobre 2004, la proposition d’adoption fut déclarée recevable.

35. Le 9 novembre 2004, le requérant demanda la cessation du régime d’accueil de l’enfant ou, subsidiairement, la fixation d’un régime de visites en sa faveur, ainsi que la suspension de la procédure d’adoption.

36. Le 15 novembre 2004, les parents d’accueil furent cités à comparaître. La mère biologique de l’enfant fut aussi citée, infructueusement.

37. La procédure resta en suspens en raison de l’action en reconnaissance de paternité présentée par le requérant.

D. La procédure no 1829/04, en reconnaissance de paternité

38. Le 20 novembre 2004, le requérant engagea une action en reconnaissance de paternité.

39. Le 1er décembre 2004, le requérant informa le Service de protection des mineurs de la recevabilité de sa demande de reconnaissance de paternité présentée devant le juge aux affaires familiales no 9 de Murcie et demanda qu’il soit sursis à la procédure d’adoption en cours ou, à tout le moins, que le juge chargé de ladite procédure soit informé afin qu’il en ordonne lui-même provisoirement le sursis.

40. Le 19 janvier 2005, le juge aux affaires familiales no 9 autorisa une prise de sang de l’enfant en vue d’effectuer les tests pertinents. Elle eut lieu le 27 janvier 2005.

41. Dans un rapport de suivi du 21 février 2005, le Service de protection des mineurs jugea positive l’évolution de l’accueil préadoptif du mineur et estima que toutes les démarches devaient être orientées de manière à favoriser la procédure d’adoption de l’enfant mineur par la famille d’accueil.

42. Le 3 mars 2005, les tests sanguins de paternité furent effectués sur le requérant, vraisemblablement avec le soutien de l’Association catalane pour l’enfance maltraitée.

43. Par un jugement du 26 mai 2005, le juge aux affaires familiales no 9 de Murcie déclara la paternité hors mariage du requérant. Il fonda sa décision sur le résultat du test de paternité corroboré par les déclarations de trois témoins. Par ailleurs, le juge ordonna la cessation du régime d’accueil de l’enfant et décida de notifier ex officio le jugement au service en charge du registre d’état civil afin d’y faire inscrire l’enfant comme étant le fils du requérant et de C.

44. Par une décision du 28 mai 2005, le juge aux affaires familiales no 9 rectifia le dispositif de son jugement rendu le 26 mai 2005, se limitant désormais à déclarer que l’enfant était le fils du requérant et de C. né hors mariage. Le juge nota que l’ordre de cesser le régime d’accueil de l’enfant dépassait l’objet d’une procédure visant à déterminer la filiation, une telle décision devant faire l’objet d’une autre procédure comme celle qui en l’espèce avait été entamée auprès du juge de première instance no 3 de Murcie. Le requérant affirme ne pas avoir été informé de cette procédure.

45. Dans un rapport du 17 octobre 2005, versé au dossier judiciaire, l’Association catalane pour l’enfance maltraitée précisa qu’en août 2003, le requérant avait subi un accident du travail et été mis en arrêt maladie jusqu’à fin 2004. Le rapport notait que le requérant voulait être réuni avec son fils, et qu’il pouvait travailler pour continuer à payer le logement où il résidait en tant que propriétaire et subvenir aux frais quotidiens. Le rapport prônait le regroupement du requérant avec son fils et indiquait que l’association assumait le suivi psychologique du requérant.

E. La procédure no 2177/05, d’opposition à l’adoption faute d’accord préalable du père (article 177 § 2 du code civil)

46. Le 20 novembre 2005, après avoir obtenu la reconnaissance de sa paternité et son inscription au registre d’état civil, le requérant introduisit devant le juge aux affaires familiales no 3 de Murcie une procédure d’opposition à l’adoption, faisant valoir la nécessité d’un accord préalable (en l’occurrence, celui du père) pour l’adoption. Il demanda le regroupement avec l’enfant, en tant que père biologique. Il fournit un rapport sur ses moyens financiers, précisant qu’il était maintenant propriétaire de son logement.

A l’audience, des témoins déclarèrent que le requérant et C. avaient vécu ensemble avec l’enfant jusqu’à ce que le requérant soit contraint de partir à Santa Coloma de Gramanet pour des raisons de travail, et firent valoir que l’avocat qui le représente maintenant devant la Cour n’était pas son avocat à l’époque.

Une fonctionnaire du Service de protection des mineurs expliqua que le Service ne pouvait pas assumer le coût du test de paternité du requérant, le paiement de ce test devant être assuré par l’intéressé, qui pouvait toutefois demander au tribunal d’y faire face. Elle indiqua aussi que le Service n’avait pas pris contact avec le requérant parce qu’il n’avait pas démontré sa paternité, bien que son domicile figurât au dossier en tant que père présumé du mineur. Elle indiqua que Me Ruiz Palacios lui avait signalé en novembre 2001 qu’il ne représentait pas le requérant et qu’il ne savait donc pas où le requérant se trouvait.

47. Par un jugement du 13 juillet 2006, le juge aux affaires familiales no 3 débouta le requérant au motif que, nonobstant sa qualité de père biologique d’O., son accord pour l’adoption n’était pas requis : dans la mesure où il rentrait dans l’une des causes de privation de l’autorité parentale, une simple audition suffisait. Le juge considéra qu’au moment où l’enfant fut pris en charge par les services sociaux, le requérant n’avait pas respecté les devoirs inhérents à l’autorité parentale, ce qui était l’une des conditions posées par le code civil pour pouvoir priver les parents biologiques de l’exercice de cette autorité. Le juge nota à cet égard que le requérant avait admis qu’il n’avait pas vécu longtemps avec l’enfant (environ trois mois, d’après ses dires), qu’il avait consenti à ce que la mère exerce la prostitution et à ce que l’enfant fût confié aux soins de tiers. Par ailleurs, le juge considéra que depuis 2001 le requérant n’avait effectué aucune démarche pouvant démontrer de manière objective son intérêt pour le sort de l’enfant, bien qu’il eût sa résidence légale en Espagne et qu’il fût assisté par un avocat. De plus, le juge nota que deux ans s’étaient écoulés sans que le requérant ne réclame la paternité. Il décida dès lors qu’il n’y avait pas lieu de procéder au regroupement du requérant avec O., une telle opération étant sans garanties objectives de succès, alors que l’enfant se trouvait alors pleinement intégré dans sa famille d’accueil.

48. Le requérant fit appel. Il soulignait qu’aucun motif ne justifiait la perte de l’autorité parentale, faisant valoir qu’il avait vécu avec son fils depuis sa naissance et que s’il s’absentait chaque semaine pour se rendre à son travail à Barcelone, il rejoignait le domicile familial les weekends. Il confirma que le mineur était confié par sa mère, C., à un couple d’amis pendant la journée, ce qui, selon lui, ne constituait pas un abandon mais une délégation, comme les Services de protection des mineurs l’avaient reconnu. Il faisait valoir qu’à partir de l’expulsion de C. il s’était présenté auprès des services sociaux à de multiples reprises en tant que père du mineur, mais que cette qualité ne lui avait pas été pas reconnue, faute de preuve documentaire (il n’avait ni livret de famille, ni certificat de naissance). Il notait que la mère de l’enfant avait été injustement expulsée du territoire espagnol, bien qu’elle eût informé les autorités qu’elle avait un fils. Il souligna que l’administration ne lui avait pas offert la possibilité d’assumer le coût des tests de paternité, malgré son manque avéré de ressources. Il s’appuyait sur les conclusions du rapport du 17 octobre 2005 de l’Association catalane pour l’enfance maltraitée, insistant sur sa préoccupation constante pour son fils et sur les démarches qu’il avait entreprises pour le récupérer lorsque sa situation financière s’était améliorée. Il critiqua enfin la passivité de l’administration, qui ne l’avait jamais contacté, et l’inertie de cette dernière dans la recherche de la paternité biologique de l’enfant.

49. Par un arrêt du 26 février 2007, l’Audiencia Provincial de Murcie confirma le jugement attaqué et mit le paiement des frais et dépens à la charge du requérant. Concernant les difficultés économiques alléguées par le requérant, l’Audiencia Provincial nota que la situation financière du requérant et son séjour légal en Espagne lui permettaient d’obtenir le bénéfice de l’assistance judiciaire et la réalisation du test de paternité de manière gratuite, ce que ne pouvait ignorer l’avocat qui l’assistait. L’Audiencia Provincial estima que les faits de l’espèce étaient concluants en ce qui concerne le manque d’intérêt du requérant. Elle signala que même avant la déclaration d’abandon de l’enfant, le père avait consenti à le confier aux soins de tiers, sans lui prêter l’attention économique et l’assistance morale et affective dont il avait besoin. Après l’internement de l’enfant dans un centre pour mineurs, le requérant s’était borné à réclamer, « sans conviction », la réalisation du test de paternité, abandonnant à la première difficulté et restant passif pendant deux ans.

50. Invoquant les articles 10 (dignité de la personne et libre développement de la personnalité) et 24 (droit à un procès équitable) de la Constitution, le requérant saisit le Tribunal constitutionnel d’un recours d’amparo. Il faisait valoir que les juridictions ordinaires s’étaient bornées à analyser les devoirs inhérents à l’autorité parentale, sans se prononcer sur le fait que la situation d’abandon de l’enfant avait été provoquée par l’inactivité et la passivité de l’Administration face à la décision ordonnant l’expulsion de la mère. Par ailleurs, le requérant se plaignit que les décisions judiciaires avaient empêché le regroupement familial entre lui et son fils, portant ainsi atteinte au droit de son fils au libre développement de sa personnalité et à la connaissance de son origine biologique.

51. Par une décision du 26 mai 2008, notifiée le 2 juin 2008, la haute juridiction déclara le recours irrecevable comme étant dépourvu de contenu constitutionnel.

F. Les suites de la procédure no 1835/04 (devenue la procédure no 1835/07), d’adoption

52. Parallèlement, par une décision du 25 avril 2007, le juge aux affaires familiales no 3 de Murcie leva la suspension de la procédure et autorisa l’adoption de l’enfant par les parents d’accueil, conformément à la proposition faite par le Service de protection des mineurs.

53. Le requérant fit appel. Par une décision du 25 janvier 2008, l’Audiencia Provincial confirma la décision attaquée. Elle nota que le requérant, en tant que père biologique, avait été entendu dans le cadre du dossier d’adoption, et que l’intérêt du mineur devait prévaloir. Elle retint à cet égard que l’adoption accordée serait bienfaisante pour l’enfant, qui s’était parfaitement intégré dans la famille d’accueil, se trouvait lié affectivement à ses parents adoptifs et profitait des soins et de la stabilité nécessaires pour son développement et sa formation.

54. Le requérant fit part de son intention de se pourvoir en cassation. Par une décision du 13 mai 2008, l’Audiencia Provincial rejeta le dépôt de la déclaration de pourvoi.

55. Sur recours du requérant, par une décision du 18 novembre 2008, le Tribunal suprême confirma la décision attaquée.

56. Le requérant n’a pas fourni de documents démontrant qu’il ait saisi le Tribunal constitutionnel d’un recours d’amparo.

57. Le 8 février 2008, le requérant maintint un entretien, à sa demande, avec le chef du Service de protection des mineurs, à l’issue duquel il se mit à pleurer en affirmant qu’il ne quitterait pas les locaux sans voir son fils. La police intervint et l’arrêta. Par un jugement du 30 septembre 2008, le juge d’instruction no 3 de Murcie condamna le requérant à une amende pour contravention de désobéissance légère à l’autorité, établissant toutefois qu’il était « psychologiquement détruit, subissant des périodes de pleurs et de lamentations, sans aucune agressivité ». Il fut également condamné au versement des frais et dépens.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

58. Les dispositions pertinentes de la Constitution sont ainsi libellées :

Article 10

« 1. La dignité de la personne, les droits inviolables qui lui sont inhérents, le libre développement de la personnalité, le respect de la loi et des droits d’autrui sont le fondement de l’ordre politique et de la paix sociale.

2. Les normes relatives aux droits fondamentaux et aux libertés que reconnaît la Constitution seront interprétées conformément à la Déclaration universelle des droits de l’homme et aux traités et accords internationaux ratifiés dans ce domaine par l’Espagne. »

Article 18 § 1

« 1. Le droit à l’honneur, à l’intimité personnelle et familiale et à sa propre image est garanti à chacun ».

Article 24

« 1. Toute personne a le droit d’obtenir la protection effective des juges et des tribunaux pour exercer ses droits et ses intérêts légitimes, sans qu’en aucun cas elle puisse être mise dans l’impossibilité de se défendre ».

(...)

59. Les dispositions pertinentes du code civil disposent comme suit :

Article 170

« Le père ou la mère pourront être privés totalement ou partiellement de leur autorité parentale par un jugement fondé sur le non-respect des devoirs inhérents à ladite autorité ou rendu dans une procédure pénale ou matrimoniale.

Les tribunaux peuvent accorder, au bénéfice et dans l’intérêt de l’enfant, la récupération de l’autorité parentale lorsque la cause ayant motivé la privation a cessé ».

Article 177

(...)

2. « Doivent donner leur assentiment à l’adoption (...) :

1o (...)

2o. (...) Les parents de la personne adoptable, (...) sauf s’ils ont été privés de l’autorité parentale par un jugement définitif ou s’ils se trouvent dans l’un des cas de privation de l’autorité parentale.

(...)

3. Doivent seulement être entendus par le juge :

Les parents non privés de l’autorité parentale, lorsque leur accord n’est pas nécessaire pour l’adoption.

(...) »

60. La loi 1/1996 sur l’assistance judiciaire ne prévoyait pas d’aide juridique gratuite, selon son article 2, pour les étrangers séjournant illégalement en Espagne. Le Tribunal constitutionnel ayant, dans un arrêt 95/2003 du 22 mai 2003, déclaré cette distinction inconstitutionnelle, tous les étrangers, séjournant légalement ou non en Espagne, peuvent désormais prétendre au bénéfice de l’aide juridictionnelle en cas d’insuffisance établie de ressources.

L’assistance judiciaire peut inclure, selon l’article 6 de la loi 1/1996 :

« (...) l’assistance gratuite dans la procédure par un expert auprès des organes judiciaires ou, à défaut, par des fonctionnaires, organes ou services techniques des administrations publiques.

Exceptionnellement, et lorsqu’en cas d’inexistence de techniciens en la matière, l’assistance d’un expert auprès des organes juridictionnels ou des administrations publiques ne peut être assurée, l’assistance sera effectuée, moyennant l’accord par décision motivée du juge ou du tribunal, par des experts désignés conformément aux lois de procédure parmi les experts privés compétents. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 ET 8 DE LA CONVENTION

61. Le requérant se plaint d’avoir été privé de tout contact avec son fils, ainsi que du fait que ni lui ni la mère de l’enfant n’ont été informés de la proposition d’adoption, l’expulsion de la mère ayant provoqué l’exclusion du requérant de la procédure d’adoption. Le requérant fait valoir que les juridictions espagnoles se sont bornées à analyser les devoirs inhérents à l’autorité parentale, sans se prononcer sur ses allégations concernant le fait que la situation d’abandon de l’enfant avait été provoquée par l’inactivité et la passivité de l’Administration face à la décision ordonnant l’expulsion de la mère. Le requérant se plaint par ailleurs de ce que les autorités administratives n’ont rien fait pour l’aider à démontrer sa paternité, ainsi que du non-financement du test de paternité par l’Administration en dépit de sa situation économique précaire et du fait qu’il s’était présenté plusieurs fois devant le service de protection des mineurs en alléguant être le père biologique de l’enfant. Il invoque les articles 6 et 8 de la Convention, dont les parties pertinentes sont libellées comme suit :

Article 6

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...). »

Article 8

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

62. La Cour observe que le grief du requérant sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention est étroitement lié au grief tiré de l’article 8 de la Convention. Dans son arrêt McMichael c. Royaume-Uni (24 février 1995, § 87, série A no 307‑B), la Cour a dit que, bien que l’article 8 ne renferme aucune condition explicite de procédure, il faut :

« que le processus décisionnel débouchant sur des mesures d’ingérence soit équitable et respecte comme il se doit les intérêts protégés par l’article 8 (...) :

« Il échet (...) de déterminer, en fonction des circonstances de chaque espèce et notamment de la gravité des mesures à prendre, si les parents ont pu jouer dans le processus décisionnel, considéré comme un tout, un rôle assez grand pour leur accorder la protection requise de leurs intérêts. Dans la négative, il y a manquement au respect de leur vie familiale et l’ingérence résultant de la décision ne saurait passer pour « nécessaire » au sens de l’article 8 (W. c. Royaume-Uni, 8 juillet 1987, §§ 62 et 64, série A no 121) ».

63. Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, la Cour estime donc approprié d’examiner les griefs soulevés par le requérant uniquement sous l’angle de l’article 8, lequel exige que le processus décisionnel débouchant sur des mesures d’ingérence soit équitable et respecte, comme il se doit, les intérêts protégés par cette disposition (Moretti et Benedetti c. Italie, no 16318/07, § 25, 27 avril 2010 ; Dolhamre c. Suède, no 67/04, § 81, 8 juin 2010).

64. La Cour estime par conséquent que les griefs du requérant doivent être examinés sous l’angle de l’article 8 et des droits y afférents.

A. Sur la recevabilité

65. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il fait valoir, d’une part, que la seule décision interne susceptible de porter atteinte au droit du requérant à la vie familiale serait celle du 25 avril 2007 (procédure no 1835/07) par laquelle le juge aux affaires familiales no 3 de Murcie a entériné l’adoption de l’enfant par les parents d’accueil, décision contre laquelle le requérant n’a pas formé de recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel. Il note par ailleurs que le requérant n’a pas réagi face aux décisions suivantes : celle du 16 novembre 2001, par laquelle le Service de protection des mineurs considéra l’enfant en situation d’abandon, assumant sa tutelle et accordant la garde déléguée du mineur à ladite famille d’accueil ; celle du 29 novembre 2001, par laquelle le Service de protection des mineurs mit fin à la délégation de la garde de l’enfant au couple espagnol et plaça l’enfant dans un centre d’accueil pour mineurs ; celle du 19 décembre 2002, par laquelle la commission régionale de protection des mineurs décida le placement provisoire de l’enfant dans une famille d’accueil préalablement à son adoption.

Le Gouvernement note, d’autre part, que le seul recours d’amparo formé par le requérant, présenté contre l’arrêt du 26 février 2007 rendu par l’Audiencia Provincial de Murcie (voir ci-dessus paragraphe 50) dans le cadre de la procédure no 2177/05, n’était fondé que sur les articles 10 (dignité de la personne et libre développement de la personnalité) et 24 (droit à un procès équitable) de la Constitution.

66. Dans ses observations en réponse à celles du Gouvernement, le requérant rétorque qu’il a épuisé toutes les voies de recours internes disponibles. Il fait valoir qu’il s’est présenté devant le service de protection des mineurs dès qu’il a appris l’expulsion de sa compagne, et souligne que les documents relatifs aux procédures administratives préalables à l’adoption de l’enfant ne lui ont pas été notifiés. Il note que, dans la mesure où le dossier d’adoption n’a pas été soumis aux parents biologiques de l’enfant, la seule façon de le contester était de présenter, comme il l’a fait, une action en opposition à la proposition d’adoption sur la base de la nécessité de son accord préalable pour une telle adoption, action qui donna lieu à la procédure no 2177/05 devant le juge aux affaires familiales no 3 de Murcie. Il estime que cette procédure 2177/05 était la seule dans laquelle un recours d’amparo était justifié, dans la mesure où elle constituait un préalable et était en même temps subordonnée à la procédure no 1835/2004, d’adoption, avec laquelle elle était intimement liée.

Le requérant reconnaît qu’il n’a pas porté devant le Tribunal constitutionnel, dans le cadre de son recours d’amparo dans la procédure no 2177/05 d’opposition à la proposition d’adoption, le grief tiré de l’article 18 de la Constitution, mais justifie cette approche en raison, d’une part, de l’absence de protection par le Tribunal constitutionnel de ces droits et, d’autre part, des conditions de recevabilité très restrictives des recours d’amparo. Il estime dès lors qu’aucun manquement à la règle de l’épuisement des voies de recours internes ne saurait lui être imputé.

1. Le défaut de présentation d’un recours d’amparo dans le cadre de la procédure d’adoption no 1835/07

67. La Cour relève que le requérant n’a formé de recours d’amparo que dans le cadre de la procédure no 2177/05 d’opposition à l’adoption, dans laquelle il faisait valoir que l’adoption d’O. ne pouvait pas avoir lieu en l’absence de son accord, en tant que père biologique de l’enfant. Il réclamait par ailleurs le regroupement familial avec O.

68. La Cour constate que par un jugement du 13 juillet 2006, le juge aux affaires familiales no 3 (paragraphe 47 ci-dessus) a rejeté la demande du requérant tendant à empêcher l’adoption d’O. ainsi que sa demande de se voir restituer son fils, bien qu’il ait réussi à démontrer qu’il en était le père biologique. Ce jugement a été confirmé en appel et a fait l’objet d’un recours d’amparo.

69. La Cour relève que les décisions ultérieures intervenues dans le cadre de la procédure no 1835/07, d’adoption, ont abouti à l’adoption de droit d’O.

70. Bien que la décision de non-restitution de l’enfant à son père ait été prise auparavant dans le cadre de la procédure no 2177/05, la Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes énoncée à l’article 35 de la Convention impose à tout requérant l’obligation d’utiliser au préalable les recours normalement disponibles et suffisants dans l’ordre juridique interne pour lui permettre d’obtenir réparation des violations qu’il allègue, avant que ces allégations ne soient soumises aux organes de la Convention (voir, parmi d’autres, Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 74, CEDH 1999‑V).

71. La Cour ne saurait accepter l’argument du requérant selon lequel il aurait omis de saisir le Tribunal constitutionnel d’un recours d’amparo dans le cadre de la procédure 1835/07, d’adoption, en raison de l’absence de protection des droits en cause par ledit tribunal ainsi que du caractère strict des conditions de recevabilité du recours d’amparo. Elle estime par conséquent que l’exception du Gouvernement doit être retenue à cet égard.

72. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

2. Le défaut d’invocation de l’article 18 de la Constitution dans le cadre du recours d’amparo (procédure no 2177/05) formé par le requérant

73. La Cour rappelle, comme elle l’a déjà indiqué au paragraphe 70 ci-dessus, l’obligation pour le requérant d’épuiser les voies de recours disponibles en droit interne avant de la saisir. Cette règle constitue un aspect important du principe voulant que le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revête un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l’homme (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 65, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV). Ainsi, le grief dont on entend saisir la Cour doit d’abord être soulevé, au moins en substance, dans les formes et délais prescrits par le droit interne, devant les juridictions nationales appropriées (Cardot c. France, 19 mars 1991, § 34, série A no 200).

74. La Cour a toutefois souligné qu’elle doit appliquer cette règle en tenant dûment compte du contexte. Elle a ainsi reconnu que l’article 35 doit s’appliquer avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif (Cardot, précité, § 34). Elle a de plus admis que la règle de l’épuisement des voies de recours internes ne s’accommode pas d’une application automatique et ne revêt pas un caractère absolu ; en contrôlant le respect, il faut avoir égard aux circonstances de la cause (Van Oosterwijck c. Belgique, 6 novembre 1980, § 35, série A no 40). Cela signifie notamment que la Cour doit tenir compte de manière réaliste, non seulement des recours prévus en théorie dans le système juridique de la Partie contractante concernée, mais également du contexte juridique et politique dans lequel ils se situent ainsi que de la situation personnelle des requérants (Akdivar et autres, précité, § 69).

75. La Cour observe qu’en l’espèce le requérant ne s’est pas expressément référé à l’article 18 de la Constitution dans le cadre de son recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel. Elle note toutefois que, se fondant sur les articles 24 et 10 de la Constitution espagnole (quoique le second ne soit pas invocable en amparo), le requérant a tenté de faire valoir le principe de la dignité de la personne et du libre développement de la personnalité, en alléguant expressément une atteinte à son droit de récupérer son enfant. Ce faisant, la Cour estime qu’il a soulevé en substance ce grief sous l’angle de l’article 8, au moins dans la mesure où il exige que le processus décisionnel débouchant sur des mesures d’ingérence soit équitable et respecte, comme il se doit, les intérêts protégés par cette disposition (Moretti et Benedetti, précité, § 68 et Saleck Bardi c. Espagne, no 66167/09, § 37, 24 mai 2011).

76. Par conséquent, l’exception du Gouvernement ne saurait être retenue à cet égard.

77. La Cour constate par ailleurs que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

3. L’absence de recours contre diverses décisions administratives

78. Le Gouvernement fait état des décisions administratives relatives à l’octroi de la tutelle et de la garde déléguée du mineur et au placement de ce dernier d’abord dans un centre d’accueil pour mineurs et ensuite dans une famille d’accueil.

79. La Cour considère que ces décisions font partie du processus global ayant conduit à l’adoption d’O. et estime que l’objection du Gouvernement est étroitement liée à la substance du grief énoncé par le requérant sur le terrain de l’article 8 de la Convention. Elle décide par conséquent de la joindre au fond.

80. La Cour constate, en outre, que cette partie de la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

a) Le requérant

81. Le requérant fait valoir d’emblée que le 20 octobre 2001, le juge d’instruction no 3 de Murcie avait eu connaissance de l’existence de l’enfant, avant que sa mère, C. ne fût expulsée du territoire espagnol. Aucun effort ne fut toutefois déployé pour éviter la séparation de C. et de son enfant, âgé alors d’un an. C’est seulement après que la presse se soit fait l’écho de cette situation que les autorités publiques commencèrent la procédure pour tenter de réparer l’erreur commise.

82. Selon le requérant, le gouvernement défendeur tente de justifier la conduite de l’administration régionale de Murcie, malgré l’erreur sérieuse commise, prétextant qu’elle a agi afin de protéger l’intérêt de l’enfant, alors qu’en réalité elle essayait de se justifier à la suite de l’affaire des bébés nigérians « oubliés » à Murcie. Le requérant souligne que son rôle de parent biologique a été nié du fait qu’il ne pouvait pas payer le test de paternité proposé, d’un coût qui excédait ses possibilités financières de l’époque, et soutient qu’il n’a aucunement été démontré qu’il était représenté par un avocat dès le début de la procédure.

83. Le requérant souligne qu’à la date où sa paternité biologique fut reconnue, il était possible d’entamer un regroupement progressif avec son fils, qui avait alors quatre ans. L’administration préféra toutefois maintenir une approche formaliste et poursuivre la procédure d’accueil jusqu’à l’adoption de l’enfant.

b) Le Gouvernement

84. Le Gouvernement rappelle d’emblée que le grief du requérant portant sur l’expulsion de C. a été déclaré irrecevable par décision de la Troisième Section du 27 avril 2010. En tout état de cause, il fait valoir que les démarches du Service de protection des mineurs auprès des autorités diplomatiques nigérianes, afin de parvenir au regroupement familial entre O. et l’enfant, restèrent infructueuses.

85. Le Gouvernement souligne qu’O. avait été volontairement abandonné par ses parents biologiques depuis mai 2001 et confié de facto à un couple lorsque l’enfant avait 8 mois, c’est-à-dire, bien avant l’expulsion de C. Il observe que lorsque le requérant décida enfin de faire reconnaître sa paternité, O. avait déjà 4 ans, et avait vécu plus de la moitié de sa vie avec un couple d’accueil qu’il considère comme ses parents et qui l’a par la suite adopté. Le Gouvernement se réfère également au mauvais état physique et psychologique dans lequel se trouvait le mineur lorsqu’il fut accueilli à la Fondation Cardenal Belluga et note que sa mère ne s’est pas intéressée à lui depuis son expulsion au Nigéria malgré les nombreuses démarches effectuées pour la retrouver par l’ambassade d’Espagne dans ce pays. Il note que le requérant, qui s’était entre-temps éloigné de l’enfant et a voulu ensuite le récupérer, aurait pu demander à être admis au bénéfice de l’assistance judiciaire afin de se soumettre aux tests de paternité. Il se réfère par ailleurs à l’arrêt de l’Audiencia Provincial du 26 février 2007 (voir paragraphe 49. ci-dessus) selon lequel le requérant aurait été représenté par un avocat qui ne pouvait méconnaître cette possibilité.

86. Le Gouvernement souligne, pour ce qui est du grief du requérant concernant le fait qu’il n’a pas été informé de la procédure d’adoption, qu’il a été assisté par son avocat, a présenté une demande en opposition à l’adoption qui a suspendu la procédure d’adoption déjà entamée, et a pu présenter ses arguments et ses moyens de preuve et être entendu à l’audience.

87. Le Gouvernement estime que l’intérêt supérieur de l’enfant exige qu’il puisse se développer pleinement et dans une situation stable avec les personnes – à savoir, sa famille adoptive – qu’il considère comme sa famille et conclut que la requête est manifestement mal fondée.

2. Appréciation de la Cour

a) Sur l’existence d’une ingérence

88. La Cour rappelle que la notion de « famille » visée par l’article 8 de la Convention ne se borne pas aux seules relations fondées sur le mariage et peut englober d’autres liens « familiaux » de facto lorsque les parties cohabitent en dehors du mariage. Un enfant issu d’une telle relation s’insère de plein droit dans cette cellule « familiale » dès sa naissance et par le fait même de celle-ci (Znamenskaya c. Russie, no 77785/01, § 26, 2 juin 2005 et Anayo c. Allemagne, no 20578/07, § 55, 21 décembre 2010). Bien qu’en règle générale une cohabitation puisse constituer une condition d’une telle relation, d’autres facteurs peuvent aussi servir à démontrer qu’une relation a suffisamment de constance pour créer des « liens familiaux » (Kroon et autres c. Pays-Bas, 27 octobre 1994, § 30, série A no 297‑C).

89. La Cour a considéré que l’intention de constituer une vie familiale peut, exceptionnellement tomber dans le champ d’application de l’article 8 dans les cas où l’absence de vie familiale pleinement établie n’est pas imputable au requérant (Anayo c. Allemagne, précité, § 57). En particulier, la « vie familiale » peut aussi s’étendre à la relation potentielle qui aurait pu se développer entre un père naturel et un enfant né hors mariage (Nylund c. Finlande (déc.), no 27110/95, CEDH 1999‑VI). Les éléments à prendre en considération pour déterminer l’existence réelle en pratique de liens personnels étroits dans ces cas incluent la nature de la relation entre les parents naturels et l’intérêt démontrable du père pour l’enfant avant et après la naissance de ce dernier (L. c. Pays-Bas, no 45582/99, § 36, CEDH 2004‑IV).

90. En tout état de cause, la Cour rappelle que l’article 8 protège la vie « privée » à l’égal de la vie « familiale ». Le droit au regroupement du requérant avec son fils biologique entre dans le champ d’application de la notion de « vie privée », qui englobe des aspects importants de l’identité personnelle (Odièvre c. France [GC], no 42326/98, § 29, CEDH 2003-III, Jäggi c. Suisse, no 58757/00, § 25, CEDH 2006‑X et Backlund c. Finlande, no 36498/05, § 37, 6 juillet 2010). Il paraît d’ailleurs n’y avoir aucune raison de principe de considérer la notion de « vie privée » comme excluant l’établissement d’un lien juridique ou biologique entre un enfant né hors mariage et son géniteur (Mikulić c. Croatie, no 53176/99, § 53, CEDH 2002‑I ).

91. La Cour observe que le requérant, père biologique d’O., travaillait à Santa Coloma de Gramanet alors que l’enfant habitait à Murcie, ville située à quelque 480 kilomètres, où sa mère résidait, et qu’il n’a pas cohabité longtemps avec l’enfant (environ trois mois, d’après ses propres dires), O. ayant été confié à d’autres personnes à l’âge de huit mois.

92. La Cour constate qu’il s’agit en l’espèce de la relation entre un enfant né hors mariage et son père biologique, liés comme tels par un lien naturel. Elle estime que l’impossibilité de mener une vie familiale pleinement établie n’est pas imputable au requérant. Elle note que depuis l’expulsion de sa compagne, le requérant n’a plus vu son fils. Vingt-deux jours après le départ de sa mère, le Service de protection des mineurs assuma la tutelle d’O. et dix jours plus tard, l’enfant fut placé en accueil institutionnel avant de se voir assigner une famille d’accueil préalablement à son adoption. Les juridictions internes ont en effet toujours considéré que le requérant n’avait pas respecté les devoirs inhérents à l’autorité parentale, de sorte qu’il ne pouvait s’en prévaloir et que la procédure d’adoption pouvait se poursuivre même en l’absence de son accord. La Cour estime que l’absence de liens familiaux établis entre le requérant et son fils ne lui est donc pas entièrement imputable.

93. La Cour relève par ailleurs que le requérant a exprimé à plusieurs reprises son souhait de rétablir le contact avec son fils. Il s’est en effet présenté les 30 novembre 2001 et 23 décembre 2003 auprès du Service de protection des mineurs et de la Direction générale de la famille, alléguant être le père biologique de l’enfant et annonçant son intention de se soumettre à un test de paternité (voir paragraphes 19 et 30 ci-dessus). Entre-temps, il aurait essayé de réunir l’argent nécessaire pour les tests. Compte tenu des circonstances de l’affaire et de la situation précaire dans laquelle se trouvait le requérant, la Cour considère que cette conduite suffisait à montrer le souci du requérant de récupérer son enfant.

94. Au vu de ce qui précède, la Cour n’exclut pas que l’intention du requérant de rétablir le contact avec son fils biologique tombe sous l’empire de la protection de la « vie familiale ». En tout état de cause, la question porte sur une partie importante de l’identité personnelle du requérant et rentre donc dans sa « vie privée » au sens de l’article 8 de la Convention (Backlund, précité, § 36). Les décisions des juridictions internes refusant tout contact et toute possibilité de regroupement avec son fils ont donc constitué une ingérence dans son droit au respect, au moins, de sa vie privée.

b) Principes généraux sur les obligations positives qui incombent à l’État défendeur en vertu de l’article 8 de la Convention

95. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle, si l’article 8 a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des autorités publiques, il ne se contente pas de commander à l’État de s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement plutôt négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale. Elles peuvent impliquer l’adoption de mesures visant au respect de la vie familiale jusque dans les relations des individus entre eux (X et Y c. Pays-Bas, 26 mars 1985, § 23, série A no 91, et Mincheva c. Bulgarie, no 21558/03, § 81, 2 septembre 2010). Dans un cas comme dans l’autre, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble ; de même, dans les deux hypothèses, l’État jouit d’une certaine marge d’appréciation (Saleck Bardi, précité, § 50).

96. La Cour réitère le principe bien établi dans sa jurisprudence selon lequel le but de la Convention consiste à protéger des droits concrets et effectifs (voir, mutatis mutandis, Artico c. Italie, arrêt du 13 mai 1980, § 33, série A no 37). Dans cette logique, elle observe qu’un respect effectif de la vie familiale commande que les relations futures entre parent et enfant se règlent sur la seule base de l’ensemble des éléments pertinents, et non par le simple déroulement du temps (Mincheva, précité, § 82).

97. Pour être adéquates, les mesures visant à réunir le parent et son enfant doivent être mises en place rapidement, car le passage du temps peut avoir des conséquences irrémédiables pour les relations entre l’enfant et celui des parents qui ne vit pas avec lui (voir, mutatis mutandis, Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, no 31679/96, § 102, CEDH 2000‑I, Maire c. Portugal, no 48206/99, § 74, CEDH 2003‑VII et Bianchi c. Suisse, no 7548/04, § 85, 22 juin 2006).

98. La Cour rappelle par ailleurs qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux autorités internes, mais d’examiner sous l’angle de la Convention les décisions que ces autorités ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire. La Cour a affirmé à maintes reprises que l’article 8 implique le droit d’un parent à des mesures propres à le réunir avec son enfant et l’obligation pour les autorités nationales de les prendre (voir, par exemple, Eriksson c. Suède, 22 juin 1989, § 71, série A no 156, Olsson c. Suède (no 2), 27 novembre 1992, § 90, série A no 250). Elle appréciera donc si les autorités espagnoles ont agi en méconnaissance de leurs obligations positives découlant de l’article 8 de la Convention (Hokkanen c. Finlande, 23 septembre 1994, § 55, série A no 299‑A ; Mikulić c. Croatie, no 53176/99, § 59, CEDH 2002‑I ; P., C. et S. c. Royaume-Uni, no 56547/00, § 122, CEDH 2002-VI ; Evans c. Royaume-Uni [GC], no 6339/05, § 76, CEDH 2007‑IV).

c) Application en l’espèce des principes susmentionnés

99. La Cour relève que, par une décision du 16 novembre 2001, le Service de protection des mineurs considéra le mineur en situation d’abandon, assuma la tutelle et accorda la garde déléguée du mineur à la famille qui s’était jusqu’alors occupée de lui. Elle relève toutefois qu’entre-temps, le 24 octobre 2001, la mère de l’enfant, alors âgé de treize mois, avait été expulsée. Il ne ressort pas du dossier qu’une quelconque démarche ait été prise par les autorités internes depuis le 20 octobre 2001, date à laquelle Me Ruiz Palacio informa le juge d’instruction no 3 de Murcie que C. était la mère d’un enfant en bas âge. Rien n’a été fait non plus vis-à-vis de l’enfant après l’expulsion de sa mère jusqu’au 1er novembre 2001, date à laquelle le procureur chargé des mineurs ouvrit une enquête.

100. Dans une affaire comme celle de l’espèce, le juge aux affaires familiales se trouve en présence d’intérêts souvent difficilement conciliables, à savoir ceux de l’enfant, ceux de son père biologique et ceux de la famille d’accueil ou de la famille adoptive. Dans la recherche de l’équilibre entre ces différents intérêts, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale (Moretti et Benedetti c. Italie, précité, § 67. L’article 8 ne saurait autoriser un parent à faire prendre des mesures préjudiciables à la santé et au développement de l’enfant (voir T.P. et K.M. c. Royaume-Uni [GC], no 28945/95, § 71, CEDH 2001‑V (extraits), Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, précité, § 94 et Nuutinen c. Finlande, no 32842/96, § 128, CEDH 2000-VIII).

101. En l’espèce, la Cour observe que les autorités administratives ont adopté leurs décisions concernant la situation personnelle de l’enfant sur le fondement des nombreux rapports établis par le centre d’accueil des mineurs où l’enfant fut accueilli et par le Service de protection des mineurs de la communauté autonome de Murcie, et que ces rapports faisaient état des expertises psychologiques effectuées ainsi que de l’évolution de la situation personnelle de l’enfant et de son intégration au sein de la famille d’accueil préadoptif. Ainsi, lorsqu’il décida, le 29 novembre 2001, de mettre fin à la garde déléguée de l’enfant et de le placer au centre d’accueil Cardenal Belluga (voir, ci-dessus, paragraphes 19-21), le Service de protection des mineurs tint compte des démarches infructueuses pour parvenir au regroupement familial de l’enfant avec sa mère et des difficultés pour démontrer sa filiation. L’enfant fut d’ailleurs examiné lors de son arrivée au centre, entre autres, par la psychologue du centre ainsi que par le médecin compétent, qui constatèrent des carences physiques et intellectuelles. Outre le rapport du 25 mars 2002 (voir ci-dessus paragraphe 24), un rapport du 28 juin 2002 établi par la Fondation Cardenal Belluga (voir, ci-dessus, paragraphe 26) avait recommandé le placement du mineur dans une famille en accueil préadoptif « afin d’éviter les risques de l’institutionnalisation en bas âge », ce qui fut entériné par la commission régionale de protection des mineurs le 19 décembre 2002 (voir, ci-dessus, paragraphe 29). Le rapport en cause indiquait également que le requérant souhaitait passer les tests de paternité et notait que la famille à qui l’enfant avait été confié lorsque le requérant et sa compagne s’installèrent en Espagne avait déclaré avoir prêté de l’argent au requérant pour qu’il pût faire les tests de paternité.

102. Pour autant que le requérant se plaint de ce que son droit d’accès à un tribunal n’a pas été respecté dans le cadre de la procédure d’adoption, la Cour observe que la question de savoir si le processus décisionnel a suffisamment protégé les intérêts d’un parent dépend des circonstances propres à chaque affaire. Elle relève à cet égard que la procédure d’adoption, où le requérant avait été entendu, a été mise en suspens en raison de l’action en reconnaissance de paternité présentée par le requérant. Une fois sa paternité légalement reconnue, le requérant a pu entamer devant le juge aux affaires familiales no 3 de Murcie, une procédure d’opposition à l’adoption dans le cadre de laquelle une audience eut lieu. Le requérant ayant été débouté, il a formé les recours qu’il estimait pertinents. C’est après cela seulement que la suspension de la procédure d’adoption fut levée et l’adoption de l’enfant accordée aux parents d’accueil. Au vu de ce qui précède, la Cour estime qu’au cours de la procédure devant les juges aux affaires familiales et l’Audiencia Provincial, le requérant a eu la possibilité de présenter tous les arguments en faveur de sa cause et a eu accès aux informations pertinentes sur lesquelles les tribunaux se sont appuyés dans le cadre d’une procédure où il était représenté par un avocat. Elle ne décèle en conséquence aucun manquement imputable aux juridictions internes à cet égard.

103. La Cour rappelle toutefois que, dans les affaires touchant la vie familiale, la rupture du contact avec un enfant très jeune peut conduire à une altération croissante de sa relation avec son parent (voir, entre autres, Pini et autres c. Roumanie, nos 78028/01 et 78030/01, § 175, CEDH 2004‑V (extraits). Il en va ainsi dans la présente affaire. La Cour note que les rapports de suivi du 21 février 2005 effectué au sein du Service de protection des mineurs a démontré que l’enfant était bien intégré dans sa famille d’accueil et que la procédure d’adoption d’O. par cette famille devait être favorisée. La Cour observe que le passage du temps a eu pour effet de rendre définitive une situation d’abandon dont le requérant n’était en tout cas pas entièrement responsable (voir paragraphe 108 ci-dessous), la mère de l’enfant ayant été expulsée du territoire espagnol lorsque celui-ci avait treize mois.

104. Ainsi, tout en rappelant qu’il ne lui revient pas de substituer son appréciation à celle des autorités nationales compétentes quant aux mesures qui auraient dû être prises, car ces autorités sont en principe mieux placées pour procéder à une telle évaluation, la Cour constate l’existence de manques de diligence graves dans la procédure menée par les autorités responsables de la tutelle, du placement de l’enfant et de son adoption.

105. A cet égard et s’agissant de l’obligation pour l’État d’arrêter des mesures positives, la Cour n’a cessé de dire que l’article 8 implique le droit d’un parent à des mesures propres à le réunir avec son enfant et l’obligation pour les autorités nationales de les prendre (voir, par exemple, Eriksson c. Suède, précité, § 71, série A no 156, et Margareta et Roger Andersson c. Suède, 25 février 1992, § 91, série A no 226-A). Toutefois, l’obligation pour les autorités nationales de prendre des mesures à cet effet n’est pas absolue, car il arrive que la réunion d’un parent avec ses enfants ne puisse avoir lieu immédiatement et requière des préparatifs. La nature et l’étendue de ceux-ci dépendent des circonstances de chaque espèce, mais la compréhension et la coopération de l’ensemble des personnes concernées en constituent toujours un facteur important. Enfin, dans ce genre d’affaire, le caractère adéquat d’une mesure se juge à la rapidité de sa mise en œuvre (Maumousseau et Washington c. France, no 39388/05, § 83, 6 décembre 2007‑..., Mincheva, précité, § 86).

106. Le point décisif en l’espèce consiste donc à savoir si les autorités nationales ont pris toutes les mesures nécessaires et adéquates que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles pour que l’enfant puisse mener une vie familiale normale au sein de sa famille ou, à défaut, au sein d’une famille d’accueil ou adoptive.

107. En l’espèce, la Cour relève qu’O. a été maintenu de facto dans la famille à laquelle il avait été confié par sa mère lorsque celle-ci fut expulsée le 24 octobre 2001. Elle observe que C. avait fait valoir devant le juge d’instruction no 3 de Murcie qu’elle était mère d’un enfant de treize mois. Toutefois, aucune réponse ni aucune intervention de la part dudit juge tendant à éviter la séparation entre les deux n’eut lieu. L’enfant resta ainsi pendant presque un mois dans un vide juridique, jusqu’à ce que sa situation d’abandon fût reconnue le 16 novembre 2001. Cette décision ne serait d’ailleurs intervenue, selon le requérant, qu’après que la presse se soit fait l’écho de la situation de deux enfants nigérians « oubliés » à Murcie, dont O., résultée de l’expulsion de leurs mères, et à la suite de l’enquête ouverte par le procureur chargé des mineurs.

108. La Cour trouve particulièrement grave cette situation, compte tenu de l’âge de l’enfant. Elle observe que le constat de la situation d’abandon d’O. a été à l’origine des procédures ultérieures qui ont abouti à son adoption par un couple espagnol qui l’avait d’abord accueilli en accueil préadoptif. Elle relève toutefois que cette situation d’abandon a été causée, au moins partiellement, par l’administration elle-même, en raison de l’expulsion de C. du territoire national sans effectuer de vérifications préalables et en omettant de tenir compte des informations fournies au juge d’instruction no 3 concernant l’existence de son fils. Aucune mesure n’a été prise à cet égard par les autorités publiques, ce qui a créé – ou, à tout le moins aggravé – la situation d’abandon de l’enfant. La Cour relève à cet égard une inertie des autorités administratives et note, bien que la procédure d’expulsion elle-même ne constitue pas l’objet de la présente requête (voir K. A. B. c. Espagne (déc.), no 59819/08, § 33, 27 avril 2010), qu’aucune explication satisfaisante n’avait été avancée pour justifier l’urgence d’une telle expulsion. Elle note, par ailleurs, que les décisions judiciaires intervenues dans les procédures ayant abouti à l’adoption d’O. ne se réfèrent nullement à cet aspect.

109. La Cour constate en effet que, par un jugement du 13 juillet 2006 rendu dans le cadre de la procédure 2177/05, d’opposition à l’adoption, le juge aux affaires familiales no 3 a retenu que l’accord du père biologique d’O. n’était pas nécessaire pour l’adoption, dans la mesure où son comportement constituait une cause de privation de l’autorité parentale. La Cour observe à cet égard que, selon le jugement en cause, l’enfant fut pris en charge par les services sociaux parce que le requérant n’avait pas respecté les devoirs inhérents à l’autorité parentale. Le jugement tenait compte, pour parvenir à cette conclusion, d’une part de la conduite du requérant vis-à-vis de l’enfant avant l’expulsion de C., et d’autre part du fait que depuis 2001 le requérant n’avait effectué aucune démarche pouvant démontrer de manière objective son intérêt pour le sort de l’enfant. De plus, le juge releva que deux ans s’étaient écoulés sans que le requérant n’agisse pour la reconnaissance de sa paternité.

Le jugement retint que le requérant avait lui-même provoqué la situation d’abandon de l’enfant, notamment en raison de son manque supposé d’intérêt pour la réclamation de paternité après qu’il se fut présenté le 30 novembre 2001 auprès du Service de protection des mineurs. La Cour relève toutefois que le laboratoire où la prise de sang d’O. devait avoir lieu a exigé le paiement préalable d’un montant que le requérant n’était pas en mesure de verser, bien qu’il ait demandé de l’argent à ses connaissances et, en particulier, au couple qui s’était occupé de l’enfant.

110. La Cour observe, à l’instar du Gouvernement, que le requérant aurait pu demander à être admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, mettant ainsi à la charge de l’État le coût des tests de paternité. La Cour se demande toutefois s’il pouvait vraisemblablement être exigé du requérant de connaître l’existence de cette possibilité, étant donné sa situation précaire à l’époque (il n’avait obtenu son permis de travail que le 13 septembre 2001) et le fait que, bien que le jugement en cause indiquât que le requérant était assisté par un avocat à ses frais, ce dernier l’a toujours nié et qu’une fonctionnaire du Service de protection des mineurs avait expliqué à l’audience que Me Ruiz Palacios lui avait signalé en novembre 2001 ne pas représenter le requérant et ne pas savoir où le requérant se trouvait. La Cour constate à cet égard que d’autres témoins s’étaient manifestés dans le même sens à l’audience et que la procuration versée au dossier par laquelle le requérant donnait pouvoir à l’avocat qui le représente maintenant devant la Cour pour l’assister dans les procédures entamées devant les juridictions internes date du 29 janvier 2004.

111. En tout état de cause, la Cour note que ni le laboratoire d’analyses médicales où la prise de sang devait avoir lieu, ni le Service de protection des mineurs n’avaient au préalable informé le requérant qu’il fallait qu’il assume le coût des tests de paternité. D’ailleurs, à aucun moment le Service de protection des mineurs n’a estimé que ce service lui était dû ni proposé au requérant de solution alternative. En troisième lieu, le Service de protection des mineurs n’a pas non plus informé le requérant que ces tests pouvaient être réalisés dans le cadre de l’assistance judiciaire gratuite, à laquelle il aurait pu avoir accès. Entre-temps, ce même organe administratif, qui avait le nom du requérant en tant que père (présumé) d’O. au moins depuis le 25 mars 2002 (voir, ci-dessus, paragraphe 24) ainsi que son adresse au moins depuis le 27 février 2004 (voir, ci-dessus, paragraphe 33) n’a aucunement pris contact directement avec lui, prétendument parce que sa paternité n’avait pas été démontrée.

112. Le 23 décembre 2003, le requérant s’était à nouveau présenté auprès de la Direction générale de la famille en alléguant être le père biologique de l’enfant, ce qui n’a pas empêché que la procédure d’adoption suive son cours pendant un an, jusqu’à sa suspension en raison de la demande en reconnaissance de paternité présentée par le requérant. La Cour note que lorsque le requérant réussit enfin à faire démontrer, par un jugement du 26 mai 2005 du juge aux affaires familiales no 9 de Murcie, sa paternité hors mariage, trois ans et demi s’étaient déjà écoulés depuis l’assomption de la tutelle d’O. par l’administration et presque deux ans et demi depuis le placement effectif d’O. dans une famille d’accueil en accueil préadoptif.

113. La Cour constate qu’à aucun moment de la procédure une quelconque responsabilité de l’administration n’a été mise en cause. Elle relève que le jugement du 13 juillet 2006 (voir, ci-dessus, paragraphe 105) rendu par le juge aux affaires familiales no 3 faisait peser sur le requérant toute la responsabilité de la perte de contact entre O. et son père, sans prendre nullement en compte que le vide juridique dans lequel l’enfant avait été placé lorsque sa mère fut expulsée du territoire espagnol n’avait pas été provoqué par le requérant. La Cour note encore que la prise en considération de la vulnérabilité du requérant en 2001 aurait pu jouer un rôle important pour comprendre la situation dans laquelle se trouvait l’enfant avant l’expulsion de sa mère, de même que les développements ultérieurs dans la vie du requérant, dont faisait état un rapport du 17 octobre 2005 de l’Association catalane pour l’enfance maltraitée, qui ne semble pas avoir été considéré par le juge.

114. Ainsi, le passage du temps, conséquence de l’inertie de l’administration, l’expulsion de C. sans qu’aient été prises les précautions nécessaires, le manque de soutien et d’assistance au requérant dans un premier temps lorsque sa situation sociale et financière était la plus fragile, ainsi que l’absence de pondération des décisions rendues par les juridictions internes quant à l’imputation des responsabilités dans la situation d’abandon du mineur et la conclusion de manque d’intérêt du requérant pour son fils, ont contribué de façon décisive à l’absence de toute possibilité de regroupement familial entre le requérant et son fils.

115. La Cour rappelle qu’il appartient à chaque État contractant de se doter d’un arsenal juridique adéquat et suffisant pour assurer le respect des obligations positives qui lui incombent en vertu de l’article 8 de la Convention. Elle ne peut pas se substituer aux autorités nationales dans cette tâche ni, dès lors, se prononcer sur la décision judiciaire concernant l’intérêt supérieur de l’enfant ou sur l’adoption de celui-ci, mais il lui appartient de rechercher si, dans l’application et l’interprétation des dispositions légales applicables, elles ont respecté les garanties de l’article 8 de la Convention, en tenant notamment compte de l’intérêt supérieur de l’enfant (voir, mutatis mutandis, Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], no 41615/07, § 141, CEDH 2010‑...). La Cour s’est donc limitée à examiner si, en l’espèce, les mesures adoptées par les autorités espagnoles pour régler la situation d’O. en Espagne et pour garantir les droits du requérant étaient adéquates et suffisantes en la matière. Au vu de ce qui précède, elle estime que les autorités nationales ont failli à l’obligation de célérité particulière qui s’attache à ce type d’affaires.

116. Eu égard à ces considérations et nonobstant la marge d’appréciation de l’État défendeur en la matière, la Cour conclut que les autorités espagnoles n’ont pas déployé des efforts adéquats et suffisants pour faire respecter le droit du requérant au regroupement avec son enfant, méconnaissant ainsi son droit au respect de sa vie privée, garanti par l’article 8.

117. Partant, il y a eu violation de l’article 8.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

118. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

119. Le requérant n’a pas présenté de demandes de satisfaction équitable dans les délais définitifs requis. Il s’est limité à mentionner le montant estimé des préjudices subis dans sa requête, mais n’en a pas fait mention ultérieurement dans ses observations.

120. Toutefois eu égard aux circonstances spécifiques de la présente affaire et statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour décide d’octroyer au requérant la somme de 8 000 euros (EUR) pour dommage moral.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Joint au fond, à l’unanimité, l’exception tiré du non-épuisement pour ce qui est de certaines décisions administratives relatives à la tutelle de l’enfant et à son placement en centre d’accueil et dans une famille d’accueil, et la rejette ;

2. Déclare, à l’unanimité, la requête irrecevable pour ce qui est de la procédure 1835/07 et recevable pour le surplus ;

3. Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

4. Dit, par six voix contre une,

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 8 000 EUR (huit mille euros) pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 avril 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Myjer.

J.C.M.
S.Q.

Opinion dissidente du juge MYJER

(Traduction)

1. Un juge qui a délibéré avec ses six collègues sans avoir réussi à les convaincre de la justesse de ses vues a en général tout intérêt à prendre le temps de réfléchir et de réexaminer sa position. Est-il réellement possible qu’ils se trompent et qu’il soit seul contre tous à détenir la vérité ?

Après y avoir encore réfléchi, je reste convaincu que mes éminents collègues ont conclu à tort à la violation de la Convention. A mes yeux, les faits exposés devant la Cour et rapportés dans l’arrêt ne justifient pas les reproches formulés contre le gouvernement espagnol.

2. Tout dépend de la manière d’interpréter les faits de l’espèce. Avec le recul, nous savons que le requérant est bien le père de l’enfant né en 2000 au Nigéria. Mais en novembre 2001, époque à laquelle l’intéressé s’est présenté devant les autorités espagnoles pour revendiquer sa paternité, celles-ci n’en savaient rien.

Voici ce qu’elles savaient :

. Le 11 octobre 2001, Mme C. avait été arrêtée par la police. Originaire du Nigéria, elle ne possédait pas de papiers et avait été placée en centre de rétention dans l’attente de son expulsion.

Il ne nous a jamais été indiqué que Mme C. avait signalé à la police qu’elle avait un enfant dont elle avait confié la garde à des amis, qu’elle avait désigné le requérant comme étant le père de l’enfant, et que ce père avait quitté la région pour chercher du travail.

. le 20 octobre 2011, le juge d’instruction no 3 de Murcie avait reçu d’un avocat qui n’était pas celui de Mme C., Me Palacios, une lettre l’informant que celle-ci était la mère d’un enfant d’un an non enregistré à l’état civil. Cette lettre n’avait pas donné lieu à un sursis à exécution de l’arrêté d’expulsion puisque, le 24 octobre 2001, Mme C. avait été expulsée.

Il ne nous a jamais été précisé que la lettre en question indiquait que le requérant était le père de l’enfant non inscrit à l’état civil.

. Le 30 octobre 2001, la presse espagnole avait dénoncé « l’oubli » de bébés nigérians à Murcie.

. L’un d’entre eux semblait être O., l’enfant de Mme C. Celui-ci n’avait pas été inscrit à l’état civil, ni en Espagne, ni au Nigéria. Il n’existait donc aucune indication permettant de déterminer l’identité de la mère et celle du père.

Les autorités espagnoles ont immédiatement fait ce qu’elles devaient faire. Elles ont pris l’enfant en charge et essayé de localiser Mme C. au Nigéria.

Elles ont même demandé à Me Palacios d’inviter le père de l’enfant à se présenter devant elles. Me Palacios leur a répondu que le père de l’enfant ne lui avait pas confié de mandat de représentation.

. Plusieurs personnes s’étaient présentées devant les autorités, alléguant avoir les liens avec les enfants oubliés sans parvenir à démontrer la réalité des liens en question.

. Le 30 novembre 2001, le requérant comparut devant les autorités, prétendant qu’il était le père de l’enfant.

Les faits dont les autorités avaient connaissance, exposés ci-dessus, peuvent se résumer ainsi : l’existence d’un enfant qui n’était enregistré nulle part, l’expulsion de Mme C., la revendication de paternité du requérant.

Toutefois, les autorités ont pris le requérant au sérieux et l’ont autorisé à subir un test de paternité. Une date fut fixée en janvier 2002 pour la réalisation du test, mais il ne fut pas effectué, faute de paiement par le requérant des frais y afférents. Les choses en restèrent là.

La Cour n’a pas été informée d’une éventuelle démarche entreprise par le requérant pour prouver la paternité qu’il revendiquait autrement que par un test ADN (par exemple, par une déclaration du couple à qui Mme C. avait confié l’enfant).

Par la suite, les autorités ont continué à prendre soin de l’enfant.

Deux ans plus tard, le 23 décembre 2003, le requérant se présenta une nouvelle fois devant les autorités, prétendant à nouveau qu’il était le père de l’enfant.

Un mois après, le 29 janvier 2004, il chargea Me Palacios de le représenter.

Ce n’est que le 3 mars 2005 qu’un test de paternité démontrant que le requérant était bien le père de l’enfant fut réalisé.

Entre-temps, il s’était passé tellement de choses que l’on ne pouvait raisonnablement attendre des autorités espagnoles qu’elles mettent un terme à toutes les procédures en cours en vue de l’adoption de l’enfant dans l’intérêt supérieur de celui-ci.

3. A supposer même que l’on puisse reprocher aux autorités espagnoles de ne pas avoir suffisamment tenu compte de la lettre que Me Palacios leur avait adressée le 20 octobre 2001 et d’avoir pour cette raison expulsé Mme C. sans rechercher sérieusement si celle-ci était la mère d’un enfant non enregistré, j’estime que, dans le système de la Convention, il n’était pas loisible à la majorité de se prononcer également sur les circonstances de l’expulsion de manière expresse. Ce faisant, la majorité a statué sur une question qui n’avait pas été définitivement tranchée par les autorités internes. Bien que je sois pleinement conscient du fait que l’expulsion de Mme C. avait des répercussions sur la situation du requérant, j’estime que la Cour ne pouvait élargir le grief de l’intéressé à l’expulsion en question.

Le problème qui se posait en l’espèce était celui de savoir si les autorités espagnoles, par leurs actes ou leurs omissions, avaient violé les droits du requérant à l’égard de l’enfant au titre de l’article 8.

Je considère pour ma part que les autorités espagnoles avaient pour seule obligation de prendre en compte les droits du requérant au titre de l’article 8 une fois établie la réalité de la paternité de l’intéressé. Celle-ci n’a été démontrée que le 3 mars 2005. Compte tenu du temps qui s’était écoulé avant cette date, l’intérêt supérieur de l’enfant devait prévaloir sur l’intérêt personnel du père.

4. La majorité reproche aux autorités espagnoles de ne pas avoir fait tout ce qui était en leur pouvoir pour aider le requérant à s’acquitter de la somme nécessaire à la réalisation du test de paternité.

Je ne partage pas ce point de vue. La Cour ne disposait d’aucun élément donnant à penser que, en janvier 2002, les autorités auraient dû savoir que le requérant était le père inconnu. L’enfant avait aussi été réclamé par d’autres personnes. Par la suite, le requérant a tout simplement disparu, pour ne réapparaître que deux ans plus tard. En janvier 2004, il a mandaté Me Palacios, l’avocat qui avait écrit la première lettre, lequel aurait dû informer son client des possibilités que lui offrait le droit espagnol. Dans ces conditions, il est pour le moins étrange qu’il ait fallu encore une année pour que le test de paternité fût enfin réalisé.

5. Enfin, indépendamment de ma position sur le fond de l’affaire, celle-ci appelle de ma part une autre observation. L’article 60 du règlement de la Cour énonce notamment que « sauf décision contraire du président de la chambre, le requérant doit soumettre ses prétentions, chiffrées et ventilées par rubrique et accompagnées des justificatifs pertinents, dans le délai qui lui a été imparti pour la présentation de ses observations sur le fond ». Le moment venu, le greffier de la Cour attire l’attention du représentant du requérant sur cette disposition et sur la sanction qui s’attache au non-respect de celle-ci, à savoir le rejet probable des prétentions éventuellement formulées par l’intéressé. Le greffe adresse au représentant du requérant un exemplaire de l’instruction pratique sur les demandes de satisfaction équitable, que l’on peut aussi consulter sur le site Internet de la Cour.

Me Palacios n’a pas présenté de demande de satisfaction équitable satisfaisant aux exigences de l’article 60 du règlement de la Cour, et n’a pas non plus sollicité l’autorisation du président pour formuler une demande de ce genre hors du délai imparti. S’il est inhabituel que la question de la satisfaction équitable prête à controverse, je ne puis que conclure qu’aucune somme n’aurait dû être allouée au requérant.


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