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20/03/2012 | CEDH | N°001-109782

CEDH | CEDH, AFFAIRE SERRANO CONTRERAS c. ESPAGNE, 2012, 001-109782


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE SERRANO CONTRERAS c. ESPAGNE

(Requête no 49183/08)

ARRÊT

STRASBOURG

20 mars 2012

DÉFINITIF

20/06/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Serrano Contreras c. Espagne,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Corneliu Bîrsan,
Alvina Gyulumyan,
Egbert Myjer,
Ineta

Ziemele,
Kristina Pardalos, juges,
Alejandro Saiz Arnaiz, juge ad hoc,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en ch...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE SERRANO CONTRERAS c. ESPAGNE

(Requête no 49183/08)

ARRÊT

STRASBOURG

20 mars 2012

DÉFINITIF

20/06/2012

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Serrano Contreras c. Espagne,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Corneliu Bîrsan,
Alvina Gyulumyan,
Egbert Myjer,
Ineta Ziemele,
Kristina Pardalos, juges,
Alejandro Saiz Arnaiz, juge ad hoc,
et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 février 2012,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 49183/08) dirigée contre le Royaume d’Espagne et dont un ressortissant de cet État, M. Bernardo Serrano Contreras (« le requérant »), a saisi la Cour le 29 septembre 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me J.D. Pérez Aroca, avocat à Córdoba. Le gouvernement espagnol (« le Gouvernement ») est représenté par ses agents, Mes I. Blasco Lozano et F. Irurzun Montoro, avocats de l’État.

3. Le 13 octobre 2009, la requête a été communiquée au Gouvernement. Comme le permet l’article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond de l’affaire.

4. M. L. López Guerra, juge élu au titre de l’Espagne, s’étant déporté, le Gouvernement a désigné M. A. Saiz Arnaiz pour siéger à sa place en qualité de juge ad hoc (articles 26 § 4 de la Convention et 29 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1953 et réside à Córdoba.

6. Par un jugement rendu le 11 novembre 2003 après la tenue d’une audience publique au cours de laquelle furent entendus plusieurs accusés, dont le requérant, l’Audiencia Provincial de Córdoba acquitta ce dernier, président du comité directeur d’une coopérative agricole, des délits de faux et d’escroquerie dont il était accusé en relation avec la commercialisation d’une nouvelle variété de semences de blé. A l’origine des accusations se trouvaient l’association de production de semences APROSE, le ministère public et l’avocat de l’État (Abogado del Estado). Ils avaient accusé le requérant d’avoir pourvu de fausses étiquettes des semences commercialisées, et ce dans le but de bénéficier de subventions de l’Union européenne. Ces étiquettes provenaient d’Italie et avaient été expédiées par l’organisme national responsable des semences certifiées, l’Ente Nazionale Sementi Elette (« l’ENSE »).

7. S’agissant du présumé délit d’escroquerie, l’Audiencia Provincial constata l’inexistence, dans le comportement du requérant, de l’élément intentionnel de « tromperie », nécessaire pour qualifier ce délit aux termes de l’article 528 du code pénal de 1973, en vigueur au moment des faits litigieux et applicable au requérant en raison de son caractère plus favorable pour ce dernier (équivalent à l’article 248 du code pénal actuel). L’Audiencia Provincial releva en effet qu’il ne ressortait pas des éléments disponibles que le requérant eût voulu tromper les acheteurs en leur proposant une variété de semences qui ne correspondait pas à celle figurant sur l’étiquette. Elle considéra que, en tout état de cause, l’éventuelle « tromperie » n’aurait pas été suffisante pour porter préjudice au patrimoine des acheteurs, ce qui était le deuxième élément constitutif du délit examiné. A ce sujet, elle signala que, à supposer même que les agriculteurs eussent payé un prix supérieur à celui des semences effectivement contenues dans les paquets, ils avaient ultérieurement bénéficié de subventions de l’Union européenne, ce qui avait, à ses yeux, compensé tout éventuel préjudice patrimonial à leur encontre.

8. Afin de parvenir à sa conclusion, l’Audiencia entendit plusieurs témoins au cours de l’audience publique, en particulier le sous-directeur général de l’administration en matière de semences ou encore un membre du conseil d’administration d’APROSE. Eu égard à leurs témoignages, l’Audiencia considéra qu’il n’était pas possible d’affirmer, au-delà de tout doute raisonnable, que la variété des semences commercialisées avait été effectivement dénaturée. Dans son jugement, elle souligna que l’administration en matière de semences avait donné son autorisation pour commercialiser la variété de semences litigieuse et que cet acte avait donné à celle-ci une couverture légale.

9. S’agissant du présumé délit de faux, l’Audiencia Provincial considéra que les factures émises lors de la vente des semences étaient des documents établis dans les règles, dans la mesure où elles avaient été dressées à partir des formulaires types prévus à cet effet et signées par des personnes habilitées, sans que cela préjugeât de la question de savoir si l’information contenue dans ces factures correspondait ou non aux semences en question. De l’avis de l’Audiencia, l’inexactitude des éléments figurant sur les factures aurait constitué un faux intellectuel non punissable en droit pénal. A l’appui de ses arguments, l’Audiencia indiqua que le ministère de l’Agriculture espagnol avait demandé à l’ENSE des renseignements relativement à l’apparition, en Espagne, de fraudes dans la commercialisation de semences certifiées, et lui avait envoyé un échantillon des étiquettes litigieuses pour vérification. L’Audiencia indiqua que, dans sa réponse, l’ENSE n’avait pas certifié de manière absolue que les étiquettes en cause étaient fausses, mais qu’elle s’était bornée à affirmer qu’elles étaient « sicuramente un cartellino falso », ce que l’Audiencia interpréta comme signifiant que les étiquettes étaient « probablement fausses ».

En tout état de cause, l’Audiencia considéra qu’il n’avait pas été prouvé que le requérant eût eu connaissance des éventuelles irrégularités, condition exigée par le code pénal pour la qualification du délit de faux.

10. L’Audiencia parvint à la même conclusion s’agissant du délit de faux sur un document commercial.

11. Enfin, l’Audiencia indiqua que le jugement avait été rendu au-delà des délais légaux à raison de la complexité de l’affaire et de sa charge de travail.

12. Les trois parties accusatrices se pourvurent en cassation sur le fondement des articles 849 §§ 1 et 2 du code de procédure pénale. Par un arrêt du 14 octobre 2005 rendu sans qu’une audience publique eût été tenue, le Tribunal suprême accueillit le pourvoi. D’une part, il considéra, à la lumière des preuves documentaires fournies lors du procès devant l’Audiencia, que les étiquettes étaient effectivement trompeuses en ce qu’elles faisaient croire aux agriculteurs concernés qu’ils utilisaient des semences certifiées alors qu’elles ne l’étaient pas. Il précisa à cet égard que l’absence de réclamation de la part des agriculteurs n’enlevait pas aux faits litigieux le caractère de « tromperie ». D’autre part, il considéra que, dans la mesure où lesdites étiquettes contenaient une information inexacte sur les semences commercialisées, le délit de faux était avéré.

13. Le Tribunal suprême se pencha ensuite sur la réponse de l’ENSE à la demande de renseignements effectuée par le ministère de l’Agriculture espagnol. Il estima que ce document ne pouvait être considéré comme un élément de preuve dans la mesure où il s’agissait d’une demande effectuée en dehors du procès pénal et par conséquent non administrée en présence du juge, comme l’exigeait la loi. Par contre, le Tribunal suprême nota, contrairement à l’Audiencia Provincial, que l’expression « é sicuramente un cartellino falso » impliquait une certitude et non pas simplement une probabilité.

14. De l’avis du Tribunal suprême, les seuls éléments de preuve valables étaient ceux obtenus dans le cadre des deux commissions rogatoires confiées aux autorités italiennes par le juge d’instruction no 2 de Montilla, chargé de l’affaire, aux fins de vérification de la conformité des étiquettes litigieuses. Le Tribunal suprême reproduisit le contenu des rapports en réponse et considéra que ceux-ci ne laissaient place à aucun doute :

« [L]es étiquettes (...) ne sont pas d’origine (...). En outre, il est visible à l’œil nu que [celles] envoyées par les autorités espagnoles sont fausses, étant donné que la numérotation [habituellement sans points] qui y figure comporte des points. »

15. Le Tribunal suprême reconnut que l’Audiencia n’avait pas mentionné ces rapports dans son jugement. Cependant, il considéra que la validité de ceux-ci ne pouvait être remise en cause dans la mesure où il s’agissait d’une preuve préconstituée, établie devant l’autorité judiciaire italienne compétente par le biais de la commission rogatoire confiée par le juge espagnol à ses homologues italiens. Au demeurant, le Tribunal suprême releva que les parties avaient eu connaissance de ces rapports et qu’elles n’avaient pas demandé que leurs auteurs fussent présents au cours du procès devant l’Audiencia Provincial. Par conséquent, il considéra que la validité de cette preuve ne pouvait être remise en question et constata que la commission rogatoire répondait à toutes les garanties prévues par la Convention européenne d’assistance judiciaire en matière pénale.

16. Par un deuxième arrêt du 14 octobre 2005, le Tribunal suprême condamna le requérant à une peine de quatre ans de prison pour les délits d’escroquerie et de faux, sur le fondement respectivement de l’article 528 et de l’article 303 du code pénal de 1973. Il modifia certaines parties de l’exposé des faits déclarés prouvés par l’Audiencia Provincial. En particulier, il indiqua que les étiquettes litigieuses étaient analogues à celles utilisées par l’ENSE, mais qu’elles n’étaient pas conformes à la réalité du produit qu’elles étaient censées caractériser, et que cela était connu de toutes les personnes impliquées dans l’opération. Par ailleurs, il considéra que le requérant était l’une des personnes ayant conçu l’opération délictuelle.

17. En outre, le Tribunal se pencha d’office sur la question de la durée de la procédure. A ce sujet, il nota d’emblée que les faits de l’espèce étaient d’une grande complexité et qu’ils concernaient plusieurs accusés. Il rappela ensuite que la procédure pénale avait été entamée en décembre 1996, avec le renvoi du dossier administratif au ministère public ; qu’en novembre 1998, le juge avait décidé d’examiner l’affaire selon la procédure sommaire (procedimiento abreviado) ; que le dossier comportait 6 211 pages ; qu’après le jugement de l’Audiencia Provincial rendu le 11 novembre 2003, le pourvoi en cassation avait été formalisé et que les délibérations avaient eu lieu le 9 mars 2005 ; que la date du prononcé de l’arrêt avait été reportée à plusieurs reprises jusqu’au 14 octobre 2005 en raison de la complexité de l’affaire. Le Tribunal suprême constata par conséquent qu’il n’y avait pas eu de temps morts dans la gestion de l’affaire. Il retint le grand nombre de recours introduits par les accusés au cours de la procédure.

18. Le requérant sollicita l’annulation de la procédure en s’appuyant sur l’article 241 de la loi organique relative au pouvoir judiciaire. D’une part, il se plaignait de la durée excessive de la procédure et, d’autre part, il alléguait qu’il avait été condamné sur la base de preuves à caractère non documentaire et sans avoir été entendu préalablement. Il reprochait en outre au Tribunal suprême d’avoir modifié les faits déclarés prouvés par l’Audiencia.

19. Par une décision du 17 mars 2006, le Tribunal suprême rejeta le recours, au motif qu’il constituait une demande déguisée de réexamen du fond de l’affaire et, par conséquent, une prétention au prolongement artificiel de la procédure. Il se prononça cependant sur les allégations du requérant, dont celle portant sur sa condamnation sans audience publique. A ce sujet, il rappela l’arrêt 167/2002 du 18 septembre 2002 et les arrêts suivants du Tribunal constitutionnel et les considéra comme non applicables au pourvoi en cassation dans la mesure où celui-ci était un recours extraordinaire, non comparable aux « appels » examinés par le Tribunal constitutionnel dans ses arrêts.

20. Invoquant les articles 14 (interdiction de la discrimination) et 24 (droits à un procès équitable, à la durée raisonnable de la procédure et à la présomption d’innocence) de la Constitution, le requérant forma un recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel. Par une décision rendue le 10 mars 2008 et notifiée à l’intéressé le 31 mars 2008, la haute juridiction déclara le recours irrecevable au motif que les prétentions du requérant manquaient de fondement constitutionnel.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

A. La Constitution

Article 24

« 1. Toute personne a le droit d’obtenir la protection effective des juges et des tribunaux pour exercer ses droits et ses intérêts légitimes, sans qu’en aucun cas elle ne soit mise dans l’impossibilité de se défendre.

2. De même, toute personne a le droit d’être jugée par un juge de droit commun déterminé par la loi, de se défendre et de se faire assister par un avocat, d’être informée de l’accusation portée contre elle, d’avoir un procès public sans délais indus et dans le respect de toutes les garanties, d’utiliser les moyens de preuve pertinents pour sa défense, de ne pas s’incriminer soi-même, de ne pas se reconnaître coupable et d’être présumée innocente (...) »

B. Le code de procédure pénale

Article 849

« La loi sera considérée comme violée aux fins d’un pourvoi en cassation :

1. lorsque, au vu des faits déclarés prouvés par l’arrêt attaqué, une disposition pénale de fond ou toute autre norme juridique de même caractère à observer dans l’application de la loi pénale a été enfreinte ;

2. lorsqu’une erreur s’est produite dans l’appréciation d’une preuve. [L’erreur doit être] établie sur la base des documents figurant dans le dossier, qui démontrent que le juge s’est trompé, sans que ces documents soient contredits par d’autres éléments probatoires. »

C. Le code pénal de 1973 (appliqué au requérant)

Article 302

« (...) Tout fonctionnaire public qui, par abus de pouvoir, commet un faux sera puni d’une peine de prison (...) »

Article 303

« Tout particulier qui commet un des faux mentionnés à l’article précédent dans un document public ou officiel (...) ou dans tout autre document commercial sera puni d’une peine de prison mineure et d’une amende (...) »

Article 528

« Seront considérés comme auteurs d’un délit d’escroquerie ceux qui, dans un but lucratif, utilisent un degré suffisant de tromperie pour induire en erreur un tiers afin qu’il effectue un acte dispositif contre ses intérêts ou en préjudice de tiers.

(...) »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

21. Invoquant l’article 6 de la Convention, le requérant se plaint d’avoir été condamné par le Tribunal suprême sans qu’une audience publique eût été tenue, ce qui l’aurait privé de la possibilité de se défendre. A cet égard, il soutient que certaines des preuves réappréciées par ce Tribunal avaient un caractère personnel et non pas seulement documentaire ; cela serait le cas des rapports – pris en compte par le Tribunal suprême – des commissions rogatoires établis lors de l’instruction de l’affaire, dans la mesure où les exigences d’immédiateté et de contradiction n’auraient pas été remplies à leur égard.

Le requérant se plaint également de la durée globale de la procédure, qu’il dénonce comme excédant les limites du délai raisonnable. Il soutient en outre que les retards survenus sont entièrement imputables au service public de la justice.

L’article 6 de la Convention est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

(...) »

A. Griefs tirés de l’absence d’audience publique

1. Sur la recevabilité

22. La Cour constate que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de les déclarer recevables.

2. Sur le fond

a) Thèses des parties

i. Le Gouvernement

23. Le Gouvernement considère que le Tribunal suprême a conclu à la culpabilité de l’accusé après réexamen d’un des faits de l’espèce, à savoir la non-conformité des étiquettes litigieuses à la réalité du produit qu’elles étaient censées caractériser (paragraphe 16 ci-dessus). Il indique que ce fait était fondé sur des éléments à caractère documentaire qui auraient concerné exclusivement des questions de nature juridique, le requérant ayant eu, d’après le Gouvernement, l’occasion de contester les thèses de l’accusation. Il ajoute que la réappréciation opérée par le Tribunal suprême concernait, d’une part, une preuve préconstituée dont les parties auraient eu connaissance, à savoir le résultat des commissions rogatoires, et, d’autre part, la rectification de la traduction de l’expression italienne « sicuramente », traduite par « probablement » par l’Audiencia Provincial et par « assurément » par le Tribunal suprême.

24. Le Gouvernement considère en outre que, dans la mesure où les questions soulevées en cassation faisaient référence à des éléments écrits du dossier, auxquels le requérant aurait eu accès, une audience publique n’aurait ni contribué à un meilleur dénouement du procès ni ajouté des informations qui auraient été manquantes.

25. Le Gouvernement rappelle en outre la jurisprudence du Tribunal constitutionnel à ce sujet, qui limiterait l’exigence de la tenue d’une audience publique dans les cas où les moyens de preuve devant être réappréciés revêtent un caractère personnel.

26. Au demeurant, le Gouvernement expose qu’il ne ressort pas du dossier que le requérant ait demandé en temps voulu la tenue d’une audience publique.

ii. Le requérant

27. Pour le requérant, la question essentielle réside dans le fait que, après modification des faits déclarés prouvés, le Tribunal suprême a conclu à sa culpabilité sans l’avoir préalablement entendu, ce qui irait à l’encontre des principes d’immédiateté et de contradiction.

28. De l’avis du requérant, le Tribunal suprême a, de manière erronée, requalifié certains éléments du dossier en preuves documentaires dans le but de pouvoir modifier les faits déclarés prouvés par l’Audiencia Provincial. Cela serait le cas des déclarations écrites des auteurs des rapports émis dans le cadre des deux commissions rogatoires.

29. Le requérant indique en outre que les déclarations de ces auteurs ont été faites lors de l’instruction et qu’elles n’ont pas été reproduites ultérieurement devant l’Audiencia Provincial, ce qui l’aurait privé de la possibilité de les contredire au cours du procès et d’exposer que d’autres experts, dont le témoignage aurait été entendu par l’Audiencia, auraient conclu au caractère conforme des étiquettes. Il considère que le Tribunal suprême aurait dû prendre en compte ces déclarations. A cet égard, il fait en particulier référence aux témoignages du sous-directeur général de l’Administration en matière de semences et du membre du Conseil d’administration d’APROSE.

30. Enfin, s’agissant du fait, souligné par le Gouvernement, qu’il n’a pas sollicité la tenue d’une audience, l’intéressé réplique que, dans la mesure où il avait été acquitté en première instance, il ne lui appartenait pas de recourir contre le jugement de l’Audiencia Provincial ni, par conséquent, de demander la tenue d’une audience.

b) Appréciation de la Cour

i. Principes généraux

31. En ce qui concerne les principes généraux pertinents en l’espèce, la Cour renvoie aux paragraphes 36 à 38 de l’arrêt Lacadena Calero c. Espagne (no 23002/07, 22 novembre 2011).

ii. Application de ces principes en l’espèce

32. La Cour souligne d’emblée que la présente requête repose sur la même problématique que celle exposée dans l’arrêt Lacadena Calero c. Espagne précité. Elle note cependant que plusieurs éléments distinguent les deux affaires. Premièrement, dans l’affaire Lacadena Calero, le pourvoi en cassation contre l’arrêt du 20 septembre 2000 n’était fondé que sur le premier paragraphe de l’article 849 du code de procédure pénale, alors que, dans la présente affaire, le Tribunal suprême a examiné également le pourvoi sous l’angle de l’erreur dans l’appréciation de la preuve. En outre, force est de constater que, en l’espèce, le Tribunal suprême n’a pas tenu d’audience (voir, a contrario, Lacadena Calero, précité, § 10).

33. En ce qui concerne le fondement du pourvoi en cassation, la Cour observe que, en droit espagnol, selon les termes de l’article 849 §§ 1 et 2 du code de procédure pénale (Ley de Enjuiciamiento Criminal), sur la base duquel le Tribunal suprême a statué en l’espèce, l’objet d’un pourvoi en cassation se limite, d’une part, à l’existence ou non d’une violation d’une disposition pénale de fond ou de toute autre norme juridique de même nature et, d’autre part, à la réparation d’une erreur dans l’appréciation d’une preuve à caractère documentaire.

34. Il n’est pas contesté en l’espèce que le Tribunal suprême s’est livré à une nouvelle appréciation juridique, distincte de celle opérée par l’Audiencia Provincial, du comportement de l’accusé dans les opérations de vente des semences litigieuses, qui a débouché sur la condamnation de l’intéressé pour les délits d’escroquerie et de faux sur un document commercial.

35. Dans son arrêt de condamnation, le Tribunal suprême a dit qu’il y avait lieu de s’en tenir aux faits déclarés prouvés par l’Audiencia, excepté en ce qui concernait les conclusions de l’Audiencia, d’une part, quant à la non-conformité des étiquettes et, d’autre part, quant au fait que le requérant était au courant du faux en question et de l’ensemble de l’opération délictuelle (paragraphe 16 ci-dessus).

36. Sur la base de ce raisonnement, le Tribunal suprême a conclu à la culpabilité de l’accusé et a qualifié son comportement de constitutif des délits susmentionnés. La Cour estime pertinent de relever que, pour parvenir à cette conclusion, la juridiction de cassation s’est fondée entre autres sur un élément de preuve qui n’avait pas été examiné au cours de l’audience publique devant l’Audiencia Provincial, à savoir les rapports établis dans le cadre des commissions rogatoires ordonnées par le juge d’instruction en charge de l’affaire. Ces rapports étaient connus des parties, qui n’avaient pas demandé à ce qu’ils fussent reproduits devant l’Audiencia. Dès lors, elles n’ont pas eu l’occasion de les examiner conformément aux principes d’immédiateté et de contradiction. Le fait que le Tribunal suprême a pris en compte un moyen de preuve qui n’avait pas été examiné par le tribunal a quo et qui est devenu déterminant dans l’établissement de la culpabilité du requérant a privé ce dernier de la possibilité de se défendre à cet égard.

37. A cela s’ajoute le fait que le Tribunal suprême, pour arriver à une nouvelle interprétation juridique du comportement de l’accusé, s’est prononcé sur des circonstances subjectives le concernant, à savoir sa conscience de l’irrégularité des opérations commerciales et de la non-conformité des étiquettes à la réalité des semences qu’elles étaient censées caractériser (paragraphe 16 ci-dessus). Cet élément subjectif a été décisif dans l’établissement de la culpabilité de l’accusé. En effet, tant le délit d’escroquerie que celui de faux exigent que l’accusé ait agi de manière intentionnelle. Après la tenue d’une audience publique au cours de laquelle le requérant a été entendu, l’Audiencia Provincial a considéré que cette exigence subjective quant aux délits en cause n’était pas remplie. Le Tribunal suprême a, quant à lui, conclu à l’existence d’une telle intentionnalité du requérant, et ce sans avoir procédé à l’appréciation directe du témoignage du requérant et en contradiction avec les conclusions du tribunal d’instance, lequel avait eu l’opportunité d’entendre l’accusé et d’autres témoins.

38. Aux yeux de la Cour, le Tribunal suprême s’est écarté du jugement d’instance après s’être prononcé sur des éléments de fait et de droit qui lui ont permis de déterminer la culpabilité de l’accusé. A cet égard, force est de constater que, lorsque l’inférence d’un tribunal a trait à des éléments subjectifs (comme, en l’espèce, l’existence d’une intentionnalité), il n’est pas possible de procéder à l’appréciation juridique du comportement de l’accusé sans avoir au préalable essayé de prouver la réalité de ce comportement, ce qui implique nécessairement la vérification de l’intention de l’accusé par rapport aux faits qui lui sont imputés (Lacadena Calero c. Espagne, précité, § 47).

39. Certes, le Tribunal suprême est parvenu à son appréciation de l’intention de l’accusé en vertu d’une inférence tirée des faits prouvés par l’instance inférieure (dont les documents du dossier). Cependant, le Tribunal suprême a tiré cette déduction sans avoir entendu l’accusé, qui n’a ainsi pas eu l’opportunité d’exposer devant le Tribunal les raisons pour lesquelles il niait tant avoir été conscient de l’illégalité de son comportement que d’avoir eu une intention frauduleuse (Lacadena Calero, précité, § 48). La Cour note à cet égard qu’une telle opportunité est inexistante dans la procédure en cassation.

40. A la lumière de ce qui précède, la Cour considère que les questions devant être examinées par le Tribunal suprême nécessitaient l’appréciation directe du témoignage de l’accusé ou des autres témoins (Botten c. Norvège, 19 février 1996, § 52, Recueil 1996-I, et Ekbatani c. Suède, 26 mai 1988, § 32, série A no 134).

41. Or aucune audience publique n’a eu lieu devant le Tribunal suprême. Dès lors, l’accusé n’a pas été entendu personnellement sur une question de fait pourtant déterminante pour l’appréciation de sa culpabilité.

42. A la vue de l’ensemble des circonstances du procès, la Cour conclut que le requérant a été privé de son droit à se défendre dans le cadre d’un débat contradictoire. Partant, il y a eu violation du droit de l’intéressé à un procès équitable garanti par l’article 6 § 1 de la Convention.

B. Grief relatif à la durée excessive de la procédure

1. Sur la recevabilité

a) Thèses des parties

i. Le Gouvernement

43. Le Gouvernement demande à la Cour de rejeter ce grief pour non-épuisement des voies de recours internes. Il précise à cet égard que le requérant a soulevé ce grief pour la première fois lors de sa demande en annulation de l’arrêt du Tribunal suprême, et il reproche à l’intéressé de ne pas avoir utilisé la voie prévue en droit espagnol pour la réparation patrimoniale due à un mauvais fonctionnement du service public de la justice, à savoir l’article 292 de la loi organique relative au pouvoir judiciaire.

ii. Le requérant

44. Le requérant réplique que, dans la mesure où il avait été acquitté par l’Audiencia Provincial, il n’avait pas de raison d’introduire un quelconque recours en réparation. Il ajoute que la demande de réparation patrimoniale mentionnée par le Gouvernement est indépendante de l’existence d’une violation du droit à la durée raisonnable d’une procédure et, se référant à l’affaire González Doria Durán de Quiroga c. Espagne ((déc.) no 59072/00, 20 mai 2003), il soutient que l’introduction d’une telle demande ne peut être exigée.

b) Appréciation de la Cour

45. La Cour rappelle que, aux termes de l’article 35 de la Convention, elle ne peut être saisie d’une requête qu’après l’épuisement des voies de recours internes. A cet égard, elle rappelle la jurisprudence constante des organes de la Convention, selon laquelle il n’y a pas d’épuisement lorsqu’un recours a été déclaré irrecevable à la suite du non-respect d’une formalité (Ben Salah Adraqui et Dhaime c. Espagne (déc.), no 45023/98, CEDH 2000-IV).

46. En l’espèce, la Cour note que le requérant a soumis le grief tiré de la durée de la procédure devant les juridictions internes. Elle constate aussi qu’il a saisi d’un recours d’amparo le Tribunal constitutionnel, ultime instance juridictionnelle de droit interne, en lui soumettant le grief qu’il soulève devant la Cour. Or la haute juridiction a déclaré le recours irrecevable, au motif que les prétentions du requérant étaient dépourvues de contenu constitutionnel, même si le requérant n’avait pas présenté de demande auprès du ministère de la Justice en réparation du préjudice subi en raison de la durée de la procédure en cause, ce qu’il lui était loisible de faire en vertu des articles 292 et suivants de la loi organique du Pouvoir judiciaire. Dans ces conditions, la Cour estime que le requérant a respecté les prescriptions de l’article 35 de la Convention. Dès lors, l’exception soulevée par le Gouvernement ne saurait être retenue (González Doria Durán de Quiroga, décision précitée).

2. Sur le fond

a) Thèses des parties

i. Le Gouvernement

47. Le Gouvernement considère que la date à prendre en compte pour le calcul de la durée globale de la procédure n’est pas celle des faits litigieux, mais celle du début de la procédure d’instruction. Il indique que celle-ci a débuté en décembre 1996 après une longue enquête effectuée par les autorités administratives compétentes, espagnoles et italiennes, et argüe que ce n’est que lorsqu’elles ont envisagé l’existence éventuelle de responsabilités pénales que le ministère public a été informé et que, par suite, l’enquête pénale a débuté.

48. Quant au laps de temps écoulé entre le jugement de l’Audiencia Provincial de Córdoba et l’arrêt du Tribunal suprême, rendu le 14 octobre 2005, le Gouvernement soutient que, dans la mesure où l’affaire en cause impliquait différents Etats, qu’elle concernait un nombre conséquent d’accusés (sept au total) et que les représentants de ceux-ci avaient formé des recours, cette durée n’a pas enfreint l’obligation de délai raisonnable.

ii. Le requérant

49. Le requérant précise que son grief ne concerne que la procédure devant le service public de la justice et que les enquêtes administratives préalables ne rentrent pas en ligne de compte.

50. Il combat les affirmations du Gouvernement et soutient que le laps de temps écoulé entre le début de la procédure d’enquête et l’arrêt du Tribunal suprême est excessif. De son point de vue, la période en question a débuté le 5 février 1997, date à laquelle il aurait eu connaissance des charges portées à son encontre. Il dénonce des périodes d’inactivité, dont les cinq ans écoulés entre les commissions rogatoires et l’ouverture du procès, le 14 octobre 2002, devant l’Audiencia Provincial.

51. Le requérant allègue enfin que le service public de la justice était seul responsable de la durée de la procédure en cause. A ses yeux, la présente affaire est comparable à l’affaire González Doria Durán de Quiroga (précitée), dans laquelle la Cour a conclu à la violation du droit du requérant à bénéficier d’un procès dans une durée raisonnable.

b) Appréciation de la Cour

52. Pour la Cour, la période à prendre en considération a commencé le 5 février 1997, date à laquelle la procédure à l’encontre du requérant devant le tribunal d’instruction no 2 de Montilla a été engagée et à laquelle le requérant a pris connaissance des accusations portées à son encontre. La procédure s’étant terminée le 10 mars 2008 avec la décision du Tribunal constitutionnel, la durée à examiner est de onze ans, un mois et cinq jours.

53. Pour le requérant, la durée – excessive selon lui – de la procédure ne s’explique ni par la complexité de la cause ni par son propre comportement ou celui des coaccusés, mais uniquement par celui des autorités. Il tient à rappeler que les faits remontent à 1994.

54. Quant au Gouvernement, il soutient que le délai en cause ne peut être considéré comme déraisonnable. Il argue de l’extrême complexité de l’affaire, du comportement des inculpés et des nécessaires échanges d’informations avec l’Italie, autant de facteurs qui seraient responsables de la durée de la procédure. En outre, aucun retard ne serait imputable aux organes judiciaires espagnols, les autorités judiciaires ayant, de l’avis du Gouvernement, apporté à l’affaire toute la diligence nécessaire.

55. La Cour appréciera le caractère raisonnable de la durée de la procédure à la lumière des circonstances de la cause – lesquelles commandent, en l’espèce, une évaluation globale – et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire et le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts Pélissier et Sassi c. France, 25 mars 1999, § 67 , Recueil des arrêts et décisions 1999-II, Philis c. Grèce (no 2), 27 juin 1997, § 35, Recueil 1997-IV, et Stratégies et communication et Dumoulin, no 37370/97, § 45, 15 juillet 2002).

56. La Cour admet que la présente affaire revêtait une certaine complexité, liée au nombre de documents à examiner, au fait que la procédure concernait plusieurs accusés et qu’elle impliquait deux commissions rogatoires adressées aux autorités italiennes. Toutefois, cette complexité ne saurait expliquer une durée comme celle de l’espèce. Quant au comportement du requérant, il ne ressort pas du dossier qu’il ait provoqué des retards notables. En effet, les jugements internes ne font mention que d’une question préliminaire soulevée par le représentant du requérant au cours de l’instruction, qui contestait la légitimation de l’Avocat de l’Etat dans l’affaire (Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France, arrêt du 31 mars 1998, § 99, Recueil 1998-II).

57. S’agissant des arguments avancés par l’Audiencia Provincial pour justifier le retard de jugement, à savoir la surcharge de travail, la Cour rappelle qu’il est de jurisprudence constante que l’encombrement chronique du rôle d’une juridiction ne constitue pas une explication valable (Probstmeier c. Allemagne, 1er juillet 1997, § 64, Recueil 1997-IV). Partant, il incombe aux Etats contractants d’organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent garantir à chacun le droit d’obtenir une décision définitive dans un délai raisonnable (voir, par exemple, les arrêts Caillot c. France, no 36932/97, § 27, 4 juin 1999, ou Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 45, CEDH 2000-VII).

58. La Cour rappelle ensuite que, en exigeant le respect du « délai raisonnable », la Convention souligne l’importance qui s’attache à ce que la justice ne soit pas administrée avec des retards propres à en compromettre l’efficacité et la crédibilité. La Cour n’ignore cependant pas les difficultés qui ralentissent parfois l’examen des litiges dont connaissent les juridictions nationales et qui résultent de divers facteurs (Vernillo c. France, 20 février 1991, § 38, série A no 198). Dans ce contexte, elle réitère que seules des lenteurs imputables à l’Etat peuvent amener à constater un dépassement du « délai raisonnable » (Monnet c. France, arrêt du 27 octobre 1993, § 30, série A no 273‑A).

59. En l’espèce, premièrement, la Cour constate que, alors que le requérant avait eu connaissance des accusations portées à son encontre en février 1997, l’audience publique devant l’Audiencia Provincial n’a débuté que le 7 octobre 2003 pour se conclure par le jugement rendu le 11 novembre 2003. Certes, pendant ce laps de temps, il y a eu plusieurs questions préliminaires, dont une provenant du requérant, mais la Cour note que ces demandes n’ont provoqué la suspension de la procédure que pendant une journée. Deuxièmement, la Cour relève que le juge d’instruction no 2 de Montilla a adressé deux demandes de commission rogatoire à ses homologues italiens, le 14 mars et le 6 novembre 1997, démarches qui ont sans aucun doute contribué à ralentir le déroulement de l’affaire. Elle note à cet égard que la date de la réponse des autorités italiennes ne figure pas dans le dossier de l’affaire. Cela étant, elle estime que ces éléments ne justifient pas une durée de plus de onze ans de procédure pour trois degrés de juridiction, aucun reproche ne pouvant par ailleurs être fait au requérant quant à son comportement. De plus, elle observe que le Gouvernement n’a pas réussi à justifier les périodes d’inactivité mentionnées par le requérant, en particulier celle comprise entre novembre 1997 et le 14 octobre 2002, date de l’ouverture du procès devant l’Audiencia Provincial.

60. Dès lors, la Cour estime que, à la lumière des critères dégagés par la jurisprudence des organes de la Convention en matière de « délai raisonnable », et au vu de l’ensemble des éléments en sa possession, la durée globale de la procédure litigieuse n’a pas satisfait à l’obligation de « délai raisonnable ». Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 2 DE LA CONVENTION

61. Invoquant l’article 6 § 2, le requérant soutient que les preuves à charge dont disposait le Tribunal suprême n’étaient pas suffisantes pour mener à sa condamnation sans la tenue d’une audience publique. Il dénonce dès lors une atteinte au droit à la présomption d’innocence, prévu à l’article 6 § 2 de la Convention. Cette disposition se lit comme suit :

« 2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »

62. Le Gouvernement combat cette thèse.

63. Bien que le requérant soulève son grief sous l’angle du droit à la présomption d’innocence, la Cour est d’avis que ses prétentions ont en fait trait au grief principal portant sur le défaut d’audience publique devant le Tribunal suprême et sur le fait que ce Tribunal a apprécié des moyens de preuve sans avoir entendu préalablement le requérant.

64. Cette partie de la requête est donc manifestement mal fondée et doit être déclarée irrecevable, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

65. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

66. Le requérant réclame 826 513,35 euros (EUR) pour préjudice matériel, précisant que ce montant est celui qu’il a été condamné à payer comme responsable civil des délits pour lesquels il a été déclaré coupable. Par ailleurs, il sollicite 1 000 000 EUR pour dommage moral.

67. Le Gouvernement estime ces sommes excessives.

68. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre les violations constatées et le dommage matériel allégué et rejette la demande présentée à ce titre. En revanche, elle estime que le requérant a subi un préjudice moral certain. Eu égard aux circonstances de la cause et statuant sur une base équitable, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle décide d’octroyer au requérant la somme de 13 000 EUR pour dommage moral.

B. Frais et dépens

69. Justificatifs à l’appui, le requérant demande également 92 689,80 EUR pour l’ensemble des frais et dépens engagés dans les procédures menées tant au niveau interne que devant la Cour.

70. Le Gouvernement conteste cette prétention.

71. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR tous frais confondus et l’accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

72. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 6 § 1 et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention pour ce qui est du caractère équitable et de la durée de la procédure ;

3. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 13 000 EUR (treize mille euros) pour dommage moral,

ii. 5 000 EUR (cinq mille euros) pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 20 mars 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-109782
Date de la décision : 20/03/2012
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale;Article 6-1 - Procès équitable;Délai raisonnable)

Parties
Demandeurs : SERRANO CONTRERAS
Défendeurs : ESPAGNE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : PEREZ AROCA J.D.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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